Les autochtones du Québec

Distribution géographique
En 1989, le Québec comptait 54 agglomérations autochtones (voir carte 2) : 30 réserves indiennes habitées, 22 villages nordiques (cris et inuit) et 2 villages amérindiens non reconnus (Grand-Lac-Victoria et Chibougamau). Une bande micmaque vivait dispersée dans la ville de Gaspé (constituant ainsi une cinquante-cinquième communauté autochtone), alors que deux réserves appartenant aux Malécites, celles de Cacouna et de Whitworth étaient inhabitées. Ces agglomérations regroupaient les trois quarts des autochtones du Québec. Les autres membres des premières nations vivaient dans des villes et villages à majorité euro-québécoise (Montréal, Québec, Gatineau-Hull, Val-d'Or, Senneterre, etc.).

En ce qui concerne la répartition régionale, 17 villages et réserves autochtones sont situés au Nouveau-Québec, 8 sur le territoire de la baie James, 8 sur la Côte-Nord, 7 en Abitibi-Témiscamingue, 3 en Haute-Mauricie. 3 dans la grande région montréalaise, 2 dans l'Outaouais québécois, 2 en Gaspésie (sans compter la bande de Gaspé), 2 dans la région de Nicolet (rive sud du Saint-Laurent), un au Lac-Saint-Jean et un dans la région de Québec. Une réserve mohawk, celle d'Akwesasne, est partagée entre le Québec, l'Ontario et l'État de New York.

Ces agglomérations sont généralement homogènes du point de vue ethnique (majorité autochtone appartenant à la même nation), avec cependant quelques exceptions. Le village de Poste-de-la-Baleine, par exemple, dans la baie d'Hudson, se subdivise en deux quartiers, séparés par une simple piste d'atterrissage, mais administrativement distincts (et considérés comme deux entités dans les chiffres qui viennent d'être cités) : Whapmagoostui pour les Cris, et Kuujjuarapik pour les Inuit. De même, à Schefferville (Nouveau-Québec), on trouve deux agglomérations sises à quelques kilomètres l'une de l'autre : Matimekosh (pour les Montagnais) et Kawawachikamach (pour les Naskapis).

Le village cri de Chisasibi abrite une population d'une cinquantaine d'Inuit (dont très peu parlent encore leur langue), alors que la réserve montagnaise de Mashteuiatsh compte plusieurs familles d'origine abénakie (toutes de langue maternelle française) installées là depuis le début du siècle. Quelques Algonquins vivent à Kanesatake et quelques Ojibwa originaires de l'Ontario habitent Pikogan, en milieu algonquin. À quelques centaines d'individus près, les agglomérations autochtones du Québec sont donc ethniquement homogènes.

 

GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. Amérindiens et Inuits - Portrait des nations autochtones du Québec, Secrétariat aux affaires autochtones, Québec, 2009, 62 p.

Les Abénakis

Population et territoire

Odanak et Wôlinak, les deux communautés abénaquises du Québec, sont situées sur la rive sud du Saint-Laurent, près de Trois-Rivières, entre Sorel et Bécancour. On compte plus de 2 091 Abénaquis au Québec, dont environ 400 demeurent à Odanak et à Wôlinak. Des centaines d’Abénaquis vivent en dehors de leur communauté, un peu partout en Amérique du Nord.

 Langue

Les Abénaquis appartiennent à la grande famille linguistique et culturelle algonquienne. Au Québec, ils parlent français, et plusieurs d’entre eux connaissent aussi l’anglais. La langue abénaquise est parlée par moins d’une centaine d’aînés.

Histoire

Les Abénaquis sont arrivés au Québec au 17e siècle, à partir des États actuels du Maine, du New Hampshire et du Vermont. Pendant longtemps, la vannerie de frêne et le foin d’odeur ont représenté une source importante de leurs revenus. Chaque été, les familles abénaquises se rendaient aux États-Unis vendre leurs paniers fabriqués durant l’hiver. Puis, au début du 20e siècle, des marchands de Montréal,  Toronto et New York venaient directement à Odanak acheter la production des Abénaquis et leur vendre la matière première. Les familles ont alors cessé leurs voyages estivaux vers les États-Unis.

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Les abénakis se sont établis au Québec entre 1676 et 1680 dans la région de Sillery et ont par la suite vécu pendant une vingtaine d'années sur les rives de la rivière Chaudière, à la hauteur des chutes, avant de se fixer à Odanak et à Wôlinak au début du XVIIIe siècle.

Leur nom est dérivé des termes wabun (l’aube) et aKi (la terre) et signifie «peuple du soleil levant» ou «peuple de l’Est». La légende raconte qu’au début, alors qu’il n’y avait que des plantes et des animaux sur la terre, le Grand Esprit aurait sculpté l’Abénaquis et sa compagne dans un grand frêne droit. Ainsi serait né le peuple de l’Est. Au Québec, la nation abénaquise compte deux communautés, Odanak et Wôlinak, dont les superficies combinées ne dépassent pas les sept kilomètres carrés.

Elles sont situées dans la région du Centre-du-Québec, sur les rives de la rivière Bécancour et de la rivière Saint-François, non loin de Trois-Rivières et de Sorel. Ces deux rivières font partie des terres ancestrales abénaquises qui s’étendaient du Nord-Est des États-Unis (incluant les régions des Bois-Francs et de l’Estrie) jusqu’en Mauricie. Compte tenu de leur emplacement géographique actuel, l’agriculture a supplanté la chasse, la pêche et la trappe en tant qu’activité traditionnelle des Abénaquis.

La population abénaquise est composée au Québec de 2 072 membres, dont la grande majorité demeure hors communauté. Ayant pratiquement perdu l’usage de leur langue d’origine, ils parlent le français et l’anglais. Ils entretiennent de bonnes relations avec les Abénaquis aux États-Unis, avec qui ils travaillent à la revitalisation de la culture et de la langue communes.
 

Les Algonquins

Les vrais hommes – Le peuple de la Terre

Population et territoire

Des quelque 9 645 Algonquins, 5 500 habitent les neuf communautés de la nation. Sept des communautés algonquines se trouvent dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue : Hunter’s Point, Kebaowek, Lac-Simon, Kitcisakik, Pikogan, Timiskaming et Winneway. Les deux autres, Lac-Rapide et Kitigan Zibi, sont situées dans la région de l’Outaouais.

Langue

La langue algonquine est parlée dans la plupart des communautés, et certains aînés ne connaissent ni l’anglais ni le français. Comme langue seconde, les Algonquins utilisent l’anglais ou le français, et plusieurs sont trilingues.

Histoire

Traditionnellement, le mode de vie des Algonquins s’est articulé autour de la chasse, de la pêche, du piégeage et de la cueillette. Comme chez les autres groupes nomades, les activités de subsistance variaient au rythme des saisons. L’été était l’occasion de grands rassemblements au cours desquels des mariages étaient célébrés. L’automne, les familles repartaient vers leur territoire de chasse pour y passer l’hiver.

La sédentarisation des Algonquins s’est accentuée au début du 20e siècle, lorsque l’Abitibi s’est ouverte à la colonisation. Les colons, les prospecteurs et les bûcherons y ont afflué, perturbant progressivement les activités traditionnelles de la nation. Plusieurs réserves se sont constituées de 1940 à 1974, entre autres celles de Lac-Simon, de Lac-Rapide, de Pikogan et de Kebaowek. Certaines communautés ne sont cependant pas constituées en réserve : Kitcisakik, Winneway et Hunter’s Point.

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Le mot Anishnabe (Anishinabeg), par lequel les Algonquins se désignent, signifie « être humain issu de cette terre ». Au Québec, les Algonquins sont au nombre de 9 278, et 57 % d’entre eux résident dans leurs communautés. Leur territoire ancestral, qui s’étendait du lac des Deux-Montagnes jusqu’en Abitibi-Témiscamingue et en Ontario, se limite aujourd’hui à neuf communautés, ainsi qu’à des territoires de quelques hectares, eux-mêmes partiellement occupés par les compagnies forestières et minières et par les trappeurs non autochtones.

Jusqu’au xixe siècle et même, dans certains cas, jusqu’au 20e siècle, les Algonquins ont pu conserver leur mode de vie nomade et leurs pratiques spirituelles ancestrales. Cependant, leur sédentarisation s’est accélérée au début du xxe siècle, avec l’ouverture de l’Abitibi à la colonisation et l’arrivée massive de prospecteurs et de bûcherons. Les pensionnats ont également perturbé le mode de vie ancestral et familial des Algonquins qui en conservent encore aujourd’hui un souvenir douloureux. Malgré cela, les Algonquins, qui restent avant tout des chasseurs et des pêcheurs, n’ont cessé d’honorer leur lien avec la nature, et certaines familles passent encore tout l’hiver dans leur territoire de chasse, à la façon de leurs ancêtres.

Les deux plus grandes communautés sont également les plus anciennes : Kitigan Zibi (Maniwaki) en Outaouais et Timiskaming en Abitibi-Témiscamingue. Entre celles-ci se trouvent les territoires traditionnels des autres communautés : Hunter’s Point (Wolf Lake), Winneway (Long Point), Eagle Village (Kipawa), Pikogan (Abitibiwinni), Lac Simon, Kitcisakik (Grand Lac Victoria) et Rapid Lake (Barrier Lake).

La majorité de ces communautés sont accessibles par le réseau routier, bien que certaines soient toujours isolées.

Afin de conserver la culture bien vivante, certaines communautés enseignent la pratique d’activités ancestrales, telles que l’artisanat, la chasse, la trappe et la médecine traditionnelle, aux élèves de niveaux primaire et secondaire.
 

Les Attikameks

Le peuple de l’écorce

Population et territoire

Les Attikameks, au nombre d’environ 6 320, habitent principalement à Manawan, dans la région de Lanaudière, de même qu’à Wemotaci et à Obedjiwan, dans la région de la Mauricie.

Langue

L’attikamek est parlé par toute la population, tandis que le français est utilisé comme langue seconde.

Histoire

Au début des années 1900, l’industrialisation a entraîné l’exploitation intensive du territoire et affecté la société attikamek. Un premier « moulin à bois » a ouvert ses portes à La Tuque, puis le chemin de fer s’est rendu jusqu’à Wemotaci avant d’être prolongé vers l’Abitibi. Le train a provoqué l’afflux d’un grand nombre de travailleurs, de chasseurs et de pêcheurs en Mauricie. Par ailleurs, les Attikameks se sont déplacés à plusieurs reprises, entre 1950 et 1972, en raison de la construction de barrages.

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Uniquement présents au Québec, les Atikamekw, dont le nom signifie « corégone », sont au nombre de 6 042 et vivent en grande majorité dans leurs communautés. Leur vaste territoire, qu’ils appellent Nitaskinan, situé dans la région de la rivière Saint-Maurice, s’étend de la rivière Gatineau jusqu’au lac Saint-Jean d’un côté, et jusqu’au nord du réservoir Gouin de l’autre, soit dans les régions de Lanaudière et de la Mauricie.


Les Atikamekw vivent en plein coeur de la forêt boréale, entre les territoires des Montagnais, des Algonquins et des Cris, dans une région parsemée de nombreux cours d’eau. L’arrivée des étrangers dans leur territoire, au milieu du xixe siècle, n’a pas eu d’impact immédiat sur leur mode de vie. Ce n’est qu’au début du xxe siècle que les effets se sont fait sentir avec la construction du chemin de fer, la mise en chantier des barrages sur les bassins de la rivière Saint-Maurice, l’afflux de main-d’oeuvre non autochtone et le refoulement des Atikamekw dans les réserves.


Les Atikamekw sont répartis en trois communautés : Obedjiwan (Opitciwan) et Wemotaci en Mauricie, et Manawan dans Lanaudière. Ils possèdent également un autre lieu de campement ancestral, la communauté inhabitée de Coocoocache (qui veut dire « hibou »). Loin des centres urbains, les Atikamekw ont pu conserver leurs coutumes et leur langue, qui est enseignée dans les écoles primaires. Le français est la langue seconde et certains aînés ne parlent que l’atikamekw.


Parmi toutes les autres collectivités autochtones au Canada, seuls les Inuits atteignent un taux de conservation de la langue maternelle comparable à celui des Atikamekw.
 

Les Cris

Population et territoire

Comptant plus de 16 150 personnes, les Cris forment la troisième nation la plus populeuse du Québec. Les neuf villages cris sont situés sur les rives de la baie James (Waskaganish, Eastmain, Wemindji et Chisasibi) et de la baie d’Hudson (Whapmagoostui), ainsi qu’à l’intérieur des terres (Nemiscau, Waswanipi, Mistissini et Oujé-Bougoumou). Inauguré en 1993, le village d’Oujé-Bougoumou, à l’architecture moderne, est un modèle d’intégration du mode de vie des Autochtones. OEuvre de l’architecte amérindien Douglas Cardinal, ce village a remporté de nombreuses distinctions sur la scène internationale, dont un prix décerné par les Nations Unies.

Langue

La totalité de la population parle la langue crie, tandis que l’anglais est la langue seconde de la majorité. Un grand nombre de personnes, des jeunes surtout, parlent aussi français.

Histoire

Priginaires des plaines de l’Ouest canadien, les Cris habitent la région de la Baie-James depuis environ 5 000 ans. Dans les années 1950, la présence grandissante du gouvernement fédéral, l’introduction de l’école obligatoire, la construction de maisons permanentes et le déclin du commerce des fourrures ont bouleversé leur mode de vie.

En 1971, l’annonce de la construction de grands barrages hydroélectriques dans la région de la Baie- James a mobilisé la nation crie. En 1975, à la suite de négociations tenues avec les gouvernements du Québec et du Canada, les Cris et les Inuits
signent la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ). En vertu de cette convention, ils obtiennent des droits particuliers sur un vaste territoire, notamment la propriété ou l’usage exclusif de territoires ainsi que des droits exclusifs de chasse et de pêche. Plusieurs organismes ont alors été créés, dont l’Administration régionale crie, la Commission
scolaire crie, le Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie-James et l’Office de la sécurité du revenu des chasseurs et piégeurs cris.

La nation a acquis davantage d’autonomie grâce à la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, adoptée par le Parlement canadien en 1984 en remplacement de la Loi sur les Indiens. Les Cris et les Naskapis ont ainsi obtenu un cadre juridique différent des autres nations amérindiennes.

Développement socioéconomique

La nation crie a connu un essor économique important à la suite de la signature de la CBJNQ, ce qui a donné lieu à la création de plusieurs entreprises. Ainsi, CREECO, la compagnie des entreprises régionales des Cris, est fondée en 1982 ;
elle gère plusieurs entreprises, dont la Compagnie de construction et de développement crie, classée parmi les chefs de file dans le domaine de la construction au Québec. La compagnie aérienne Air Creebec, également propriété des Cris, relie le
territoire de la Baie-James et le nord de l’Ontario à Montréal et à Val-d’Or. Plusieurs entreprises communautaires et privées existent aussi au sein des communautés cries.

La mise en oeuvre de la CBJNQ a cependant entraîné certaines difficultés. S’en sont suivies plusieurs tentatives de négociation et des poursuites judiciaires jusqu’en 2001, année où le gouvernement du Québec et les Cris ont élaboré une entente de principe qui a donné lieu, le 7 février 2002, à la signature de l’Entente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement du Québec et les Cris du Québec, communément appelée la Paix des braves. Cette entente garantit la participation des Cris au développement forestier, minier et hydroélectrique du territoire de la Baie-James.

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Les Cris
Les territoires cris se situent dans la région de la baie James, à la limite limite de la forêt boréale et de la taïga. Dans la partie la plus nordique du Québec accessible par la route, on compte neuf communautés cries. Celles qui se trouvent le long du littoral de la baie James et de la baie d’Hudson sont désignées par les Cris sous le nom de wiinipakw (« la mer ») : Waskaganish, Eastmain, Wemindji, Chisasibi et Whapmagoostui, cette dernière étant juxtaposée à la municipalité inuite de Kuujjuarapik, tandis que les quatre autres villages sont appelés nuuchimiich (« à l’intérieur des terres ») : Nemiscau (Nemaska), Waswanipi, Oujé-Bougoumou et Mistissini.
Plus de 88 % des 14 886 Cris présents au Québec vivent dans les communautés. Les Cris sont des iiyiyuu ou iinuu, ce qui signifie simplement « les gens » ou « le peuple ».

La langue crie est enseignée autant à la maison qu’à l’école, c’est pourquoi environ trois Cris sur quatre la parlent quotidiennement. L’anglais demeure la langue seconde. Après avoir été des acteurs de premier plan dans la traite des fourrures à l’époque de la colonisation, les Cris se sont également retrouvés au centre des négociations menées en 1975 avec les gouvernements fédéral et provincial concernant l’exploitation hydroélectrique de leurs territoires, marquant ainsi un tournant décisif dans leur mode d’autogestion. La convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) leur a permis de mettre en place des structures administratives telles que l’Administration régionale crie, le Conseil régional de la santé et des services sociaux cris, l’Office de la Sécurité du revenu des chasseurs et piégeurs cris et la Commission scolaire crie.

Le Grand Conseil des Cris, mis sur pied avant la CBJNQ, demeure l’organisme politique principal représentant les Cris auprès des différents gouvernements. De plus, l’Administration régionale crie gère les services et les programmes offerts aux collectivités, notamment en matière d’habitation et d’environnement.
 

Les Hurons-Wendats

Le peuple du commerce

Population et territoire

Les Hurons-Wendats constituent l’une des nations les plus urbanisées du Québec. Leur unique communauté, Wendake, est adjacente à la ville de Québec. Quelque 1 310 Hurons-Wendats y habitent.

Langue

Les Hurons-Wendats parlent français. La langue huronne est considérée comme éteinte, mais un projet de recherche est en cours, afin d’en assurer la revitalisation.

Histoire

Les Hurons-Wendats résident au Québec depuis 1650. Auparavant, ils vivaient près du lac Huron, en Ontario, où ils formaient une confédération de quatre tribus réparties en une vingtaine de villages. Sédentaires, les Hurons-Wendats cultivaient en abondance le maïs et le tabac, dont ils utilisaient les surplus pour faire du troc avec les autres nations. Au 17e siècle, ils possédaient un empire commercial et, pendant des années, ils ont été les plus importants partenaires commerciaux
des Français.

En 1990, un jugement de la Cour suprême du Canada a reconnu la validité d’un traité signé en 1760 par le général Murray en faveur des Hurons- Wendats. Ce traité leur assurait le libre exercice de leur religion, de leurs coutumes et du commerce avec les Anglais sur le territoire qu’ils fréquentaient.

Développement socioéconomique

Wendake se compose de trois secteurs : le vieux village récemment mis en valeur, le quartier résidentiel développé à partir des années 1970 ainsi qu’une zone industrielle. Le tourisme constitue un apport économique très important pour Wendake. En effet, des milliers de visiteurs s’y rendent chaque année. L’église Notre-Dame-de-Lorette, classée monument historique depuis 1957, la Maison Arouanne et le nouvel hôtel-musée rassemblent les pièces les plus importantes du patrimoine huron-wendat.

L’économie de Wendake est florissante, notamment grâce à la Société de développement wendat, qui procure une expertise technique à l’industrie locale. Une soixantaine d’entreprises fournissent de l’emploi non seulement aux Hurons-Wendats, mais aussi à plusieurs non-Autochtones. Les mocassins, les canots et les raquettes de Wendake sont des produits reconnus à l’échelle internationale. Le gouvernement du Québec et le Conseil de la nation huronne-wendate ont signé une entente-cadre en février 2000. L’accord sert de base à une négociation particulière portant sur des sujets d’intérêt commun tels que la chasse, la pêche et la fiscalité. À l’été 2008, la communauté a inauguré un complexe touristique comprenant un hôtel-musée
et un amphithéâtre extérieur.

