République argentine

Argentine

5) Les législations linguistiques provinciales

Plan de l'article

1. Rappel sur les provinces
1.1 Les peuples autochtones
1.2 Les langues autochtones

2 De la non-intervention à la protection de l'identité
2.1 Les politiques de non-intervention
2.2 La protection de l'identité ethnique
2.3 Les politiques sectorielles en éducation

 

3 Les politiques linguistiques plus élaborées
3.1 La province de Formosa
3.2 La province de Rio Negro
3.3 La province de Salta
3.4 La province de Santa Fé

4 Les politiques linguistiques d'officialisation
4.1 La province de Santiago del Estero
4.2 La province de Corrientes
4.3 La province du Chaco

1 Rappel sur les provinces argentines

L’Unesco reconnaît 370 millions d’autochtones dans le monde, qui sont répartis dans 90 pays et parlent environ 7000 langues, dont 2680 seraient en danger de disparition. L'Unesco s'est fixé pour objectifs principaux d'attirer l'attention du monde entier sur les risques critiques auxquels sont confrontées les langues autochtones et sur leur importance pour le développement durable, la réconciliation, la bonne gouvernance et la consolidation de la paix. En outre, l'Unesco encourage les langues autochtones dans des domaines clés, comme la compréhension, la réconciliation et la coopération internationale, ainsi que la création de conditions favorables à l'échange de connaissances et à la diffusion de bonnes pratiques en matière de langues autochtones.

1.1 Les peuples autochtones

Nous savons que l’Argentine est une république fédérale formée de 23 provinces et qu’elles ont en principe le pouvoir d’adopter dans leur législature respective des lois protégeant ou non leurs minorités autochtones. La carte de gauche illustre la localisation des locuteurs des langues autochtones en Argentine. Il est rare qu'une ou plusieurs langues autochtones soient parlées sur tout le territoire d'une province. À l'exception des provinces de Jujuy, de Salta, du Chaco, de Formosa et de Misiones, toutes les autres provinces ne comptent qu'un tout petit nombre de locuteurs de ces langues. Par contre, les autochtones eux-mêmes sont présents dans toutes les provinces.
 
Langue Nombre
de provinces
Province
Guarani 6 Jujuy, Salta, Corrientes, Formosa, Entre Rios, Misiones et Santa Fé
Mapuche 6 La Pampa, Chubut, Neuquen, Rio Negro, Santa Cruz, Tierra del Fuego
Toba 3 Chaco, Formosa et Santa Fé
Wichi 3 Chaco, Formosa et Santa Fé
Tehuelche 2 Chubut et Santa Cruz
Mocovi 2 Sante Fe et Chaco
Aymara 1 Salta
Pilaga 1 Formosa
Quechua 1 Santiago del Estero
Charoté 1 Salta

La plus grande concentration de peuples autochtones du pays se trouve dans la région du Nord-Ouest, soit les provinces de Jujuy, de Salta, de Formosa, du Chaco, de Santiago del Estero et de Misiones. Soulignons aussi que la plupart des langues autochtones sont fragmentées en plusieurs variantes dialectales et que, par conséquent, elles ne sont guère uniformisées. Plusieurs autres langues ne sont parlées que par quelques centaines de locuteurs, voire par moins d’une centaine, et elles sont généralement en voie d’extinction. Parmi les 23 provinces, une quinzaine d'entre elles ont adopté des dispositions concernant la protection des identités autochtones. Pour les langues, c'est autre chose!

Les autochtones sont présents dans toutes les provinces, mais leur nombre et leur proportion peuvent varier énormément d'une à l'autre. C'est la province de Buenos Aires qui compte le plus grand nombre d'autochtones (299 311), mais ils ne représentent que 1,9 % de la population. La province qui suit est Salta (79 204), alors qu'ils forment 6,5 % de la population. Les provinces suivantes comptent de 52 000 à 30 000 autochtones: Jujuy (52 545), Córdoba (51 142), Santa Fé (48 265), Río Negro (45 375), Neuquén (43 357), Chubut (43 279), Chaco (41 304), Mendoza (41 026) et Formosa (32 216). Les provinces de Tucumán (19 317), de La Pampa (14 086), d'Entre Ríos (13 153), de Misiones (13 006) et de Santiago del Estero (11 508) abritent entre 11 000 et 20 000 autochtones. Les autres provinces en comptent moins de 10 000: Santa Cruz, San Luis, San Juan, Catamarca, Corrientes, La Rioja, Tierra des Fuego.

Province Population (2010) Autochtones Pourcentage
Buenos Aires 15 625 084 299 311 1,9%
Salta 1 214 441 79 204 6,5%
Jujuy    673 307 52 545 7,8%
Córdoba 3 308 876 51 142 1,5%
Santa Fé 3 194 537 48 265 1,5%
Río Negro    638 645 45 375 7,2%
Neuquén    585 126 43 357 7,4%
Chubut    509 108 43 279 8,5%
Chaco 1 055 259 41 304 3,9%
Mendoza 1 738 929 41 026 2,3%
Formosa    530 162 32 216 6,0%
Tucumán 1 448 188 19 317 1,3%
La Pampa    318 951 14 086 4,4%
Entre Ríos 1 235 994 13 153 1,0%
Misiones 1 101 593 13 006 1,1%
Santiago del Estero    874 006 11 508 1,3%
Santa Cruz    273 964   9 552 3,4%
San Luis    432 310   7 994 1,8%
San Juan    681 055   7 962 1,1%
Catamarca    367 828   6 927 1,8%
Corrientes    992 595   5 129 0,5%
La Rioja    333 642   3 935 1,1%
Tierra del Fuego    127 205   3 563 2,8%
Ville de Buenos Aires 3 100 000 61 876 1,9%
Total 37 260 805 955 032 2,5 %
Le graphique de gauche permet de visualiser la proportion en pourcentage de la population autochtone par province (source: Censo Nacional de Población, Hogares y Viviendas de 2010).

Il faut tenir compte de la proportion des autochtones dans les provinces, car le nombre absolu n'est pas tout. Par exemple, le nombre de 43 000 autochtones dans la province de Chubut (avec 509 000 habitants) représentant 8,5 % de la population, ce n'est pas équivalent à 48 000 autochtones dans la province de Santa Fé (3,1 millions d'habitants) représentant 1,5 % de la population. 

Ainsi, les provinces de Chubut (8,5%), de Jujuy (7,8%), de Neuquén (7,4%), de Rio Negro (7,2%), de Salta (6,5 %) et de Formosa (6%) sont celles qui ont les proportions les plus élevées d'autochtones. D'autres ont moins de 2% : Buenos Aires,  Cordoba, Santa Fé, Tucuman, Entre Rios, Misiones, Santiago del Estero, San Juan, Catamarca, Corrientes et La Rioja. La province de Corrientes est celle qui en compte le moins avec 0,5 %.

Cela dit, on verra si le fait d'avoir une proportion d'autochtones plus élevée entraîne nécessairement une législation plus favorable aux «peuples originaires» du pays. On peut aussi se demander si la province de Corrientes, avec 05 % d'autochtones, fait moins ou davantage que les autres provinces.

1.2 Les langues autochtones

Les langues autochtones n'ont pas toutes la même vitalité. En Argentine, 18 langues autochtones sont reconnues par l'État, dont douze se portent encore assez bien en dépit de différents degrés de vitalité, quatre sont «en cours de récupération» (comprendre «pas encore morte») et deux autres sont considérées comme éteintes. Cependant, la viabilité des petites langues ne dépend pas seulement de leur reconnaissance officielle, mais aussi du nombre de leurs locuteurs, de même que des caractéristiques géographiques de l'aire où elles sont parlées, notamment la concentration géographique, un facteur déterminant pour la vitalité d'une langue. La revendication linguistique passe nécessairement par la question territoriale, car la tendance d'un groupe linguistique est de former une masse territoriale homogène. Toute langue a besoin d'un espace physique qui lui soit particulier pour s'établir, se maintenir et se développer, dans la mesure où une langue ne survit bien qu'en état de forte concentration territoriale.

- Les langues ayant la plus grande vitalité

En Argentine, la langue ayant la plus grande vitalité est le quechua qui, selon les archives de l’Unesco, est parlée par quelque 80 000 personnes, bien que les représentants de l’Académie Runasimi (qui signifie en quechua «langue du peuple») déclarent que ce nombre serait «au moins de 450 000 locuteurs» dans les provinces de Salta, de Jujuy, de Santiago del Estero et de Buenos Aires. Il faudrait aussi ajouter environ 1,4 million de Boliviens qui vivent en Argentine et qui parlent le quechua.

Le mapuzdungún ou mapuche est une langue parlée par les Mapuches en Argentine et au Chili; elle compte de 200 000 à 500 000 locuteurs dans 2000 petites réserves, voire jusqu'à un million de locuteurs si l'on considère les 300 000 Mapuches résidant à Santiago (Chili). En Argentine, les locuteurs du mapuche sont au nombre de 100 000 individus vivant dans les provinces de Chubut, de Neuquén, de Rio Negro, de Santa Cruz, de Buenos Aires, de La Pampa et de la Terre de Feu.

La troisième langue, le guarani, auquel il convient d'ajouter l'avá-guaraní, le mbyá guaraní et le correntino, compte plus de 44 000 locuteurs répartis dans les provinces de Corrientes, d'Entre Rios, de Misiones, de Jujuy, de Salta et de Buenos Aires. Dans ce cas, on ne tient pas compte de l'immigration paraguayenne, brésilienne et bolivienne, dont les locuteurs parlent aussi le guarani.

Suit le qom/toba qui est parlé par environ 35 000 habitants dans les provinces de Chaco, de Formosa, de Santa Fé et de Buenos Aires. La cinquième langue la plus utilisée dans le pays est le wichi qui est actuellement parlé ou compris par quelque 29 000 locuteurs dans les provinces de Formosa, de Chaco et de Salta.

- Les langues ayant moins de vitalité

Selon les données disponibles, la langue aymara est parlée par environ 1700 personnes dans les provinces argentines de Salta, de Jujuy et de Buenos Aires, mais si l'on tient compte du fait que près de 600 000 immigrants de la Bolivie et du Pérou parlent cette même langue, leur nombre augmente considérablement.

Le mocovi est une autre langue ayant de vitalité avec quelque 3750 locuteurs habitant la province du Chaco et de Santa Fé, suivis par le pilagá avec 3500 locuteurs dans la province de Formosa. Viennent ensuite le chané avec environ 2000 locuteurs, le choroté avec 1700 locuteurs et le chulupi avec seulement 270 locuteurs dans la province de Salta et la province de Formosa.

2 De la non-intervention à la protection de l'identité

Les provinces argentines font partie d'une fédération. En conséquence, elles bénéficient d'une grande autonomie dans leur législation locale. Bien que le gouvernement fédéral ait accordé un certain nombre de droits d'ordre linguistique aux autochtones, certaines provinces n'accordent aucune protection à ces derniers, alors que d'autres reconnaissent un minimum de protection sans que cela concerne la question linguistique. Bref, on peut constater que les 23 provinces présentent une grande diversité dans la protection des autochtones, comme en témoigne le tableau qui suit :

Province Constitution
Identité autochtone
Constitution
Éducation bilingue
Constitution/loi
avec protection linguistique particulière
Adoption d'une loi portant sur la langue
Buenos Aires

oui

- - sans objet
Catamarca - - - sans objet
Chaco oui oui oui Loi n° 6604 déclarant les langues officielles de la province (2010)
Loi n° 4.449 sur l'éducation générale (1997)
Loi n° 3.258 sur les communautés autochtones (1987)
Chubut oui oui - sans objet
Córdoba - - - sans objet
Corrientes oui oui oui Loi n° 55.598 établissant le guarani comme langue officielle alternative (2004)
Entre Ríos oui oui - sans objet
Formosa oui oui oui Loi intégrale sur les aborigènes, n° 426 (1984)
Jujuy oui - - sans objet
La Pampa oui - - sans objet
La Rioja - - - sans objet
Mendoza oui - - sans objet
Misiones - - - sans objet
Neuquén oui oui - sans objet
Río Negro oui - oui Loi n° 2287 reconnaissant l’existence du Conseil consultatif autochtone (1988)
Salta oui oui oui Loi n° 6.373 sur la promotion et le développement des autochtones (1986)
San Luis - - - sans objet
San Juan - - - sans objet
Santa Fé oui oui oui

 Loi n° 11.078 sur les communautés autochtones (1994)

Santa Cruz - - - sans objet
Santiago del Estero oui oui

oui

Loi provinciale n° 6.876 sur l'éducation (2007)
Loi n° 5.409 déclarant d'intérêt officiel la langue quechua (1984)

Tierra des Fuego - - - sans objet
Tucumán oui oui - sans objet

2.1 Les politiques de non-intervention

Bien que les autochtones soient présents dans toutes les provinces,  plusieurs d'entre elles ne prévoient aucune disposition juridique à leur sujet. Ce sont les provinces suivantes: Catamarca, Córdoba, La Rioja, Misiones, San Luis, San Juan, Santa Cruz et Tierra del Fuego (Terre de Feu).

Province Population (2010) Autochtones Pourcentage
Córdoba 3 308 876 51 142 1,5%
Misiones 1 101 593 13 006 1,1%
Santa Cruz    273 964   9 552 3,4%
San Luis    432 310   7 994 1,8%
San Juan    681 055   7 962 1,1%
Catamarca    367 828   6 927 1,8%
La Rioja    333 642   3 935 1,1%
Tierra del Fuego    127 205   3 563 2,8%
Total 441 046 64 148 14,5 %
Ces provinces comptent proportionnellement peu d'autochtones, soit entre 1% et 3,5%. Les constitutions de ces provinces ne prévoient pas de disposition à l'égard des autochtones, ni au point de vue linguistique ni au point de vue social ou culturel.

Sur une population totale de 441 000 habitants, les 64 000 autochtones n'ont aucune protection, bien qu'ils représentent ensemble plus de 14 % de la population.

Il s'agit pour ces provinces d'une politique de non-intervention.

