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Canada
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La politique
des langues officielles
du gouvernement fédéral |

Capitale: Ottawa
Population: 36,9 millions (2018)
Langues officielles: français et anglais
Groupe majoritaire: anglais (56,9 %)
Groupes minoritaires: français (21,3 %),
chinois, italien, allemand, panjabi, ukrainien, arabe,
néerlandais, tagalog, grec, vietnamien, langues autochtones, etc.
Système politique: fédération de 10 provinces
et de deux territoires
Articles constitutionnels (langue): art. 133 (1867), art. 14,
16-23, 55, 57 de la Constitution de 1982
Lois linguistiques:
Loi sur les langues
officielles (1969, abrogée);
Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec
(1984);
Code criminel
canadien (1985);
Règlement sur l'emballage et l'étiquetage des produits de consommation
(1985);
Loi sur les marques de commerce (1985);
Loi sur le multiculturalisme
canadien (1988);
Loi sur les langues officielles
(1988);
Règlement sur
l’inspection des viandes (1990);
Loi constituant l'Institut canadien des langues patrimoniales
(1991);
Loi sur la
radiodiffusion (1991);
Règlement sur les langues officielles
(1992);
Loi sur le
Nunavut (1993);
Règlement sur les marques de commerce (1995);
Loi sur le ministère
du Patrimoine canadien (1995);
Règlement sur les langues officielles lors de nominations dans la Fonction
publique (1999);
Loi
sur la réédiction de textes législatifs
(2002);
Loi sur le Yukon (2002);
Loi concernant les
compétences linguistiques (2013);
Loi concernant les langues
autochtones (2019).
Documents historiques:
Proclamation
royale (1763);
Acte de Québec (1774);
Loi constitutionnelle de 1791;
Acte d'Union (1840);
Loi sur
l'usage de la langue anglaise à la Législature du Canada (1848). |
1 La répartition des pouvoirs législatifs au Canada
Contrairement à des pays comme la France, la Suède ou la Norvège,
qui ne possèdent qu'un seul gouvernement — ce sont
des États dits «unitaires» —, le Canada constitue une
fédération
de 10 provinces et de trois territoires. Le Canada compte 14 gouvernements, c'est-à-dire
un gouvernement central ou fédéral, dix
gouvernements provinciaux et trois gouvernements territoriaux avec chacun
son Exécutif, son parlement, sa fonction publique et ses institutions
particulières. Certains
champs de compétence appartiennent en propre au gouvernement fédéral, d'autres
sont exclusifs aux gouvernements provinciaux, d'autres enfin sont partagés par
les deux paliers de gouvernement.
- La (Con)fédération
canadienne
Depuis 1867, on a souvent appelé le Canada,
dans sa dénomination longue, la Confédération
canadienne. Or, le Canada de 1867 avait
plutôt choisi l'appellation officielle de Dominion
du Canada en parlant de l'«Union fédérale», mais le terme de
«Dominion» a fini par tomber en désuétude. Quant au mot
confédération, il s'est perpétué jusqu'à nos jours pour désigner
le pays, bien que ce mot n'ait aucune valeur
officielle ni juridique: on ne le retrouve même pas dans la
Constitution canadienne de 1867 ni dans celle de 1982.
En voulant simplifier, on pourrait dire que le
Dominion du Canada fut formé le 1er
juillet 1867 par la confédération
de quatre colonies ou provinces (Ontario, Québec, Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick) de
l'Amérique du Nord britannique afin de former une
Union fédérale, c'est-à-dire une
fédération. L'ambiguïté provient du fait que deux colonies — l'Ontario
ou Haut-Canada ou Canada-Ouest et le
Québec
ou Bas-Canada ou Canada-Est — prenaient pour acquis qu'il
s'agissait d'une confédération (bien que ces colonies ne soient pas
souveraines, mais indépendantes les unes des autres), alors que les autres
colonies considéraient que c'était
une
fédération. Le Haut-Canada (Ontario) et le Bas-Canada (Québec) ont cru participer en 1841 (sous l'Union) à la création d'une véritable
confédération du fait qu'elles étaient indépendantes l'une de l'autre,
ce qui était un fait. Pour les autres provinces qui, après 1867, ont été
constituées par le pouvoir central, c'était une fédération.
Bref, les provinces et territoires qui se sont ajoutés
après 1867 ont joint une fédération, non une confédération qui n'a jamais existé
ni au Canada ni en Amérique du Nord. Les fondateurs du Canada de 1867,
quelque 36 notables agissant comme négociateurs, ont été appelés les «Pères
de la Confédération», alors qu'on aurait tendance aujourd'hui à les
qualifier de «fondateurs du Canada».
Pour les contemporains de 1867, le préfixe «con-»
dans le mot confédération se voulait aussi une façon de se distinguer de la fédération
américaine en croyant que le Canada était un renforcement du principe fédératif.
Autrement dit, les termes de
fédération
et de confédération étaient
souvent employés comme synonymes, car à cette époque personne ne faisait
une réelle différence d'ordre sémantique, notamment entre un État souverain et
un État non souverain. On faisait plutôt la différence entre différentes
colonies britanniques assujetties à Londres, mais indépendantes les unes des
autres.
De nos jours, lorsqu'on parle de «confédération» en
faisant référence au Canada — l'expression
«Confédération canadienne» est restée dans l'imaginaire collectif pour désigner
une époque —, il faut savoir que le mot «confédération»
conserve ainsi le
sens de «fédération».
- La fédération canadienne
Dans les faits, le Canada actuel constitue bel et
bien une
fédération, et pas du tout
une «confédération». Ce dernier terme désigne aujourd'hui une union de
plusieurs États indépendants
ayant délégué par traité certaines compétences à une administration ou un
gouvernement central.
C'est ainsi qu'on parle de la Confédération helvétique, devenue
depuis 1999 la Confédération suisse, parce que les cantons ont conservé
leur souveraineté politique; mais là encore la Suisse tend à devenir une
fédération. Quant au terme de
fédération, il renvoie à une union de plusieurs États associés
formant un seul État fédéral tout en conservant deux niveaux de gouvernement.
Dans une fédération, seul l'État central demeure souverain politiquement; les
États fédérés ne le sont plus, ce qui n'exclut pas une souveraineté limitée à
certains domaines particuliers. Outre le Canada, les États suivants sont des fédérations: l’Allemagne,
l’Autriche, la Russie, les États-Unis, l'Inde, l'Australie, le Brésil, le
Mexique, l'Afrique du Sud, soit environ 25 pays dans le
monde. Évidemment, il existe différents types de fédérations, de sorte que, par
exemple, le fédéralisme appliqué au Pakistan n'a presque rien de commun avec
celui en usage du Canada. D'autres États ne sont pas des fédérations, mais
fonctionnent comme une fédération (Espagne et Royaume-Uni) parce qu'ils ne sont
plus des États unitaires. En général, un État fédéral tire son origine d'un
accord entre d'anciens États indépendants ou d'anciennes colonies différentes, à
la condition d'accorder une grande autonomie aux entités fédérées.
Les principales confédérations politiques existantes sont l'Organisation
des Nations unies, l'Union européenne, le Commonwealth of Nations,
la Confédération suisse et, à un degré moindre, le Royaume de
Belgique.
1.1 Les compétences respectives des deux paliers de gouvernement
Relèvent de la compétence exclusive du gouvernement fédéral
des domaines comme la défense, la monnaie, la navigation, les aéroports,
les poids et mesures, les brevets d'invention, le recensement, les postes,
les Amérindiens et les réserves, les pénitenciers,
la constitution en corporation des banques, les relations internationales,
la radiotélévision, etc. De plus, le gouvernement central
peut exercer des pouvoirs dans des domaines non prévus dans la Constitution;
c'est ce que l'on appelle les «pouvoirs résiduels» qui, au Canada,
sont automatiquement attribués au gouvernement fédéral. Dans d'autres
pays, par exemple en Suisse et aux États-Unis, les pouvoirs résiduels
sont accordés aux cantons ou aux États membres, non au gouvernement
fédéral (central). Cela dit, les provinces ont aussi des pouvoirs résiduels
dans leurs champs de juridiction.
Pour comprendre le système judiciaire canadien, il faut savoir
qu'une grande partie du droit pénal est constituée du droit
criminel proprement dit, lequel se trouve dans le
Code criminel canadien;
celui-ci est exclusivement de juridiction fédérale. Le droit
pénal est l'ensemble des dispositions prévoyant les comportements
illégaux, que l'on appelle infractions, ainsi que les peines
(amendes ou emprisonnement). Ce code traite des délits tels que le meurtre,
l'enlèvement, la fraude, le vol, les agressions sexuelles et voies
de fait, etc. Le droit pénal comprend aussi les règlements
provinciaux et municipaux. Selon le système canadien, ce sont les
provinces qui ont le pouvoir et l'initiative d'intenter des poursuites
pour des infractions au Code criminel canadien, ce qui n'aide pas à
rendre simple la compréhension du système judiciaire au pays.
Nous verrons que le Code criminel prévoit des aménagements
en matière de langues; il n'en est pas ainsi pour les code civils
relevant exclusivement des provinces.
Parmi les pouvoirs attribués aux
provinces
canadiennes, mentionnons
les richesses naturelles (les mines, les minéraux, le gaz naturel,
le pétrole, etc.), les droits de propriété, l'éducation,
l'administration des hôpitaux, les services sociaux, les institutions
municipales, les relations de travail, etc. Relève également
des compétences provinciales le droit civil, qui constitue le droit
commun, c'est-à-dire l'ensemble des règles générales
d'un système juridique. Il réglemente l'ensemble des activités
quotidiennes du citoyen, de la naissance à la mort. Au Québec,
la plupart des règles de droit civil sont contenues dans le Code
civil (2700 articles). Une affaire dite civile serait, par exemple, un
divorce, une injonction, la question des relations de travail, la propriété,
la vente, la question des successions, etc. Compte tenu des compétences
en matière de droit pénal (ou criminel) et de droit civil
au Canada, nous verrons plus loin comment les droits des minorités
de langue officielle en matière de justice diffèrent selon
qu'il s'agisse du droit civil ou du droit pénal.
1.2 Les conflits de juridiction: la
double compétence
Contrairement à un pays comme la Belgique ou la Suisse où
les conflits de compétence sont quasi inexistants entre les différents
paliers de gouvernement, plusieurs domaines relèvent d'une
double
juridiction au Canada. Ainsi, la culture, l'agriculture, la justice,
la
langue, les biens de consommation, etc., relèvent à la
fois de la juridiction du gouvernement fédéral et de celle
des gouvernements provinciaux. Lors d'un arrêt rendu en 1988, la Cour
suprême du Canada a alors affirmé: «La langue n’est pas une matière législative
indépendante, elle est “accessoire” à l’exercice de la compétence relative à une
catégorie de sujets attribués au Parlement ou aux assemblées législatives
provinciales par la Loi constitutionnelle de 1867. » Il faut donc
comprendre que le pouvoir de légiférer dans le domaine linguistique appartient
aux deux paliers de gouvernement, en vertu des compétences législatives que leur
attribue la Constitution.
Étant donné que certains pouvoirs
sont partagés entre le gouvernement fédéral et les
gouvernements provinciaux, les chevauchements entre les deux paliers de
gouvernement sont très courants au Canada et ils sont considérés
comme «normaux». Les possibilités de court-circuitage sont d'autant
plus fréquents que le gouvernement fédéral peut intervenir
directement ou indirectement dans les champs de juridiction provinciaux
par son pouvoir de dépenser. Bref, par son pouvoir de dépenser, le
fédéral se mêle de tout et les champs de compétence partagés avec les provinces
sont d’éternelles sources de conflits. Précisons aussi
que les sources de financement dont dispose le gouvernement fédéral lui
permettent de réglementer, pour ne prendre que ces exemples, plusieurs services sociaux
(assurance-chômage, caisses de retraite), certains domaines de l'éducation
(enseignement professionnel, universités) et les municipalités.
Inévitablement, des conflits surgissent à l'occasion entre
une loi fédérale et une loi provinciale. La loi fédérale
a tendance à avoir la préséance, mais il ne s'agit pas d'une règle absolue.
Néanmoins, dans le domaine particulier de la langue, les faits démontrent
que les provinces voient souvent casser une partie de leur législation
linguistique; c'est une situation que n'a pratiquement jamais connue le
gouvernement fédéral.
Puisque le domaine de
l'emploi des langues est une compétence
qui relève à la fois du gouvernement fédéral
et des provinces, les problèmes sont relativement fréquents. Ainsi, toute
province peut légiférer sur la langue des raisons sociales,
mais uniquement lorsqu'il s'agit d'entreprises constituées en vertu
d'une loi provinciale, non en vertu d'une loi fédérale. Par
exemple, une banque à charte fédérale n'est pas soumise
à une législation linguistique provinciale portant sur les
raisons sociales; par contre, une loi provinciale peut obliger une telle
banque à utiliser le français comme langue de travail parce
que les relations de travail relèvent des provinces. Néanmoins,
une province ne peut régir la langue de travail des entreprises
relevant de la compétence exclusive du gouvernement du Canada: l'Administration
publique fédérale, le transport aérien, la navigation,
les cours de justice fédérales, etc. Pour le reste, les provinces
peuvent adopter les lois qu'elles désirent, sous réserve
des dispositions constitutionnelles qui garantissent certains droits aux
minorités linguistiques
au Canada. D'ailleurs, les provinces ont adopté des régimes linguistiques fort
variées (voir les régimes linguistiques
dans les provinces et territoires).
2 Les origines du bilinguisme institutionnel
La question linguistique reste un thème dominant dans l'histoire
canadienne. En effet, dès l'arrivée des Britanniques en 1763, la
langue a été l'objet de conflits qui n'ont pas toujours favorisé
la cohésion nationale. Les conflits se sont transposés sur
le plan constitutionnel et législatif. Tel qu'il est conçu, le système fédéral
canadien encourage les chevauchements de juridiction,
alors que le concept d'égalité des langues engendre des effets pervers et
démontre que les hommes politiques canadiens ignorent souvent les véritables mesures de protection linguistique.
Il est préférable de faire un petit tour d'horizon dans l'histoire canadienne avant de poursuivre.
2.1 La Proclamation royale de 1763
La question linguistique a joué un rôle important dans
l'histoire canadienne dès 1763, c'est-à-dire au moment où
le traité de Paris cédait officiellement le Canada à
la Grande-Bretagne. La même année, la Proclamation royale
(du 7 octobre 1763) conférait
toute latitude au premier gouverneur anglais, James Murray, pour faire
de la «province de Québec» une véritable colonie britannique en favorisant
l'immigration anglaise et l'assimilation des francophones, en implantant
la religion officielle de l'État (l'anglicanisme) et en instaurant
de nouvelles structures politiques et administratives conformes à
la tradition britannique.
Dès 1764,
James Murray établit les
premières institutions judiciaires et décréta que dorénavant on jugera «toutes
les causes civiles et criminelles conformément aux lois d'Angleterre et aux
ordonnances de cette province». De plus, tout employé de l'État dut prêter
le «serment du test», lequel comportait une abjuration de la foi catholique et
la non-reconnaissance de l'autorité du pape. Ces mesures vinrent à écarter
presque automatiquement tous les Canadiens français des fonctions publiques.
C'est donc l'anglais qui, après 1763, servit naturellement de langue véhiculaire
porteuse de la «civilisation universelle». Dans les faits, l'anglais ne remplaça
pas toujours le français, mais il le relégua pour longtemps dans un rôle de
second ordre.
2.2 L'Acte de Québec (1774)
Or, devant l'impossibilité de faire fonctionner la colonie avec
les lois anglaises et la langue anglaise plus de 98 % de la population
ne parlait que le français, le Parlement britannique finit par
battre en retraite en promulguant l'Acte de Québec (Quebec
Act) de 1774, lequel rendait plus acceptable la conquête anglaise au
Canada. Comme c'était souvent la coutume à l'époque, aucune disposition ne
concernait la langue, mais cette loi britannique assurait implicitement au
français un usage presque officiel en rétablissant les lois civiles françaises.
