Canada

La Constitution canadienne

(Dispositions linguistiques)


Si toutes les politiques linguistiques adoptées au Canada par les différents gouvernements (provinces et territoires) sont distinctes et autonomes, elles sont néanmoins soumises à certaines dispositions de la Constitution canadienne. D'ailleurs, non seulement le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux sont assujettis à la Constitution canadienne, mais également les citoyens et les entreprises publiques et privées.

La Constitution du Canada est composée de trois éléments: les textes constitutionnels, les décisions des couras de justice et les conventions constitutionnelles.

1) Les textes constitutionnels: ils sont au nombre d'une trentaine (voir la liste) dont les deux principaux en matière de langue sont la Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi constitutionnelle de 1982, auxquels il faudrait ajouter la Loi de 1870 sur le Manitoba. La Constitution canadienne actuellement en vigueur comprend nécessairement les textes fondamentaux de 1867 et ceux de 1982.  

2) Les décisions des cours de justice: avec les textes constitutionnels, elles font partie du droit constitutionnel canadien. Il existe de nombreux recueils des décisions émanant des tribunaux, dont le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada. Les tribunaux, généralement la Cour suprême du Canada, se prononcent sur la teneur et des textes constitutionnels et des décisions des cours de justice: on parle alors de la jurisprudence.

3) Les conventions constitutionnelles: elles correspondent aux coutumes et traditions qui guident le gouvernement. Comme elles ont été élaborées avec le temps, elles ne sont écrites dans aucun document. Par exemple, le vote de confiance, le choix du premier ministre, la dissolution de la Chambre des communes, etc., sont des conventions constitutionnelles. Ces règles sont essentielles au fonctionnement du système politique canadien à tel point qu'une convention constitutionnelle exige que le Parlement jouisse au préalable de l'appui substantiel des provinces.  Les cours de justice peuvent reconnaître ces conventions, mais ne peuvent pas les faire appliquer si elles sont violées; autrement dit, les tribunaux les administrent, mais ne les imposent pas. Lorsque ces conventions sont violées, le remède revient alors aux politiciens. Mais tout gouvernement enfreignant une convention constitutionnelle sans avoir d'excellentes raisons pourrait être vaincu lors d'une élection.

La Cour suprême a exprimé en 1981 une équation à l'occasion du rapatriement de la Constitution (Renvoi relatif au rapatriement): «Les conventions constitutionnelles plus le droit constitutionnel égalent la Constitution complète du pays.» Selon les interprétations, les conventions constitutionnelles sont des «règles de conduite politique par lesquelles les acteurs politiques s'estiment liés, mais qui ne sont pas appliquées directement par les cours de justice» ou des «règles de conduite qui devraient être considérées comme obligatoires». En somme, les conventions correspondent à des principes fondamentaux (non écrits) qui établissent les fondements de la Constitution canadienne.

1 La Loi constitutionnelle de 1867

C'est une loi émanant du gouvernement britannique, la British North America Act ­ appelée aujourd'hui Loi constitutionnelle de 1867 ­, qui créa la «Confédération canadienne». Le terme Confédération n'est toutefois pas très approprié, car il désigne une union d'États membres qui s'associent tout en conservant leur souveraineté et en déléguant à un pouvoir central certaines compétences. En réalité, au Canada, c'est le terme de fédération qu'il aurait fallu employer, puisqu'il fait référence à une union de plusieurs États non souverains en un seul État fédéral; d'ailleurs, il est plutôt d'usage maintenant de recourir à ce terme. On parle plus souvent de la fédération canadienne, mais la dénomination officielle du pays reste la Confédération canadienne.

Les communautés anglophone et francophone de 1867 ont jugé comme un compromis acceptable l'État fédéral alors instauré. Rappelons que, à l'époque (1867), le Canada comprenait seulement l'Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. En 1867, le Canada était un pays relativement petit: l'Ontario et le Québec possédaient alors un territoire beaucoup plus restreint. Quant au reste de l'Amérique du Nord «britannique», il comprenait des colonies de l'Angleterre: Terre-Neuve, la Terre de Rupert, les Territoires du Nord-Ouest et la Colombie-Britannique. On peut visiter le site de la Bibliothèque nationale du Canada pour visualiser la carte géographique du Canada de 1867.

La Loi constitutionnelle de 1867 ne contient qu'un seul article à caractère linguistique: l'article 133 stipule que tout député a le droit d'utiliser l'anglais ou le français au Parlement du Canada et à la Législature de la province de Québec; de plus, dans toute plaidoirie devant les tribunaux fédéraux du Canada et devant tous les tribunaux du Québec, tout citoyen peut faire usage de l'une ou l'autre de ces deux langues. Voici comment est libellé l'article 133:

 

Article 133

Dans les chambres du Parlement du Canada et les chambres de la Législature de Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais, dans la rédaction des registres, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l'usage de ces deux langues sera obligatoire. En outre, dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux du Canada établis sous l'autorité de la présente loi, ou émanant de ces tribunaux, et devant les tribunaux de Québec, ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage de l'une ou l'autre de ces langues.

Les lois du Parlement du Canada et de la Législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.

