République de Lettonie

Lettonie

(3) La politique linguistique
à l'égard des minorités nationales

 

1 La question de la citoyenneté pour les minorités ethniques

La question des minorités est demeurée un sujet épineux en Lettonie. Rappelons que les minorités historiques de la Lettonie sont constituées de Russes (24,2 %), puis de Biélorusses (4,1 %), d'Ukrainiens (2,2 %), de Polonais (2,1 %), de Lituaniens (1,2 %), de Juifs (0,4 %), de Roms/Tsiganes (0,3 %) et d'Allemands (0,1 %), ainsi que plusieurs autres communautés plus petites. Rappelons également que, juridiquement, on ne distingue que deux catégories de «Lettoniens» (terme non reconnu par les autorités): les Lettons et les «étrangers», ce qui inclut les minorités ethniques. Le terme de Lettonien aurait l'avantage d'inclure les Lettons, les Russes, les Ukrainiens, etc. Par ailleurs, la Lettonie a généralement choisi l'expression «minorité ethnique» plutôt que «minorité nationale» pour désigner les minorités linguistiques, ce qui en dit long de la perception des autorités lettones sur leurs minorités. Le letton est la langue parlée par une faible majorité de la population: 60,0 % en 2022. La Lettonie est le pays balte où la langue de la majorité est numériquement la plus faible: 60,0 % pour la Lettonie, comparativement à 61,5 % en Estonie et 75,5 % en Lituanie. 

L’article 5 de la Loi sur la langue officielle énonce que toute langue autre que le letton utilisée en Lettonie est considérée comme «une langue étrangère», à l'exception de la langue live: «Dans l'esprit de la présente loi, toute autre langue employée dans la république de Lettonie, sauf le live, est considérée comme une langue étrangère.» On peut penser qu'une telle disposition puisse contribuer à créer un certain climat d’antagonisme entre les communautés linguistiques concernées, dont certaines sont installées là depuis plusieurs siècles (p. ex., les Polonais, les Allemands, les Russes, les Tsiganes et les Juifs).

Cela étant dit, l'article 114 de la Constitution lettone actuelle reconnaît aux minorités le «droit de préserver et de développer leur langue, ainsi que leur identité ethnique et culturelle»:

Article 114

Les personnes qui appartiennent à une minorité ethnique ont le droit de préserver et de développer leur langue, ainsi que leur identité ethnique et culturelle.

On peut déplorer aussi qu'il n'y ait aucun organisme officiel dont la responsabilité exclusive serait de promouvoir la protection des droits des minorités, notamment celle de contrôler la discrimination raciale ou d'autres violations des droits des minorités. Certaines fonctions similaires à celles d'un «médiateur» sont exercées par l'Office national des droits de l'homme, mais les responsables ne se préoccupent pas de la protection systématique et efficace des droits des locuteurs autres que lettons.

1.1 La citoyenneté lettone

Dès le lendemain de l'indépendance, la Lettonie a adopté, le 15 octobre 1991, la Loi sur la citoyenneté. Cette loi était fondée sur celle de la Lettonie indépendante, soit entre 1918 et 1940. C'est pourquoi la citoyenneté lettonne était accordée aux personnes qui l'avaient obtenue avant le 17 juin 1940, ainsi qu’à leurs descendants. Les immigrés russophones qui sont arrivés massivement en Lettonie après la Seconde Guerre mondiale devaient avoir résidé au moins depuis seize ans en Lettonie (aujourd'hui cinq, selon la loi actuelle) et réussir un examen d'aptitude du letton pour pouvoir acquérir la nouvelle citoyenneté lettone. Autrement dit, les personnes non lettones (ceux qu'on appelle les «non-citoyens») qui sont nées ou arrivées en Lettonie après le 17 juin 1940, et qui y ont vécu pendant plus de 50 ans, sont devenues des apatrides. Privés de la citoyenneté et de nombreux droits inhérents, ces gens sont considérés comme des «étrangers» dans le pays où ils sont nés. En leur laissant la citoyenneté de l'ex-URSS ou un passeport étranger (Alien’s passport), le nouveau régime letton a bien fait comprendre que la présence des russophones en Lettonie était «indésirable». Malgré tous les efforts des dirigeants lettons pour faire partir les Russes, ceux-ci sont, pour la plupart, restés. C'est que la plupart des russophones ne veulent pas «immigrer» en Russie où les conditions de vie risquent d'être pires et où ils ne seront pas désirés parce qu’ils sont devenus des «étrangers» qui viendraient grossir les rangs des chômeurs.

Quoi qu'il en soit, la maîtrise de la langue lettone est demeurée un élément fondamental pour accéder à la citoyenneté lettone. En exigeant la maîtrise du letton comme condition préalable à la citoyenneté pour les non-Lettons, ainsi devenus apatrides, et en imposant une attestation des connaissances linguistiques pour avoir accès au travail, l'État letton devait s'engager forcément dans une entreprise de très grande envergure, car il fallait faire apprendre la langue officielle à plus du tiers de la population du pays.

Devant la réaction violente des russophones et les exigences du Conseil de l’Europe, le gouvernement fit adopter par la Saeima (Parlement letton) une nouvelle loi sur la citoyenneté en juin 1994, laquelle fut modifiée en juillet et en août de la même année pour aboutir à la loi du 16 mars 1995, puis du 6 février 1997 et du 22 juin 1998. En réalité, les débats sur cette question ont fait rage pendant quatre longues années. En 1997, on comptait encore plus de 300 000 «non-citoyens» détenteurs d’un permis de résidence. Le problème de l’intégration des «non-Lettons» n’est pas facile à régler, car les russophones sont massivement concentrés dans les grands centres urbains industrialisés. Dans certaines villes, telles que Daugavpils, Liepaja, Rezekne, Valmiera, Talsi et Riga (la capitale), les Lettons «de souche» constituent parfois des minorités. 

L'article 12 de la Loi sur la citoyenneté (1998) oblige les personnes enregistrées dans le Registre de la population à «parler couramment le letton», entre autres, et à «connaître le texte de l'hymne national et l'histoire de la Lettonie», sans oublier «un avis de renonciation à leur ancienne citoyenneté (nationalité)» et «une autorisation d'expatriation de la part de l'État de leur ancienne citoyenneté»:
 

Article 12

Dispositions générales pour la naturalisation

1)
Seules les personnes enregistrées dans le Registre de la population peuvent être reconnues comme ayant la citoyenneté lettone selon les procédures de naturalisation et :

2. qui parlent couramment le letton;
3. qui connaissent les principes de base de la Constitution de la république de Lettonie et la Loi constitutionnelle des «Droits et obligations du citoyen et de la personne»;
4. qui connaissent le texte de l'hymne national et l'histoire de la Lettonie;

Évidemment, l'hymne national doit être entonné en letton et non pas dans une autre langue ou par une quelconque traduction. Beaucoup de russophones trouvent ridicule qu'il faille répondre à des questions sur l'histoire de la Lettonie au Moyen Âge pour devenir citoyen. 

Les articles 19 et 20 de la Loi sur la citoyenneté traitent de l'examen d'aptitude (ou test de maîtrise) du letton pour l'obtention de la citoyenneté. Pour être considéré comme ayant acquis la maîtrise du letton, un individu doit comprendre entièrement une information de nature sociale et officielle, pouvoir communiquer, parler et répondre aux questions sur des sujets de nature sociale, lire et comprendre une directive, une consigne et tout autre texte de nature sociale, et pouvoir rédiger une composition sur un sujet de nature sociale donnée par la Commission:

Article 19

Test d'aptitude du letton

La maîtrise en langue lettone est évaluée conformément aux procédures prescrites par le Conseil des ministres. 
[Le 22 juin 1998]

Article 20

Niveau de maîtrise du letton

Quiconque maîtrise le letton s'il :

1. comprend entièrement une information de nature sociale et officielle;
2. peut librement communiquer, parler et répondre aux questions sur des sujets de nature sociale;
3. peut couramment lire et comprendre une directive, une consigne et tout autre texte de nature sociale; et
4. peut écrire une composition sur un sujet de nature sociale donnée par la Commission.
[Le 22 juin 1998]

Il semble que l'examen soit réussi par 95 % des candidats, et ce, dès leur première tentative, ce qui signifierait que ces tests seraient adéquats et pas trop difficiles. Cependant, le nombre des demandes reste faible, soit entre 10 000 et 15 000 par année. Or, il en faudrait dix fois plus. Certains organismes internationaux demandent à la Lettonie de mettre en œuvre des mesures élargissant l'acquisition de la citoyenneté lettone par le moyen de la naturalisation: p. ex., des cours de letton à faible coût, la suppression de toutes les difficultés tracassières dans les procédures d’examens, des initiatives pour donner des informations sur le contenu de l'examen, des campagnes de publicité, etc.

Selon l'article 21 de la Loi sur la citoyenneté, les individus qui ont reçu une instruction primaire, secondaire ou supérieure dans des établissements d'enseignement dans lesquels le letton constituait la langue d'enseignement sont exemptés du test d'aptitude du letton. Il faut comprendre que les individus qui ne sont pas inscrits dans le Registre de la population, en vertu des dispositions d'application générale, n'ont pas droit aux allocations familiales, ni aux indemnités de chômage, ni à la gratuité des soins médicaux pour leurs enfants et ni aux «bons de privatisation»; ils n'ont pas le droit d'inviter des parents de l'étranger ni d'obtenir des attestations fiscales (ce qui les empêche de bénéficier d'avantages fiscaux et de la possibilité d'exercer légalement un emploi), et ne jouissent pas de la liberté d'entrer dans le pays ni de le quitter. Ainsi, le certificat de citoyenneté est un document indispensable pour un «non-Letton». Ne pas le détenir entraîne des problèmes considérables, sans compter l'exclusion sociale et le chômage obligé. 

Heureusement, la législation a été assouplie. Ainsi, la Loi sur le statut des anciens citoyens de l'URSS qui n'ont pas la citoyenneté lettone ou celui d'un autre État (1995), modifiée en mars 2000, reconnaît certains droits aux «non-citoyens»; en plus des droits et obligations reconnus dans la Constitution, tout non-citoyen a le droit de «préserver sa langue maternelle et sa culture dans le cadre de l'autonomie ethnoculturelle et de préserver ses traditions à la condition que celles-ci ne soient pas en conflit avec les lois de la Lettonie» et de «ne pas être expulsé de la Lettonie» (art. 2). 

Article 2

Les droits et obligations d'un non-citoyen

1) Un non-citoyen a les droits et obligations désignés dans la Constitution de la république de Lettonie.