En tout cas, c'est principalement à partir d'un texte juridique ambigu que
s'autoriseront, dans les régimes ultérieurs, les défenseurs de la langue pour
justifier les droits acquis du français au Canada (art. 8):
Article 8
Il est aussi Établi par la susdite autorité, que
tous les sujets Canadiens de Sa Majesté en ladite province de Québec; (les
Ordres religieux et Communautés seulement exceptés) pourront aussi tenir
leurs propriétés et possessions, et en jouir,
ensemble de tous les usages et coutumes qui les concernent,
et de tous leurs autres droits de citoyens,
d'une manière aussi ample, aussi étendue, et aussi avantageuse, que si
lesdites proclamation, commissions, ordonnances, et autres actes et
instruments, n'avoient point été faits, en gardant à Sa Majesté la foi et
fidélité qu'ils lui doivent, et la soumission due à la couronne et au
parlement de la Grande-Bretagne [...].
en jouir,
ensemble de tous les usages et coutumes qui les concernent,
et de tous leurs autres droits de citoyens,
d'une manière aussi ample, aussi étendue, et aussi avantageuse, que si
lesdites proclamation, commissions, ordonnances, et autres actes et
instruments, n'avoient point été faits, en gardant à Sa Majesté la foi et
fidélité qu'ils lui doivent, et la soumission due à la couronne et au
parlement de la Grande-Bretagne [...].
|
Tout au cours de l'histoire, il fallut
démontrer que l'usage de la langue française faisait partie des «usages et
coutumes» garantis par la Constitution. Évidemment, il aurait été plus simple de
mentionner que le français faisait partie de ces «usages et coutumes», ce qui
aurait éviter bine des ambiguïtés et des confusions. Au cours du siècle suivant,
de nombreux détracteurs du français affirmeront justement que le français ne
faisait pas partie de «usages et coutumes» garantis par la Constitution.
2.3 La Loi constitutionnelle de 1791
Toutefois, le mécontentement de la population anglophone conduisit
à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1791
et partagea
le Canada en deux territoires (voir
la carte du Haut-Canada et du Bas-Canada): le Haut-Canada (l'Ontario), dont la population
ne dépassait pas 10 000 habitants, et le Bas-Canada (le Québec),
dont la population atteignait 150 000 habitants (à 93 % francophones). Comme l'Acte
de Québec (1774), la Loi constitutionnelle de 1791 ne faisait pas
allusion à la langue. L'Assemblée législative du Haut-Canada (l'Ontario) écarta
progressivement l'usage du français et l'abolit même définitivement
en 1839. Malgré des débats acrimonieux, l'Assemblée
du Bas-Canada (le Québec) poursuivit, seule, la tradition du bilinguisme
à la Législature ainsi que dans l'administration et la justice.
Pour
le premier ministre britannique, William Pitt (comte de Chatham), il
paraissait extrêmement désirable que les Canadiens et les Britanniques du
Bas-Canada fussent unis et induits universellement à préférer les lois et
les institutions anglaises: «Avec le temps, les Canadiens adopteront peut-être
les lois anglaises par conviction. Ce sera l'expérience qui devra enseigner
aux Canadiens que les lois anglaises sont les meilleures.» Déjà que William
Pitt était toujours en guerre contre Napoléon et la France. «La France pour
nous est seulement dangereuse comme puissance maritime et commerciale»,
disait-il.
2.4 La Loi d'Union (1840)
Après les émeutes de 1837-1838 au Québec, la Constitution
de 1791 fut suspendue et remplacée par la Loi d'Union
(Union
Act) de 1840, qui réunissait les deux provinces du Haut-Canada
et du Bas-Canada, afin de rendre minoritaires les francophones et hâter
leur assimilation; en 1840, la population anglophone était devenue
numériquement prépondérante au Canada. L'article 41
de la nouvelle loi impériale abolissait le français comme langue de
la législature et décrétait l'anglais seule langue officielle:
Article 41
Et qu'il soit statué, que depuis et après la Réunion desdites deux
Provinces, tous Brefs, Proclamations, Instruments pour mander et convoquer
le Conseil Législatif et l'Assemblée législative de la Province du
Canada, et pour les proroger et les dissoudre, et tous les Brefs pour les élections
et tous Brefs et Instruments publics quelconques ayant rapport au Conseil législatif
et à l'Assemblée législative ou à aucun de ces corps, et tous Rapports
à tels Brefs et Instruments, et tous journaux, entrées et procédés écrits
ou imprimés, de toute nature, du Conseil législatif et de l'Assemblée législative,
et d'aucun de ces corps respectivement, et tous procédés écrits ou imprimés
et Rapports de Comités dudit Conseil législatif et de ladite Assemblée législative,
respectivement, ne seront que dans la langue Anglaise:
Pourvu toujours, que la présente disposition ne s'entendra pas pour empêcher
que des copies traduites d'aucuns tels documents ne soient faites, mais
aucune telle copie ne sera gardée parmi les Records [comprendre «archives»
ou «registres»] du Conseil législatif ou de l'Assemblée législative, ni
ne sera censée avoir en aucun cas l'authenticité d'un Record original.
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C'est la première fois depuis la Conquête que l'Angleterre proscrivait
l'usage du français dans un texte constitutionnel, ce qui démontrait éloquemment
la nouvelle volonté assimilatrice du gouvernement britannique. Le français
ne devenait qu'une langue traduite, sans valeur juridique.
Cependant,
l’usage du français dans les débats parlementaires n’était pas
formellement interdit. Devant le tollé de protestations et la quasi-impossibilité
de faire fonctionner l'appareil de l'État, le Parlement britannique
abrogea, en 1848, l'article 41 (par la Loi
sur l'usage de la langue anglaise à la Législature du Canada) et
ce fut le retour au bilinguisme de fait qui avait cours avant la Loi de
l'Union. À compter de 1849, le texte officiel de toutes les lois fut
adopté à la fois en anglais et en français; dans les débats parlementaires
toutefois, les députés qui s'exprimèrent en français furent «condamnés»
à n'être compris que de leurs collègues francophones. C'est ainsi que la tradition d'un certain
bilinguisme législatif, judiciaire et administratif s'est poursuivie
jusqu'à la création de la Confédération (ou Fédération) canadienne
en 1867.
2.5 La Loi constitutionnelle de 1867
et ses effets
Il importe de rappeler que, en vertu de l'article 133 de la Loi
constitutionnelle de 1867 (anciennement appelée «Acte de l'Amérique
du Nord britannique» jusqu'en 1982), seul le Québec parmi les quatre provinces
canadiennes se voyait imposer le bilinguisme à sa législature et dans les tribunaux,
alors qu'on comptait une importante minorité francophone dans chacune des trois
autres provinces. La politique linguistique du gouvernement fédéral consista
à pratiquer un bilinguisme restrictif au Parlement fédéral et à ne jamais
intervenir contre les lois anti-françaises
adoptées par les provinces tout en s'assurant que le bilinguisme législatif et
judiciaire était scrupuleusement respecté au Québec. Fait significatif: la
Loi constitutionnelle de 1867 ayant été adoptée uniquement en anglais, c'est en
cette langue que la Constitution de 1867 bénéficie d'un statut officiel, la
version française, une traduction, n'étant qu'officieuse. Encore aujourd'hui,
seule la version anglaise peut être invoquée devant les tribunaux. La
seule mesure
«positive» en faveur du français adoptée au XIXe siècle correspond à une loi de 1888, qui accordait
une prime de 50 $ par année aux fonctionnaires capables de s'exprimer «dans
une langue seconde». L'article 55 de la Loi
constitutionnelle de 1982 prévoyait la rédaction et le dépôt pour adoption
d'une version française officielle. Bine que cette version française ait été
rédigée, elle n'a jamais été adoptée, car il aurait fallu une modification
constitutionnelle.
En Ontario, on interdit même l'enseignement du français
dès 1880, puis en 1885, on récidiva en 1912 par le fameux
Règlement 17; en 1897, la province imposa même sans problèmes
l'unilinguisme anglais dans les tribunaux. Au Nouveau-Brunswick
et en Nouvelle-Écosse,
le français ne sera pas reconnu pendant plus d'un siècle;
c'est seulement en 1969 que le Nouveau-Brunswick adopta une loi sur les
langues officielles (Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick).
Entre 1870 et 1949, six autres provinces entrèrent dans la
fédération canadienne. Créé en 1870, le Manitoba adopta en 1890 une loi (Official
Language Act) faisant de l'anglais la seule langue officielle des lois et
de la justice malgré l'article 23 de la Loi
de 1870 sur le Manitoba, une loi constitutionnelle qui prescrivait l'usage
des deux langues; la langue d'enseignement restait l'anglais. Ce n'est qu'en
1979 que la Cour suprême du Canada abrogea l'Official Language Act de
1890 et remettait en vigueur l'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba.
Quant à
l'Alberta et à la Saskatchewan, érigées en province
en 1905 à partir des Territoires du Nord-Ouest, elles abrogèrent unilatéralement
l'article 110 de la Loi
sur les Territoires du Nord-Ouest, qui reconnaissait
officiellement l'usage du français et de l'anglais au parlement et dans les
tribunaux. À la suite d'un jugement de la Cour suprême du Canada en février
1988, qui statuait que l'article 110 de la Loi
sur les Territoires du Nord-Ouest demeurait encore en vigueur, la Saskatchewan
(par la loi 2) et l'Alberta (par la loi 60) durent adopter de nouvelles dispositions
qui, à toutes fins utiles, ravalaient l'une des deux langues officielles au
rang de ce qu'est toujours une «langue autochtone» dans le monde des Blancs.
La Colombie-Britannique fit son entrée dans la fédération en 1871, l'Île-du-Prince-Édouard
en 1873 et Terre-Neuve en 1949; aucune de ces provinces n'a légiféré
à l'époque en matière
de langue et aucune n'a, par conséquent, reconnu le français sur son territoire;
elles ont préféré laisser évoluer le rapport des forces en présence en faveur
de l'anglais.
Par ailleurs, le gouvernement fédéral
n'a jamais empêché les provinces
anglaises d'adopter depuis la Confédération (fédération de 1867) des lois
anti-françaises. Il ne s'est jamais servi de ses pouvoirs, qui lui avaient
été conférés par la Constitution, pour bloquer les décisions déplorables des
différents gouvernement provinciaux à l'égard de la minorité francophone. Il a
laissé le Manitoba, l'Alberta et la Saskatchewan abolir officiellement l'usage
du français, il a laissé l'Ontario, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse
supprimer les droits scolaires des francophones. Il est demeuré sourd à toutes
les revendications franco-canadiennes. Volontairement, le gouvernement fédéral
a fait montre de bien peu de détermination pour assurer un minimum de services
en français dans sa propre administration et il a plutôt limité ses services
en français à la seule province de Québec. Il faudra attendre la seconde
moitié du XXe siècle pour voir la politique
fédérale de non-intervention se transformer radicalement en politique de
bilinguisme officiel.
Voilà, en résumé, l'histoire des droits linguistiques
au Canada; elle explique les luttes séculaires des francophones
qui ont dû se défendre pour conserver leur identité
en Amérique du Nord. S'il est vrai que le passé est garant
de l'avenir, il amorce une esquisse du Canada à venir en matière
de protection linguistique.
3 La politique de bilinguisme institutionnel des années
1960
Si l'on fait exception de la Loi
constitutionnelle de 1867 adoptée par le Parlement britannique, la
première loi canadienne à caractère linguistique date de 1938. Malgré
l'opposition des ministres anglophones et du premier ministre canadien
Mackenzie King, le député Wilfrid Lacroix du Québec réussit à faire
adopter en 1938 une loi qui avait pour but «de faire en sorte qu'un employé
faisant déjà partie du service civil dans une province et ne parlant pas
français ne puisse être transféré [muté] dans la province de Québec». Par
la suite, toutes les initiatives en faveur du français se perdirent dans
l'indifférence générale.
Il fallut attendre en 1962 la formation de la
Commission royale d'enquête sur l'organisation du gouvernement (dite
«Commission Glassco») pour que soit discutée la question du bilinguisme
dans l'organisation gouvernementale. Puis ce fut surtout la création de la
célèbre Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (dite
«Commission Laurendeau-Dunton») qui, de 1963 à 1968, permit au gouvernement
fédéral d'entrevoir de façon systématique et à long terme une politique linguistique. Tel
qu'exprimé dans le mandat de la Commission royale d'enquête sur le
bilinguisme et le biculturalisme, l'enjeu fondamental se lisait ainsi: «Recommander
les mesures à prendre pour que la Confédération canadienne se développe
d'après le principe de l'égalité entre les deux peuples fondateurs.» Dans son rapport paru en 1967, la Commission Laurendeau-Dunton faisait longuement état des différences constatées entre le
Québec et les autres provinces canadiennes. Elle concluait à l'existence de
deux sociétés distinctes, dont l'une était formée par le Québec:
Ignorer cette réalité dans notre rapport ne serait pas seulement une
grave erreur. Ce serait aussi risquer que le Québec refuse de nous écouter
et ce serait en même temps priver le Canada anglais de la chance de prendre
conscience d'un élément particulièrement grave de la situation actuelle du
pays.
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En même temps, la Commission allait
proposer au gouvernement fédéral d'adopter une politique de bilinguise
institutionnel pour l'État, car ce n'est pas aux Canadiens d'être bilingues,
mais l'État: «Si chacun devient complètement bilingue dans un pays bilingue,
l'une des langues sera superflue.» Les partisans du bilinguisme espéraient
aussi que les Québécois seraient amenés à considérer le Canada comme «leur
nation», et non plus seulement le Québec. En 1968, le
premier ministre Pierre
Elliot Trudeau déclarait que si les droits des minorités linguistiques étaient
appliqués au Canada, la «nation franco-canadienne» s'étendrait alors d'un
océan à l'autre. Il faut dire aussi que l'existence de deux langues
officielles pourrait également devenir l'un des caractères distinctifs du
Canada par rapport aux États-Unis.
Toutefois, les principales recommandations de la Commission
Laurendeau-Dunton furent à peu près ignorées par le gouvernement fédéral,
pourtant largement dominé par des Québécois francophones (penser aux
«trois colombes»: Pierre Elliot Trudeau, Jean Marchand et Gérard Pelletier).
Complètement obnubilés par leurs préjugés anti-nationalistes
(anti-québécois, diront certains), ces francophones fédéraux ont
préféré laisser tomber la notion des «peuples fondateurs» pour favoriser
«le bilinguisme et le multiculturalisme», malheureusement sans en préciser
les bases communautaires. Quelques décennies plus tard, il est possible de
constater les effets pervers de cette politique de la diversité culturelle
prônée alors par P.-E. Trudeau. Il est aujourd'hui de plus en plus évident que
la mosaïque canadienne se fracture et que les groupes ethniques ont tendance à
pratiquer l'autoségrégation. Ainsi, en 1981, on ne comptait au Canada que six
enclaves ethniques, contre 254 en 2001 avec le résultat que beaucoup de
Canadiens ont maintenant peur d'établir leurs propres limites et de présenter
leur culture.
Après le
multiculturalisme, le gouvernement de Pierre-Elliott
Trudeau a adopté une législation sur les langues officielles accompagnée
d'une notion de services dans la langue minoritaire au sein des organismes et
des institutions relevant de la juridiction fédérale. Le
multiculturalisme était probablement, à l'époque, une façon détournée pour le
gouvernement fédéral de faire passer le bilinguisme dans l'Ouest.
En 1969,
le Parlement canadien promulgua pour la première fois la Loi sur
les langues officielles, qui conférait un statut co-officiel
à l'anglais et au français, mais seulement dans le cas des
organismes et institutions relevant de la juridiction fédérale.
Cette loi (abrogée en 1988 lors de l'adoption de la nouvelle
Loi
sur les langues officielles, alors que Brian Mulroney était premier ministre
canadien) devenait la première loi à caractère
proprement linguistique adoptée par le Parlement fédéral.