Il faut bien comprendre que cet article 133 n'établit pas le bilinguisme officiel au Canada dans son entier; il rend simplement possible l'usage de l'anglais et du français au Parlement fédéral, à la Législature du Québec, ainsi que dans les tribunaux de la province de Québec et dans ceux du gouvernement fédéral.

La Loi constitutionnelle de 1867 n'engage au bilinguisme ni le gouvernement fédéral ni l'administration publique relevant de cette juridiction. Il s'agit simplement de ce que le juriste Beaudoin a appelé «un embryon de bilinguisme officiel». Mais des quatre provinces canadiennes de 1867, seul le Québec se voyait imposer ce bilinguisme rudimentaire à sa Législature et dans les tribunaux (voire à l'école par le biais des commissions scolaires confessionnelles), alors qu'on comptait une importante minorité francophone dans chacune des trois autres provinces. Cependant, l'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba (équivalant à une loi constitutionnelle dans ce cas) contient une disposition similaire à l'article 133 et accorde aux Franco-Manitobains les mêmes «garanties» linguistiques.

2 La Loi constitutionnelle de 1982

En 1982, le Canada a adopté une nouvelle constitution: la Loi constitutionnelle de 1982. Les circonstances dans lesquelles fut adoptée cette nouvelle constitution dans laquelle est enchâssée la Charte des droits et libertés sont lourdes de conséquences. La Constitution a été approuvée par neuf provinces anglaises et le gouvernement fédéral, et ce, sans le consentement du Québec. Néanmoins, selon la Cour suprême du Canada, le Québec est lié juridiquement par la Loi constitutionnelle de 1982. Comme exemple de dissension nationale et de concurrence législative, on ne pouvait trouver mieux: un gouvernement fédéral à majorité de langue anglaise qui, avec l'appui de neuf provinces de langue anglaise, demande à un Parlement étranger de langue anglaise  celui de Londres (par obligation constitutionnelle) de réduire, sans son consentement, les compétences du seul gouvernement de langue française en Amérique du Nord.

Cette intervention du gouvernement fédéral demeure plutôt exceptionnelle dans l'histoire contemporaine canadienne. Elle eut non seulement comme résultat de faire casser une loi adoptée légitimement par un gouvernement provincial (la loi 101 ou Charte de la langue française), mais elle eut également pour effet de limiter les pouvoirs des parlements provinciaux dans un domaine qui leur était exclusif: l'éducation. Il faut dire que la Charte des droits et libertés, particulièrement l'article 23 relatif à l'accès aux écoles de la minorité, n'indispose pas vraiment les provinces anglaises dont l'expérience démontre que plusieurs d'entre elles s'en accommodent fort bien. Cela dit, la Loi constitutionnelle de 1982 innove en matière linguistique par rapport au texte constitutionnel de 1867.

2.1 Le bilinguisme des institutions fédérales

En matière de langue, la plupart des dispositions constitutionnelles ne portent que sur le bilinguisme des institutions fédérales et de celles du Nouveau-Brunswick. Selon l'article 16 de la Loi constitutionnelle de 1982 :

 

Article 16

Le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du parlement et du gouvernement du Canada.

On consacre ainsi dans la Constitution le concept d'égalité juridique des langues au Parlement et au gouvernement fédéral mais non pas pour le pays en entier. Le Canada n'est pas un pays officiellement bilingue: c'est un État fédéral bilingue, car, outre les dispositions relatives au Nouveau-Brunswick, la Loi constitutionnelle de 1982 ne concerne que les domaines de juridiction fédérale. Les provinces, les municipalités et les organismes privés ne sont donc pas touchés par le bilinguisme institutionnel.

Quant aux articles 17 à 20, ils constitutionnalisent les dispositions de la Loi sur les langues officielles de 1969 concernant les langues du Parlement fédéral, des tribunaux fédéraux et des services offerts par le gouvernement central. Le paragraphe 1 de l'article 20 se lit comme suit:

 

Article 20

1) Le public a, au Canada, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l'égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas:

a) l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante;

b) l'emploi du français et de l'anglais se justifie par la vocation du bureau.

Les articles précédents ne concernent que le gouvernement fédéral, exception faite des paragraphes supplémentaires qui s'appliquent uniquement au Nouveau-Brunswick, et ce, à la demande de cette province. Évidemment, les clauses linguistiques ne liant que le gouvernement du Canada ne dérangent aucun gouvernement provincial.

2.2 Le droit à l'instruction dans la langue de la minorité

Rappelons que la Charte des droits et libertés est enchâssée dans la Loi constitutionnelle de 1982. L'article 23 de la Charte porte sur l'enseignement dans la langue de la minorité de langue officielle. Cet article 23 oblige toutes les provinces canadiennes à donner un enseignement en français ou en anglais à tout citoyen canadien qui veut faire instruire ses enfants aux niveaux primaire et secondaire dans la langue dans laquelle il a reçu lui-même son instruction:

 

Article 23

1) Les citoyens canadiens:

a) dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident,

b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province,

ont, dans l'un ou l'autre cas, le droit d'y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.