Les Innus (Montagnais)

Population et territoire

Sept des neuf villages innus du Québec sont répartis le long de la côte nord du fleuve Saint-Laurent. Ce sont Essipit, Betsiamites, Uashat-Maliotenam, Mingan, Natashquan, La Romaine et Pakuashipi. Un autre village, Mashteuiatsh, est situé au Lac- Saint-Jean tandis que Matimekosh–Lac-John est adjacent à Schefferville. Les Innus, qui comptent près de 16 200 personnes, sont la deuxième nation autochtone la plus populeuse du Québec.

Langue

L’innu constitue la langue première parlée par la majorité des membres de la nation, leur langue seconde étant le français. La communauté de Betsiamites s’est acquis une réputation enviable sur le plan de la promotion de sa culture et de sa langue. C’est là notamment que le premier dictionnaire innu-français est né.

Histoire

Jusqu’au 20e siècle, à l’exception de quelques villages non autochtones du littoral, les Innus ont pratiquement été les seuls habitants de la côte nord du Saint-Laurent. Au début, ils vivaient de chasse, de pêche et de cueillette sur cet immense territoire qui s’étendait jusqu’à 600 kilomètres à l’intérieur des terres. Puis, au 18e siècle, à la suite de l’établissement des comptoirs de traite, les Innus ont orienté leurs activités vers le piégeage des animaux à fourrure. L’arrivée d’industries minières et forestières et la construction de barrages hydroélectriques ont accéléré leur sédentarisation et mené à la création des neuf villages actuels.

Développement socioéconomique
Les communautés innues sont très différentes les unes des autres, tant par leur situation géographique et leur taille que du point de vue socioéconomique. La communauté de Mashteuiatsh, près de Roberval, possède plusieurs commerces et entreprises, une caisse populaire, un musée ainsi qu’un complexe communautaire qui abrite une patinoire, un dispensaire et des bureaux. Pour sa part, celle de Uashat- Maliotenam, près de Sept-Îles, possède notamment un centre commercial, une maison de transmission de la culture et un musée.

La Romaine et Pakuashipi sont les plus éloignées et les plus petites des communautés de la Basse- Côte-Nord. Leurs résidents pratiquent la chasse et la pêche, parlent tous la langue innue et ont conservé leurs traditions bien vivantes. Il en est de même de Matimekosh–Lac-John, située à 510 kilomètres au nord de Sept-Îles.
Les Innus de Uashat-Maliotenam ont conclu une entente avec Hydro-Québec relativement au développement hydroélectrique de la rivière Sainte-Marguerite. Pour leur part, ceux de Betsiamites ont signé une entente de partenariat avec Hydro-Québec concernant la réalisation de projets hydroélectriques sur la Côte-Nord, soit le barrage sur la Toulnustouc et la dérivation des rivières Portneuf, Manouane et du Saultaux- Cochons.

Une entente similaire a été conclue entre Hydro- Québec et les communautés de Mingan, Natashquan, Pakuashipi et La Romaine concernant un aménagement hydroélectrique projeté sur la rivière Romaine. Essipit, La Romaine, Mingan, Natashquan et Betsiamites gèrent des pourvoiries dont certaines donnent accès à d’importantes rivières à saumons. De plus, plusieurs communautés participent aux activités de pêche traditionnelle et commerciale. Fabrication d’un canot. Répliques de tipis sur les berges du lac Saint-Jean, dans la communauté de Mashteuiatsh. Les Innus ont créé plusieurs organismes et infrastructures, dont l’Institut culturel et éducatif montagnais, pour favoriser l’épanouissement et la diffusion de leur culture. Les communautés innues possèdent une station de radio communautaire reliée au réseau de la Société de communication Atikamekw-Montagnais, qui réalise des émissions en innu et en attikamek. La nation innue est en négociation territoriale globale avec les gouvernements du Québec et du Canada depuis 1980, en vue de la reconnaissance de droits ancestraux et territoriaux, ainsi que du droit à l’autonomie gouvernementale.

Les Inuits

Les Hommes

Population et territoire

Au Québec, les Inuits habitent le Nunavik, un vaste territoire situé au nord du 55e parallèle. La population du Nunavik – environ 10 460 Inuits – se répartit dans 14 villages comptant entre 100 et 1 700 habitants. Ces villages, distants de plusieurs centaines de kilomètres les uns des autres, sont situés sur les littoraux de la baie d’Hudson, du détroit d’Hudson et de la baie d’Ungava. Une centaine d’Inuits vivent à Chisasibi, un village cri de la Baie-James. Fait à noter, 40 % de la population inuite a moins de 15 ans.

Langue

La langue des Inuits, l’inuktitut, est riche et souple, capable de s’adapter aux réalités contemporaines. La langue seconde de la majorité des Inuits est l’anglais. Cependant, le français connaît une nette progression comme langue utilisée dans les institutions publiques et comme langue seconde enseignée à l’école. En fait, l’enseignement se fait entièrement en inuktitut jusqu’en troisième année, moment où les jeunes Inuits étudient en français ou en anglais, à leur choix. Jusqu’à la fin des années 1970, ils choisissaient en grande majorité l’anglais, mais, aujourd’hui, environ 50 % d’entre eux optent pour le français.

Histoire

Bien adaptés aux rudes conditions du milieu, les Inuits règnent depuis fort longtemps sur la région arctique. Ils utilisent l’arc, le kayak et le traîneau à chiens pour chasser la baleine, les animaux marins et le caribou. Au 18e siècle, la Compagnie de la Baie d’Hudson a ouvert un comptoir de traite à Kuujjuarapik. Les
contacts entre Européens et Inuits sont alors devenus plus soutenus. Néanmoins, le mode de vie des Inuits est demeuré pratiquement inchangé. Ce n’est
qu’au début du 20e siècle que ceux-ci ont abandonné leurs armes traditionnelles au profit des armes à feu.


Développement socioéconomique
La motoneige et la maison ont remplacé le traîneau à chiens et l’iglou, mais les Inuits ont conservé leurs valeurs, leur langue et leur culture, tout en maintenant des liens harmonieux avec le reste du Québec. Au Nunavik, les Inuits administrent la majeure partie des services publics dispensés à la population. La signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) 6 a en effet mené à la création de plusieurs institutions dirigées par des Inuits. Travaillant de façon
autonome ou en collaboration avec divers ministères du gouvernement québécois, ces institutions veillent à l’administration et au développement de la région dans tous les secteurs d’activité.

L’Administration régionale Kativik, dont le conseil est formé de représentants des municipalités nordiques, exerce sa compétence dans le domaine de l’administration publique, principalement le développement économique, les transports, les services policiers, les télécommunications et la protection de la faune.
La Société Makivik est la porte-parole des Inuits en ce qui concerne la protection de leurs droits et de leurs intérêts liés à la CBJNQ. Elle gère les indemnités et a pour mandat de promouvoir le développement social et économique du territoire. La Société constitue un levier économique important au Nunavik par sa participation à plusieurs secteurs d’activité, comme le transport aérien et maritime, de même que l’alimentation et les pêcheries.
Le mouvement coopératif joue un rôle majeur dans l’évolution économique du Nunavik, mouvement dont est issue la Fédération des coopératives du Nouveau-Québec. Celle-ci constitue, avec Makivik, le principal acteur économique de la région. La Fédération agit notamment dans les secteurs du commerce de détail, de l’approvisionnement pétrolier et des télécommunications.

En 2002, le gouvernement du Québec et les Inuits ont conclu une entente de partenariat économique, afin d’accélérer le développement économique et
communautaire du Nunavik. Cette entente, appelée Sanarrutik, contient des dispositions concernant les ressources hydroélectriques, l’exploration minière
et le développement de parcs. En 2004, l’entente Sivunirmut est venue bonifier cet accord en regroupant le financement des programmes gouvernementaux
en une seule enveloppe globale. La gestion des fonds s’en est trouvée simplifiée et l’Administration régionale Kativik a acquis ainsi une plus grande
autonomie pour établir ses champs prioritaires d’intervention auprès des villages nordiques.

Les Inuits manifestent un fort désir d’autonomie. En 2007, le gouvernement du Québec, le gouvernement du Canada et la Société Makivik ont signé une entente de principe portant sur la création du gouvernement régional du Nunavik. L’entente prévoyait la fusion de trois organismes (l’Administration régionale Kativik, la Commission scolaire Kativik et la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik) appelés à former une nouvelle entité régionale soumise à l’autorité de l’Assemblée nationale du Québec et du Parlement du Canada.

Les Malécites

Le peuple de la belle rivière

Population et territoire

Plus de 780 Malécites habitent au Québec. Ils ne sont pas regroupés en communauté, mais vivent dispersés sur le territoire québécois. La première nation malécite de Viger est la seule bande malécite du Québec. Elle dispose d’un territoire situé dans le canton de Whitworth, près de Rivière-du-Loup, et d’un petit lot à Cacouna.

Langue

Les Malécites vivant au Québec parlent français et plusieurs connaissent aussi l’anglais. La langue malécite est encore parlée par certains locuteurs du Maine et du Nouveau-Brunswick.

Histoire

Jusqu’au 16e siècle, les Malécites habitaient le long de la rivière Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. Semi-nomades, ils tiraient principalement leur subsistance de la chasse et de la pêche, mais ils cultivaient aussi le maïs. Culturellement, les Malécites sont proches des Abénaquis et des Micmacs, avec qui ils forment la Confédération Wabanaki. En 1840, les Malécites étaient plus de 200 sur les bords de la rivière Mitis et probablement autant sur d’autres sites entre Lévis et Rimouski, de même que dans la réserve de Viger. Cette réserve, créée en 1827, est l’une des premières concessions foncières accordées à des Amérindiens au Québec. Ces terres ont cependant fait l’objet de contestations de la part de la population avoisinante, qui a demandé au gouvernement canadien de les reprendre pour les mettre en vente. En 1869, après quelques mois de négociation, les Malécites ont accepté de rétrocéder leurs terres à certaines conditions, et les lots ont été vendus aux enchères l’année suivante.

Vers la fin du 19e siècle, le gouvernement canadien a accordé à la nation un territoire dans le canton de Whitworth. Les Malécites ont tenté en vain de cultiver cette terre impropre à l’agriculture. Finalement, ils l’ont abandonnée et se sont installés autour de Cacouna, qu’ils habiteront pendant plusieurs générations, le gouvernement fédéral y ayant acheté un petit lot à leur intention en 1891. Cependant, jamais plus de dix personnes n’y résideront.

Ce n’est qu’en 1987 qu’une centaine de Malécites se sont réunis à Rivière-du-Loup pour y élire un chef et un conseil de la nation. Ils ont alors fait parvenir une demande de reconnaissance officielle de leur nation au gouvernement du Québec. En 1989, l’Assemblée nationale du Québec les a officiellement reconnus comme onzième nation autochtone du Québec. En 1998, les Malécites ont fait construire sur leur lot de Cacouna un édifice qui loge les bureaux de leur conseil de bande.

Les Micmacs

Le peuple de la mer

Population et territoire

La Gaspésie abrite 5 100 Micmacs constitués en trois groupes. La communauté de Listuguj dispose d’un territoire à l’embouchure de la rivière Ristigouche, tandis que celle de Gesgapegiag en possède un à l’embouchure de la rivière Cascapédia, près de la municipalité de Maria. Quant aux quelque 500 Micmacs qui forment la bande de Gespeg, ils n’ont pas de territoire de réserve et vivent principalement à Gaspé et à Montréal.

Langue

La langue micmaque est enseignée à l’école et parlée par plusieurs membres des communautés de Listuguj et de Gesgapegiag, l’anglais étant la langue seconde de ces deux communautés. Les Micmacs de Gaspé parlent surtout français, mais de plus en plus de jeunes Micmacs connaissent aussi bien le français que l’anglais.

Histoire

La grande originalité de la culture micmaque réside dans son adaptation aux activités liées à la vie maritime. En effet, avant l’arrivée des Européens, les Micmacs étaient connus comme des gens de mer. Ils se construisaient des embarcations pouvant les transporter en haute mer, ce qui leur permettait de tirer une partie de leur subsistance des produits marins.

 Développement socioéconomique

La pêche au saumon a toujours fait partie du mode de vie des Micmacs. Depuis 1982, la communauté de Listuguj applique son propre plan de pêche, en conformité avec la conservation de la ressource. Elle possède aussi un plan de développement touristique et elle a aménagé un centre d’interprétation de la culture micmaque dans le vieux monastère du village.

De leur côté, les Micmacs de Gesgapegiag coadministrent, avec des non-Autochtones, la Société de gestion de la rivière Cascapédia. Ce partenariat leur procure une trentaine d’emplois liés aux activités de la pêche au saumon sur cette rivière de renommée internationale. Depuis plusieurs générations, les paniers de frêne et de foin d’odeur sont la spécialité des Micmacs. La communauté de Gesgapegiag possède une coopérative d’artisanat dont les produits sont exportés au Canada et aux États-Unis.

Les membres de la bande de Gespeg sont actifs sur plusieurs plans. Ils ont aménagé un centre communautaire dans une ancienne école, à Pointe-Navarre, et reconstitué un village traditionnel micmac. En 1999, ils ont entrepris, avec les gouvernements du Québec et du Canada, une négociation concernant leur autonomie gouvernementale. En 2001, les trois communautés micmaques se sont regroupées en un organisme politique et administratif, le Secrétariat Mi’gmawei Mawiomi. Le mandat de cet organisme est de planifier la prestation de services communs, d’établir des partenariats avec les non-Autochtones, notamment dans les secteurs de la pêche et de la foresterie, et de préparer la négociation des revendications territoriales globales de la nation.

Afin d’améliorer les conditions de vie de leur nation, les Micmacs ont mis sur pied des services à l’intention de leurs communautés. Le centre d’accueil pour jeunes en difficulté et le centre d’hébergement pour femmes violentées, tous deux situés à Listuguj, ainsi que le centre de traitement pour personnes en désintoxication de Gesgapegiag en sont des exemples concrets.

 Les Mohawks

Le peuple de la pierre

Population et territoire

Histoire

Les Mohawks constituent l’une des nations iroquoises qui, avant l’arrivée des Européens, formaient la Confédération des Cinq Nations. Le système sociopolitique de la confédération, démocratique et autonome, était très complexe. À l’instar des autres nations iroquoises, la société mohawk était matrilinéaire, c’est-à-dire que les femmes y transmettaient la parenté et les valeurs identitaires du clan.

À partir du 19e siècle, les Mohawks se sont spécialisés dans des métiers recherchés. Plusieurs Mohawks étaient pagayeurs pour des compagnies de transport, à l’époque où, pour aller de Montréal aux Grands Lacs, les bateaux devaient traverser les rapides de Lachine. On considérait alors les Mohawks comme des experts en ce domaine. Nombre de Mohawks pratiquaient aussi le métier de monteur d’acier dans plusieurs grandes villes canadiennes et américaines.

 Développement socioéconomique

Située à proximité de Montréal, sur la rive sud du Saint-Laurent, Kahnawake a pris en charge, depuis plusieurs années, la plupart des secteurs de l’activité communautaire. Elle possède un établissement financier, la Caisse populaire de Kahnawake, et de nombreuses entreprises privées. En matière de santé, les Mohawks de Kahnawake ont conclu une entente avec le Québec leur accordant la pleine responsabilité de leur hôpital, le Centre hospitalier Kateri Memorial. Kahnawake gère aussi son propre corps de police. Les écoles de la communauté dispensent un enseignement axé sur la culture et les traditions mohawks.

La réserve d’Akwesasne est située à la fois au Québec, en Ontario et dans l’État de New York. Une entente conclue en 1991, avec les gouvernements du Québec, de l’Ontario et du Canada, a contribué à doter la partie canadienne de la communauté d’infrastructures essentielles en matière de santé, de services sociaux, de loisirs, d’éducation, de formation et d’administration de la justice.

Kanesatake, située à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Montréal, près du lac des Deux Montagnes, se distingue par une situation territoriale assez particulière. Les terres acquises par le gouvernement fédéral au bénéfice des Mohawks ne constituent pas officiellement une réserve. De plus, elles sont imbriquées dans les propriétés des non-Autochtones de la municipalité d’Oka. La question territoriale demeure donc très sensible pour les Mohawks de Kanesatake. Elle est d’ailleurs l’une des causes de la crise de 1990, laquelle a grandement affecté les relations entre Autochtones et non-Autochtones.

Bien qu’ils aient adopté le style de vie nord-américain, les Mohawks demeurent fortement attachés à leurs traditions. Aujourd’hui encore, une part importante de la population observe les modes de fonctionnement religieux, politiques et sociaux de leurs ancêtres.

Les Naskapis

Le peuple chasseur de caribous

Population et territoire

La nation naskapie compte un peu moins de 700 personnes. Le seul village naskapi du Québec, Kawawachikamach, est situé dans le nord du Québec, à environ 15 kilomètres de Schefferville.

Langue

Le naskapi est parlé par toute la population, la langue seconde étant l’anglais.

Histoire

Avant l’arrivée des Européens, les Naskapis vivaient principalement de la chasse au caribou. Cet animal, dont ils tiraient leur nourriture, leurs vêtements et leurs outils, leur permettait de survivre dans les difficiles conditions de la toundra arctique. Ils vivaient en nomades et se déplaçaient au gré de la migration des caribous.

Or, certaines années, le caribou se faisait rare. À partir de 1893, plusieurs famines ont décimé la nation naskapie. Vers 1950, le gouvernement fédéral est intervenu, leur fournissant des soins de santé et faisant transporter des rations alimentaires à Fort Mackenzie, au sud de Kuujjuaq, là où les Naskapis s’étaient installés. Deux ans plus tard, ils ont été relogés à Fort Chimo, là où ils avaient déjà vécu par le passé.

Finalement, en 1956, les Naskapis ont accepté de vivre avec les Innus de Matimekosh, près de Schefferville, dans l’espoir d’améliorer leurs conditions de vie. En 1978, les Naskapis ont signé la Convention du Nord-Est québécois, qui leur a donné les moyens de prendre en main leur avenir. En vertu de cette entente, ils ont maintenant un territoire en pleine propriété. Ils disposent aussi, à leur usage exclusif, d’un territoire de chasse, de pêche et de piégeage.  

Développement socioéconomique

En 1983, pour symboliser la renaissance de leur nation, les Naskapis ont entrepris la construction du village de Kawawachikamach, à quelques kilomètres de Matimekosh et de Shefferville. Malheureusement, la fermeture de la compagnie Iron Ore, qui a provoqué le départ des résidents de Schefferville, leur a porté un dur coup. Au moment même où ils intégraient leur nouveau village, ils voyaient leurs possibilités d’emploi disparaître. En effet, la majorité des pères de famille naskapis qui travaillaient à la mine ont été alors mis à pied.

Au fil des ans, grâce à la Société de développement des Naskapis, l’économie de la communauté de Kawawachikamach s’est redressée. La Société gère notamment une pourvoirie, des services d’entretien des routes, un centre commercial, une boutique d’artisanat et une entreprise de construction. En 1984, la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec a soustrait la nation naskapie à la Loi sur les Indiens et lui a conféré une grande autonomie administrative. Aujourd’hui, le village est doté d’édifices communautaires bien équipés, dont une école primaire et secondaire, un CLSC, une station de pompier, un poste de police, un centre commercial, un centre communautaire, un centre récréatif et une radio diffusant en langue naskapie.

En 1989, les Naskapis ont fait l’acquisition du célèbre club de chasse et pêche Tuktu, situé sur la rivière George, et de deux entreprises affiliées. Les principales activités économiques de la communauté sont le tourisme d’aventure, la construction, le piégeage d’animaux à fourrure et l’artisanat.

Les Naskapis, conjointement avec les Innus de Matimekosh–Lac-John et de Uashat-Maliotenam, ont mis sur pied une compagnie appelée Transport ferroviaire Tshiuetin inc., qui assure, depuis 2004, le service ferroviaire de passagers entre Ross Bay – près de Labrador City – et Schefferville. En 2009, un premier réseau de téléphonie cellulaire par satellite est implanté à Kawawachikamach, grâce à un partenariat entre l’entreprise Naskapi Imuun et des firmes de haute technologie du Québec. Ce mode de communication moderne devrait contribuer à réduire l’isolement de la population.

