La croix de saint Piran

Le cornique

(Kernewek - Cornish)

1 Bref historique

Le cornique (ou Kernewek en cornique; cornish en anglais) était une langue celtique parlée à l’origine en Cornouailles (Kernow en cornique; Cornwall en anglais), une région aujourd'hui peuplée de quelque 480 000 habitants et située complètement au sud-ouest de l’île de Grande-Bretagne (voir la carte de gauche) et limitée par la rivière Tamar à l'est. Le cornique est une langue du groupe brittonique assez proche du breton parlé en Bretagne (France), notamment du «breton cornouaillais», mais aussi du gallois parlé au pays de Galles. 

Ce sont des Celtes parlant le brittonique (lequel deviendra le cornique) qui s’installèrent en Cornouailles dès le Ve siècle avant notre ère. À partir de 43, les Romains occupèrent le pays, mais la latinisation s'opéra de façon inégale de sorte que les Corniques continuèrent à parler leur langue celtique. Des missionnaires irlandais vinrent christianiser les Corniques. Piran (d'où le drapeau) est un moine breton du VIe siècle, qui devint le patron des Cornouailles (à ne pas confondre avec la Cornouaille en Bretagne).

Après le départ des Romains, les Cornouailles devinrent un «pagus», c'est-à-dire un pays de la Dumnonia; ses habitants étaient appelés les Cornavii. Les habitants de la Dumnonia commencèrent à quitter l'île de Bretagne au VIe siècle devant l'avancée des Saxons qui avaient atteint la Tamar; ils allèrent s'installer en Armorique, aujourd'hui la partie bretonnante de la Bretagne (France). Les Bretons restés en Cornouailles résistèrent un temps aux envahisseurs saxons, mais ils finirent par être vaincus à Hingston Down, près de Callington en 838. Guillaume le Conquérant se rendit maître de toute l'Angleterre en 1072; son demi-frère, Robert comte de Mortain, se vit attribuer les deux tiers des Cornouailles.

La population de cette époque devait s'élever à environ 20 000 habitants. La majorité parlait le cornique, alors que les nouveaux seigneurs parlaient le franco-normand; les anciens, l'anglo-saxon; le latin servait de langue écrite à tous. En Cornouailles, le cornique demeurait encore une langue de culture et servait à transmettre la tradition orale et à exprimer la foi chrétienne.

En 1337, la région devint le duché de Cornouailles et revint par tradition à l'aîné du souverain d’Angleterre – le prince héritier actuel, Charles, est en effet duc de Cornouailles. Devenus sujets anglais et anglicans, les habitants des Cornouailles s’anglicisèrent plus rapidement. Chaque siècle vit repousser la frontière linguistique de plus en plus vers l'ouest de la péninsule des Cornouailles. La réforme du roi Henri VIII, qui régna de 1509 à 1547, fut très néfaste pour les Cornouaillais, car l'anglais devint obligatoire dans la liturgie protestante, ce qui suscita de sérieux mécontentements parmi la population. Ainsi, la religion constitua l'une des causes majeures de la disparition du cornique; elle lui porta un coup fatal, puisque, en tant que force dominante, l'Église anglicane constituait un élément majeur de la paix sociale, tandis que la connaissance de l'anglais était devenue incontournable. Néanmoins, en 1547, Andrew Boorde (1490-1549), un physicien et écrivain anglais, affirmait que le cornique était encore parlé (The Fyrst Boke of the Introduction of Knowledge):

In Cornwall is two speches, the one is naughty Englysshe and the other is Cornysshe speche. And there may be many men and women the which cannot speak one word of Englysshe but all Cornysshe. [Il y a deux parlers en Cornouailles, l'un est du mauvais anglais; l'autre, le parler cornique, et il y a beaucoup d'hommes et de femmes qui ne parlent pas un seul mot d'anglais, mais simplement le cornique.]