2.2.1 La «clause Québec» contre la «clause Canada»

La Cour suprême du Canada a implicitement reconnu que l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés avait été adoptée pour empêcher le Québec de recourir à l'unilinguisme territorial avec la Charte de la langue française. À l'origine, l'article 73 de la Charte de la langue française, adoptée en 1977 par le parlement de Québec, prévoyait que seuls les enfants dont le père ou la mère avaient reçu un enseignement en anglais au Québec avaient le droit de fréquenter l'école anglaise au Québec.

Or, le 26 juillet 1984, la Cour suprême du Canada déclara que la «clause Québec» (l'école anglaise uniquement pour les enfants dont les parents ont fréquenté l'école anglaise au Québec) était inconstitutionnelle, et ce, rétroactivement, parce qu'elle était contraire à la Charte des droits et libertés (adoptée en 1982). Le paragraphe 23.2 de la Charte canadienne oblige, rappelons-le, toutes les provinces canadiennes à donner un enseignement en français ou en anglais à tout enfant dont les parents ont reçu un enseignement en français ou en anglais au Canada :

 

Article 23

2) Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveau primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.

Depuis lors, la «clause Canada» a définitivement remplacé la «clause Québec» dans le système scolaire québécois. On peut lire un passage de l'arrêté de la Cour suprême du Canada en cliquant ICI, s.v.p.

2.2.2 Les conditions d'application de l'article 23

En vertu du paragraphe 23.1a de la Charte des droits et libertés, il faut satisfaire à quatre conditions pour recevoir un enseignement dans la langue d'une minorité provinciale, en français dans les provinces anglaises ou en anglais au Québec.

 

Article 23

1.a

1o L'un des parents doit être citoyen canadien.

2o L'un des parents doit être de langue maternelle française ou anglaise ou avoir reçu dans cette langue son instruction au niveau primaire.

3o Il faut appartenir à la minorité francophone ou anglophone de la province de résidence.

4o Ce sont les parents qui ont le droit de faire instruire leurs enfants aux niveaux primaire et secondaire.

D'après la loi, il est clair que le droit à l'enseignement dans la langue de la minorité est accordé aux parents plutôt qu'aux enfants. De plus, la Charte n'exige pas que les enfants aient pour langue maternelle la langue dans laquelle ils pourront faire leurs études primaires ou secondaires. Enfin, dans toutes les provinces canadiennes, seule la minorité a le droit constitutionnel de fréquenter les écoles de son groupe linguistique: il faut faire partie de la minorité francophone d'une province anglaise pour fréquenter l'école française ou, dans le cas du Québec, faire partie de la minorité anglophone. Enfin, si aucune minorité n'est tenue de fréquenter l'école de son groupe linguistique, aucune majorité n'a accès à l'école de la minorité à moins de réussir à contourner la Charte, ce qui, bien qu'interdit par la Cour suprême du Canada, est relativement facile à réaliser dans certaines provinces.

2.2.3 Le cas québécois

Le droit constitutionnel de recevoir un enseignement dans la langue minoritaire de la province de résidence est le même pour tous les citoyens canadiens, sauf au Québec en ce qui concerne l'alinéa 1-a de l'article 23 de la Charte (rappel):

 

Article 23

1) Les citoyens canadiens:

a) dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident,

b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province,

ont, dans l'un ou l'autre cas, le droit d'y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.

En effet, l'article 59.2 de la Charte canadienne précise que l'alinéa 23.1a relatif à la langue maternelle des parents ne s'appliquera au Québec qu'après une autorisation de l'Assemblée nationale ou du gouvernement du Québec:

 

Charte canadienne des droits et libertés

Article 59

(1) Entrée en vigueur de l'alinéa 23 a) pour le Québec

L'alinéa 23(1)a) entre en vigueur pour le Québec à la date fixée par proclamation de la Reine ou du gouverneur général sous le grand sceau du Canada.

(2) Autorisation du Québec

La proclamation visée au paragraphe (1) ne peut être prise qu'après autorisation de l'assemblée législative ou du gouvernement du Québec. (105)

(3) Abrogation du présent article

Le présent article peut être abrogé à la date d'entrée en vigueur de l'alinéa 23(1)a) pour le Québec, et la présente loi faire l'objet, dès cette abrogation, des modifications et changements de numérotation qui en découlent, par proclamation de la Reine ou du gouverneur général sous le grand sceau du Canada.

Or, le Québec n'a jamais adopté de résolution à ce sujet, ce qui signifie que seul l'alinéa 23.1b s'applique au Québec. Autrement dit, pour avoir droit à un enseignement en anglais au Québec, il faut que l'un des parents ait reçu son instruction au niveau primaire en anglais n'importe où au Canada; il ne suffit donc pas d'être de langue maternelle anglaise. Partout ailleurs au Canada, la langue maternelle de l'un des parents constitue théoriquement un critère suffisant d'accès à l'école de la minorité à la condition que cette langue soit «encore comprise», ce qui n'est pas toujours évident dans le cas des parents francophones hors Québec.

