Royaume du Maroc

Maroc

Al Mamlakah al Maghribiyah

Capitale: Rabat
Population: 29,1 millions (2000)
Langue officielle: arabe classique
Groupe majoritaire: arabe dialectal ou marocain (60 %)
Groupes minoritaires: amazighe (40 %), français, espagnol
Langue coloniale: français
Système politique: monarchie parlementaire
Articles constitutionnels (langue): préambule de la Constitution de 1996 (première phrase)
Lois linguistiques: le décret no 2-78-455 du 25 chaoual 1398 relatif aux écoles normales supérieures (B.O., 4 octobre 1978); le décret no 2-78-452 portant réforme du régime des études et des examens en vue de la licence en droit; l’arrêté du ministre de l'Éducation nationale no 542-86 (15 rejeb 1406) instituant un certificat de fin d'études préparatoires et organisant les modalités et les conditions de son obtention (B.O., 21 mai 1986); circulaire n° 53/98 datée du 11 décembre 1998.

1 Situation géographique

Le Maroc est un État d’Afrique du Nord limité au nord par l’océan Atlantique, le détroit de Gibraltar (15 kilomètres) et la Méditerranée, à l’est et au sud par l’Algérie et au sud-ouest par la Mauritanie (voir la carte détaillée). Le Maroc est donc situé à l’extrême nord-ouest de l’Afrique, juste en face de l’Europe, dont il n’est séparé que par les 17 km du détroit de Gibraltar. Le Maroc fait partie des États du Maghreb dont c'est le pays le plus occidental. Avec ses 706 550 km² (avec le Sahara occidental, dont 264 000 km² pour les provinces sahariennes), le Maroc est le plus grand pays de la région après l'Algérie; il atteint, par exemple, le double de la superficie de l'Allemagne réunifiée. 

Le Maroc est découpé en wilayas, provinces et préfectures. Le royaume du Maroc comprend 16 «régions administratives» divisées en 17 wilayas, ces dernières sont subdivisées en 71 provinces et préfectures (sans compter les 1547 communes urbaines et rurales):

Les régions administratives

Régions administratives

1)   Oued Eddahab-Lagouira 
2)   Laâyoune-Boujdour-Sakia El Hamra 
3)   Guelmim (Es Smara) 
4)   Souss-Massa-Draâ 
5)   Gharb-Chrarda-Béni Hssen 
6)   Chaouia-Ourdigha
7)   Marrakech-Tensift-El Haouz 
8)   Oriental 
9)   Casablanca 
10) Rabat-Salé-Zemmour-Zaër 
11) Doukkala-Abda 
12) Tadla-Azilal
13) Meknès-Tafilalt
14) Fès-Boulmane
15) Taza-Al Hoceima-Taounate
16) Tanger-Tétouan  

Map of Morocco

Afin de résoudre le problème lié au développement disproportionné des grandes villes, l'État a, au début des années quatre-vingt, subdivisé l'espace urbain en plusieurs provinces dont la coordination administrative est assurée par la wilaya, alors que la représentation de la population est assurée par la Communauté urbaine. La formule de la wilaya a été appliquée à Casablanca en 1982 avant d'être étendue aux grandes villes du pays au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ( Rabat-Salé, Fès, Meknès, Marrakech, Oujda,Tétouan, Agadir et Laayoune). Le Maroc qui ne comptait que 17 provinces en 1959 en compte aujourd'hui 71 et 17 wilayas; le Sahara occidental est désormais intégré au découpage administratif du territoire national. 

Cela étant dit, le Maroc compte quatre régions géographiques naturelles: les montagnes du Rif au nord-est, la côte atlantique à l'ouest avec ses villes importantes (Agadir, Essaouira, Safi, Casablanca, Rabat, Tanger, etc.), à l'est les montagnes du Moyen-Atlas et du Haut-Atlas, ainsi que au sud-ouest les terres sahariennes (voir la carte détaillée).

Le Maroc a été nommé par les géographes arabes al-maghreb al-aqsâ, c'est-à-dire «le pays de l'extrême couchant», puis Al Mamlakah al Maghribiyah («royaume du Maroc»).

2 Données démolinguistiques

Le pays comptait 29,1 millions d'habitants en 2000. Des trois principaux pays du Maghreb, le Maroc est celui qui présente la situation linguistique la plus complexe: l'arabe classique et l'arabe moderne pour les plus instruits, l'arabe dialectal ou arabe marocain pour quasiment toute la population, le berbère, appelé amazighe (le rifain dans le Rif, le tamazight dans le Moyen-Atlas, le tachelhit dans le Souss), pour environ 40 % des Marocains, le français pour ceux qui fréquentent les écoles, l'espagnol pour une faible partie de la population du Nord, et l'anglais qui tend à s'imposer en tant que véhicule de la modernité.  La Constitution du Maroc ne fait aucune mention de ces langues, sauf pour l'arabe (dans le Préambule).

La répartition de cette population est très inégale au Maroc: 90 % des habitants vivent dans le nord du pays. La capitale, Rabat (1,5 million d'habitants en 1997), se classe derrière l'agglomération de Casablanca (3,2 millions d'habitants), mais devant Fès (719 000 habitants), Marrakech (644 000 habitants), Meknès (484 000 habitants), Tétouan (484 000 habitants), Agadir (420 000 habitants) et Tanger (410 000 habitants). Les musulmans (98,7 %), principalement sunnites, constituent la quasi-totalité de la population.

2.1 L'arabe

La langue arabe s'est introduite au Maroc au VIIe siècle, notamment dans la partie nord-ouest du pays. L'arabe s'est implanté encore davantage auprès des populations berbères à la suite de la fondation de la ville de Fès par Idris II en 808. À partir du 1118, le Maroc vit arriver un flux massif de tribus hilaliennes qui arabisèrent profondément la population locale. Puis, suite à la Reconquista espagnole du XVe siècle, le pays reçut des centaines de milliers d'Andalous arabophones qui s'installèrent dans des centres urbains comme Rabat, Fès, Salé et Tétouan.  C'est alors que le processus d'arabisation s'amplifia et atteignit tout le nord du pays.

On estime que 65 % de la population actuelle du Maroc parle l'arabe comme langue maternelle. Mais le Maroc, à l'instar des autres pays arabophones, compte deux types d'arabe: l'arabe classique et l'arabe dialectal. 

L'arabe dialectal (ou arabe marocain) reste la langue maternelle de tous les Marocains arabophones. Il sert généralement d'outil de communication entre les locuteurs arabophones et berbérophones. Bien qu'il soit socialement dévalorisé, l'arabe dialectal constitue la langue la plus employée dans tout le Maroc. Comme ailleurs, l'arabe dialectal connaît plusieurs variétés: on oppose souvent les dialectes urbains aux dialectes ruraux (ou bédouins), les dialectes orientaux (Tanger, Tétouan, etc.) aux dialectes du Gharb (Casablanca, Kénitra, etc.), les particularismes de type rbati (Rabat), fassi (Fès), marrakchi (Marrakech), etc.  L'arabe marocain et le berbère (avec ses variétés) demeurent les langues maternelles de la quasi-totalité des Marocains.

Quant à l'arabe classique, il n'est la langue maternelle d'aucun Marocain et il n'est pas utilisé comme véhicule spontané de communication, pas plus au Maroc que dans tout autre pays arabe. L'arabe classique demeure pour tout arabophone la langue de la prédication islamique et de l'enseignement religieux (la langue du Coran), puis celle de la langue écrite en concurrence surtout avec le français. Mais c'est également la référence et l'outil symbolique de l'identité arabo-musulmane.  Aux yeux des nationalistes, l'arabe classique représente le moyen de lutte contre l'oppression linguistique exercée par l'Occident à travers ses langues, que ce soit le français, l'espagnol ou l'anglais. Qu'il soit dialectal ou classique, l'arabe fait partie de la famille des langues chamito-sémitiques (ou afro-asiatiques).