Sa grande innovation résidait dans le fait qu'elle instaurait le
bilinguisme officiel au gouvernement fédéral du Canada. L'article
2 de la Loi sur les langues officielles de 1969 se lisait comme
suit:
Article 2 L'anglais et le français sont les langues officielles du Canada
pour tout ce qui relève du parlement et du gouvernement du Canada;
elles ont un statut, des droits et des privilèges égaux quant
à leur emploi dans toutes les institutions du Parlement et du gouvernement
du Canada.
|
La loi décrétait aussi (art. 8) que «dans l'interprétation
d'un texte législatif, les versions officielles font pareillement
autorité». Dans le domaine de la justice, la loi venait compléter
les dispositions de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867
en prescrivant que les jugements des cours fédérales soient
émis dans les deux langues (art. 5) et que des services d'interprétation
soient disponibles dans ces causes. Toutefois, là où la
Loi
sur les langues officielles innovait vraiment, c'est dans le fait que,
à l'article 9, on exigeait des ministères, départements
ou autres organismes du gouvernement fédéral, comme les sociétés
d'États, de veiller à ce que le «public puisse communiquer
avec eux et obtenir leurs services dans les deux langues officielles».
En fait, la loi engageait non seulement le Parlement et la justice, mais
aussi toute l'administration fédérale.
Quant aux articles 12 à 15 de la
Loi
sur les langues officielles
de 1969,
ils étaient consacrés à la création et à
l'administration de «districts bilingues» dans les cas où
moins de 10 % de la population concernée avait pour langue maternelle
l'une des langues officielles (art. 13). Enfin, les articles 19 à
34 de la loi concernaient le rôle du commissaire aux langues officielles;
celui-ci devait faire respecter la loi et recevoir les plaintes des citoyens.
Pour ce qui est des districts bilingues, il n'ont jamais vu le jour. On
a tenté d'abord de déclarer tout le Québec «district
bilingue»; devant l'indignation et les protestations du Québec,
le gouvernement fédéral a cru prudent de reculer. Puis le
concept a été carrément oublié.
Cette politique nationale
des deux langues fut difficile d'application et ne modifia guère la réalité
quotidienne des citoyens canadiens. Elle a surtout eu comme avantage de
garantir des services en français aux minorités hors Québec, forçant un
certain nombre de fonctionnaires fédéraux à apprendre le français. Mais
les résultats ne furent jamais très concluants. D'ailleurs, tous les commissaires
aux langues officielles nommés par le gouvernement fédéral déplorèrent successivement la lenteur, sinon le refus, de respecter
la loi. Il n'est pas surprenant qu'on ait senti le besoin d'adopter une
nouvelle loi en 1988.
4 La Loi sur les langues officielles de 1988
En 1988, sous l'initiative du
premier ministre Brian
Mulroney, le Parlement canadien adopta une nouvelle loi sur les langues
officielles, ce qui a eu pour effet d'abroger la Loi sur les langues
officielles de 1969. La Loi sur les langues officielles de 1988
compte 111 articles qui, évidemment, reprennent le contenu de la
loi de 1969, mais en allant plus loin dans la pratique du bilinguisme institutionnel.
Selon les termes mêmes de l'article 2, la loi a pour objet les trois
points suivants:
Article 2
a) d'assurer le respect du français et de l'anglais
à titre de langues officielles du Canada, leur égalité
de statut et l'égalité de droits et privilèges quant
à leur usage dans les institutions fédérales, notamment
en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs
et autres, l'administration de la justice, les communications avec le public
et la prestation des services, ainsi que la mise en oeuvre des objectifs
de ces institutions;
b) d'appuyer le développement des minorités
francophones et anglophones et, d'une façon générale,
de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression
vers l'égalité de statut et d'usage du français et
de l'anglais;
c) de préciser les pouvoirs et les obligations
des institutions fédérales en matière de langues officielles.
|
- Le résumé de la loi
Les parties I et II (articles 4 à 13) traitent du
bilinguisme obligatoire
(les deux langues officielles) au Parlement ainsi que dans tous les actes
législatifs et documents émanant d'une institution fédérale;
font exception les ordonnances et actes des Territoires du Nord-Ouest (dont fait
partie aujourd'hui le Nunavut) et
du Yukon, les documents relatifs à l'administration d'une bande
indienne (art. 7.3). Le bilinguisme s'étend également aux
traités internationaux et à toute convention intervenue entre
le Canada et tout autre État. De plus, tous les textes imprimés,
publiés ou déposés par une institution fédérale
doivent paraître simultanément dans les deux langues officielles,
les deux versions ayant également force de loi ou même valeur
(art. 13).
La partie III (art. 14 à 20) de la Loi sur les langues officielles
concerne l'administration de la justice. La loi rend non seulement
les tribunaux fédéraux bilingues, mais elle les oblige à
veiller à ce que tout citoyen puisse être entendu dans la
langue officielle de son choix et à offrir, si besoin est, des services
d'interprétation simultanée d'une langue officielle à
l'autre. L'article 16 de la Loi sur les langues officielles de 1988
va plus loin que la loi de 1969 parce qu'elle oblige les juges à
comprendre l'anglais ou le français sans l'aide d'un interprète.
Cependant, les juges de la Cour suprême du Canada et ceux de la Cour
canadienne de l'impôt ne sont pas soumis au bilinguisme institutionnel,
même si les accusés peuvent utiliser la langue de leur choix.
La partie IV (articles 21 à 33) de la Loi sur les langues officielles de 1988 innove dans la mesure où il est précisé,
à l'article 21, que le public a le droit de communiquer
avec les
institutions fédérales et d'en recevoir les services dans
l'une ou l'autre des langues officielles. Cette obligation vaut pour tous
les bureaux administratifs, qu'ils soient situés dans la région
de la Capitale nationale ou ailleurs, y compris à l'étranger
si l'une des langues officielles fait «l'objet d'une demande importante».
L'offre active des services bilingues comprend aussi bien la langue orale
que la langue écrite. C'est par l'adoption d'un règlement
que le gouvernement décidera des circonstances dans lesquelles il
y a demande importante.
La partie V de la Loi sur les langues officielles traite
de la langue de travail de l'administration fédérale. Selon
l'article 34, le français et l'anglais sont les langues de travail
des institutions fédérales. Les employés ont donc
le droit d'utiliser l'une ou l'autre des langues officielles. Ce droit
est cependant soumis à certaines restrictions: il faut notamment
que le milieu de travail soit propice à l'usage effectif des deux
langues officielles (art. 35). Autrement dit, il faut qu'il y ait une demande
de services bilingues pour que le personnel puisse aussi fonctionner avec
deux langues de travail. Le nom des régions désignées
bilingues est publié par le gouvernement qui peut, par règlement,
inscrire ou radier l'une ou l'autre de ces régions. L'article 39 (partie VI) de la loi précise aussi que le gouvernement fédéral
s'engage à veiller à ce que les Canadiens, tant anglophones
que francophones, aient des chances égales d'emploi
et d'avancement
dans les institutions fédérales.
La partie VII de la Loi sur les langues officielles a suscité
beaucoup de controverses en ce qui a trait à la promotion du français
et de l'anglais par le gouvernement fédéral. Selon l'article
43, le secrétaire d'État du Canada peut prendre toutes les
mesures qu'il estime indiquées pour promouvoir le caractère
bilingue du Canada; par exemple, pour encourager les gouvernements provinciaux
ou les administrations municipales, les entreprises, les organisations
patronales et syndicales, à favoriser l'usage des deux langues officielles.
Particulièrement au Québec, certains y ont vu là
un moyen pour le fédéral de bilinguiser les municipalités,
les entreprises ou toute autre organisation québécoise. Mais les dangers
appréhendés ne se sont pas produits.
La partie IX (art. 49 à 75) de la Loi sur les langues officielles
précise le rôle du commissaire aux langues officielles du
Canada. Celui-ci doit prendre toute mesure visant à assurer la reconnaissance
du statut de chacune des langues officielles. Il doit également
faire respecter l'esprit de la loi et l'intention du législateur
en ce qui touche l'administration et la promotion du français et
de l'anglais au Canada. Le commissaire aux langues officielles procède
à des enquêtes, reçoit les plaintes, donne des avis,
remet un rapport annuel et fait des propositions au gouvernement.
Les autres articles de la Loi sur les langues officielles concernent
les modifications au
Code criminel canadien (art. 94 à 96)
en matière de langues, l'emploi des langues dans la
Loi sur les Territoires
du Nord-Ouest
(art. 97) et la Loi sur le Yukon (art.
98), la Loi sur l'accès à l'information (art. 99 à
101), la Loi sur la protection des renseignements personnels (art.
102), la
Loi sur les textes réglementaires (art.
3 et 6) ainsi
que diverses dispositions transitoires.
Certes, la Loi sur les langues officielles de 1988 constitue
une grande amélioration comparativement à la loi de 1969.
Sur le plan théorique, c'est une loi-modèle, une loi très
égalitariste, soucieuse de la dualité linguistique et des
droits des citoyens en matière de langue. Cependant, la plupart
des clauses concernant les services offerts sont demeurées inopérantes
pendant trois ans, car le règlement prévu dans la loi ne
fut adopté que le 16 décembre 1991.
- Les modifications à la loi
Par ailleurs, un projet de loi S-3, présenté à la
Chambre des communes en 2005, obligerait le gouvernement fédéral et ses agences à
respecter la Loi sur les langues officielles et permettrait aux communautés
minoritaires de les poursuivre devant les tribunaux quand elles y
contreviennent, ce qui était impossible à faire jusqu'à présent. Ce projet de loi
compte trois éléments importants.
1) Le gouvernement fédéral s'engagerait à favoriser
l'épanouissement des minorités francophone et anglophone du Canada, et à
favoriser
leur développement, ainsi qu'à promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage du
français et de l'anglais dans la société.
2) Le ministère du Patrimoine canadien pourrait prendre les
mesures nécessaires pour favoriser la progression vers l'égalité de
statut et d'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne.
3) Toute personne qui saisit le commissaire aux langues officielles d'une plainte visant une
obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV ou
V, ou fondés sur l'article 91, peut formuler un recours devant les tribunaux
pour le régime de la présente partie.
L'objectif de ce projet de loi était de renforcer le caractère
exécutoire des obligations qui incombent au gouvernement du
Canada en vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles.
Malheureusement, le gouvernement canadien ne reconnaissait pas
le caractère exécutoire de ses obligations en vertu de l'article 41 de la loi.
Finalement, le projet de loi S-3, la Loi modifiant la Loi sur les langues
officielles (promotion du français et de l’anglais), a obtenu la sanction
royale le 24 novembre 2005. Les nouveaux articles de la Loi sur les langues officielles, suite à l’adoption du projet de loi S-3, sont les suivants
(les modifications apparaissent en caractères gras et en rouge):
Article 41
1) Le gouvernement fédéral
s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et
anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à
promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais
dans la société canadienne.
2)
Il incombe aux institutions fédérales
de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en
œuvre cet engagement. Il demeure entendu que cette mise en œuvre se fait
dans le respect des champs de compétence et des pouvoirs des provinces.
3)
Le gouverneur en conseil peut, par
règlement visant les institutions fédérales autres que le Sénat, la
Chambre des communes, la bibliothèque du Parlement, le bureau du
conseiller sénatorial en éthique et le commissariat à l'éthique, fixer
les modalités d’exécution des obligations que la présente partie leur
impose.
Article 77
1) Quiconque a saisi le
commissaire d’une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux
articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV, V,
ou VII, ou
fondée sur l’article 91, peut former un recours devant le tribunal sous le
régime de la présente partie. |
L’adoption de ce projet de loi a pour effet de modifier la
Partie VII de la Loi sur les langues officielles et sa portée. Ces
modifications renforcent les dispositions de l’article 41 en obligeant le
gouvernement de prendre des «mesures positives» pour atteindre ces objectifs. En
second lieu, ces modifications permettent au gouverneur en conseil de fixer, par
règlement, les modalités d’exécution de la Partie VII. Enfin, ces modifications
rendent la Partie VII «justiciable» sous l’article 77 de la loi; en d’autres
termes, des recours juridiques seront possibles en cas de violation des
engagements énoncés dans cette Partie de la loi.
- L'unilinguisme des juges
anglophones de la Cour suprême
Le 31 mars 2010, un projet de loi (C-232) fut
adopté de justesse (140
POUR et 137 CONTRE) par la Chambre des communes, de sorte que tous les juges nommés à la Cour suprême
auraient pu
dorénavant être capables de comprendre le français et l’anglais sans l’aide d’un
interprète :
Loi
modifiant la Loi sur la Cour suprême (compréhension des langues
officielles)
Sa Majesté, sur l'avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre
des communes du Canada, édicte : L.R., ch. S-26
1.
L’article 5 de la Loi sur la Cour suprême devient le paragraphe 5(1) et
est modifié par adjonction de ce qui suit :
Article 5
Conditions de nomination
1) Les juges sont choisis parmi les juges, actuels ou anciens, d’une
cour supérieure provinciale et parmi les avocats inscrits pendant au moins
dix ans au barreau d’une province.
2) En outre, les
juges sont choisis parmi les personnes visées au paragraphe 1, qui
comprennent le français et l’anglais sans l’aide d’un interprète. |
Cependant, le projet de loi fut bloqué au Sénat par le Parti conservateur de Stephen Harper. Les opposants au projet de loi considéraient que les juges ont le droit
constitutionnel d'utiliser la langue de leur choix (selon l'art.
133 de la Loi constitutionnelle de 1867). D'autres estimaient que ce
projet de loi, s'il était adopté, privilégierait les aptitudes linguistiques au
détriment des connaissances juridiques et judiciaires.
Pour les partisans du projet de loi
C-232, c'est surtout une question de respect des deux communautés linguistiques
officielles du pays. Mais ce projet de loi serait également important pour le
message qu'il envoie au reste du pays: le bilinguisme est une valeur capitale au
Canada, et le plus haut tribunal du pays doit en être le reflet. Selon le promoteur du
projet de loi, le député néo-démocrate Yvon Godin: «Une fois adopté par le Sénat, cette loi
marquera une étape importante dans l’histoire des langues officielles au
Canada.» Pour sa part, la Fédération des communautés francophones et acadienne
(FCFA) a tenu à réitérer son soutien au projet de loi C-232. Quoi qu'il en soit, le député Yvon Godin s'est juré de
présenter son projet de loi jusqu'à ce qu'il soit adopté.
En 2006, le
premier ministre Harper avait nommé à la Cour suprême le juge manitobain
Marshall Rothstein, un anglophone unilingue; celui-ci avait alors juré
d'apprendre le français. Cinq ans plus tard, sa promesse de devenir bilingue
était encore à l'état de vœu pieux. En novembre 2011, le premier ministre
nommait un autre anglophone unilingue,
Michael Moldaver, pour siéger à la Cour suprême du Canada. Cette nomination fit
encore couler beaucoup d'encre, particulièrement chez bon nombre de francophones qui ne
comprennent pas pourquoi le bilinguisme ne constitue pas une compétence
fondamentale pour occuper une fonction si vitale au pays. Même les partis
d'opposition, le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique, ont approuvé la
candidature du juge Moldaver.
En 2013, le gouvernement de Stephan Harper
avait nommé un unilingue anglophone Michael
Ferguson au poste de vérificateur général du Canada. Cette nomination fut
aussitôt dénoncée par les partis d'opposition. Le Nouveau Parti démocratique
présenta alors le projet de loi (C-419). S'il avait d'abord défendu cette
nomination, le gouvernement conservateur de Stephen Harper avait par la suite
laissé savoir qu'il allait appuyer le projet de loi néo-démocrate, mais qu'il
voulait en modifier certains points. C'est ainsi que les députés conservateurs
majoritaires ont fait retirer l'exigence du bilinguisme lorsqu'un poste est
pourvu par intérim. Ils ont également complètement abrogé le préambule qui
statuait notamment que le français et l'anglais «jouissent d'un statut et de
droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du
Parlement». Le préambule notait aussi que les personnes nommées par la Chambre
ou le Sénat «doivent avoir la capacité de communiquer avec les parlementaires
dans les deux langues officielles». Les députés conservateurs ont avancé qu'on
n'avait nul besoin «d'alourdir» le projet de loi avec un tel préambule. La
Loi concernant les compétences
linguistiques (2013), concentrée sur dix agents du Parlement, est toutefois
loin de couvrir l'ensemble des milliers de nominations du gouvernement.