En vertu de la Charte canadienne, un citoyen canadien anglophone du Québec qui n'a pas étudié à l'école anglaise, même s'il y avait droit, ne peut bénéficier de l'alinéa 23.1a, qui n'est pas en vigueur au Québec, et perd le droit de faire instruire ses enfants à l'école anglaise. Toutefois, en vertu des articles 73 et 76 de la Charte de la langue française du Québec, un enfant reconnu admissible à l'enseignement primaire en anglais est réputé avoir reçu l'enseignement primaire en anglais même si ce n'est pas le cas. Ainsi, contrairement aux francophones hors-Québec qui perdent leur droit constitutionnel, les écoliers admissibles à l'enseignement en anglais qui choisissent d'étudier en français ne perdent pas leurs droits, ni pour eux, ni pour leurs frères et soeurs, ni pour leurs descendants. La situation est la même pour les francophones en Ontario et au Nouveau-Brunswick.

Par ailleurs, si la Charte canadienne des droits et libertés protège le droit des minorités linguistiques de recevoir l'enseignement dans leur langue, elle ne précise pas, comme dans l'article 73.2 de la Charte québécoise de la langue française, que les élèves doivent avoir reçu «la majeure partie» de leur enseignement en anglais (ou en français) au Canada pour être admissibles à l'école anglaise au Québec. Il suffit d'avoir reçu son instruction en anglais, peu importe la durée. Dans un mémoire soumis à la Cour suprême, le gouvernement fédéral reconnaît aux provinces le doit de déterminer elles-mêmes les critères d'admission à l'école de langue minoritaire.

2.2.4 Les francophones hors-Québec

Un citoyen canadien hors Québec a le droit constitutionnel de faire instruire ses enfants à l'école française s'il a appris le français comme première langue et le comprend encore; s'il ne le comprend plus, il perd ce droit pour ses enfants en vertu de l'alinéa 23.1a, à moins qu'il n'ait fait ses études en français, auquel cas l'alinéa 23.1b s'applique encore.

Dans la pratique, les enfants qui ont le droit d'être instruits en français dans les provinces anglaises doivent à tout prix fréquenter une école primaire française au primaire s'ils veulent transmettre leur droit constitutionnel à la génération suivante. Les parents qui envoient leurs enfants dans les écoles primaires anglaises ignorent la plupart du temps que cette décision pèsera sur tous leurs descendants. En effet, si les enfants n'étudient pas en français, ils n'obtiendront pas en vertu de l'alinéa 23.1b le droit de faire instruire leurs propres enfants dans cette langue dans la mesure où ils auront perdu leur langue maternelle. En ce cas, ni l'alinéa 23.1a ni l'alinéa 23.1b ne s'appliquera. Les faits démontrent qu'un enfant francophone fréquentant l'école anglaise s'assimile dans des proportions de 90 %.

3 Les effets de l'article 23 de la Charte canadienne

Il faut comprendre que non seulement les droits constitutionnels en matière d'enseignement dans la langue de la minorité peuvent être perdus, mais qu'ils sont éventuellement limités par le paragraphe 23.3 de la Charte des droits et libertés. En effet, le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes 23.1 et 23.2 de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d'une province s'exerce partout dans la province «où le nombre des enfants [...] est suffisant» (voir les alinéas 23.3a et 23.3b). La pratique du «là où le nombre le justifie» a d'ailleurs permis à plusieurs provinces de déroger aux obligations de la Constitution canadienne.

3.1 Au Québec

Au Québec, cette restriction quant au nombre d'élève ne s'applique pas. En vertu de la Charte de la langue française, tout enfant admissible à l'enseignement en anglais a le droit de recevoir un enseignement en anglais, et ce, peu importe le nombre des enfants; même s'il est le seul écolier anglophone dans son village, il peut exercer son droit, quitte à ce que les frais de transport soient payés par le gouvernement. Bref, la loi provinciale québécoise protège davantage la minorité anglophone que la Charte canadienne.

Il en est de même en Ontario et au Nouveau-Brunswick: tout enfant d'un parent qualifié en vertu de l'article 23 de la Charte canadienne peut avoir accès à l'instruction dans la langue de la minorité si ce parent l'exige.

3.2 La clause du «là où le nombre le justifie»

Dans le reste du Canada anglais, le fait que les droits constitutionnels soient limités «là où le nombre le justifie» et qu'ils peuvent être perdus pour les générations suivantes réduit considérablement la portée réelle de la Charte canadienne.

Une étude du démographe Michel Paillé analyse la situation des écoliers, francophones et anglophones, ayant droit à l'enseignement dans une langue minoritaire dans chacune des provinces canadiennes. Cette étude établit combien d'enfants ont acquis un droit constitutionnel et combien s'en prévalent ou peuvent s'en prévaloir dans les faits. Or, d'après le tableau 3 (d'après Michel Paillé), sur les 272 000 jeunes «ayants droit» de 6 à 17 ans recensés en 1986 et dont au moins un des parents est de langue maternelle française, seulement 137 000 ont été éduqués en français, soit 50 %. Il est déplorable, pour ne pas dire catastrophique, de constater que 10 % et moins des «ayants droit» francophones sont scolarisés en français dans les provinces de Colombie-Britannique, de l'Alberta, de la Saskatchewan, de Terre-Neuve et des territoires.