2) En plus des droits indiqués dans la Constitution de la république de Lettonie, un non-citoyen bénéficie des droits suivants :

1. préserver sa langue maternelle et sa culture dans le cadre de l'autonomie ethnoculturelle et de préserver ses traditions à la condition que celles-ci ne soient pas en conflit avec les lois de la Lettonie; et

2. ne pas être expulsé de la Lettonie, sauf pour le cas où l'expulsion a lieu conformément aux procédures indiquées par la loi et que le consentement d'un État étranger a été reçu pour admettre la personne expulsée; l'expulsion vers un État dans lequel quiconque est persécuté pour des motifs de race, de religion ou d'origine ethnique, ainsi que l'expulsion massive, n'est pas autorisée.  Le 30 mars 2000]

De plus, l'article 4 de la Loi sur le statut des apatrides dans la république de Lettonie (1999) reconnaît aux apatrides le droit de quitter librement la Lettonie et d'y revenir, d'accueillir leur conjoint et leurs  enfants mineurs et de maintenir leur langue maternelle, leur culture et leurs traditions si elles ne sont pas contraires à la loi.

Article 4

Droits et obligations d'un apatride

1) Un apatride en Lettonie bénéficie de tous les droits de l'homme reconnus dans la Constitution de la république de Lettonie.

2) En plus des droits mentionnés au paragraphe 1 du présent article, un apatride jouit des droits suivants :

1. de quitter librement la Lettonie et d'y revenir;
2. conformément aux procédures prescrites dans la Loi sur l'entrée et le séjour en république de Lettonie des étrangers et des apatrides, pour accueillir leur conjoint, ainsi que leurs propres enfants mineurs et les enfants mineurs sous la garde du conjoint, qui est arrivé d'un État étranger;
3.
de maintenir sa langue maternelle, sa culture et ses traditions si elles ne sont pas contraires à la loi; et
4. dans la procédure judiciaire,
de recevoir l'aide d'un interprète; dans ses communications avec les institutions de l'État, d'avoir le droit de choisir une langue en conformité avec les mesures réglementaires.

3) En résidant en république de Lettonie, un apatride a l'obligation de respecter les mesures réglementaires de la Lettonie.

Par ailleurs, les «examens de naturalisation» ont été simplifiés à plusieurs reprises. À l'heure actuelle, près de 90 % des candidats réussiraient l'examen de naturalisation lors de leur première tentative. Pour les candidats âgés de 65 ans ou plus, mentionnons que seule la partie orale est obligatoire lors de la passation de l'examen d'aptitude linguistique. En juin 2001, les frais inhérents à l'examen ont été réduits du tiers par le gouvernement, ce qui favorise un plus grand nombre de «non-Lettons» pour y accéder. Enfin,  le Conseil de naturalisation de la Lettonie dispense des cours de letton gratuits pour les candidats à la naturalisation. En 2004, sur les  652 204 habitants de Lettonie de nationalité russe, 54 % d'entre eux avaient été naturalisés. Malgré la simplification des procédures d'accès à la citoyenneté, l'Union européenne souhaite encore quelques changements à la législation lettone sur la citoyenneté, car le critère «ethnique» pour l’obtention de la citoyenneté lettone irait à l’encontre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale. 

1.2 L'accès au monde du travail

En vertu de la Loi sur la langue officielle et du décret du 3 juillet 2001 sur «la connaissance de la langue nécessaire pour les professions et les fonctions à responsabilité, et l'organisation de l'évaluation des compétences linguistiques», l'accès au travail est assujetti à une évaluation sur les connaissances linguistiques des travailleurs, selon une échelle de trois niveaux, définie en fonction des responsabilités exercées et des domaines d'activités. L'article 6 de la Loi sur la langue officielle impose la connaissance du letton de la part de tous les employés des institutions publiques, mais également des institutions privées, organismes, entreprises ou sociétés, ainsi que les travailleurs autonomes, qui  doivent employer la langue officielle si leurs activités concernent l'intérêt légitime du public (la sécurité publique, la santé, la moralité, les services médicaux, la protection des droits du consommateur et les droits du travail, la sécurité dans les lieux de travail et la supervision administrative publique):

Article 6

1) Les employés des institutions nationales et municipales, des tribunaux et des organismes appartenant à l'appareil judiciaire, les entreprises nationales et municipales, ainsi que les employés dans les sociétés dans lesquelles l'État ou une municipalité tient la plus grande part des biens,
doivent connaître et employer la langue officielle dans des conditions nécessaires pour exercer leur emploi et leurs obligations professionnelles.

2) Les employés des institutions privées, organismes, entreprises (ou sociétés), ainsi que les travailleurs autonomes, doivent employer la langue officielle si leurs activités concernent l'intérêt légitime du public (la sécurité publique, la santé, la moralité, les services médicaux, la protection des droits du consommateur et les droits du travail, la sécurité dans les lieux de travail et la supervision administrative publique).

3) Les employés des institutions privées, organismes et entreprises (ou sociétés), ainsi que les travailleurs autonomes qui, tels qu'il est exigé conformément à la loi ou à d'autres actes normatifs, exercent certaines fonctions publiques
doivent connaître et employer la langue officielle dans les conditions nécessaires pour s'acquitter de leurs fonctions.

4) Les spécialistes étrangers et les membres étrangers d'une administration d'entreprise (ou société) qui travaillent en Lettonie
doivent connaître et employer la langue officielle jusqu'au degré nécessaire pour exercer leur emploi et leurs obligations professionnelles ou ils doivent eux-mêmes assurer la traduction dans la langue officielle.

Le degré de compétence nécessaire est défini tant par la législation régissant certaines professions (médecins, avocats, etc.) que par l'employeur dans les entreprises privées. Cette évaluation était auparavant assurée par le Centre de la langue officielle, mais depuis 2001 c'est le Centre des examens et des programmes du ministère de l'Éducation et des Sciences, qui assure ce service. Ladite évaluation est intégrée au cursus normal des élèves de l'enseignement secondaire en tant qu'examen obligatoire de fin d'études. De 1992 à 2000, le Centre de la langue officielle a évalué quelque 515 000 personnes. Cependant, tout citoyen qui n’exerce pas une fonction associée à l’État ou qui n’est pas en contact avec le public peut utiliser la langue de son choix.

2 La représentation politique des minorités

En Lettonie, toutes les instances politiques doivent utiliser le letton comme langue de travail. Les membres des minorités qui font partie du Parlement sont donc dans l'obligation de recourir à la langue officielle lorsqu'ils s'expriment oralement. Il n'y a pas de traduction simultanée lors des débats. De toute façon, l'article 18 de la Constitution lettone (révision de 2002) impose un serment au moment d'assumer le mandat de député de défendre la langue lettone comme seule langue officielle:

Article 18

2) Toute personne élue à la Saeima, au moment d'entamer son mandat de membre de la Saeima, doit personnellement prononcer le serment suivant :

«Je promets solennellement, au moment d'assumer le mandat de député, devant le peuple de Lettonie,  de défendre sa souveraineté, de défendre la langue lettone comme seule langue officielle, de défendre la Lettonie comme État indépendant, et de remplir mon mandat honnêtement et consciencieusement. Je m'engage à observer la Constitution et les lois de la Lettonie.»

Le niveau de connaissance exigé du letton est celui désigné comme le «niveau 3 de compétence linguistique», c'est-à-dire le plus élevé ou letton avancé nécessaire pour tous ceux qui exercent des responsabilités sociales et administratives, notamment dans le domaine de la gestion des municipalités ou de l'État, ce qui comprend obligatoirement les députés, les fonctionnaires, les spécialistes et experts, les leaders syndicaux, etc. L’unilinguisme letton demeure la règle au Parlement, bien que plusieurs lois soient traduites en anglais (mais pas en russe). Sur la base des dispositions législatives, les commissions électorales ont constaté que certains candidats aux élections au Parlement ou dans les conseils municipaux ne remplissaient pas ces conditions; les commissions ont alors retiré ces personnes des listes de candidatures. Ces cas concernent généralement des personnes titulaires d’un certificat de langue lettone, mais dont les connaissances ont été une nouvelle fois contrôlées par le Centre de la langue officielle. La Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) s’est inquiétée de ce que les conditions linguistiques auxquelles étaient soumis les représentants élus pouvaient constituer un frein supplémentaire à la participation de ces groupes à la vie publique lettone. Le 9 mai 2002, la Saeima a décidé de supprimer les exigences concernant la langue officielle pour les candidats lors des élections parlementaires et municipales. Étant donné que les élus ne peuvent utiliser une autre langue que le letton, cette mesure se voulait un assouplissement symbolique. 

Néanmoins, les minorités nationales semblent adéquatement représentées à la Saeima (Parlement) avec quelque 20 % des députés appartenant à une minorité nationale, un nombre qui ne correspond guère au pourcentage de l'ensemble des minorités parmi les citoyens de Lettonie (40 %). Dans certaines communes, la représentation des minorités ethniques peut être supérieure à leur proportion dans un district donné. Ainsi, dans la ville de Madona, le nombre de Russes représentés à la municipalité est double par rapport à leur proportion dans la ville. De plus, les autorités lettones voudraient bien démontrer que les représentants des minorités prennent une part active aux travaux des conseils d’intégration régionale, qui existent dans 18 communes. Afin de donner la possibilité à tout citoyen d'une commune de participer au processus décisionnel, certaines municipalités ont mis en place des conseils consultatifs pour les «non-Lettons». 

De plus, la Loi sur libre développement des groupes nationaux et ethniques lettons (1991) garantit à toutes les nationalités et tous les groupes ethniques de la république de Lettonie le droit à l'autonomie culturelle et la propre administration de leur culture. L'article 5 de cette loi énonce que «tous les habitants permanents de la république de Lettonie ont le droit de créer leurs propres sociétés nationales, leurs associations et leurs organismes»:

Article 5

Tous les habitants permanents de la république de Lettonie ont le droit de
créer leurs propres sociétés nationales, leurs associations et leurs organismes. La responsabilité du gouvernement est de promouvoir leurs activités et leurs moyens matériels.

L'article 8 de la même loi «garantit à tous les résidents permanents le droit de respecter leurs propres traditions nationales, de pouvoir utiliser leurs symboles nationaux et de célébrer leurs fêtes nationales»:

Article 8

La république de Lettonie garantit à tous les résidents permanents le droit de
respecter leurs propres traditions nationales, de pouvoir utiliser leurs symboles nationaux et de célébrer leurs fêtes nationales.