2.2 Le berbère (amazighe)

Si les arabophones parlent diverses variétés dialectales, les berbérophones utilisent également une grande variété de dialectes et de parlers régionaux. Il ne faut pas oublier que les berbérophones sont présents dans une dizaine de pays couvrant près de cinq millions de kilomètres carrés et compte près de 20 millions de locuteurs (voir la carte linguistique berbérophone). Au Maroc, les berbérophones comptent pour au moins 40 % de la population et constituent le minorité linguistique la plus importante du pays. Ils parlent principalement le tachelhit (2,3 millions), le tamazight (1,9 million), le tarifit (1,5 million) ou le ghomara (50 000), mais il existe beaucoup d'autres variétés ne comptant qu'un nombre restreint de locuteurs. De façon habituelle, on distingue les variétés suivantes:

- le rifain (ou zenatiya ou tarifit), parlé dans le Rif, au nord-est;
- le tamazight (ou braber) parlé dans le Moyen-Atlas, une partie du Haut-Atlas et plusieurs vallées; il dispose d’un alphabet (le tifinagh) également utilisé par les Touaregs;
- le tachelhit pratiqué par les Chleuhs du Haut-Atlas, du Souss et du littoral du sud du Maroc.

Il est possible de consulter une carte linguistique permettant de nous donner une certaine idée de la répartition des langues berbères au Maroc, en cliquant ICI, s.v.p.  Cependant, il convient de préciser que la berbérophonie au Maroc, contrairement à celle de l'Algérie, n'est pas aussi clairement territorialisée que cette carte le laisse supposer. En réalité, il existe des arabophones partout, y compris dans les aires berbérophones, notamment tout autour de ces zones où les langues sont davantage mélangées. Par ailleurs, dans toutes les grandes villes du pays, on compte de très nombreux berbérophones, que ce soit Rabat, Tanger, Casablanca, Marrakech, Fès, etc. 

Quoi qu'il en soit, il s'agit dans tous les cas, comme l'arabe, de langues chamito-sémitiques (ou afro-asiatiques). Tous les Marocains écrivent soit en arabe classique soit en français. On n’écrit pas en arabe dialectal ni généralement en berbère qui possède néanmoins une écriture: l'alphabet tifinaghe.  

Au Maroc, la langue berbère est appelée amazigh dans la mesure où on parle du «berbère standardisé». En ce cas, on ne fait plus la distinction entre le rifain, le tamazight ou le tachelhit. En français, le mot berbère est dérivé du grec barbaroi et retenu par les Romains dans barbarus, puis récupéré par les Arabes en barbar et enfin par les Français avec berbère. Étymologiquement, ce terme désigne avant tout les «gens dont on ne comprend pas la langue», c'est-à-dire les étrangers. Autrement dit, le mot berbère avait une signification bien négative, puis par extension le mot a même signifié «sauvage» ou «non civilisé». Avec le temps, le mot berbère a fini par perdre son sens péjoratif pour désigner les Amazighes. Pour les linguistes francophones, le mot berbère renvoie à un groupe linguistique parmi les langues chamito-sémitiques. Quant aux Berbères, ils préfèrent se désigner eux-mêmes par le terme amazighe, ce qui signifie «homme noble» ou «homme libre». La terminologie officielle du gouvernement marocain utilise aussi le terme amazighe (ou amazigh).

2.3 Le français

Depuis la signature du traité de Fès, le 30 mars 1912 jusqu'à la proclamation de l'indépendance le 2 mars 1956, le français était la langue officielle du régime du protectorat et de ses institutions. Même après cette date, le français a conservé un rôle privilégié en tant que première langue étrangère langue seconde généralisée du Maroc. Les dirigeants marocains ont pourtant entamé une ambitieuse politique d'arabisation qui s'est poursuivie avec effort jusque vers 1976, avant de connaître un certain essoufflement. Aujourd’hui, un certain pragmatisme semble avoir pris la relève, qui a fait place à la «cohabitation linguistique». Le Maroc compte encore quelque 80 000 Français et 20 000 Espagnols. Il y a aussi un certain nombre de Marocains qui ont perdu leur langue arabe marocain: ce sont ceux qui ont émigré en France et qui sont revenus après plusieurs années.

Le français est la seule langue au Maroc, qui puisse prétendre d'être à la fois lue, écrite et parlée, tout en étant la langue de toutes les promotions sociales et économiques. La langue française a gardé des positions importantes dans l'éducation, la politique, l'Administration et les médias, ce qui n'est pas rien, il va sans dire. Il ne faut pas oublier que la France est demeurée le principal partenaire économique du Maroc, voire le premier client, le premier investisseur, et le premier formateur de cadres marocains à l'étranger. De son côté, le Maroc participe aux Sommets de la Francophonie et adhère à l'Agence universitaire francophone (AUF), à l'Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF), ainsi qu'à divers autres organismes internationaux francophones.  

Cela étant dit, le français n'est pas connu par tous les Marocains. Pour parler et lire le français, il faut avoir fréquenté l'école jusqu'à la fin du secondaire. Comme près de 50 % des enfants marocains ne terminent pas leur secondaire, il arrive qu'ils oublient ensuite le peu de français qu'ils ont appris. Bref, le français est connu et utilisé par tous ceux qui ont fait des études universitaires, qui tiennent des commerces importants, qui font des affaires, qui jouent un rôle primordial dans la vie culturelle de la nation ou qui sont en contact régulier avec les touristes. Beaucoup de Marocains peu instruits ne parlent donc que l'arabe dialectal.

2.4 L'espagnol et l'anglais

L'espagnol est présent sur le territoire marocain depuis la chute de Grenade en 1492 et ensuite l'arrivée des Maures et des Juifs chassés d'Espagne. Cette langue est devenue plus «populaire» à la suite de la colonisation espagnole à la fin du XIXe siècle, surtout dans le Sahara occidental.  La conférence d'Algésiras (1906), qui entérinait l'intervention des puissances occidentales au Maroc, reconnut à l'Espagne et à la France des droits particuliers. En dépit de l'opposition de l'Allemagne, le traité de protectorat, finalement imposé au sultan du Maroc, fut signé à Fès le 30 mars 1912. Mais, en novembre 1912, la convention de Madrid plaçait le nord du pays (Sahara occidental) sous protectorat espagnol.

Après l'indépendance du Maroc en 1956, la récupération du Rif au nord, d'Ifni et du Sahara occidental en 1975, l'espagnol perdit beaucoup de sa vitalité. Aujourd'hui, l'espagnol n'a gardé qu'une faible position dans des centres comme Tanger, Tétouan, Nador. Par contre, le Sud demeure encore très influencé par l'espagnol qui est enseigné au secondaire et à l'université en tant que langue étrangère. Dans de nombreux cas, l'espagnol prévaut sur le français dans le Sud.

Pour ce qui est de la langue anglaise, il faut reconnaître que sa position reste encore faible sur le «marché linguistique» marocain, mais sa force augmente lentement et sûrement en raison de son statut au plan international. L'intelligentsia marocaine, formée à l'école anglo-américaine, estime que le français n'a pas le monopole de la modernité. L'anglais pénètre dans des champs traditionnellement tenus par le français, comme l'éducation, la recherche et les médias. Certains croient qu'il faudrait que le Maroc passe de la francophonie à la francophilie et à l'anglophonie, mais c'est sans compter sur la force d'inertie, et les ressources limitées en matière d'éducation (en personnel et en financement).    

3 Données historiques

Les vestiges paléolithiques révèlent que la région est habitée depuis environ 10 000 ans. On sait aussi les populations qui s’installèrent peu après étaient probablement originaires de l’Europe et de l’Asie. Elles donnèrent naissance aux ancêtres des Berbères. On sait peu de choses de la langue de ces peuples, appelée «libyque», d'autant plus que leur écriture semble encore quasi indéchiffrable tout en présentant des similitudes avec le tifinagh des Touareg.

Au VIIe siècle avant notre ère, les Phéniciens fondèrent des comptoirs commerciaux sur la côte méditerranéenne de l’Afrique du Nord à l'intérieur de territoires portant des noms d’origine berbère, tels que Tingi (Tanger), Casablanca et Russadir (Melilla). Cependant, la civilisation phénicienne resta marginale, car son influence semble ne pas avoir pénétré profondément à l’intérieur des terres où des royaumes berbères furent fondés: celui de Maurétanie ou «pays des Maures», apparu au IVe siècle avant notre ère dans le nord du Maroc, et celui des Masaesyles, à l’est.

3.1 L'Empire romain

Après la chute de Carthage en 146 avant notre ère, l'Empire romain eut du mal à étendre son influence à l'intérieur du pays du fait de la résistance des Berbères. Les Romains se contentèrent d'abord d'assurer leur domination de tout le littoral africain baigné par la Méditerranée, d'est en ouest (jusqu’au détroit de Gibraltar). C'est de cette époque que date pratiquement le partage territorial du Maghreb entre ce qui, plus tard, allait devenir le Maroc et l’Algérie. Les Romains s’allièrent avec Bocchus, un roi berbère qui régnait sur toute la région à l’ouest de la Moul
ouya (fleuve du Maroc oriental, tributaire de la Méditerranée). Durant la période romaine, des routes furent construites et des villes furent fondées; l’agriculture se développa, tandis que le commerce prospérait. Le latin s'implanta peu dans la région au cours de cette période d'occupation.