La situation est un peu plus satisfaisante dans les provinces de l'Île-du-Prince-Édouard (21,8 %), du Manitoba (29,4 %) et de la Nouvelle-Écosse (34,8 %). La fréquentation des écoles françaises est nettement supérieure en Ontario (57,1 %) et surtout au Nouveau-Brunswick où 80,4 % des francophones de cette province fréquentent les écoles de leur groupe linguistique. Étant donné que, en moyenne, 50 % des francophones hors Québec ne se prévalent pas ou ne peuvent pas se prévaloir de leurs droits constitutionnels, cela signifie que les jours du français sont comptés à l'extérieur du Québec.

À l'opposé, 96,7 % des jeunes anglophones du Québec s'inscrivent dans les écoles de leur groupe linguistique. En 1986, leur nombre était de 117 539 sur une possibilité de 121 513. Bref, la situation des Anglo-Québécois ne se compare pas à celle des autres groupes minoritaires.

On peut se demander pourquoi les francophones se prévalent si peu de leurs droits constitutionnels. Plusieurs hypothèses permettent d'expliquer une telle anomalie, mais l'attitude des gouvernements provinciaux demeure certainement l'une des plus vraisemblables. Les minorités ont tendance à ne plus utiliser leur langue lorsqu'elles sentent que celle-ci n'est pas valorisée socialement. Il n'est pas si simple de faire appliquer la Charte canadienne, car ce sont les tribunaux qui doivent interpréter les textes constitutionnels. La politique du «là où le nombre le justifie» a permis toutes sortes de stratégies pour éviter de donner aux francophones hors Québec les écoles auxquelles ils ont droit. Les faits ont démontré qu'il est plus avantageux pour une province de ne pas mettre en oeuvre les garanties constitutionnelles, quitte à attendre les poursuites judiciaires et l'interprétation qu'en feront les tribunaux par la suite quant à l'étendue des droits linguistiques accordés à la minorité. C'est notamment le cas de l'Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba et, dans une moindre mesure, de l'Ontario dans la gestion des écoles.

On comprend mieux pourquoi, à l'exception du Nouveau-Brunswick et de l'Ontario, un bon nombre d'élèves francophones hors Québec en est réduit à suivre ses cours dans le cadre des programmes d'immersion destinés avant tout aux anglophones. Bien que cela soit interdit par la Constitution et la Cour suprême du Canada, c'est une autre façon qu'ont trouvée certaines provinces anglaises pour contourner la Charte des droits et libertés. Ces programmes d'immersion aident particulièrement les anglophones de niveau socio-économique aisé ou moyen à devenir bilingues, tout en dépannant les francophones. Il est évident que de telles pratiques où le français est enseigné comme langue seconde ne sauraient convenir aux besoins spécifiques des francophones. On s'interroge ensuite sur les raisons qui incitent la moitié des francophones hors Québec à angliciser leurs enfants!

3.3 La gestion des écoles par les minorités

Enfin, il reste le problème du droit de gestion par la minorité de ses établissements scolaires. La Constitution canadienne ne traite pas directement de cette question, mais la jurisprudence a établi que la Charte garantit ce droit de gestion et que, sans celui-ci, tout l'article 23 risque de perdre sa force et son caractère réparateur. Si l'on fait exception du Québec et du Nouveau-Brunswick, la plupart des conseils scolaires – dans tout le Canada français, on emploie le terme de conseil scolaire pour désigner ce que l'on appelle au Québec une commission scolaire – sont encore contrôlés par la majorité anglaise. La situation s'est améliorée en Ontario où existent, depuis 1997, plusieurs conseils scolaires francophones, mais les pratiques dans les autres provinces laissent encore à désirer. Dans de nombreux cas, on en est resté, au mieux, à des compromis boiteux, par exemple des conseils consultatifs ou d'autres organismes dénués de tout pouvoir décisionnel.

L'absence d'une véritable reconnaissance juridique et d'une valorisation sociale minimale du français à l'égard des francophones de la part des provinces ainsi que le refus d'appliquer les dispositions de la Charte des droits et libertés ont fait en sorte que la portée réelle de cette Charte est relativement limitée. Cela dit, même si la Charte ne produit que peu d'effets concrets dans les politiques linguistiques des provinces, elle demeure avec la Loi sur les langues officielles la pièce maîtresse de toute la politique linguistique du gouvernement fédéral.

4 Les tentatives de réforme constitutionnelle

Depuis 1987, le pays a entrepris une série de rondes constitutionnelles. Mais toute réforme constitutionnelle est difficile dans ce beau et grand pays auquel on voudrait, selon la formule consacrée, rattacher le Québec «dans l'honneur et l'enthousiasme».

4.1 L'accord du lac Meech

Le 3 juin 1987, un accord entre les 11 premiers ministres (fédéral et provinciaux) est conclu: ce fut l'accord du lac Meech. Selon les termes de cet accord, le Parlement fédéral et toutes les provinces avaient le rôle de protéger la dualité canadienne, c'est-à-dire les «Canadiens d'expression française, concentrés au Québec mais présents dans le reste du Canada» et les «Canadiens d'expression anglaise concentrés dans le reste du pays mais aussi présents au Québec»; ce qui liait nécessairement la population du Québec au bilinguisme canadien (comme d'ailleurs au multiculturalisme).