Enfin, l'article 10 de la Loi sur libre développement des groupes nationaux et ethniques lettons, et le droit à l'autonomie culturelle précise que les institutions gouvernementales de la république de Lettonie doivent promouvoir la création de conditions matérielles pour le développement de l'éducation, de la langue et de la culture des nationalités et des groupes ethniques résidant sur le territoire de la Lettonie, en prévoyant des sommes précises à partir du budget du gouvernement à cette fin:

Article 10

1)
Les institutions gouvernementales de la république de Lettonie doivent promouvoir la création de conditions matérielles pour le développement de l'éducation,
de la langue et de la culture des nationalités et des groupes ethniques résidant sur le territoire de la Lettonie, en prévoyant des sommes précises à partir du budget du gouvernement à cette fin.

2) Les questions concernant l'instruction des nationalités et des groupes ethniques sont régies par la Loi sur l'éducation de la république de Lettonie.

3 La justice et les droits linguistiques

L’égalité devant les tribunaux de tous les citoyens est garantie par la législation en vigueur, qui énonce le principe de l’interdiction de toute discrimination ainsi que le principe d’égalité. L’article 91 de la Constitution énonce que «toutes les personnes en Lettonie sont égales devant la loi et devant les tribunaux» et que les droits de l’homme s’exercent sans aucune discrimination:
 

Article 91

Tous les citoyens lettons sont égaux devant la loi et les tribunaux. Les droits de l'homme sont respectés sans aucune discrimination.

Des mesures identiques ont également été incluses dans la Loi sur le pouvoir judiciaire, dont l’article 4 déclare :
 

Article 4

Égalité des personnes devant la loi et la justice

1)
Toutes les personnes sont égales devant la loi et devant les tribunaux, elles ont le même droit à la protection de la loi.

2)
Le tribunal juge une personne indépendamment de son origine, de sa situation sociale et patrimoniale,
de sa race et de sa nationalité, de son sexe, de son éducation, de sa langue, de son attitude à l'égard de la religion, du type et de la nature de sa profession, de son lieu de résidence, de ses opinions politiques ou autres.

L’article 11 du Code de procédure pénale (2006-2016) («Décisions fondées sur l’égalité des personnes devant la loi et les tribunaux») énonce que «les affaires pénales sont jugées sur la base de l’égalité des personnes devant la loi et les tribunaux, indépendamment de l’origine de la personne jugée, de sa situation sociale et matérielle, de sa race ou de sa nationalité, de son sexe, de son degré d’instruction, de sa langue, de sa religion, de son activité professionnelle, de son lieu de résidence, ou de ses opinions politiques ou autres».
 

Article 11

Langue d'usage dans la procédure pénale

1)
La procédure pénale doit se dérouler dans la langue officielle.

2) Tout justiciable a droit à une défense équitable, une victime et son représentant, un témoin, un spécialiste, un expert, un auditeur ainsi que toute autre personne faisant partie à une procédure pénale par un juge qui dirige la procédure, si celle-ci ne parle pas la langue officielle, elle a le droit d'utiliser la langue qu'elle comprend au cours de la procédure et de recourir gratuitement à l'assistance d'un interprète, lequel assure la participation à la procédure avec l'autorisation du président du tribunal. Dans la procédure préliminaire, le juge d'instruction ou le tribunal doit prévoir la participation d'un interprète aux décisions qui relèvent de la compétence du juge d'instruction ou du tribunal.

2.1) Tout justiciable a droit à une défense et, s'il ne connaît pas la langue officielle, il a le droit d’utiliser la langue qu’elle maîtrise et de recourir gratuitement à l’assistance d’un interprète, dont la participation est assurée par le juge qui dirige la procédure, lors d’une rencontre avec le défenseur dans les cas suivants:

1. afin de préparer l’interrogatoire dans le cadre d’une procédure préalable au procès ou dans un procès devant un tribunal;

2. afin d’établir une plainte écrite concernant l’action ou la décision d’un juge chargé de la procédure pénale et l’application, la modification ou la révocation d’une mesure procédurale obligatoire;

3. afin d’établir un document nécessaire au jugement de la cause dans le cadre de la procédure écrite;

4. afin d’établir un pourvoi ou un pourvoi en cassation.

2.2) Pour un justiciable ayant droit à la défense et à laquelle une mesure de sécurité liée à la privation de liberté a été appliquée, pour l'exercice des droits visés à la partie 2.1 du présent article, la participation d'un interprète est assurée par l'autorité compétente de l'établissement pénitentiaire concerné.

En matière de justice, tous les citoyens ont droit à des services en letton puisque c’est la langue officielle. La Loi sur le pouvoir judiciaire du 15 septembre 1992, incluant ses modifications intervenues jusqu'en 2001, précise que la procédure judiciaire se déroule dans la langue officielle. L'article 21 de la Loi sur le pouvoir judiciaire autorise une «autre langue» si les parties, leurs avocats et le procureur donnent leur consentement:
 

Article 21

La langue de la procédure judiciaire

1) La procédure judiciaire dans la république de Lettonie doit se dérouler dans la langue officielle.

2) Pour une personne qui participe à une cause, mais ne parle pas couramment la langue de la procédure, le tribunal garantit le droit de se familiariser avec les documents du procès et de pouvoir y participer avec l'assistance d'un interprète, ainsi que le droit de comparaître devant la cour dans la langue particulière qu'elle parle couramment.

On trouve des dispositions identiques à l'article 13 de la Loi sur la langue officielle de 2000 :

Article 13

La procédure judiciaire dans la république de Lettonie doit être effectuée dans la langue officielle. Le droit d'employer une langue étrangère dans une cour de justice est assujetti par les lois réglementant les fonctions et procédures dans les tribunaux. 

Enfin, la Loi sur le statut des apatrides dans la république de Lettonie (1999) prévoit dans son article 4 qu'un apatride bénéficie du droit  de recevoir l'aide d'un interprète dans la procédure judiciaire, et dans ses communications avec les institutions de l'État d'avoir le droit de choisir une langue en conformité avec les mesures réglementaires.

En réalité, bien que tout procès se déroule normalement en letton, si aucune des parties (incluant le procureur et le jury) ne s’y oppose, le russe ou toute autre langue peut aussi être employé. Dans un procès criminel, la traduction est fournie à l'accusé aux frais de la cour. Cependant, dans les procès civils, la traduction gratuite peut être refusée, car le jury décide sur la base de chaque cas particulier.  

Le juge doit rendre sa sentence exclusivement en letton, sauf si toutes les parties ont accepté que le procès se déroule en russe; dans ce cas, le verdict est en russe. Mais tous les documents écrits incluant la sentence doivent être rédigés en letton. Les citoyens appartenant à une minorité nationale ont le droit de présenter des documents en letton, en anglais, en russe ou en allemand. Dans les cours d’appel, les règles demeurent les mêmes. Dans la pratique, plus l’instance de la cour est élevée, moins le russe est employé, jamais les autres langues.

Beaucoup de défenseurs des droits de l'homme se plaignent que la traduction gratuite soit souvent refusée quand les accusations portent sur les organismes de l’État (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration). Aussi, des procès mixes sont courants quand, par exemple, un plaignant parle le russe, tandis qu’un représentant d'un organisme de l’État parle le letton. 

Les minorités ethniques se plaignent souvent de la faible représentation de leurs membres dans l'appareil judiciaire. En janvier 1994, sur un total de 152 juges, plus de 140 étaient d'origine lettone, contre neuf Russes et un seul Polonais. Il n'y a pas eu de mise à jour de ces données. On sait seulement que, pour l'année 1999, la Saeima avait approuvé la nomination de 48 juges, dont un seul était «non letton». Tous les membres de l'appareil judiciaire hiérarchiquement les plus élevés, comme la Cour suprême ("AugstakaTiesa") et la Cour constitutionnelle ("Satversmes Tiesa"), sont d'origine ethnique lettone.

4 L’usage des langues dans l’administration publique

Dans l’administration publique, les fonctionnaires doivent connaître le letton et utiliser cette langue auprès du public. Dans la Loi sur la langue de 1989 (abrogée), les employés de l'État pouvaient répondre à l’oral ou à l’écrit dans la langue dans laquelle le citoyen s’était adressé. Bref, le citoyen avait le choix de la langue dans ses relations avec l’Administration, mais pas l’employé. Ainsi, on pouvait lire à l’article 9 cette disposition aujourd'hui abrogée:

Article 9 (1989, abrogée)

1) Les organismes de l'État et de l'administration, les institutions et les organisations de la république de Lettonie et leurs fonctionnaires répondent par écrit dans la langue officielle aux demandes et aux plaintes des citoyens.

2) Les organismes de l'État et de l'administration, les institutions, les organisations et leurs fonctionnaires peuvent répondre aussi dans la langue dans laquelle on s'est adressé à eux.

Avec la mise en vigueur de la Loi sur la langue officielle, ce n'est plus le cas. Du point de vue légal, toutes les langues autres que le letton sont considérées comme des langues «étrangères» (article 5), y compris les langues des minorité nationales:

Article 5

Dans l'esprit de la présente loi, toute autre langue employée dans la république de Lettonie, sauf le live, est considérée comme une langue étrangère.

Au moment de l'adoption de la Loi sur la langue officielle en 1999, de nombreuses controverses eurent lieu, notamment chez la minorité russophone. Par exemple, l’un des articles interdisait d'inscrire des textes en russe sur les pierres tombales. Cette disposition fut finalement supprimée sous la pression des institutions européennes.

4.1 Les documents écrits et la traduction obligatoire

De plus, la Loi sur la langue officielle énonce que tous les documents de l’État ne sont rédigés que dans la langue officielle ou doivent être accompagnés d’une traduction certifiée en letton (art. 10):

Article 10

1) Toute institution, tout organisme et toute entreprise (ou société) doivent assurer l'acceptation et l'examen des documents préparés dans la langue officielle.

2) Les institutions nationales et municipales, les tribunaux et les organismes appartenant à l'appareil judiciaire, ainsi que les entreprises (ou sociétés) nationales et municipales doivent accepter et examiner les documents émanant des personnes uniquement dans la langue officielle, sauf pour les exceptions prévues aux paragraphes 3 et 4 du présent article et dans d'autres lois. Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas aux déclarations des personnes ayant affaire avec les institutions de santé et de police, les services d'urgence et autres institutions lorsqu'une assistance médicale urgente est requise, lorsqu'un crime ou toute autre violation de la loi a été commis ou lorsqu'une assistance d'urgence est demandée en cas d'incendie, d'accident de la route ou de tout autre accident.

3) Les documents soumis par des individus dans des langues étrangères doivent être acceptés s'ils sont accompagnés d'une traduction vérifiée selon la procédure prescrite par le Conseil des ministres ou d'une traduction notariée. Aucune traduction n'est exigée pour les documents ayant été délivrés sur le territoire de la Lettonie avant la date d'entrée en vigueur de la présente loi.

4)
Les documents reçus par les institutions nationales et municipales, les organismes et les entreprises (ou sociétés) en provenance de pays étrangers peuvent être acceptés et examinés sans une traduction dans la langue officielle.