Entre 25 et 23 avant notre ère, Juba II, le souverain berbère administra la région appelée Mauretania (ou Maurétanie correspondant à l'actuelle Algérie et à l'actuel Maroc). Vers 42 de notre ère, l’empereur romain Claude Ier annexa l’ensemble de la Mauretania à son empire, puis la divisa en deux provinces: la Maurétanie tingitane (de Tanger), correspondant au Maroc actuel, et la Maurétanie césarienne (l’Algérie). Miaa les Romains n'ont contrôlé que le nord du pays parce que la résistance berbère obligea les Romains à se replier dans la région de Tanger. Au cours de cette période, les populations berbères conservèrent leurs langues, bien que le latin soit devenu la langue administrative. À partir du IVe siècle, le christianisme se développa après la conversion à la nouvelle religion de l'empereur Constantin.

À l'arrivée des Vandales en 429, le présence chrétienne s'est maintenue, mais les envahisseurs germaniques se fondirent dans les populations locales. Le général byzantin Bélisaire reprit la région en 533 et y imposa les lois de l’Empire byzantin. Néanmoins, cette reconquête fut limitée dans l’espace, seul le Nord fut solidement maintenu. Au point de vue linguistique, la région était aux prises avec les langues berbères, le latin des populations romanisées et le grec comme langue administrative.

3.2 La conquête arabe (Ve siècle)

La conquête musulmane commença au Maroc avec une première expédition menée par Oqba ibn Nafi (681). Mais les tribus berbères montagnardes, qui n’avaient pas plus accepté la domination de Byzance que celle de Rome, les obligèrent à se replier. La véritable conquête musulmane débuta une vingtaine d’années plus tard, c'est-à-dire entre 705 et 707, sous la direction de Musa ibn Nusayr, qui sut profiter des clivages entre les tribus berbères pour les soumettre. Les musulmans manquèrent de cadres administratifs; ils les trouvèrent souvent chez les «mawalis» (affranchis ou clients), les lettrés chrétiens et les juifs autochtones (des Berbères pratiquant le judaïsme). L’implantation arabe fut cependant longue et difficile, car les Berbères résistèrent autant à l'arabisation qu'à l'islamisation. Cette résistance prit, entre autres, la forme du kharijisme, un mouvement musulman contestataire et égalitaire s’appuyant sur une stricte lecture du Coran et récusant le mode de succession du califat, qui privilégiait l’appartenance à la lignée du Prophète. En 742, une révolte éclata dans les montagnes marocaines, mais les Berbères finirent pas s'islamiser complètement, sans jamais s'arabiser.

Les tribus berbères contrôlèrent néanmoins leur territoire jusqu'à l'apparition d'Idris Ier en 788, qui fonda la dynastie arabe des Idrissides (789-974). et oeuvra pour l'unification des Berbères dans un cadre indépendant du califat.  C’est de cette époque que date la fondation de la ville de Fès, qui devint un important centre religieux et intellectuel sous le règne d’Idris II. À sa mort en 828, le royaume idrisside entra dans une période de déclin.

3.3 Les dynasties berbères (XIe au XVIe siècle)

À partir du IXe siècle, le Maroc fut dirigé par trois dynasties successives et qui tentèrent d'imposer leur autorité sur les régions musulmanes. Les Almoravides (de l’arabe al-Murabitun: le murabit était celui qui pratiquait la défense de l’islam par les armes et menait une vie pieuse), des Berbères islamisés du Sud marocain, dirigés par Youssouf ibn Tachfine, conquirent le Maroc et fondèrent un empire, avec Marrakech comme capitale en 1062, englobant l'ouest de l'Algérie et l'Espagne musulmane. Les Almoravides fondèrent Marrakech en 1062. Les descendants de la dynastie se heurtèrent à la résistance chrétienne en Espagne. Au début du XIIe siècle, l’empire almoravide comprenait l’Espagne musulmane, le Maghreb occidental et central et le Sahara.

Dans la première moitié du XIIe siècle, une autre dynastie, celle des Almohades (de l’arabe al-muwahhidun, les «unitaires»), marqua le triomphe des Berbères sédentaires de l’Anti-Atlas. À l’apogée de leur puissance, les Almohades exercèrent leur autorité sur l’actuelle Algérie, la Tunisie, la Libye, ainsi que sur une partie du Portugal et de l’Espagne (voir la carte détaillée). Le Maghreb musulman en profita pour se libérer également de la tutelle de l’Orient. Mais en 1212, les forces musulmanes furent vaincus sur le sol de l'Espagne lors de la bataille de Las Navas de Tolosa. Ce fut le déclin des Almohades et de l’Espagne musulmane.

C'est alors que les Beni Merin (ou Mérinides), des Berbères arabisés, en profitèrent pour se soulever. En 1269, ils prirent le pouvoir et fixèrent leur capitale à Fès. Ils ne ne réussirent pas à maintenir longtemps leur empire, car ils durent faire face à l’avancée chrétiens, la Reconquista («reconquête») espagnole gagnant le territoire marocain lui-même.

Par la suite, les Espagnols et les Portugais se partagèrent les côtes de l'Afrique du Nord: l'Espagne s'appropria les rivages méditerranéens, tandis que le Portugal s'empara du littoral atlantique. Au cours de cette période, les populations berbères s'étaient certes islamisés, mais ils ont toujours su conserver leurs langues.

3.4 Les dynasties chérifiennes (XVIe et XVIIe siècles)

La progression des Européens provoqua la réaction des Beni Saad (ou Saadiens), chérifs descendant du Prophète et installés aux confins du Sahara dès leur arrivée d'Arabie au milieu du XIVe siècle. Les Saadiens prirent la direction de la guerre sainte («jihad») contre les Portugais, qu’ils chassèrent d’Agadir en 1541 pour s'attaquer ensuite aux successeurs des Mérinides, les Wattassides. Ils se rendirent maîtres du Maroc en 1554 avec la prise de Fès.

Le sultan Ahmad al-Mansur, le plus illustre souverain de a dynastie, s'opposa aux Turcs déjà maîtres de l'Algérie et de la Tunisie, et rétablit l'ordre dans le pays en le dotant d'une solide organisation. Sous son règne, le pays connut un âge d'or marqué par le développement de l'agriculture et l'édification de monuments prestigieux. Après la mort de al-Mansur, le pays fut à nouveau partagé par les puissances locales.  parmi lesquelles figure celle des chérifs alaouites dans le Tafilalet, aux portes du désert. Grâce au prestige que leur accordait leur ascendance alaouite, ils s’appuyèrent sur le désir d’indépendance des habitants de la région pour se poser en prétendants au trône. En 1664, Moulay Rachid fonda la dynastie alaouite, qui règne encore de nos jours sur le Maroc.

La dynastie alaouite connut son apogée sous Moulay Ismaïl (1672-1727), le bâtisseur de Meknès et le monarque marocain le plus célèbre en Occident. Il s’engagea dans la reconquête du pays sur les chrétiens (Espagnols et Portugais occupant des ports) et mena la lutte contre les Ottomans. Son règne fut suivi d’une longue période de rivalités familiales, ponctuées de brefs interludes de paix et de prospérité relatives. Vers la fin du XVIIIe siècle, il ne restait plus que le tiers septentrional du Maroc qui demeurait sous l’administration du sultan: c’était le Bled el-Maghzen, pays soumis à l’impôt, donc à l’autorité chérifienne, tandis que le reste du pays se trouvait en situation de quasi-insoumission (Bled el-Siba, «pays de la dissidence»). Cet état d'affaiblissement du royaume chérifien ne pouvait que tenter les puissances européennes à un moment où elles cherchaient à étendre leurs colonies.

3.5 La pénétration européenne (1833-1912)

La prise d'Alger par les Français en 1930, très mal accueillie au Maroc, amena le sultan Moulay Abd al-Rahman (1822-1859) à soutenir l'émir Abd el-Kader dans sa lutte nationaliste. En tentant de reprendre les villes de Ceuta et Melilla, les Marocains déclenchèrent une expédition espagnole qui s’empara de Tétouan, en 1860. L’affaiblissement du Maroc, contraint de payer d’importantes indemnités de guerre, suscita les rivalités européennes.