5 Le Règlement sur les langues officielles
La Loi sur les langues officielles (adoptée
en 1988 et modifiée en 1992) prévoit que
c'est par règlement que doit être défini ce qui constitue
«une demande importante» de services dans l'une des deux langues
officielles à un bureau d'une institution fédérale.
Le Règlement sur les langues officielles
de 1991 parachève
ainsi certaines dispositions-clés de la loi de 1988, notamment celles
ayant trait aux trois aspects suivants:
a) les bureaux fédéraux faisant l'objet
d'une «demande importante» dans les deux langues;
b) les bureaux dont la «vocation» justifie
des services dans les deux langues;
c) les services offerts aux voyageurs par «des
tiers conventionnés».
En tenant compte de l'importance de la minorité francophone ou anglophone
de la région desservie, le règlement distingue deux ensembles:
les grands centres urbains (au nombre de 24 au Canada) appelés les
«régions métropolitaines de recensement» (RMR)
comptant au moins 100 000 habitants et les petites villes et régions
rurales appelées «subdivisions de recensement» (SDR).
Dans les RMC ayant une minorité d'au moins 5000 personnes
soit 14 des 24 grandes centres urbains tels que Halifax, Saint John, Québec,
Sherbrooke, Montréal, Sudbury, Toronto, Hamilton, St. Catharines-Niagara,
Winsor, Winnipeg, Calgary, Edmonton et Vancouver , les bureaux des institutions
fédérales doivent offrir, en principe, leurs services en
anglais et en français.
Toutefois, si l'administration fédérale dispose de plusieurs
bureaux dans la RMR offrant le même service, les services doivent
être dans les deux langues officielles dans une proportion de bureaux
au moins égale à celle de la minorité de la RMR. Ces
services comprennent généralement les institutions suivantes:
Bureau de poste, Centre d'emploi, Sécurité du revenu, Impôt,
Secrétariat d'État, Commission de la fontion publique.
Les subdivisions de recensement (SDR) correspondent à une municipalité,
une petite ville ou une région rurale où existent une ou
plusieurs institutions fédérales. Les règles prévues
s'avèrent très complexes. Notons seulement que les services
doivent être bilingues si une SDR comprend une minorité d'au
moins 500 personnes qui correspond à au moins 5 % de la population.
Tous les bureaux sont bilingues si la minorité correspond à
30 % ou plus de la population locale.
Le Règlement sur les langues officielles définit
aussi ce que l'on doit entendre par l'expression «une demande importante»
dans l'une ou l'autre des langues officielles. Cette expression, fréquemment
utilisée dans la loi, signifie que «la demande dans une langue
représente 5 % de la demande globale au cours d'une année».
Selon le
Règlement sur les langues officielles
de 1991, l'incidence
des règles démographiques sur la demande importante établit
que 94 % de la population minoritaire de langue officielle du Canada recevrait
des services dans sa langue. Cette population minoritaire se retrouve dans
les 25 principaux centres urbains (incluant Ottawa-Hull) et 441 autres
localités.
Le règlement garantit aussi que les voyageurs ont le droit de
recevoir une gamme de services fédéraux dans les deux langues
officielles dans certains aéroports, gares ferroviaires et gares
de traversiers.
Par ailleurs, dans son rapport de 2006,
Mme Dyane Adam, alors commissaire aux langues officielles, proposait de modifier considérablement la
réglementation sur les langues officielles: «Le Règlement de 1992, conçu à une
époque révolue, ne tient plus la route et doit être modernisé.» Tel qu'il est
appliqué, le Règlement fait en sorte que des services bilingues ne sont offerts
que là où les minorités linguistiques représentent un pourcentage suffisant dans
leur ville. En réalité, la réglementation précise qu'il faut que les demandes
atteignent 5 % des demandes totales dans une municipalité.
Toutefois, on en arrive à certaines anomalies. Par exemple,
parce que 625 francophones de Yarmouth en Nouvelle-Écosse atteignent 8,4 % de la
population, ils ont le droit de recevoir des services en français. En revanche,
les 870 anglophones de Sept-Îles au Québec n'ont pas le droit de recevoir des
services dans leur langue parce qu'ils ne forment pas 5 % de la population
totale. L'ex-commissaire aux langues officielles relevait aussi la situation de la
Gendarmerie royale du Canada sur la route Transcanadienne. Selon le tronçon où
un citoyen se fait arrêter, il aura le droit ou pas le droit de se faire répondre dans sa
langue par le policier. Or, il n'est pas nécessaire de rappeler que la
Transcanadienne n'est pas à l'usage exclusif de la population locale, mais
profite à l'ensemble du public canadien.
En réalité, l'ex-commissaire aux langues officielles
recommandait d'assurer des services bilingues là où «la vitalité d'une communauté
le commande». Il faudrait alors élaborer des «indicateurs de vitalité
linguistique», qui ne reposeraient pas uniquement sur de simples critères
mathématiques.
Depuis 2016, le gouvernement du Canada a
entrepris la révision du Règlement sur les langues officielles — communications
avec le public et prestation des services. La révision réglementaire fait partie
des engagements visant à ce que tous les services fédéraux soient offerts en
conformité avec la Loi sur les
langues officielles. La révision vise principalement les éléments suivants:
• élaborer une méthode de calcul
améliorée qui pourra mieux refléter les besoins et les intérêts des
collectivités linguistiques minoritaires plus petites mais florissantes,
correspondre aux réalités démographiques actuelles, et s’adapter aux
changements démographiques à l’avenir;
• explorer les possibilités offertes par
les nouvelles technologies pour améliorer la prestation de services dans les
deux langues officielles;
• améliorer les services bilingues dans
le domaine du transport.
Selon les directives du gouvernement, les
obligations linguistiques des bureaux assujettis aux règles de demande
importante du Règlement doivent être revues à la suite du plus récent
recensement décennal.
6 L'application de la politique linguistique
Dans son Rapport de 1991, un autre
commissaire aux langues officielles
du Canada affirmait que le bilinguisme fédéral était
«une réussite nationale». Les progrès ont en effet été
réels, mais ils ne doivent pas masquer une certaine réalité.
Il y a parfois loin de la coupe aux lèvres. En effet, dans son Rapport de 1998, le commissaire lançait
un cri d'alarme en disant qu'il était «temps de renverser la vapeur»
et de faire cesser l'affaiblissement graduel des droits linguistiques et
des pouvoirs du gouvernement fédéral dans le domaine des
langues officielles. Il suffisait d'examiner les 68 000 témoignages
recueillis en 1991 par la Commission Spicer pour se rendre compte que les
Canadiens en avaient, déjà à ce moment-là,
ras-le-bol du bilinguisme officiel et des coûts qu'il représentait.
Un sondage réalisé en 1992 révélait que, selon
64 % des Canadiens, la politique de bilinguisme officiel du gouvernement
fédéral avait lamentablement échoué; seulement
26 % des Canadiens y voyaient un succès. En janvier 1992, le premier
ministre de l'Alberta soutenait même que la politique fédérale
du bilinguisme était «une source d'irritation pour le Canada» et prônait
même son abolition, soulevant ainsi un tollé de protestations
au sein de la classe politique canadienne.
 |
Enfin, la politique de bilinguisme
officiel n'a pas eu comme conséquence de favoriser le bilinguisme
chez les citoyens canadiens. Si au début le bilinguisme était perçu comme une
véritable religion au sein de la classe politique fédérale, il n'en est plus
ainsi plus de quatre décennies plus tard. Non seulement aucune province canadienne n'est devenue
officiellement bilingue (à l'exception du seul Nouveau-Brunswick), mais les
certains politiciens fédéraux commencent à vouloir réviser à la baisse
cette politique du bilinguisme. Le mouvement est déjà amorcé depuis un
certain temps, mais parfois l'exemple vient de haut.
Ainsi, alors qu'il était chef de
l'opposition au Parlement fédéral, M. Stephen Harper estimait que «le Canada
est moins bilingue aujourd'hui qu'il ne l'a jamais été depuis sa fondation».
Il critiquait en ces termes cette politique: «En tant que religion, le
bilinguisme est le dieu qui a échoué. Cela n'a pas entraîné une plus grande
justice, n'a pas aidé l'unité du pays et a coûté des millions aux
contribuables.»
La critique était sévère, mais elle
n'était pas tout à fait exacte. C'est vrai qu'en tant que «religion»
la politique du bilinguisme a échoué. Il est vrai également que
beaucoup d'anglophones croient que cette politique consiste à
promouvoir le français au Canada anglais, alors que les francophones
du Québec estiment qu'elle est tout à fait inutile, même dans leur
propre province. En réalité, la politique du bilinguisme canadien
n'a jamais eu comme objectif de rendre tous les Canadiens bilingues. |
Avec un tel
principe trop répandu et tout à fait erroné, beaucoup ont conclu que la
politique du bilinguisme avait échoué, puisque les Canadiens ne sont pas tous
bilingues. Mais le véritable objectif de cette politique était de garantir que
les francophones du pays recevraient des services dans leur langue et qu'ils
n'étaient pas obligés de savoir l'anglais pour vivre. Comme il arrive souvent dans des cas similaires, la réalité
est nuancée: la politique linguistique du gouvernement fédéral
comporte à la fois des réussites et des échecs.
6.1 Les réussites
Si le gouvernement fédéral voulait assurer une
visibilité du français
au Canada, il a réussi dans la mesure où celle-ci était inexistante jusque
dans les années 1970. Au plan des principes, les francophones du Canada ont
certainement accompli un exploit peu commun. En effet, ils ont réussi à
placer, même au plan constitutionnel, la langue du quart de la population
sur un pied d'égalité avec la langue majoritaire parlée par les deux tiers,
voire les trois quarts du pays.
En raison des politiques linguistiques du gouvernement fédéral, aidé il
est vrai par un Québec vivant une période de forte affirmation collective, le
français est devenu la première langue seconde des élites du pays,
reléguant à l'arrière-plan des langues d'usage plus répandues, notamment
dans l'Ouest du Canada (p. ex., l'italien, le chinois, l'ukrainien,
l'allemand, etc.). De fait, dans toutes les grandes villes, les enfants
anglophones des classes sociales instruites se ruent aux portes des écoles
offrant des cours d'immersion en français. Pour une certaine catégorie de la
classe dirigeante du Canada anglais, le français est devenu non seulement un
atout précieux, mais aussi une nécessité pour accéder à des postes
importants, que ce soit dans la fonction publique ou dans les grandes sociétés
privées.
Dans le domaine du bilinguisme institutionnel, les progrès sont
importants, surtout au Parlement fédéral, même si beaucoup de ministres et de
députés francophones continuent à s'exprimer en anglais. L'administration
fédérale s'est bilinguisée considérablement. Dans la capitale nationale, il
est maintenant normal pour un francophone de se faire servir dans sa langue
dans la quasi-totalité des ministères. La situation est moins évidente en
dehors de la capitale où les services bilingues sont souvent qualifiés de
«passables» à «nuls». Néanmoins, il faudrait être aveugle pour ne pas
reconnaître un progrès certain du bilinguisme dans l'appareil fédéral. La
moindre escale dans un aéroport de Terre-Neuve ou du Yukon permet d'en observer
les manifestations, du moins dans l'affichage officiel. De même, les plaintes
des fonctionnaires anglophones contre l'obligation du bilinguisme prouvent bien
l'existence formelle du critère linguistique dans la grille d'évaluation de la
fonction publique fédérale.
Pour les francophones hors-Québec, la
Loi sur les langues
officielles leur a permis de revendiquer des droits longtemps bafoués. La
législation fédérale leur a donné également de nouvelles armes pour obtenir
et promouvoir les droits linguistiques dans leur province. Depuis l’adoption de cette
importante loi fédérale, les minorités francophones ont réussi à obtenir
justice devant les tribunaux. Ils ont gagné leurs causes dans de nombreux cas,
sinon la plupart. Pour les minorités francophones hors-Québec, la loi
fédérale (ainsi que l’article 23 de la Charte des droits) est souvent la
seule loi qui puisse les défendre contre l’attitude négative et
assimilatrice de leur gouvernement provincial. En tous les cas, la plupart des
minorités francophones du Canada peuvent, en principe, communiquer en français
avec l’Administration fédérale.
De plus, compte tenu de l'importance du pouvoir fédéral, les
lois linguistiques et la Charte des droits de 1982 au sein de la fédération
canadienne ont eu des effets d'entraînement déterminants dans la plupart des
provinces. Le Nouveau-Brunswick, le Québec et l’Ontario sont dans les faits
bilingues. Dans toutes les provinces, les parlements ont adopté des lois non
linguistiques (plus de 200) contenant certaines dispositions linguistiques,
généralement en faveur du français dans les procédures judiciaires, les
élections, les mariages, l’adoption des enfants, la sécurité et la santé au
travail, les services sociaux, l’état civil, etc. Toutes ces mesures démontrent
que, même si les francophones du Canada n’ont pas le contrôle total de leurs
lois (sauf au Québec, et encore!), ils peuvent néanmoins exercer des pressions
qui leur sont favorables.
Alors qu'elle était méprisée il y a une vingtaine d'années, la langue
française est devenue au Canada à la fois une
langue de prestige et une
langue rentable sur les plans social, politique et économique. Il s'agit
là, sans aucun doute, d'une victoire considérable de la part des francophones
du Canada.
Par ailleurs, cette politique a fait
disparaître certaines injustices et certaines iniquités à l'égard des
francophones. Elle a certes coûté des millions aux contribuables canadiens
(voir le
texte, s.v.p.), mais elle
permis en même temps d'éviter l'éclatement du pays et de maintenir un climat de paix sociale
qui ferait l'envie de bien d'autres pays. Ce n'est pas rien! C'est pourquoi le Canada a acquis dans
le monde une réputation enviable pour avoir fait progresser les intérêts de ses
minorités linguistiques. Avec raison, la politique canadienne du bilinguisme est
souvent citée en modèle dans de nombreux pays, surtout en Europe, et ce, malgré
les échecs.
6.2 Les échecs
Le principe de l'égalité des langues qui prévaut au gouvernement fédéral
depuis les années 1970 n'a connu un effet similaire que dans la province
du Nouveau-Brunswick. Ailleurs, y compris au Québec, c'est
même le concept de l'inégalité des langues qui prévaut,
du moins au plan symbolique, car neuf provinces sont demeurées juridiquement
unilingues. Les
élites politiques canadiennes acceptent, il est vrai, le bilinguisme
institutionnel au sein des organismes communs, mais il n'est pas question
d'étendre ce caractère bilingue aux organismes provinciaux ou municipaux (sauf
pour le Québec).
Pour la plupart des Canadiens, le bilinguisme a atteint sa
vitesse de croisière et il ne doit pas aller plus loin: il reste limité au
Parlement et aux institutions qui relèvent du gouvernement fédéral; il en est
de même au Nouveau-Brunswick où le bilinguisme est confiné aux seuls organismes du gouvernement provincial,
incluant depuis 2002 les municipalités et les hôpitaux. En somme, la législation fédérale n’a
pas eu les effets escompté dans les mentalités en ce qui a trait aux deux
«grandes majorités linguistiques». En effet, les gains de la minorité
francophone irritent encore une partie de la majorité anglophone, qui n'accepte
pas facilement le principe de l'égalité juridique des langues au Canada, et
laissent indifférents les francophones du Québec. En ce sens, c’est un
échec de taille, car la politique fédérale d’égalité linguistique n’a
guère mobilisé les Canadiens. Pourtant, cette politique demeure éminemment
positive et pourrait, répétons-le, servir de modèle dans de nombreux pays bilingues.