En fait, à moins qu’une traduction certifiée dans la langue officielle n'y soit jointe, la Loi sur la langue officielle interdit aux institutions de l'État, des municipalités et des tribunaux d'accepter des demandes, déclarations ou plaintes provenant de particuliers et rédigées dans une autre langue que le letton, sauf dans certaines situations d’urgence. Plus précisément, c'est lorsqu'on fait affaire avec les institutions de santé et de police, les services d'urgence et autres institutions si une assistance médicale urgente est requise, si un crime ou toute autre violation de la loi a été commis ou si une assistance d'urgence est demandée en cas d'incendie, d'accident de la route ou de tout autre accident.

Signalons que l’«espace informatif officiel», c'est-à-dire les nombreux sites Internet des organismes et institutions de l'État, n’existe qu’en letton et en anglais, à peu près jamais en russe (sauf de rarissimes exceptions). Autrement dit, les minorités peuvent utiliser l'anglais au lieu de leur propre langue.

Bien que certaines communes aient embauché des traducteurs, les dispositions de la Loi sur la langue officielle peuvent défavoriser les membres des minorités lorsqu'ils veulent communiquer avec l'Administration publique. Beaucoup de Russes, de Biélorusses, d'Ukrainiens et de Polonais ne maîtrisent pas suffisamment la langue officielle, le letton, pour pouvoir soumettre des documents dans cette langue. Rappelons que les documents soumis dans d’autres langues que le letton sont refusés s’ils ne sont pas accompagnés d’une traduction en letton, certifiée devant notaire. Pour un grand nombre des membres des communautés minoritaires, le coût de la traduction et de la certification devant notaire peut paraître trop lourd à assumer. De plus, certains groupes sont particulièrement plus vulnérables, comme les prisonniers et les personnes russophones faisant l’objet de poursuites judiciaires; les pétitions, plaintes ou autres documents rédigés en russe sont simplement refusés par les instances administratives.

C'est pourquoi la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) demande aux autorités lettones de surveiller l'application de la loi et de veiller à ce que les dispositions régissant l’emploi de la langue dans les communications avec les organismes publics ne limitent pas l’accès à ces organismes, en particulier aux personnes maîtrisant mal le letton et n’ayant que de faibles ressources financières.

4.2 Les communications orales

De son côté, la Constitution de 1922, avec ses multiples révisions de 1993 à 2005, déclare que «la langue de travail des autorités locales est la langue lettone»:
 

Article 101

Tout citoyen de Lettonie a le droit, garanti par le loi, de participer aux activités de l'État et des collectivités locales et d'accéder à la fonction publique. Les autorités locales sont élues par les citoyens lettons qui jouissent de la plénitude de leurs droits de citoyen et par les citoyens de l'Union européenne qui résident en permanence en Lettonie. Tout citoyen de l'Union européenne qui réside en permanence en Lettonie a le droit, garanti par la loi, de participer aux activités des collectivités locales. La langue de travail des autorités locales est la langue lettone.

La législation en vigueur ne précise rien en ce qui a trait aux communications orales dans l'administration de l'État, hormis pour la langue de travail des employés (en letton). Il n'y a pas de bilinguisme officiel autorisé dans les rapports oraux avec les administrés, mais ce n'est pas interdit, du moins dans un bureau et en personne.

Cependant, il arrive que les employés de l’État doivent connaître la langue d’une minorité nationale si cela est nécessaire à l’accomplissement de leurs devoirs professionnels. Par exemple, un policier en exercice dans une grande ville à majorité russophone doit pouvoir s’exprimer en russe auprès des citoyens. 

Dans les demandes orales, les fonctionnaires ne sont pas formellement tenus de répondre en une autre langue qu’en letton. Toutefois, la très grande majorité des fonctionnaires utilisent quand même le russe, d’une part, parce qu’ils le connaissent, d’autre part, parce qu’il est inutile de demander aux personnes âgées non lettones d’apprendre le letton. 

De plus, dans les Forces armées, l'article 12 de la Loi sur la langue officielle prescrit l'usage exclusif du letton, sauf dans les cas mentionnés par les traités internationaux, ce qui n'implique guère les minorités nationales:

4.3 Les toponymes et les désignations d'événements

En 2000, suite à l'article 11 de la Loi sur la langue officielle, le gouvernement a adopté par décret un règlement (n° 294) portant sur la création, l'orthographe et l'emploi des toponymes, dénominations d'institutions, d'organisations non gouvernementales, de sociétés (entreprises) et d'événements. L'article 2 du Règlement no 294 sur la création, l'orthographe et l'emploi des toponymes, dénominations d'institutions, d'organisations non gouvernementales, de sociétés (entreprises) et d'événements impose l'usage du letton dans les toponymes de la Lettonie:
 

Article 2

Les toponymes dans la république de Lettonie sont créés et employés en letton, mais sur le territoire de la côte livonienne ils peuvent être créés et employés aussi en live. 

De plus, l'alphabet latin est dans toutes les dénominations, selon l'article 11 du règlement no 294: «Seules les lettres de l'alphabet latin ou letton doivent être utilisées.» Cette mesure a pour effet d'éliminer l'alphabet cyrillique et, par le fait même, le russe. L'article 15 du règlement n° 294 autorise l'usage d'une autre langue lorsqu'un événement est organisé par une institution publique à la condition que la désignation dans la langue officielle soit au premier plan:
 

Article 15

Si une ou plusieurs langues étrangères sont employées comme langues de travail lors d'événements organisés par des institutions nationales ou municipales, les tribunaux et organismes appartenant à l'appareil judiciaire, par des sociétés  nationales et municipales, ainsi que par des entreprises dans lesquelles l'État ou une municipalité détient la plus grande part des biens, la désignation de l'événement peut être conçue dans toutes les langues de travail, mais la désignation dans la langue officielle doit être au premier plan.

4.4 Les papiers d'identité

Il est vrai que l'article 19 de la Loi sur la langue officielle précise que les noms et prénoms des individus reproduits et orthographiés sur les papiers d’identité doivent l'être en letton, mais il demeure possible, en principe que les particuliers, dont les membres des minorités ethniques, d’ajouter à leur demande leur nom d’origine en alphabet latin:
 

Article 19

1) Les noms personnels doivent être reproduits conformément aux traditions de la langue lettone et être transcrits selon les règles acceptées dans la langue littéraire dans le respect des prescriptions du paragraphe 2 du présent article.

2) Dans le passeport ou l'acte de naissance, les nom et prénom de la personne reproduits conformément aux règles de la langue lettone peuvent être complétés par la forme historique du nom de famille ou la forme originale du nom de la personne en une autre langue transcrite en l'alphabet latin, dans la mesure où la personne ou les parents d'un mineur le désirent ainsi et peuvent fournir des documents de confirmation.

3) L'orthographe et l'identification des nom et prénom, ainsi que l'orthographe et l'emploi en letton pour les noms de famille en d'autres langues, sont autorisés par le Conseil des ministres par règlement.

Le problème, c'est que le public n'est pas toujours au courant de cette disposition de la loi. Par ailleurs, certains fonctionnaires lettons se gardent bien d'avertir le citoyen qu'il peut rédiger ses nom et prénom dans sa langue avec l'alphabet latin, ce qui implique que cette mesure prescrite par la loi n'est pas toujours scrupuleusement respectée.

5 L’éducation dans les langues des minorités

Dès l'indépendance, les autorités lettones ont accordé aux minorités ethniques le droit de recevoir leur instruction dans leur langue, non seulement en russe (comme sous le régime soviétique), mais également en polonais, en ukrainien, en biélorusse, en lituanien, en estonien, en yiddish et en romani. Or, les petites minorités non russophones ne bénéficiaient pas de ce droit avant l'indépendance. Dans la Lettonie indépendante, ces minorités ont pu disposer de leurs propres écoles, et ce, avec le soutien des municipalités locales, du ministère letton de l'Éducation et des Sciences, et aussi de la part de leur pays d'origine. Il existait alors deux systèmes d'enseignement parallèles en Lettonie: une filière en letton et une filière en russe, chacune disposant de ses propres programmes distincts. Cependant, il s'agissait là d'une période de transition devant se poursuivre jusqu'en 1995, car un tel système favorisait le maintien de deux sociétés différentes: les Lettons, d'une part, les non-Lettons, d'autre part. La puissante minorité russophone pouvait continuer à fonctionner comme sous le régime soviétique et à ignorer totalement la langue de la majorité.

Avec l'adoption de la Loi sur l'éducation de 1998 (modifiée à plusieurs reprises par la suite, y compris en 2022), la connaissance du letton est devenue une partie constituante de l'intégration des minorités au sein de la société lettone.  L'article 9 de cette loi prescrit bien que le letton est la langue d'enseignement dans les établissements scolaires de la Lettonie, mais le paragraphe 2 précise aussi que «l'éducation peut être obtenue dans une autre langue», notamment «dans les établissements d'enseignement prévus par d'autres lois»:

Article 9

Acquisition de la langue d'enseignement

1)
Dans les établissements d'enseignement de l'État, des municipalités et des universités d'État,
l'enseignement est offert dans la langue officielle.

1.1) Dans les établissements d'enseignement privés, l'enseignement général et l'enseignement professionnel aux niveaux primaire et secondaire sont offerts
dans la langue officielle.

2)
L'éducation peut être obtenue dans une autre langue :

1. dans les établissements d'enseignement qui mettent en œuvre des programmes pédagogiques conformément aux accords internationaux bilatéraux ou multilatéraux de la république de Lettonie ;

2. (abrogé par la loi du 29.09.2022) ;

2.1. dans les établissements d'enseignement où les matières du programme d'enseignement général sont entièrement ou partiellement mises en œuvre dans une langue étrangère afin d'assurer l'apprentissage d'autres langues officielles de l'Union européenne, dans le respect des conditions de la norme d'éducation nationale pertinente;

3. dans les établissements d'enseignement prévus par d'autres lois.

2.1) Dans les établissements d'enseignement qui mettent en œuvre des programmes pédagogiques spéciaux pour les élèves malentendants, ainsi que dans d'autres établissements d'enseignement qui offrent un environnement d'apprentissage approprié pour l'enseignement dans la langue des signes lettone, l'enseignement peut être obtenu dans la langue des signes lettone.

3) Afin d'obtenir l'enseignement primaire ou secondaire,
tout élève doit apprendre la langue officielle et passer des tests de connaissance de la langue officielle dans le cadre et l'ordre déterminés par le Conseil des ministres.

3.1)
Les programmes d'études dans les universités et les collèges sont mis en œuvre dans la langue officielle. La mise en œuvre du programme d'études dans une langue étrangère est déterminée par la législation universitaire.