Entre 1900 et 1903, la France occupa une partie du Maroc. En 1904, la France, la Grande-Bretagne et l’Espagne conclurent des accords qui prévoyaient un partage du Maroc. L’Espagne étendait son influence sur le Rif, dans l’arrière-pays de Ceuta et de Melilla; la Grande-Bretagne renonçait à ses visées sur le reste du pays au bénéfice de la France, en contrepartie de l’abandon de celles de la France sur l’Égypte. La conférence d’Algésiras d'avril 1906 plaça le Maroc sous la tutelle des puissances européennes, tandis que l'influence prépondérante de la France s'affirmait avec l'envoi de troupes à Casablanca. En 1911, assiégé dans Fès par les Berbères révoltés, le sultan Moulay Hafizfit appel à la France. Le 30 mars 1912, le sultan se résolut à signer le traité de protectorat qui mettait son pays sous la tutelle française.

3.6 Le protectorat français (1912-1956)

Après l'abdication de Moulay Hafiz en faveur de son frère Moulay Youssef, la «pacification» du pays commença sous la conduite du général Louis Hubert Gonzalve Lyautey. Marrakech fut occupée en septembre 1912, et Agadir l’année suivante. Jusqu’en 1925, Lyautey, nommé «résident général» du Maroc (de 1912 à 1926), s’efforça de mener une politique respectueuse envers les habitants du pays. Il pratiqua une politique berbériste tout en affichant officiellement une certaine légalité.

Toutefois, l'occupation française, renforcée par l'arrivée massive de colons, provoqua de nombreuses révoltes nationalistes dont la plus importante, la guerre du Rif, dirigée par Abd el-Krim, se poursuivit de 1921 à 1926. Elle ne put être matée que par une alliance militaire franco-espagnole dirigée par le maréchal Pétain, à la tête d’une force de près de 100 000 hommes; le Haut-Atlas ne fut soumis officiellement qu’en 1934. La vallée du Draa et les oasis du Sud restèrent encore longtemps en état de dissidence. On estime qu’entre 1921 et 1934 la conquête du Maroc coûta la vie de 27 000 hommes à la France (métropolitains et troupes africaines).

À partir de 1830, la France tenta de
calmer les Berbères, qui représentaient à l'époque 57 % de la population. L'Administration coloniale publia ce qu'on a appelé par la suite au Maroc le «dahir berbère» (16 mai 1930). Il s'agit d'un décret français (appelé dahir au Maroc) qui reconnaissait la spécificité des Berbères par rapport à l’administration arabe. Plus précisément, ce dahir avait pour but l’adaptation de la «justice berbère» aux conditions propres de l’époque et, de ce fait, correspondait à l’esprit de la politique inaugurée au Maroc par Lyautey quand il signa le dahir du 11 septembre 1914. Le dahir du 16 mai 1930 concerne donc toutes les tribus où l'usage du droit coutumier berbère est courant, indépendamment de leur origine ethnique et raciale. Il distingue les «tribunaux modernes» (français), les «tribunaux religieux» (la Charia) et les «tribunaux coutumiers» (p.ex., la réglementation de la distribution des eux des rivières entre les familles d'une même tribu). Le but était de préserver l’autonomie traditionnelle des Berbères, essentiellement dans le domaine juridique, en les soustrayant à la législation islamique de la Charia. Par ailleurs, le dahir berbère ne traitait pas de la langue, il n'y fait même aucune allusion (voir le texte du célèbre dahir).

Mais les Arabes, ainsi que les fonctionnaires coloniaux, crurent que si les Berbères pouvaient être préservés de toute influence arabe, et musulmane, il serait possible d’en faire des «Français» par le canal des juridictions françaises, des écoles françaises et de la religion chrétienne! Paul Marty, un officier français, exprima clairement et officiellement, en 1925, ce que devrait être la politique berbère du Protectorat. Pour lui, l'assimilation des Berbères n'était possible que grâce aux écoles franco-berbères, dont il définit ainsi la forme et la fonction:

L’école franco-berbère, c’est donc l’école française par l’enseignement et la vie, berbère par les élèves. Donc, pas d’intermédiaire étranger. Tout enseignement de l’arabe, toute intervention du "fquih", toute manifestation islamique seront rigoureusement écartés... En résumé, ces écoles berbères seront autant des organismes de politique française et des instruments de propagande que des centres pédagogiques proprement dits.

Pour ce faire, il aurait fallu que les Berbères manifestent la volonté d'opter pour la «nationalité française», une attitude peu probable de leur part. Une autre difficulté résidait dans le fait que la France puisse accepter d'accorder aux Marocains la nationalité française et d'en faire des citoyens à part entière, ce qui n'était guère dans les intentions de la France, du moins à cette époque.

Ce dahir de 1830 entraîna la première réaction nationaliste des milieux arabisés, qui accusèrent la France de vouloir diviser le pays au profit des Berbères pour mieux assurer son autorité. C’est d’ailleurs à la même époque que se constitua le Comité d’action marocaine, le premier parti politique réclamant la fin de l’administration directe. Or, la France voulait d’une manière ou d’une autre s’immiscer dans les affaires religieuses des Marocains. Ce dahir de mai 1930 n'était qu'un dahir comme les autres, mais les milieux nationalistes arabes ne l'ont pas perçu ainsi.

Rappelons que le Maroc, au temps du protectorat, abritait plus d'un demi million de Français, qui y détenaient les leviers de commande et dominaient le secteur économique; on peut mesurer l'importance de ce dahir ou décret pour pour eux. On peut penser que les Français habitant le Maroc préféraient recourir aux tribunaux de juridiction française pour défendre leurs intérêts. Fort peu de Marocains ont dû se prévaloir de ces tribunaux dits «modernes» pour faire valoir leur droit, et ce, d'autant plus que tous, tant les Arabes que les Berbères, s'opposaient à l'application du code pénal français. Les Berbères préféraient, par exemple, cacher les membres de leur famille dans les montagnes, les armer d'un fusil et les approvisionner, plutôt que de les faire arrêter par la gendarmerie française. Le nombre des maquisards, appelés «bandits d'honneur» a été estimé à 1300 individus à la veille de la guerre de l'indépendance. Groupés en unités paramilitaires, ils n'attendaient généralement qu'un signe pour entrer en rébellion contre les autorités françaises.

3.7 La lutte pour l'indépendance et l'unification du royaume

Lors de la Seconde Guerre mondiale, la défaite française de 1940 suscita les espoirs des nationalistes marocains. Les troupes marocaines furent intégrées à l’armée française et participèrent aux opérations militaires jusqu'à la fin du conflit. Après la guerre, la poussée nationaliste se fit plus pressante. Le sultan Mohammed Ben Youssef revendiqua l’indépendance du Maroc, mais il dut s'exiler en août 1953. Puis la France, déjà engagée dans la guerre d'Algérie, devait également faire face à la révolte nationaliste en Tunisie et sortait à peine de la guerre en Indochine. Elle décida alors de s’orienter vers une solution politique : le sultan fut rappelé au Maroc. Le gouvernement d’Edgar Faure négocia les modalités de la déclaration de La-Celle-Saint-Cloud (novembre 1955), qui déboucha sur l’indépendance du pays le 3 mars 1956. En août 1957, le sultan qui jouissait déjà d’une immense popularité fut proclamé roi du Maroc, sous le nom de Mohammed V.

Le roi Mohammed V avait dû accepter l’indépendance de son pays amputé des enclaves espagnoles et ne comprenant pas les territoires que les nationalistes, au nom de l’histoire, estimaient marocains, c'est-à-dire tout le Sahara jusqu’au Niger et au Sénégal: autrement dit, la région de Tindouf, qui faisait partie de l’Algérie française, le nord de l’actuel Mali jusqu’à Tombouctou, la Mauritanie et le Sahara-Espagnol. Même s'il ne renonçait pas définitivement à ces territoires, le roi considérait néanmoins que l’indépendance immédiate était préférable.

Plus tard (1969), le Maroc réussit à faire partir les Espagnols à évacuer l’enclave d’Ifni, avant de mener la lutte pour l’indépendance du Sahara-Espagnol. En 1974-1975, le Maroc exerça de fortes pressions sur l’Espagne afin qu’elle renonce à son territoire saharien. Les Espagnols quittèrent la région en 1976 et cédèrent les deux tiers nord de leur colonie au Maroc et le tiers sud à la Mauritanie. Celle-ci se retira du conflit en 1979, et le Maroc occupa le territoire abandonné.