Quant à l'Assemblée nationale et au gouvernement du Québec, ils avaient «le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise»; ce qui ne liait ni le gouvernement fédéral ni aucune province à l'exception du Québec. On devine que, en cas de conflit de juridiction, il serait difficile de concilier la promotion du caractère distinct du Québec et la promotion de la dualité canadienne, notamment les droits de la minorité anglophone, sans parler de la promotion du multiculturalisme.

Quoi qu'il en soit, l'accord du lac Meech ne fut pas ratifié par toutes les provinces, parce que le Manitoba et Terre-Neuve ne l'ont pas fait adopter par leur législature respective dans les délais prescrits par la Loi constitutionnelle de 1982. Même si personne ne savait vraiment ce que signifiait le concept de «société distincte», le Canada anglais a craint que le Québec se serve de cette «coquille vide» pour «brimer» les droits inaliénables des Anglo-Québécois en voulant se protéger.

4.2 Les propositions constitutionnelles de 1991

En 1991, le gouvernement fédéral fit connaître ses propres propositions constitutionnelles. Cette fois-ci, le concept de «société distincte» fut défini  et forcément limité  comme «une majorité d'expression française; une culture unique en son genre; une tradition de droit civil.» De plus, le gouvernement du Canada proposa d'insérer à l'article 2 de la Loi constitutionnelle de 1867 une «clause Canada» qui prévoyait notamment «la reconnaissance de la responsabilité des gouvernements de préserver les deux majorités et minorités linguistiques du Canada» ainsi que «la contribution de peuples d'origines culturelles et ethniques diverses à l'édification d'un Canada fort». On en revient toujours à la promotion de la dualité canadienne dans chacune des provinces et à celle du multiculturalisme.

Les réformes constitutionnelles prirent une nouvelle ampleur en 1992. Ce fut d'abord la publication du Rapport Beaudoin-Dobbie qui reprit l'essentiel des propositions fédérales précédentes (société distincte, dualité canadienne, multiculturalisme), mais en y ajoutant des éléments nouveaux, particulièrement en ce qui a trait aux autochtones et au Sénat canadien. Pour la première fois, le Canada reconnaissait aux autochtones «le droit inhérent de se gouverner selon leurs propres lois, coutumes et traditions afin de protéger leurs langues et leurs cultures diverses». Quant au Sénat, on introduisit la notion de la double majorité en vertu de laquelle «les mesures relatives à la langue ou à la culture des collectivités francophones devraient être approuvées par la majorité des sénateurs et par la majorité des sénateurs francophones.»

4.3 L'entente constitutionnelle de Charlottetown

Puis ce fut l'entente constitutionnelle de Charlottetown du 28 août 1992. Le Québec obtint notamment trois juges à la Cour suprême, la clause de société distincte (limitée à la langue, la culture et le droit civil), la garantie de 25 % des sièges à la Chambre des communes, la double majorité linguistique au Sénat (pour l'ensemble des sénateurs francophones du Canada), un droit de veto (à l'instar des autres provinces) sur toutes modifications aux institutions centrales. De plus, la «clause Canada», celle qui devait servir à interpréter tout la Constitution, est revenue. Dans un paragraphe (1), elle précisait les caractéristiques fondamentales du Canada dont les suivantes semblent particulièrement pertinentes à notre propos:

 

c) le fait que le Québec forme au sein du Canada une société distincte, comprenant notamment une majorité d'expression française, une culture qui est unique et une tradition de droit civil;

d) l'attachement (en anglais: commitment) des Canadiens et de leurs gouvernements à l'épanouissement et au développement des communautés minoritaires de langue officielle dans tout le pays;

[...]

h) le fait que la société canadienne confirme le principe de l'égalité des provinces dans le respect de leur diversité;

De plus, un paragraphe (2) venait préciser le rôle du gouvernement du Québec envers la société distincte: «La législature et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir la société distincte.» Encore une fois, le Québec s'est trouvé coincé entre deux clauses conflictuelles: le concept de la société distincte et celle de la dualité canadienne. L'entente prévoyait également une réforme du Sénat où toutes les provinces obtenaient le même nombre de sénateurs (soit huit).

Quoi qu'il en soit, l'entente de Charlottetown fut rejetée lors du référendum du 26 octobre 1992. En effet, non seulement le Québec, mais la Nouvelle-Écosse, le Manitoba, la Saskatchewan et la Colombie-Britannique ont majoritairement voté NON; à l'échelle du pays, 55 % des Canadiens ont refusé l'entente constitutionnelle proposée par le gouvernement fédéral, les premiers ministres provinciaux et les leaders autochtones.

En somme, les tentatives de modifier la Constitution canadienne en tenant compte des «deux peuples fondateurs» auront toutes échoué. Le fragile consensus proposé par la classe politique canadienne a été perçu comme un compromis inacceptable par une majorité de Canadiens. Le Québec n'a accepté ni les concessions de leur premier ministre ni les gains des autres provinces, alors que le Canada anglais, de son côté, a refusé au Québec le concept de société distincte et les outils de protection qui l'accompagnaient.