LES REVENDICATIONS

À l’arrivée des Européens, les Autochtones occupaient déjà en partie le territoire, ce qui d’emblée leur confère certains droits. En une cinquantaine d’années, à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, des traités ont été signés par presque toutes les provinces canadiennes, plusieurs nations cédant leurs droits sur des terres. Sur le territoire du Québec, deux accords de revendications territoriales ont été conclus avec les nations crie, inuite et naskapie : en 1975, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, et, en 1978, la Convention du Nord-Est québécois. De plus, la Cour suprême du Canada a reconnu, en 1990, la valeur de traité à un document signé par le général Murray en faveur des Hurons-Wendats. Ainsi, à l’égard des autres nations non signataires de tels accords et afin d’assurer le plein développement du Québec, il s’avère nécessaire de régler le passé et de lever l’incertitude quant à l’exercice et à la prise en considération des droits ancestraux des Autochtones.

Les revendications des Autochtones font l’objet de beaucoup d’attention. Bien qu’elles touchent à divers aspects, elles visent presque toujours les buts suivants : la reconnaissance de leurs droits, une plus grande autonomie, l’agrandissement de leur territoire, la sauvegarde de leur identité et de leur culture ou encore leur participation à la gestion du territoire et à son développement.

Les revendications territoriales globales

À compter de 1920, la jurisprudence a reconnu aux Autochtones l’existence de droits fonciers. En 1973, la Cour suprême du Canada a confirmé l’existence de ces droits, sans toutefois les définir. Le gouvernement fédéral a alors adopté une politique portant sur les revendications territoriales des Autochtones. Selon cette dernière, les revendications territoriales globales se fondent sur l’utilisation et l’occupation traditionnelles des terres. Les demandes portent sur la reconnaissance de droits généraux, tels les droits fonciers, les droits de chasse, de pêche et de piégeage, ainsi que sur certains avantages économiques et sociaux. Les négociations entourant les revendications territoriales globales ont pour but ultime de définir des droits concrets par des ententes. Habituellement, les pourparlers sont tripartites. En effet, les terres et les ressources étant de compétence provinciale, les provinces sont appelées à participer aux négociations.

Au Québec, trois nations ont signé des conventions à la suite de la négociation de leurs revendications territoriales globales : les Cris et les Inuits, en 1975, et les Naskapis en 1978. Depuis plusieurs années, les Attikameks et les Innus négocient une revendication semblable. En 2004, les Innus du Conseil tribal Mamuitun et de Nutashkuan ont franchi un pas important dans leur négociation avec les gouvernements : les trois parties se sont entendues sur une approche commune en signant l’Entente de principe d’ordre général.

Les revendications particulières

La politique fédérale tient aussi compte des revendications particulières qui portent sur l’administration des terres de réserve et autres biens des bandes indiennes ou sur le respect des dispositions des traités. Habituellement, ces revendications ne sont négociées qu’avec le gouvernement fédéral, les provinces étant rarement touchées.

L’autonomie gouvernementale

L’autonomie gouvernementale est au coeur des discussions entre les Autochtones et les gouvernements. Le Québec s’est dit prêt à appuyer toute modification constitutionnelle touchant la reconnaissance du droit des Autochtones à cette autonomie, à la condition que des ententes à cette fin soient négociées avec les gouvernements en cause. Ainsi, les Inuits ont présenté un projet de gouvernement régional. En décembre 2007, le gouvernement du Québec, le gouvernement du Canada et les Inuits ont conclu une entente de principe sur la fusion de certaines institutions publiques et la création d’un gouvernement régional au Nunavik, une première au Québec et au Canada. La naissance prochaine d’une telle institution marquera le pas vers une responsabilisation accrue des collectivités inuites et consolidera la prise en charge de leur propre gouvernance.

Les Micmacs de Gespeg ont, eux aussi, entrepris des négociations sur leur autonomie gouvernementale avec les gouvernements du Québec et du Canada. En 1999, les parties ont ratifié une entente-cadre à cet effet.
 

L'anglais comme langue de travail dans le Nord

(Montréal) L'entente sur le gouvernement régional de la Baie-James auquel participeront les Cris est vue comme un prérequis à la mise en oeuvre du Plan Nord, qui prévoit des investissements de 80 milliards en 25 ans. Or, ce gouvernement pourra utiliser à sa guise l'anglais comme langue de travail, prévoit le texte officiel de l'entente. Le développement économique se fera-t-il au détriment de la préséance du français?

«Le Gouvernement régional peut utiliser soit le français soit l'anglais dans ses communications internes et comme langue de travail», stipule l'article 109 de l'entente signée la semaine dernière entre le Grand Conseil des Cris et le gouvernement du Québec, dont le texte est disponible sur le site internet du Secrétariat aux affaires autochtones.

Le gouvernement régional remplace la Municipalité de Baie-James (MBJ), une institution 100% jamésienne, dont étaient exclus les Cris. Les Jamésiens sont les habitants non autochtones de la Baie-James.

À la MBJ, tout se passe en français. L'entente prévoit une représentation paritaire entre Cris et Jamésiens au sein du gouvernement régional au cours des 10 premières années. Il est aussi prévu que les employés actuels de la MBJ seront transférés au gouvernement régional.

Les Cris parlent majoritairement anglais. Dans les villages cris plus au sud, comme Ouje et Mistissini, une minorité de Cris parlent français, notamment les plus jeunes.

«Le français et le cri sont les langues utilisées, mais il est entendu que, pour la fonctionnalité des choses, l'anglais pourrait également être utilisé, a expliqué au téléphone Marie-Josée Paquette, attachée de presse du ministre responsable des Affaires autochtones Geoffrey Kelley. Mais ce sont vraiment le français et le cri dans la nouvelle structure de gouvernance.»

Ce libre choix de la langue de travail va plus loin que ce que la Charte de la langue française permet aux municipalités dites bilingues, celles dont plus de la moitié de la population est de langue maternelle anglaise.

«Dans les municipalités reconnues, la langue de travail reste le français, mais la municipalité a le droit d'utiliser en plus une autre langue», explique Hélène Bélanger, conseillère en communication à l'Office québécois de la langue française (OQLF).

Pour le Mouvement impératif français, l'article 109 constitue un recul dans le respect de la Charte de la langue française, qui doit s'appliquer sur l'ensemble du territoire du Québec. «Le gouvernement du Québec anglicise le gouvernement régional, même si les Cris ne sont pas de langue maternelle anglaise», déplore Jean-Paul Perreault, son président.

De plus, l'article 108 donne le cri et le français comme «langues principales» du futur gouvernement. Le concept de langue principale n'est pas défini dans la Loi 101.

«La notion de langue principale est utilisée pour ne pas s'embourber dans la notion de langue officielle qui a une portée différente au Canada», explique-t-on au cabinet du ministre.

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La nation crie obtiendra donc une plus grande autonomie sur ses ressources et sur ses terres traditionnelles. Le territoire visé par la nouvelle entente couvre une superficie de plus de 330 000 kilomètres carrés, soit 10 fois la taille de la Belgique. Ce nouveau gouvernement régional, qui sera composé d'Autochtones et de non-Autochtones,

Par ailleurs, les Cris auront l'exclusivité du développement de projets hydroélectriques de 50 mégawatts et moins, ainsi que des projets éoliens sur certaines portions du territoire.

L’entente sur le gouvernement régional de la Baie-James auquel participeront les Cris est vue comme un prérequis à la mise en oeuvre du Plan Nord, qui prévoit des investissements de 80 milliards en 25 ans. Or, ce gouvernement pourra utiliser à sa guise l’anglais comme langue de travail, prévoit le texte officiel de l’entente. Le développement économique se fera-t-il au détriment de la préséance du français ?

« Le Gouvernement régional peut utiliser soit le français soit l’anglais dans ses communications internes et comme langue de travail », stipule l’article 109 de l’entente signée la semaine dernière entre le Grand Conseil des Cris et le gouvernement du Québec, dont le texte est disponible sur le site internet du Secrétariat aux affaires autochtones.

Le gouvernement régional remplace la Municipalité de Baie-James (MBJ), une institution 100% jamésienne, dont étaient exclus les Cris. Les Jamésiens sont les habitants non autochtones de la Baie-James. À la MBJ, tout se passe en français. L’entente prévoit une représentation paritaire entre Cris et Jamésiens au sein du gouvernement régional au cours des 10 premières années. Il est aussi prévu que les employés actuels de la MBJ seront transférés au gouvernement régional.

 a expliqué au téléphone Marie-Josée Paquette, attachée de presse du ministre responsable des Affaires autochtones Geoffrey Kelley. Mais ce sont vraiment le français et le cri dans la nouvelle structure de gouvernance. »



 

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Lynn Drapeau
Québec français, n° 90, 1993, p. 44-47. Document téléchargé le 11 septembre 2012 02:44
« Le français et les langues autochtones au Québec : quelle coexistence? »

Bien que la question autochtone occupe aujourd'hui une place importante dans l'agenda politique, la situation des langues autochtones demeure encore largement occultée du débat. Nous tenterons, dans ce qui suit, de dégager le profil sociolinguistique des communautés autochtones du Québec. Un survol du rôle et de l'utilisation des langues autochtones en regard des langues majoritaires (le français et l'anglais) permettra de saisir l'extrême fragilité du patrimoine linguistique autochtone. Enfin, nous ferons état de l'acquisition du français comme langue seconde ou tierce.

La démolinguistique autochtone au Québec

Il se parle au Québec neuf langues autochtones appartenant à trois familles linguistiques distinctes et réparties en une cinquantaine d'agglomérations. Nous estimons qu'il y aurait environ 40 000 autochtones au Québec parlant leur langue ancestrale sur des effectifs globaux d'environ 6l 000 personnes affiliées à une communauté. Cette estimation est cependant sujette à caution. Le relevé des effectifs des nations autochtones est fourni par le Secrétariat aux Affaires autochtones du Gouvernement du Québec à partir de données récentes compilées dans des ministères d'Ottawa et de Québec. Or, l'application de la loi C31 dans la deuxième moitié des années quatre-vingt est venue gonfler le nombre de membres inscrits sur les listes de bande (principalement des indiennes ayant recouvré leur statut et les descendants de ceux-ci) rendant impossible une extrapolation du nombre de locuteurs sur la base des données du recensement de 1986. On devra donc attendre les résultats de celui de 1991 pour connaître avec précision le nombre de locuteurs des langues autochtones au Québec. Les chiffres que nous présentons ici ne sont donc qu'indicatifs.

La famille eskimo-aléoute est représentée par l'inuktitut (qu'on appelait jadis l'esquimau) qui reste la langue maternelle de plus de 95% des effectifs de cette ethnie d'environ 7000 personnes. La famille iroquoienne compte un seul représentant au Québec, soit le mohawk. Il est difficile d'évaluer parmi eux le nombre de locuteurs du mohawk puisque ils ont refusé de répondre au recensement de 1986. On estime ce nombre à 12 000 au Québec. Un sondage maison, effectué en 1990 par le Conseil de la langue française à l'occasion de la préparation d'un ouvrage consacré aux langues autochtones du Québec, indique que le mohawk n'est plus parlé par les enfants et qu'il est utilisé moins de 50 % du temps entre parents et grands-parents. Louis-Jacques Dorais rapporte dans le même ouvrage que plusieurs estiment la proportion de locuteurs de cette langue à environ 35 %, mais que seulement 15% l'aurait encore comme langue d'usage. Apparenté au mohawk, le huron est éteint depuis le siècle dernier. La famille algonquienne est la plus diversifiée; elle comprend au Québec l'abénaki, le micmac, le cri, le montagnais, le naskapi, l'atikamekw et l'algonquin. L'abénaki n'est plus parlé que par une poignée de personnes âgées à Odanak (les Abénakis sont au nombre d'environ 1600). Le micmac est également très menacé puisque parmi les quelque 3700 personnes qui composent cette nation au Québec, moins de 35%, tous des adultes, parleraient encore la langue ancestrale. La quasi totalité des quelque 3900 Atikamekw parle cette langue. Il en va de même pour le cri qui connaît des effectifs d'environ 10 500 personnes et pour le naskapi représenté par quelques 475 personnes. La langue montagnaise est parlée par environ les deux tiers des 12 000 personnes inscrites sur les listes des bandes montagnaises. La situation de l'algonquin est très difficile à évaluer en raison de la disparité qui prévaut entre les communautés, mais on estime qu'entre 30% et 60% des effectifs de ce groupe d'environ 6 500 personnes aurait encore l'algonquin comme langue d'usage.

Selon le recensement de 1986, le taux d'unilinguisme en langue autochtone dans les agglomérations autochtones (rapporté par Dorais dans l'ouvrage du Conseil de la langue française) était de 45 % chez les Inuit, 31 % chez les Cris, 28 % chez les Naskapis, 25 % chez les Atikamekw, 15 % chez les Montagnais, 9 % chez les Algonquins; 2 % chez les Micmacs et  0 % chez les Abénakis et, tout probablement, chez les Mohawks. Ces proportions ont sûrement décru depuis. Certaines communautés sont passées au français comme langue d'usage (Abénakis, Hurons, Montagnais de Pointe-Bleue et des Escoumins), alors que d'autres ont adopté l'anglais (Algonquins du Témiscamingue, Mohawks et Micmacs). Le français est la langue seconde chez les Montagnais, les Atikamekw et dans certaines communautés algonquines (Lac Simon et Grand-Lac-Victoria). L'anglais est langue seconde chez les Inuit, les Cris et les Naskapis. Certains jeunes de ces territoires conventionnés sont cependant scolarisés aujourd'hui en français plutôt qu'en anglais. Ceci n'est sans doute pas étranger à l'obligation qui est faite aux Cris et Inuits, en vertu de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, d'enseigner le français dans les écoles de leurs commissions scolaires "afin de permettre à leurs diplômés de poursuivre leurs études en français". Certaines communautés sont partagées entre les deux langues majoritaires : c'est le cas des .Algonquins de Pigokan et de Lac-Rapide et des Mohawks de Kanesatake.

Un coup d'oeil à ces statistiques permet de distinguer trois situations types. D'abord, les communautés où la langue autochtone est disparue ; deuxièmement, celles qui sont en voie de transfert d'allégeance linguistique et, en dernier lieu, celles où la langue est encore transmise normalement au sein de la famille. Dans ce dernier groupe, on verra que la progression du bilinguisme dans la population donne cependant lieu à des bouleversements profonds dans la langue ancestrale.

Le transfert au profit d'une des langues majoritaires

Dans les communautés du premier type, la langue autochtone a été ou est sur le point d'être remplacée définitivement par le français ou l'anglais (Hurons, Abénakis, Montagnais des Escoumins, Algonquins du Témiscamingue). Dès qu'une langue n'est plus parlée dans une communauté, il est extrêmement difficile, voire impossible, de la revitaliser. On sait que les cas de revitalisation réussie dans le monde sont rarissimes, le seul exemple connu est l'hébreu. Mais cette langue possédait une vieille et riche tradition écrite et son utilisation comme langue liturgique ne s'était jamais interrompue. Sa résurrection comme langue vernaculaire s'est faite dans des circonstances sociopolitiques exceptionnelles et au prix d'efforts considérables.

Le deuxième type de communautés se caractérise par le bilinguisme généralisé chez les aînés, parfois même chez les adultes d'âge moyen, alors que les jeunes générations pratiquent l'unilinguisme en langue majoritaire. L'anglais prédomine chez les Mohawks, chez les Algonquins de Maniwaki et de Winneway ainsi que chez les Micmacs, alors que le français est sur le point de l'emporter sur le montagnais à Pointe-Bleue. Ces groupes sont en voie de transfert d'allégeance linguistique, ce qui est une façon voilée de dire qu'ils sont en voie d'assimilation linguistique. Le processus est plus ou moins avancé selon la communauté mais la dynamique du transfert linguistique est enclenchée à peu près partout de la même façon. Dès lors que le bilinguisme est presque généralisé chez les adultes (par exemple, un taux d'unilingues en langue autochtone inférieur à 10%), les jeunes générations cessent d'acquérir la langue autochtone comme langue maternelle. Scolarisées de surcroît dans l'une des langues majoritaires, ces jeunes générations n'auront plus une connaissance suffisante de leur langue ancestrale pour la transmettre plus tard à leurs propres enfants. Une fois, cette dynamique de transfert linguistique mise en branle, elle est difficile à endiguer, sinon presque impossible à renverser, les communautés ne prenant conscience du phénomène qu'après s'y être engagées trop pour pouvoir faire marche arrière.

La mort des langues minoritaires dans le monde

S'il est vrai que les langues autochtones sont toutes plus ou moins menacées en territoire québécois, cette situation n'a rien d'exceptionnel. Depuis plusieurs années, les linguistes sont en alerte face à la déperdition catastrophique du nombre de langues du monde. R. Dixon mentionne que la plupart des 250 langues aborigènes d'Australie sont déjà éteintes et que les autres connaîtront le même sort à brève échéance. De plus, il estime que le nombre de langues du monde (de 4000 à 5000) passera à au plus quelques centaines dans les cent prochaines années sans qu'aucun continent ne soit épargné. Il n'y a d'ailleurs pas que les langues autochtones qui soient menacées. Il suffit de songer à la disparition graduelle en Europe du gaélique écossais et irlandais (en dépit de son statut de langue officielle en Irlande), au breton, à l'occitan et au basque en France, de même qu'au romanche en Suisse, pour n'en mentionner que quelques-uns. Plus près de nous, les résultats préliminaires du recensement de 1991 montrent un net recul du français dans les provin~ ces de l'Ouest canadien.

Assimilation linguistique et rapports identitaires

Le transfert au profit d'une langue majoritaire entraîne-t-il une redéfinition de l'identité? Il est courant chez les Québécois " de souche " (nous utilisons cette expression parce qu'elle constitue une étiquette ethnique contrairement à " Québécois " qui sert à marquer l'appartenance à un espace politico-géographique) de penser la langue en rapport de symbiose à l'identité ethnique. Selon cette conception, la langue n'est pas un élément de l'identité parmi d'autres, elle en est le symbole même et un critère définitoire absolu. Ce rapport à première vue naturel entre la langue et l'identité ethnique n'est néanmoins pas un bien nécessaire. Là où d'autres différences culturelles ou raciales manifestes peuvent se substituer à la langue comme symbole d'appartenance, l'abandon de la langue ancestrale n'entraîne pas forcément une dissolution du sentiment d'appartenance ethnique ni même une redéfinition radicale de l'identité. Tout au plus, ce sont les critères d'appartenance au groupe qui sont redéfinis : une fois le transfert à la langue majoritaire complété, le fait de savoir parler la langue ancestrale n'est plus perçu comme un élément définitoire de l'identité.

Néanmoins, l'importance accordée par les sociétés occidentales à la langue comme élément d'enculturation trouve un écho chez les populations autochtones qui ont perdu leur langue ou qui sont sur le point de la perdre. C'est généralement vers l'institution scolaire que se tournent ces communautés pour compenser le défaut de transmission de la langue dans la famille. À cette fin on a mis sur pied des programmes bilingues d'immersion en langue autochtone pour tenter de transmettre aux enfants la langue que leurs parents ne leur parlent plus. L'avenir et le succès de ces programmes est cependant incertain malgré le fait qu'ils soulèvent un enthousiasme certain chez les populations concernées.

Le bilinguisme diglossique dans les communautés septentrionales

Il manque toutefois une pièce centrale à ce portrait sociolinguistique du patrimoine linguistique autochtone. Il s'agit du troisième membre de notre typologie qui regroupe la majorité des communautés autochtones du Québec septentrional. Les Inuit, les Cris, les Naskapis et les Atikamekw font partie de ce groupe, de même que la plupart des Montagnais (exception faite de ceux de Pointe-Bleue et des Escoumins) et certains groupes d'Algonquins (ceux de Lac Simon, Grand Lac Victoria, Lac Barrière et Pikogan). Ces populations sont généralement éloignées des grands centres et, pour certaines, ont été sédentarisées dans un passé récent, vivant jusqu'au milieu du siècle principalement des activités ancestrales de subsistance.