Le roi Hassan II, monté sur le trône en 1961, promulgua en 1962 une nouvelle constitution établissant un parlement à deux chambres. Il entérina la politique d'arabisation de l'enseignement et de l'Administration, politique commencée dès 1957, alors que le français avait été déclaré «langue étrangère».  Le Conseil supérieur de l'Éducation nationale avait exigé que l'arabe soit la seule langue d'enseignement. En réalité, l'arabisation s'inscrivait dans une logique de décolonisation par un processus de légitimation et de défense de l'arabe. Comme dans les autres pays arabophones, l'arabe préconisé était celui du Coran, pas celui du peuple. L'arabité et l'islamité formèrent les piliers d'une réappropriation identitaire. Finalement, le choix de l'arabe classique comme langue officielle eut pour effet d'évacuer en même temps le français en tant  que symbole du colonialisme et le berbère perçu comme un symbole de division de la société marocaine.

Puis le régime de Hassan II demeura autoritaire. En juin 1965, après des émeutes populaires sévèrement réprimées, le roi suspendit le Parlement et assuma les pleins pouvoirs, occupant également la fonction de premier ministre. Le roi échappa à deux attentats (le 10 juillet 1970 et le 16 août 1972). Hassan II fut l'instigateur de la «Marche verte» sur le Sahara espagnol (6-9 novembre 1975), qu'il annexa peu après.

3.8 Le royaume du Maroc aujourd’hui

Le roi Hassan II soutint la cause arabe en 1967 lors de la guerre contre Israël et s’employa à consolider l’unité arabe, en fondant le comité Al-Quds (nom arabe de «Jérusalem») en faveur du retour de la Ville sainte à l’islam, tout en nouant des relations discrètes avec les Israéliens. En 1970, un nouveau référendum constitutionnel renforça les pouvoirs de l’exécutif. Pourtant, en 1971, à Skirat, et en 1972, au cours d’un voyage aérien, Hassan II échappa à deux attentats, dont le dernier avait été fomenté par le général Oufkir, qui fut exécuté. Face au malaise social et aux critiques nationales et internationales concernant les violations des droits de l’Homme, Hassan II multiplia les offres d’ouverture vers l’opposition. Durant la plus grande partie de son règne, Hassan II ignora la question berbère (amazighe) et réprima sévèrement les militants pro-berbères. En 1979, un projet de création d'un Institut national d'études et de recherches amazighes fut officiellement évoqué, mais il n'a jamais vu le jour.

Aux contestations républicaines s’ajouta, au cours de la même période, l’essor d’un mouvement islamiste. Commandeur des croyants, descendant du Prophète et fondateur du comité Al-Quds, Hassan II s’employa à neutraliser les islamistes sur leur terrain en lançant la construction d’une immense mosquée à Casablanca dotée d’un minaret de 172 m (le «Phare de l’islam»), inaugurée en 1988. Après de nouvelles émeutes populaires à Fès, en 1990, Hassan II gracia, en 1991, quelque 2000 détenus. La même année, la Charte d'Agadir fut élaborée, ce qui correspondait au premier document officiel présentant les revendications culturelles et linguistiques des Berbères du Maroc. La Charte propose une modification constitutionnelle laissant la place à la langue amazighe à côté de la langue ar
abe.  Le 20 août 1994, le roi Hassan II déclara :

Au moment où nous engageons une réflexion nationale sur l'enseignement et les cursus, il convient d’envisager l'introduction, dans les programmes, de l'apprentissage des dialectes, sachant que ces dialectes ont contribué, au côtés de l’arabe, la langue mère, celle qui a véhiculé la parole de Dieu […] au façonnement de notre histoire et de nos gloires.

Destinés à calmer les esprits, ces propos, perçus par tous comme une véritable promesse, constituèrent une amorce vers la reconnaissance de la langue amazighe. Cependant, les termes employés demeuraient vagues et les échéances relativement à son enseignement, encore plus imprécises. C'est pourquoi ce discours royal ne se traduisit par aucune application immédiate en matière d'enseignement.

La libéralisation du régime de Hassan II s’est accompagnée de négociations avec l’Union européenne (UE). Rejetant le raidissement dictatorial qui marqua l’Algérie et l’immobilisme politique de la Tunisie et de la Libye, le royaume chérifien a signé, en novembre 1995, avec l’Union européenne un important accord de libre-échange qui concrétisait le souhait du Maroc de jouer le rôle d’un pont entre l’Europe et l’Afrique.

En 1996, le roi désigna son fils aîné, le prince héritier Sidi Mohammed, comme son successeur au trône. Miné par la maladie, le souverain s'attacha à régler la question des «disparus», qui jetait une ombre sur son règne. Le décès d'Hassan II survint le 23 juillet 1999.

Sidi Mohammed, âgé de 36 ans, monta sur le trône sous le nom de Mohammed VI. Peu de temps après son intronisation, le nouveau roi s'adressa à son pays par la télévision, et promit de s'occuper de la pauvreté, de la corruption, de créer plus d'emplois et d'améliorer les droits de l'homme. Mohammed VI est généralement opposé aux conservateurs islamistes et son soutien au pluralisme politique lui a mis à dos les fondamentalistes.

Quant à la question berbère, Mohammed VI a, en cinq ans, fait davantage avancer la cause qu'en trente-huit ans de règne de Hassan II. Le manifeste amazigh, qui a lancé en 2000 la renaissance du mouvement, replace l'identité marocaine, arbitrairement définie jusque là comme «arabe». Dans un discours où il annonçait la création de l'Institut royal de la culture amazighe, Mohammed VI a évoqué «notre identité amazighe et arabe», ce qui correspond à un langage d'ouverture manifeste. Afin de consolider l’état de droit, le roi a élargi l’espace des libertés, comme en témoignent la réforme et l’actualisation du Code des libertés publiques, relativement à la création des associations, aux rassemblements publics et à la presse. De plus, lancé à titre expérimental dans 317 écoles du royaume, l'enseignement du tamazight devrait être généralisé d'ici 2013, selon les projections du ministère de l'Éducation, qui a lancé une vaste campagne de formation de plus d'un millier d'enseignants berbérophones. Ainsi, l'identité berbère semble sur la voie de la reconnaissance officielle à la suite des efforts d'un puissant réseau associatif militant pour «la réhabilitation historique de la berbérité du Maroc et la reconnaissance du tamazight comme langue officielle».

4 La politique d’arabisation

Au lendemain de l’indépendance, les dirigeants marocains ont commencé une ambitieuse politique d’arabisation qui devait progressivement remplacer le français par l’arabe classique. Tout a commencé en 1961 lorsque le gouvernement a tenté d’arabiser l’enseignement. 

En 1980, l’arabisation état complétée pour les quatre premières années du primaire. L’arabisation comptait entre 30 % à 50 % au secondaire. Par la suite, le gouvernement tenta d’arabiser la fonction publique mais sans succès, les fonctionnaires résistant farouchement à leurs privilèges; le gouvernement dut capituler. Quant à l’environnement, c’est-à-dire le situations véhiculées par les médias, la signalisation routière, l’affichage, l’étiquetage, etc., le Maroc entreprit une arabisation en douceur qui se solda par un demi-échec. Au Maroc, l’affichage est resté français, sauf pour les édifices gouvernementaux qui sont devenus bilingues.

À première vue, le Maroc ne semble pas avoir cru bon de proclamer dans un article particulier de sa constitution que l’arabe était la langue officielle du pays. Pourtant, cette proclamation existe dès la première phrase du Préambule de la Constitution de 1996:

Préambule

Le royaume du Maroc, État musulman souverain, dont la langue officielle est l'arabe, constitue une partie du Grand Maghreb arabe.

C'est en vertu de cette disposition que l'arabisation se perpétue au Maroc, mais il s'agit de l'arabe classique, non de l'arabe marocain.

4.1 La politique dans l’administration publique

La Constitution du Maroc (1996) ne contient aucune disposition linguistique. Ainsi, l’arabe classique est la langue officielle dans les faits (de facto) et non de par la loi (de jure). Dans les débats parlementaires, deux langues sont utilisées: l’arabe classique et l’arabe dialectal. Les lois sont rédigées et promulguées en arabe classique, puis elles sont la plupart du temps traduites en français. En matière de justice, seul l’arabe classique est utilisé dans les documents écrits alors que l’arabe dialectal est l’unique langue employée dans les communications orales, sauf pour la sentence toujours donnée en arabe classique.

