Canada

Constitution du Canada

2.5) Les tentatives de réforme constitutionnelle

Depuis 1987, le pays a entrepris une série de rondes constitutionnelles. Mais toute réforme constitutionnelle est difficile dans ce beau et grand pays auquel on voudrait, selon la formule consacrée, rattacher le Québec «dans l'honneur et l'enthousiasme».

4.1 L'accord du lac Meech

Le 3 juin 1987, un accord entre les 11 premiers ministres (fédéral et provinciaux) est conclu: ce fut l'accord du lac Meech, du nom d'un lac situé à environ 20 km au nord-ouest de Gatineau au Québec. Selon les termes de cet accord, le Parlement fédéral et toutes les provinces avaient le rôle de protéger la dualité canadienne, c'est-à-dire les «Canadiens d'expression française, concentrés au Québec mais présents dans le reste du Canada» et les «Canadiens d'expression anglaise concentrés dans le reste du pays mais aussi présents au Québec»; ce qui liait nécessairement la population du Québec au bilinguisme canadien (comme d'ailleurs au multiculturalisme).

Quant à l'Assemblée nationale et au gouvernement du Québec, ils avaient «le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise»; ce qui ne liait ni le gouvernement fédéral ni aucune province à l'exception du Québec. On devine que, en cas de conflit de juridiction, il serait difficile de concilier la promotion du caractère distinct du Québec et la promotion de la dualité canadienne, notamment les droits de la minorité anglophone, sans parler de la promotion du multiculturalisme.

Quoi qu'il en soit, l'accord du lac Meech ne fut pas ratifié par toutes les provinces, parce que le Manitoba et Terre-Neuve ne l'ont pas fait adopter par leur législature respective dans les délais prescrits par la Loi constitutionnelle de 1982. Même si personne ne savait vraiment ce que signifiait le concept de «société distincte», le Canada anglais a craint que le Québec se serve de cette «coquille vide» pour «brimer» les droits inaliénables des Anglo-Québécois en voulant se protéger.

4.2 Les propositions constitutionnelles de 1991

En 1991, le gouvernement fédéral fit connaître ses propres propositions constitutionnelles. Cette fois-ci, le concept de «société distincte» fut défini  et forcément limité  comme «une majorité d'expression française; une culture unique en son genre; une tradition de droit civil.» De plus, le gouvernement du Canada proposa d'insérer à l'article 2 de la Loi constitutionnelle de 1867 une «clause Canada» qui prévoyait notamment «la reconnaissance de la responsabilité des gouvernements de préserver les deux majorités et minorités linguistiques du Canada» ainsi que «la contribution de peuples d'origines culturelles et ethniques diverses à l'édification d'un Canada fort». On en revient toujours à la promotion de la dualité canadienne dans chacune des provinces et à celle du multiculturalisme.

Les réformes constitutionnelles prirent une nouvelle ampleur en 1992. Ce fut d'abord la publication du Rapport du comité Beaudoin-Dobbie qui reprit l'essentiel des propositions fédérales précédentes (société distincte, dualité canadienne, multiculturalisme), mais en y ajoutant des éléments nouveaux, particulièrement en ce qui a trait aux autochtones et au Sénat canadien. Pour la première fois, le Canada reconnaissait aux autochtones «le droit inhérent de se gouverner selon leurs propres lois, coutumes et traditions afin de protéger leurs langues et leurs cultures diverses». Quant au Sénat, on introduisit la notion de la double majorité en vertu de laquelle «les mesures relatives à la langue ou à la culture des collectivités francophones devraient être approuvées par la majorité des sénateurs et par la majorité des sénateurs francophones.»