Par ailleurs, l'égalité souhaitée ne s’est pas réalisée
dans les faits. Ce droit à la «langue de son choix» est difficile à
réaliser partout dans la mesure où, le nombre ne le justifiant pas toujours, les
offres actives en français (ou en anglais dans certaines régions du Québec)
demeurent souvent déficientes, sinon inexistantes. Il est plus facile d'étendre
ce droit sur le plan des symboles (p. ex. l'affichage bilingue pour les édifices
fédéraux, la monnaie, les timbres-postes) que dans les services réels à la
population. C’est que la composition géographique et démographique du Canada
dénie ce «Canada bilingue d'un océan à l'autre».
Du côté de la langue de travail des fonctionnaires, les progrès
sont médiocres. Malgré les 35 ans de bilinguisme officiel pratiqué
dans la fonction publique fédérale, l'environnement de travail des ministères
et organismes fédéraux demeure massivement unilingue anglophone. Les
fonctionnaires francophones dressent un constat d'échec de la
Loi sur les
langues officielles qui consacre l'usage du français et de l'anglais comme
langues de travail dans les institutions fédérales. Les réunions de travail
ont, dans les faits, toujours lieu en anglais même si la majorité des
participants sont francophones. Les communications à l'extérieur du Québec se
font presque uniquement en anglais. Selon l'Institut professionnel de la fonction
publique fédérale du Canada (IPFP), les fonctionnaires francophones ne peuvent
communiquer dans la langue de leur choix que dans une proportion de 43 %. La
loi fédérale prévoit des mécanismes pour permettre aux fonctionnaire de
loger des plaintes, mais peu de fonctionnaires osent les utiliser de peur que
cela nuise à leur carrière. De plus, le rapport du commissaire aux langues
officielles révélait qu’en 1997 plus de 40 % du personnel de la haute fonction
publique fédérale n’avait pas encore réussi à se bilinguiser. Or, en 1988, le
gouvernement avait fait la promesse solennelle que tous les grands mandarins
pourraient s’exprimer dans les deux langues officielles. Enfin, encore en 2007,
certains ministères fédéraux fixaient les exigences linguistiques de certains
postes en fonction de la disponibilité du personnel bilingue dans la région,
plutôt qu'en fonction des besoins réels du travail à accomplir.
Il semble qu'à long terme on assiste à l'affaiblissement graduel des droits linguistiques et
des pouvoirs du gouvernement fédéral dans le domaine des langues
officielles. Dans son rapport de 1997, le commissaire au langues officielles du
Canada dénonçait les effets des transformations de l’appareil
fédéral. Lorsque, par exemple, le gouvernement fédéral transfère des
pouvoirs aux provinces, lorsqu'il conclut des ententes avec certaines d’entre
elles sur la main-d'œuvre ou sur le logement social, lorsqu'il privatise
Petro-Canada et NavCan ou encore lorsqu'il met de l'avant une nouvelle
stratégie de programmation de Radio-Canada, il ne fait rien pour s'assurer que
les grands principes du programme des langues officielles soient maintenus.
Devant cette situation, le commissaire a lancé un cri d'alarme en disant qu'il
était «temps de renverser la vapeur» et de faire cesser l'affaiblissement
graduel des pouvoirs du gouvernement fédéral dans le domaine des langues
officielles et, par le fait même, celui des droits linguistiques. Il reproche
aux institutions publiques ou privatisées d'avoir fait du respect des droits
linguistiques un simple volet de la gestion des ressources humaines plutôt
«qu'une valeur nationale qui transcende». Bref, le commissaire soulignait, en
1997, que l'assimilation était encore un problème réel et qu'il se devait de
s'en inquiéter.
Enfin, le relèvement du statut du français n'a pas modifié
substantiellement le sort des minorités francophones du Canada anglais.
Si l’on fait exception des francophones du Québec et du Nouveau-Brunswick,
toutes les minorités francophones du Canada continuent de subir l'assimilation
dans des proportions dramatiques, allant de 33 % à 90 %, selon les provinces.
Il s'agit là d'un autre échec cuisant, même si d'année en année les
fonctionnaires fédéraux se défendent en affirmant que la
Loi sur les
langues officielles n'avait pas pour objectif de freiner l'assimilation des
minorités, mais de leur donner des droits.
Or, c’est justement ce que reproche le commissaire aux langues officielles du
Canada: il faudrait que l'on donne «aux communautés victimes de
l'assimilation» les moyens de la contrecarrer, sinon la politique reste tout à
fait inutile. D'où la nécessité de compléter la législation linguistique
fédérale par des législations provinciales.
Dans son rapport d'octobre
2000, la commissaire aux langues officielles, Mme Dyane Adam, qualifiait
a;ors d'«inacceptable» et d'inquiétante la situation d'ensemble du bilinguisme
officiel au Canada:
Il est inacceptable, après trois décennies et en dépit
de nombreuses interventions des commissaires successifs, que nous devions,
année après année, relever autant de lacunes récurrentes dans les bureaux
fédéraux désignés pour offrir les services dans les deux langues
officielles et dénoncer les inerties persistantes des institutions
fédérales.
|
La commissaire avait reproché l'«attitude passive, sinon
défensive» des institutions fédérales à ce chapitre. Elle constatait aussi
que les dirigeants fédéraux demeuraient «muets et timides», notamment face
à la décision du gouvernement ontarien de faire d'Ottawa une capitale
unilingue anglaise. Elle affirmait que le gouvernement canadien «manquait de
volonté ferme» à l'égard de la pleine mise en œuvre de la
Loi sur les
langues officielles. Le rapport ne mentionnait pas que 85 % des plaintes
provenaient des francophones et que 35 % d'entre elles étaient issues de la
capitale nationale.
Après que Stephen Harper soit devenu
premier ministre du Canada, la situation du bilinguisme s'est quelque peu
détériorée. Dans son rapport de mai 2007, le nouveau commissaire aux langues
officielles, M. Graham Fraser, dénonçait l'abolition du Comité des langues
officielles, les compressions budgétaires et l'inaction du gouvernement au cours
de l'année 2006. Le rapport démontre qu'au Canada le bilinguisme n'est pas un
réflexe naturel, mais un droit qu'il faut sans cesse revendiquer et qui est
constamment menacé. De plus, il n'existe aucun moyen à la disposition des
citoyens qui souhaiteraient exprimer leurs doléances, le
gouvernement Harper
ayant aboli le programme de contestation judiciaire qui permettait aux membres
des minorités de porter plainte lorsque leurs droits n'étaient pas respectés. M.
Fraser notait d'autres problèmes tels que les manquements dans la fonction
publique et le non-respect de la Loi sur les
langues officielles dans
plusieurs institutions fédérales:
Certaines institutions font
preuve de minimalisme dans leur communication avec le public et en matière
de langue de travail. Ces institutions font ainsi fi de l’esprit et de la
lettre de la loi qui sont d’assurer le
respect du français et de l’anglais, leur égalité de statut et l’égalité
des droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions
fédérales. Au sein de ces institutions, on semble être plus soucieux de
maintenir des commodités administratives et d’éviter les précédents que
d’offrir des services adéquats au public ou aux employés des régions
bilingues. |
C'est pourquoi le commissaire aux langues
officielles recommandait que le gouvernement impose une obligation des
résultats. Pour ce faire, il faudrait remettre en place le programme de
contestation judiciaire et pénaliser les récalcitrants. Dans son rapport de
2010, M. Graham Fraser déplorait l’approche de laisser-faire du gouvernement
Harper, surtout en ce qui concerne la langue de travail des fonctionnaires
fédéraux, lesquels communiquent en anglais, plus souvent qu’autrement. Le
commissaire aux langues officielles demandait aux dirigeants de la fonction
publique d’affirmer un plus grand leadership pour pallier les lacunes et
compenser pour le laxisme du gouvernement. Selon le commissaire, les
fonctionnaires francophones ont toujours de la difficulté à travailler en
français et à obtenir des réunions bilingues. Or, d'après la
Loi sur les
langues officielles, les employés du gouvernement fédéral ont le droit de
travailler en français ou en anglais. Le commissaire a constaté qu'en 2010
seulement 67 % des francophones disent se sentir à l’aise d’intervenir en
français dans les réunions.
Constatant le recul constant du français au
pays et le peu d’améliorations apportées au cours des années, des députés
fédéraux des trois partis d’opposition ont affirmé que le commissaire aux
langues officielles devrait avoir un pouvoir de sanction pour donner des dents à
la Loi sur les langues officielles, ce qu’elle n’a pas actuellement.
6.3 Une loi à récrire
En septembre 2019, il y a donc 50 ans, le français
devenait l'une des deux langues officielles du pays. L’objectif de la Loi
sur les langues officielles du 7 septembre 1969, comme d'ailleurs la loi de
1988 qui lui a succédé, était de consacrer l’égalité de statut du français
et de l’anglais dans les institutions fédérales, mais aussi devant les
tribunaux et dans la société canadienne. Certes, les deux lois sur les
langues officielles ont eu des impacts bénéfiques pour les communautés
francophones du Canada, surtout chez les minorités francophones du Canada
anglais, car elles leur ont permis de revendiquer et d’obtenir un appui pour
leur développement. Ces lois ont aussi créé des conditions pour l’insertion
dans la Charte des droits et libertés de droits linguistiques qui ont tout
changé pour ces communautés, notamment le droit à recevoir leur éducation en
français.
Toutefois, cinquante ans plus tard, la place du français
dans l’espace public et commercial est en recul partout au Canada, y compris
au Québec. Des Canadiens dans diverses régions remettent en question la
légitimité du français comme langue officielle du pays, dont les arguments
concernant le coût du bilinguisme. Mentionnons, entre autres, les ratés de
la présence du français aux Jeux olympiques de Vancouver en 2010, l’absence
de service en français qui heurtent continuellement les francophones
lorsqu’ils passent à la sécurité ou aux douanes dans un aéroport, les
traductions inadéquates présentes dans les sites fédéraux, les juges
unilingues anglais dans les cours fédérales, y compris à la Cour suprême.
Dans ces conditions, on se demande si le français est davantage une langue
d’accommodement plutôt qu’une langue officielle. Or, de nouveaux enjeux
incitent aujourd’hui à devoir réviser cette législation. Pensons au rôle du
numérique et des nouvelles technologies de l’information au sein des
institutions gouvernementales, sans oublier les défis démographiques des
communautés de langue officielle en situation
minoritaire.
En fait, la législation sur les langues officielles, c'est
aussi l'histoire de cinq décennies d’obligations au mieux mal respectées ou mal
comprises, mais surtout un manque de volonté politique de faire respecter
l’égalité des deux langues officielles. Tous les rapports des commissaires aux
langues officielles qui se sont succédés en sont arrivés au même constat:
stagnation, manque de cohérence et inefficacité dans l'application de la loi.
Après un demi-siècle à répéter les mêmes lacunes, les mêmes erreurs, les mêmes
problèmes, il faut en venir à la conclusion que la loi est devenue une coquille
vide, car le problème fondamental est dans la loi elle-même.
Il
convient donc de modifier la législation afin d'assurer
l'application des principes prescrivant l’égalité de statut
du français et de l’anglais dans les institutions fédérales,
mais aussi devant les tribunaux et dans la société
canadienne. Il faudrait dorénavant désigner un organisme
doté de pouvoirs pour exiger des résultats à l’ensemble des
institutions fédérales en matière linguistique. La
Fédération des communautés francophone set acadiennes du
Canada propose de créer un tribunal administratif, appelé
«Tribunal des langues officielles, qui soit non seulement
chargé d’entendre les doléances sur les infractions à la
loi, mais soit aussi habilité à imposer des sanctions. Un
tel tribunal serait chargé de trancher les recours intentés,
il serait capable d’émettre des sanctions et d’accorder des
réparations, ce qui libérerait le commissaire aux langues
officielles de la responsabilité d’imposer des sanctions.
Après un demi-siècle, il est temps d’exiger le bilinguisme
des juges à la Cour suprême du Canada et de faire en sorte
que les transferts de fonds aux provinces et aux territoires
aient des dispositions linguistiques contraignantes. De
plus, il conviendrait de réviser la loi et ses règlements
d’application tous les dix ans afin de s'assurer que
l’exercice suivant de modernisation de la loi ne soit pas
soumis à la seule volonté politique des élus du moment.
Bref, la Loi sur les
langues officielles ne doit pas être une loi au service
seulement des minorités de langue officielle, car c'est une
loi canadienne qui concerne l’ensemble des citoyens, dont
les 8,7 millions de Québécois (en 2023). Les Canadiens communiquent
tous les jours avec le gouvernement fédéral, sans oublier
tous ceux et celles qui travaillent en grand nombre au sein
de la fonction publique fédérale à Ottawa et qui vivent de
nombreux défis. Il est grand temps de procéder à une
révision en profondeur de la Loi sur les langues
officielles, car il faut en arriver à une clarification des
responsabilités et des obligations du gouvernement fédéral
en la matière.
6.4 Le bilinguisme et les divisions
régionales
 |
Les Canadiens n'ont pas la même
perception du bilinguisme selon qu'ils parlent français ou anglais,
ou selon qu'ils demeurent dans l'est ou dans l'ouest du Canada.
D'après un sondage commandé par Patrimoine canadien en septembre
2006, les citoyens du
Canada sont profondément divisés quant à leur opinion sur
l’importance du bilinguisme officiel au pays. Si 85 % des
francophones considèrent que «la dualité linguistique au Canada est
une source d’enrichissement culturel», seuls 57 % des anglophones le
croient. |
Une forte majorité de Canadiens est personnellement en faveur du bilinguisme
pour l'ensemble du pays (72 %), ainsi que pour leur propre
province (70 %). Chez les jeunes de 18 à 34 ans, l'appui au
bilinguisme canadien s'élève à 80 %.

Source : Environics Focus Canada/Canadian Opinion
Research Archive, Queen's University/Decima 2006
Le pourcentage
d'appui le plus élevé en ce qui a trait au bilinguisme se trouve au Québec (85 %) et dans les
provinces de l'Atlantique (79 %). C'est en Alberta (58 %) où
l'appui au bilinguisme est le plus bas. Par ailleurs, 64 % des
anglophones sont favorables au bilinguisme pour leur province,
comparativement à 84 % chez les francophones. Bien que plus
faible que le niveau d'appui total (72%), une majorité évidente
de locuteurs anglophones sont en faveur du bilinguisme pour leur
province. De plus, ce taux est presque identique à l'appui des
anglophones en ce qui a trait au bilinguisme pour l'ensemble du
Canada (65 %). Enfin, les femmes (73 %) appuient le bilinguisme
plus que les hommes (66 %).
6.5 Le coût du bilinguisme
au Canada
Les Canadiens s'interrogent souvent sur le coût du bilinguisme dans leur pays.
Est-ce que les millions dépensés à ce sujet valent le coût? Qu'est-ce qu'on
entend par «coût»? S'agit-il de traduction des documents publics? des frais
d'impression dans les deux langues? de la formation linguistique des fonctionnaires?
Quoi encore? Des coûts des programmes des gouvernements
provinciaux? des universités? des autres établissements d'enseignement?
Dans un rapport publié en 2009 et intitulé
Official Language Policies at the
Federal Level in Canada: Costs and Benefits in 2006, l'Institut Fraser du Canada,
réputé pour son penchant pour les politiques de droite, estimait que les
dépenses fédérales pour le bilinguisme se situaient entre 1,6 et 1,8
milliard de dollars, ce qui incluait des transferts aux provinces d'environ
200 millions. Ce coût représentait à peine plus d'un dixième de 1 % du PIB
en 2006-2007, année de référence des auteurs de l'étude, soit 55 $ par
habitant annuellement.
Une autre étude de l'Institut Fraser
(voir le texte, s.v.p.) a
fait suite à la précédente en 2011: si l'on ajoute à ce total la somme de
1,5 milliard de dollars que le gouvernement fédéral consacre au bilinguisme,
les services bilingues coûtaient 2,4 milliards de dollars par an, soit 85 $
annuellement par personne, aux
contribuables canadiens.