À l'heure actuelle, ces communautés du Québec septentrional ne sont pas en processus de transfert d'allégeance au profit de la langue majoritaire puisque la langue ancestrale y est encore la langue d'usage et, fait crucial, les enfants l'acquièrent encore comme langue première. Elles sont toutefois dans une situation de bilinguisme diglossique. Le concept de diglossie, introduit par le sociolinguiste Ferguson à la fin des années cinquante, décrit la coexistence de deux langues dont le statut est inégal, chacune étant utilisée dans des contextes de communication distincts et possédant ses fonctions propres. Les domaines socialement prestigieux, tels que l'écrit, l'enseignement secondaire et supérieur, l'administration et le travail intellectuel, sont couverts par la langue dominante, alors que la langue vernaculaire sert aux communications informelles.

L'apprentissage systématique de la langue majoritaire se fait au moment de l'entrée à l'école et essentiellement par le biais de celle-ci. L'unilinguisme en langue autochtone est donc l'apanage des enfants d'âge pré-scolaire et d'une proportion décroissante d'aînés. En effet, la bilinguisation de ces populations, quoique relativement récente, se répand très vite sous l'effet conjugué de la scolarisation dans la langue majoritaire et de la pénétration des médias électroniques dans les régions éloignées.

Depuis les vingt dernières années, les autochtones ont voulu rompre avec leur condition diglossique par la promotion de leurs langues dans le milieu scolaire. Dans plusieurs communautés, la langue autochtone est utilisée systématiquement au niveau préscolaire. Il existe ici et là des projets visant à faire de la langue autochtone la langue principale d'enseignement au premier cycle du primaire. Les Inuit sont les plus avancés à ce chapitre. L'inuktitut a d'ailleurs maintenant le statut de langue officielle au Nouveau-Québec. Mais partout, y compris chez les Inuit, la langue autochtone est remplacée par le français ou l'anglais comme langue principale d'enseignement à mesure que l'élève progresse dans sa scolarisation. Rappelons qu'aucun texte de loi n'empêche l'usage d'une langue autochtone dans l'enseignement qui lui est dispensé.

Du côté des médias, on a assisté depuis les dix dernières années au développement spectaculaire d'un réseau de stations de radios communautaires qui diffusent jusqu'à huit heures par jour en langue autochtone. Ces radios alternatives jouis~ sent d'une grande popularité. Les Inuit bénéficient de plus d'une télé~ vision communautaire qui diffuse de trente-cinq à quarante minutes de programmation quotidienne en inuktitut. Ces derniers ont égale~ ment une production relativement abondante de journaux et de magazines dans leur langue, situation qui ne connaît pas d'équivalent chez les groupes amérindiens.

L'acquisition du français dans les communautés

Le contexte d'acquisition de la langue seconde s'est modifié radicalement durant les dernières décennies dans les communautés septentrionales où la langue ancestrale est encore florissante. Il y a à peine deux décennies, les jeunes autochtones n'étaient scolarisés que par du personnel blanc, souvent à l'extérieur de la communauté. Aujourd'hui, l'acquisition de la langue majoritaire se fait presque exclusivement à l'intérieur de la communauté au contact d'autres autochtones. L'explosion démographique aidant, les communautés dispensent maintenant l'enseignement sur place, souvent jusqu'à la fin du secondaire. Le personnel des écoles primaires est souvent composé à majorité d'autochtones et cette tendance s'amplifiera et s'étendra vraisemblablement à l'enseignement secondaire. Ces maîtres autochtones dispensent leur enseignement en langue majoritaire, langue qui constitue pour eux, comme pour leurs élèves, une langue seconde. Comme les élèves effectuent la presque totalité de leurs études sur place, ils ont moins de chance d'acquérir la langue majoritaire au contact de locuteurs natifs de celle-ci. Les conséquences de ce changement des modalités d'acquisition de la langue seconde seront à mesurer dans les années à venir.

L'avenir du bilinguisme diglossique

Le bilinguisme généralisé de type diglossique saura-t-il se maintenir dans les communautés septentrionales ou l'une des deux langues prendra-t-elle le dessus sur l'autre ? Le retour à l'unilinguisme en langue ancestrale est d'ores et déjà exclu. Il n'est même pas certain qu'il soit possible de créer des aires d'unilinguisme autochtone pour une partie de la population adulte. Les autochtones du Québec septentrional devront donc composer avec le phénomène du bilinguisme chez la quasi totalité de leur population, exception faite des enfants d'âge pré-scolaire.

Comme en fait foi l'essor considérable du " contact linguistique " comme champ d'étude dans les dernières décennies, le bilinguisme généralisé dans une population a inévitablement des effets sur les langues en présence. L'utilisation de (ou l'exposition à) deux langues dans la vie quotidienne entraîne un ensemble de phénomènes caractéristiques du contact des langues: la pratique intensive de l'alternance de code et la fréquence élevée des emprunts à la langue majoritaire. Malgré l'utilisation croissante de la langue autochtone dans les écoles et dans les médias, certains chercheurs ont constaté l'empiétement de la langue majoritaire dans les domaines normalement réservés à la langue vernaculaire et la dégradation des compétences linguistiques des jeunes dans leur langue maternelle. Le problème du bilinguisme généralisé se double de celui de l'inadaptation des langues autochtones au monde moderne. Cette situation favorise elle aussi le recours à l'emprunt et à l'alternance de code. À titre d'exemple, les phénomènes résultant du contact entre le montagnais et le français ne sont pas sans rappeler le cas du méchif, une langue mixte parlée par les Métis de l'Ouest canadien, résultant du contact entre le cri et le français.

Il est amèrement ironique de voir que là où les communautés réussissent à éviter le transfert radical d'allégeance à la langue majoritaire, on assiste par contre à l'hybridation graduelle de la langue ancestrale. Le défi consiste donc non seulement à perpétuer l'unilinguisme chez les enfants d'âge pré-scolaire, mais également à empêcher l'érosion et l'hybridation de la langue maternelle chez les adolescents et les adultes bilingues.

Conclusion

Le Québec peut s'enorgueillir de posséder un patrimoine linguistique autochtone plutôt bien conservé, du moins dans les régions du Québec septentrional. Dans le monde d'aujourd'hui et plus encore dans celui de demain, cela constitue un héritage d'autant plus précieux que rare et fragile. En effet, les maigres effectifs des langues autochtones, leur hétérogénéité et leur éparpillement géographique rendent la survie à long terme de ces langues très incertaine. L'entrée dans la modernité et la promotion collective des autochtones passera-t-elle par l'anéantissement de ce qui constitue l'un des aspects les plus saillants de leur spécificité ? Hélas, le comportement de l'espèce humaine dans un habitat bilingue n'est que trop prévisible. De surcroît, la mort de l'État-providence ne présage rien de bon quant au soutien à espérer du côté de la société majoritaire. Et la langue française dans tout cela ? me direz-vous. En comparaison, elle est, ma foi, resplendissante de santé.

Pour en savoir plus long, consultez Les langues autochtones du Québec, J. Maurais (réd.). Québec, Les Publications du Québec, 1992.

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Avant l'arrivée des Blancs

C'est en effet l'arrivée des Européens, à partir du XVIe siècle, si on laisse de côté l'épisode viking, qui a transformé la situation ethnolinguistique au Québec. Des langues, des cultures et des sociétés, dont la dynamique interne et les contacts mutuels constituaient jusque-là les seuls facteurs de changement, firent soudainement face à des forces d'une ampleur inouïe. De grands bateaux venus d'au-delà des mers débarquaient soudainement, en nombre toujours croissant, des gens étranges, pâles et barbus, parlant une langue incompréhensible et, surtout, détenteurs d'une technologie (outils de métal, armes à feu, etc.) qui leur donnait un pouvoir quasi absolu.

En moins de deux siècles, ces gens allaient complètement bouleverser la répartition des langues et la pratique linguistique sur le territoire de ce qui allait devenir le Québec. Ce faisant, ils mettaient fin à une période historique, l'époque précolombienne (ou plutôt, en ce qui nous concerne, l'ère pré-Cartier), qui durait depuis plus de 11 000 ans.

L'archéologie nous enseigne en effet que, vers 9 000 av. J.-C., des populations de chasseurs-cueilleurs occupaient déjà les rives de la mer de Champlain (qui recouvrait la vallée du Saint-Laurent et les Grands Lacs actuels), à la lisière méridionale de la calotte glaciaire nord-américaine. Lors du retrait des glaces, puis des eaux marines, ces populations, ainsi que d'autres groupes humains originaires de ce qui est aujourd'hui le Nord-Est américain, occupèrent peu à peu la vallée laurentienne et la forêt boréale, jusqu'aux confins de la toundra. À la même époque, des chasseurs nomades venus d'Alaska, via l'Arctique central, atteignaient le nord de la péninsule du Québec-Labrador, en traversant sans doute le détroit d'Hudson à son extrémité occidentale. Entre les années 1000 et 1400 de notre ère, ces populations de cultures dites prédorset et dorset allaient être remplacées par un nouveau groupe d'immigrants arctiques (venu lui aussi d'Alaska), les Esquimaux thuléens, ancêtres des Inuit actuels.

En région forestière, certains chasseurs-cueilleurs, les Iroquoiens, développèrent, à partir de l'an 1000 av. J.-C., une nouvelle activité de production : l'agriculture. Sans renoncer pour autant à la chasse, à la pêche et à la cueillette des plantes sauvages, ils acclimatèrent et se mirent à cultiver plusieurs espèces de végétaux, notamment le mais, la courge et le haricot. Ce nouvel état de fait entraîna bientôt l'apparition de villages sédentaires, autour desquels s'étendaient les champs où les femmes travaillaient pendant que les hommes s'adonnaient à la chasse. Après quelques années, quand le sol cessait de produire, on déménageait le village un peu plus loin afin de défricher une autre parcelle de forêt.

Pour diverses raisons (rigueur du climat, abondance du gibier, etc.), les autres populations de la forêt laurentienne et boréale, les Algonquiens, n'adoptèrent jamais l'agriculture. À l'arrivée des Européens, elles continuaient à s'adonner exclusivement, comme elles l'avaient toujours fait, à la chasse, à la pêche et à la cueillette nomades. Il faut cependant signaler qu'une branche algonquienne méridionale (ancêtre des Micmacs, Malécites et Abénakis), occupant ce qui est aujourd'hui la Nouvelle-Angleterre et les Maritimes, commença à s'adonner à l'agriculture au tout début du XVIIe siècle, sans que cette activité, semble-t-il, ait été introduite par les Européens.

En 1534 donc, au moment où Jacques Cartier prenait possession du pays laurentien au nom du roi de France, le territoire actuel du Québec était occupé par trois grands groupes humains : les Esquimaux thuléens, les Iroquoiens et les Algonquiens (voir à ce sujet Parent, 1978).

Les Thuléens, qui se qualifiaient eux-mêmes d'Inuit, mais que leurs voisins algonquiens nommaient ayaxkyimewa (« qui parlent la langue d'une terre étrangère », selon l'ethnolinguiste José Mailhot, 1978) � d'où notre mot « Esquimaux » �, habitaient le pourtour septentrional de la péninsule du Québec-Labrador, à partir de l'embouchure de la rivière Nastapoca, sur la baie d'Hudson (un peu au nord du lac Guillaume-Delisle), jusqu'au goulet Hamilton (Hamilton Inlet), sur l'Atlantique, dans la partie centrale de la côte du Labrador (voir carte 1).

Il est à noter que certaines cartes donnent une extension beaucoup plus grande au territoire inuit du XVIe siècle, lui faisant atteindre la baie James, à l'ouest, et la côte nord du golfe du Saint-Laurent (dans la région de Mingan), au sud-est. C'est là une erreur. L'avancée des Inuit au sud de la rivière Nastapoca et du goulet Hamilton, en territoire traditionnellement amérindien, ne s'est produite qu'après l'arrivée des Blancs, à partir des XVIIe (Labrador) et XIXe (baie d'Hudson) siècles.

À l'époque de Cartier, les Iroquoiens occupaient la vallée du Saint-Laurent jusqu'à son estuaire. Ils poussaient parfois aussi des pointes plus en aval, vers la Gaspésie ou la Côte-Nord. Les Indiens rencontrés par Cartier à Gaspé en 1534 étaient d'origine iroquoienne, ainsi que les habitants de Stadaconé (Québec) et d'Hochelaga (Montréal).

Ces Iroquoiens laurentiens étaient étroitement apparentés, linguistiquement et culturellement, aux Mohawks (Agniers) du haut Hudson et du lac Champlain; aux Oneida (Onneyouts), Onondaga (Onontagués), Cayuga (Goyogouins), Seneca (Tsonnontouans) et Ériés vivant au sud du lac Ontario; aux Wendat (Hurons), Pétuns et Neutres de la péninsule sud-ontarienne. Ils avaient aussi des affinités avec diverses populations de la côte nord-orientale de l'Amérique, dont les Tuscarora et les Cherokees de Caroline. Au tout début du XVIIe siècle, Mohawks, Oneida, Onondaga, Cayuga et Seneca se regroupèrent et formèrent la Confédération des Cinq-Nations. Ce sont les membres de cette union politique que les Français appelèrent Iroquois.

Quant aux Algonquiens du Nord-Est, ils se subdivisaient en deux grands groupes : populations du Subarctique et populations maritimes.

Les Algonquiens du Subarctique (irniw en cri; innu en montagnais) vivaient au nord de la vallée du Saint-Laurent, dans les Laurentides et les hauts plateaux du Bouclier canadien, ainsi que dans les basses-terres de la baie James et de la baie d'Hudson, jusqu'à la limite septentrionale de la forêt. Au Québec-Labrador, ils comprenaient cinq grands groupes : les Cris (Cristinaux, Mistassins) de la baie James et du Sud-Est de la baie d'Hudson; les Naskapis de l'intérieur des terres, au sud de la baie d'Ungava; les Algonquins du bassin de la rivière des Outaouais; les Attikameks (Têtes-de-Boule) du bassin de la Saint-Maurice; les Montagnais du Saguenay et de la Côte-Nord.

Les Algonquiens maritimes occupaient les territoires appalachiens sis immédiatement au sud du fleuve et du golfe du Saint-Laurent : Micmacs (Souriquois) vivant autour de la baie des Chaleurs et dans les futures provinces maritimes; Malécites de la vallée du fleuve Saint-Jean; Abénakis de l'Est (Etchemins, Penobscots, etc.), dans le Maine; Abénakis de l'Ouest, au nord du New Hampshire et du Vermont actuels. Ces peuples étaient apparentés à certaines populations aborigènes de la Nouvelle-Angleterre et de la côte Est américaine : Mohicans, Massachusetts, Powhatan, etc.

Un dernier groupe enfin, les Beothuk, occupait l'île de Terre-Neuve. Sans parenté linguistique, semble-t-il, avec les Algonquiens ou les Iroquoiens, ce peuple maritime ne survécut pas à l'installation des pêcheurs britanniques et français, qui lui coupèrent l'accès à la mer, tout en ne dédaignant pas, de temps à autre, d'aller à la chasse à l'Indien. La dernière Beothuk, Nancy Shawanahdit, mourut à Saint-Jean en 1829.

Malgré leur diversité et l'étendue de leurs territoires respectifs, les nations autochtones occupant la péninsule du Québec-Labrador étaient très peu nombreuses. À l'époque de Cartier, leur effectif ne dépassait sûrement pas les 20 000 personnes. Quant au Canada dans son ensemble, il ne comptait sans doute pas plus de 200 000 habitants.

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Le choc européen

La pénétration et l'installation progressive des Européens en Amérique du Nord posèrent deux types de défis aux langues autochtones. En premier lieu, elles durent adapter leur lexique aux réalités et aux concepts nouveaux introduits par les Blancs. Cela ne leur posa pas trop de problèmes, dans la mesure où la structure morphosyntaxique de plusieurs d'entre elles permettait facilement la création de lexèmes descriptifs. En inuit par exemple, l'emprunt, par notre ami Qumaq, du mot français « thé » (ou, dans d'autres régions, de l'anglais tea) constituait, en son temps, un phénomène exceptionnel. Dans cette langue agglutinante, on a préféré créer, à partir de radicaux et d'affixes préexistants, des termes nouveaux décrivant la réalité désignée : tiiliuruti (ce qui sert à faire du thé) pour la théière, aluksauti (ce qui sert à lécher) pour la cuiller, tiituuti (ce qui sert à consommer du thé) pour la tasse, siuraujaq (ce qui ressemble à du sable) pour le sucre, etc.

Le défi le plus important vint plutôt de la minorisation progressive des langues et des populations autochtones, qui se virent peu à peu marginalisées par l'implantation des cultures et sociétés européennes et, à un moindre degré, africaines, en sol nord-américain. Si, au début, on communiquait à l'aide d'interprètes, ou grâce à des pidgins empruntant à peu près également à toutes les langues en présence (comme le jargon français-inuit � contenant aussi des mots montagnais et basques, en usage au sud du Labrador durant la plus grande partie du XVIIIe siècle), on en vint ensuite à considérer les parlers autochtones comme faisant obstacle à l'avance de la civilisation. Quand on commença à scolariser les premières nations, dès 1639, les ursulines faisaient la classe aux petites Indiennes de la région de Québec, il ne fut presque jamais question de leur enseigner autrement qu'en français ou en anglais. Les écoles et pensionnats où les Pipin et autres enfants autochtones étaient punis � ou à tout le moins réprimandés � pour avoir parlé leur langue constituaient la règle plutôt que l'exception.

Dans la péninsule du Québec-Labrador, comme d'ailleurs dans tout le reste de l'Amérique du Nord, l'implantation européenne s'accompagna d'importants transferts de population. Entre 1534 (arrivée de Cartier) et 1608 (fondation de Québec), les Iroquoiens quittèrent la moyenne et basse vallée du Saint-Laurent pour se retirer en amont de Montréal. Leur retrait permit aux Micmacs et aux Malécites de remonter vers le nord et de s'installer sur la rive sud de l'estuaire laurentien, ainsi qu'en Gaspésie.

Les missionnaires français, les jésuites en particulier, estimaient qu'il serait beaucoup plus facile de christianiser les autochtones si on les établissait dans des villages spéciaux, les «réductions«, sis à proximité des établissements européens. Une première réduction fut fondée en 1651, à l'île d'Orléans, pour recevoir les quelque 300 réfugiés hurons arrivés à Québec l'année précédente, à la suite de la destruction de la Huronie par les Mohawks et les Senecas. En 1660, on les installa près de la Maison des jésuites de Sillery, mais ils furent expulsés de cet endroit sept ans plus tard. Ils vécurent alors à Québec, Beauport, Sainte-Foy et L'Ancienne-Lorette, pour être finalement installés de façon définitive à Jeune-Lorette (le Wendake actuel, en banlieue nord de Québec), en 1697 (SAGMAI, 1984).

Une seconde réduction avait été établie en 1667 à Laprairie, au sud de Montréal, afin d'accueillir des familles mohawks chrétiennes. En 1676, ces gens furent forcés de déménager un peu plus à l'ouest, à Kahnawake. Le village changea plusieurs fois de place, pour s'établir sur son emplacement définitif en 1716. En 1721, des familles de Kahnawake allaient s'installer à Kanesatake, près de la mission sulpicienne d'Oka. Et en 1747, d'autres Mohawks déménageaient à Akwesasne (au sud-ouest du lac Saint-François), où une mission jésuite (Saint-François-Régis) était fondée cinq ans plus tard.