2.2 La protection de l'identité ethnique

L'identification ethnique désigne la relation existante entre un individu et une communauté avec laquelle il croit partager une même ascendance en raison de caractéristiques communes, comme la localisation géographique ou le territoire, l'histoire et le patrimoine, la langue, la culture, la religion, les institutions, l'alimentation, etc. En somme, l'identification ethnique peut se faire à partir de différents critères. Ainsi, en 2000, l'État argentin a signé la Convention relative aux peuples indigènes de l’OIT. Celle-ci s'applique aux peuples autochtones vivant dans le pays dans la mesure où les conditions sociales, culturelles, linguistiques et économiques les distinguent des autres secteurs de la communauté nationale. La Convention oblige l'État fédéral de développer une action coordonnée et systématique visant à protéger les droits de ces peuples et à garantir le respect de leur intégrité. Toutefois, certaines provinces considèrent qu'elles ne sont pas partie prenante dans cette convention, puisqu'elles ne l'ont pas signée ni ratifiée.

De façon générale, les provinces qui reconnaissent l'identité autochtone veulent se conformer au paragraphe 17 de l'article 75 de la Constitution nationale, qui exige que l'État provincial reconnaisse le droit à la terre pour les «peuples préexistants» et rétablisse le territoire dans lequel ils vivaient jadis et en acceptant formellement l’identité ethnique des premiers occupants.

Article 75

Il relève de la responsabilité du Congrès:

17) De
reconnaître la préexistence ethnique et culturelle des peuples autochtones argentins.

De garantir le respect de leur identité et
le droit à une éducation bilingue et interculturelle; de reconnaître le statut juridique de leurs communautés, ainsi que la propriété de la communauté et la propriété des terres qu'elles occupent traditionnellement; et de réglementer la fourniture d'autres produits appropriés et suffisants pour le développement humain; aucune d'entre elles ne sera aliénable, transférable, ni susceptible d'engorgement ou de saisie. De veiller à ce que leur participation à la gestion renvoie à leurs ressources naturelles et aux autres intérêts qui les concernent. Les provinces peuvent exercer ces pouvoirs simultanément.

- La province de Buenos Aires

La province de Buenos Aires (307 571 km²) est la plus importante de toute l’Argentine, car elle compte 15,6 millions d’habitants. Lors du recensement de 2010, près de 300 000 personnes (1,9%) ont été reconnues comme autochtones dans cette province. Sur ce nombre, 112 671 habitaient à l’intérieur de la ville de Buenos Aire, puis 36 706 étaient des Mapuches; 13 475, des Tufs; 13 464, des Guaranis; 10 136, des Pampa; 8448, des Quechua; 4835, des Diaguitas-Calchaquíes; 4570, des Tehuelche; et 21 037 appartenaient à d'autres peuples autochtones. La législature de la province a adopté en 1994 une disposition dans la Constitution. Il s’agit de l’article 36 (paragr. 9) intitulé «Des indigènes» (De los indígenas):

Article 36

Des indigènes

9) La province revendique l'existence de peuples indigènes sur son territoire en garantissant le respect de leurs identités ethniques, le développement de leurs cultures et la possession familiale et communautaire des terres qu'ils occupent légitimement.

Or, une telle disposition d’ordre aussi général ne va pas très loin dans l’étendue des droits dans la mesure où elle ne prescrit aucune application. Il s’agit d’une considération vague et imprécise qui soulève forcément des difficultés quand il faut trouver des applications concrètes. De plus, cette disposition ne concerne pas les langues.

- La Province de Jujuy

Cette province de Jujuy de 53 291 km² et de 673 300 habitants, dont 52 500 autochtones (7,8%), est située près de la frontière bolivienne, au nord-ouest du pays. L’article 50 de la Constitution de 1986 n’accorde qu’une vague disposition aux autochtones qui doivent être protégés «au moyen d'une législation adéquate» tout en préservant le patrimoine culturel et en offrant une éducation obligatoire et pluraliste :

Article 50

La province devra protéger les autochtones au moyen d'une législation adéquate qui les conduise à leur intégration et au progrès économique et social.
 

Article 65

Politique culturelle

1) L’État doit orienter sa
politique culturelle vers l’affirmation de modes de comportement social, qui reflètent notre réalité régionale et argentine.

2) À ces fins, l'État:

1. doit préserver et conserver le patrimoine culturel existant sur le territoire provincial; que ce soit dans le domaine public ou privé, il créera à cette fin le cadastre des biens culturels;

Article 66

Politique de l'éducation

1) L’État reconnaît et garantit le droit des habitants de la province à une éducation permanente et efficace.

3) L’État garantit la liberté d’enseignement et de formation.

4) L'enseignement public sera obligatoire, gratuit, progressif et pluraliste.

5) Le caractère obligatoire de l’éducation s’étend du niveau initial au niveau moyen inclus.

Bref, rien en ce qui concerne les droits linguistiques. Or, le Jujuy est la province qui compte proportionnellement le plus d'autochtones (7,8 %).

- La province de La Pampa (1994)

La province de La Pampa (143 440 km²) ne compte que 319 000 habitants, dont 14 000 autochtones (4,4%). Située au Centre (près de Buenos Aires), cette province n’a prévu qu’une seule disposition précise à l’article 6 (par. 2) dans la Constitution de 1994 et celle-ci est formulée de façon très générale:

Article 6

1)
Toutes les personnes naissent libres et égales en dignité et en droits.
La discrimination est interdite pour des raisons d'ethnie, de sexe, de religion, d'opinion politique ou d'union, d'origine ou de condition physique ou sociale.

2) La province reconnaît la préexistence ethnique et culturelle des peuples autochtones.

Article 19

1) Le patrimoine culturel, historique, architectural, archéologique, documentaire et
linguistique de la province constitue le patrimoine inaliénable de tous les habitants.

2) L’État provincial et la communauté protégeront et encourageront toutes les manifestations culturelles et garantiront l’identité et la pluralité culturelles.

- La province de Mendoza

La province de Mendoza (148 827 km²) n'a pas de disposition prévue dans sa constitution, mais une loi : la Loi n° 6920 reconnaissant la préexistence ethnique et culturelle du peuple huarpe milcallac (2001). La population de cette province est de 1,7 million d'habitants, dont 41 000 autochtones (2,3%). Les Huarpé sont une ethnie autochtone qui habitait jadis dans la région appelée Cuyo; ils étaient installés sur de vastes territoires des provinces de San Luis, de Mendoza, de San Juan et de Neuquén. Les Huerpé formaient cinq grands groupes: les Allentiak (San Juan), les Milkayak (Mendoza), les Chikiyam (Mendoza) et les Huanacache (Mendoza et San Luis) et les Pehuenches (Neuquén). Il ne reste aujourd'hui que les Milkayak. Dans cette loi de 2001, la province reconnaît la préexistence ethnique et culturelle des Huarpé Milcallac (ou Milkayak) en garantissant le respect de leur identité culturelle:

Article 1er

Est reconnue
la préexistence ethnique et culturelle du peuple huarpe milcallac de la province de Mendoza en garantissant le respect de son identité culturelle.

Article 2

La province de Mendoza adhère à la loi nationale n° 23302 sur l'Institut national des affaires autochtones (INAI).

Connue sous le nom de loi Huarpé, la loi n° 6920 voulait se conformer au paragraphe 17 de l'article 75 de la Constitution nationale, qui exigeant que l'État provincial reconnaisse le droit à la terre en tant que peuple préexistant, rétablisse le territoire dans lequel ils vivent et que l’identité et la culture harpées sont reconnues.

Comme on peut le constater, ce genre de dispositions constitutionnelles n'entraîne pas vraiment d'engagement de la part de la province concernée. Au mieux, il s'agit de vœux pieux qui demeurent sans conséquence. Le respect de l'identité ethnique reste uniquement un beau principe s'il n'engage pas d'actions concrètes.  

Enfin, une minorité affaiblie peut toujours miser sur une déclaration de non-discrimination sur la base de l'appartenance linguistique. L'expérience démontre que la non-discrimination constitue souvent la seule garantie individuelle qu'accorde un État en matière de protection linguistique. Dans cette perspective, la question linguistique se confond avec celui des droits de la personne. Cette formule a le mérite de donner bonne conscience à l'État tout en ne l'emprisonnant pas dans des lois contraignantes.

2.3 Les politiques sectorielles en éducation

D'autres provinces accordent un certain statut aux autochtones dans un cadre exclusivement scolaire. Il s'agit dans ce cas d'un statut juridique différencié dont le but est de reconnaître à une minorité le droit à la différence. En général, un tel statut n'offre qu'une protection restreinte dans des domaines comme l'enseignement, plus rarement dans les tribunaux, l'administration ou les médias. Dans ce cas, l'État concède simplement un statut inégal par rapport à la majorité. Rappelons la Loi n° 26.206 sur l'éducation nationale (2006), une loi fédérale qui précise ce que doit être l'éducation destinée aux autochtones. L'article 52 impose «l'éducation bilingue interculturelle» aux enfants autochtones afin de garantir le droit constitutionnel des peuples autochtones de recevoir une instruction favorisant leurs cultures et leurs langues:

Article 52

L'éducation bilingue interculturelle

L'éducation bilingue interculturelle est la spécificité du système d'éducation des niveaux d'enseignement préscolaire, primaire et secondaire que garantit le droit constitutionnel des peuples indigènes, conformément à l'art. 75, par. 17, de la Constitution nationale; de recevoir une éducation qui contribue à préserver et à fortifier leurs modèles culturels, leur langue, leur vision du monde et leur identité ethnique; de se rendre activement libre dans un monde multiculturel et d'améliorer leur qualité de vie. De la même manière, l'éducation bilingue interculturelle favorise un dialogue mutuellement enrichissant de connaissances et de valeurs entre les peuples indigènes et les populations ethniques linguistiquement et culturellement différents, et rend propices la reconnaissance et le respect envers de telles différences.

Plusieurs des provinces reprennent ce type d'instruction pour leurs autochtones.

- La province de Chubut (1994)

La province de Chubut bénéficie d'une grande superficie de 224 686 km² et de seulement 509 000 habitants. Elle est située au sud-est du pays (en Patagonie) où la population amérindienne est plus importante, soit 43 279 ou 8,5 % de la population, ce qui est beaucoup en Argentine. On distingue principalement deux grandes communautés autochtones: Les Patagons ou Tehuelches, appelés aussi «Aonikenks», et les Mapuches. Les Tehuelches ont peuplé historiquement la province, mais ils furent victimes d'un génocide au XIXe siècle lors de la «Conquête du désert» menée sous le régime président Julio Argentino Roca. Aujourd'hui, selon le recensement de 2010, il y aurait 27 813 personnes qui se reconnaissent comme des Tehuelches dans l'ensemble du pays, dont 7924 dans la province du Chubut. Quant aux Mapuches, le même recensement a révélé l'existence de 205 009 individus qui se reconnaissent comme Mapuches dans l'ensemble du pays, dont 31 771 dans la province de Chubut. Bref, la population autochtone du Chubut est relativement élevée pour une province.

C’est pourquoi la Constitution provinciale de Chubut a prévu des dispositions en matière d’éducation bilingue et interculturelle :

Article 34

Des indigènes

La province proclame l'assistance des peuples autochtones sur son territoire en garantissant le respect de leur identité. Elle promeut des mesures adéquates pour préserver et faciliter le développement et la pratique de leurs langues, en garantissant le droit à une éducation bilingue et interculturelle. Les communautés autochtones existantes dans la province sont reconnues:

1. La propriété communautaire et la propriété des terres qu’elles occupent traditionnellement. L’État peut réglementer la fourniture d’autres ressources appropriées et suffisantes au développement humain. Aucune de ces terres n’est aliénable, transférable ou susceptible d’engagements ou de privilèges.
2. la propriété intellectuelle et les résultats économiques des connaissances théoriques et des pratiques tirées de leurs traditions, lorsqu'elles sont utilisées à des fins lucratives.
3. Leur statut juridique.
4. Selon la loi, leur participation à la gestion concernait les ressources naturelles situées sur les terres qu'elles occupent et d'autres intérêts les concernant.

Ici aussi, les dispositions constitutionnelles énoncent des principes très généraux dont il est difficile d'identifier les modalités d'application dans les faits.

- La province d'Entre Rios

La province d'Entre Rios ((78 781 km²) compte 1,2 million de citoyens, dont 13 000 autochtones (1%). L'article 33 de la Constitution de 2008 reconnaît la préexistence ethnique et culturelle de ses peuples autochtones ainsi que  le droit à une éducation bilingue et interculturelle:

Article 33

La province reconnaît la préexistence ethnique et culturelle de ses peuples autochtones. Elle veille au respect de leur identité, à la récupération et à la préservation de leur patrimoine et de leur héritage culturel, au statut juridique de leurs communautés et à la propriété communautaire immédiate des terres qu’ils occupent traditionnellement. La loi doit prévoir l'émission d'autres services adaptés et suffisants au développement humain, qui seront accordés gratuitement à titre de réparation historique. Ils seront indivisibles et non transférables à un tiers.

La province reconnaît aux peuples autochtones le droit à une éducation bilingue et interculturelle, à leurs savoirs ancestraux et à leurs productions culturelles de participer à la protection, à la préservation et à la récupération des ressources naturelles liées à leur environnement et à leur subsistance, à leur élévation socio-économique avec des programmes assurant le respect adéquat et effectif de leurs traditions, de leurs croyances et de leurs modes de vie.

Il existe au moins six communautés autochtones: les Guavirami, les Tamandu, les Azul, les Yyporâ, les Yhovy et les Tamandui, auxquels on peut ajouter les descendants des Charrua.

- La province de Neuquén

La province de Neuquén (94 078 km²) abrite 585 000 citoyens, dont 43 300 autochtones, soit 7,4%. L'article 53 de la Constitution de 2006 reconnaît la préexistence ethnique et culturelle des peuples autochtones et garantit le respect de leur identité et le droit à une éducation bilingue et interculturelle:

Article 53

Les peuples autochtones

La province reconnaît que la préexistence ethnique et culturelle des peuples autochtones de Neuquén comme partie intégrante de l'identité et de l'idiosyncrasie provinciales. Elle garantit le respect de leur identité et le droit à une éducation bilingue et interculturelle.

La province reconnaît le statut juridique de ses communautés, ainsi que la possession et la propriété en commun des terres qu’elles occupent traditionnellement, et réglemente la fourniture d’autres moyens adaptés et suffisants au développement humain; aucune de ces terres ne sera aliénable, ni transférable, ni susceptible d'engagements ou de privilèges.

La province s'assure de participer à la gestion de ses ressources naturelles et des autres intérêts qui les concernent et doit promouvoir des actions positives en sa faveur.

Article 260

L'instruction sera obligatoirement
enseignée en castillan et aucune discrimination raciale ni de quelque nature que ce soit ne sera admise.