4.3 L'entente constitutionnelle de Charlottetown

Puis ce fut l'entente constitutionnelle de Charlottetown du 28 août 1992, capitale de l'Île-du-Prince-Édouard. Le Québec obtint notamment trois juges à la Cour suprême, la clause de société distincte (limitée à la langue, la culture et le droit civil), la garantie de 25 % des sièges à la Chambre des communes, la double majorité linguistique au Sénat (pour l'ensemble des sénateurs francophones du Canada), un droit de veto (à l'instar des autres provinces) sur toutes modifications aux institutions centrales. De plus, la «clause Canada», celle qui devait servir à interpréter tout la Constitution, est revenue. Dans un paragraphe 1), elle précisait les caractéristiques fondamentales du Canada dont les suivantes semblent particulièrement pertinentes à notre propos:
 

c) le fait que le Québec forme au sein du Canada une société distincte, comprenant notamment une majorité d'expression française, une culture qui est unique et une tradition de droit civil;

d) l'attachement (en anglais: commitment) des Canadiens et de leurs gouvernements à l'épanouissement et au développement des communautés minoritaires de langue officielle dans tout le pays;

[...]

h) le fait que la société canadienne confirme le principe de l'égalité des provinces dans le respect de leur diversité;

De plus, un paragraphe 2) venait préciser le rôle du gouvernement du Québec envers la société distincte: «La législature et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir la société distincte.» Encore une fois, le Québec s'est trouvé coincé entre deux clauses conflictuelles: le concept de la société distincte et celle de la dualité canadienne. L'entente prévoyait également une réforme du Sénat où toutes les provinces obtenaient le même nombre de sénateurs (soit huit).

Quoi qu'il en soit, l'entente de Charlottetown fut rejetée lors du référendum du 26 octobre 1992. En effet, non seulement le Québec, mais la Nouvelle-Écosse, le Manitoba, la Saskatchewan et la Colombie-Britannique ont majoritairement voté NON; à l'échelle du pays, 55 % des Canadiens ont refusé l'entente constitutionnelle proposée par le gouvernement fédéral, les premiers ministres provinciaux et les leaders autochtones.

En somme, les tentatives de modifier la Constitution canadienne en tenant compte des «deux peuples fondateurs» auront toutes échoué. Le fragile consensus proposé par la classe politique canadienne a été perçu comme un compromis inacceptable par une majorité de Canadiens. Le Québec n'a accepté ni les concessions de leur premier ministre ni les gains des autres provinces, alors que le Canada anglais, de son côté, a refusé au Québec le concept de société distincte et les outils de protection qui l'accompagnaient.

4.4 L'entente de Calgary de 1997

En 1997, les neuf premiers ministres provinciaux du Canada anglais se sont réunis à Calgary, capitale de l'Alberta, afin de proposer un «cadre de discussion sur l'unité canadienne»: ce fut l'entente de Calgary. Si l'on fait exception des voeux pieux du type «la diversité, la tolérance, la compassion et l'égalité des chances qu'offre le Canada sont sans pareilles dans le monde», les premiers ministres anglophones ont déclaré que tous les Canadiens étaient «égaux» et que «toutes les provinces» étaient également «égales». D'où la mise en garde suivante (art. 6):
 

Article 6

Si une future modification constitutionnelle devait attribuer des pouvoirs à une province, il faudrait que ces mêmes pouvoirs soient accessibles à toutes les provinces.

Malgré tout, le Canada anglais semblait prêt à reconnaître certaines spécificités au Québec (art. 5):
 

Article 5

Dans ce régime fédéral, où le respect pour la diversité et l'égalité est un fondement de l'unité, le caractère unique de la société québécoise, constituée notamment de sa majorité francophone, de sa culture et de sa tradition de droit civil, est fondamental pour le bien-être du Canada. Par conséquent, l'assemblée législative et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger le caractère unique de la société québécoise au sein du Canada et d'en favoriser l'épanouissement.

On est revenu à la case de départ avec tous les problèmes qui demeurent dont la société distincte, la réforme du Sénat, les autochtones, la question des chevauchements de juridiction et du partage des pouvoirs. L'histoire est là pour démontrer que le Canada anglais ne s'est jamais résigné à ce que le Québec se protège «trop» sur le plan linguistique. 

De plus, le Canada anglais n'acceptera jamais que le Québec dispose de droits collectifs que les autres provinces n'auront pas obtenus et, au surplus, que ces droits aient préséance sur les droits individuels affirmés dans la Charte des droits et libertés, une charte que le Canada anglais a adoptée sans le Québec, la seule province majoritairement francophone du pays. Si ce n'était que du Canada anglais, le statut particulier pour le Québec serait une notion nulle et non avenue. La prochaine modification constitutionnelle avec l'accord du Québec n'est certainement pas pour demain. Le plus curieux, c'est que la déclaration de Calgary n'intéressait déjà plus personne un an plus tard, ni au Québec ni au Canada anglais. Ça, c'est l'un des aspects les moins glorieux de l'histoire canadienne!