Pendant ce temps, en 1683, les jésuites avaient établi une mission pour les Abénakis de l'Est à l'embouchure de la Chaudière, en face de Sillery. Cette population des forêts du Maine se voyait peu à peu délogée de son territoire par l'arrivée des colons britanniques. En 1700, ces gens furent transférés à Odanak, près de l'embouchure de la rivière Saint-François, où ils rejoignirent d'autres Abénakis, de l'Est et de l'Ouest, invités à s'installer là par l'intendant Beauharnois. En 1704, certains d'entre eux déménageaient à Wôlinak, quelques dizaines de kilomètres plus à l'est.

Finalement, la présence de pêcheurs et de marchands français sur le détroit de Belle Isle et dans le sud du Labrador incita un certain nombre de familles inuit à descendre au sud du goulet Hamilton pour faire la traite avec les nouveaux venus, mais aussi pour piller leurs établissements. À la fin du XVIIe siècle, leur présence est attestée jusqu'aux environs de Havre-Saint-Pierre, sur la Côte-Nord du Saint-Laurent. À la suite de l'expansion et de la consolidation de la présence européenne dans cette région, les Inuit se virent forcés de se replier de nouveau au nord du goulet Hamilton, à partir du milieu du XVIIIe siècle. Au même moment, de l'autre côté de la péninsule du Québec-Labrador, certains de leurs congénères commençaient à s'avancer au sud de la rivière Nastapoca, attirés par les postes de la Compagnie de la baie d'Hudson nouvellement établis dans la région.

Tous ces contacts et mouvements de population, s'ajoutant à des guerres et à des épidémies souvent dévastatrices, eurent pour effet de réduire grandement la population autochtone. On estime par exemple qu'au cours des années 1730, la moitié de la nation huronne périt de la variole, maladie introduite par les Blancs. Cet affaiblissement explique en bonne partie la destruction de la Huronie entre 1745 et 1750. Dans l'ensemble du Canada, la population amérindienne fut probablement réduite des deux tiers ou des trois quarts entre 1600 et 1850. Ce n'est que vers 1960 qu'elle retrouva son niveau démographique du XVIe siècle (environ 200 000 personnes), pour le dépasser rapidement par la suite.

Sur le plan linguistique, ces bouleversements et ces contacts entraînèrent, au fil des siècles, la disparition de plusieurs langues. Ainsi, seules trois des cinq langues iroquoiennes existant à l'arrivée de Cartier sont encore parlées de nos jours : le cinq-nations (le dialecte susquehannock n'existe plus), le tuscarora (le nottaway a disparu) et le cherokee. L'iroquois du Saint-Laurent s'est sans doute incorporé aux dialectes cinq-nations, alors que le wendat a été progressivement abandonné au profit du français, omniprésent dans la région de Québec. Les derniers locuteurs wendat de Wendake sont décédés au début du XXe siècle.

L'inuit et les langues algonquiennes du Nord-Ouest (surtout celles du subarctique), géographiquement éloignées de la présence européenne, ont mieux résisté au contact. L'inuktitut de l'Est canadien, le cri et l'ojibwa sont encore parlés par quelques dizaines de milliers de locuteurs. Les langues algonquiennes de l'Est par contre sont en voie de disparition. Des 18 langues parlées au XVIe siècle, seules 7 sont encore vivantes (Goddard, 1978). Qui plus est, quatre de ces dernières, dont l'abénaki de l'Ouest, sont parlées par moins de 25 personnes.

À l'heure actuelle donc, neuf langages autochtones survivent en territoire québécois : l'inuit, le mohawk, l'abénaki (de l'Ouest), le micmac, l'algonquin, l'attikamek, le montagnais, le naskapi et le cri (de l'Est). Deux ont disparu (le wendat et l'abénaki de l'Est) et un (le malécite) ne compte plus de locuteurs au Québec (les Malécites du Bas-Saint-Laurent vivent maintenant au Nouveau-Brunswick).

Techniquement parlant, certains de ces langages (le micmac par exemple) sont des langues au sens plein, alors que d'autres constituent des dialectes. Ainsi, l'attikamek, le montagnais, le naskapi et le cri de l'Est sont des dialectes cris. Dans les pages qui suivent, nous les qualifierons cependant tous de langues, puisqu'ils sont considérés comme telles par ceux qui les parlent.

1. Langues parlées par plus de 80 % de la population autochtone (en %)  
Inuktitut 100,0  
Naskapi 100,0  
Cri 99,9  
Attikamek 99,4  
Montagnais 83,1  
2. Langues parlées par 40 % à 80 % de la population autochtone (en %)  
Algonquin 63,4  
Micmac 41,8  
3. Langues parlées par moins de 40 % de la population autochtone (en %)  
Abénaki 2,3  
Wendat 0,0 (5,5 % des autochtones de Wendake parlent cependant une autre langue amérindienne)  

Les Mohawks n'ayant pas été recensés, leur langue n'apparaît pas ici. On peut cependant estimer à environ 15 % le nombre de locuteurs habituels du mohawk.

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Pour chaque langue, le pourcentage d'autochtones ne connaissant ni le français ni l'anglais est fonction directe de l'importance de cette langue comme langue d'usage : 44,5 % pour l'inuktitut; 30,8 % pour le cri; 27,7 % pour le naskapi; 25,4 % pour l'attikamek; 15,4 % pour le montagnais; 9,3 % pour l'algonquin; 1,7 % pour le micmac; 0,0 % pour l'abénaki (et sans doute aussi pour le mohawk).

À l’heure actuelle, seule une minorité de la population autochtone au Canada est capable de parler ou de comprendre une langue autochtone. Selon les données du Recensement de 2001, des 976 300 personnes qui se sont déclarées autochtones, 235 000, soit 24 %, ont indiqué qu’elles pouvaient entretenir une conversation dans une langue autochtone.

Les tendances récentes observées en matière d’acquisition des langues autochtones comme langues secondes indiquent une reconnaissance accrue de l’importance de parler une langue autochtone. Selon l’Enquête sur les peuples autochtones de 2001, les parents de 60 % des enfants autochtones vivant hors réserve considéraient qu’il était très important ou assez important que leurs enfants parlent et comprennent une langue autochtone.




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Langues autochtones au Canada : nouvelles tendances et perspectives sur l’acquisition d’une langue seconde
par Mary Jane Norris

Le Canada bénéficie d’une riche diversité de peuples, de cultures et de langues. Outre le français et l’anglais, les deux langues officielles du pays, et les multiples langues parlées par les immigrants, il existe de nombreuses langues autochtones au Canada. Le Canada compte en effet quelque 50 langues individuelles appartenant aux 11 familles linguistiques autochtones. Ces langues reflètent autant d’histoires, de cultures et d’identités distinctes liées à la famille, à la collectivité, à la terre et à la connaissance traditionnelle. Pour les Premières nations, les Inuit et les Métis, ces langues sont au cœur même de leur identité.

Les Autochtones, cependant, sont confrontés au fait que beaucoup de leurs langues se perdent, ce qui peut avoir de profondes répercussions. Au cours des 100 dernières années ou plus, au moins 10 langues jadis florissantes sont disparues. Toutefois, ces tendances à la baisse de la transmission intergénérationnelle des langues sont en partie compensées par l’enseignement des langues autochtones comme langues secondes.
Seulement un Autochtone sur quatre parle une langue autochtone
Langue parlée à la maison aujourd’hui, langue maternelle de demain
Locuteurs de langue seconde autochtone
Les apprenants de langue seconde influent sur les langues autochtones menacées
Que ce soit dans les réserves ou en dehors de celles-ci, les apprenants en langue seconde sont plus nombreux
Pour la plupart des parents, l’apprentissage de la langue autochtone est important
Résumé
Ce qu’il faut savoir au sujet de la présente étude


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Seulement un Autochtone sur quatre parle une langue autochtone
À l’heure actuelle, seule une minorité de la population autochtone au Canada est capable de parler ou de comprendre une langue autochtone. Selon les données du Recensement de 2001, des 976 300 personnes qui se sont déclarées autochtones, 235 000, soit 24 %, ont indiqué qu’elles pouvaient entretenir une conversation dans une langue autochtone1.

Il s’agit d’une baisse marquée par rapport à 29 % en 1996. Cela semble confirmer la plupart des recherches selon lesquelles une érosion importante de l’utilisation des langues autochtones s’est produite au cours des dernières décennies. Un autre indicateur certain de cette érosion est le pourcentage à la baisse de la population autochtone dont la langue maternelle est autochtone.

Toutefois, la baisse de population de langue maternelle a été en partie compensée par le fait que de nombreux Autochtones ont appris une langue autochtone comme langue seconde. En 2001, il y avait plus de personnes pouvant parler une langue autochtone que d’Autochtones ayant une langue maternelle autochtone (239 600 contre 203 300), ce qui indique que certains locuteurs ont dû apprendre leur langue autochtone comme langue seconde. Il semble que ce soit particulièrement le cas pour les jeunes.

L’apprentissage d’une langue autochtone comme langue seconde ne peut prétendre se substituer à l’apprentissage d’une langue maternelle autochtone3. Néanmoins, le nombre croissant de locuteurs de langue seconde s’inscrit dans un processus de redynamisation de la langue et peut aider à prévenir ou, du moins, à ralentir l’érosion rapide et la disparition possible de langues menacées. L’acquisition d’une langue autochtone comme langue seconde peut en effet être la seule option qui s’offre à de nombreuses collectivités autochtones si la transmission parent-enfant n’est plus viable.

De plus, en apprenant à parler la langue de leurs parents ou de leurs grands-parents, les jeunes Autochtones pourront communiquer avec les membres âgés de leur famille dans leur langue traditionnelle. On estime également que le processus d’apprentissage d’une langue seconde peut contribuer comme tel à accroître l’estime de soi et le bien-être de la collectivité et favoriser la continuité culturelle4.

Langue parlée à la maison aujourd’hui, langue maternelle de demain

Locuteurs de langue seconde autochtone
Selon le Recensement de 2001, 20 % de la population totale qui pouvait parler une langue autochtone — plus de 47 100 personnes — l’avait apprise comme langue seconde. Il semble d’ailleurs que l’apprentissage d’une langue seconde soit à la hausse. L’indice d’acquisition d’une langue seconde indique que pour chaque 100 personnes de langue maternelle autochtone, le nombre de personnes capables de parler une langue autochtone est passé de 117 à environ 120 locuteurs de 1996 à 2001 (tableau 1). Il semble que le nombre croissant de locuteurs de langue seconde puisse compenser de plus en plus la baisse des populations de langue maternelle (graphique 1).


Tableau 1 Les jeunes qui parlent une langue autochtone sont de plus en plus susceptibles de l'avoir apprise comme langue seconde plutôt que comme langue maternelle
Fait peut-être encore plus important pour leur vitalité à long terme, les locuteurs de langue seconde ont tendance à être beaucoup plus jeunes que les personnes qui ont appris une langue autochtone comme langue maternelle. En 2001, par exemple, environ 45 % des locuteurs de langue seconde avaient moins de 25 ans, comparativement à 38 % des locuteurs de langue maternelle (graphique 1).


Graphique 1 Les personnes qui apprennent une langue autochtone comme langue seconde sont beaucoup plus jeunes que celles dont c'est la langue maternelle

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Les apprenants de langue seconde influent sur les langues autochtones menacées
Au cours de la période de 20 ans allant de 1981 à 2001, la plupart des langues autochtones, qu’elles soient considérées comme viables ou menacées, ont connu une baisse à long terme de leur continuité (voir « Ce qu’il faut savoir au sujet de la présente étude » pour obtenir les définitions). Chose non surprenante, les langues menacées sont celles qui ont été le plus touchées. Ainsi, les langues menacées parlées en Colombie-Britannique, telles que le haïda et le tlingit, ont enregistré des niveaux de continuité presque nuls en 2001; de fait, chacune de ces langues compte moins de 200 locuteurs de langue maternelle. Par ailleurs, alors que les langues les plus viables, telles que l’inuktitut, conservaient leur viabilité linguistique, plusieurs langues viables importantes, telles que le cri et l’ojibway, subissaient une baisse à long terme constante de continuité au cours des deux décennies.

Selon l’état d’une langue donnée, c’est-à-dire selon qu’elle soit viable ou menacée, diverses tendances de croissance ont été observées entre 1996 et 2001. En particulier, les jeunes générations de locuteurs de langue autochtone sont de plus en plus susceptibles d’acquérir leur langue, particulièrement si elle est menacée, comme langue seconde plutôt que comme langue maternelle. Par exemple, la famille linguistique tlingite compte l’une des populations de langue maternelle les plus âgées, mais l’indice d’acquisition d’une langue seconde et l’âge moyen des locuteurs indiquent que deux personnes (habituellement jeunes) parlent la langue pour chaque personne de langue maternelle. Ces indicateurs donnent à penser que les jeunes générations sont plus susceptibles d’apprendre le tlingit comme langue seconde.

En général, parmi les langues les plus menacées, on assiste à une baisse généralisée de la capacité à parler la langue, parce que les gains de locuteurs de langue seconde ne suffisent pas à compenser les pertes de locuteurs de langue maternelle. Toutefois, pour certaines langues autochtones menacées, il semble que la population locutrice puisse augmenter en raison d’un effort concerté d’apprentissage de ces langues comme langues secondes.
Tel semble être le cas des langues salishennes peu répandues, qui ont enregistré une diminution de 5 % de la population de langue maternelle de 1996 a 2001, tout en affichant simultanément une impressionnante progression de 17 % du nombre total de locuteurs. Par ailleurs, l’âge moyen de tous les locuteurs salishens, 42 ans, était de beaucoup inférieur à celui de la population de langue maternelle, 50 ans (tableau 2).


Tableau 2 Pour certaines langues autochtones, les locuteurs de langue seconde parviennent à combler le déclin de locuteurs dont c'est la langue maternelle
Cette tendance s’applique également à diverses langues viables dont les locuteurs de langue seconde semblent accroître le nombre total de locuteurs. Les langues qui ont enregistré une tendance à la hausse de 1996 à 2001 comprennent l’attikamekw, avec une croissance de 21 % de la population capable de parler la langue, comparativement à 19 % de sa population de langue maternelle. De même, le nombre de personnes capables de parler le déné a augmenté de 11 %, tandis que sa population de langue maternelle n’a progressé que de 7 %. Les autres langues ayant enregistré des gains dans la capacité de parler la langue par rapport aux gains comme langue maternelle comprennent le micmac, le dakota/sioux, le montagnais-naskapi et l’inuktitut.

En fait, parmi certaines des langues les plus menacées, les locuteurs de langue seconde représentent plus de la moitié de la population locutrice. En 2001, par exemple, 57 % de ceux qui parlaient le tlingit, tout comme 54 % de ceux qui s’exprimaient en haïda et 52 % de ceux qui employaient une des langues salishennes peu répandues, étaient des apprenants de langue seconde. De même, parmi pratiquement toutes les langues menacées, ainsi que pour de nombreuses langues considérées comme « pas très viables, en voie d’être menacées » ou « incertaines », au moins un tiers de tous les locuteurs sont des locuteurs de langue seconde. Ces langues comprennent les langues salishennes peu répandues, le malécite, le pied-noir, le carrier, le tsimshian, le kutenai, le nishga et le shuswap.

Il semble également que, dans le cas des langues menacées, les jeunes représentent une proportion importante des locuteurs de langue seconde autochtone. En 2001, par exemple, 71 % des jeunes de moins de 15 ans pouvant parler une langue menacée l’avaient apprise comme langue seconde (graphique2).


Graphique 2 Dans les groupes d'âge plus jeunes, la majorité des locuteurs d'une langue autochtone menacée l'ont apprise comme langue seconde
Par contre, la prévalence des locuteurs de langue seconde diminue avec l’âge chez les locuteurs de langues viables et menacées, une tendance qui n’est guère surprenante, puisque les générations plus âgées d’Autochtones sont plus susceptibles d’avoir une langue autochtone maternelle. Chez les locuteurs âgés de 65 ans et plus, la proportion des locuteurs de langue seconde tombe à seulement 17 % de ceux qui parlent une langue menacée et à 11 % de ceux qui emploient une langue viable.

Toutefois, pour certaines des langues les plus menacées, les proportions élevées de locuteurs de langue seconde ne signifient pas toujours la présence de jeunes locuteurs. En fait, les populations de locuteurs de langue seconde vieillissent tout comme les populations de langue maternelle. Par exemple, en 2001, pratiquement aucune des 500 personnes pouvant parler le tsimshian avaient moins de 25 ans, bien que 32 % d’entre elles étaient des locuteurs de langue seconde.


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Que ce soit dans les réserves ou en dehors de celles-ci, les apprenants en langue seconde sont plus nombreux
Fait intéressant, il semble également que les jeunes générations vivant hors réserve, et particulièrement celles habitant dans les régions urbaines, sont de plus en plus susceptibles d’apprendre une langue autochtone comme langue seconde plutôt que comme langue maternelle. Parmi les indiens inscrits vivant hors réserve, 165 enfants de 10 à 14 ans parlent une langue autochtone pour chaque 100 enfants ayant une langue maternelle autochtone5, ce qui indique qu’un nombre important d’enfants apprennent leur langue traditionnelle comme langue seconde.

Évidemment, la question est encore plus pertinente dans les collectivités autochtones (c.-à-d. les réserves ainsi que les collectivités et établissements inuits). En 1996, environ les deux tiers des collectivités comparables ont déclaré que la majorité des locuteurs autochtones avaient appris la langue comme langue maternelle; en 2001, la proportion s’élevait à moins de la moitié. Par contre, le nombre de collectivités où de nombreux locuteurs l’avaient acquise comme langue seconde a doublé, passant de 8,5 % à 17 %. En tout, environ 33 % des collectivités recensées en 2001 peuvent être considérées comme en transition d’une population de langue maternelle à une population de langue seconde6.

Naturellement, les familles exercent une influence sur la transmission d’une langue autochtone des parents à l’enfant, que ce soit à titre de langue maternelle ou de langue seconde. La vaste majorité des enfants autochtones de 5 à 14 ans (plus de 90 %) peuvent converser dans la langue de leurs parents ou de leurs grands-parents, apprise dans beaucoup de cas comme langue seconde. Les enfants les plus susceptibles d’apprendre une langue autochtone comme langue seconde proviennent de familles linguistiquement mixtes, vivent dans des régions urbaines ou parlent une langue menacée7. Par exemple, alors que 70 % des enfants de filiation linguistique salishenne pouvaient parler la langue de leurs parents, seulement 10 % l’avaient acquise comme langue maternelle8.


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Pour la plupart des parents, l’apprentissage de la langue autochtone est important
Les tendances récentes observées en matière d’acquisition des langues autochtones comme langues secondes indiquent une reconnaissance accrue de l’importance de parler une langue autochtone. Selon l’Enquête sur les peuples autochtones de 2001, les parents de 60 % des enfants autochtones vivant hors réserve considéraient qu’il était très important ou assez important que leurs enfants parlent et comprennent une langue autochtone.

Les parents ne sont pas les seuls à penser que l’apprentissage d’une langue autochtone est important. Autant les adultes autochtones que les jeunes, dont ceux vivant hors réserve, partagent la même opinion. Par exemple, parmi la population hors réserve en Saskatchewan, 65 % des adultes autochtones et 63 % des jeunes Autochtones de 15 à 24 ans étaient d’avis que l’apprentissage, le réapprentissage ou le maintien de leur langue étaient « assez important » ou « très important ». De même, au Yukon, l’apprentissage de la langue autochtone était considéré important par des proportions encore plus élevées d’adultes et de jeunes (78 % et 76 %, respectivement)9.

L’attitude des jeunes est d’une importance capitale pour l’avenir des langues, particulièrement chez les parents de la prochaine génération. De plus, contrairement aux générations précédentes, les jeunes Autochtones d’aujourd’hui doivent contrer l’influence dominante de l’anglais et du français dans les médias de masse et la culture populaire et dans d’autres aspects de la vie quotidienne comme l’éducation et le travail. Par ailleurs, leur langue traditionnelle peut jouer un rôle différent de celui des langues plus courantes : il peut s’agir d’une façon d’exprimer l’identité des locuteurs d’une collectivité… de renforcer les liens familiaux, de maintenir des relations sociales ou de préserver les liens historiques…10.