Soulignons au passage que l'article 260 rend obligatoire l'instruction dans les écoles en castillan

3 Les politiques linguistiques plus élaborées

Dans les politiques suivantes, les provinces ont adopté des mesures législatives particulières à l'égard des peuples autochtones. Il s’agit en général d’une sorte de Loi sur les Indiens, comme il en existe au Canada. Ces lois portent normalement sur la reconnaissance de l'identité autochtone, sur la sauvegarde de la culture autochtone, sur l'éducation bilingue, biculturelle ou interculturelle, ce qui signifie que la question linguistique fait partie des mesures pour la revalorisation des ethnies autochtones. Il n'y a pas lieu ici de parler de «lois linguistiques», mais plutôt de lois non linguistiques contenant certaines dispositions d'ordre linguistique. Les provinces retenues sont les suivantes: Formosa, Rio Negro, Salta et Santa Fé.

3.1 La province de Formosa

Cette province (72 066 km²) située au nord de l'Argentine compte 530 000 habitants, dont 32 200 autochtones (6%). La province dénombre 192 communautés autochtones réparties sur l'ensemble de son territoire. Les peuples originels de cette province sont les Pilagá (4366 ou 13,5%), les Wichí et les Toba. Chacun de ces trois grands groupes possède sa propre langue qui, contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres provinces argentines, est restée vivante, car elle est en général parlée par presque tous ses membres, y compris les variétés locales, pour un total de 17 variantes. Les Wichí vivent dans le centre-ouest de la province; les Pilagá, au centre-nord; les Toba, au centre-est (régions littorales nord et sud du littoral) et à l'ouest de Formosa.

La province de Formosa semble avoir été une pionnière dans la reconnaissance juridique des peuples autochtones en tant que sujets de droit, notamment dans la Constitution et dans la Loi intégrale sur les aborigènes, n° 426 (1984). L'article 1er de cette loi a pour objet, entre autres, la préservation sociale et culturelle des communautés autochtones :

Article 1er

La présente loi a pour objet
la préservation sociale et culturelle des communautés autochtones, la défense de leur patrimoine et de leurs traditions, l'amélioration de leurs conditions économiques, leur participation effective au processus de développement national et provincial; et leur accès à un régime juridique leur garantissant la propriété des terres et des autres ressources productives avec des droits égaux à ceux des autres citoyens.

Mais ce qui paraît plus surprenant, parce qu'une telle disposition est peu courante en Argentine, c'est l'article 5 de la loi n° 426 qui stipule que les juges doivent tenir compte également de leurs usages et de leurs coutumes dans toute procédure dans laquelle les autochtones sont partie prenante :

Article 5

Dans toute procédure dans laquelle les autochtones sont partie prenante, les juges doivent tenir compte également de leurs usages et de leurs coutumes, et de la raison pour laquelle ils pourront demander des rapports à l'Institut des communautés autochtones. Le bénéfice du doute doit favoriser les autochtones qui sont concernés par leur état culturel, le cas échéant.

 
Article 6

L’État reconnaît l’existence légale des communautés autochtones et leur accorde un
statut juridique conformément aux dispositions spécifiques en la matière.

Autrement dit, les autochtones ont obtenu un statut juridique (art. 6).

L'article 20 de la Loi intégrale sur les aborigènes, n° 426 (1984) énumère les objectifs généraux de l'Institut des communautés autochtones (Instituto de Comunidades Aborígenes):

Article 20

L'Institut des communautés autochtones détient les objectifs généraux suivants:

a) Favoriser l'organisation de chaque communauté et de l'ensemble des peuples autochtones, à la fois pour le travail en vue de leur propre développement que pour le groupe social, conformément à leur culture et à leurs coutumes.

d) Promouvoir la sauvegarde de la culture autochtone, de son patrimoine moral, spirituel et matériel.

e) Promouvoir la concession de terres appartenant à la communauté ou à l'individu autochtone.

f) Encourager l'adoption de lois spécifiques et d'actions d'aide dans les domaines de la santé, de l'éducation, du logement, du travail, de la sécurité sociale et de la justice.

h) Promouvoir, par le biais des médias de masse, des campagnes de diffusion des cultures autochtones tendant à améliorer la compréhension et le respect des peuples autochtones.

Au point de vue linguistique et scolaire, l'article 21 de la Loi intégrale sur les aborigènes, n° 426 prévoit un enseignement bilingue aux autochtones en castillan et dans la langue maternelle:
 

Article 21

Aux fins indiquées à l'article précédent, l'Institut des communautés autochtones a les attributions suivantes:

[...]

DANS LE DOMAINE DE L'ÉDUCATION

L’Institut, le ministère de l’Éducation et le Conseil général de l’éducation doivent élaborer:

a) un enseignement bilingue (castillan - langues aborigènes);
b) des programmes spécifiques en formulant des contenus pédagogiques conformes à la vision et l'histoire des autochtones;
c) des campagnes d'
alphabétisation;
d) un programme d'application du système d’enseignants auxiliaires autochtones au cycle primaire.
e) un système encourageant de
bourses à l’intention des autochtones qui leur permettent d'accéder au cycle secondaire et tertiaire;
f) des programmes nécessaires pour la
formation des enseignants autochtones, qui remplaceront les suppléants, les stagiaires ou les anciens titulaires d'établissements spéciaux, alors que le ministère de l'Éducation doit organiser un système de transfert des personnes affectées pour permettre aux futurs enseignants autochtones d'intégrer leurs fonctions.
g) des programmes d’études provinciaux pour le primaire et le secondaire dans les matières jugées pertinentes dans les domaines qui traitent de sujets visant à diffuser les connaissances sur
la culture, la cosmovision et l’histoire autochtone chez tous les élèves de la province.
h) des programmes d'étude avec des limites réduites pour le monde du travail. 
i) des instruments juridiques et matériels nécessaires pour commencer et poursuivre, selon les besoins,
l’enseignement secondaire bilingue aux enfants autochtones.

Dans la plupart des écoles destinées aux autochtones, les élèves reçoivent leur instruction à la fois en castillan et dans leur langue maternelle. Il faut comprendre qu'une majorité de cours se donne en castillan.

Grâce au cadre juridique de la province de Formosa, les différentes communautés autochtones ont obtenu plus de 320 000 hectares de propriétés et de titres, et elles gèrent actuellement près de 500 unités de formation de l’enseignement interculturel bilingue aux niveaux initial, primaire et secondaire, supérieur et en éducation permanente. En raison de l'engagement de la province et du gouvernement, des progrès ont été réalisés par ces communautés. Alors que plusieurs d'entre elles n'avaient auparavant ni routes, ni électricité, ni eau potable, ni écoles, ni centres de santé, elles vivent aujourd'hui une autre réalité, car de nombreux autochtones ont la possibilité d'étudier et même d'obtenir des diplômes universitaires.

Néanmoins, les autochtones ont été victimes dans le passé de «violations systématiques» de leurs droits, comme ce fut le cas dans l'ensemble du pays. Bien qu'il y ait eu des améliorations, de nombreux autochtones, comme les Pilagá, continuent d'être victimes de marginalisation et de discrimination. C'est pourquoi les représentants de ces communautés demandent le respect effectif de la Loi intégrale sur les aborigènes, n° 426 (interdiction des expulsions et de l'arpentage) et exhortent les autorités argentines à adopter des mesures nécessaires pour garantir le respect, la promotion et la réalisation des droits des peuples autochtones. 

3.2 La province de Rio Negro

La province de Rio Negro (203 013 km²) recense une population de 638 600, dont 45 375 autochtones (7,2 %). Plus récemment, on remarque que la population de cette province a plus que doublé depuis le début des années 1970, en raison d'une importante immigration; la province affiche ainsi un rythme d'accroissement supérieur à la moyenne du pays. Les Mapuches constitueraient quelque 7,2 % de la population provinciale, un chiffre relativement élevé si l'on considère la forte émigration vers la région de Buenos Aires, et l'important métissage qui se termine souvent par l'assimilation au reste de la population.

Le territoire de l'actuelle province de Río Negro abritait quatre groupes ethniques d'autochtones: les Tehuelches, les Puelches, les Huarpés (ou Pehuenches) et les Mapuches. Actuellement, nous ne pouvons trouver que des représentants du peuple mapuche, puisque les trois autres ont souffert de leur extinction ou que leur petit nombre de descendants s'est installé dans d'autres provinces voisines.

La Constitution de Rio Negro (1988) ne consacre qu'un seul article au sujet de l'instruction des enfants autochtones:

Article 61

La culture


L’État garantit à tous les habitants l’accès à la pratique, à la diffusion et au développement de la
culture, en éliminant dans sa création toutes les formes de
discrimination.

Il promeut et protège les
manifestations culturelles, individuelles ou collectives, ainsi que celles qui affirment l’identité provinciale, régionale, nationale et latino-américaine.

Il préserve le
patrimoine historique, archéologique, documentaire, artistique, paysager, coutumier, linguistique et patrimonial du peuple, qui constitue sa culture.

Heureusement, la Loi n° 2287 reconnaissant l’existence du Conseil consultatif autochtone (1988) reconnaît l’existence du Conseil consultatif autochtone (Consejo Asesor Indígena) basé dans la petite ville d'Ingeniero Jacobacci :

Article 6

Il est reconnu l’existence du
Conseil consultatif autochtone
basé à Ingeniero Jacobacci et composé de représentants élus par les communautés autochtones et les associations rurales et urbaines de la province de Río Negro, qui agira conjointement avec le gouvernement provincial pour œuvrer en faveur de l'application de la présente loi, sans préjudice de l'autonomie qui lui correspond en tant qu'organisme représentatif authentique de la population autochtone de Rio Negro devant en garantir la libre participation.

Le Conseil consultatif autochtone (CAI: Consejo Consultivo Indígena) a été créé au milieu des années 1980 dans la province de Río Negro. Le CAI est une organisation populaire, indépendante et autonome du peuple mapuche de la province de Río Negro, qui ne répond à aucun parti politique ni à aucune église. À partir des années 1980, les Mapuches ont entamé un combat pour une loi provinciale autochtone qui tiendrait compte de leurs droits territoriaux. La loi fut finalement été approuvée, mais elle n'a jamais été pleinement appliquée. Avec deux décennies, les communautés mapuches font partie des organisations pionnières de la lutte mapuche en Patagonie.

De son côté, la Direction générale des personnes morales de Río Negro (Dirección General de Personas Jurídicas de Río Negro) a ordonné la suppression du Conseil consultatif autochtone (CAI) à l’occasion de la constatation de diverses anomalies "en función de los reiterados incumplimientos como sujeto de derecho y de acuerdo a los fundamentos expuestos en los considerandos" («sur la base des violations répétées faisant l'objet du droit et fondées sur les principes fondamentaux énoncés dans les déclarations». Le gouvernement a même autorisé son ministre à signer la résolution 1.623 à ce sujet.

Le 11 avril 2017, le Conseil consultatif autochtone a présenté un document à la Cour supérieure de justice de la province de Río Negro relativement à la crise judiciaire en matière de peuples autochtones. Le CAI a dénoncé l'inadéquation des institutions judiciaires aux droits des peuples autochtones, ainsi que le manque de consultation et de participation du peuple mapuche à la réforme judiciaire de la province. Il a aussi fait connaître les mauvaises pratiques judiciaires, les retards et les entraves à l'accès aux organismes à la justice et à l'absence de procédure adéquate pour traiter les conflits autochtones au sein du système judiciaire.

Il faut dire que la
Loi n° 2287 reconnaissant l’existence du Conseil consultatif autochtone (1988) ne traite pas des droits en matière de justice, puisqu'elle se contente de vagues mesures en matière d'éducation:

Article 28

Les programmes mis en œuvre par le Conseil provincial de l’éducation doivent
protéger et revaloriser l’identité culturelle et historique, les traditions, les coutumes, les croyances et la langue des peuples.

Article 31

Le nombre d'heures de cours nécessaires et possibles doit être disponible dans les endroits où
des peuples autochtones parlent leur langue et souhaitent la transmettre à leurs descendants, ainsi que leurs modèles culturels, leur histoire et leurs traditions.

Pour ce faire, il faut favoriser les échanges culturels et la formation des peuples autochtones à la transmission de leur culture et de leurs traditions, en assurant la collecte de données culturelles et historiques par le biais des peuples autochtones eux-mêmes.

L'article 59 du texte juridique n° 2287 précise que «la présente loi sera traduite en langue mapuche». À la demande du peuple mapuche, un enseignement bilingue a été intégré, y compris sa langue originale, dans les écoles de la province là où c'était possible. L'initiative comprend la mise en place d'ateliers linguistiques, d'artisanat et d'autres activités liées à la culture du peuple mapuche.

Le président argentin Mauricio Macri a proposé de mettre en branle un vigoureux programme d’austérité: liquider la législation sociale, augmenter brutalement les tarifs des services publics, diminuer les retraites, réduire les aides sociales, ce qui signifie imposer une misère encore plus grande que celle que connaît le peuple argentin. Rappelons que l’installation des Mapuches est antérieure à la création de la République argentine, comme le reconnaît l’article 75 (paragraphe 17) de la Constitution nationale.

En réalité, ce sont les entreprises pétrolières et minières et les grands ranchs qui se sont implantés, souvent de force, en territoire mapuche et en ont dépossédé les communautés autochtones. Pourtant, dans la pratique, les peuples autochtones continuent de se heurter à des obstacles lorsqu’ils entendent faire valoir leurs droits, en particulier pour ce qui est du contrôle de leurs territoires et des ressources naturelles qui s’y trouvent.

Les Mapuches se mobilisent pour leurs terres et protestent contre la déprédation de la Patagonie que réalisent les grands groupes capitalistes nationaux et internationaux. Selon les représentants mapuches, le gouvernement de l'État national les traitent comme des «terroristes» en essayant de réprimer les luttes légitimes qu'ils mènent depuis des décennies. Le gouvernement argentin répugne à voir les Mapuches s'organiser, et en conséquence il n'hésite guère à recourir à la répression. Avec l’accord des gouverneurs locaux, la militarisation de toute la Patagonie s’est mise en marche.

3.3 La province de Salta

La province de Salta (155 488 km) compte 1,2 million d'habitants, dont 79 200 autochtones, soit 6,5 % de la population. Si l'on fait exception de Buenos Aires, Salta demeure la province où l'on trouve le plus grand nombre d'autochtones. Cette province abrite les Toba, les Pilaga, les Mocovi, les Wichi, les Charoté, les Chulupi, les Chané, les Tapiété, les Guarani, les Kolla et les Diaquita-Calchaqui.