4.4 L'entente de Calgary de 1997

En 1997, les neuf premiers ministres provinciaux du Canada anglais se sont réunis à Calgary afin de proposer un «cadre de discussion sur l'unité canadienne»: ce fut l'entente de Calgary. Si l'on fait exception des voeux pieux du type «la diversité, la tolérance, la compassion et l'égalité des chances qu'offre le Canada sont sans pareilles dans le monde», les premiers ministres anglophones ont déclaré que tous les Canadiens étaient «égaux» et que «toutes les provinces» étaient également «égales». D'où la mise en garde suivante (art. 6):

 

Article 6

Si une future modification constitutionnelle devait attribuer des pouvoirs à une province, il faudrait que ces mêmes pouvoirs soient accessibles à toutes les provinces.

Malgré tout, le Canada anglais semblait prêt à reconnaître certaines spécificités au Québec (art. 5):

 

Article 5

Dans ce régime fédéral, où le respect pour la diversité et l'égalité est un fondement de l'unité, le caractère unique de la société québécoise, constituée notamment de sa majorité francophone, de sa culture et de sa tradition de droit civil, est fondamental pour le bien-être du Canada. Par conséquent, l'assemblée législative et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger le caractère unique de la société québécoise au sein du Canada et d'en favoriser l'épanouissement.

On est revenu à la case de départ avec tous les problèmes qui demeurent dont la société distincte, la réforme du Sénat, les autochtones, la question des chevauchements de juridiction et du partage des pouvoirs. L'histoire est là pour démontrer que le Canada anglais ne s'est jamais résigné à ce que le Québec se protège «trop» sur le plan linguistique. 

De plus, le Canada anglais n'acceptera jamais que le Québec dispose de droits collectifs que les autres provinces n'auront pas obtenus et, au surplus, que ces droits aient préséance sur les droits individuels affirmés dans la Charte des droits et libertés, une charte que le Canada anglais a adoptée sans le Québec, la seule province majoritairement francophone du pays. Si ce n'était que du Canada anglais, le statut particulier pour le Québec serait une notion nulle et non avenue. La prochaine modification constitutionnelle avec l'accord du Québec n'est certainement pas pour demain. Le plus curieux, c'est que la déclaration de Calgary n'intéressait déjà plus personne un an plus tard, ni au Québec ni au Canada anglais. Ça, c'est l'un des aspects les moins glorieux de l'histoire canadienne!

4.5 L’avis de la Cour suprême du Canada (1998)

En 1996, le gouvernement fédéral choisissait de consulter le plus haut tribunal du pays sur la légalité d’une éventuelle déclaration unilatérale de sécession de la part d’une province, en l’occurrence le Québec. Le 20 août 1998, la Cour suprême du Canada rendait un avis unanime sur cette question. S’inscrivant dans une démarche d’intégrité constitutionnelle canadienne, la Cour suprême affirmait que le Québec ne peut faire sécession unilatéralement et que le droit international ne s’applique pas dans le cas de la sécession du Québec (qui n’est ni colonisé ni opprimé). 

La Cour affirmait également que, si le choix de quitter le Canada appartient aux seuls Québécois, les conditions de ce départ ne peuvent être déterminés comme si le reste du Canada n’existait pas. La Cour a rappelé aussi le caractère légitime du choix de la souveraineté politique pour le Québec à la condition que la question posée et la majorité obtenue lors d’un référendum soient claires, et a même affirmé que, dans ces conditions, le Canada aurait l’obligation constitutionnelle de négocier de bonne foi et ne pas entraver l’aspiration des Québécois. En fait, les juges de la Cour suprême ont conféré au projet de sécession un statut équivalant à celui d’une modification constitutionnelle. De plus, au-delà de ces considérations, la Cour suprême s’est trouvée aussi à souligner les limites du droit en laissant dans le noir des pans entiers d’une éventuelle sécession et en soulignant les difficultés appréhendées d’une négociation sur une question aussi déchirante.

L’avis de la Cour suprême du Canada pourrait constituer une autre épisode de cette saga constitutionnelle si ce n’était du fait qu'elle a mis en place un mécanisme qui favorise un débouché nouveau dans lequel il est possible de s’engouffrer par la voie référendaire, et ceci, pour traiter d’autres sujets que la seule rupture du Canada. Ainsi, toute province – dont le Québec – pourrait relancer le débat constitutionnel à partir d’un plébiscite populaire solide et obliger les autres provinces à négocier de bonne foi. L’aboutissement ne saurait être garanti, mais l’exercice constitutionnel ne pourrait plus être esquivé.  Par exemple, un premier ministre québécois, armé d’un mandat populaire clair, pourrait se présenter à une éventuelle table constitutionnelle et réclamer la place distincte du Québec dans la Constitution canadienne (ou en dehors de celle-ci).  Ou bien il se produirait encore un blocage qui ferait définitivement sauter la fédération canadienne, ou bien le Canada anglais, ayant compris que le projet sécessionniste québécois n’est plus simplement une mauvaise blague et que toute négation contribue à donner suite à cette aspiration, trouverait une solution pour mettre fin à la rupture psychologique qui résulte de l’échec du lac Meech. Quoi qu’il en soit, il s’agit là  de la politique-fiction et l’avis de la plus haute cour du pays ne règle en rien. Pour le moment, ni la question constitutionnelle et encore moins la question linguistique au Canada. La réalité risque de se présenter autrement...