Une étude approfondie sur les valeurs et les attitudes des jeunes Inuit relativement à l’inuktitut et à l’anglais a révélé que la plupart de ces jeunes, même ceux qui se trouvaient « bons » ou « excellents » en inuktitut, ont fait part de leur inquiétude de perdre leur capacité de bien parler l’inuktitut à force d’utiliser et d’entendre l’anglais plus souvent11. Beaucoup d’entre eux déclarent parler davantage en anglais que lorsqu’ils étaient enfants. Par ailleurs, de nombreux jeunes associent l’inuktitut à leur identité, connaissance traditionnelle et culture; pour certains, la perte de l’inuktitut peut fragiliser leur sentiment d’appartenance, provoquant des sentiments de marginalisation et d’exclusion. Alors que les jeunes font un effort concerté pour utiliser l’inuktitut dans leurs activités quotidiennes, ils ressentent également le besoin d’un soutien de la famille, de la collectivité et du milieu scolaire, afin d’avoir des occasions de l’apprendre, de l’entendre et de l’utiliser.

Résumé
Même si la majorité des locuteurs de langue autochtone apprennent leur langue comme langue maternelle, de nombreux facteurs contribuent à l’érosion de la transmission intergénérationnelle des langues autochtones, dont la migration croissante entre les collectivités autochtones et les villes, les mouvements en direction et en provenance des réserves, les mariages linguistiquement mixtes, l’influence prépondérante de l’anglais et du français dans la vie quotidienne, et l’héritage négatif laissé par le régime des pensionnats. De plus, pour la plupart des enfants autochtones, les conditions « idéales » d’acquisition d’une langue maternelle autochtone — avoir deux parents de langue maternelle autochtone et résider dans une collectivité autochtone — ne sont pas toujours possibles.

Ces pressions et les données démographiques accroissent la probabilité qu’une proportion importante de la prochaine génération de locuteurs de langue autochtone soit formée de locuteurs de langue seconde. Chose plus importante encore, toutefois, ce sont le désir et l’intérêt d’apprendre les langues autochtones aujourd’hui qui contribueront à influencer la croissance des générations futures de locuteurs de langue autochtone, tant les apprenants de langue maternelle que ceux de langue seconde.

 

La situation des
langues autochtones au Québec

Un examen serré de la situation sociolinguistique des autochtones du Québec s'impose avant d'envisager les mesures possibles en vue de l'aménagement de leurs langues. De nombreux articles dans le présent volume font état de ce contexte (Maure, Dorais, Drapeau) : neuf langues différentes4, appartenant à trois familles linguistiques distinctes, pour un total d'un peu plus de 25 000 locuteurs (en 1986) répartis dans une cinquantaine d'agglomérations. Les très faibles effectifs de locuteurs de langue autochtone (voir, dans cet ouvrage, chap. II, pour des nombres précis), l'éloignement géographique des communautés entre elles rendent ces langues très vulnérables et restreignent énormément l'éventail des choix d'intervention planifiée.

Certaines sont sur le point de s'éteindre (l'abénaki), d'autres connaissent de sérieuses difficultés (le mohawk et le micmac), alors que d'autres encore, comme le cri et l'inuktitut, paraissent en excellente santé, du moins si l'on en croit les statistiques officielles. Nous faisions allusion plus haut au fait que toutes les communautés où la langue ancestrale est encore transmise normalement au sein des familles vivent aujourd'hui un contexte de bilinguisme généralisé. D'ici au plus quelques décennies, ces populations ne connaîtront plus de locuteurs monolingues en langue autochtone, augmentant ainsi les chances de transfert à la langue majoritaire.

Partout où la langue ancestrale est encore parlée, un état de diglossie entre la langue vernaculaire (autochtone) et la langue majoritaire s'est installé progressivement alors que diminue le nombre d'unilingues avec le passage des générations. Cette diglossie est caractérisée par l'utilisation de la langue majoritaire dans les domaines de l'éducation, dans les emplois de cols blancs, et presque dans tous les domaines où on fait usage de l'écrit. Le vernaculaire est utilisé dans la vie privée et dans les réseaux communautaires, les emplois manuels ou non spécialisés, et son utilisation comme véhicule d'enseignement est récente et limitée.

Le maintien de l'état diglossique exige une séparation étanche des domaines d'utilisation, mais cet équilibre est délicat et la langue majoritaire a tendance à empiéter dans les sphères traditionnelles d'utilisation du vernaculaire. S'il est vrai qu'en théorie il n'existe pas d'opposition nécessaire entre la conservation de la langue minoritaire et la diffusion de la langue majoritaire (Fishman, 1989 : 392), il reste que le bilinguisme généralisé risque d'entraîner rapidement l'assimilation au profit de la langue majoritaire chez les minorités ethnolinguistiques (Aikio, 1991; Fishman, 1972 et 1985; Gal, 1979; Hill et Hill, 1986). Ce point est de première importance : le maintien des langues autochtones suppose qu'on stabilise la relation de diglossie en confirmant des zones d'usage intensif de ces langues.

La montée des langues autochtones dans le milieu scolaire est récente et sa portée reste encore largement symbolique, puisque cet enseignement se limite la plupart du temps à quelques heures par semaine. L'élaboration des cours de langue autochtone (au primaire surtout) s'est faite très rapidement au Québec, comme au Canada, depuis les années 1970. Ces cours ont d'abord connu une grande popularité chez les groupes en voie d'assimilation linguistique, pour ensuite se répandre chez les groupes où la langue est en meilleure santé (MacKenzie et Clarke, 1980). Les projets d'enseignement bilingue qui font une large place à la langue autochtone sont populaires également, mais surtout sous forme de programmes d'immersion en langue ancestrale, chez les populations où le vernaculaire est en voie d'être supplanté par la langue majoritaire (Lambert, Genesee, Holobow et McGilly, 1985). Ailleurs, sauf exception (voir la section intitulée « La transmission de la langue ancestrale par l'école »), les jeunes de langue autochtone sont scolarisés surtout en langue majoritaire.

L'état de l'aménagement linguistique interne des langues autochtones doit aussi être pris en considération, car il impose de sérieuses limites aux propositions qui peuvent être mises en oeuvre pour leur conservation (ou leur revitalisation5). Drapeau (voir, dans cet ouvrage, chap. V) effectue un bilan d'où il ressort que : a) les langues autochtones se présentent comme des continuums de dialectes où n'émerge aucune norme ou dialecte standard qui puisse guider les choix de langue dans les situations formelles de communication (par exemple, à l'écrit); b) là où une orthographe uniforme a été élaborée, l'absence de dialecte standard met un frein au développement d'une norme écrite globale; c) en conséquence, le corpus écrit en langue autochtone est peu étoffé et les générations éduquées paraissent s'accommoder du bilinguisme de type diglossique où la langue orale est une variété dialectale de la langue autochtone et la langue écrite, une des langues majoritaires; d) la création terminologique consciente à des fins de modernisation lexicale est un besoin urgent, mais reste encore, sauf pour les Inuit, un phénomène marginal, plutôt spontané que systématique, en grande partie faute de personnel formé à cet exercice.

Signalons également que, dans certains cas, la gestion des questions linguistiques et culturelles est extrêmement décentralisée. Cette situation caractérise les Montagnais et les Algonquins où les communautés locales sont responsables de leur épanouissement linguistique de même que de la gestion et de l'instauration des programmes scolaires. Les groupes conventionnés (Cris et Inuit) et les Attikameks font exception à cette règle, chacun possédant une commission scolaire unique et des organismes centraux qui gèrent les questions linguistiques. L'absence d'organisme centralisé perçu comme légitime par les communautés locales rend extrêmement difficile toute action visant la conservation (ou la revitalisation) de ces langues. Cette difficulté se double des problèmes inhérents à l'évolution inégale des communautés d'une même nation. Lorsque, dans une nation, certaines communautés sont en voie de perdre leur langue alors que, dans d'autres, la langue est encore très vivante, il est difficile d'établir un consensus autour d'objectifs communs6.

Le contexte sociopolitique et économique propre aux populations autochtones est également une donnée importante du problème. Ces questions ont trait au degré d'autonomie et à la viabilité politique et économique. Elles constituent aussi une dimension incontournable qui influence directement l'avenir linguistique de ces populations7.

La situation linguistique des nations autochtones du Québec apparaît donc extrêmement complexe. Elle est à ce point diversifiée à l'intérieur de chaque nation et entre les nations qu'il est à peu près impossible de mettre sur pied un plan uniforme d'action qui les satisfasse toutes. À l'examen, il se dégage trois blocs de situations.

1) D'abord, celle des communautés qui ont définitivement perdu leur langue, tels les Hurons, certaines communautés montagnaises et algonquines et, à toutes fins utiles, les Abénakis.

2) En second lieu, on peut regrouper les communautés où la langue est menacée de disparition, mais où une proportion considérable de la population la parle encore, sans toutefois l'avoir transmise aux générations plus jeunes. C'est le cas chez les Micmacs, les Mohawks et dans certaines communautés algonquines.

3) La troisième catégorie regroupe les communautés où la langue est encore transmise normalement au sein de la famille : ce contexte caractérise les Attikameks, les Inuit, les Cris-Naskapis, la plupart des communautés montagnaises et certaines communautés algonquines.

Le cadre juridique
et le rôle de l'État

Avant de poursuivre la discussion sur l'avenir des langues autochtones, examinons le cadre juridique dans lequel il s'inscrit et le rôle que l'État peut jouer en la matière8. La Charte de la langue française (gouvernement du Québec, 1989) reconnaît, dans son préambule, aux Amérindiens et aux Inuit «le droit qu'ils ont de maintenir et de développer leur langue et culture d'origine » et permet l'usage de leurs langues dans l'enseignement qui leur est donné. La Convention de la Baie James et du Nord québécois, qui concerne les Cris et les Inuit du Québec, confirme les mêmes droits. Les réserves indiennes ne sont pas assujetties aux autres dispositions de la Charte, mais obligation est faite aux Cris et Inuit, en vertu de la Convention, d'enseigner le français dans les écoles de leurs commissions scolaires « afin de permettre à leurs diplômés de poursuivre leurs études en français ». Enfin, en vertu de la même Convention, l'éducation est confiée à des commissions scolaires autochtones et il est admis que la langue d'enseignement principale puisse être la langue vernaculaire.

Les énoncés de politique émanant du gouvernement du Québec s'accordent tous pour laisser aux autochtones le devoir d'initiative dans la mise en oeuvre d'une politique visant la conservation (ou la revitalisation) de leurs langues. À l'État, qui garantit ces droits, échoit un rôle de soutien. Ainsi, l'énoncé de la Politique québécoise de développement culturel (citée dans Trudel, chap. IV de cet ouvrage) fait état de trois principes : le droit des autochtones à décider librement de leur développement, leur droit à l'aide gouvernementale et leur responsabilité d'inventer les institutions et les stratégies qui conviennent à leur propre évolution. En 1983, l'Assemblée nationale adopta 15 principes régissant les relations futures avec les groupes autochtones (voir, dans cet ouvrage, chap. IV) dont trois touchent la langue. Ces principes reconnaissent le droit à la langue, celui d'orienter leur identité propre, d'avoir et de gérer les institutions correspondant à leurs besoins et de bénéficier de fonds publics. Enfin, en 1989, l'énoncé de politique du Secrétariat aux affaires autochtones (SAA, 1989), reconduisant les mêmes principes, consacre la responsabilité première des autochtones de protéger et d'enrichir leurs langues et réaffirme la politique de soutien du gouvernement du Québec.

À l'échelle canadienne, Michael Foster (1982 : 12) se fait l'écho d'une politique semblable. Ici, la responsabilité première n'échoit plus seulement aux autochtones dans leur ensemble, ou, peut-on supposer, à leurs représentants ou institutions, mais aux communautés locales, en vertu du « principe de localité » (the principle of localization). Les décisions concernant la politique linguistique doivent donc être laissées aux communautés locales et ce sont elles seules qui doivent décider si elles souhaitent garder leur langue et mettre en oeuvre les moyens pour le faire. Le rôle de l'État est de fournir un soutien financier à une politique établie localement.

Il y a danger, toutefois, que la politique reconnaissant des droits, assortie de propositions vagues de soutien et renvoyant l'entière responsabilité de l'exercice de ces droits aux premiers intéressés ne se transforme en une politique de laisser-faire qui équivaudrait à toutes fins utiles à laisser le rapport de forces accomplir son oeuvre. Compte tenu de la dispersion de la population autochtone et de la complexité des tâches à entreprendre, une stricte application du « principe de localité », tel qu'il est énoncé par Foster, équivaut à avaliser la sentence de mort qui pèse sur ces langues.



 

Les transferts d'allégeance linguistique

On explique souvent les transferts d'allégeance linguistique chez les autochtones comme le résultat direct des volontés assimilatrices de la société majoritaire. Cette analyse trouve un écho dans l'énoncé de politique du Secrétariat aux affaires autochtones (SAA, 1989). Cette explication repose sur la mise en place d'un schéma manichéen où figurent la société majoritaire et ses institutions d'une part et, d'autre part, les autochtones dont la langue et la culture subissent les « assauts constants » des premières. Cette façon d'énoncer la problématique, bien qu'elle reflète en partie la réalité, repose sur une simplification indue en ce qu'elle donne à croire que le problème serait résolu s'il n'y avait plus cette volonté d'assimilation et si, par exemple, les langues autochtones étaient protégées par l'État. L'étude des phénomènes de transfert d'allégeance linguistique chez les ethnies minoritaires, dans d'autres régions du monde, démontre toutefois que la pression qui pousse des populations à s'assimiler linguistiquement à une langue majoritaire se maintient souvent malgré une politique de soutien institutionnel. Le cas du romanche en Suisse et du gaélique en Irlande en sont des exemples particulièrement éloquents. Chez les autochtones canadiens, selon Burnaby (1989), il appert que la tendance au changement d'allégeance linguistique reste forte malgré les programmes d'enseignement des langues ancestrales offerts dans les écoles depuis le début des années 19709.

De plus, les opinions ne sont pas toujours unanimes chez les populations concernées quant aux mesures à mettre en oeuvre pour assurer la préservation de la langue ancestrale. La situation de la langue navajo, parlée par environ 150 000 Amérindiens habitant une immense réserve en Arizona, est très révélatrice à cet égard. Dans un article sur la modernisation du navajo, Spolsky et Boomer (1983) font état d'une évolution importante tant du côté des programmes d'éducation bilingue que de l'instrumentalisation (existence d'un volumineux dictionnaire assorti d'une grammaire, plusieurs descriptions linguistiques complètes, des lexiques spécialisés, nombre de thèses de doctorat, des études sur le développement de l'écrit, 50 années d'ateliers pour la formation d'interprètes, etc.). Malgré tout, Spolsky et Boomer concluent que le navajo et l'anglais restent dans une situation diglossique, le navajo étant préféré à l'oral et l'anglais à l'écrit. Ils ajoutent (Spolsky et Boomer, 1983 : 249) que les efforts de modernisation de la langue navajo ne reçoivent qu'un soutien mitigé dans la population navajo et que même les responsables en éducation ne voient pas l'utilité de programmes bilingues qui intégreraient la langue ancestrale comme véhicule d'enseignement.

De même, les spécialistes ne s'entendent pas sur la nature de la politique à mettre en oeuvre pour assurer la conservation (ou la revitalisation) des langues menacées. Marjut Aikio, dans un article sur la disparition de la langue sámi, remet en question le rôle de l'école dans la préservation de la langue, alléguant que « les quelques petites mesures positives prises par le système scolaire paraissent souvent faire plus de tort que de bien » (Aikio, 1991 : 5, notre traduction). Au Québec, la tendance dominante va dans le sens d'accorder une place à la langue menacée dans le programme scolaire. Les démarches les plus audacieuses, jusqu'à aujourd'hui, ont été l'implantation de programmes de transition bilingues. Comme chez les Navajos, ces programmes obtiennent parfois difficilement l'aval des autorités autochtones et des populations concernées. D'autre part, lorsqu'ils sont implantés chez des populations où la langue est encore transmise normalement, ces programmes bilingues essuient de fortes critiques de la part de certains spécialistes qui jugent qu'il s'agit de programmes qui favorisent l'assimilation linguistique à la langue majoritaire. Certains allèguent même qu'ils peuvent accélérer le processus de perte de la langue maternelle (voir entre autres Dorais, 1989).

Par ailleurs, plusieurs chercheurs ont noté les effets pervers possibles des efforts de standardisation des langues à tradition orale. Ainsi, l'anthropologue Bambi Schieffelin (1987 : 158) rapporte, à propos d'une langue de la Papouasie : « Dans le cas du bosavi, quatre dialectes faisaient bon ménage jusqu'à ce que la mission choisisse d'utiliser l'un d'entre eux comme base pour édifier la version écrite de la langue. La conscience d'une norme fut ainsi créée alors qu'il n'en existait pas au préalable » (notre traduction). La mise sur pied de systèmes d'écriture uniformisée pour les langues autochtones comme, en général, pour les langues à tradition orale, est un domaine où les opinions sont très partagées tant en ce qui concerne l'à-propos d'une telle entreprise que la manière de la mener à bien. Ces questions divisent tant les spécialistes que les populations concernées.

Il est fort difficile de départager le vice et la vertu dans le domaine des actions visant la conservation (ou la revitalisation) des langues menacées. Ces dissensions paraissent inévitables compte tenu du fait que, comme le fait remarquer Fishman (1989 : 395), à partir du moment où une langue est menacée, tout effort planifié pour en rehausser le statut entraîne de grands risques en comparaison des résultats bénéfiques qu'on peut en espérer. Nous ajouterions que cela est encore plus vrai dans le cas des langues à tradition orale. On sera donc en accord ou en désaccord avec telle ou telle mesure pour la promotion des langues autochtones selon que l'on insiste davantage sur le risque qu'il suppose ou sur l'effet escompté. Il apparaît donc qu'en matière de politique à l'endroit des langues menacées, il n'existe pas de solution qui ne soit controversée et que même les moyens en apparence les plus raisonnables donnent lieu à diverses oppositions et remportent parfois des résultats très décevants.

Mentionnons en dernier lieu une tendance très répandue qui consiste à croire et à faire croire qu'il peut exister une solution miracle qui puisse assurer la survie des langues menacées. Les programmes d'éducation sont souvent perçus comme la panacée permettant de régler les problèmes linguistiques vécus dans la communauté. Le recours à la « technique » comme remède universel est aussi très fréquent : on croira tantôt que l'ordinateur, tantôt que « la linguistique » peuvent servir de solution pour assurer le maintien des langues en péril. D'autres se persuaderont que la voie de la reconnaissance juridique est absolument indispensable. Si, comme nous l'avons vu plus haut, il n'y a pas de solution qui ne soit hautement controversée, c'est une grave erreur de croire qu'il existe une solution miracle qui puisse guérir ces maux linguistiques.

Nous ne pouvons pas ici traiter à leur mérite ces sujets complexes, mais il est clair qu'une politique éclairée ne peut que s'appuyer sur une compréhension profonde des phénomènes de transfert d'allégeance linguistique et des divers moyens susceptibles de les endiguer, en s'inspirant d'autres exemples de minorités linguistiques comparables dans le monde. Ces connaissances sont nécessaires pour la mise en place d'une politique réaliste qui aille au-delà des veux pieux ou de l'attentisme10.