Le poète anglais Richard Carew (1555–1620), dans Survey of Cornwall (1602), souligna lui aussi les progrès de l'anglais aux dépens du cornique et le fait que beaucoup de Cornouaillais se sont conformés d'eux-mêmes à l'usage de l'anglais.: «[...] of late the Cornishs men have muche conformed themselves to the use of the Englishe tongue.» Par la suite, tous les témoignages de l'époque font état du recul constant du cornique.

En 1680, William Scawen (1600-1689), dans Observations on an Ancient Manuscript, confirma que le cornique était encore utilisé dans les péninsules de Penwith et de Lizard, tout en précisant les principales raisons du recul de cette langue. Il soulignait que les Cornouaillais avaient perdu le contact avec les Bretons de Bretagne à cause de la différence des religions (protestantisme en Cornouailles et catholicisme en Bretagne), de la destruction des archives en Cornouailles, de l'indifférence du clergé, de l'absence d'offices religieux en cornique et de l'indifférence des Cornouaillais à défendre leur patrimoine linguistique. 

Le déclin du cornique s'accentua au XVIIIe siècle et très peu de gens des Cornouailles parlaient encore le cornique; les unilingues étaient devenus rares. Selon la rumeur publique, la dernière personne à parler cette langue, Dolly Pentreath, est décédée dans la paroisse de St. Paul près de Mousehole (prononcé "Mowzel") en 1777, à l'âge de 92 ans. C'était une marchande de poissons (fisherwoman), dont les dernières paroles (pieusement recueillies, il va sans dire!), auraient été celles-ci : «Me ne vidn cewsel Sawznek!» Ces propos signifient en français: «Je ne parlerai pas l'anglais!»

En 1860, le prince Louis-Lucien Bonaparte (fils de Lucien Bonaparte et neveu de Napoléon Ier), qui était aussi philologue et linguiste et s'était intéressé au cornique et au franco-normand, vint poser une épitaphe en anglais sur la tombe de Dolly (contraction de Dorothy) Pentreath :

Here Lieth Interred Dorothy Pentreath who Died in 1777

Said to have been the last person who conversed in the ancient Cornish. The regular language of this county from the earliest records till it expired in the eighteenth century in this Parish of Saint Paul.

This stone is erected by the Prince Louise Bonaparte in Union with the Revd John Garret Vicar of St Paul. June 1860.

Honour thy Father and thy Mother that thy days may be long upon the land which the lord thy god giveth thee. Exod XX12.

Gwra perthi de taz na mam de dythiow bethenz hyr war an tyr neb arleth de dew ryes dees. Exod XX12.

Ici est enterrée Dorothy Pentreath décédée en 1777 [Traduction]

Elle est considérée avoir été la dernière personne qui a parlé en vieux cornique, la langue normale de ce pays depuis les premiers registres jusqu'à son expiration au dix-huitième siècle dans cette paroisse de Saint-Paul.

Cette pierre a été érigée par le prince Louise Bonaparte avec la collaboration du révérend John Garret, vicaire de Saint-Paul. Juin 1860.

Honore ton père et ta mère pour que tes jours puissent être longs sur la terre que le seigneur ton Dieu t'a donnée. Exode XX-12.

Gwra perthi de taz na mam de dythiow bethenz hyr war an tyr neb arleth de dew ryes dees. Exode XX-12.

Cette inscription a sûrement contribué à la légende de Dorothy Pentreath comme étant la dernière personne à parler le cornique en tant que langue maternelle. Cela étant dit, quelques locuteurs du cornique ont encore été attestés au cours du XIXe siècle. Mais il ne subsiste plus aujourd'hui de cette langue celtique que quelques noms propres (patronymes et toponymes) et certains mots du parler anglais local en Cornouailles.

En 1904, Henry Jenner (1848-1934), considéré comme le «père de la langue cornique», fut à l'origine de la reconnaissance de la langue et de la culture corniques, notamment par la publication de son ouvrage Handboot of the Cornish language. Par la suite, des sociétés corniques furent fondées et publièrent un journal, le Old Cornwall. Ces dernières années, plusieurs intellectuels influents de la région ont tenté des efforts pour ranimer le cornique, notamment dans des services religieux, des cours du soir, des cours par correspondance, des camps d’été pour les enfants et même par un début d’enseignement expérimenté dans quelques écoles primaires.