Après 400 ans de contact avec l'espagnol, les langues autochtones coexistent toujours avec cette langue européenne, mais leur emploi dépend de leur répartition dans la province. Les langues les plus employées sont le cacán parlé par les Calchaquie, le quechua et l'aymara. Dans la région orientale de Salta, limitrophe des provinces du Chaco et de Formosa, des milliers d'autochtones parlent encore leur langue ancestrale. Les deux principales langues autochtones sont le wichi (parlé par environ 30 000 locuteurs) et le chiriguano, une variante du guaraní (parlé par environ 20 000 locuteurs). Il existe également cinq autres langues autochtones parlées par quelque 15 000 locuteurs. Par ailleurs, de nombreux noms de lieux autochtones ont été préservés dans toute la région, ainsi que certains mots utilisés dans la langue espagnole courante par toutes les classes sociales: yapa («augmenter», «ajouter»), singe («jeune», «enfant»), bébé («bébé»), etc.

En 1986, la province de Salta a adopté la Loi n° 6.373 sur la promotion et le développement des autochtones. Par la même occasion,  la loi créait l'Institut provincial autochtone (Instituto Provincial del Aborigen). Il incombe au ministère des Affaires autochtones et du Développement social d'assister le gouverneur de la province dans toutes les questions concernant les politiques relatives aux peuples autochtones et au développement social.
 

Cet Institut provincial autochtone est un organisme juridique autonome chargé de représenter les communautés autochtones et/ou leurs membres devant des entités privées ou publiques, municipales, provinciales, nationales ou internationales, lors de tout acte accompli dans leur intérêt (art. 4) :

Article 2

De la création de l'Institut provincial autochtone

L'Institut provincial autochtone est créé en tant qu'entité autonome et décentralisée, et directement liée au pouvoir exécutif pour son fonctionnement. Il exerce les pouvoirs qui lui sont attribués par la présente loi et qui lui seront transmis par la suite.

Article 4

L’Institut visera à:

a) Programmer, réglementer, organiser, gérer et contrôler tous les actes qui découlent de la présente loi et ceux qui visent à atteindre leurs objectifs.

b) Arranger, administrer et conclure toutes sortes de contrats, opérations et négociations qui ne soient pas contraires à l’objectif de la présente loi.

c)
Représenter les communautés autochtones et/ou leurs membres devant des entités privées ou publiques, municipales, provinciales, nationales ou internationales, lors de tout acte accompli dans leur intérêt.

d) Coordonner avec les différents secteurs gouvernementaux ou privés l'application et le respect de la présente loi.

Les objectifs de la Loi n° 6.373 sur la promotion et le développement des autochtones de la province de Salta sont de promouvoir le développement complet des autochtones et de leurs communautés dans le respect de leurs valeurs culturelles tout «en favorisant leur intégration dans la vie provinciale et nationale»:
 

Article 1er

Des objectifs

La présente loi a les objectifs suivants:

a) Promouvoir le développement complet des autochtones et de leurs communautés en favorisant leur intégration dans la vie provinciale et nationale, en fonction de leurs formes organisationnelles potentielles et fondamentales dans le respect de leurs propres valeurs culturelles.

b) Bannir la prostration et la marginalisation de leurs communautés en annulant toute forme d'exploitation et d'utilisation de la force et de la contrainte en tant que forme d'intégration obligatoire, afin d'obtenir la pleine validité de la justice sociale dans le rôle principal de ses membres.

c) Adapter
les politiques en matière d'éducation, de santé, de logement et de sécurité sociale et d'économie en visant ce secteur de la population et en tenant compte des objectifs de la présente loi.

d) Promouvoir le développement économique social et culturel, en surmontant la misère grâce à son intégration dans le marché productif et le marché de consommation, en tenant compte de leurs propres désirs et besoins.

Il ne faut pas oublier que le développement des communautés autochtones peut entrer en conflit avec leur intégration dans la vie provinciale et nationale. L'article 28 de la Loi n° 6.373 sur la promotion et le développement des autochtones (1986) contient plusieurs dispositions en matière d'éducation, notamment pour la promotion de l'éducation bilingue et la formation des enseignants : 

Article 28

De l'éducation

L’Institut provincial autochtone assure la coordination nécessaire pour atteindre les objectifs suivants:

a) Promouvoir un système d’enseignement qui profite à tous les niveaux de la population autochtone en établissant un lien d’échange culturel, grâce à la formulation de bases pédagogiques appropriées au contexte culturel régional.

b) Régionaliser l'éducation, en prenant comme cadre de référence la culture de l'apprenant pour son approche participative au contexte culturel mondial, avec la mise en œuvre de programmes d'étude correspondant aux caractéristiques et aux modalités de la région.

c) Coordonner avec les organismes correspondants la formation d'
enseignants spécialisés dans l'éducation des autochtones, en créant des centres spéciaux chargés de la recherche, du développement et de l'application de technologies pédagogiques appropriées.

d) Demander aux niveaux appropriés la mise en œuvre de
campagnes intensives d'éducation des adultes afin de réduire le taux d'analphabétisme et de promouvoir l'éducation bilingue.

e) Faciliter et réglementer le passage direct des étudiants d'un établissement d'enseignement à un autre, en tenant compte des
caractéristiques culturelles du semi-nomadisme, afin d'éviter la répétition et l'abandon des études.

f) Diffuser les
connaissances anthropologiques sociales sur les cultures autochtones en utilisant les moyens de communication de masse de l'État.

g) Permettre, par le biais d'
un système adéquat de bourses
, aux étudiants de chaque groupe ethnique d'accéder aux carrières de l'enseignement secondaire, supérieur et universitaire.

En 2008, la province de Salta a adopté la Loi n° 7546 sur l'éducation de la province. L'article 58 traite de l’éducation interculturelle bilingue :
 

Article 58

L’éducation interculturelle bilingue est le procédé du système éducatif provincial, dans l’enseignement initial, primaire, secondaire et supérieur, lequel garantit le droit constitutionnel des peuples autochtones, conformément aux dispositions de la Constitution nationale et de la Constitution provinciale, à une éducation qui contribue à préserver et à renforcer leurs schémas culturels, leur langue, leur vision du monde et leur identité ethnique, à jouer un rôle actif dans un monde multiculturel et à améliorer leur qualité de vie. De même, l'éducation interculturelle bilingue favorise un dialogue en s'enrichissant mutuellement de connaissances et de valeurs entre les peuples autochtones et les populations ethniques, linguistiques et culturelles différentes, et favorise la reconnaissance et le respect de ces différences.

L'article 59 énumère les obligations auxquelles l'État provincial s'est engagé:
 

Article 59

Afin de favoriser le développement de l'éducation interculturelle bilingue, l'État doit s'acquitter des obligations suivantes :

a) Créer des mécanismes pour la participation permanente des représentants des peuples autochtones aux organismes chargés de définir et d’évaluer les stratégies d’éducation interculturelle bilingue.

b) Assurer une formation spécifique des enseignants comme
animateurs bilingues à différents niveaux du système.

c) Promouvoir la recherche sur
la réalité socioculturelle et linguistique des peuples autochtones, de façon à élaborer des propositions de programmes, du matériel pédagogique pertinent et des instruments de gestion pédagogique.

d) Promouvoir la création d'instances institutionnelles de participation des peuples autochtones aux processus d'enseignement et d'apprentissage dans le cadre de la présente loi.

e) Promouvoir la construction de modèles et de pratiques pédagogiques spécifiques aux
peuples autochtones qui incluent leurs valeurs, leurs connaissances, leur langue
et d’autres caractéristiques sociales et culturelles.

 

Le droit à l'éducation ne semble pas si simple à appliquer dans la mesure où la réglementation en vigueur ne tient pas toujours compte qu'elle doit répondre avant tout aux demandes des utilisateurs: il y a parfois loin de la coupe aux lèvres. Ainsi, lorsqu'il manque d'enseignants autochtones dans une école, ce qui est courant, le ministère de l'Éducation peut être tenté de recourir à des non-autochtones au grand dam des parents. Cette situation paraît paradoxale, puisque ces enseignants ignorent la langue des enfants à qui ils enseignent, ce qui signifie que le gouvernement n'offre pas aux autochtones une instruction adaptée à leur contexte local. Dans une tentative tiède pour aborder cet aspect problématique, le ministère de l'Éducation de Salta a pris soin de nommer des «auxiliaires» (les auxiliares bilingües), des assistants d'enseignement bilingues issus de la communauté pour servir de traducteurs, pendant que les enseignants désignés donnent leurs cours en s'exprimant en espagnol. Ces «auxiliaires» sont choisis par la communauté elle-même et ils ne reçoivent aucune formation préalable. Dans les faits, ils ne peuvent pas travailler avec l'enseignant en classe; ils doivent plutôt se contenter bien souvent de transporter du bois de chauffage pour la cuisine, de nettoyer la cantine de l'école, etc.

Dans un tel contexte, la demande des parents paraît légitime: ils exigent que l'école réponde à leurs besoins culturels et linguistiques, afin que leurs enfants acquièrent une éducation de qualité qui leur garantisse un accès aux autres niveaux du système d'éducation.

Les faits démontrent que dans la province de Salta les chefs de ménages autochtones ont acquis moins d’années d’études formelles que ceux des foyers non autochtones. La proportion de ceux qui n'ont jamais fréquenté un établissement d'enseignement ou qui en ont fréquenté tout en n'ayant pas achevé le niveau primaire s’élève à 58,5% dans les ménages autochtones et 27,5% dans les familles non autochtones. Quant aux chefs de famille autochtone qui ont terminé leur secondaire, le taux est de 10,8% contre 28,0% pour les non-autochtones. En somme, l'État de Salta éprouve beaucoup de difficulté à concrétiser les droits des peuples autochtones dans la réalité.  

3.4 La province de Santa Fé

La population de la province de Santa Fé (133 007 km²) est de 3,1 millions d'habitants. On y trouve quelque 48 000 autochtones, soit 1,5% de la population. Sur ce total, quelque 14 000 déclarent avoir un ancêtre ou appartenir au peuple toba et 13 466 disent appartenir aux Mocovi. Ensuite, on trouve des Guarani (5761 personnes) et des Mapuches (3084 personnes). Plus précisément, la situation se présente de la façon suivante:
 
Peuple Population autochtone  Pourcentage
Total 48 265 100 %
Toba 14 089 29,19 %
Mocovi 13 466 27,90 %
Guarani 5 761 11,93 %
Mapuche 3 084 6,38 %
Quechua 2 105 4,36 %
Comechingon 1 943 4,02 %
Diaguita-Calchaqui 1 616 3,34 %
Autres 6 201 12,84%
Nord de Santa Fé Centre de Santa Fé Sud de Santa Fé
Toba
Mocovi
Abipones
Mepenes
Juyjuyas
Colastiné
Mocoretáes
Calchines
Quiloazas
Corondas
Carcaraes
Timbú
Chaná-Timbúes
Quelandieses


Nous pouvons constater le grand nombre de peuples autochtones résidant dans la province argentine de Santa Fé, mais plusieurs sont classés parmi les «autres». 


- La législation

L'article 1er de la Loi n° 3510 reconnaissant les communautés autochtones situées dans la province (1990) affirme que «les communautés autochtones situées dans la province sont reconnues» :
 
Article 1er

Aux fins de la conformité à la loi n° 3247 et à ses amendements, les communautés autochtones situées dans la province sont reconnues.

Il est entendu que les communautés autochtones sont celles qui sont délimitées géographiquement par la résolution n° 255/79 - IAC et sont reconnues par la loi provinciale n° 2378, avec plus de familles reconnues comme telles, du fait qu'elles sont issues des populations qui habitaient la région le territoire national au moment de la conquête ou de la colonisation.

Article 2

La reconnaissance des communautés autochtones sera officialisée par décret du pouvoir exécutif provincial jusqu'à la création du Registre correspondant des communautés autochtones.

La Loi n° 11.078 sur les communautés autochtones (1994) crée l’Institut provincial des autochtones de Santa Fé (IPAS: Instituto Provincial de Aborígenes Santafesinos) :

 
Article 8

Il est créé, sous la juridiction du Secrétariat de la promotion communautaire de la province ou de celui qui le remplacera à l'avenir, l’Institut provincial des autochtones de Santa Fé -- IPAS, dont le siège se trouve à Santa Fé.

Cet institut est composé de cinq conseillers élus par l'Assemblée des communautés autochtones; sa principale fonction est de relier les communautés autochtones aux différents domaines du gouvernement provincial et aux organismes de la société civile. À Santa Fe, il existe un Registro Especial de Comunidades Aborígenes (RECA), c'est-à-dire un registre spécial pour les communautés autochtones, qui reconnaît les communautés comme des personnes morales de droit public, leur accordant le droit d'enregistrer en leur nom la possession ou la propriété de leurs terres avec un caractère imprescriptible, imprescriptible, non aliénable et libre de taxes provinciales.

Le fait que des autochtones soient considérés comme appartenant à un «peuple originel» ne signifie pas que ceux-ci sont organisés en communauté. Dans la province de Santa Fé, 63 communautés autochtones sont organisées sur le territoire selon le principe de l'autodétermination. Sur le total, il y a 39 communautés qom, 20 mocoví, 2 kolla, 1 corundí, 1 mapuche, 1 olongasta-diaguita. La plupart d'entre elles sont situées dans des territoires urbains: 25 communautés sont situées dans des zones rurales. Parmi celles-ci, cinq appartiennent au groupe ethnique des Toba et 20 au groupe ethnique des Mocoví.

- L'éducation interculturelle bilingue

Les articles 26, 27 et 28 de la Loi n° 11.078 sur les communautés autochtones (1994) reconnaissent les langues toba et mocovi dont les locuteurs ont droit à une instruction à caractère interculturel et bilingue dans ce qui leur est distinctif dans leur histoire et dans leur culture: 

Article 26

Les cultures et les langues toba et mocovi sont reconnues comme des valeurs constitutives du patrimoine culturel de la province.

Article 27

Il est établi comme prioritaire l'adéquation des services éducatifs dans les secteurs réglementés chez les communautés autochtones, de telle sorte que ces services permettent l'accès de cette population à une instruction à caractère interculturel et bilingue dans ce qui leur est distinctif.