Peu d'auteurs se sont penchés aussi sérieusement que Joshua Fishman sur la voie à suivre pour assurer la survie de langues menacées. Dans un article récent au sujet des mouvements sociaux qui ont pour objectif de renverser l'assimilation linguistique chez les ethnies minoritaires, Fishman (1990), tout en déplorant le manque d'études et l'indigence de l'appareillage conceptuel dans le domaine de la préservation des langues menacées, établit ainsi les paramètres auxquels ces mouvements doivent obéir dans le but d'obtenir l'effet souhaité :

Toutefois, même ceux qui sont impliqués dans l'étude ou les activités des mouvements de renversement du changement d'allégeance linguistique (RLS) ont eu tendance à manquer de cohérence théorique et à être obnubilés davantage par l'activisme plutôt que de tenter de faire la preuve du lien empirique entre certains efforts particuliers et la transmission effective d'une génération à l'autre des comportements, des attitudes et des croyances liés à la langue. Là où le bilinguisme diglossique est tout ce qu'on peut réalistement espérer atteindre, les efforts en vue de renverser le changement d'allégeance linguistique doivent insister sur la consolidation des solidarités distinctives autour de la famille, du voisinage et de la communauté (Fishman, 1990 : 5; notre traduction).

Ces réflexions de Fishman nous permettent d'établir deux prémisses qui serviront de guides pour la mise sur pied d'un programme d'action et, éventuellement, de critères d'évaluation des résultats. La première prémisse est la suivante : tout effort de conservation (ou de revitalisation) doit avoir pour objectif de promouvoir la transmission de la langue ancestrale entre les générations. On pense rarement à cette condition, parce qu'en général, elle est toujours réalisée. Mais, dans le cas qui nous préoccupe, elle ne va pas nécessairement de soi, puisqu'on constate que, dans certaines communautés, on transmet plutôt aux enfants la langue de la majorité environnante et non la langue ancestrale. Or, la transmission de la langue d'une génération à l'autre est la condition la plus essentielle, la garantie la plus naturelle de sa persistance. La seconde prémisse est le corollaire de la première : le lieu privilégié où doit se faire la transmission de la langue est la famille, le voisinage, la communauté, dans la vie quotidienne, là où les enfants forgent leur compétence linguistique et l'identification à leur langue. C'est à cet aspect que toute politique de maintien (ou de revitalisation) doit s'adresser au premier chef. L'énoncé de ces prémisses permet de mieux préciser quels doivent être les premiers agents d'une politique de maintien des langues autochtones : les autochtones eux-mêmes dans leurs familles, leurs réseaux communautaires et au sein des institutions qu'ils gèrent à l'échelle locale.

Ces constatations rejoignent les conclusions que Fennel tire de l'échec des efforts de sauvetage du gaélique irlandais, sous le parapluie de l'État, depuis les années 1920 :

Une minorité linguistique en voie de disparition ne peut être sauvée par les actions de bons samaritains qui n'appartiennent pas à la minorité en question. Notamment, sa disparition ne peut être endiguée par l'action, quelque bienveillante et intelligente qu'elle soit, d'un État central moderne. Elle ne peut être sauvée que de l'intérieur, à la condition expresse que ses membres acquièrent la volonté de freiner sa disparition, qu'ils se dotent des institutions et des moyens financiers nécessaires pour mettre en oeuvre les mesures appropriées, et qu'ils les appliquent (Fennel, 1980 : 39, notre traduction).

Les autochtones sont d'ailleurs conscients qu'ils sont les premiers responsables de la conservation (ou de la revitalisation) de leurs langues, comme le démontrent ces paroles d'Owendaka :

[...] les langues autochtones ne pourront pas être sauvées grâce à l'argent du gouvernement ni avec des propositions votées lors des congrès. Il est vrai que l'argent et les résolutions peuvent aider. Mais la seule manière de sauver les langues autochtones d'une mort certaine est que chaque individu autochtone s'engage personnellement à faire tout ce qu'il peut pour raffermir sa langue maternelle. Les langues autochtones ne pourront être sauvées que par les gens qui les enseignent, les apprennent et les utilisent (Owendaka, 1988, notre traduction)11.

Par ailleurs, ces prémisses peuvent servir de guides dans l'évaluation de la pertinence des mesures proposées pour la conservation (ou la revitalisation) des langues autochtones. Les propositions d'action doivent en effet avoir une incidence directe sur la consolidation de (ou le retour à) la transmission normale de la langue entre les générations. C'est dans ce cadre général que nous formulons les propositions qui suivent qui, bien qu'exploratoires, peuvent constituer une base de plan d'action.



 

Les bases d'un plan d'action

Nous avons mis en lumière plus haut la diversité et la complexité du contexte linguistique chez les autochtones du Québec. En conclusion, nous faisions état de trois situations types :

  1. les communautés qui ont perdu leur langue;
  2. celles où elle est en voie de disparition;
  3. celles où elle est encore transmise normalement.

Dans la perspective des contraintes qui pèsent actuellement sur l'allocation des ressources, il importe de fixer les objectifs, de dégager des priorités et d'évaluer les moyens les plus susceptibles d'apporter les effets escomptés.

Pour les communautés de type (a), il est difficile de formuler des objectifs linguistiques puisqu'il n'existe plus de langue à aménager. Les cas de résurrection linguistique réussie dans le monde sont extrêmement rares; l'hébreu en constitue l'exemple le plus éclatant. Cependant, la résurrection de cette langue s'est faite dans des conditions sociopolitiques très particulières qu'il est virtuellement impossible de reproduire au Québec. Ces considérations viennent s'ajouter à la difficulté colossale de l'entreprise et du petit nombre de locuteurs potentiellement intéressés à relever ce défi.

Pour les communautés de type (b), il est clair que l'objectif linguistique premier doit être, si tel est leur désir, d'enrayer au plus tôt l'hémorragie. Elles devront trouver les moyens de réactiver la dynamique propre à la transmission de la langue entre les générations. Quant aux communautés de type (c), elles doivent poursuivre une politique qui leur permettra de maintenir leurs effectifs linguistiques en garantissant la transmission la plus intégrale possible du code linguistique entre les générations12.

Les stratégies linguistiques possibles dans les communautés autochtones de type (b) ou (c) peuvent être de plusieurs ordres. Nous en énumérons ici quelques-unes que nous commenterons par la suite13. Ces moyens sont présentés par ordre de préférence.

  1. Renforcer, par le travail idéologique, l'utilisation de la langue ancestrale dans la vie privée, au sein de la famille et de la communauté;

  2. Consolider l'utilisation de la langue ancestrale dans tous les domaines de l'activité publique communautaire (services religieux, médias locaux, manifestations publiques, assemblées communautaires, séances politiques, affichage public, etc.);

  3. Perfectionner les compétences langagières à l'école;

  4. Déborder des domaines traditionnels pour investir les domaines sociosymboliques jusque-là réservés à la langue majoritaire comme l'Administration publique et celle des entreprises;

  5. Accéder à un statut juridique en dehors des frontières des communautés locales (par exemple, enchâssement dans la Constitution canadienne ou dans un texte de loi québécois).

Les quatre premiers éléments sont du ressort des autochtones eux-mêmes alors que le dernier concerne une instance gouvernementale. Ces stratégies doivent chacune être évaluées au mérite, au regard des objectifs poursuivis qui sont soit le retour à la transmission normale (revitalisation), soit la consolidation de la « continuité de la transmission linguistique entre les générations » (Fishman, 1990 : 16; trad. libre).



 

Renforcer l'utilisation normale
de la langue dans la vie privée

La toute première façon de garantir la transmission normale de la langue ancestrale aux enfants est de faire en sorte que celle-ci soit la langue d'usage dans la vie privée, tant au sein de la famille qu'entre les membres de la communauté. Nous avons vu plus haut que toute action visant à enrayer l'hémorragie dans les langues menacées doit viser d'abord la véritable arène où se fait la transmission ou la perte de la langue : la maison, le voisinage, l'école, la communauté. De la même manière, il s'agit du meilleur moyen de prévention dans les communautés où la langue est encore en santé. L'atteinte de cet objectif nécessite un travail « idéologique », de la persuasion par le discours et par l'exemple. Cette fonction ne peut être prise en charge que par les autochtones eux-mêmes.



 

Consolider l'utilisation de la langue
dans la vie publique communautaire

Dans la perspective du leadership des autochtones dans la conservation (ou la revitalisation) de leurs langues et compte tenu de la législation québécoise, il est possible pour ceux-ci de garantir un statut privilégié à leurs langues à l'intérieur de leurs communautés. Lors de l'élaboration d'une politique d'aménagement du statut, il serait possible d'assurer l'utilisation intensive de ces langues dans tous les domaines de l'activité publique communautaire (offices religieux, médias locaux, manifestations publiques, assemblées communautaires, séances politiques, affichage public, etc.). La langue autochtone pourrait y être déclarée langue officielle et prendre ainsi une place plus importante. Aucune de ces mesures ne contreviendrait à la législation linguistique du Québec, puisque les conventions existantes admettent l'usage des langues locales comme langues de services et que la Charte de la langue française ne s'applique pas dans les réserves. Un courant en faveur de l'adoption d'une politique linguistique locale est déjà amorcé aux États-Unis où quatre bandes ont adopté des politiques linguistiques (voir l'article de J. Maure, dans cet ouvrage, chap. I).

Depuis une dizaine d'années, les radios communautaires en langue autochtone dans le Québec autochtone septentrional ont connu un succès énorme auprès des populations en cause. On ne saurait trop souligner l'importance de ces médias communautaires qui jouent un rôle vital en permettant de relier des communautés éloignées et en créant un lieu d'expression sans précédent pour la parole autochtone. En effet, la production et la diffusion d'émissions (radiophoniques ou télévisuelles) en langue autochtone sont un moyen d'une haute valeur symbolique pour rehausser le statut de ces langues auprès de leurs locuteurs et de la population en général. C'est aussi, d'un autre point de vue, un puissant instrument de standardisation linguistique spontanée qui pourrait contrer efficacement la tendance à la dialectisation. En dernier lieu, le recours à la radio pourrait compenser la dispersion des locuteurs sur de vastes territoires et augmenter le sentiment d'appartenance à la même communauté linguistique.

Il existe déjà plusieurs communautés où les offices religieux sont célébrés dans la langue ancestrale; cette pratique pourrait se généraliser. Avec la montée de la prise en charge locale des services tels que l'éducation, les services sociaux et de santé, chaque communauté devrait pouvoir garantir à sa population les services dans la langue autochtone. L'affichage public en langue locale est également facile à réaliser. D'autres efforts d'utilisation publique de la langue ancestrale, tels que les assemblées et autres manifestations publiques, sont possibles dans les communautés où la langue autochtone est connue de tous, mais plus difficiles dans les communautés où cette condition n'est pas remplie.

La réalisation des points 1 et 2 aura pour effet de consolider des « zones » d'utilisation intensive de la langue ancestrale. En effet, la persistance des langues autochtones est liée à leur usage intensif dans des zones où elles sont langues principales. Par usage intensif nous entendons le fait que, dans les communications à l'intérieur de ces zones, les langues autochtones sont normalement et fréquemment utilisées. Nous ajoutons « comme langues principales » pour indiquer que l'usage d'une ou de plusieurs autres langues est souvent nécessaire, par exemple pour les communications avec les non-autochtones. Mais cet emploi d'autres langues ne doit pas compromettre l'usage habituel de la langue autochtone principale. Nous utilisons le mot « zones » pour désigner à la fois des zones au sens strict, géographiques, administratives et démographiques, et des domaines d'utilisation de la langue comme langue d'usage principale. Cet emploi intensif des langues autochtones pourra permettre d'adopter une attitude plus positive à leur égard.

Ces deux premières propositions sont de la compétence exclusive des communautés locales et exigent un minimum de moyens pour être implantées. Elles vont dans le sens du renforcement des solidarités ethnolinguistiques autour de la famille, du voisinage, de la communauté et du développement de la socialisation linguistique primaire. Ce «programme minimal» (selon l'expression de Fishman, 1990) ne dépend pas de la bonne volonté d'organismes externes pour son application et il est particulièrement approprié pour les groupes ethnolinguistiques démographiquement faibles.



 

La transmission de
la langue ancestrale par l'école

Les points 1 et 2 ont pour but de stabiliser la relation de diglossie entre les langues autochtones et la langue majoritaire en confirmant des zones d'utilisation intensive des premières. Il existe toutefois des dangers à se limiter au domaine communautaire dans les efforts pour assurer la transmission du savoir linguistique entre les générations, le principal étant celui de la folklorisation. Les points 3 et 4 ont comme conséquence de restreindre la diglossie par l'accroissement des domaines d'utilisation des langues ancestrales. Ils visent à ouvrir à la langue ancestrale les domaines de prestige jusque-là réservés à la langue majoritaire, tels que l'école, l'Administration publique (écoles, bureaux de bande, organes politiques, etc.) et celui des entreprises privées autochtones là où elles existent. Comme elles comportent des risques et qu'elles requièrent une préparation complexe, les mesures en ce domaine sont controversées tant chez les spécialistes que parmi les autochtones eux-mêmes. En effet, si les points discutés en 1 et 2 feront facilement l'unanimité auprès des populations concernées, les points 3 et 4 pourront soulever plusieurs polémiques.

L'extension des domaines d'utilisation des langues autochtones présuppose une lourde préparation qui demande un investissement considérable sur le plan des ressources humaines, matérielles et financières. La langue autochtone ne pourra véritablement jouer son rôle à l'école, de même que dans l'Administration publique et dans les lieux de travail, discuté au point 4, qu'après un travail sérieux de préparation par l'aménagement linguistique interne. En effet, il importe de tenir compte que la transmission de la langue ancestrale par l'école et la conquête de nouveaux domaines d'utilisation ne peuvent se faire par simple décret et qu'elles comportent des préalables incontournables. En d'autres mots, on ne peut d'emblée élargir les domaines d'utilisation de la langue autochtone à des sphères d'utilisation pour laquelle elle n'est pas préparée sans passer par les étapes préalables d'aménagement interne (uniformisation de l'écriture, élaboration lexicale, etc.), de préparation du matériel nécessaire et de formation du personnel14. Pour l'école, les conditions préalables sont l'uniformisation de l'orthographe, la standardisation d'un code écrit, la création de matériel pédagogique et la formation du personnel enseignant et administratif. Poussées par l'enthousiasme, certaines communautés ont subi des échecs cuisants en décrétant arbitrairement l'utilisation de la langue dans des programmes scolaires sans préparation suffisante. Si, pour une raison ou une autre, les conditions préalables ne sont pas remplies, il est inutile, voire nuisible, de songer à faire directement usage de la langue autochtone dans des domaines nouveaux. Inversement, il est inutile de se lancer dans les tâches fastidieuses de codification et de modernisation lexicale si, pour une raison ou pour une autre, il est clair qu'il n'existe pas de volonté femme pour que la langue autochtone soit utilisée dans le domaine pour lequel on la prépare.

La taille modeste des communautés autochtones restreint grandement les choix en matière d'éducation. Souvent, leur nombre d'habitants ne justifie pas la construction d'écoles secondaires dans les communautés, ce qui force les élèves à fréquenter les écoles québécoises. L'enseignement de la (et a fortiori en) langue autochtone obéit à une logique intégrative qui est celle de maintenir le lien entre l'enfant et sa communauté à l'aide de la langue. En raison du manque de débouchés économiques dans les communautés, les motivations instrumentales sont toutefois quasi inexistantes, d'où l'extrême fragilité de cet enseignement et l'absence de consensus dans la population autochtone même quant à son utilité.

Il reste toutefois que, dans la perspective de l'aménagement du statut, l'univers scolaire est un domaine privilégié où les langues autochtones peuvent effectuer une percée. Déjà, dans plusieurs communautés autochtones du Québec, l'éducation préscolaire se fait dans la langue maternelle de l'enfant. Les programmes d'immersion en langue autochtone sont populaires chez les groupes où la langue n'est plus parlée dans les familles, tels les Mohawks et les Algonquins de Maniwaki et de Winneway. Des programmes de transition et de maintien bilingues sont déjà implantés chez les Inuit; la formule est mise à l'essai chez les Montagnais de Betsiamites (Drapeau, 1984) et de Sept-Îles. Il en est aussi fortement question chez les Attikameks et les Cris. Pour l'instant, ces programmes se limitent aux premières années du cours primaire.

Depuis la célèbre déclaration de l'Unesco en 1953 (Unesco, 1968), la question du rôle de la langue maternelle dans la scolarisation des enfants de groupes minoritaires socialement non dominants n'a cessé de faire couler de l'encre. Il existe un fort courant chez les psychologues qui s'intéressent aux langues dans l'éducation et à la psychosociologie du langage en faveur de l'utilisation de la langue maternelle durant les premières années de l'apprentissage scolaire de l'enfant d'ethnie minoritaire socioéconomiquement désavantagée. Les résultats des expériences éducatives faites depuis les 20 dernières années sont cependant loin de faire l'unanimité et le débat sur le sujet se poursuit (Cummins, 1983; Dutcher, 1982; Edwards, 1981; Ekstrand, 1982; Engle, 1975 et 1976; Lambert, 1977; Lambert, Genesee, Holobow et McGilly, 1985; Paulston, 1975 et 1982; Skutnabb-Kangas, 1981; Unesco, 1968; Wagner, Spratt et Ezzaki, 1989).

Quelle que soit l'issue de ce débat, il reste que ces efforts d'utilisation des langues autochtones pour l'enseignement méritent notre appui, et tout doit être mis en oeuvre pour trouver les formules éducatives qui garantiront l'atteinte des objectifs que les populations autochtones se fixeront. La recherche d'une formule (ou de formules) éducative appropriée pour les populations de langue autochtone doit donc constituer un objectif important à atteindre. Les Inuit, les Cris et les Attikameks ont des commissions scolaires régionales qui regroupent les communautés et permettent la concertation. Ces commissions scolaires font cependant défaut chez les autres groupes, ce qui rend difficile la recherche de formules éducatives originales. À l'heure actuelle, plusieurs programmes bilingues sont mis à l'essai un peu partout, trop souvent en vase clos. Il serait souhaitable que soit créé un forum provincial sur l'éducation bilingue en milieu autochtone de sorte que puisse être effectué un suivi et que s'opère une synergie.

Il est normal dans le monde actuel que les ethnies minoritaires souhaitent utiliser le puissant levier culturel qu'est l'école pour véhiculer leur propre culture, leur langue et leur système de valeurs. Toutefois, elles doivent éviter que l'école ne devienne le principal agent de transmission de celles-ci. Cette remarque vaut tout autant pour les communautés où la langue ancestrale est transmise normalement que pour celles qui sont en voie de la perdre. L'école reste un outil imparfait et ne saurait remplacer le travail élémentaire et fondamental qui revient à la famille et aux réseaux communautaires. L'objectif principal étant la transmission normale et fidèle de la langue autochtone, l'école ne constitue que le maillon d'une chaîne qui doit prendre d'abord racine dans la communauté et dans la famille. C'est une erreur courante de concevoir l'éducation comme un remède universel et, dans les communautés linguistiques où la langue est menacée, la pire solution consiste à donner à l'école le mandat d'en assurer la transmission, déchargeant ainsi la famille et les réseaux communautaires de leur responsabilité première en ce domaine. Malgré la justesse de cette mise en garde, il reste que l'avenir des langues autochtones peut certainement être influencé par la politique éducative mise en oeuvre dans les communautés.



 

La conquête de
nouveaux domaines d'utilisation

L'utilisation des langues autochtones dans les domaines nouveaux que sont l'administration de la bande, des services qu'elle offre (santé, services sociaux, éducation, pour ne nommer que ceux-là) et l'entreprise privée autochtone pose elle aussi tout le problème de la standardisation et de la modernisation terminologiques. Il y a là un travail considérable à faire. La poursuite de la modernisation terminologique comporte deux volets complémentaires : la formation universitaire du personnel et la nécessité d'une concertation et d'une coordination des travaux, puisque la problématique et la méthodologie sont communes à toutes les langues, au-delà des différences attribuables à la diversité des systèmes linguistiques.