4.5 L’avis de la Cour suprême du Canada (1998)

En 1996, le gouvernement fédéral choisissait de consulter le plus haut tribunal du pays sur la légalité d’une éventuelle déclaration unilatérale de sécession de la part d’une province, en l’occurrence le Québec. Le 20 août 1998, la Cour suprême du Canada rendait un avis unanime sur cette question. S’inscrivant dans une démarche d’intégrité constitutionnelle canadienne, la Cour suprême affirmait que le Québec ne peut faire sécession unilatéralement et que le droit international ne s’applique pas dans le cas de la sécession du Québec (qui n’est ni colonisé ni opprimé). 

La Cour affirmait également que, si le choix de quitter le Canada appartient aux seuls Québécois, les conditions de ce départ ne peuvent être déterminés comme si le reste du Canada n’existait pas. La Cour a rappelé aussi le caractère légitime du choix de la souveraineté politique pour le Québec à la condition que la question posée et la majorité obtenue lors d’un référendum soient claires, et a même affirmé que, dans ces conditions, le Canada aurait l’obligation constitutionnelle de négocier de bonne foi et ne pas entraver l’aspiration des Québécois. En fait, les juges de la Cour suprême ont conféré au projet de sécession un statut équivalant à celui d’une modification constitutionnelle. De plus, au-delà de ces considérations, la Cour suprême s’est trouvée aussi à souligner les limites du droit en laissant dans le noir des pans entiers d’une éventuelle sécession et en soulignant les difficultés appréhendées d’une négociation sur une question aussi déchirante.

L’avis de la Cour suprême du Canada pourrait constituer une autre épisode de cette saga constitutionnelle si ce n’était du fait qu'elle a mis en place un mécanisme qui favorise un débouché nouveau dans lequel il est possible de s’engouffrer par la voie référendaire, et ceci, pour traiter d’autres sujets que la seule rupture du Canada. Ainsi, toute province – dont le Québec – pourrait relancer le débat constitutionnel à partir d’un plébiscite populaire solide et obliger les autres provinces à négocier de bonne foi. L’aboutissement ne saurait être garanti, mais l’exercice constitutionnel ne pourrait plus être esquivé.  Par exemple, un premier ministre québécois, armé d’un mandat populaire clair, pourrait se présenter à une éventuelle table constitutionnelle et réclamer la place distincte du Québec dans la Constitution canadienne (ou en dehors de celle-ci).  Ou bien il se produirait encore un blocage qui ferait définitivement sauter la fédération canadienne, ou bien le Canada anglais, ayant compris que le projet sécessionniste québécois n’est plus simplement une mauvaise blague et que toute négation contribue à donner suite à cette aspiration, trouverait une solution pour mettre fin à la rupture psychologique qui résulte de l’échec du lac Meech. Quoi qu’il en soit, il s’agit là  de la politique-fiction et l’avis de la plus haute cour du pays ne règle en rien. Pour le moment, ni la question constitutionnelle et encore moins la question linguistique au Canada. La réalité risque de se présenter autrement...

5  La loi fédérale sur la clarté

Le Parlement du Canada a adopté, le 29 juin 2000, la Loi donnant effet à l’exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec. Cette loi, appelée plus simplement «Loi sur la clarté», précise les circonstances dans lesquelles le gouvernement du Canada pourrait entreprendre une négociation sur la sécession d’une province, notamment le Québec. On peut consulter le texte de cette loi en cliquant ICI, s.v.p.