5  La loi fédérale sur la clarté

Le Parlement du Canada a adopté, le 29 juin 2000, la Loi donnant effet à l’exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec. Cette loi, appelée plus simplement «Loi sur la clarté», précise les circonstances dans lesquelles le gouvernement du Canada pourrait entreprendre une négociation sur la sécession d’une province, notamment le Québec. On peut consulter le texte de cette loi en cliquant ICI, s.v.p.

En vertu de la Loi de clarification, les députés fédéraux doivent approuver la question référendaire en ayant examiné préalablement la question et en ayant déterminé si cette question est claire. Dans le cadre de l’examen de la clarté de la question référendaire, la Chambre des communes doit déterminer si la question permettrait à la population de la province de déclarer clairement si elle veut ou non que celle-ci cesse de faire partie du Canada et devienne un État indépendant. Autrement dit, les députés devront décider, par exemple, si les Québécois veulent vraiment cesser de faire partie du Canada. Ils devront consulter les partis politiques, les autres provinces, le Sénat, les autochtones et prendront en considération tous les autres avis, facteurs ou circonstances qu'ils estimeront pertinents. La loi ne fixe aucun seuil d'approbation: ce pourrait être 51 %, 60 % ou 75 %. L'article 3 précise que les négociations pourraient être ouvertes à d'autres participants que la province concernée et que les frontières devraient figurer parmi les sujets de négociation. Le même article soumet un éventuel accord sur l'indépendance aux règles régissant le processus prévu pour une modification de la Constitution canadienne.

En vertu des lois actuelles, cela signifie qu'il faut au moins un référendum dans trois provinces (Ontario, Alberta et Colombie-Britannique), qu'au moins 50 % des habitants de chacune des provinces votent en faveur de l'indépendance d'une province et que les parlements de toutes les provinces ratifient la modification constitutionnelle. Si un seul parlement appose son veto, le projet est automatiquement avorté. Bref, la Loi de clarification rend juridiquement impossible toute sécession éventuelle d'une province.

Étant donné les longues et pénibles tentatives de réforme constitutionnelle, il semble évident que, dans l'avenir, toute modification de ce genre ne pourra qu'aboutir à une plus grande centralisation des pouvoirs du gouvernement fédéral et à une diminution de ceux de la seule province francophone.  En effet, le Québec a toujours échoué dans ses tentatives de se voir reconnaître une plus grande autonomie, l'une de ses plus anciennes «demandes historiques».  

Au contraire, le gouvernement fédéral a consolidé ses pouvoirs en rapatriant de la Grande-Bretagne les juridictions d'appel détenues jusque là par le Conseil privé de Londres.  Ce dernier, on le sait, tranchait le plus souvent en faveur des provinces.  Mais depuis la Charte des droits et libertés de 1982, ce sont les juges de la Cour suprême, tous nommés par le gouvernement fédéral qui, à l'exemple de la tour de Pise, penchent toujours du même côté... celui du fédéral.  Comme toute réforme constitutionnelle impliquerait des compromis selon lesquels le camp ayant la plus grande influence gagnerait plus de pouvoirs qu'il n'en céderait, il paraît clair que ce n'est pas le Québec qui gagnerait le jeu.

Depuis les années soixante, les changements démographiques et économiques ont fait en sorte que le poids linguistique s'est déplacé vers l'Ontario, la Colombie-Britannique et l'Alberta avec comme conséquence que la vision des «deux peuples fondateurs» a perdu beaucoup de son importance au Canada anglais.  Dans cette perspective, il devient difficile pour les Canadiens anglais d'accorder au Québec des concessions, car le prix à payer pour satisfaire aux demandes du Québec a considérablement augmenté.  Les faits sont là: les promesses de Calgary constituent la limite de ce que les Canadiens anglais pouvaient accorder. 

La conclusion s'impose d'elle-même: ou bien le Québec se sépare, ou bien il se satisfait du statu quo, ou bien il accepte de perdre une grande partie de ses pouvoirs, voire de ses privilèges, actuellement reconnus par la Constitution de 1867.  Dans l'avenir, ce sont les Canadiens anglais qui décideront seuls des éventuelles réformes constitutionnelles, car les nombreuses tentatives en ce sens ont démontré hors de tout doute que le Canada est incapable de trouver une solution entre l'unité et la diversité. La seule possibilité, hormis le cul-de-sac, demeure l'imposition par la partie la plus forte de la population. Tout compromis constitutionnel entre les deux grandes communautés linguistiques étant devenu impossible, il pourrait bien ne rester comme solution pour la minorité francophone que la confrontation et... la sécession unilatérale. 

Dernière mise à jour: 25 janv. 2017