Nous croyons, à la suite de Fishman (1989 et 1990), que les communautés où la langue ancestrale est gravement menacée doivent s'engager avec prudence dans cette voie qui, si elle est poursuivie, drainera une énorme quantité de ressources et d'énergie. Il nous rappelle en effet qu'en voulant mettre un accent démesuré sur la nécessité de faire figurer le vernaculaire en péril dans les sphères sociosymboliques les plus élevées, on court le risque de lui donner à relever des défis trop lourds qui peuvent même mettre en danger les efforts consentis pour sa préservation. C'est pourquoi les mesures proposées sous cette rubrique ne devront figurer au programme des langues où la langue est transmise normalement qu'après mûre réflexion et en circonscrivant le plus possible les tâches à entreprendre.



 

Un statut juridique
à l'échelle nationale?

Dès lors qu'une langue est menacée dans son existence même, le réflexe le plus naturel des groupes concernés est de réclamer une protection et des garanties juridiques pour la langue en question. Ainsi, la Conférence sur les langues aborigènes, tenue à Ottawa en 1986 (voir, dans cet ouvrage, chap. IV) sous les auspices de l'Assemblée des premières nations, a adopté plusieurs résolutions démontrant que les autochtones ont l'intention de jouer un rôle prépondérant dans la promotion de leurs langues. La Conférence a également exigé que le gouvernement fédéral accorde le statut de langues officielles aux langues autochtones, en insérant cette disposition dans la Constitution canadienne.

Jusqu'ici, peu d'analystes ont proposé la voie de la reconnaissance officielle. Après avoir fait l'examen des garanties juridiques existantes au Canada à l'endroit des langues autochtones, Richstone (1989 : 278) conclut que, compte tenu de la situation critique dans laquelle se trouvent ces langues, il est plus sage de trouver des moyens qui leur permettent de s'épanouir que d'apporter des solutions juridiques formelles. Foster (1982) expose un point de vue semblable. De fait, plusieurs auteurs sont sceptiques devant l'utilité des efforts symboliques de reconnaissance des langues autochtones. Dorais (1981 : 304) condamne les efforts purement symboliques que sont les multiples traductions (des langues majoritaires vers l'inuktitut) des textes de loi, des ententes administratives diverses, voire des débats parlementaires. Il fait valoir que ces textes sont presque illisibles pour les Inuit et par conséquent tout à fait inutiles. Ce dernier nous met également en garde contre ces solutions qui n'ont que peu d'effet sur la situation linguistique réelle, mais qui résultent dans la création d'une bureaucratie (souvent blanche). Fishman (1990) nous enjoint également d'éviter cet écueil.

Nous plaçons donc en dernier lieu le recours à la loi et à la Constitution, notamment pour donner un statut juridique aux langues autochtones du Québec. Nous croyons en effet qu'une loi linguistique, ou la définition du statut par voie juridique, n'est pas la meilleure manière d'assurer la conservation (ou la revitalisation) de ces langues dont le principal problème n'est pas de recruter de nouveaux locuteurs parmi la population non autochtone, mais d'en maintenir le nombre par la transmission efficace de la langue dans les foyers autochtones. D'une part, aucune loi provinciale ou fédérale ne pourrait garantir l'utilisation des langues autochtones dans le domaine privé ou public dans les communautés autochtones. D'autre part, depuis plus d'une quinzaine d'années, la politique du ministère des Affaires indiennes et du Nord est de céder aux communautés, ou à des organismes représentatifs, l'administration des services à la population autochtone. Ces prises en charge se sont faites d'abord en éducation, pour s'étendre par la suite aux services sociaux et aux services de santé. Les communications directes entre les gouvernements fédéral et provincial et la population autochtone sont donc de plus en plus rares. Ce changement profond dans l'administration des services aux autochtones rend à toutes fins utiles caduque une législation qui aurait pour objectif d'instituer la langue autochtone comme langue de service entre le gouvernement et la population autochtone.

En dernier lieu, il n'est pas du tout évident qu'une reconnaissance purement formelle et symbolique pourrait exercer un effet réel sur la transmission de la langue entre les générations et l'acquisition fidèle de celle-ci par les jeunes. Les conditions que nous avons explicitées précédemment sont donc beaucoup plus importantes et pertinentes. La loi ne peut qu'aider à leur mise en place, pour renforcer la volonté des locuteurs de conserver et de faire réellement usage de leurs langues dans la vie privée et communautaire.



 

Conclusion

S'il est vrai que l'État ne peut se substituer aux organismes et aux peuples autochtones en matière linguistique, il a toutefois la responsabilité morale de les aider à sauvegarder leur patrimoine linguistique. Or, tout effort de consolidation des langues autochtones dans le contexte socioculturel et économique de la fin du XXe siècle ne peut être entrepris sans s'appuyer sur des connaissances approfondies des propriétés de ces langues, des mécanismes de leur acquisition, de la dynamique de leur emploi dans les communautés bilingues et du passage de la tradition orale au média écrit, ni sans prendre appui sur l'important bagage de connaissances acquises en sociolinguistique sur les caractéristiques des minorités ethnolinguistiques et les pressions complexes auxquelles elles font face.

Les points 3 et 4 ont posé de façon aiguë le problème de la disponibilité des ressources linguistiques, humaines et matérielles indispensables à leur réalisation. À cette fin, il importe d'encourager la recherche sur les langues autochtones et la formation d'une relève (autochtone de préférence), dans une perspective large incluant non seulement les domaines de la linguistique descriptive, mais également la sociolinguistique et la psycholinguistique appliquée. Puisqu'aucune université québécoise ne possède de chaire en linguistique autochtone ni de centre de recherche sur le sujet, nous croyons que la création d'un institut de recherche sur les langues autochtones serait nécessaire avec, comme mandat, d'effectuer la recherche fondamentale et appliquée pertinente. Il serait également important d'encourager les jeunes autochtones à s'engager dans ce type de carrière en créant à leur intention un programme de bourses d'études universitaires dans les disciplines appropriées.

À l'occasion de ce survol des différents aspects de la situation sociolinguistique des langues autochtones et des moyens mis de l'avant pour maintenir la connaissance et l'usage de ces langues, nous nous sommes fait, peu à peu, une meilleure idée des éléments fondamentaux d'une stratégie globale d'aménagement de la relation entre ces langues et les langues majoritaires ambiantes. Nous avons d'abord reconnu grosso modo trois situations types. Nous en avons privilégié deux pour lesquelles il est raisonnable de concevoir une politique réalisable. Nous avons ensuite déterminé des objectifs généraux pour ces deux types de contexte : endiguer la perte de locuteurs pour les langues plus menacées et maintenir les effectifs linguistiques existants pour les langues « en santé ». Dans les deux cas, nous avons ramené la question à un problème de transmission de la langue entre les générations. C'est cette transmission qu'il importe au premier chef soit de rétablir, soit de consolider pour empêcher son érosion. Nous avons ensuite déterminé un plan global ordonné en cinq points et discuté chaque point au mérite. Ce sont : a) l'utilisation normale de la langue dans la vie privée (au sein de la famille et comme langue d'usage dans la communauté); b) la consolidation de l'utilisation de la langue dans la vie publique communautaire (ces deux premiers points sont de nature à créer des zones d'usage intensif des langues autochtones); c) la transmission de la langue ancestrale par l'école; d) la conquête de nouveaux domaines d'utilisation; e) le recours éventuel à la loi et à la Constitution.

La langue est un puissant facteur de cohésion sociale et un symbole très visible de l'identité culturelle. C'est pourquoi l'aménagement du rapport entre les langues autochtones et les langues majoritaires se trouve aujourd'hui au premier plan des réclamations des peuples autochtones en quête d'une place dans le village global. Cependant, dans cette stratégie d'affirmation, il importe de ne pas perdre de vue que l'essentiel réside dans la volonté de maintenir ces langues comme langues maternelles, transmises et apprises au sein de l'unité familiale et comme langues d'usage dans la vie quotidienne des réseaux communautaires. C'est vraiment le tout premier objectif.



 

XXXX

Les langues autochtones dans l’histoire

À l’arrivée des Européens au début du XVIe siècle, les nations autochtones qui occupaient alors le territoire de ce qu’il allait devenir le Québec appartenaient à trois familles linguistiques dont les ramifications couvraient une bonne partie de l’Amérique du Nord1 : esquimau-aléoute, iroquoienne et algonquienne. «Ces familles n’avaient aucune parenté les unes avec les autres. Qui plus est, on ne peut les rattacher que de façon lointaine à d’autres groupes de langues, que ce soit en Amérique, en Asie ou ailleurs.

L’iroquoien serait peut-être apparenté aux langues sioux de l’Ouest nord-américain, et l’esquimau-aléoute pourrait avoir certains liens avec les langues ouraliennes (finnois, hongrois, saami [Japon], etc.) et altaïque (turc, mongol, mandchou-toungouse, etc.), mais ce n’est là que pure hypothèse. Même s’ils sont tous venus d’Asie, les peuples autochtones d’Amérique ont quitté leur continent d’origine depuis si longtemps que leurs langues ont eu le temps d’acquérir une spécificité oblitérant toute ressemblance éventuelle.»2

Le tableau 1 présente les familles linguistiques avec leurs langues distinctes et leurs dialectes respectifs3 avant l’arrivée des Européens. À l’époque de Jacques Cartier, les langues parlées dans la péninsule du Québec-Labrador étaient les suivantes :

inuktitut de l’Est canadien (dialecte du Québec arctique);
iroquois laurentien;
cri (dialectes cri de l’Est, attikamek, naskapi, montagnais);
ojibwa (dialecte algonquin);
micmac.
 

L’installation progressive des Européens en Amérique du Nord à partir du XVIe siècle a bouleversé la répartition des langues et de la pratique linguistique sur le territoire du Québec actuel. Les langues autochtones ont été graduellement marginalisées par l’implantation des cultures et sociétés européennes de même que par le développement d’un système d’enseignement excluant les langues autochtones. De plus, l’implantation européenne s’accompagna de nombreux transferts de population. Enfin, les guerres et les épidémies souvent dévastatrices ont également eu pour effet de réduire des deux tiers, sinon des trois quarts, la population autochtone du Canada entre 1600 et 1850. «Entre 1534 (arrivée de Cartier) et 1608 (fondation de Québec), les Iroquoiens quittèrent la moyenne et basse vallée du Saint-Laurent pour se retirer en amont de Montréal. Leur retrait permit aux Micmacs et aux Malécites de remonter vers le nord et de s’installer sur la rive sud de l’estuaire laurentien, ainsi qu’en Gaspésie.»4 Les missionnaires français établirent à l’intention des autochtones qu’ils voulaient christianiser des villages spéciaux, les «réductions», à proximité des établissements européens. Ainsi, au XVIIe siècle, les réfugiés Hurons furent installés dans la région de Québec, des familles chrétiennes mohawks furent installées dans la région de Montréal, et des Abénaquis de l’Est et des Abénaquis de l’Ouest, délogés par l’arrivée des colons britanniques, furent installés près de l’embouchure de la rivière Saint-François.

Sur le plan linguistique, le choc européen entraîna au fil du temps la disparition de plusieurs langues et dialectes. Par exemple, l’iroquois laurentien s’est sans doute incorporé à différents dialectes cinq-nations / susquehannock, tandis que le wendat et l’abénaki de l’Est ont totalement disparus5. Par contre, l’inuit et les langues algonquiennes du Nord-Ouest, géographiquement éloignées de la présence européenne, ont mieux résisté au contact avec les Européens.

L’importance des langues autochtones

La langue n’est pas qu’un moyen de communication. Elle est un des symboles les plus tangibles de la culture et de l’identité d’un groupe. La disparition des langues nuit donc à la transmission de la culture et de l’identité d’un peuple de génération en génération. Elle emporte avec elle des façons uniques de percevoir le monde, d’expliquer l’inconnu et de donner un sens à la vie.

Les langues autochtones aujourd’hui

D’après l’UNESCO6, une langue est considérée en péril si elle n’est pas apprise par au moins 30 % des enfants de la collectivité parlant cette langue. Affaires indiennes et du Nord Canada7 utilise une classification en cinq catégories pour juger de la survie des langues autochtones. Voici la situation actuelle des langues autochtones au Québec8 en fonction de cette classification :

1. Langues disparues :

iroquois laurentien
wendat
abénaki de l’Est

2. Langues en voie de disparition : considérées comme impossibles à sauver :

abénaki de l’Ouest : parlée au Québec par seulement 2,3 % de locuteurs dans la nation abénaquise

3. Langues menacées : sont encore parlées par un assez grand nombre de personnes pour que leur survie demeure encore possible, à condition que la collectivité manifeste un intérêt suffisant et que des programmes d’enseignement concertés soient mis en oeuvre :

mohawk : environ 15 % de locuteurs dans la nation mohawk
malécite/

passamaquoddy : aucun locuteur au Québec, mais plusieurs centaines au Nouveau-Brunswick et dans le Maine

4. Langues viables mais peu répandues : sont parlées par plus de 1 000 personnes, habituellement dans des collectivités isolées ou bien organisées qui sont fortement

sensibilisées à l’importance de leur langue :

naskapi : 100 % de locuteurs
attikamek : 99,4 % de locuteurs
montagnais : 83,1 % de locuteurs9
algonquin : 63,4 % de locuteurs
micmac : 41,8 % de locuteurs

5. Langues viables : sont parlées par une population assez nombreuse pour que leur

survie à long terme semble relativement assurée :

inuktitut : 100 %
cri de l’Est : 99,9 %

XXXXXXXXXXXX

 

La population autochtone du Québec en 1534 (p. 57-58)

Le Québec compte aujourd'hui 87 000 Autochtones et Inuits. Sur la base de ce constat, il est raisonnable de concevoir que la population autochtone en 1534 se résumait â une très faible fraction de la population autochtone actuelle. Outre l'accroissement naturel d'une population donnée sur une période de 500 ans, plusieurs évidences naturelles ou sociales incitent à penser que très peu d'autochtones vivaient sur le territoire québécois à l'arrivée des Européens.

1. Quatre nations n'avaient aucune présence sur le territoire québécois

Trois nations, les Abénaquis, les Malécites et les Hurons-Wendats, n'avaient aucun contact avec le territoire québécois en 1534. Elles vivaient respectivement aux États-Unis, au Nouveau-Brunswick et en Ontario, sur les rives des Grands Lacs. Quant aux Micmacs, basés au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, ils auraient fréquenté périodiquement la baie des Chaleurs, le long de la côte Est de la Gaspésie, pour se livrer à des activités de pêche.

C'est dire que, sur les 80 000 Autochtones vivant actuellement sur le territoire du Québec, 11 000 (12,5 %) n'habitaient pas ce territoire en 1534.

2. Les Inuits

Jusqu'à récemment, il a toujours été tenu pour acquis que les Inuits occupaient le Nord-du-Québec depuis près de 5000 ans, soit le début de la civilisation dorsétienne. Or, des fouilles archéologiques récentes laissent entendre que les Inuits seraient plutôt arrivés au Nunavik autour du XIlle ou du XlVe siècle, soit peu avant l'arrivée de Jacques Cartier.

Toujours selon ces mêmes études, la civilisation dorsétienne, que nous croyions jusqu'ici établie en`continu au Nunavik, lequel comprend le Nord-du-Québec, se serait éteinte autour de l'an l000.

Des conditions naturelles extrêmes, notamment un réchauffement du climat, auraient provoqué la fin de cette civilisation dorsétienne et sa possible assimilation par les Inuits*.

En conséquence, il n'y avait probablement que quelques centaines d'Inuits vivant sur le territoire du Québec au début du XVIe siècle. Il faut ainsi retrancher io 500 (12,5 %) Autochtones du nombre actuel de 87 000 pour évaluer la population de 1534• Cela suppose qu'il y aurait, au plus, 6o 000 Autochtones en 2010 dont la généalogie québécoise remonterait à au moins 500 ans.

3. Les Cris, les Naskapis et les Innus

Les Cris et les Innus constituent les deux principales nations nordiques, par leur popu fion et les territoires qu'ils revendiquent. Pourtant, il n'existe aucune démonstration historique de l'occupation de la totalité du territoire de la Baie-James par les Cris en 1534. Au contraire, la logique voudrait que, pour des raisons d'accès aux ressources, de survie, de sécurité et de reproduction, les Cris aient concentré la pratique de leurs activités traditionnelles sur les territoires longeant la Baie James. Cette même logique s'applique chez les lnnus qui n'avaient certainement pas la population suffisante pour couvrir l'ensemble du territoire de la Côte-Nord.

Tant que l'économie marchande ne s'était pas développée, particulièrement avec le commerce des fourrures, les Cris et les Innus avaient peu de raison d'entreprendre des périples de milliers de kilomètres, la pratique du tourisme extrême étant peu développée à cette époque. De plus, ils étaient tellement peu nombreux qu'ils pouvaient facilement se vêtir et se nourrir à partir des ressources offertes par la nature dans un rayon de quelques centaines de kilomètres. C'est probablement seulement à partir du XVIle, mais surtout du XVllle siècle, avec le développement du commerce des fourrures et des modifications au mode de vie traditionnel qui s'en suivirent, que les Cris, les Inuits et les coureurs des bois français, parcoururent systématiquement les grands territoires nordiques du Québec.

En ce qui a trait aux Naskapis, selon les rapports de fonctionnaires canadiens ayant présidé à leur déplacement du Nunavut (Nord-du-Québec) à leur village actuel de Kawawachikamach, ils étaient au maximum quelques centaines de survivants recensés autour de 1940. Il est à peu près certain qu'aucun d'eux n'habitait la Baie-James en 1534, la logique génétique interdisant de concevoir qu'ils se soient reproduits entre eux pendant 50o ans et aient survécu.

4. Les contraintes génétiques

Nous revenons souvent sur cet aspect, mais il apparaît comme une réalité scientifique indiscutable pour comprendre l'histoire autochtone au Québec. En 1534, la population n'était tout simplement pas suffisante pour occuper tout le territoire du Québec. Si cela avait été le cas, des familles se seraient trouvées isolées pendant des années, réduisant ainsi, de manière obligée, la possibilité de reproduction aux relations entre membres de même famille ou de même clan. Comme, de toute évidence, cela n'a pas été le cas puisqu'il y aurait eu dégénérescence ou extinction de certaines nations, les Autochtones avaient certainement des pratiques de société grégaires basées sur la fréquentation de territoires considérables, mais non infinis.

5. En conclusion

Il apparaît qu'au plus quelques milliers d'autochtones vivaient au Québec à l'arrivée des Européens. Les communautés actuelles établies le long des rives du Saint-Laurent ainsi que les communautés situées en forêt nordique, telle, par exemple, Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean, n'existaient probablement pas avant le développement du commerce des fourrures. De toute évidence, l'histoire du Québec et les revendications territoriales de plusieurs communautés autochtones apparaissent reposer toutes les deux sur l'imaginaire plutôt que sur la réalité des faits.

 

 

Traduction française des termes anglais


 

 

First Nations peoples

First Peoples

Indian

Indian settlement

Indian status

indigenous (adjectif)

Indigenous people

Inuit

Innu Aitun

Innu Assi

land claims

local self-government

Métis, Metis

Naskapi village

native (adjectif)

Native community

Native person

Native people

Native peoples

Native population

Nitassinan

non-Aboriginal people

non-Aboriginal person

non-indigenous (adjectif)

non-native (adjectif)

non-Native people

non-Native person

non-Status Indian

northern village

Nunavik

off-reserve

oral history

reserve

Premières Nations

premiers peuples

Indien, ienne

établissement indien

statut d’Indien

indigène

population autochtone

Inuit, Inuite

Innu Aitun

Innu Assi

revendications territoriales

administration locale

Métis, isse

village naskapi

autochtone

collectivité autochtone

Autochtone

Autochtones

peuples autochtones

population autochtone

Nitassinan

non-Autochtones

non-Autochtone

allogène

allogène

non-Autochtones

non-Autochtone

Indien non inscrit

village nordique

Nunavik

hors réserve

tradition orale

réserve