2 Situation du cornique

Le cornique serait actuellement enseignée dans une douzaine d'écoles primaires et quatre écoles secondaires à titre d'«activité récréative»; environ une dizaine de candidats se présentent chaque année à l'examen du second degré. Le mouvement Dalleth, qui tend à promouvoir le cornique dans l'enseignement, apporte son soutien.

Il existe aussi un Kesva an Taves Kernewek (Cornish Language Board ou Office de la langue cornique) pour promouvoir la langue cornique, bien qu’on ne compte aucun locuteur du cornique comme langue maternelle. On estime à quelque 3500 le nombre de locuteurs pouvant employer le cornique comme langue seconde, à des degrés variables.

Bien que le Royaume-Uni ait, en 2002, reconnu officiellement le cornique en vertu de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, le cornique ne bénéficie d'aucun statut juridique véritable dans les faits. Le gouvernement de Londres s'opposait jusqu'à tout récemment à tout statut du genre pour le cornique sous prétexte que cette langue ne serait pas favorisée par l'octroi d'un statut officiel, mais plutôt par son emploi réel dans la communauté. Le conseil de comté, pour sa part, revendique une identité particulière par la remise à l'honneur du drapeau cornouaillais (la croix de saint Piran avec les mêmes couleurs que l'ancien drapeau breton) auprès du drapeau britannique, un hymne national (Trelawny) et l'introduction de la langue cornique dans quelques panneaux de signalisation routière. Les autorités britanniques s'apprêteraient à changer leur fusil d'épaule et à accorder un statut de co-officialité au cornique en Cornouailles. Rappelons que le fils le plus âgé et héritier de la Couronne britannique porte, outre le titre de «prince de Galles», également celui de «duc de Cornouailles».

3 Comparaisons linguistiques

Afin de constater les similitudes entre les langues brittoniques (cornique, gallois et breton), nous reproduisons ici un tableau élaboré par Wikipedia. Il existe au moins trois orthographes pour transcrire les mots en cornique : le «cornique unifié» (Kernewek Unys), le «cornique commun» (Kernewek Kemmyn) et le «cornique moderne» (Curnoack). Le cornique unifié repose sur la base du cornique médiéval; le cornique commun a pour objectif représenter les sons du cornique médiéval de façon plus phonétique; quant au cornique moderne, il correspond à celui du XVIIIe siècle. Le tableau qui suit présente, outre le cornique unifié et le cornique commun, la traduction en français et en anglais des mêmes mots. On constatera que le cornique et le breton sont demeurés très proches l'un de l'autre :

Français Cornique
unifié
Cornique
commun
Breton Gallois Anglais
cornique Kernowek Kernewek Kerneveureg Cernyweg Cornish
abeille gwenenen gwenenenn gwenanenn gwenynen bee
chaise chayr, cadar kador kador cadair chair
fromage cues keus keuz caws cheese
sortie mesporth yn-mes er-maez allanfa/mas exit
tomber codha koedha kouezhañ cwympo (to) fall
chèvre gavar gaver gavr gafr goat
maison chy chi ti house
lèvre gweus gweus gweuz gwefus lip
estuaire aber aber aber aber, genau mouth (river)
nombre nyver niver niver rhif, nifer number
poire peren perenn perenn gellygen, peren pear
école scol skol skol ysgol school
fumer megy megi mogediñ ysmygu (to) smoke
étoile steren sterenn steredenn seren star
aujourd'hui hedhyw hedhyw hiziv heddiw today
siffler whybana hwibana c'hwibanat chwibanu (to) whistle

Source: ABALAIN, Hervé. Histoire des langues celtiques, Luçon (France), Éditions Jean-Paul Grisserot, 1998, 128 p.

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