En réalité, les sommes consacrées au bilinguisme ne représentaient
à peine plus d'un dixième de 1 % du PIB en 2006-2007, ce qui correspond en réalité
à une bien maigre dépense, soit 0,5 % des dépenses gouvernementales
annuelles. Autrement dit, si le coût du
bilinguisme en 2011 était de 85 $ par citoyen par année et si cette «dépense» permet de maintenir la stabilité
politique du Canada, c'est, peut-on dire, un coût fort acceptable! C'est même un
très bon investissement pour maintenir la paix sociale! Pendant ce temps, les
seules dépenses militaires du Canada s'élevaient en 2009 à plus de 21 milliards
de dollars, soit 740 $ par habitant. Vaut-il mieux dépenser 740 $ par habitant
pour la guerre ou 85 $ pour la paix? Il est inutile de répondre à ce qui va de
soi.
Quand on compare le coût annuel pour les provinces pour assurer
des services dans la langue de leur minorité, on
constate que c'est l'Ontario qui dépense le plus, soit 620 millions d dollars, pour ses
services bilingues, ce qui correspond à 1275 $ par francophone. Le Québec
dépense 50 millions et 88 $ par anglophone, mais Terre-Neuve, avec seulement 3,4
millions de dollars, dépense 1780 $ par francophone.
Province (2011) |
Minorité |
Coût en millions de dollars/année |
Coût par membre de la minorité |
Québec |
anglophone |
50
millions |
88
$ |
Ontario |
francophone |
620 millions |
1275 $ |
Nouveau-Brunswick |
francophone |
85
millions |
357 $ |
Alberta |
francophone |
33
millions |
534 $ |
Colombie-Britannique |
francophone |
23
millions |
426 $ |
Nouvelle-Écosse |
francophone |
18
millions |
540 $ |
Manitoba |
francophone |
16
millions |
410 $ |
Saskatchewan |
francophone |
9,6 millions |
640 $ |
Île-du-Prince-Édouard |
francophone |
5,1 millions |
946 $ |
Terre-Neuve |
francophone |
3,4 millions |
1780 $ |
Gouvernement fédéral |
francophone |
1 500 millions |
85 $ |
Bref, c'est au Québec et au gouvernement
fédéral que le coût par individu minoritaire coûte le moins cher (respectivement 88 $ et 85
$). Pour un gouvernement provincial, ces sommes ne représentent qu'une
infime portion de son budget annuel.
7 La politique d'égalité des langues
D'après l'article 16 de la Charte des droits et libertés
(1982), le français et l'anglais sont les langues officielles du
Canada (fédéral); ils ont un statut, des droits et des privilèges
égaux. C'est à partir de cette déclaration que le
gouvernement canadien développe toute sa politique d'égalité
des langues. Celle-ci est fondée sur la base des droits individuels;
le droit à la langue est un droit strictement personnel et l'égalité
des langues est basée sur l'égalité des individus
devant la loi. Peu importe où ils résident sur le territoire,
les Canadiens d'expression anglaise ou française ont, en principe,
les mêmes droits en regard du gouvernement fédéral.
Celui-ci veut que les francophones du pays, aussi bien au Québec
que hors Québec, s'identifient avec le Canada et y exercent leurs
droits sur un pied d'égalité avec la majorité anglophone.
7.1 Un dualisme abstrait
La conception fédérale des droits linguistiques a tendance
à promouvoir une vision symétrique des langues officielles,
vision selon laquelle les francophones et les anglophones sont considérés
comme des groupes égaux. Cette conception théorique des droits linguistiques
distingue, d'une part, des «Canadiens d'expression française,
concentrés au Québec mais présents dans le reste du
Canada» et, d'autre part, des
«Canadiens d'expression anglaise,
concentrés dans le reste du pays mais aussi présents au Québec».
Il s'agit d'un dualisme abstrait qui laisse croire que le Canada
compte deux majorités au sein desquelles on distingue des minorités
qu'il est nécessaire de protéger. L'application de ce principe
apparemment généreux consiste à prendre des moyens
pour protéger uniquement les minorités francophones des provinces
anglaises ainsi que la minorité anglophone du Québec.
Cette vision des choses laisse croire que les francophones du Québec
constituent une majorité au Canada et que les deux groupes linguistiques
sont égaux. Or, ce n'est pas aussi simple, car les francophones constituent
la minorité du Canada puisqu'ils forment quelque 23 % de la population canadienne
et 2 % de l'ensemble nord-américain. De ce fait, les francophones du Québec ne sauraient
être égaux aux anglophones. Évidemment, ce concept des deux majorités égales
permet de mieux faire accepter le bilinguisme dans les provinces anglaises.
Depuis plusieurs décennies, tous les
gouvernements fédéraux ont
défendu cette fiction symétrique des droits linguistiques, alors que les défis
des minorités francophones et anglophone sont fondamentalement différents.
Les anglophones du Québec ont bâti de grandes institutions sur lesquelles ils
peuvent toujours compter; ils peuvent vivre complètement en anglais dans leur
province, car c'est celle de tout le continent; ils peuvent même vivre toute
leur vie sans savoir un mot de français s'ils résident à Montréal ou dans la
périphérie immédiate. Par contre, tout francophone hors Québec se doit d'être
bilingue et de maîtriser l'anglais, sinon il lui sera impossible de survivre!
Avec une telle idéologie, on semble oublier que c'est le français qui est menacé
au Canada, non l'anglais. La réalité voudrait que le Québec
bénéficie d'une protection particulière de la part
du gouvernement fédéral. Or, de façon paradoxale,
c'est la communauté anglophone qui, en tant que minorité
au Québec, a droit à cette protection fédérale.
La politique linguistique fédérale part du postulat que la
communauté francophone du Québec est une majorité,
qui n'a pas besoin de protection, et que la communauté anglophone
est une minorité qu'il faut protéger. Ainsi, la minorité (au Québec) devient majorité
et la majorité (les anglophones) devient minorité. D'ailleurs, l'ONU n'a
jamais accepté cette interprétation de la réalité canadienne: les
francophones, où qu'ils soient au Canada, constituent la véritable minorité
linguistique du pays. Le principal effet du bilinguisme symétrique fut d'assurer
aux anglophones de pouvoir vivre au Québec de façon convenable sans avoir à
parler le français, tandis que les Québécois francophones ne se sont pas sentis
plus sécurisés à l'extérieur de leur province. Bref, on a maintenu le «privilège
anglophone»!
7.2 L'effet pervers de la
stricte symétrie
Or, la stricte symétrie a entraîné des effets pervers. Elle
a favorisé d'interminables poursuites judiciaires de telle sorte que les
francophones du Québec ont dû combattre les francophones du Canada anglais,
tandis que le gouvernement québécois intervenait pour réfuter les démonstrations
des minorités francophones, et inversement. C'est là une politique de
confrontation, non une politique de protection! De ce fait, il n'est pas certain
que la protection du français y ait gagné quelque chose, bien au contraire.
Au lieu de consacrer son énergie à combattre l’application de la Charte de la
langue française au Québec, le gouvernement fédéral devrait voir plus loin et
s’associer au gouvernement du Québéc afin de se doter d’une stratégie visant à
renforcer la présence du français partout au Canada, y compris au Québec.
Il est illusoire de poursuivre cette
idéologie dominante à propos de la symétrie des langues minoritaires au Canada,
laquelle consiste à laisser croire que l’anglais est aussi menacé au Québec que
le français l’est ailleurs au Canada. Le gouvernement canadien n’a pas à
promouvoir l’anglais au Québec parce qu'il s’agit de la langue dominante en
Amérique du Nord. Certains députés fédéraux, même parmi les francophones, ont
beaucoup de difficultés à comprendre cette problématique. Ils sont prêts à
monter aux barricades pour la moindre restriction à l'anglais au Québec, alors
qu'ils demeurent muets pour l'abolition des services en français dans la reste
du Canada. Ils en sont encore à considérer l'angl.ais comme la vache sacrée au
Canada, comme s'i cette langue était en danger.
Cette situation pour le moins ambiguë a toujours faussé
le débat linguistique au Canada, car Franco-Québécois
et Anglo-Québécois se réclament à la fois des
droits majoritaires et minoritaires, et ce, avec tous les court-circuitages
qu'une telle ambiguïté favorise. En principe, une majorité n'a pas besoin
de droits, puisqu'elle détient le pouvoir. Par son idéologie égalitariste, le gouvernement fédéral
du Canada se trompe de cible: la majorité devient minorité
et la minorité devient majorité. En inversant les rôles
dévolus à la langue dominante et à la langue dominée,
on réduit inévitablement toutes les mesures de protection
à l'égard de la véritable minorité canadienne,
celle parlant le français.
8 Des
«minorités provinciales» sans «minorité canadienne»
Il faut certes féliciter les initiatives du gouvernement
fédéral
dans ses efforts réels pour promouvoir le fait français au
Canada, mais il faut également le mettre en garde contre les «effets
pervers» de ses politiques linguistiques fondées sur une règle
théorique d'égalité.
8.1 Droits individuels
contre droits collectifs
De plus,
la politique linguistique fédérale se trompe sur les techniques de protection utilisées.
On accorde, surtout dans les provinces anglaises, des droits individuels aux francophones, alors qu'il faudrait
leur consentir des droits collectifs. On n'a jamais voulu vraiment reconnaître
de tels droits au Canada, à l'exception de l'article 23 de la Loi
constitutionnelle de 1982. On croit que la démocratie est liée
aux droits individuels et qu'elle est incompatible avec les droits collectifs.
Toute la législation fédérale accorde des
droits aux individus, alors qu'il faudrait
aussi donner des
droits
à la langue. C'est que seuls les droits collectifs et territoriaux permettent
de protéger efficacement une langue. Le gouvernement canadien croit
que l'unité du pays passe obligatoirement par la propagation du
bilinguisme institutionnel dans chacune des provinces. En réalité, le
Canada refuse d'accorder des droits collectifs par crainte que ces droits ne
soient utilisés à l'appui de menées sécessionnistes (surtout au Québec).
Ainsi, ce ne sont pas les minorités elles-mêmes qu'on reconnaît, mais
uniquement les personnes appartenant à des minorités qui exercent leurs droits
à titre individuel.
8.2 Des résultats
inégalitaires
Cette politique d'uniformité des statuts linguistiques
au Canada peut entraîner des résultats contraires dans les
provinces anglophones et au Québec. On semble ignorer que
des droits égaux accordés à des groupes inégaux
aboutiront forcément à des résultats inégalitaires.
Dans les provinces anglaises, la langue de la majorité n'est pas
menacée; le Québec demeure un cas spécial, car la
langue de sa majorité est menacée. Dans l'état actuel
des choses, les mesures de protection accordées aux minorités
francophones des provinces anglaises se révèlent souvent
préjudiciables au français au Québec lorsqu'on les
applique à la minorité anglophone de cette province. De la
même façon, appliquer des critères restrictifs tant
aux anglophones du Québec qu'aux minorités francophones hors
Québec entraînerait des effets destructeurs pour ces dernières.
On semble ne pas avoir compris que le français doit
être protégé partout au Canada, y compris au Québec. La mise en
œuvre
d'une politique d'égalité théorique peut provoquer
l'affaiblissement du français au Québec, sans pour autant
entraîner une amélioration sensible du sort des francophones
hors Québec. Il faudrait savoir que la justice pour les langues
ne passe pas par l'uniformité des statuts, mais au contraire par
la diversité juridique de ces statuts et des mesures asymétriques
à l'avantage de la langue minoritaire sur le plan national. Or,
il semble que le Canada anglais refusera toujours de reconnaître
au Québec un statut particulier.
8.3 L'inexistence de minorité linguistique canadienne
Pour le gouvernement canadien, seule prévaut la politique du
dualisme linguistique d'un océan à l'autre pour chacune des
provinces. Au point de vue juridique, il n'existe pas de minorité
canadienne, mais seulement des minorités linguistiques
provinciales (selon la Cour suprême du Canada) sur
lesquelles le gouvernement fédéral n'exerce aucune juridiction,
si ce n'est par la Constitution canadienne. Aussi paradoxal
que ce soit, les minorités francophones (hors Québec) sont mieux protégées
par le gouvernement le plus éloigné du citoyen, c'est-à-dire
le gouvernement fédéral. Au fur et à mesure que l'on
se rapproche de l'administration locale, par exemple le gouvernement provincial
ou l'administration municipale, les mesures de protection deviennent parfois
quasi inexistantes, notamment à Terre-Neuve, en Alberta, en Saskatchewan et en
Colombie-Britannique.
Dans les faits, le Québec et
ses aspirations n'intéressent guère le gouvernement fédéral. Les nombreux refus
de ce dernier reflètent non seulement des points de vue différents, mais
également une grande indifférence, y compris sur les questions linguistiques. Il
faut constamment rappeler que les francophones du Québec sont minoritaires au
Canada et en Amérique du Nord, et que la culture québécoise fait partie de cette
diversité qui enrichit le monde, alors qu'elle est menacée par le rouleau
compresseur américain. Rien n'y fait, car il faut protéger la langue anglaise au
Québec comme si elle était menacée, afin de tenter de sauvegarder le français
hors Québec. En réalité, ce qu'on comprend, c'est que le Canada anglais vise
surtout à protéger sa langue!
9 La
radiotélédiffusion et les langues officielles
Au Canada, la radiotélédiffusion relève de
la compétence du gouvernement fédéral. En 1985, le Parlement a adopté la Loi sur
le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ce qui
créait l'organisme appelé Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes, communément désigné comme le CRTC, organisme public. Cet organisme
indépendant qui réglemente et supervise les systèmes canadiens de la
radiodiffusion et des télécommunications. Le CRTC ne réglemente pas les
journaux, les magazines, les tarifs de la téléphonie cellulaire, la qualité du
service et des pratiques commerciales des entreprises de téléphonie cellulaire,
ni la qualité et le contenu des émissions de radio et de télévision. Le mandat
du CRTC consiste à veiller à ce que les systèmes de la radiodiffusion et des
télécommunications répondent aux besoins du public canadien. Le CRTC relève du
gouvernement par l’entremise du ministre du Patrimoine canadien.
Le CRTC est soumis à la
Loi sur les langues officielles,
notamment l'article 41, partie VII. Cette décision fut motivée par l’importance
du rôle que joue le CRTC auprès des communautés de langue officielle en
situation minoritaire. L'article 41 déjà cité
énonce que le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des
minorités francophones et anglophones et à appuyer leur développement, ainsi
qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais
dans la société canadienne. Le paragraphe 2
de la loi prévoit qu’il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que
des mesures positives soient prises pour mettre en œuvre l’engagement pris en
vertu du paragraphe 1.
En
radiodiffusion, le CRTC s’assure que tous les Canadiens aient accès à une vaste
gamme d’émissions canadiennes de qualité, ainsi qu’à des possibilités d’emploi
au sein du système de radiodiffusion. La programmation du système canadien de
radiodiffusion doit refléter la créativité et le talent canadiens, la nature
bilingue, la diversité multiculturelle et la place spéciale qu’occupent les
communautés autochtones dans la société. Bref, le CRTC supervise et réglemente
plus de 2000 radiodiffuseurs, notamment la télévision, la radio AM et FM et les
entreprises qui offrent ces services. Il réglemente également les entreprises de
télécommunications, y compris les grandes compagnies de téléphone.