Article 28


Le ministère de l'Éducation prendra les mesures nécessaires suivantes:

a) Doter les communautés autochtones d’infrastructures pédagogiques de base en conformité avec leur situation géographique et les conditions de travail des familles.
b) Mettre en œuvre des programmes spécifiques
qui tiennent compte à la fois de la vision du monde et de l’histoire des peuples toba et mocovi.
c) Planifier des programmes de formation permanente pour les enseignants et les non-enseignants qui travaillent comme éducateurs pour les autochtones afin de mieux comprendre
la culture, l'histoire et la réalité socio-économique de ces communautés.
d) Permettre la formation d'enseignants autochtones, par le biais de programmes spécifiques et adaptés au rôle qu'ils vont jouer.
g) Mettre en œuvre des
programmes d'alphabétisation pour les adultes autochtones en tenant compte de leur langue et de leur culture.

L'inscription des enfants autochtones est relativement élevée dans la province de Santa Fé. Plus de 300 établissements reçoivent entre 1 et 10 élèves autochtones, environ 46 autres en accueillent entre 11 et 50, alors que 14 établissements en reçoivent entre 51 et 300. Évidemment, il s'agit d'une éducation interculturelle bilingue ("Educación Intercultural Bilingüe" ou EIB).

Cependant, il n'est pas toujours aisé d'obtenir pour les enfants autochtones des écoles primaires à cet effet. Les actions en justice concernant l'EIB dans la province sont nombreuses. Le principal obstacle concerne la pénurie d'enseignants formés adéquatement. Les enseignants autochtones doivent avoir reçu une formation dans les établissements spécialisés consacrés à la formation en «éducation interculturelle bilingue», tant pour le primaire que pour le secondaire. S'ajoute à ce problème l'absence d'un programme commun de la part du ministère de l'Éducation, avec le résultat que la formation des enseignants peut être différente d'une région à l'autre ou d'une ville à l'autre. Une autre difficulté de taille réside dans l'absence de matériel pédagogique conçu pour l'enseignement de la langue et de la culture autochtones.

En définitive, l'enseignement destiné aux enfants autochtones souffre de graves lacunes, ce qui démontre que la province de Santa Fé ne fait pas nécessairement tous les efforts pour mettre en œuvre les dispositions de la loi concernant l'éducation interculturelle bilingue.

4 Les politiques linguistiques d'officialisation

Certaines rares provinces ont adopté des lois rendant officielles ou co-officielles une ou plusieurs langues autochtones. Sur les 23 provinces, seules celles de Santiago del Estro, du Chaco et de Corrientes se situent dans cette catégorie.

4.1 La province de Santiago del Estero

On dénombre quelque 874 006 habitants (2010) dans la province de Santiago del Estero (136 351 km²). De ce nombre, il y a 11 508 autochtones, ce qui correspond à 1,3 % de la population. La population autochtone et ses descendants, regroupés dans des communautés reconnues par l'Institut national des affaires autochtones (Instituto Nacional de Asuntos Indígenas : INAI), sont répartis comme suit: les Tonocoté (20 communautés), les Vilela (3 communautés), les Lule (3 communautés), les Guaycurú (2 communautés). Il existe d'autres petites communautés dont les Diaguita, les Mocovi, etc. Le fait que l'État national argentin reconnaisse légalement que les autochtones «organisés» sous la forme de «communautés indigènes» ne signifie pas qu'il n'y a pas beaucoup d'individus considérés comme appartenant
aux peuples autochtones, même s'ils n'ont pas le «sceau légal».
Selon le Recensement national de 2010, la population autochtone de Santiago del Estero se présente de la façon suivante:
 
Peuple Nombre Peuple Nombre
Tonokoté 3636 Atacama 632
Diaguita-Calchaqui 1755 Guarani 480
Lulé 1196 Vilela 359
Qom 947 Sanaviron 350
Quechua 815 Autres 1338

Il faut mentionner les Quechua dont la langue est appelée "quichua santiagueño" ou simplement "quichua" dans la province de Santiago del Estero, mais «quechua» ailleurs. Il s'agit d'une sous-variété de quechua parlée dans la province de Santiago del Estero et au sud-est de la province de Salta. Actuellement, cette langue est parlée dans au moins 14 départements sur les 27 qui composent la province de Santiago del Estero. Ce que nous appelons le quechua est un ensemble de variétés dialectales parlées dans cinq pays d'Amérique du Sud en plus de l'Argentine: la Colombie, l'Équateur, le Pérou, la Bolivie et le Chili. Les locuteurs de quechua ne représentent pas un groupe linguistiquement homogène, car c'est un groupe composé de locuteurs ayant différents niveaux de connaissance et d'emploi de la langue.

Le nombre de locuteurs du quechua de Santiago del Estero semble ne pas faire l'unanimité. Selon une enquête de 2001 de l'ECPI (Encuesta Complementaria de Pueblos Indígenas ou Enquête complémentaire sur les populations autochtones), les personnes qui prétendent appartenir au groupe ethnique quechua ne concerneraient que 6000 individus, dont 2000 locuteurs du quechua.

- Le statut des langues autochtones

Le statut des langues autochtones est ambigu dans la province de Santiago del Estero. Non seulement il se limite à la seule langue quechua, appelée "quechua santiagueño", mais celle-ci est déclarée «d'intérêt officiel» ("de interés oficial") et de «langue de survie provinciale» ("lengua de pervivencia provincial"). La Constitution de la province de Santiago del Estero déclare ce statut plutôt insolite dans une disposition dite «complémentaire» :  

Disposiciones complementarias

Primera

Reconócese al Quichua Santiagueño como lengua de pervivencia provincial, debiéndose adoptar las medidas necesarias para su preservación y difusión.

Dispositions complémentaires

Première

Le quechua de Santiago est reconnu comme une langue de survie provinciale et des mesures nécessaires doivent être adoptées pour sa préservation et sa diffusion.

Cet emploi du terme "pervivencia" renvoie aux notions de «survie», de «survivance», de «persistance» ou de «pérennité». Dans le Diccionario de la Real Academia Española, le verbe pervivir signifie: “seguir viviendo a pesar del tiempo o de las dificultades”, c'est-à-dire «continuer à vivre malgré le temps ou les difficultés». C'est comme pour indiquer une sorte de cristallisation relative à une situation défavorable ou peu enviable dans la mesure où il s'agit d'une langue qui survit malgré les obstacles. Rien n'est dit sur la promotion de la langue quechua ou comment encourager la transmission intergénérationnelle et promouvoir son enseignement dans les écoles.

De plus, l'article 1er de la Loi n° 5.409 déclarant d'intérêt officiel la langue quechua (1984) déclare que la préservation, la diffusion, l'encouragement, l'étude et la pratique de la langue quechua doivent être déclarés d'intérêt officiel:

Artículo 1º

Declárase de interés oficial la preservación, difusión, estímulo, estudio y práctica de la lengua Quíchua en todo el territorio de la provincia.

Article 1er

La préservation, la diffusion, l'encouragement, l'étude et la pratique de la langue quechua sur tout le territoire de la province doivent être déclarées d'intérêt officiel.

Bref, ce n'est pas le quechua lui-même qui est déclaré d'intérêt officiel, mais la préservation, la diffusion, l'encouragement, l'étude et la pratique de cette langue.

- L'éducation interculturelle bilingue 

L'article 2 de la Loi n° 5.409 de 1984 crée l’Institut provincial de la langue quechua (Instituto Provincial de Lengua Quichua) dans le but de préserver la valeur régionale de la réalité linguistique bilingue et de promouvoir la diffusion de la langue quechua, tout en garantissant le droit d'apprendre l'espagnol (art. 3) :

Article 2

L’Institut provincial de la langue quechua est créé dans le but de préserver la valeur régionale de la réalité linguistique bilingue; de promouvoir la diffusion de la langue quechua à l'intérieur et à l'xtérieur de la province pour stimuler l'étude de la parole, en particulier dans les régions où son utilisation est courante; de fournir un soutien à tous les établissements d'enseignement de la province en ce qui concerne les dispositions de l'article 3; de convenir de tâches communes avec l’Université nationale de Santiago del Estero et avec toute autre personne et/ou institution qui souhaite s’associer volontairement à ce travail de valorisation culturelle.

Article 3º

Le pouvoir exécutif, par l’intermédiaire du ministère de l’Éducation et de la culture, doit préparer pour l’année scolaire 1985 des programmes concrets pour donner effet aux dispositions de l’article 1er, en tenant compte en particulier des modalités formelles d’enracinement de la langue quechua et en garantissant le droit d'apprendre l'espagnol dans ces régions.

Il existe un autre organisme pour la défense de la langue quechua: le Centro de Divulgación y Defensa de Quichua Santiagueño (2013), le Centre de diffusion et de défense du quechua de Santiago. Les principaux objectifs de cet organisme sont la réévaluation de la langue quechua de Santiago, la reconnaissance et le renforcement de l'identité de ses locuteurs.

Quant à la Loi provinciale n° 6.876 sur l'éducation (2007), l'article 14 énonce que l'un des objectifs de la politique d'éducation provinciale est d'«assurer aux peuples autochtones le respect de leur langue et de leur identité culturelle, en favorisant l'appréciation du multiculturalisme», sans mentionner explicitement quelque langue que ce soit:

Article 14

Les objectifs de la politique d'éducation provinciale sont les suivants:

o. Assurer aux peuples autochtones le respect de leur langue et de leur identité culturelle, en favorisant l'appréciation du multiculturalisme dans l'éducation de tous les élèves.

L'article 63 de la Loi provinciale n° 6.876 sur l'éducation traite des objectifs de l'éducation interculturelle bilingue destinée aux autochtones :

Article 63

Les objectifs et fonctions de l'éducation interculturelle sont les suivants:

a. Générer des propositions de programmes pour une perspective interculturelle plurielle en mettant en valeur les liens égalitaires entre les personnes et les groupes qui participent à différents univers culturels, afin de construire une société plus juste et plus inclusive.

b. Organiser de manière organisationnelle entre les niveaux et les modalités les projets d’amélioration et de renforcement des institutions, dans le cadre de politiques et de stratégies provinciales intégrant les particularités et les différences de la province, de ses habitants et de leurs cultures, en favorisant le respect de la diversité culturelle et en encourageant la communication et le dialogue entre divers groupes culturels.

c. Inclure
la perspective interculturelle dans la formation et la mise à jour des enseignants à tous les niveaux du système éducatif.

d. Contribuer à garantir le droit des peuples autochtones et des communautés de migrants
de recevoir un enseignement interculturel et/ou bilingue en contribuant à préserver, à renforcer et à recréer leurs schémas culturels, leurs langues, leur vision du monde, leurs traditions et leurs identités ethniques.

e. Promouvoir la recherche sur la réalité socioculturelle de notre province qui permette de concevoir des propositions de programmes, du matériel pédagogique et des instruments de gestion pédagogique.

Enfin,  la Loi provinciale n° 6771 (2018) reprend les mêmes dispositions que les lois précédentes en matière d'éducation bilingue interculturelle :

Article 1er

La province de Santiago del Estero reconnaît sur tout son territoire la préexistence ethnique et culturelle des peuples autochtones et encourage leur participation aux questions et aux intérêts qui les concernent au moyen de leurs propres institutions en tant que personnes à caractère public non étatique.

Article 2

L’État garantit aux peuples autochtones le respect de leur identité, de leur éducation à tous les niveaux et en particulier
de leur caractère interculturel bilingue
, de leur situation socio-économique ainsi que de leur propriété intellectuelle et des connaissances théoriques pratiques tirées de leurs traditions lorsqu’elles sont utilisées à des fins lucratives.

- La réalité de l'éducation interculturelle bilingue dans la province

Certaines réalités ne sont pas toujours prises en compte dans le système d'éducation de la province de Santiago del Estero au risque de croire que les autorités provinciales ne manifestent aucun intérêt en la matière. Ainsi, il n’existe pas de politique pour promouvoir l’alphabétisation en langue quechua, alors que cette langue est parlée dans 14 départements. Depuis le projet initial d’enseignement du quechua dans les écoles de la région bilingue, l’alphabétisation n’a jamais été faite dans la langue maternelle et il n’existe plus qu’à une seule école où un instituteur enseigne le quechua en tant que matière spéciale, sans aucun soutien ni aide technique ou financière. L'absence d'une politique linguistique sérieuse est mise en évidence par la mention de ces cas presque marginaux. Il va sans dire qu’il n’existe aucun soutien pour les travaux de recherche ou les études linguistiques qui permettraient d'orienter l'enseignement de la langue autochtone.

Certes, des fonctionnaires admettent que l'enseignement du quechua est nécessaire, puisqu'il permet d'atteindre des objectifs qui ne concernent pas toujours la réévaluation de la langue et de ses locuteurs. Toutefois, ces interventions sont toujours le produit d’actions isolées, plus proches des expressions folkloriques pittoresques que de programmes systématiques.

En raison de ce manque de planification, d'importants problèmes pédagogiques restent non résolus. L'un d'entre eux est la normalisation d'une écriture du quechua qui examinerait les différentes variétés dialectales parlées dans tout le pays et permettrait une compréhension réciproque avec les autres variétés de la famille quechua. La très petite quantité de textes écrits en quechua, par comparaison avec ceux en espagnol, ne présente aucune uniformité de l'écriture. Ainsi, le même mot est écrit de différentes manières, en fonction de la personne qui l'écrit. Par exemple: le mot «regardez» peut s'écrire "ckaay", "khaay", "qaay" ou "qaway". Si le Pérou et la Bolivie ont déjà résolu le problème de cette écriture, ce n'est pas le cas pour l'Argentine qui semble ignorer le problème des milliers d'habitants qui exigent que leur langue soit également préservée dans les textes écrits. Il faut dire que la majorité de la population de langue quechua appartient à un secteur de la société économiquement marginalisée, avec des taux élevés d'analphabétisme et d'abandon scolaire.

L'un des graves problèmes dans l'enseignement aux autochtones de cette province, c'est le fait qu'il n'y a pas d'instituteurs qualifiés pour enseigner la langue quechua à l'école. En outre, les plans d’étude et les méthodologies utilisées n’ont rien à voir avec les besoins et les aspirations d’une population qui, en fonction de ses caractéristiques, pourrait être définie comme rurale ou semi-rurale. Dans de nombreux cas, les enseignants viennent de la capitale provinciale (Santiago del Estero) et ils se déplacent quotidiennement dans leurs voitures; ils enseignent dans les écoles, puis rentrent chez eux sans avoir la possibilité de connaître et de comprendre les besoins de la région.