L'objectif présumé de la loi était d'assurer l'égalité des chances chez les élèves des écoles lettonnes et des écoles des minorités ethniques par rapport au marché du travail et à l'éducation supérieure. Aujourd'hui, il n'existe plus d'écoles publiques distinctes, c'est-à-dire lettones, russes, biélorusses, polonaises, etc., car c'est l'éducation bilingue pour les minorités qui s'est répandue dans le système d'éducation letton.

Il faut comprendre que le ministère letton de l'Éducation et de la Science a choisi un enseignement bilingue dans toutes les écoles primaires (de la première année à la neuvième année). Ce processus implique que les écoles d'une langue minoritaire introduisent des matières enseignées dans les deux langues et une plus grande part de l'enseignement du letton dans leurs programmes. Pour ce faire, une période de transition était prévue: l’éducation bilingue devait être introduite dans l’enseignement primaire à un rythme d’un niveau chaque année. Selon cet échéancier, le processus devrait s’achever en 2007/2008. Il est donc terminé le temps où des dizaines de milliers d'immigrants pouvaient s'installer en Lettonie sans jamais devoir apprendre la langue officielle. Par ailleurs, la Lettonie n’est pas tenue de participer au financement des écoles privées destinées aux minorités.

5.1 L'enseignement minoritaire

En 1995, le gouvernement letton a élaboré son «Programme national pour l'apprentissage du letton», dont la mise en œuvre était prévue pour 2004, sous la responsabilité de l'Agence nationale pour l'apprentissage du letton (l'ANPAL). Développé avec le soutien du programme de développement des Nations unies, le Programme national pour l'apprentissage du letton a débuté en 1995 et couvrait cinq principaux domaines:

1) la formation des enseignants;
2) le développement de nouveaux documents pédagogiques pour l’enseignement;
3) des cours de letton langue seconde (ou LDL) pour adultes;
4) des activités d'intégration;
5) le développement de la gestion du programme.

- Le programme national destiné aux minorités

Le programme visait spécifiquement à encourager les «non-Lettons» et les organismes minoritaires à être «actifs au plan social» et à promouvoir la «tolérance linguistique» afin de favoriser un développement plus harmonieux dans le pays.

L'enseignement public devait connaître trois étapes transitoires dans l'introduction du letton. Lors de la première étape de la réforme en éducation (de 1995 à 1999), deux matières devaient être dispensées en letton, de la première année à la neuvième année. À partir de la 10e année jusqu'à la 12e, le nombre des matières dispensées en letton était augmenté à trois. La seconde étape de cette réforme commençait en 1999 et s'est poursuivie en fonction des dispositions de la Loi sur l'éducation de 1998. La troisième étape commençait en 2004 et concernait les écoles secondaires de la 10e année; suivaient la 11e année en 2005 et la 12e en 2006. Dès lors, la réforme implique que 60 % de l'enseignement se déroule en principe en letton et 40 % dans la langue minoritaire. C'est ce qu'on appelle la «norme 60/40», applicable pour 2007-2008, alors que le réseau des écoles primaires sera entièrement bilingue dans les établissements minoritaires et uniquement en letton dans les établissements secondaires. Le système d'éducation à l'intention des minorités aura atteint sa mise en œuvre complète en 2010, puisque les élèves qui ont commencé en 1999 auront atteint leur 12e année d'études. Depuis 1999, les écoles primaires minoritaires de Lettonie offrent un enseignement bilingue, puis en 2004 dans les écoles secondaires.

En 2002, la transition vers le letton dans les écoles secondaires était soutenue par environ 41% des enseignants, des élèves et des parents; en 2004, elle était soutenue par 15% des élèves, 30% des enseignants et 13% des parents. Les élèves étaient bien conscients de la nécessité de la langue lettone, mais la plupart la rejetaient comme langue d'étude.

Ce programme national ne tient plus! Depuis février 2022, la Lettonie voit avec horreur les conséquences de l'invasion russe en Ukraine, ce qui suscite une certaine animosité à l'égard des russophones. Néanmoins, à la fin du mois de janvier 2018, le gouvernement avait déjà approuvé les modifications législatives à la Loi sur l'éducation de 1998; le Parlement avait commencé à discuter des projets de loi sur cette question. Les législateurs ont également rejeté la pétition appelant à la préservation de l'enseignement bilingue en Lettonie, signée par plus de 10 000 citoyens lettons.

- La lettonisation du système d'enseignement

Les modifications législatives prévoyant une transition progressive vers l'enseignement en letton dans toutes les écoles publiques furent mises en œuvre progressivement du 1er septembre 2019 au 1er septembre 2021. Dans les écoles maternelles, à partir de l'âge de cinq ans, de nouvelles directives pédagogiques ont été introduites au cours de l'année scolaire 2019-2020, prévoyant un rôle plus important de la langue lettone dans le programme d'études. Un nouveau modèle d'enseignement bilingue est introduit dans les classes de la première année à la  sixième année, garantissant qu'au moins 50 % des matières sont enseignées en letton, et dans les classes de la 7e à la 9e, garantissant qu'au moins 80% du contenu des études est en letton en 2019-2020. Les examens finaux pour les élèves de 9e année doivent dérouler entièrement en Lettonie.

À partir de l'année scolaire 2020-2021, toutes les matières de l'enseignement général des 10e et 11e années devaient être enseignées uniquement en letton, tandis que les enfants des minorités ethniques devaient continuer d'apprendre leur langue maternelle, la littérature et les matières liées à la culture et à l'histoire dans la langue minoritaire respective. À partir de l'année scolaire 2021-2022, toutes les matières de l'enseignement général au lycée (de la 10e à la 12e année) devaient être enseignées uniquement en letton, tandis que les enfants des minorités ethniques devaient continuer d'apprendre leur langue maternelle, la littérature et les matières liées à la culture et à l'histoire dans la langue minoritaire respective.

Après la réforme, la proportion des matières enseignées en letton dans les écoles des minorités ethniques devra atteindre au moins 50 % de la 1re à la 6e année ; 80 % de la 7e à la 9e année et 100 % de la 10e à la 12e année. Les écoles pourront toujours enseigner la langue, la littérature, ainsi que les matières liées à la culture et à l'histoire dans les langues maternelles des minorités.

La Loi sur l'éducation impose aux municipalités (ou communes) d’offrir à tous les enfants l’accès à une instruction dans leur langue maternelle dans les jardins d'enfants, les écoles primaires et les écoles secondaires. Cependant, la loi n’exige pas de la part des municipalités qu’elles maintiennent des écoles (ou des classes) destinées aux minorités, même si les parents le demandent. Selon la législation en vigueur, les autorités nationales ou municipales ne peuvent participer au financement des établissements d’enseignement privés qu’à la condition que ces établissements offrent un enseignement en letton.

De plus, la Loi sur l'éducation de 2022 prévoit que les programmes scolaires publics doivent inclure tout le contenu nécessaire à l'acquisition de la culture ethnique appropriée et pour l'intégration des minorités ethniques en Lettonie :

Article 41

Programmes d'enseignement pour les minorités

1)
Les programmes d'enseignement pour les minorités sont élaborés par les établissements d'enseignement, en choisissant l'un des exemples de programmes d'éducation figurant dans les directives de l'État sur l'éducation préscolaire ou la norme nationale sur l'éducation de base.

1.1) Dans les programmes d'enseignement pour les minorités de la 1
re à la 6e année, l'apprentissage du programme dans la langue officielle est assuré à hauteur d'au moins 50% de la charge totale de cours de l'année scolaire, y compris les langues étrangères.

1.2) Dans les programmes d'enseignement pour les minorités de la 7
e à la 9e année, l'apprentissage du programme dans la langue officielle est assuré à hauteur d'au moins 80 % de la charge de cours totale de l'année scolaire, y compris les langues étrangères.

2) Les programmes d'enseignement pour les minorités doivent en outre inclure le contenu nécessaire à
l'apprentissage de la culture ethnique pertinente et à l'intégration des minorités en Lettonie.

Le ministère de l'Éducation et de la Science a élaboré quatre programmes ou modèles destinés à l'éducation des minorités dans les écoles primaires. Ces programmes diffèrent en fonction de la proportion suggérée des cours dispensés en letton. Les écoles des minorités peuvent choisir l'un de ces programmes ou mettre en place leur propre programme. 

5.2 La situation actuelle dans l'enseignement

Cependant, le gouvernement letton estime que, depuis l'indépendance, les minorités linguistiques n'ont pu acquérir, dans les écoles, suffisamment la maîtrise de la langue officielle. Bref, l'approche de la langue d'enseignement dans les programmes d'éducation des minorités adoptée jusqu'alors n'avait pas pleinement assuré la qualité de l'apprentissage de la langue nationale à tous les stades de l'éducation, alors qu'une connaissance insuffisante de la langue nationale peut limiter l'intégration des jeunes dans la société et entraver le développement d'une carrière professionnelle réussie. Le tableau suivant illustre le pourcentage des russophones ayant appris le letton entre 1995 et 2004:

  1995-96 1996/97 1997/98 1998/99

1999/00

2000/01 2001/02 2002/03 2003/04


Russophones
 


132 540

129 120
 

125 643
 

125 741
 

120 612
 

96 053
 

89 874
 

101 486
 

95 841
 
 
(39,2%)
 

(37,6%)

(36,1%)

(34,7%)

(33,3%)

(28,1%)

(26,8%)

(29,8%)

(29,2%)


Population totale


337 660
 

342 801

347 254

361 722

361 432

340 859

334 536

340 308

327 358

On peut constater que ce pourcentage oscille entre 26% et 39%, ce qui paraît peu dans la mesure où on s'attendrait à un pourcentage plus élevé avoisinant au moins 80%. Le gouvernement a estimé qu'il fallait prendre un virage important afin de modifier cette situation peu enviable, car cette situation signifie que la plupart des russophones du pays pouvaient vivre en autarcie, sans grande communication avec la majorité lettone. Or, il apparaissait important que les élèves des minorités apprennent la langue officielle afin de leur donner la possibilité de participer aussi efficacement que possible à la vie publique.

- Les modifications

Selon les modifications aux lois en éducation, à partir du 1er septembre 2023, le processus pédagogique sera mis en œuvre uniquement dans la langue officielle dans l'enseignement préscolaire et au niveau de l'enseignement de base dans les 1re, 4e et 7e années. À partir du 1er septembre 2024, les élèves des 2e, 5e et 8e années commenceront à étudier uniquement dans la langue nationale, mais à partir du 1er septembre 2025, les 3e, 6e et 9e années les rejoindront également. Il convient de rappeler qu'au niveau secondaire, les jeunes apprennent déjà toutes les matières en letton, tandis que les élèves de la 1re à la 6e année apprennent au moins 50 % du programme en letton, tandis que de la 7e à la 9e année - au moins 80%. Les modifications des lois adoptées aujourd'hui s'appliquent également aux établissements d'enseignement privés, si leurs fondateurs ont choisi d'offrir un enseignement pour lequel les élèves reçoivent un document pédagogique reconnu par l'État.