L'article 3 de la
Loi sur la radiodiffusion (1991)
précise que le service public de radiodiffusion, la Société Radio-Canada, se
fait essentiellement en anglais et en français, tout en autorisant aux
entreprises privées d'utiliser d'autres langue :
Article 3
Politique canadienne de
radiodiffusion
1) Il est déclaré que, dans le
cadre de la politique canadienne de radiodiffusion :
a) le système canadien de radiodiffusion doit être, effectivement,
la propriété des Canadiens et sous leur contrôle;
b) le système canadien de radiodiffusion, composé d’éléments
publics, privés et communautaires, utilise des fréquences qui sont
du domaine public et offre, par sa programmation essentiellement en
français et en anglais, un service public essentiel pour le maintien
et la valorisation de l’identité nationale et de la souveraineté
culturelle;
c) les radiodiffusions de langues française et anglaise, malgré
certains points communs, diffèrent quant à leurs conditions
d’exploitation et, éventuellement, quant à leurs besoins;
f) toutes les entreprises de radiodiffusion sont tenues de faire
appel au maximum, et dans tous les cas au moins de manière
prédominante, aux ressources — créatrices et autres — canadiennes
pour la création et la présentation de leur programmation à moins
qu’une telle pratique ne s’avère difficilement réalisable en raison
de la nature du service — notamment, son contenu ou format
spécialisé ou l’utilisation qui y est faite de langues autres que le
français ou l’anglais — qu’elles fournissent, auquel cas elles
devront faire appel aux ressources en question dans toute la mesure
du possible;
m) la programmation de la Société devrait à la fois :
(iv) être offerte en français et en anglais, de manière à refléter
la situation et les besoins particuliers des deux collectivités de
langue officielle, y compris ceux des minorités de l’une ou l’autre
langue,
(v) chercher à être de qualité équivalente en français et en anglais,
(vi) contribuer au partage d’une conscience et d’une identité
nationales,
(viii) refléter le caractère multiculturel et multiracial du Canada;
|
Dans les faits, le service public de
radio-télédiffusion, soit le réseau CBC en anglais et la SRC en français,
doivent diffuser dans l'ensemble du Canada des émissions en anglais et en
français, de la province de Terre-Neuve jusqu'en Colombie-Britannique.
Radio-Canada possède six services radiophoniques, dont trois en anglais (CBC
Radio One, CBC Radio Two et CBC Radio Three) et trois en
français (La Première Chaîne, Espace Musique et
Radio-Canada International-RCI). Alors que les réseaux CBC Radio One
et La Première Chaîne privilégient l'information, ils diffusent
néanmoins des programmes musicaux, des variétés, des comédies ou émissions
sportives.
La Société Radio-Canada
possède aussi trois chaînes de télévision spécialisée : CBC
News Network, une chaîne d'information en anglais, Réseau
de l'information, son équivalent francophone, et CBC
Country Canada, un service numérique. Radio-Canada possède
aussi des intérêts dans la chaîne culturelle francophone ARTV et
la chaîne francophone internationale TV5MONDE (appelée TV5 au
Canada).
 |
En vertu de la
Loi sur la
radiodiffusion, les réseaux publics doivent tenir compte de
la diversité culturelle au Canada. Dans ce contexte, ils doivent
rejoindre les minorités ethnoculturelles ainsi que les peuples
autochtones. C'est pourquoi les stations de CBC Television
au Nunavut, aux Territoires du Nord-Ouest et au Yukon adaptent
leurs émissions aux populations locales, et diffusent en
différentes langues autochtones. De plus, l'APTN, l'Aboriginal
Peoples Television Network est le premier réseau de télévision
autochtone national au monde. Il est administré par des
autochtones et il reflète les communautés et la diversité des
nombreuses cultures autochtones du Canada; il diffuse en
plusieurs langues. En français, l'APTN le RTPA ou Réseau de
télévision des peuples autochtones. |
L'APTN/RTPA est établi à
Winnipeg (Manitoba). Le réseau diffuse ses émissions à 56 % en anglais,
16 % en français et 28 % dans diverses langues autochtones (15-17
langues: inuktitut, cri, ojibwé, atikamek, innu,
michif, chipewyan,
etc).
Les réseaux nationaux au Canada sont les suivants:
- CBC Television
(Canadian Broadcasting Corporation, aussi appelée «CBC»): c'est un
réseau public appartenant au gouvernement fédéral, et dont la
programmation est diffusée en anglais, ainsi que dans plusieurs
langues autochtones.
- CTV Television Network
(Canadian Television, aussi appelée «CTV»), auparavant CTN (Canadian
Television Network). C'est un réseau privé national détenu par
CTVGlobemedia, et diffusant en anglais, mais pas à
Terre-Neuve-et-Labrador ni dans les trois territoires.
- Global Television Network (appelée
«Global»). Il s'agit d'un réseau privé national détenu par CanWest
Global Communications Corp., et diffusant en anglais, mais pas à
Terre-Neuve-et-Labrador ni dans les trois territoires.
- Citytv, propriété de Rogers Communications, est
composée de stations locales basées à Toronto, Winnipeg, Calgary,
Edmonton et Vancouver.
- CTV Two (auparavant NewNet, puis
A-Channel), propriété de CTVGlobemedia, est un réseau de diffuseurs
locaux anglophones basés en Colombie-Britannique, en Alberta, en
Ontario et dans les provinces Maritimes.
- Télévision de Radio-Canada
(Société Radio-Canada, aussi appelée «SRC» ou
«Radio-Canada»). C'est un réseau public national
appartenant au gouvernement fédéral, dont la
programmation est diffusée diffusée en français.
- TVA (auparavant
Télé-Métropole), propriété de Quebecor Media Inc., est
un réseau basé au Québec, dont la programmation est
entièrement diffusée en français, presque partout au
Canada au moyen de la câblodistribution.
Il
faudrait ajouter aussi le réseau TV5,
la - seule chaîne francophone d’envergure
mondiale. C'est un réseau d’information
multiculturel dont les émissions proviennent
du Québec, du Canada, de la France, de la
Suisse, de la Belgique et de l’Afrique. Elle
détient une licence d'exploitation lui
donnant le statut de chaîne canadienne avec
un siège social à Montréal. Grâce au câble,
TV5 est diffusée dans la plupart des régions
du Canada.
10 Des politiques provinciales inégales
La politique linguistique du gouvernement canadien est basée
sur l'égalité théorique des minorités provinciales
de langue française ou anglaise. La législation accorde des
droits strictement personnels à tout citoyen canadien pour qu'il puisse communiquer
dans la langue de son choix avec le gouvernement fédéral
et faire instruire ses enfants dans une langue minoritaire. Le problème, c'est
que des écarts énormes existent dans les services selon la province de
résidence. Il est plus facile d'accorder des services en français au
Nouveau-Brunswick et en Ontario, voire au Manitoba, mais il sera toujours
difficile de rendre ce même service à Terre-Neuve, dans l'Ouest (Alberta,
Saskatchewan et Colombie-Britannique) et dans le Grand Nord (T.-N.-O., Yukon et
Nunavut).
10.1
Des droits égaux à des groupes inégaux
L'un des principaux problèmes de la politique
linguistique canadienne,
c'est de croire que des droits égaux accordés à
des groupes inégaux produiront des situations égalitaires.
Or, la justice réelle ne passe pas nécessairement par l'uniformité
des statuts, mais par la diversité juridique de ces statuts et aussi
par des mesures asymétriques et compensatoires à l'avantage
du groupe minoritaire sur le plan national afin de compenser la fragilité
de celui-ci.
Il n'est guère surprenant que les résultats
de la politique linguistique fédérale demeurent aléatoires.
Les services réels auprès de la population minoritaire sont
loin d'être toujours satisfaisants et les faits démontrent qu'on ne
peut empêcher l'assimilation d'une bonne partie des francophones dans la plupart
des provinces, sauf au Québec et au Nouveau-Brunswick.
Il est quand même malheureux que l'on ne puisse assurer, dans les faits,
un enseignement en français qu'à 50 % des francophones du
Canada anglais.
10.2 Les droits
personnels
Une autre des failles de
cette politique linguistique, c'est
de tout miser sur les droits personnels, alors que la reconnaissance
des droits linguistiques individuels contribue à l'insécurité
d'un groupe minoritaire. En fait, les droits linguistiques garantis par la
législation fédérale n'ont pas été jugés suffisants par le Québec qui a
cru nécessaire d'y introduire des droits de nature collective et territoriale.
Or, les droits personnels accordés par le gouvernement fédéral ne seront
jamais suffisants ni pour les francophones hors Québec et ils n'empêcheront
jamais l'assimilation de ces groupes dispersés dans le pays.
Le gouvernement canadien a écarté toute politique de nature territoriale, y
compris au Québec, pour privilégier le bilinguisme institutionnel dans toutes
les provinces canadiennes, bilinguisme qui est rejeté partout, sauf au
Nouveau-Brunswick. Au Canada, on semble ignorer complètement l'efficacité des
mesures de protection basées sur la territorialité. Or, le Canada aurait intérêt
à voir ce qui se passe ailleurs, la Hongrie pouvant demeurer un exemple digne
d'intérêt à plus d'un titre. On pourrait réintroduire la notion de districts
bilingues.
10.3
Des politiques disparates avec des écarts considérables
C'est là le troisième problème:
les
politiques linguistiques fédérale et provinciales présentent
un éventail disparate et non harmonisé, avec des écarts parfois considérables.
Par exemple, alors que le Nouveau-Brunswick est résolument bilingue dans la
législation, les tribunaux, l'Administration et l'éducation, Terre-Neuve et la
Colombie-Britannique ne répondent qu'aux conditions minimales prévues dans la
Constitution, soit l'accès à l'école de la minorité. Entre ces deux extrêmes, le cas du Manitoba, de la Nouvelle-Écosse et
de l'Île-du-Prince-Édouard. Avec le temps, les législations linguistiques
provinciales ont changé, mais celle du gouvernement fédéral est restée identique
depuis l'adoption de la
Loi sur les langues officielles
de 1988.
À cette époque,
le réseau Internet
n’existait pas, alors que les provinces et le gouvernement fédéral
fonctionnaient en vase clos, tandis que toute l'attention portait sur la gestion
scolaire francophone dans les provinces anglaises. Aujourd’hui, certaines
provinces protègent mieux le français que le gouvernement fédéral: l'Ontario, le
Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l'Île-du-Prince-Édouard, le Manitoba.
Même l’Alberta s’est dotée d’une politique relative aux services en français !
Bref, alors qu'en 1988 le
gouvernement fédéral agissait en amont et se voulait un éclaireur, il doit
aujourd'hui se rattraper, car il tire de l'arrière.
Le français au Canada est de plus en
plus marginalisé malgré l’augmentation du nombre absolu de ses locuteurs et
l’engouement de la majorité anglophone pour l’immersion, voire le français en
général. De fait, la
Loi sur les langues officielles
n'a pas suivi et ses lacunes sont
structurelles et multiples. C'est pourquoi, en 2017, le commissaire aux langues
officielles du Canada
invitait le Parlement à moderniser la Loi sur les langues officielles. Non
seulement la mise en œuvre de la loi a cessé depuis longtemps d’être une
priorité, mais son libellé est aujourd'hui dépassé. En
effet, bien que le gouvernement fédéral est tenu par l'article 41 de la
Loi sur les langues officielles
d'appuyer l’épanouissement et le développement des minorités francophones du
Canada, il n'est pas soumis à des obligations particulières:
Article 41
1) Le gouvernement fédéral s’engage
à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et
anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à
promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de
l’anglais dans la société canadienne.
2) Il incombe aux institutions
fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives
pour mettre en œuvre cet engagement. Il demeure entendu que cette
mise en œuvre se fait dans le respect des champs de compétence et
des pouvoirs des provinces.
3) Le gouverneur en conseil peut,
par règlement visant les institutions fédérales autres que le Sénat,
la Chambre des communes, la bibliothèque du Parlement, le bureau du
conseiller sénatorial en éthique et le commissariat à l'éthique,
fixer les modalités d’exécution des obligations que la présente
partie leur impose. |
Dans les faits, en raison de
la formulation imprécise de nombreux articles de la loi, plusieurs d'entre eux
ne formulent que des promesses vides de sens. Ainsi, comment est-ce encore
possible qu’il n’existe pas un droit d’être compris en français, sans
interprète, par tous les juges de la Cour suprême du Canada? Il ne s'agit ici
que d'un exemple, car on pourrait en ajouter beaucoup d'autres. Tous les
rapports du commissaires aux langues officielles soulignent que les
francophones doivent
attendre plus longtemps que les anglophones pour obtenir des services en
français du gouvernement fédéral. Autrement dit, les services publics fédéraux
devraient être disponibles et de qualité équivalente dans les deux langues
officielles. Actuellement, c'est le ministère du Patrimoine canadien qui est
responsable de l'application de la législation linguistique, mais il n’a aucun
pouvoir sur les autres ministères, même pas sur le Conseil du Trésor.
Dans sa facture actuelle, la
Loi sur les langues officielles ne permet pas d’assurer la pérennité du
français en Amérique. L'absence de règles d'application et l’imprécision qui en
découle nuisent considérablement aux minorités linguistiques du Canada.
L'actuelle
Loi sur les langues officielles
de 1988 est de formulation persuasive, et on n'y retrouve pas de formulation qui
ordonnerait aux institutions fédérales
d’en appliquer les principes. Bref, le manque d’application de la loi en
justifierait les changements! En juin 2018, le premier ministre du Canada,
Justin Trudeau, s'est engagé à moderniser la loi:
La Loi sur
les langues officielles est quelque chose d’essentiel pour notre
parti et notre pays. La protection des minorités linguistiques est
au cœur de qui nous sommes en tant que pays. Nous allons continuer
de défendre et de chercher à améliorer la Loi sur les langues
officielles. Je peux confirmer que nous nous apprêtons à faire une
modernisation. Nous allons travailler avec tous les Canadiens pour
nous assurer que ce soit la bonne. |
Cette annonce a fait suite à
une question d'un député conservateur qui rappelait que les minorités
francophones, acadiennes et anglo-québécoises avaient demandé cette révision à
l'unanimité depuis longtemps, notamment la Fédération des communautés
francophones et acadiennes (FCFA). Même la Cour fédérale a demandé aux
législateurs de réviser la Loi sur les langues officielles. Toutefois, le
processus de révision et de modification risque vraisemblablement de ne pas être
terminé avant le prochain scrutin fédéral de 2019.
Au
Canada, il n'est pas coutume de
pratiquer des politiques linguistiques axées sur la territorialité, la seule qui
soit vraiment efficace. On continue, malgré tous les inconvénients, à tout miser
sur les droits individuels. Il faudrait, au contraire, pratiquer un aménagement
qui
reposerait sur des droits collectifs appliqués à des territoires
où les minorités francophones sont viables. La protection
serait assurée de concert avec le gouvernement fédéral,
le gouvernement provincial et les municipalités. Dans l'état actuel des
choses, si les droits linguistiques sont tout à fait acceptables au Nouveau-Brunswick,
au Québec et en Ontario, ils laissent à désirer au Manitoba, en Nouvelle-Écosse,
à l'Île-du-Prince-Édouard et dans les territoires fédéraux, alors qu'ils sont
presque nuls dans les autres provinces, exception faite des droits scolaires. De plus, des services bilingues peuvent
être consentis à une minorité de langue officielle par le gouvernement fédéral
dans une province donnée, qui n'en accorde aucun à cette même minorité. En ce sens, le Canada présente
des politiques linguistiques disparates et parfois contradictoires tout
simplement parce qu'il n'existe pas de
minorité canadienne,
mais seulement des minorités
provinciales. En fait, seule
la politique concernant les droits scolaires aux minorités est relativement
uniforme dans toutes les provinces parce que celles-ci sont soumises aux
dispositions de l'article 23 de la Loi
constitutionnelle de 1982.
Quoi qu'il en soit, une politique
linguistique dont le statut des langues varie d'une province à l'autre, afin
de refléter les différences locales, paraît encore tout à fait acceptable au Canada
anglais. Cependant, il faudrait revoir en profondeur les règlements
d’application de la Loi sur les langues officielles pour faire en sorte
qu’ils tiennent compte de la spécificité des régions dans chaque province et
précisent notamment que les droits linguistiques accordés par le fédéral ne
peuvent jamais aller en deçà de ceux accordés dans une province.
10.4
Des politiques de confrontation
L'expérience des
négociations constitutionnelles avortées, les nombreuses contestations
judiciaires des lois linguistiques au Canada (Québec, Ontario, Alberta, Saskatchewan,
etc.) et la judiciarisation des droits linguistiques témoignent de la
difficulté des Canadiens à trouver un équilibre entre l'unité et la
diversité.