Une autre lacune réside dans le matériel pédagogique. Ainsi, les grammaires et les dictionnaires écrits pour la langue quechua et, en particulier, le quechua de Santiago, datent de l'époque de la conquête: la plupart ont été écrits par des prêtres et des missionnaires. Les travaux les plus récents datent du milieu du XXe siècle et, il faut le rappeler, ils sont rédigés par des auteurs bien intentionnés, mais sans formation adéquate. Les missionnaires, tous en contact avec l'espagnol, ont traité les langues autochtones à partir du prisme déformant d'une langue latine. Le matériel disponible ne fait que reproduire les structures qui ont été appliquées pour l’enseignement de l’espagnol, sans tenir compte des différences entre les deux langues, alors qu'elles sont énormes. À cela s'ajoute la pénurie de textes d'origine autochtone. Il n'existe pas de travail systématique de compilation d'histoires, de légendes, de mythes et de croyances autochtones. Par conséquent, la tâche de l'enseignant est basée sur des livres qui ne reflètent pas la culture de la région.

L’établissement d’une éducation multilingue et pluriculturelle répond à plusieurs considérations. Certaines ont déjà été mentionnées comme le droit à la reconnaissance de sa propre langue et de sa propre culture, mais il existe aussi des considérations d’origine psychologique, pédagogique et sociale: le processus d’apprentissage doit partir du point de vue connu et suivre les stratégies avec lesquelles l'élève est familier (connaissances culturelles antérieures).

En somme, malgré les lois nationales et provinciales concernant le système l’éducation interculturelle bilingue des différentes langues autochtones, la mise en œuvre de ce système réussit rarement. Dans le cas du quechua, seules deux écoles bilingues ont été créées dans la province de Santiago del Estero, et ce, quand les postes d'enseignant sont disponibles. Cette situation engendre des réactions négatives pour les parents autochtones. Ils constatent que leur langue ancestrale n'aidera pas leurs enfants à s'épanouir à côté de l'espagnol, langue de culture, de prestige ou d'utilisation officiel, par comparaison l'autre qui est reléguée aux situations socialement inférieures de l'oralité, de la vie familiale et du folklore. C'est pourquoi, dans la plupart des cas, les parents autochtones évitent même de parler à leurs enfants dans leur langue maternelle. En même temps, ces parents évoquent la tristesse et la nostalgie devant la perte de leur identité et de leur culture.

4.2 La province de Corrientes

Selon des données statistiques publiées par l'Instituto Nacional de Estadísticas y Censos (2010), la population totale de la province de Corrientes (88 199 km²) compte 992 595 habitants, dont 5129 individus autochtones, ce qui correspond à seulement 0,5% de la population. C’est la province où la proportion de la population autochtone est la plus faible. Corrientes fait partie des provinces comptant le moins d'autochtones, mais il s'agit en même temps de la plus faible proportion d'autochtones dans une province argentine, les six autres étant Entre Rio (1,0%), La Rioja (1,1%), San Juan (1,1%), Misiones (1,1%), Santiago del Estero (1,3%) et Tucuman (1,3%).
 
Peuple Nombre Peuple Nombre
Guarani 2867 (55,9%) Quechua 138 (2,7%)
Toba 903 (17,6%) Diaguita-Calchaqui 108 (2,1%)
Mocovi 221 (4,3%) Diaguita-Guarani 102 (2,0%)
Mapuche 221 (4,3%) Charrua 92 (1,8%)
Atacama 174 (3,4%) Autres 303 (5,9%)

Bien que les peuples originaires qui habitent dans la province de Corrientes ne comptent que pour 0,5 % de la population (avec 5129 individus), le nombre de ces peuples demeure quand même important. Plus de 55 % de la population autochtone est reconnue comme appartenant au peuple guarani, celui-ci étant suivi par les Toba (17,6%, les Mocovi (4,3%), les Mapuches (4,3%), les Atacama (3,4%), les Quechua (2,&%), les Diaguita-Calchaqui (2,1%), les Diaguita-Guarani (2%) et les Charrua (1,8%). Par ailleurs, 85,5% de cette population autochtone habite dans des zones urbaines.

- Le guarani comme langue officielle alternative

La province de Corrientes est l'une des quatorze provinces fondatrices de la fédération argentine. En 2004, le gouvernement de Corrientes a déclaré le guarani comme «langue officielle alternative de la province» ("como idioma oficial alternativo de la Provincia"). Autrement dit, cette province compte deux langues officielles: l'espagnol et le guarani. Voici comment la Loi n° 55.598 établissant le guarani comme langue officielle alternative (2004) est formulée (en traduction) :
 

Article 1er

Pour établir le guarani comme langue officielle alternative de la province de Corrientes.

Article 2

Pour intégrer l’enseignement de la langue guarani à tous les niveaux du système d'éducation provinciale.

Article 3

Pour encourager, conserver, préserver et diffuser la littérature en guarani.


Article 4

Pour créer un organisme permanent chargé de sauvegarder et de revaloriser la culture guarani dans la région correspondante.

Article 5

Pour imposer des signes topographiques et autres dans les deux langues.

Article 6

Pour promouvoir le rayonnement des mesures à travers lesquelles la langue guarani est enseignée et pratiquée.

En 2004, la province de Corrientes était la première province argentine à reconnaître une deuxième langue officielle avec l'espagnol. Cependant, la loi ne donne pas de définition sur le sens qu'on doit accorder à la notion de «langue officielle alternative». Une langue officielle dite «alternative» désignerait une langue de substitution ou de remplacement à l'espagnol surtout dans le domaine de l'éducation. C'est donc la deuxième langue officielle dans certaines circonstances, ce qui signifie que le guarani n'est pas nécessairement employé dans tous les rouages administratifs et judiciaires de l'État, encore moins dans toute la province. Celle-ci devait adopter un règlement à la suite de la mise en vigueur de la loi, mais après plus de dix ans ce règlement se faisait encore attendre.

- L'éducation interculturelle bilingue

La province de Corrientes a adopté en 2018 la Loi n° 6475 sur l'éducation provinciale. Cette loi concerne avant tout la majorité hispanophone, mais certaines dispositions sont consacrées à l'éducation interculturelle bilingue destinée aux autochtones. C'est le cas d'une partie de l'article 16 :

Article 16

Les objectifs de l'éducation de Corrientes sont :

h) de renforcer l'identité provinciale en tant que partie intégrante de l'identité nationale en promouvant les valeurs et les expressions culturelles de la région et celles des peuples autochtones, en l'intégrant dans la culture latino-américaine et universelle;

i) de promouvoir l'égalité des chances en matière d'éducation pour
les élèves qui parlent une autre langue maternelle, par la formation d'enseignants bilingues spécialisés dans l'alphabétisation première;

j) de
promouvoir la connaissance de la langue guarani
dans les niveaux obligatoires du système d'éducation afin de la revaloriser en tant que bien culturel;

Dans le même article, la loi fait allusion aux peuples autochtones, sans les nommer, puis d'une autre langue maternelle sans davantage en nommer une seule, tout en faisant la promotion de la langue guarani.  L'article 83 de la loi n° 6475 énonce que l’éducation interculturelle bilingue est la procédure normale à tous les niveaux du système d'éducation:

Article 83

1)
L’
éducation interculturelle bilingue est la procédure du système d'éducation des niveaux initial, primaire et secondaire, qui garantit une instruction contribuant à préserver et à renforcer les schémas culturels, la langue, la vision du monde et l’identité ethnique des différents groupes culturels.

2) Il est prévu de développer les compétences de communication de l'individu, qui proviennent de toutes les connaissances ou expériences des langues dans lesquelles elles se situent, sont en relation et sont en interaction dans la communication humaine au moyen de différentes langues,
notamment les langues autochtones, régionales et étrangères
.

Il faut aussi comprendre que cette «éducation interculturelle bilingue» ne concerne que les autochtones, non pas les hispanophones de langue maternelle. Enfin, l'article 84 de la Loi n° 6475 sur l'éducation provinciale (2018) mentionne pour la première fois dans une loi provinciale non seulement le bilinguisme guarani-espagnol, mais le bilinguisme portugais-espagnol:

Article 84

L’État provincial a la responsabilité :

d) de promouvoir la recherche sur la réalité socioculturelle et linguistique des autres peuples, en particulier les cultures guaranies et autres cultures en contact en permettant de concevoir des propositions de programmes, du matériel pédagogique pertinent et des instruments de gestion pédagogique;

e) de promouvoir la construction de modèles et de pratiques pédagogiques des autres peuples qui incluent leurs valeurs, leurs connaissances,
leur langue et d’autres caractéristiques socioculturelles;

f) de mettre en œuvre des politiques qui respectent, valorisent et incluent l
a diversité linguistique et culturelle dans la province de Corrientes en garantissant et en protégeant les langues et les cultures héritées du patrimoine matériel et immatériel de l'humanité;

g) d'approfondir les
programmes interculturels bilingues: guarani/espagnol, portugais/espagnol
.

Afin de mettre en œuvre la loi de 2018, le gouvernement provincial a créé un «espace bilingue» au sein du ministère de l'Éducation: la Direction de l'éducation interculturelle bilingue (Dirección de Educación Intercultural Bilingüe). De plus, le Ministère a introduit le guarani dans quatre écoles situées à San Luis del Palmar, à Derqui, à Empedrado et à Mburucuyá, avec un programme spécial comprenant un enseignement bilingue guarani-espagnol. Le gouvernement prépare également un programme à l'intention des futurs enseignants afin qu'ils disposent des outils nécessaires pour offrir un enseignement bilingue. Il existe plusieurs écoles où les enseignants utilisent la langue guarani pour enseigner l'espagnol. Cependant, en raison de la proximité de la province de Corrientes avec le Brésil, il y a encore plus d'enfants dont la langue maternelle est le portugais plutôt que le guarani. On songe donc à instaurer des programmes bilingues portugais-espagnol.

Afin de faire progresser l'intégration de la langue guarani dans l'enseignement, les enseignants ont la possibilité, sur demande, de recevoir une documentation (15 fascicules) qui contient toutes les informations nécessaires sur la culture guarani d'origine. Avec ses propres spécialistes en langue guarani, le ministère de l'Éducation élabore du matériel didactique destiné aux enseignants du primaire et du secondaire dans le but d'incorporer le patrimoine culturel dans leur enseignement. En somme, la province de Corrientes semble en avance sur cette question par rapport aux autres provinces.

- Les tribunaux

Les citoyens autochtones de l'Argentine ont toujours commun des problèmes pour avoir accès aux tribunaux. Il en est ainsi dans la province de Corrientes. Dans l'état actuel de la situation, un juge doit désigner un interprète lorsqu'un justiciable fait une déclaration «dans une langue autre que la langue nationale». C'est exactement ce qu'on peut lire à l'article 270 de la Loi n° 2.945 sur le Code de procédure pénale (1971):

Corrientes : LEY 2.945 Codigo Procesal Penal
(1971)

Artículo 270

Designación.


El Juez nombrará un intérprete cuando fuere necesario traducir documentos redactados o declaraciones a producirse en idioma distinto del nacional, aún cuando lo conozca. Durante la introducción el deponente podrá escribir su declaración, la que se agregará al acta.

Corrientes : Loi n° 2.945 sur le Code de procédure pénale
(1971)

Article 270

Désignation

Le juge désigne un interprète lorsqu'il est nécessaire de traduire des documents écrits ou des déclarations à produire
dans une langue autre que la langue nationale, même s'il la connaît. Pendant la procédure introductive, le témoin peut rédiger sa déclaration qui sera ajoutée au procès-verbal.

Or, le ministère de l'Éducation ("ministerio de Educación"), l'Université nationale du Nord-Est ("Universidad Nacional del Nordeste" ou UNNE) et l'Institut autochtone du Chaco ("Instituto del Aborigen Chaqueño" ou IDACH) ont convenu d'un certain nombre d'actions communes dans le but d'offrir une formation d'interprètes et de traducteurs capables d'offrir des services de traduction dans les cours de justice dans les provinces de Corrientes et du Chaco. Cela signifie que les autochtones qui veulent s'exprimer dans leur langue ancestrale doivent passer par la traduction, car la cour n'est pas tenue de comprendre les justiciables dans leur langue.

- La langue nationale

Comme dans toute l'Argentine, c'est l'espagnol, appelé «castillan» ou «langue nationale», qui est de mise dans tous les organismes de l'État national ou provincial. Ainsi, dans le Registre provincial (loi n° 1.878), les noms doivent être écrits «dans la langue nationale» (art. 68) et au besoin l'État doit fournir un interprète reconnu (art. 70):    

Corrientes : Ley n. 1.878 Crea Registro Provincial de las personas en base a la actual direccion general Registro civil de las personas (1954)

Artículo 68

Los nombres deberán estar escritos en idioma nacional y no podrán ser más de tres, no pudiendo el oficial público consignar nombres que a su juicio sean extravagantes, ridículos o impropios de personas exponiéndose asimismo a que se conviertan en nombres los apellidos, o que se le dé nombre de varón a una mujer o a la inversa, debiendo observarse en todos los casos lo determinado por la Ley N. 13030.

Artículo 70

En los casos en que ambos o uno de los contrayentes ignore el idioma nacional, deberán ser asistidos por un traductor público matriculado y, en caso de no existir en la localidad, será sustituido por un intérprete de reconocida idoneidad.

Corrientes : Loi n° 1.878 sur la création du Registre provincial des personnes sur la base de l'actuelle Direction générale du Registre civil des personnes (1954)

Article 68

Les noms doivent être écrits dans la langue nationale et ne peuvent pas être supérieurs à trois. L'agent public officiel ne peut pas consigner de noms qui, à son avis, sont extravagants, ridicules ou inappropriés, s'exposant également au fait qu'ils deviennent des prénoms ou donner le nom d'un homme à une femme ou l'inverse, dans tous les cas, ce qui est déterminé par la loi n° 13030 doit être respecté.

Article 70

Dans les cas où l'une ou l'autre des parties ou l'une des parties ignore la langue nationale, elles doivent être assistées par un traducteur public enregistré et, s'il n'y en a pas dans la localité, celui-ci sera remplacé par un interprète avec des habiletés reconnues.

Dans la loi n° 1.482, la transcription des actes notariés doit se faire «en castillan» (art. 131) et non dans une langue étrangère ou autochtone :
 

Corrientes : Ley 1.482 Estatuto de los escribanos de la Provincia,
Ejercicio, Registro de la matricula (1949)

Artículo 131

La transcripción de las escritura públicas de documentos extendidos en idiomas extranjeros, aunque se tratare de testamentos ológrafos se hará en idioma castellano de acuerdo a la traducción practicada en la forma que determinan las leyes generales. El original en idioma extranjero deberá agregarse a la escritura al solo efecto de su confrontación en caso necesario.