- Le préscolaire et le primaire

Pour ce qui est de l’enseignement préscolaire, conformément au Règlement du Conseil des ministres n° 716, la langue lettone est mise en avant dans les établissements préscolaires pour les minorités (jardins d’enfants) existant pour les enfants âgés de 18 mois à sept ans à l’aide d’une approche bilingue. Pour les enfants âgés de cinq ans et plus (pour lesquels l’enseignement préscolaire est obligatoire), le letton est le principal moyen de communication dans les cours basés sur le jeu, à l’exception des activités spécifiquement organisées en vue de l’apprentissage de la langue et de la culture ethnique d’une minorité nationale.

Dans l'enseignement primaire, les élèves des minorités peuvent apprendre la langue et l'histoire culturelle des minorités dans le cadre du programme d'éducation aux intérêts. L'étude d'un tel programme sera financée par l'État avec une dotation ciblée aux communes, ainsi que par les communes elles-mêmes. Les minorités concernés sont les suivantes: russe, polonaise, juive (hébreu), ukrainienne, estonienne, lituanienne, biélorusse et rom/tsigane (romani). Selon les informations mises en ligne sur le site Internet du ministère des Affaires étrangères de la Lettonie en juin 2018, des programmes d’enseignement pour les minorités existaient dans huit langues : le russe, le polonais, l’hébreu, l’ukrainien, l’estonien, le lituanien, le biélorusse et le romani. L’État a procuré des financements à 104 écoles mettant en place de tels programmes (parmi elles, 94 ont mis en place des programmes en russe et bilingues, 4 en polonais et bilingues, 1 en ukrainien et bilingues, 2 en hébreu et bilingues, 1 en letton et lituanien, et 1 en letton et en estonien) et 68 écoles proposant à la fois des programmes d’enseignement en letton et dans les langues minoritaires (« écoles à double cursus »).

Au niveau primaire, dans les écoles ou les classes mettant en œuvre le programme destiné aux minorités, une partie des cours se déroule dans la langue minoritaire et une partie en letton. Au secondaire, 60% des cours sont donnés en letton et 40% dans une langue minoritaire. De plus, tout élève qui termine ses études primaires ou secondaires dans une autre langue apprend également la langue officielle et passe le test de langue nationale. Sans réussir le test de compétence en langue lettone, il n'est pas possible d'obtenir de diplôme pour l'enseignement primaire ou secondaire en Lettonie.

L’introduction progressive de la langue officielle dans les programmes d’enseignement pour les minorités semble avoir amélioré sensiblement la maîtrise du letton. Ainsi, en 1989, soit dans les dernières années de l’Union soviétique, seuls 23% des habitants non lettons pouvaient communiquer en letton, mais en 2009, cet indicateur atteignait plus de 90%.

- L'enseignement secondaire

Quant à l’enseignement public secondaire (correspondant aux années 10e, 11e et 12e), la Loi sur l'éducation de 2022 prévoyait une transition vers un enseignement exclusivement offert en langue lettone. Si la mise en œuvre de ce processus est répartie sur un certain nombre d’années, certains niveaux de classe devaient être transférés vers l’enseignement en letton dès 2004. Les langues autres que le letton sont autorisées comme langue d’enseignement dans les écoles privées (fréquentées par très peu de jeunes en Lettonie) ou dans des écoles mettant en œuvre les «programmes d’éducation pour les minorités». Dorénavant, il est exigé que les écoles secondaires des minorités offrent un enseignement pour au moins 60 % du temps en letton, la langue officielle; les 40 % qui restent peuvent être dans les langues des minorités, c'est-à-dire généralement en russe.

Les matières liées au pays d’origine ethnique des élèves peuvent être enseignées dans la langue minoritaire (par exemple les langues, la littérature, l'histoire, la culture, etc.). Depuis le mois de septembre 2004, le nombre de matières enseignées en letton est passé de trois à cinq pour les élèves de 10e année fréquentant les écoles secondaires publiques. L'enseignement secondaire, financé par l'État, est offert en huit langues minoritaires : le russe, mais aussi le polonais, l'hébreu, l'ukrainien, l'estonien, le lituanien, le biélorusse et le romani. Évidemment, la plupart des écoles secondaires minoritaires enseignent le russe (40 %). Dans les faits, outre le russe, on dénombre actuellement cinq écoles secondaires publiques financées par l'État : l'école secondaire juive S. Dubnov de Riga, l'école secondaire polonaise I. Kozakevica de Riga, l'école secondaire polonaise de Daugavpils, l'école secondaire ukrainienne de Riga, l'école secondaire lituanienne de Riga. Il existe également des établissements scolaires privés qui dispensent un enseignent dans une langue autre que le letton, presque exclusivement en russe. Fondé en 1921, le Lycée français de Riga (avec plus de 800 étudiants) est un établissement letton qui dispense un enseignement renforcé du français, correspondant à une étude approfondie de la langue, de la littérature, de la culture, de l’histoire et de la géographie françaises. Installé dans les mêmes locaux, l'Institut français de Riga assure la formation scientifique et culturelle des étudiants et celle des futurs professeurs lettons de français.

- Les controverses

C'est évidemment sur la communauté russophone que l'impact de la réforme en éducation pèse le plus, car les russophones représentent de loin la première minorité de Lettonie, représentant 24% de la population de ce petit pays de 1,8 million d'habitants, loin devant les autres minorités (Polonais, Juifs, Ukrainiens et Bélarusses) dans un État où les Lettons, eux, ne forment que 62% de la population. Pour les russophones, la réforme du système d'éducation en Lettonie a pour effet d'abandonner l'enseignement secondaire dans les langues minoritaires, lequel a existé dans le pays durant un siècle, y compris la période de l'indépendance avant la Seconde Guerre mondiale. Cette réforme est perçue par les membres de la minorité russophone comme une violation de leurs droits et une discrimination manifeste.

Les représentants de la minorité russophone affirment que l'application de la nouvelle législation norme 60/40 en matière d'éducation publique a un impact négatif sur la capacité des élèves à recevoir leur enseignement. Ils croient que cette modification privera les 10 000 élèves russophones de ces écoles secondaires de bénéficier d'un environnement culturel favorable à leur langue maternelle.

De plus, le gouvernement russe, les médias russes et le parti pro-Kremlin Latvijas Krievu savienība (Union lettone-russe) capitalisent sur cette question comme un exemple clair de discrimination contre les minorités russes, le Parlement russe allant jusqu'à menacer de sanctions la Lettonie si les réformes étaient mises en œuvre. L'un des principaux arguments utilisés est que l'enseignement de la langue lettone était autorisé à l'époque soviétique, il est donc juste que les russophones bénéficient des mêmes droits aujourd'hui. L'argument souvent utilisé contre ce droit est que la Lettonie n'a pas choisi d'être illégalement occupée et annexée par l'Union soviétique, mais cette interprétation rend la question encore plus épineuse, car le gouvernement russe et certains russophones en Lettonie rejettent l'idée que l'occupation lettone était illégale.

Par contre, les autorités lettones croient que le nouveau régime pédagogique aidera les jeunes russophones à mieux rivaliser avec les Lettons sur le marché du travail. Il est vrai qu'au cours des dernières années la réforme a eu pour effet de faire fermer beaucoup d'écoles russes, lesquelles sont concentrées principalement dans les plus grandes villes de la Lettonie: Riga, Daugavpils, Jelgava, Jurmala, Liepaja, Ventspils et Rezekne. Selon le gouvernement letton, on assiste à une augmentation de la demande pour l'enseignement du letton, ce qui se traduit forcément par une baisse de la demande pour l'enseignement en russe. Par exemple, pour l'année scolaire 2005-2006, plus de 73 % des élèves de première année du primaire ont commencé leurs études en letton. Cette nouvelle situation pourrait s'expliquer par le fait que de nombreux parents non lettons désirent assurer à leurs enfants une éducation qui leur offrira davantage de possibilités sur le marché du travail ou pour l'accès aux études universitaires. En somme, les écoles sont fermées parce que le nombre d'élèves diminue, non pas parce qu'elles enseignent en russe. La langue russe n'est pas interdite en Lettonie, mais il est interdit par la loi de glorifier, de justifier et de nier le génocide et les crimes commis par l'Allemagne nazie.

La Lettonie a signé des accords de coopération avec la Pologne, Israël, l'Estonie, la Lituanie, l'Ukraine et la Biélorussie pour assurer des standards de formation professionnelle aux enseignants des écoles destinées aux minorités nationales. Les enseignants des écoles primaires bénéficient de primes supplémentaires, l'équivalent de 30 % du salaire, lorsqu'ils travaillent dans des écoles minoritaires parce qu'ils doivent être bilingues. Il s'agit en quelque sorte d'une prime au bilinguisme.

- Les écoles privées

Certaines écoles privées offrent également un enseignement dans d’autres langues que le letton. Toutefois, le nombre d’établissements d’enseignement privés au primaire et au secondaire utilisant d’autres langues est négligeable. Selon les données communiquées par le ministère de l’Éducation, en 2018-2019, on comptait 58 établissements d’enseignement primaire et secondaire privés en Lettonie (de la 1re à la 12e année) : six d’entre eux étaient des écoles internationales, tandis que onze écoles enseignaient en russe, huit en letton et en russe, deux en anglais, un en allemand, un en letton et en français, un en hébreu, et le reste uniquement en letton. Au cours de cette même année scolaire, le nombre total d’élèves inscrits dans les programmes d’enseignement pour les minorités ethniques (russe-letton bilingue) des établissements privés s’élevait à 1484.

- Les langues étrangères

L'enseignement des langues étrangères dans le cadre du système d'éducation letton est réglementé par la Loi sur l'éducation (1998) et la Loi sur l'instruction publique (1999). Toutes les langues, à l'exception du letton et du live, sont considérées comme des langues étrangères. L'apprentissage d'au moins deux langues étrangères à l'école est obligatoire.
En 2012-2013, environ 85% des élèves apprenaient au moins une langue étrangère à l'école. À l'école primaire, environ les trois quarts des élèves apprennent au moins une langue étrangère; au collège et au lycée (7 à 12 ans de scolarité), presque tous les élèves apprennent deux langues étrangères. L'anglais est de loin la langue étrangère la plus enseignée (98% des élèves apprenaient l'anglais en 2012-2013). Il était suivi du russe (40%), de l'allemand (13%) et du français (2%).