En vertu de la Loi de clarification, les députés fédéraux doivent approuver la question référendaire en ayant examiné préalablement la question et en ayant déterminé si cette question est claire. Dans le cadre de l’examen de la clarté de la question référendaire, la Chambre des communes doit déterminer si la question permettrait à la population de la province de déclarer clairement si elle veut ou non que celle-ci cesse de faire partie du Canada et devienne un État indépendant. Autrement dit, les députés devront décider, par exemple, si les Québécois veulent vraiment cesser de faire partie du Canada. Ils devront consulter les partis politiques, les autres provinces, le Sénat, les autochtones et prendront en considération tous les autres avis, facteurs ou circonstances qu'ils estimeront pertinents. La loi ne fixe aucun seuil d'approbation: ce pourrait être 51 %, 60 % ou 75 %. L'article 3 précise que les négociations pourraient être ouvertes à d'autres participants que la province concernée et que les frontières devraient figurer parmi les sujets de négociation. Le même article soumet un éventuel accord sur l'indépendance aux règles régissant le processus prévu pour une modification de la Constitution canadienne.

En vertu des lois actuelles, cela signifie qu'il faut au moins un référendum dans trois provinces (Ontario, Alberta et Colombie-Britannique), qu'au moins 50 % des habitants de chacune des provinces votent en faveur de l'indépendance d'une province et que les parlements de toutes les provinces ratifient la modification constitutionnelle. Si un seul parlement appose son veto, le projet est automatiquement avorté. Bref, la Loi de clarification rend juridiquement impossible toute sécession éventuelle d'une province.

Étant donné les longues et pénibles tentatives de réforme constitutionnelle, il semble évident que, dans l'avenir, toute modification de ce genre ne pourra qu'aboutir à une plus grande centralisation des pouvoirs du gouvernement fédéral et à une diminution de ceux de la seule province francophone.  En effet, le Québec a toujours échoué dans ses tentatives de se voir reconnaître une plus grande autonomie, l'une de ses plus anciennes «demandes historiques».  

Au contraire, le gouvernement fédéral a consolidé ses pouvoirs en rapatriant de la Grande-Bretagne les juridictions d'appel détenues jusque là par le Conseil privé de Londres.  Ce dernier, on le sait, tranchait le plus souvent en faveur des provinces.  Mais depuis la Charte des droits et libertés de 1982, ce sont les juges de la Cour suprême, tous nommés par le gouvernement fédéral qui, à l'exemple de la tour de Pise, penchent toujours du même côté... celui du fédéral.  Comme toute réforme constitutionnelle impliquerait des compromis selon lesquels le camp ayant la plus grande influence gagnerait plus de pouvoirs qu'il n'en céderait, il paraît clair que ce n'est pas le Québec qui gagnerait le jeu.

Depuis les années soixante, les changements démographiques et économiques ont fait en sorte que le poids linguistique s'est déplacé vers l'Ontario, la Colombie-Britannique et l'Alberta avec comme conséquence que la vision des «deux peuples fondateurs» a perdu beaucoup de son importance au Canada anglais.  Dans cette perspective, il devient difficile pour les Canadiens anglais d'accorder au Québec des concessions, car le prix à payer pour satisfaire aux demandes du Québec a considérablement augmenté.  Les faits sont là: les promesses de Calgary constituent la limite de ce que les Canadiens anglais pouvaient accorder. 

La conclusion s'impose d'elle-même: ou bien le Québec se sépare, ou bien il se satisfait du statu quo, ou bien il accepte de perdre une grande partie de ses pouvoirs, voire de ses privilèges, actuellement reconnus par la Constitution de 1867.  Dans l'avenir, ce sont les Canadiens anglais qui décideront seuls des éventuelles réformes constitutionnelles, car les nombreuses tentatives en ce sens ont démontré hors de tout doute que le Canada est incapable de trouver une solution entre l'unité et la diversité. La seule possibilité, hormis le cul-de-sac, demeure l'imposition par la partie la plus forte de la population. Tout compromis constitutionnel entre les deux grandes communautés linguistiques étant devenu impossible, il pourrait bien ne rester comme solution pour la minorité francophone que la confrontation et... la sécession unilatérale. 

Dernière mise à jour: 23 févr. 2024

 

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Constitution canadienne
 


1.
Les dispositions constitutionnelles
(textes sur les langues)
 
2. Présentation préliminaire  3. Les lois constitutionnelles
de 1867 et de 1982

4.
Les effets de l'article 23
de la Charte canadienne

 
5. Les tentatives de réforme constitutionnelle Les politiques linguistiques
du gouvernement fédéral



 

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