Corrientes : Loi n° 1.482 sur le statut des notaires publics de la province,
de la pratique et du Registre de l'enregistrement (1949)

Article 131

La transcription des actes publics des documents étendus dans des langues étrangères, bien que ce soit des testaments olographes, doit se faire en castillan selon la traduction pratiquée dans les conditions déterminées par la loi. L'original en langue étrangère doit être ajouté à l'acte dans le seul but de sa confrontation si nécessaire.

Dans les municipalités, les électeurs doivent savoir lire et écrire «dans la langue nationale». Cette prescription est conforme à l'article 161 de la Constitution provinciale:

Constitución de la Provincia de Corrientes (1993)

Artículo 161.

Régimen Municipal

El cuerpo electoral de los municipios está formado por los electores inscriptos en los registros cívicos que correspondan a la jurisdicción territorial del Municipio y por los extranjeros, de ambos sexos, mayores de 18 años, con dos años de residencia inmediata en el mismo, que sepan leer y escribir en idioma nacional y se hallen inscriptos en un registro especial, cuyas formalidades y funcionamiento determinará la ley.

Constitution de la province de Corrientes (1993)

Article 161

Régime municipal

Le corps électoral des municipalités est constitué des électeurs inscrits dans les registres municipaux correspondant à la juridiction territoriale de la municipalité et aux étrangers des deux sexes, âgés de plus de 18 ans et ayant au moins deux ans de résidence immédiate, sachant lire et écrire dans la langue nationale et inscrits dans un registre spécial, dont les formalités et le fonctionnement détermineront le droit.

Il en est ainsi à l'article 108 de la Loi organique n° 2498 sur les municipalités:

Corrientes : Ley N. 2498 Organica de las Municipalidades (1964)

Artículo 108

Participaran en las elecciones municipales los ciudadanos argentinos inscriptos en los padrones cívicos provinciales correspondientes a la jurisdicción territorial de cada municipio y los extranjeros, no naturalizados mayores de diez y ocho años, de ambos sexos, que sepan leer y escribir en idioma nacional, con dos años de residencia anterior inmediata en el municipio y que se inscriban en el registro electoral, que a tal efecto confeccionará el respectivo municipio.

Corrientes : Loi organique n° 2498 sur les municipalités (1964)

Article 108

Peuvent participer aux élections municipales les citoyens argentins inscrits dans les registres civiques provinciaux correspondant à la juridiction territoriale de chaque municipalité et les étrangers non naturalisés âgés de plus de 18 ans, des deux sexes,
qui savent lire et écrire dans la langue nationale, ayant deux ans de résidence immédiate dans la municipalité et qui sont inscrits dans le registre électoral que la municipalité concernée établit à cet effet.

En somme, bien que la province de Corrientes fasse des efforts pour améliorer les services en guarani, alors qu'elle compte la plus petite minorité autochtone parmi les 23 provinces, il reste encore du travail à faire dans ce domaine pour parvenir à une certaine égalité entre tous les citoyens.

4.3 La province du Chaco

La province du Chaco (99 633 km) abrite une population de 1,0 million d'habitants, dont 41 304 autochtones (3,9 %). Le Chaco possède l'une des plus grandes populations autochtones pour une province; elle est composée principalement des Mataco-Guaycurú (appelés aussi "Matacos", mais plus connus sous le nom de Toba et de Mocovi), ainsi que de nombreux descendants d'immigrants européens (Tchèques, Slovaques, Bulgares, Croates, Serbes, Monténégrins , Italiens et Espagnols). Voici comment se répartit la population autochtone, selon le Censo Nacional de Población, Hogares y Viviendas de 2010 :
 
Peuple Nombre Pourcentage Langue parlée
Toba 30 766 74,4 % qom / toba
Wichi   4 629 11,2 % mataco / wichi
Mocovi   3 873 9,3 % moqoit / mocovi
Guarani    593 1,4 % guarani
Diaguita-Calchaqui    283 0,6 % cacan (kakan) et espagnol
Atacama    266 0,6 % kunza
Quechua    159 0,3 % quechua
Autres peuples   735 1,7 % -
Total 41 304 100 % -
Le qom  est la langue des Toba; le wichi (ou mataco), celle des Wichi; le moqoit, celle des Mocovi. Toutes ces langues font partie de la famille mataco-guaicuru ( ou mataco-mataguayo) dans laquelle on distingue deux sous-groupes: le mataco (kadiwéu, mocoví, pilagá, toba, etc.) et le gaicuru ou mataguayo (choroté, chulupí, maca, wichi, nivaclé, maka, etc. Le mot guaycuru est un terme générique qui désigne plusieurs groupes ethniques autochtones, dont les langues sont apparentées, et qui habitent la région du Gran Chaco en Amérique du Sud, lequel s'étend en partie sur des territoires de l'Argentine (provinces du Chaco, de Santiago del Estero, de Salta, de Formosa et de Santa Fé), ainsi que de la Bolivie, du Paraguay et du Brésil (voir la carte ci-contre).

Les peuples amérindiens du Gran Chaco sont tous apparentés entre eux, bien qu'ils aient reçu des influences culturelles tant de l'Est (par les Guarani) que de l'Ouest (peuples des hauts-plateaux andins). Cependant, la présence des populations européennes s'est propagée dans toutes les régions du Gran Chaco et un métissage important a eu lieu. Aujourd'hui, si la situation se maintient dans le Chaco argentin, la déforestation croissante du Chaco paraguayen menace les traditions de la vingtaine d'ethnies guarani de cette région. L'État paraguayen reconnaît la langue guarani comme co-officielle avec l'espagnol, il continue d'expulser les Guarani de leurs terres.

- Les langues co-officielles

En 2010, la province du Chaco est devenue la seule province à avoir adopté plusieurs langues officielles. En effet, l'article 1er de la Loi n° 6604 déclarant les langues officielles de la province déclare que, en plus du castillan-espagnol, les langues officielles de la province sont «celles des peuples préexistants qom, maqoit et wichi» :

Article 1er

Les langues officielles de la province, ainsi que le castillan-espagnol, sont déclarées comme étant celles des peuples préexistants qom, maqoit et wichi, conformément aux garanties établies par les constitutions nationale et provinciale (1957-1994), et la réglementation complémentaire et concordante en vigueur.

La législature du Chaco a sanctionné la loi déclarant les langues officielles de la province, en plus du castillan-espagnol, à celles des peuples préexistants: le qom  des Toba, le wichi des Wichi et le moqoit des Mocovi. Ainsi, il y aurait quatre langues officielles dans la province du Chaco.

De plus, l'article 3 de la loi n° 6604 créait le Conseil consultatif provincial des langues autochtones ("Consejo Provincial Asesor de Lenguas Indígenas") en tant qu'organisme de conciliation afin de réaliser les objectifs suivants: veiller à la reconnaissance, à la protection et au développement effectifs des droits linguistiques, individuels et collectifs, des peuples dont les droits sont énumérés dans la loi. Ainsi, l'article 4 de la loi n° 6604 énonce que les citoyens des trois peuples ont le droit d'utiliser leur langue dans les différents secteurs de l'État provincial:

Article 4

Les citoyens des trois peuples ont le droit d'utiliser leur langue dans les différents secteurs de l'État provincial. À cette fin, les mesures de formation et de perfectionnement pertinentes doivent être mises en œuvre, comme prévu par la réglementation en vigueur.

C'est la seule loi en Argentine qui va aussi loin dans sa législation linguistique à l'égard des autochtones, puisqu'elle signifie que ces derniers peuvent demander des services dans l'administration provinciale dans leur langue parce qu'il s'agit d'un droit. Dans les faits, ce droit à la langue peut s'exercer surtout en éducation et, par l'entremise de la traduction, dans les soins de santé et les tribunaux. Ce droit est également valide dans l'administration municipale là où les peuples toba, wichi et mocovi sont en nombre suffisant. Il existe plus d'une cinquantaine d'agglomérations où c'est possible, bien que ce droit à la langue puisse être applicable de façon très variable.

Afin d'éviter toute ambiguïté sur le statut d'autochtone, l'article 3 de la Loi n° 3.258 sur les communautés autochtones (1987) précise que « toute personne appartenant aux groupes ethniques toba, wichi ou mocovi et d’origine pure ou métisse avec d’autres races sera considérée comme autochtone»:

Article 3

Aux fins de  la présente loi, toute personne appartenant aux groupes ethniques toba, wichi ou mocovi et d’origine pure ou métisse avec d’autres races sera considérée comme autochtone.

Autrement dit, la province du Chaco n'est pas véritablement quadrilingue. Elle est avant tout de langue espagnole avec des applications locales dans les trois autres langues.

- Les tribunaux

La politique linguistique n'est pas très précise en matière d'accès à la justice de la part des autochtones. Quoi qu'il en soit, les autochtones ont toujours eu énormément de difficulté pour faire valoir leurs droits dans les tribunaux. L'article 115 de la Loi n° 968 sur le Code de procédure civile et commerciale prévoit que «la langue nationale doit être utilisée dans tous les actes de la procédure» et que, dans l'éventualité où un justiciable ignore cette langue, il faut désigner un interprète:

Chaco : LEY No. 968 Codigo Procesal Civil y Comercial
(1969)

Artículo 115

Idioma-designación de interprete: En todos los actos del proceso se utilizara el idioma nacional. Cuando este no fuere conocido por la persona que deba prestar declaración, el juez o tribunal designara por sorteo un traductor publico. Se nombrara interprete cuando deba interrogarse a sordos, mudos o sordomudos que solo puedan darse a entender por lenguaje especializado.

Artículo 123

Documentos en idioma extranjero: Cuando se presentaren documentos en idioma extranjero, deberá acompañar su traducción realizada por traductor publico matriculado.

Chaco : Loi n° 968 sur le Code de procédure civile et commerciale
 (1969)

Article 115

Désignation linguistique d'un interprète:
la langue nationale doit être utilisée dans tous les actes de la procédure. Lorsque la personne qui doit rendre un témoignage l'ignore, le juge ou le tribunal désigne par tirage au sort un traducteur public. Un interprète sera désigné lors de l'interrogation des sourds, des muets ou des sourds-muets qui ne peuvent être compris que par un langage spécialisé.

Article 123

Documents en langue étrangère: Lors de la présentation de documents dans une langue étrangère,
ceux-ci doivent être accompagnés d'une traduction effectuée par un traducteur public enregistré.

Ce genre de disposition signifie que le recours à un interprète est obligatoire, aucun juge n'étant tenu de comprendre un/e autochtone dans sa langue. Néanmoins, la Cour supérieure de justice du Chaco a pris l'initiative de faire plusieurs nominations au sein du pouvoir judiciaire provincial afin de renforcer ses activités auprès des peuples autochtones. Les tribunaux ne deviennent pas bilingues ou quadrilingues, mais l'accès à la justice, notamment auprès des femmes autochtones, en est facilité.

Le gouvernement a créé des centres de médiation (Centro Público de Mediación) qui favorisent la résolution des conflits avant un éventuel procès. La médiation se déroule dans des espaces physiques du pouvoir judiciaire spécialement conçus à cet effet. À tout moment, un juge peut organiser la comparution des parties pour tenter une conciliation. Les tribunaux disposent généralement d'un personnel administratif dûment formé qui travaille en équipe et qui peut répondre dans les langues co-officielles. En 2010, la branche judiciaire de la province de Chaco a mis en place la "Barria de Paz Barrial", un système gratuit et oral qui permet aux justiciables situés hors des grands centres urbains d'avoir accès à la justice.

Enfin, la Cour supérieure de justice de la province de Chaco a ordonné, dans sa résolution n° 1859/2015, la création d'un greffe spécial pour les traducteurs et interprètes dans les langues autochtones afin de garantir l'accès effectif à la justice des peuples autochtones.

- L'éducation interculturelle bilingue

La province du Chaco a adopté plusieurs lois concernant l'éducation destinée aux autochtones: la Loi n° 3.258 sur les communautés autochtones (1987), la Loi générale n° 4.449 sur l'éducation (1997), la Loi n° 5905 et règlement sur la création d'un programme d'éducation multilingue (2007), la Loi n° 6604 déclarant les langues officielles de la province (2010) et la Loi n° 7446 sur la formation publique de gestion communautaire autochtone interculturelle bilingue (2014).

La Loi n° 3.258 sur les communautés autochtones (1987) énonce que «les langues toba, mataco et mocobi sont reconnues comme des valeurs constitutives du patrimoine culturel de la province» et qu'en conséquence «les autochtones toba, mataco et mocobi ont le droit d'étudier leur propre langue dans les écoles primaires et secondaires dans les régions autochtones»:

Article 13

Les cultures et les langues toba, mataco et mocobi sont reconnues comme des valeurs constitutives du patrimoine culturel de la province.

Article 14

Les autochtones toba, les mataco et mocobi ont le droit d'étudier leur propre langue dans les écoles primaires et secondaires dans les régions autochtones.

Article 15

L’enseignement offert dans les écoles qui desservent le monde autochtone doit être donné de manière bilingue et biculturelle.

D'après la loi, le qom  Toba, le wichi (ou mataco) des Wichi et le moqoit des Mocovi doivent être enseignés dans les régions où réside l'un de ces peuples.

Cependant, conformément à la Constitution provinciale, l'État doit assurer une éducation bilingue et interculturelle:

Constitución de la Provincia de Chaco (1994)

Artículo 37

Pueblos indígenas

1) La provincia reconoce la preexistencia de los pueblos indígenas, su identidad étnica y cultural, la personería jurídica de sus comunidades y organizaciones; promueve su protagonismo a través de sus propias instituciones; la propiedad comunitaria inmediata de la tierra que tradicionalmente ocupan y las otorgadas en reserva. [...]

2) El Estado les asegurará:

- La educación bilingüe e intercultural;
- La participación en la protección, preservación, recuperación de los recursos naturales y de los demás intereses que los afecten y en el desarrollo sustentable;
- Su elevación socio-económica con planes adecuados;
- La creación de un registro especial de comunidades y organizaciones indígenas.

Constitution de la province de Chaco (1994)

Article 37

Peuples autochtones

1) La province reconnaît la préexistence des peuples indigènes, leur identité ethnique et culturelle, la personnalité juridique de leurs communautés et organisations; elle promeut son développement par le biais de ses institutions propres; la propriété communautaire immédiate de la terre qu'ils occupent traditionnellement et celles accordées dans les réserves. [...]