Il est vrai que plusieurs
dirigeants canadiens essaient de trouver des solutions, mais la machine tourne
souvent à vide parce que les Canadiens ont oublié que toute entente
viable doit reposer sur la concertation entre les groupes opposés. Or, dès
l'instant où les demandes de la province francophone, le Québec, heurtent la
sensibilité de la majorité anglophone, il en résulte une fin de non-recevoir.
Les discussions deviennent alors inutiles et aboutissent toujours à un
cul-de-sac.
Les Anglo-Canadiens ne comprennent pas
que des droits égaux accordés à
des groupes inégaux produiront toujours des situations inégalitaires et que
la justice passe par des mesures asymétriques et compensatoires à l'avantage
du groupe minoritaire sur le plan national, afin de compenser la fragilité
de celui-ci. Il en résulte une éternelle politique de confrontation et de
compétition en lieu et place d'une politique de collaboration et de partage.
L'actuel régime en vigueur fait que le Québec est toujours pénalisé sur le
plan démocratique et, à l'échelle canadienne, il
ne peut rien imposer à la majorité.
Si le Canada voulait vraiment protéger sa minorité
franco-québécoise, il prendrait des moyens fort différents. D'abord, il
appliquerait sans restriction les dispositions de la Charte de la langue
française. Cela signifie qu'il pratiquerait l'unilinguisme français au Québec à
l'exception des dispositions prévues dans la loi québécoise à l'égard des
anglophones. Il n'essaierait pas de combattre les efforts du Québec en matière
de langue, au contraire il les appuierait. Il accepterait que les anglophones du
Québec ne disposeraient que de droits linguistiques en matière d'éducation, de
justice et de médias. Il ferait tout pour que le Québec ne soit pas pénalisé en
matière de démographie et d'immigration. Par conséquent, il adopterait une
politique dont les seuils n'auraient pas pour effet de minoriser davantage la
minorité franco-québécoise. Dans tous les cas, le gouvernement fédéral serait le
complice du Québec en matière de langue, pas celui qui croit ménager la chèvre
et le chou entre francophones et anglophones avec des mesures qui contrecarrent
celles du gouvernement du Québec. De plus, le gouvernement fédéral n'accepterait
jamais que des députés le supplient de ne pas collaborer avec le gouvernement du
Québec en matière linguistique, en invoquant les difficultés de la communauté anglo-montréalaise. Il faut choisir l'un ou l'autre, pas les deux, car dans la
situation actuelle ce sera toujours l'anglais qui supplantera le français au
Canada. Pour éviter cela, il faut survaloriser le français et sous-valoriser
l'anglais. Si l'on ne se résout pas à cela, le français poursuivra son déclin.
Toutefois,
comme il n'y a jamais eu d'accord constitutionnel
entre les deux grandes communautés linguistiques du Canada, les risques de
conflits intercommunautaires sont devenus non seulement incontournables, mais quasi
permanents, même en demeurant civilisés, il faut l'admettre. Mais ce n'est
pas ainsi qu'on freinera le déclin du français au Canada.
11 La Loi fédérale sur la clarté
En 1998, la Cour suprême a considéré que, à
la suite d’une décision claire de la population pour une sécession, les
principes de démocratie qui fondent le Canada obligent le gouvernement fédéral
et les gouvernements des provinces à négocier la sécession. À la suite du
Renvoi relatif à la sécession du Québec, le Parlement canadien a adopté, le 29
juin 2000, la Loi donnant effet à l’exigence de clarté formulée par la
Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi relatif à la sécession du
Québec (voir le texte de loi). Cette loi, appelée plus simplement «Loi
de clarification», précise
les circonstances dans lesquelles le gouvernement du Canada pourrait
entreprendre une négociation sur la sécession d’une province canadienne, mais dans les
faits la loi visait particulièrement le Québec.
11.1 L'arnaque
La loi fédérale sur la clarté était destinée
à donner des armes au gouvernement fédéral dans l'éventualité d'un autre
référendum québécois. Dès lors, c'est le gouvernement fédéral qui devait décider
si la question est assez claire à son goût et si la majorité était suffisante pour qu'on y respecte l'issue:
Article 1er
1) Examen de la question par les Communes
Dans les trente jours suivant le dépôt à
l’assemblée législative d’une province, ou toute autre communication
officielle, par le gouvernement de cette province, du texte de la
question qu’il entend soumettre à ses électeurs dans le cadre d’un
référendum sur un projet de sécession de la province du Canada, la
Chambre des communes examine la question et détermine, par
résolution, si la question est claire.
|
Comme il n'y a pas de précision sur la
clarté d'une question, ni les critères (50 %, 60 %, 66 %, etc.) pour une
majorité suffisante, le gouvernement a beau jeu de décider unilatéralement et arbitrairement
ce qu'est une question claire ou non et ce qu'est une majorité suffisante:
Article 2
2) Facteurs à considérer
Dans le cadre de l’examen en vue de déterminer si une
majorité claire de la population de la province a déclaré clairement
qu’elle voulait que celle-ci cesse de faire partie du Canada, la
Chambre des communes prend en considération :
a) l’importance de la majorité des voix validement exprimées en
faveur de la proposition de sécession;
b) le pourcentage des électeurs admissibles ayant voté au
référendum;
c) tous autres facteurs ou circonstances qu’elle estime
pertinents.
3) Avis à considérer
Dans le cadre de l’examen en vue de déterminer si une
majorité claire de la population de la province a déclaré clairement
qu’elle voulait que celle-ci cesse de faire partie du Canada, la
Chambre des communes tient compte de l’avis de tous les partis
politiques représentés à l’assemblée législative de la province dont
le gouvernement a proposé la tenue du référendum sur la sécession,
des résolutions ou déclarations officielles des gouvernements ou
assemblées législatives des provinces et territoires du Canada, des
résolutions ou déclarations officielles du Sénat, des résolutions ou
déclarations officielles des représentants des peuples autochtones
du Canada, en particulier ceux de cette province, et de tout autre
avis qu’elle estime pertinent.
|
Là aussi, il n'y a pas de limite fixée, même pas 50 % + un.
C'est le gouvernement fédéral qui doit décider si le taux d'appui à la sécession
est suffisamment élevé pour être reconnu. Toutes ces décisions seraient prises
unilatéralement après le résultat référendaire. L'ambiguïté est certainement
volontaire: elle suggère que le seuil de 50 % +1 ne serait probablement
pas suffisant, sans toutefois indiquer celui qui devrait être acceptable. Il
s’agit là de la seule majorité qualifiée indéterminée au monde! Le gouvernement
canadien veut être à la fois juge et partie.
On peut deviner facilement ce qui s'en suivrait. La question référendaire
risque de n'être jamais assez claire et l'appui à la sécession jamais assez
élevé. À supposé qu'un résultat ait atteint 53%, il devient loisible
d'exiger après coup qu'il fallait 55%, voire 60%. Dans les
faits, c'est simplement une arnaque, car l'arbitraire devient trop facile à
exploiter. Il n'existe pas de «règles du jeu» connues à l'avance que tous
doivent respecter. Ainsi, le gouvernement fédéral peut changer les règles en
cours de match! Bref, cette loi sur la clarté crée un cadre juridique permettant
au Canada anglais de décider du sort des Québécois.
L'Assemblée nationale du Québec a répliqué,
le 7 décembre 2000, avec la Loi sur l'exercice des
droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du
Québec. Cette loi prévoit notamment que seul le peuple québécois, par
l'entremise des institutions politiques qui lui appartiennent en propre, a le
droit de statuer sur la nature, l'étendue et les modalités de l'exercice de son
droit à disposer de lui-même et qu'aucun autre parlement ou gouvernement ne peut
réduire les pouvoirs, l'autorité, la souveraineté et la légitimité de
l'Assemblée nationale.
11.2 Le modèle britannico-écossais
Le 15 octobre
2012 est devenu une date marquante. Ce jour-là, Alex Salmond, premier ministre
de l'Écosse, et David Cameron, premier ministre du Royaume-Uni, ont signé une
entente historique, l'accord d’Édimbourg (AE), visant à fixer les différentes
modalités entourant la tenue d’un référendum sur l’indépendance écossaise. Les
deux gouvernements convenaient que le référendum devait correspondre aux
exigences suivantes:
1. avoir une base juridique claire
;
2. être adopté par le Parlement écossais qui est
responsable de déterminer le libellé exact de la question ;
3. être mené de manière à susciter la confiance des parlements, des
gouvernements et des personnes ;
4. offrir un essai juste et une expression décisive de l'opinion des gens en
Écosse et un résultat que tout le monde respectera.
Les gouvernements ont convenus de promouvoir
un décret en vertu de l'article 30 du Scotland Act 1998 dans le but de permettre
une seule question de référendum sur l'indépendance écossaise, lequel devait se
tenir avant la fin de 2014. Tant au Canada qu'au Royaume-Uni, la notion d’indivisibilité de l'État
était
remise en cause, afin de reconnaître explicitement le droit démocratique que
possède une population sur un territoire défini de quitter un ordre juridique
établi, et ce, que ce pacte soit une fédération (Canada) ou une forme de
dévolution des pouvoirs (Royaume-Uni).
Mais les différences étaient énormes. La première, c'est que
l'accord d’Édimbourg reconnaît pour le pays qui sera divisé d'un résultat
conduisant à la sécession. Cet accord ne laisse planer aucun doute sur la
reconnaissance par le Royaume-Uni d’un résultat référendaire positif pour les
indépendantistes écossais. Au contraire, la loi canadienne sur la clarification
a délibérément opté pour l'ambiguïté, car le Parlement canadien n'est pas tenu
de reconnaître le résultat référendaire. La loi canadienne refuse de définir les
éléments nécessaires pour que le résultat soit considéré contraignant. D'une
part, l'accord d’Édimbourg énonce clairement qu'à la suite d’un vote pour la
sécession un processus de négociation sera entamé. D'autre part, la loi
canadienne limite le plus possible l'obligation constitutionnelle de négocier du
gouvernement fédéral, pourtant formulée par la Cour suprême dans le Renvoi
relatif à la sécession du Québec. Au Canada, le résultat du référendum pourrait
ne pas être reconnu sur simple décision du Parlement fédéral. Or, l'accord
d’Édimbourg ne laisse pas au Parlement du Royaume-Uni une telle latitude. Avec
l’accord d’Édimbourg, les règles fixant les différentes modalités d’un
référendum s'appliquent aussi bien au gouvernement de l’Écosse qu'à celui du
Royaume-Uni. Au Canada, le gouvernement fédéral ne serait pas lié ni par le
résultat du référendum ni par les lois québécoises. C'est ça l'arnaque au
Canada!
L'accord d’Édimbourg est une bonne leçon de
démocratie pour le Canada. Dans une convention de nation à nation, deux États
ont choisi d'encadrer ensemble le processus du référendum. À la suite du Renvoi
relatif à la sécession du Québec de la Cour suprême du Canada, le gouvernement
fédéral aurait pu tenter de conclure ce même type d’entente. Toutefois, au lieu
de privilégier la négociation, et c'est ce que préconisait la Cour suprême, le
gouvernement canadien a privilégié la stratégie de l’unilatéralisme et de
l'affrontement. Contrairement au Royaume-Uni, le Canada a gravement manqué de maturité
démocratique.

Certes, le gouvernement fédéral
du Canada a fait de grands progrès en matière de politique linguistique, surtout
depuis les années 1960. Il est
devenu un acteur majeur dans ce domaine au Canada. Il est aussi devenu le
principal défenseur des droits linguistiques des minorités, sauf pour les
francophones du Québec, considérés comme une majorité qui n'a pas besoin de
protection.
Il semble que la politique de bilinguisme égalitaire
n'ait pas fait tache d'huile au Canada, sauf au Nouveau-Brunswick. Si l'on fait
exception du Québec, de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick, les gouvernements provinciaux n'ont accordé
que des droits limités ou n'ont reconnu que les droits prescrits
par la Cour suprême du Canada. Dans certains cas, les provinces n'ont, après
l'adoption de la Constitution de 1982, même pas respecté
le minimum formel prévu dans les dispositions constitutionnelles. Il a fallu
près de vingt-cinq ans de contestations judiciaires et d'arrêtés de la part de
la Cour suprême du Canada pour faire respecter la Constitution canadienne dans
certaines provinces. Il en est résulté
des politiques linguistiques contradictoires et concurrentielles, parfois
carrément réactionnaires. Aujourd'hui, toutes les provinces récalcitrantes ont
fini par ramer dans le sens du courant en accordant le minimum prévu par la
Constitution (l’article
23 de la Charte des droits et libertés).
Néanmoins, il y a encore
énormément de travail à faire pour parvenir à une véritable égalité à
l'extérieur du Nouveau-Brunswick, du Québec et de l'Ontario, sans parler des
autres provinces. Au plan politique, la francophonie canadienne a subi des
revers en Ontario, avec les coupes de l’administration Ford au Commissariat aux
services en français et à l’Université de l’Ontario français; au
Nouveau-Brunswick, le climat institutionnel et social aurait dégénéré suivant
l’élection d’un gouvernement de coalition chevillé par un parti voué à combattre
le bilinguisme. Les efforts du
gouvernement canadien risquent de ne plus porter fruit, car les limites dans la
protection linguistique sont atteintes dans le cadre de la protection
juridique actuelle.
C'est la fédération elle-même qui n'a pas été conçue pour le respect des
minorités de langue officielle. En juin 2018, le
gouvernement fédéral a annoncé son intention de réviser la
Loi sur les langues officielles
(1988). Il a prévu des consultations à venir pour définir les enjeux et
tiendrait ensuite un symposium national pour tirer des conclusions. Toutefois,
il n'existe aucun projet de loi dans un avenir prévisible. Or, la Loi sur les
langues officielles a besoin d’être modernisée, malgré des changements
survenus en 1988, car elle n’atteint pas tous les objectifs des législateurs,
surtout à l’heure où les minorités francophones sont victimes d’attaques
frontales dans certaines provinces. Il convient de noter que le nombre de
francophones augmente moins vite que la population canadienne dans son ensemble
et que le taux de bilinguisme stagne chez la majorité des anglophones hors
Québec. Le développement à Ottawa de nouveaux champs d’activité, de nouveaux
modes d’action en collaboration avec des partenaires de la société civile et de
nouveau outils technologiques de communication, invite aussi à une adaptation de
la loi linguistique.
En fait, il faudrait de nouvelles négociations
constitutionnelles pour aller plus loin et parvenir à plus de justice, mais beaucoup de
Canadiens affirment en avoir ras-le-bol de ces négociations qui n'aboutissent
jamais à rien. De toute façon, il
est devenu aujourd'hui presque impossible de modifier la Constitution du Canada,
sans d'interminables magouilles politiques inacceptables dans un pays
démocratique. À
long terme, si le Canada se montre toujours incapable de trouver une solution
à ce problème, il laisse de grandes possibilités au cancer qui le ronge de se
généraliser. Dans les faits, il faudra sans doute attendre quelques décennies avant de
s'attaquer au problème.
Législation
linguistique:
1867: Loi
constitutionnelle de 1867
1969: Loi sur les
langues officielles
(abrogée)
1982: Loi constitutionnelle de 1982 (en
vigueur)
1984: Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec
1985: Code criminel
canadien
1988: Loi sur le multiculturalisme
canadien
1988: Loi
sur les langues officielles
1991: Loi constituant l'Institut canadien des langues patrimoniales
1992: Règlement sur les langues officielles
1995: Loi sur le ministère
du Patrimoine canadien
2002:
Loi
sur la réédiction de textes législatifs
2013: Loi concernant les
compétences linguistiques
Documents
historiques:
1763: Proclamation
royale
1774: Acte de Québec
1791: Loi constitutionnelle de 1791
1840: Acte d'Union
1848: Loi sur
l'usage de la langue anglaise à la Législature du Canada
Dernière mise à jour:
23 juin 2023