Dans l’administration publique, les communications orales avec les citoyens se déroulent normalement en arabe dialectal, mais elles peuvent s’effectuer en arabe classique ou en français. Dans les zones berbères, les fonctionnaires peuvent communiquer en l’une ou l’autre des langues berbères, notamment en tachelhit, en tamazight ou en tarifit. Quant aux missives officielles, elles sont généralement disponibles et en arabe classique et en français, mais la version arabe n’est à peu près jamais utilisée. Dans les hôpitaux ou autres établissements de santé, les soins sont assurés en arabe classique et en français, sauf dans les régions berbères où ils peuvent être dispensés oralement en berbère. En somme, le français continue d’exercer dans l’administration publique une hégémonie très grande au Maroc.

Le Bulletin officiel du Royaume du Maroc possède une édition de traduction officielle en français. Concernant la correspondance officielle, l’usage du français a longtemps été autorisé. Mais la circulaire no 53/98 datée du 11 décembre 1998, et émanant du premier ministre, apporte cette directive:

Conformément à la Constitution qui fait de l’arabe la langue officielle de l’État, toutes les Administrations, les Institutions publiques et les Communes sont dorénavant tenues d’utiliser la langue arabe dans leurs correspondances à usage interne ou externe [...]. Par conséquent, toute correspondance dans une autre langue est formellement interdite [… ].

Cette circulaire n'empêche pas les rapports informels qui peuvent se faire en français.

4.2 Le domaine de l’éducation

Dans le domaine de l’éducation, le gouvernement marocain pratique maintenant une politique ouverte à l’égard du français. Depuis deux décennies, le Maroc a accordé au secteur de l'éducation une importance particulière, compte tenu du rôle primordial qui lui revient dans le développement économique, social et culturel. À cet égard, des efforts soutenus sont déployés en vue de permettre à tous les enfants en âge de scolarisation l'accès à l'enseignement et à la formation et, par là, contribuer de manière effective au développement socio-économique du pays.

Dès la maternelle, les enfants apprennent quelques rudiments d’arabe classique et parfois de français. Au primaire, l’apprentissage de l’arabe classique se poursuit, mais l’élève commence à apprendre le français à la troisième année (comme langue seconde). Par la suite, durant tout son cursus, c’est-à-dire jusqu’à la fin du secondaire, l’élève marocain apprend l’arabe classique et le français, mais cette dernière langue est toujours enseignée en tant que langue seconde. Fait insolite: le ministère de l’Éducation impose un examen d’entrée au secondaire, qui comporte deux épreuves dont deux en français. Voici le cursus actuel d’apprentissage du français dans l’enseignement public:

          Premier cycle fondamental                                        Nombre d’heures par semaine
Première année                                                                                              0 h
Deuxième année                                                                                             0 h
Troisième année                                                                                              8 h
Quatrième année                                                                                             8 h
Cinquième année                                                                                             8 h
Sixième année                                                                                                 8 h
     Deuxième cycle fondamental                                         Nombre d’heures par semaine
Première année                                                                                               6 h
Deuxième année                                                                                              6 h
Troisième année                                                                                               6 h
 Cycle secondaire    Filières scientifiques    Filières littéraires    Filières techniques
                                                                                                                     Tertiaire   Industriel
Première année                        4 h                                    5 h                             4 h               4 h
Deuxième année                       4 h                                    5 h                            3 h               4 h
Troisième année                       4 h                                    5 h                             3 h               4 h

L'arabe classique est enseigné en raison de 11 heures/semaine pour les deux premières années du premier cycle fondamental, puis de six heures/semaine pour les trois autres années et tout le deuxième cycle fondamental. Au cycle secondaire, l'enseignement de l'arabe classique occupe généralement deux heures/semaines pour les filières scientifiques et cinq heures/semaine pour les filières littéraires.

Pour ce qui est du berbère, il a toujours été interdit d'en faire usage dans les écoles depuis l'indépendance. Mais les autorités pédagogiques régionales peuvent, «si besoin est», entrevoir des consignes sur 'enseignement de l'amazigh «comme outil d'enseignement». Les négociations sur le statut de l'amazigh comme langue d'enseignement sont encore en cours et paraissent difficiles. Les objectifs pédagogiques visent, pour le moment, l'assimilation linguistique à l'arabe. Cependant, l'enseignement de l'amazigh peut être autorisé «comme matière» à raison de trois heures par semaine.

Il n’existe pas de dispositions juridique réglementant l’enseignement universitaire. Le service juridique au sein du ministère de l’Enseignement supérieur ne dispose d’aucun document contenant des lois réglementant la langue d’enseignement au supérieur. Toutefois, la pratique réelle est de continuer de respecter les directives du décret no 2-78-452 du 4 octobre 1978 portant réforme du régime des études et des examens en vue de la licence en droit (article 8):

Article 8

1) La langue d'enseignement est la langue arabe. Toutefois, à titre transitoire, l'enseignement sera organisé également en langue française. Quant aux disciplines de droit musulman (introduction à l'étude du droit musulman, statut personnel, théorie générale et sources, successions et immeubles non immatriculés), elles sont obligatoirement enseignées en langue arabe.

2) Pendant l'application du régime provisoire, l'étudiant doit faire connaître, lors de son inscription en première année du premier cycle, son intention de suivre les cours en langue arabe ou en langue française. Ce choix est irrévocable, l'étudiant est tenu de participer aux séances de travaux dirigés et de présenter les épreuves écrites et orales dans la langue d'enseignement qu'il aura choisie.

3) Pendant l'application du régime transitoire, l'autorité gouvernementale chargée de l'enseignement supérieurs fixe, au début de chaque année universitaire, après avis du conseil de faculté, la liste des disciplines qui seront enseignées en langue arabe.

4) La discipline de terminologie juridique est enseignée en langue française pour les étudiants qui ont choisi de suivre les cours langue arabe; elle est enseignée en arabe pour les étudiants qui ont choisi de suivre les cours en langue française.

Comme il fallait s'y attendre, le système qui devait rester «transitoire» est devenu permanent. Dans les faits, les sciences humaines, à l’exception du droit, sont généralement dispensées en arabe classique, les sciences (dont les sciences médicales) et les techniques, en français. Sans qu’il n’y ait de règle précise à ce sujet, c’est le professeur qui choisit sa langue d’enseignement, normalement le français. Les élèves connaissant déjà dans quelle langue enseigne le professeur ont ainsi toute la liberté de choisir leur langue d’enseignement. En réalité, il faut bien l’admettre, l’arabisation dans les universités a été grandement ralentie, sinon arrêtée, depuis que les étudiants se sont révoltés parce que leurs diplômes arabes ne leur offraient pas les mêmes débouchés que les diplômes «français» sur le marché du travail. Quant à l’anglais et les autres langues, il s'agit de matières enseignées parmi bien d’autres.

Un mot sur l’enseignement privé au Maroc. Ce secteur connaît une forte expansion depuis plusieurs années. Pour l’État, il convient de déployer tous les efforts nécessaires pour encourager les investissements privés dans ce secteur. Toutes les mesures nécessaires ont été prises pour améliorer la pertinence des apprentissages dans les établissements d'enseignement privé et stimuler ainsi la demande sociale pour l'accès à ce type d'enseignement. En fait, les Français sont entrés en force dans le secteur privé. Or, dans ce secteur, c’est l’unilinguisme français qui règne. On y compte des dizaines de lycées français très recherchés par les classes marocaines aisées; pour un non-Français, les frais de scolarité de ces écoles demeurent hors de prix. Dans l’enseignement du français, ces établissements sont tenus de respecter les horaires minimum de l’enseignement public, mais ils sont libres de les augmenter. Quant aux programmes, ils ne sont aucunement obligés de respecter ceux de l’enseignement public. C’est pourquoi la quasi-totalité des établissements de haut standing appliquent les programmes de la Mission française et utilisent des manuels officiels de l’enseignement français. Il existe également au Maroc une université privée: il s'agit de l'université Al Akhawayne. Dans cet établissement supérieur, la plupart des matières y sont enseignées en anglais.

Enfin, dans le domaine des langues étrangères, les langues les plus répandues sont l’anglais et l’espagnol. Dans les cycles primaire et moyen, leur enseignement est considéré comme «une activité parascolaire»; il devient obligatoire lors du cycle secondaire où sont aussi enseignés l’allemand et l’italien.