2) L’État leur assurera:

- l'éducation bilingue et interculturelle;
- la participation dans la protection, la préservation, la récupération des ressources naturelles et des autres intérêts qui les concernent ainsi que le soutien dans leur développement;
- son élévation socio-économique avec des programmes adéquats;
- la création d'un registre spécial des communautés et organisations indigènes. 

 
L'article 55 de la Loi n° 6604 déclarant les langues officielles de la province (2010) mentionne que l'instruction destinée aux autochtones se fait au moyen de l’éducation bilingue ou interculturelle et d'une formation particulière pour les enseignants, ainsi que des soutiens techniques, pédagogiques et linguistiques pertinents pour l’alphabétisation dans la langue maternelle de l’élève, soit le toba, le wichi ou le mocovi :
 
Article 55

L’éducation autochtone doit être développée dans des zones autochtones ou dans des unités d’enseignement, de gestion publique ou non, sur la base des principes suivants:

a) L’éducation bilingue ou interculturelle qui, par la complémentarité et l’incorporation de formes linguistiques et socioculturelles, permet aux autochtones d’agir de manière protagoniste dans une réalité pluriculturelle.

c) Des soutiens techniques, pédagogiques et linguistiques pertinents pour
l’alphabétisation dans la langue maternelle de l’élève, soit le toba, le wichi ou le mocovi.

d) Un formation privilégiée pour les enseignants, des diplômes équivalents ou des auxiliaires autochtones spécialisés dans l'éducation bilingue et interculturelle appartenant au même groupe ethnique des élèves. Lorsque ceux-ci sont peu formés, les enseignants engagés dans ce processus et spécialement formés peuvent être privilégiés.

L'article 9 de la Loi générale n° 4.449 sur l'éducation (1997) énonce que les objectifs de l'éducation dans la province du Chaco sont les suivants:

Article 9

Les objectifs de l'éducation dans la province de Chaco sont les suivants:

h) Le droit de l'élève au plurilinguisme par l'acquisition ou l'apprentissage d'autres langues : autochtones, régionales et étrangères.

n) La préservation des modèles culturels et l'apprentissage
de la langue maternelle chez les peuples autochtones, en favorisant la participation des parents et des aînés au processus d'enseignement-apprentissage.

En ce qui concerne l'éducation polymodale (secondaire supérieur, 11e et 12e année), la Loi générale n° 4.449 sur l'éducation (1997) prévoit des applications pour l'enseignement aux autochtones:

Article 23

Les objectifs de l'enseignement général de base sont les suivants:

e) Développer les processus menant à la construction d'une conscience linguistique et discursive, à travers la langue maternelle et une option multilingue dans les langues autochtones, régionales et étrangères, afin de contribuer à la pratique de la lecture intelligente et de la production orale et écrite efficace, et personnalisée.

Article 26

Les objectifs de l’éducation polymodale sont les suivants:

e) Contribuer au domaine linguistique et communicatif de sa langue maternelle et d'autres langues établies par l'option multilingue dans les langues autochtones, régionales et étrangères, qui permettent d'accéder à l'information, d'exprimer et de défendre ses points de vue, de construire une vision du monde — partagés ou alternatifs — et de participer aux processus de production et de circulation des connaissances.

L'article 56 de la même loi prévoit des ressources appropriées pour les peuples toba, wichi et mocovi:

Article 56

Afin de permettre l'exercice effectif du droit à l'éducation bilingue et interculturelle, des principes énoncés ci-dessus et de garantir un soutien pédagogique continu aux étudiants, les autorités pédagogiques doivent donner la priorité à la formation d'enseignants et d'assistants d'enseignement autochtones spécialisés, à des programmes d’études ciblés et au moyen
de ressources appropriées pour les peuples toba, wichi et mocovi.

En 2007, l'État provincial a adopté la Loi n° 5905 et règlement sur la création d'un programme d'éducation multilingue, qui garantit la diversité des options dans le choix de la langue d'enseignement et la continuité des cours dans les langues proposées :

Article 4

Le ministère de l'Éducation, de la Culture, des Sciences et de la Technologie:

a) Garantira la diversité des options en termes de choix de la langue.
b) Veillera à la cohérence et à
la continuité des cours dans les langues
proposées.
c) Préparera une campagne de communication institutionnelle visant les unités pédagogiques et leurs communautés respectives, ainsi que de la société.
d) Mettre à jour et enrichir les propositions en fonction des besoins considérés.
e) Toute autre tâche liée à la diffusion du plurilinguisme et de ses aspects positifs.

Cette loi met beaucoup l'accent sur le multilinguisme, en tant que dépassement de l'unilinguisme et du bilinguisme, ainsi des actions envisagées pour l'étude, le développement et la diffusion des différentes langues.

- L'enseignement des langues autochtones

Avec l'adoption des lois sur l'éducation au Chaco, des progrès significatifs commencent à être observés pour l'enseignement dit EIB ("Educación Intercultural Bilingüe"). Il existe des écoles de ce type dans la plupart des régions de la province, soit au moins une soixantaine d'établissements. Les écoles interculturelles bilingues sont surtout présentes dans les villes de Roque Sáenz Peña, de Pampa del Indio, de Villa Ángela, de Juan José Castelli, de la Mission Nueva Pompeya et de Resistencia.Il faut considérer que l'une des difficultés réside dans le fait que les enfants peuvent avoir comme langue maternelle l'espagnol, le toba, le wichi, le moqoit ou même le créole.

Cet enseignement dans les langues autochtones est maintenant reconnu comme présentant des complexités qui doivent être prises en compte, comme cela se produit en fonction des zones de résidence des élèves. Ainsi, la situation sociolinguistique de la langue qom varie en fonction des mouvements migratoires, du type de résidence, de la scolarisation des locuteurs, des attitudes et des évaluations sur la langue, de la discrimination et de l'âge, y compris les conditions de déplacement et de retrait des langues autochtones, en particulier la langue toba. Bien que les locuteurs du qom aient à leur disposition plusieurs écoles à leur intention, les différents diagnostics indiquent que cette langue est en train d'être remplacée par l'espagnol dans la plupart des événements quotidiens.

La langue wichi est également enseignée dans de nombreuses écoles, et ce, d'autant plus que le wichi est est la première langue que les enfants apprennent dans la famille. La présence de la langue wichi dans la vie sociale et publique s’est récemment accrue grâce à des émissions de radio locales, à l’utilisation de noms de rue dans certaines localités et à l’enregistrement des noms wichi dans les documents d’identité nationaux.

Avec la réforme de l'éducation de 2007, les écoles EIB se sont non seulement institutionnalisées au sein du système d'éducation, mais elles ont aussi encouragé la participation des peuples autochtones à assurer la gestion de leurs établissements scolaires. Dans ce contexte, la province de Chaco a ouvert des établissements pour les trois langues autochtones qui y sont parlées et offre une perspective d'enseignement multilingue dans plusieurs écoles. Bien entendu, l’ampleur de ce point de vue ouvre également la porte à la complexité et aux difficultés présentées par le panorama sociolinguistique de la province. Dans cette situation, l’école est mise au défi en tant qu’espace de visibilité et d’inclusion des langues autochtones, mais aussi en tant que responsable de leur revitalisation. Dans tous les cas, la politique pédagogique est circonscrite aux zones linguistiques concernées où habitent les communautés autochtones.

- La gestion scolaire

À l'unanimité des députés présents, la législature du Chaco a adopté en 2014 la Loi n° 7446 sur la formation publique de gestion communautaire autochtone interculturelle bilingue. Cette loi est importante, car elle accorde aux communautés autochtones la gestion des établissements scolaires et garantit aux enseignants des possibilités de formation offerte par la mise en œuvre d'un paradigme pédagogique respectant l'identité et la société de ces peuples autochtones. Les articles les plus pertinents de cette loi sont les suivants:
 
Article 3

Les buts et objectifs de la formation en gestion
communautaire autochtone interculturelle bilingue sont les suivants:

a) Garantir des possibilités scolaires basées sur la mise en œuvre d'un paradigme pédagogique respectant l'identité et la culture des peuples autochtones.

b) Promouvoir la participation démocratique.

c) Mettre en œuvre de nouvelles stratégies pour reconstruire une nouvelle relation entre les enseignants et les élèves, les parents, la communauté et le Conseil de la communauté autochtone, dans le but d’optimiser la scolarisation.

Article 5

La formation en gestion communautaire autochtone interculturelle bilingue doit être appliquée à tous les niveaux, en tant que modèle d’organisation, de planification, d’exécution, de suivi et d'évaluation des actions et projets pédagogiques.

Article 6

Les peuples autochtones qom, wichi et moqoit ont le droit de gérer et de recevoir un tel service.

C'est ainsi que le Conseil consultatif provincial des langues autochtones (Consejo Provincial Asesor de Lenguas Indígenas) a le droit de désigner des enseignants autochtones appartenant à la communauté et connaissant la langue. Il peut aussi élaborer un projet scolaire dans le cadre de la pédagogie interculturelle bilingue et soumettre des réglementations. Le conseil peut aussi faire usage des bâtiments scolaires, avec la possibilité de s'ouvrir à d'autres initiatives sociales, culturelles, sportives, etc. 

La province de Chaco est une pionnière en Argentine dans la conception de politiques publiques liées à la question autochtone, compte tenu de la diversité ethnique de sa population, en particulier les peuples autochtones toba, wichi et mocovi. Depuis une trentaine d'années, des droits linguistiques particuliers sont apparus sous la pression des communautés autochtones elles-mêmes. Toute une législation a été mise en œuvre dans le domaine de l’éducation. Peu à peu, les langues autochtones ont acquis davantage de visibilité dans l'espace scolaire, car l'enseignement de ces langues qui, auparavant, servait surtout de passerelle pour l’alphabétisation en espagnol, est devenu à la fois un instrument d'identité et d'intégration sociale.

Le Chaco est la seule province à présenter un tel modèle global en Argentine, car c'est celui qui semble performer le mieux. Dans cette province, les enfants et les adolescents autochtones ont une plus grande insertion scolaire par rapport au reste des provinces du pays. Et ce n'est pas parce que le Chaco abrite plus d'autochtones (3,9%) que les autres provinces, car elle est dépassée par les provinces de Chubut (8,5%, de Jujuy (7,8%), de Neuquen (7,4%), de Rio Negro (7,2%), de Salta (6,5»%), de Formosa (6%), etc. Pourtant, le Chaco est la province la plus pauvre du pays. Sur un million d'habitants (dont près de 4% d'autochtones), la moitié de la population vit sous le seuil de la pauvreté. Les taux d'analphabétisme, de malnutrition et de mortalité infantile sont les plus élevés au pays. Évidemment, la province du Chaco connaît aussi son lot de difficultés pour appliquer sa politique d'éducation interculturelle bilingue en raison de la faible population des enfants autochtones et des problèmes dans le recrutement des enseignants maîtrisant les langues de ces peuples.

Au début des années 1990, on a assisté à un phénomène d'émergence indigène sur tout le continent latino-américain, ce qui a conduit à la réapparition de divers groupes ethniques sur la scène politique. La force des revendications ethniques dans un État-nation tel que l'Argentine qui avait tenté de se construire en soutenant l'idéologie de l'homogénéité linguistique et culturelle tout en maintenant les autochtones à l'écart, tant au point de vue économique, politiquement, social et culturel, témoigne de la vivacité de ces cultures et de leur capacité à véhiculer d’autres modes d’incorporation dans la société argentine. Toutefois, la négation des différences ethniques et culturelles des premiers habitants du territoire, comme leur mise en réserve, est déterminée par des enjeux politiques qui dépassent ces populations et qui s’inscrit dans des dynamiques politiques plus globales. L'autonomie autochtone n'est que rarement reconnue formellement, sous réserve qu'il existe des situations où certaines communautés sont tellement isolées qu'elles ne sont jamais embêtées par les gouvernements et vivent par conséquent dans une relative liberté d'action.

En Argentine, ce ne sont pas les provinces où vivent d'importantes populations autochtones qui ont élaboré une politique linguistique adéquate sur la question des «peuples originaires». Ce sont au contraire les provinces qui comptent peu d'autochtones par rapport à leur population hispanophone : Corrientes (0,5 %), Santiago del Estero (1,3 %) et Chaco (3,9%). En général, les provinces argentines ont peu de lois spécifiques sur diverses questions autochtones, car la plupart s'en tiennent à la détermination des terres ou la création de registres ou d’institutions destinées à leurs communautés autochtones. Rares sont les textes juridiques qui portent exclusivement sur les langues en Argentine, que ce soit pour l'espagnol et/ou les langues autochtones.

Si l'on fait exception des provinces du Chaco, de Corrientes et de Santiago del Estero, les politiques linguistiques ont tendance à suivre au mieux le modèle minimal de l'État fédéral. D'ailleurs, l'une des caractéristiques des politiques linguistiques provinciales relève de leur étrange ressemblance dans la mesure où elles sont calquées sur celles de l'État fédéral. Dans la plupart des cas, les textes juridiques des provinces se contentent d'énumérer de grands principes sur la reconnaissance de la préexistence des populations autochtones toujours désignées comme des «indigènes», des «aborigènes» ou des «peuples originaires». Même dans les constitutions et les lois provinciales, le mot langua ou lenguas (langue/langues) demeure rare, généralement inexistant et, quand il est utilisé, il renvoie aux langue autochtones, sinon c'est le terme idioma qui sert pour désigner l'espagnol.

De façon générale, les provinces se contentent de mentionner le respect des «langues et des cultures indigènes», comme si c'était amplement suffisant. Si on veut résumer les politiques linguistiques des États fédérés de la République argentine, nous devons admettre qu'il s'agit de politiques très restrictives associées à des politiques strictement sectorielles, dans la mesure où elles sont limitées surtout aux écoles primaires. Encore faut-il que les États provinciaux s'acquittent de leurs devoirs, ce qui n'est certainement pas toujours le cas lorsque les budgets sont révisés à la baisse. Dans cette situation, ce sont toujours les autochtones qui écopent des restrictions.   

Dernière mise à jour: 01 juil. 2019
     
   L'Argentine      
(1) Données démolinguistiques (2) Données historiques (3) Politique relative à l'espagnol
(4)
Politique relative aux langues autochtones
 
(5) Les législations linguistiques provinciales (6) Bibliographie


 

L'Amérique du Sud

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