En 2022, le ministère de l'Éducation et des Sciences prévoyait d'exiger l'une des langues de l'Union européenne ou une langue étrangère dont l'apprentissage est réglementé par des accords intergouvernementaux conclus dans le domaine de l'éducation, comme deuxième langue étrangère langue dans tous les établissements d'enseignement à partir de l'année scolaire 2026-2027. Cela signifie qu'il ne sera plus possible d'apprendre le russe comme deuxième langue étrangère dans les écoles, car cette langue n'est ni une langue officielle de l'UE, ni aucun accord international qui garantirait une telle possibilité. Le Ministère estime que ces changements contribueront à la pleine inclusion des jeunes dans l'espace éducatif européen et favoriseront l'apprentissage des langues officielles de l'UE, ce qui à son tour ouvrira de larges occasions d'emploi dans l'UE et au-delà.

Les enfants apprennent actuellement leur première langue étrangère à l'école dès la 1re année et celle-ci doit être l'une des langues officielles de l'Union européenne. L'anglais est la langue la plus couramment choisie. La deuxième langue étrangère est enseignée dans les établissements d'enseignement qui mettent en œuvre des programmes pédagogiques en letton à partir de la 4e année. Les documents officiels des programmes ne précisent pas quelle langue étrangère, par exemple le français, l'espagnol ou l'allemand, l'école doit proposer d'apprendre comme deuxième langue étrangère. Le choix est déterminé par l'établissement d'enseignement lui-même, conformément aux objectifs de développement de l'établissement et en collaboration avec le conseil d'administration de l'établissement d'enseignement. Le ministère de l'Éducation et de la Culture souligne que les préférences des parents et des élèves, ainsi que l'offre d'enseignants qualifiés de l'école, jouent également un rôle important dans le choix d'une deuxième langue étrangère.

La période de transition est prévue pour trois ans, afin que les écoles puissent garantir le nombre d'enseignants de la deuxième langue étrangère, à la fois en attirant de nouveaux enseignants et en offrant aux pédagogues existants la possibilité de se recycler et d'obtenir le droit d'enseigner une autre matière. Parallèlement, le Ministère a entamé des négociations avec l'Université de Lettonie pour discuter des questions de formation des enseignants de langues étrangères et de recyclage des enseignants. D'autres langues telles que l'estonien, le lituanien, le suédois, le finnois, etc., sont également enseignées dans les écoles.

5.3 L'enseignement supérieur

L'enseignement supérieur ou universitaire financé par l'État est offert uniquement en letton, mais un certain nombre d’établissements d’enseignement privés peuvent utiliser le russe ou l'anglais comme langue d'enseignement. Les principales universités et établissements supérieurs lettons sont l'Université de Lettonie, l'Université de Daugavpils, l'Académie lettone des arts, le Conservatoire letton, l'Académie maritime lettone, l'Université lettone d'agriculture de Jelgava, l'Académie médicale de la Lettonie, l'École de police de Lettonie, l'Université d'aviation de Riga, l'Université technique de Riga, l'École d'administration des affaires de Turiba, l'Université de Ventspils, l'Université de Vidzeme, etc. 

Les étudiants, qui s'inscrivent dans une université d'État et dont la langue maternelle n'est pas le letton, doivent se soumettre à un test d'entrée sur leur connaissance de la langue lettone et un autre test portant sur leur connaissance de l'anglais. Dans la plupart des universités, il existe des départements d'études slaves où le russe, l'ukrainien et le biélorusse sont enseignés comme «langues étrangères spécialisées».

Les travaux nécessaires à l'obtention d'un diplôme académique (licence, master) et scientifique (doctorat) doivent être principalement élaborés et défendus en letton. Les cas exceptionnels sont liés aux programmes d'études mis en œuvre dans le cadre des programmes de l'Union européenne et de la coopération prévue par les accords internationaux.

6 Les médias, la vie économique et sociale

Selon l’article 1er de la Loi sur la presse et autres médias (1990-2020), quiconque bénéficie en Lettonie de la liberté d'expression, tandis que la censure de la presse et des autres médias n'est pas autorisée:
 

Article 1er

Liberté de la presse


La présente loi a pour objet de protéger le droit à la liberté d’expression consacrée par la Constitution de la république de Lettonie.

La censure de la presse et des autres médias n’est pas autorisée.

Aucune monopolisation de la presse et des autres médias n’est autorisée.

Article 7

Information pour fins de non-publication

Il est interdit de publier des informations qui constituent un secret d’État ou tout autre secret spécialement protégé par la loi, lesquelles incitent à la violence et au renversement du système existant, prônent la guerre, la cruauté, la supériorité raciale, nationale ou religieuse et l’intolérance, et incitent à commettre d’autres crimes.

Les médias, tant écrits qu’électroniques, peuvent diffuser dans n’importe laquelle langue, sauf ceux qui appartiennent à l’État. S'il n'y a pas de loi ni de règlement concernant la langue des publications dans la presse écrite, la situation est différente dans les médias électroniques.

6.1 La presse écrite

Les minorités nationales de Lettonie disposent de nombreux journaux et magazines, surtout en russe. Les russophones peuvent compter sur une cinquantaine de journaux locaux publiés en russe. Les journaux russes les plus populaires sont le Panorama Latvii (entre 20 000 à 35 000 exemplaires), le Chas (entre 16 000 et 20 000 exemplaires), le Vesti-Segodnja (environ 25 000 exemplaires), le  Bizness i Baltija et le Telegraf. Durant une seule année (1999-2000), les russophones ont pu bénéficier d'une version russe du journal letton Diena ("Le Jour"), mais l'édition russe a cessé ses publications dès l'an 2000. Les autres minorités nationales (Biélorusses, Ukrainiens, Polonais, etc.) peuvent compter sur des magazines culturels ou religieux à faible tirage parce que ces publications visent un groupe ethnique spécifique.

De façon générale, on peut déplorer qu'une partie de la presse de langue lettone ait tendance à ignorer le point de vue des groupes minoritaires et qu'elle les décrive parfois de façon négative. À l'opposé, les journaux de langue russe se montrent trop critiques à l’égard des autorités lettones et se limitent aux sujets propres aux intérêts des russophones ainsi qu'à ceux des groupes minoritaires slaves (Biélorusses, Ukrainiens et Polonais).

6.2 Les médias électroniques

L'article 2 de la Loi sur les médias électroniques (2010) réglemente la procédure et les règles de fonctionnement des médias électroniques commerciaux, non commerciaux et publics relevant de la juridiction de la Lettonie et répond aux prescriptions de la Loi sur la langue officielle:
 

Article 2

Objet et portée de la loi

1)
La loi réglemente la procédure et les règles de fonctionnement des médias électroniques commerciaux, non commerciaux et publics relevant de la juridiction de la Lettonie, ainsi que le fonctionnement d'autres entités juridiques dans les cas prévus par la présente loi.

2) Les objectifs de la présente loi sont les suivants :

4. promouvoir l'intégration de la société sur la base de la langue lettone; répondre aux prescriptions de la Loi sur la langue officielle, promouvoir la pleine mise en œuvre des fonctions constitutionnelles de la langue lettone en tant que langue officielle de la Lettonie, en particulier pour veiller à ce qu'elle serve de langue commune de communication mutuelle pour tous les résidents lettons ; assurer sa préservation et son usage en déterminant l'ordre dans lequel les médias électroniques relevant de la juridiction de la Lettonie emploient la langue officielle pendant le temps de diffusion, conformément aux intérêts publics, et en prévoyant en même temps le droit d'employer les langues minoritaires et autres dans les médias électroniques.

L'article 19 de la loi prévoit au moins une émission télévisée, qui contient principalement des programmes d'information, d'analyse et d'information produits dans un État membre ou des États membres de l'Union européenne dans l'une des langues officielles de l'Union européenne; la loi prévoit au moins une émission télévisée dont au moins 50 % du temps de diffusion total est la langue officielle, à la condition que le temps de diffusion total de ladite émission soit d'au moins 18 heures par jour, le propriétaire (titulaire ) des programmes ayant reçu une autorisation de diffusion pour la production de l'émission concernée et pour sa distribution en Lettonie, et doit respecter les réglementations relatives aux autorisations de diffusion, garantir la fourniture d'un signal continu et de haute qualité aux médias électroniques concernés, lesquels assurent la distribution des émissions de télévision.

L'article 28 de la Loi sur les médias électroniques prescrit des règles concernant l'emploi des langues à la télévision et au cinéma:
 

Article 28

Langue des émissions, de la diffusion et de la publicité

1)
Chaque émission doit avoir lieu dans une langue, la langue de l’émission, sauf disposition contraire de la présente loi.


2) Les émissions de télévision et les extraits d'émission dans d’autres langues sont traduits dans la langue de l'émission. Cette condition ne s’applique pas aux programmes ou extraits d’une émission dans la langue officielle, aux programmes d’apprentissage des langues, aux transmissions directes interactives (lorsqu’un lien est établi entre les participants et les téléspectateurs d'une émission pendant la diffusion en direct), aux interprétations ou exécutions de compositions musicales et aux programmes de coopération transnationale pendant la diffusion en direct, ainsi que dans le cas visé à l’article 8, paragraphes 3et 4, de la Loi sur les médias électroniques et leur gestion.

2.1) Les émissions radiophoniques des médias électroniques doivent être dans la langue officielle ou en langue étrangère. Une émission ou un fragment d'émission dans une émission de radio de médias électroniques en langue étrangère, qui est en langue nationale, doit être traduit dans la langue officielle.
[...]

3) Les films projetés doivent être enregistrés, doublés ou sous-titrés dans la langue officielle. Le texte doublé et enregistré, parallèlement à l’accompagnement du son original et des sous-titres dans la langue officielle, doit être créé dans une qualité qui assure une compréhension suffisamment précise du texte de la langue originale. Les films destinés aux enfants doivent être doublés ou enregistrés dans la langue officielle. [...]

4) Les émissions de télévision en langues étrangères, à l’exception des émissions directes, des émissions d’information et d’apprentissage des langues doivent être sous-titrées en letton. Cette condition ne s’applique pas à la retransmission ni aux programmes distribués sur les réseaux de communications électroniques de télévision par satellite qui, conformément à l’autorisation de radiodiffusion et aux conditions de base d’exploitation des médias électroniques pertinents soumis au Conseil national des médias électroniques, sont destinés à des publics cibles qui ne résident pas en Lettonie.

En janvier 2023, la Lettonie vivait encore dans un espace d'information dans lequel la langue russe était absolument dominante, selon le Conseil national des médias électroniques de masse (NEPLP). On comptait alors 252 médias disponibles en Lettonie, dont 127 d'entre eux diffusaient en russe et seulement 42 en letton.