4.3  La publicité et l’affichage

La vie économique au Maroc est véhiculée en trois langues: l'arabe dialectal (oral), l'arabe classique (écrit) et le français (oral et écrit). En ce qui a trait à l'affichage et à la publicité commerciale, la presse a souvent fait écho dans le passé à la trop grande importance accordée à une langue étrangère: le français. Dès 1973, le journal L'Opinion (7 mai 1973) rappelait l'existence des arrêtés municipaux qui prescrivaient l'arabe sur toutes les enseignes commerciales et les autres affiches publiques.

Or, ces arrêtés n’ont jamais été appliqués très rigoureusement. De plus, ils n'ont été appuyés par aucune véritable législation de la part du Parlement. Aujourd'hui, l'usage le plus courant est d'utiliser le bilinguisme français-arabe dans l'affichage en général. Cependant, les inscriptions bilingues accordent souvent la priorité au français, ce qui suscite parfois les protestations de la presse. L’unilinguisme arabe est tout de même relativement fréquent, alors que l’unilinguisme français demeure très courant, surtout celle destinée aux touristes. Comme l'unilinguisme français est plus fréquent que l'unilinguisme arabe, cela revient à accorder une certaine prépondérance au français écrit.

En fait, seul l'affichage officiel de l'Administration marocaine paraît systématiquement en deux langues. Il s'agit principalement des édifices gouvernementaux et municipaux, de la signalisation routière et des noms de rues. Au plan visuel, le Maroc semble un État officiellement bilingue (arabe-français). La toponymie est soit française, soit arabe, soit bilingue (avec préséance en arabe). Toutefois, dans certains cas, l'arabe est seulement utilisé dans l'affichage commercial et dans de rares panneaux de la signalisation routière (comme le STOP). En somme, la situation du Maroc ressemble à celle de la Tunisie où le bilinguisme est généralisé, mais la place du français est encore plus importante au Maroc.

4.4 Les médias

Bien que les journaux en langue arabe (classique) soient relativement nombreux, il n'en demeure pas moins que les médias marocains sont très influencés par le français, surtout dans la presse écrite. En effet, la liste des journaux publiés en français, même avec des noms arabes, sont très nombreux, que ce soit pour la presse partisane (L’Opinion, Libération, Albayane, Al-Maghreb, Le Quotidien du Maroc, etc.), la presse d'information générale (Le Matin du Sahara, Les Échos africains, Maroc-Hebdo International, Al-Mahjar, Le Courrier de la Nation, Tidmi, Le Temps du Maroc, Le Courrier africain, Le Quotidien du Maroc, Al Assas, Al Wassit Magazine, Le Musulman, Maroc actuel, etc.), la presse d’informations régionales (La Dépêche de Tanger, Les Échos du Sud, Le Message de Marrakech, La Tribune de Meknès, Nouvelles d’Essaouira, etc.), la presse d'informations économiques (Ecomap, Maroc-Business, Revue marocaine de finances publiques et d’économie, Info-Magazine, Banques et entreprises au Maroc, Le Guide du consommateur, Le Journal de vos vacances, La Gazette du tourisme, Revue marocaine des marchés publics, etc.), la presse scientifique (Espace infirmier, Espérance médicale, Bulletin de la Fédération marocaine pour la santé mentale, Revue marocaine d’odontologie, Revue marocaine de psychiatrie, etc.), la presse culturelle (Maroc-Europe, L’Étudiant marocain, Art et Cultures, Planète Magazine, etc.), la presse publicitaire (Tanger News, Al Barrah, Éclair Annonces, Le Journal des bonnes affaires, etc.), la presse sportive (Balle Green Set, Tanger Sport Magazine, Golf Maroc Magazine, La Gazette du sport, etc.), la presse féminine (Farah Magazine, La Citadine, Femmes du Maroc, etc.), et encore bien d'autres.

Pour la presse électronique, l'arabe est davantage présent. Pour la télévision locale, TVM (Télévision marocaine) et 2M (Deuxième chaîne marocaine) diffusent en arabe, mais partiellement en français. Les télévisions francophones sont TV5, La 5, Arte, EuroNews, Canal + Horizons, Eurosport, MCM International (français-anglais), Canal France International (français-arabe-anglais). Les bulletins de nouvelles à la télévision nationale sont en arabe et en français (en alternance).

La radio est généralement diffusée en arabe classique, en arabe marocain, en français, en anglais et en espagnol. Par exemple, RTM Chaîne Internationale/Rabat est partiellement francophone avec 16 heures de transmission en français par jour (français: 16,2 %; arabe: 81 %; espagnol: 1,2 %), Médi 1 (Radio Méditerranée Internationale)/Tanger) est partiellement francophone avec un nombre d’heures de transmission total est de 21 heures dont la moitié est française, Radio FM Casablanca, partiellement francophone avec 17 h de transmission/jour, Radio Monte Carlo est entièrement francophone (24h/24h), de même que France Inter (24h/24h), mais Radio France Internationale diffuse en français, en arabe et en anglais. L'une des stations de radio marocaines émet en amazigh durant douze heures par jour, mais elle est diffusée sur ondes courtes, donc peu accessible.

5 La politique linguistique à l'égard du berbère (amazighe)

La politique linguistique d’arabisation laisse peu de place à la berbérophonie. Les Berbères, qui constituent au moins 25 % de la population marocaine, appuient le gouvernement dans sa politique de pragmatisme et de cohabitation linguistique avec le français, mais l’arabisation est un couteau à deux tranchants, car elle se fait toujours aux dépens du berbère. Jusqu’à tout récemment, l’arabisation excluait automatiquement la langue berbère, puis le discours politique a commencé à changer, car le gouvernement ne peut pas ignorer les 25 % de berbérophones. Certains faits laissent croire que les Berbères entendent bien ne pas laisser mourir leur langue.

5.1 Les associations berbères

Les associations berbères se sont multipliées au Maroc et la langue berbère, totalement ignorée dans les dernières décennies, est de plus en plus utilisée dans la vie sociale. Ainsi, dans les zones berbérophones, les fonctionnaires marocains peuvent – ce n’est pas obligatoire – communiquer en l’une ou l’autre des langues berbères, notamment en tachelhit, en tamazight ou en tarifit. Évidemment, les associations berbères ne dépendent pas de la politique gouvernementale, mais elles peuvent influencer celle-ci par des moyens de pression.

Au nombre de ces associations, mentionnons l'Association Tafsut (Agadir), L'Association Recherche culturelle et éducative (Agadir), l'Association Douar Aourir (Agadir), l'Association Tiwitza tagadirt aabadu (Agadir), l'Association culturelle Azekka (Azilal), l'Association Tamesna (Casablanca), l'Association culturelle Souss (Casablanca), l'Association Tizi (El Hajeb), l'Assosiation Tidukla (El Jadida), l'Association Asafar (Errachidia), l'Association culturelle Asirem (Errachidia), etc.; il y en a des dizaines du genre.  Beaucoup d'associations ont leur siège sociale en France: le Mouvement culturel Berbère-France, le Collectif culturel berbère, l'Annuaire berbère, Asaru, l'Union des femmes pour la culture berbère,  Espace franco-berbère de Creteil-Azul, Arbalou à la rencontre des Berbères de l'Atlas, l'Association des chrétiens originaires de Kabylie et leurs amis, la Fédération des associations berbères, la Maison de Kabylie, le Mouvement culturel berbère, l'Association Tamazgha, l'Association berbère de Montréal, l'Assocation socioculturelle «Le printemps amazigh», etc. Il existe également des associations berbères dans d'autres pays.

5.2 Le système éducatif

En 1995, grâce à l’aide de la Banque mondiale, le gouvernement marocain avait formé une commission pour travailler à la réforme de l'ensemble du système éducatif et évaluer la possibilité d’enseigner le berbère dans les écoles. Toutefois, la commission n’a jamais fait appel à des spécialistes berbères et a même recommandé le maintien de l'arabisation totale de l'enseignement. C’est pourquoi, jusqu'à récemment, l’enseignement du berbère demeurait interdit. Certains spécialistes marocains, tant arabophones que berbérophones, affirment que, de toute façon, il y aurait pénurie de maîtres formés à cet enseignement et qu’il n’existe pas de matériel pédagogique en berbère. Néanmoins, en mars 2003, l’Institut royal de la culture amazighe et le ministre de l’Éducation nationale se sont entendus pour définir le cadre général de coopération entre les deux institutions et la signature d’une entente globale concernant l’intégration de l’amazighe dans le système éducatif. Une commission mixte, chargée de traiter les aspects éducatifs et techniques de la question, a été également instituée. Suite à ces ententes, plusieurs mesures ont été prises. Citons les suivantes: 

- commencer l’enseignement de l’amazighe dans la première année de l’enseignement primaire à partir de septembre 2003, au sein d’un échantillon d’écoles, dans la perspective de son introduction;

- préparer un plan de formation fixant les programmes et les méthodes d’encadrement à l'intention des enseignants, des directeurs et des inspecteurs;

- préparer le programme de l’amazighe pour les différents niveaux et cycles éducatifs;

- réaliser une étude de terrain dans les écoles, faisant partie de l’échantillon, qui commenceront à enseigner l’amazighe, dans le but de définir les compétences des enseignants, leurs besoins et leur degré de motivation;

- préparer les outils didactiques nécessaires à la réalisation d’un enseignement moderne pour l’amazighe.

5.3 L'écriture tifinague

Par ailleurs, Sa Majesté le roi Mohammed VI a donné son approbation à la proposition de l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) concernant l’adoption de la graphie tifinaghe (tifinak ou tifinar) pour l’enseignement de l’amazighe dans ses trois variétés (tarifit, tamazight et tachelhit). C'est en février 2003 que le Conseil d’administration de l’IRCAM a décidé de choisir le tifinaghe parmi trois types d'alphabets candidats (le tifinaghe, le latin et l'arabe) comme graphie à adopter pour enseigner l’amazighe dans les écoles primaires. Accueilli positivement par la majorité écrasante des composantes du Mouvement culturel amazighe, ce choix semble avoir mis fin à un débat houleux et polémique visant «à priver la langue amazighe de sa propre écriture».

L’alphabet tifinaghe comportera 33 lettres et ne représentera aucune des données phoniques d’aucun parler particulier (tarifit, tamazight et tachelhit), car il est conçu pour écrire l’amazighe standard. La particularité de cet alphabet est de neutraliser dans la langue écrite les traits phonétiques à caractère. Le sens de la lecture et l’écriture tifinaghe est orienté vers la droite. En ce qui a trait à cet alphabet, on peut visiter le site de Monde berbère.com en cliquant ICI, s.v.p.

Toutefois, les Berbères ne sont pas tous d'accord sur la graphie tifinaghe, laquelle est à base d'alphabet arabe. Ainsi, l'Association tamazgha accuse l'IRCAM de «complot visant à freiner l'usage de la graphie gréco-latine largement diffusée». Il s'agirait d'une «stratégie pour propulser l'usage de la graphie arabe, en vue de l'imposer par l'usage». Dans un contexte où l'arabisation est une affaire d'État et où l'amazighe a longtemps été combattu par l'État, l'usage de la graphie arabe jouerait en faveur de l'arabisation. Pour l'Association Tamazgha, il ne faudrait pas voir dans l'adoption de la graphie tifinaghe un geste en faveur de l'amazighe. Rappelons que l'écriture tifinaghe est vieux de trois mille ans et qu'il a été utilisé pour des besoins décoratifs et artistiques en Égypte, au Niger, au Mali, au Burkina Faso et aux îles Canaries.

5.4 Les médias

Pour ce qui est de la radio et de la télévision, l'État marocain diffuse quelques émissions dans trois langues berbères: en tachelhit, en tamazight et en tarifit. Dans l’affichage, le berbère n’est évidemment jamais employé, et ce, d’autant plus qu’il n’est pas considéré comme une langue écrite. Même les textes législatifs adoptés par le Parlement marocain ne font jamais mention de la langue berbère. Dans les circonstances présentes, on ne voit pas comment la reconnaissance politique et juridique du berbère peut se concrétiser. De plus, ni les instances administratives concernées ni les premiers intéressés par la berbérophonie ne se sont engagés dans une mise en oeuvre qui traduise, dans les faits, cette reconnaissance.

5.5 Les noms berbères

Enfin, en 1996, le gouvernement marocain faisait adopter une nouvelle loi (loi du nom de Dahir no 1.96.97) dont le but est d'imposer un règlement sur le choix des noms que tous les citoyens marocains doivent utiliser chez eux et à l'étranger. Cette loi impose une liste officielle de prénoms d’origine marocaine. Or, il appert que ces prénoms d’origine marocaine sont exclusivement arabes et non berbères. La loi marocaine de 1996 contient les dispositions suivantes:

1) Le prénom (de chaque nouveau né) à inscrire au Registre de l'état civil devra être un prénom d'origine marocaine. Ce prénom ne doit pas être d'origine étrangère.

2) Le prénom ne pourra pas faire référence au nom d'une ville, d'un village ou d'une tribu. Il ne devra pas constituer une menace aux coutumes de la société ou à la sécurité nationale.

3) Tous les citoyens marocains vivant en dehors du pays et désirant donner une prénom étranger doivent demander l’autorisation aux autorités compétentes. Tous les changements de prénoms (d'un prénom d'origine marocaine) devront être approuvés par ces mêmes autorités.

Instituée pour préserver apparemment la culture marocaine, la loi impose en réalité des noms arabes à tout un ensemble de citoyens dont plus du quart n'est pas arabophone mais berbérophone. Évidemment, les associations culturelles berbères ont vivement protesté contre cette loi et ont dénoncé l'injustice flagrante imposée à la culture berbère, car la loi force les berbérophones à n'utiliser que des prénoms arabes approuvés par le gouvernement marocain.

On aurait intérêt à consulter la Charte d'Agadir relative aux droits linguistiques et culturels. Cette charte est le fruit d'une réflexion collective qui a marqué ce débat; elle se propose comme une contribution au projet global de l'édification de la culture nationale démocratique.

Le Maroc qui avait commencé en lion sa politique linguistique d’arabisation a mis la pédale douce après une dizaine d’années d’efforts. D’abord, le secteur prioritaire, l’enseignement primaire et secondaire, a été entièrement arabisé, et le français a retrouvé une place non négligeable, celle d’une langue seconde très importante, obligatoire, voire indispensable.

L’administration du pays a continué à utiliser le français comme elle l’avait toujours fait auparavant, sauf qu’elle distribue maintenant des documents en un arabe classique dont personne ne veut. Le Parlement respecte le caractère symbolique de l’arabe classique en son sein, sans que cela ne dérange beaucoup de monde dans le pays, sauf les berbérophones. La vie continue comme avant l’indépendance, sauf que l’arabe prend une place qu’il n’avait pas auparavant.

Les Berbères, dont la langue est encore presque ignorée, sont toujours francophiles parce que le français ne leur nuit pas, contrairement à l’arabe. La politique linguistique actuelle du Maroc, qui ressemble fort à celle de la Tunisie, semble néanmoins satisfaire tout le monde à l'exception des Berbères qui protestent, parfois faiblement: elle consiste à promouvoir l’arabe, sans nuire au français et à ignorer le berbère, la langue de la minorité marocaine.

La reconnaissance de l'arabité constitue l’essentiel de l’identité marocaine. Il semble que le Maroc a davantage réussi à concilier l’apport du français que celui du berbère. Pourtant, le pluralisme culturel dont fait preuve le Maroc relèverait davantage d’une triple identité, à la fois arabo-musulmane, franco-occidentale et berbère. Or, ce dernier aspect n’a pas encore été assumé par les Marocains, qu’ils soient arabophones ou berbérophones. Le problème est identique en Algérie.

Depuis le «printemps berbère» de 1980, la cause de la berbérophonie n’a pas évolué beaucoup au plan politico-juridique. Il semble y avoir une sorte d’incapacité chronique de l’État marocain à intégrer la dimension berbère. Non seulement peut-on y voir là deux forces sociales – l’une arabe, l’autre berbère –, mais aussi une situation potentiellement porteuse d’un conflit majeur susceptible de déboucher sur reconfiguration profonde des données géopolitiques, idéologiques et culturelles dans tout le Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie). Pour le moment, il semble que tous les États se soient donné le mot pour ignorer les droits linguistiques de toutes les minorités berbérophones. Cependant, cette politique est appelée à changer au Maroc, car le gouvernement a décider de libéraliser sa politique linguistique et de laisser davantage de place à l'amazighe, notamment en éducation et dans les médias.

Dernière mise à jour: 10 oct. 2006

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LECLERC, Jacques. Langue et société, Laval, Mondia Éditeur, coll. "Synthèse", 1992, 708 p.

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