Plusieurs stations de radio russophones qui ne tenaient pas compte des dispositions juridiques furent suspendues par le Conseil national des médias électroniques. Le même conseil a souvent reproché aux chaînes de télévision lettones de diffuser trop de films en russe. En cas d'infractions répétées, le Conseil peut aussi intenter une action contre la chaîne ou la station, et demander le retrait de la licence. Le résultat immédiat des restrictions linguistiques dans les médias électroniques a eu pour effet d'inciter les russophones de se tourner vers la télévision par câble ou par satellite dont les stations émettent en russe. Bref, c'est un effet pervers qui fait perdre à la fois des revenus aux médias lettons et limite l'intégration sociale tant désirée par les autorités lettones.

Des citoyens russophones ont contesté devant les tribunaux le système des quotas imposés par la loi. Après avoir refusé d'entendre la cause pour des raisons de procédure, la Cour constitutionnelle de Lettonie a annulé, le 6 juin 2003, les restrictions sur l'usage des «langues étrangères» (celles des minorités) à la radio et la télévision nationales. Dans leur réponse écrite, les juges ont estimé que les minorités nationales avaient le droit reconnu de préserver et de développer leur langue et que la législation devait garantir l'usage illimité de leur langue le secteur public des médias électroniques. À leur avis, l'État a le devoir de garantir que le susdit droit est mis en œuvre et protégé contre toute violation.

À l'heure actuelle,  la quatrième station de radio, Latvijas Radio 4, diffuse la plupart de ses émissions en russe. La même station de radio diffuse, en raison d'une demi-heure par semaine, une émission (''Doma Laukums'') en latgalien. Latvijas Radio 4 diffuse des émissions d'information d'une demi-heure quotidienne dans les langues suivantes: en biélorusse, en ukrainien, en polonais, en lituanien, en estonien, en allemand, en arménien, en azéri, en géorgien, en grec, en yiddish et en tatar. Depuis l'invasion de la Russie en Ukraine, toutes les chaînes de télévision en provenance de la Russie sont aujourd'hui interdites.

7 La Convention-cadre du Conseil de l’Europe

La Lettonie constitue maintenant l’un des 40 membres du Conseil de l’Europe. Elle a même signé, le 11 mai 1995, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe. Le 26 mai 2006, la Saeima a ratifié la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. Étant donné que l'expression de «minorité nationale» n'est pas définie par la Convention, la Saeima a décidé qu'au sens de la Convention cette expression comprend les citoyens de Lettonie qui diffèrent par la culture, la religion ou la langue des Lettons et qui ont vécu traditionnellement en Lettonie pendant des générations, et qui se considèrent comme appartenant à l'État letton et à sa société et qui veulent maintenir et développer leur culture, religion ou langue.

En ratifiant la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, la Saeima avait accepté également deux déclarations, postulant que la Lettonie reconnaît la deuxième partie de l'article 10 et la troisième partie de l'article 11 réglementant les domaines de l'usage des langues de certaines minorités:
 

Déclarations consignées dans l'instrument de ratification déposé le 6 juin 2005

(1) La république de Lettonie déclare qu'elle appliquera les dispositions de l'article 10, paragraphe 2, de la Convention-cadre sans préjudice de la Satversme (Constitution) de la république de Lettonie et des actes législatifs actuellement en vigueur qui régissent l'usage de la langue officielle.

(2) La république de Lettonie déclare qu'elle appliquera les dispositions de l'article 11, paragraphe 2, de la Convention-cadre sans préjudice de la Satversme (Constitution) de la république de Lettonie et des actes législatifs actuellement en vigueur qui régissent l'usage de la langue officielle.

Ainsi, la Lettonie s'engage notamment, dans le domaine des libertés linguistiques:

- à permettre l'utilisation de la langue minoritaire en privé comme en public ainsi que devant les autorités administratives;
- à reconnaître le droit d'utiliser son nom exprimé dans la langue minoritaire;
- à reconnaître le droit de présenter à la vue du public des informations de caractère privé dans la langue minoritaire;
- à s'efforcer de présenter les indications topographiques dans la langue minoritaire.

Dans le domaine de l'éducation, la Lettonie s'engage: 

- à assurer la possibilité d'apprendre des langues minoritaires et de recevoir un enseignement dans ces langues;
- à reconnaître aux minorités le droit de créer des établissements d'enseignement et de formation;
- à encourager la coopération transfrontalière et internationale;
- à favoriser la participation à la vie économique, culturelle et sociale;
- à favoriser la participation aux affaires publiques.

La politique linguistique pratiquée par la Lettonie à l'égard de ses minorités demeure ambiguë. L'objectif de vouloir intégrer les communautés minoritaires au sein de la société lettone est fort louable, mais cet objectif a entraîné aussi une grande hostilité entre les communautés lettone et russophone. Les Russes accusent la Lettonie de pratiquer une politique nationaliste et russophobe.

Certes, la situation ethnique ne se compare nullement à celle de la Bosnie-Herzégovine ni à celle du Caucase. Il ne fait pas de doute que les Lettons vivent mal les souvenirs hégémoniques du russe, ainsi que la place modeste du letton sous le régime soviétique. Mais le système a créé deux «solitudes» qui ne se croisent jamais. Ainsi, les quotas imposés à la radio et à la télévision ont eu un effet pervers dans la mesure où les russophones se sont rués vers la télévision par câble et la télévision par satellite, alors que les chaînes lettones voient réduire leur auditoire de façon constante.

La politique linguistique nationaliste a renforcé les positions de méfiance de la part des Lettons à tel point que les russophones ne veulent plus participer à la vie politique du pays. Ces derniers ont été marginalisés, pour ne pas dire exclus au sein de l'État letton. Il n'y a presque pas de russophones dans les structures hiérarchiques de l'État, pas plus que dans l'administration publique ou dans le monde judiciaire. Cette participation des russophones dans l'administration et la justice est estimée respectivement à 4% ou à 6%, pour ne pas dire à moins de 3%. De plus, le taux des chômeurs russophones est deux fois plus élevé que chez les Lettons. Alors que les détenus russophones forment 66 % des prisonniers, le taux est de 30 % pour les Lettons.

Or, les russophones de la Lettonie sont là pour rester et ne s'en iront pas en Russie où ils ne seraient pas les bienvenus, et ils le savent trop bien!  La plupart d’entre eux considèrent la Lettonie comme leur pays et ils ne connaissent pas la Russie, pourtant si proche. Dans un avenir peu lointain, on ne voit pas comment les Lettons accepteraient de restreindre leurs velléités nationalistes et de cesser leur lutte contre la langue russe. Par ailleurs, beaucoup de jeunes Lettons en ont assez d'être «contaminés» par la propagande nationaliste et revancharde; ils considèrent même que le discours des ultranationalistes est carrément «fanatique».

Dans l'état actuel des choses, le dialogue entre les deux principaux groupes linguistiques semble peu probable. Certains propos de l'ex-présidente de la Lettonie, Mme Vaira Vike-Freiberga (de 1999 à 2007) sont révélateurs de l'idéologie actuelle: «Il faut qu'ils comprennent que c'est un pays indépendant et que, s'ils deviennent des Lettons d'origine russe, ils seront avant tout des Lettons. S'ils veulent rester russes, qu'ils partent en Russie.» Lorsque le chef de l'État refuse verbalement qu'une minorité de 24% ait droit à sa langue, ses traditions et sa culture, l'exemple vient de haut. Il semble bien que la présidente du pays, qui a vécu quelques décennies au Canada (Montréal), ait oublié que le Québec traitait avec plus d'égard sa minorité anglophone (voir le texte).

En fait, la politique linguistique de la Lettonie semble le résultat d'un ensemble complexe de différents facteurs. Comparativement au russe, le letton peut apparaître comme une toute petite langue. Et les moyens dont dispose une petite langue pour se défendre d’une grande langue doivent être à la hauteur! C’est d’ailleurs l’un des problèmes actuels en Lettonie: les russophones de Lettonie acceptent difficilement leur nouveau statut de minoritaires, eux qui ont été habitués à se considérer comme le principal groupe linguistique. 

Cependant, les Lettons ne referont pas l'histoire! La tolérance linguistique n'est pas seulement le lot des russophones, alors que l’acceptation des russophones à la nouvelle situation semble une nécessité pour assurer une cohabitation harmonieuse dans un pays qui vit des situations conflictuelles. Pendant que des médias condamnent la politique linguistique du gouvernement en la rendant hostile à la population, d'autres réclament l’unilinguisme letton dans toute la Lettonie ou proposent le russe comme seconde langue officielle! L'ex-présidente de la Lettonie, Mme Vaira Vike-Freiberga, déclarait en entrevue à un journaliste québécois:
 

Il y a seulement un million et demi de Lettons au monde. C'est le seul endroit ici où l'on peut parler notre langue. À plus forte raison, on doit la protéger. On ne peut pas avoir deux langues officielles. Ce n'est pas possible.

Ce point de vue est tout à fait légitime, mais l'unilinguisme officiel peut laisser la place à des accommodements tout à fait raisonnables en matière de langue. Le modèle letton est celui de l'unilinguisme, non le bilinguisme. Soucieux de conserver une image positive dans l’opinion publique internationale, notamment au Conseil de l’Europe, le gouvernement letton a intérêt à préserver les droits linguistiques des minorités nationales. Il conviendrait probablement que le gouvernement explique davantage sa politique linguistique dans des émissions de radio ou de télévision, ainsi que dans les médias écrits. Quant aux russophones, il leur faudra finir par accepter leur nouveau statut de minoritaires et oublier leurs réticences à l’égard de la Lettonie, leur «pays d’accueil». On peut certes soupçonner les raisons qui amènent les russophones à s'opposer à leur lettonisation, il ne faudrait quand même pas s'en étonner. Quelle communauté accepterait sa liquidation sans rien dire? Il reste encore beaucoup de pain sur la planche pour les autorités lettones avant de parvenir à réussir l'intégration sociale de ses minorités, surtout la russophone. Les deux solitudes risquent de continuer à se tourner le dos!

Pour le moment, la Lettonie doit encore composer avec les fantômes de son passé soviétique, car elle n'a pas réussi à tourner la page. Il faut admettre que l'invasion de la Russie en Ukraine a traumatisé les Lettons qui appuient massivement les Ukrainiens. Lorsque, au journal télévisé en soirée, les Lettons regardent les horreurs de la guerre en Ukraine, ils revoient l’occupant soviétique dans leur pays et se rappellent la mise au rancart de leur langue, de leur culture réduite à un rôle folklorique et des milliers de personnes envoyés au goulag. En un sens, la Russie de Vladimir Poutine conforte les Lettons à réduire les droits des russophones dans ce petit pays.

Dernière mise à jour: 19 févr. 2024