Les Garifunas(Garinagu) |
1 Étymologie
Le mot Garifuna proviendrait de la racine arawak karina qui se serait transformée en Callinagu, Garinagu et Karifouna. Le mot Garifuna, qui signifie «mangeur de manioc», s'écrit dans la langue originale Garifuna singulier et Garinagu au pluriel. Les Espagnols avaient appelé les Garifunas Caribes, ce qui signifiait «cannibales»; ce même terme est à l'origine du mot «Caraïbes» pour désigner la région. En français, on peut écrire au pluriel Garifuna ou Garifunas (sans prononcer le -s final). Le nom Garifuna (avec une majuscule) sert normalement à désigner l’ethnie, mais il peut désigner la langue (le garifuna, avec une minuscule) et servir d’adjectif: p. ex., la langue garifuna, le peuple garifuna, etc.
L’histoire des Garifunas commence au XVIe siècle dans les Petites Antilles au moment où les Européens colonisèrent la région et y transportaient des esclaves noirs pour les faire travailler dans leurs plantations. Certaines îles furent négligées par les Espagnols, dont Saint-Vincent et la Dominique. Ce sont les Amérindiens caraïbes d’origine arawak qui y habitaient. Ils réussirent pendant longtemps à tenir tête aux Britanniques et aux Français, pour conserver leur territoire à l’abri des puissances coloniales.
2.1 Caraïbes noirs et Caraïbes rouges
En 1635, des navires négriers firent naufrage au large de l’île Saint-Vincent (alors Yurumein). Plusieurs esclaves réussirent à échapper à la mort et se réfugièrent à Saint-Vincent où les Amérindiens arawaks — les Caraïbes — les accueillirent. Les Caraïbes, de la tribu des Kalipuna, permirent aux Africains de s’établir sur leur île. Les Noirs finirent par conquérir les Arawaks et épousèrent les femmes autochtones. Au cours des décennies suivantes, d’autres naufragés s’y retrouvèrent également. La nouvelle s’était répandue dans les Antilles qu’une île — Yurumein — était un «paradis» pour les esclaves marrons, les rescapés de négriers naufragés et les esclaves enlevés aux Espagnols ou aux Hollandais. La plupart des réfugiés épousèrent des Caraïbes, ce qui créa un peuple, appelé en français Caraïbes noirs (en anglais: Black Karibs; en espagnol: Caribes Negros), par opposition aux Arawaks appelés traditionnellement par les Français Caraïbes rouges (par allusion aux «Peaux-Rouges du Canada); en anglais et en espagnol, les autochtones sont associés aux Asiatiques, d'où le nom de Yellow Karibs en anglais et de Caribes Amarillos (jaunes) en espagnol.
Les Caraïbes noirs ou Garifunas ou se métissèrent, puis adoptèrent non seulement la langue des Caraïbes rouges, mais également leur culture et leur mode de vie. Mais les Noirs adaptèrent la langue des Caraïbes de façon très particulière en distinguant une variété parlée par les hommes et une autre employée par les femmes à partir d'un fond grammatical commun. Par la suite, le garifuna évoluera vers une forme commune entre les hommes et les femmes.
2.2 L’arrivée des Français
En 1660, un traité franco-anglo-caraïbe garantit aux Caraïbes l’entière propriété des îles de la Dominique et de Saint-Vincent. Mais la tension finit par monter entre Caraïbes noirs et Caraïbes rouges, au point où les deux peuples divisèrent l’île Saint-Vincent en 1700: les Noirs à l’est, les Rouges à l’ouest. En réalité, ce fut le gouverneur de la Martinique qui décréta que la moitié est de Saint-Vincent serait attribuée aux Noirs et la moitié ouest aux Rouges. Craignant sans doute la domination des Caraïbes noirs et la mainmise des Anglais, les Caraïbes rouges autorisèrent les Français à établir des colonies en 1719. Ceux-ci envoyèrent des missionnaires chez les tous les Caraïbes et finirent par établir des relations relativement pacifiques avec les deux peuples caraïbes de l’île. Décimés par les guerres et les maladies, les Caraïbes rouges finirent par disparaître, laissant les Caraïbes noirs comme les uniques héritiers de leur langue et de leur culture. C'est au cours de cette époque les Garifunas empruntèrent des mots à la langue française.
2.3 Une nation libre et indépendante
Puis, entre 1763 et 1783, Britanniques et Français se disputèrent le contrôle de Saint-Vincent, bien que le traité de Paris de 1763 avait reconnu les îles Saint-Vincent et la Dominique comme des îles «neutres». Les Britanniques tentèrent à plusieurs reprises d’occuper Saint-Vincent, mais les Caraïbes noirs se révélèrent de forts bons guerriers et réussirent à les repousser; ils infligèrent même une cuisante défaites aux Anglais qui durent leur reconnaître le droit d’exister comme «nation indépendante».
2.4 La défaite
Mais, en 1782, le traité de Versailles accorda aux Anglais la possession de l’île Saint-Vincent; les Caraïbes ou Garifunas furent alors livrés à leurs pires ennemis. Les Britanniques fondèrent des plantations de canne à sucre et firent venir des esclaves africains pour y travailler, mais les Français encouragèrent les Garifunas à s’opposer à la colonisation britannique. En 1796, unis sous le commandement de leur chef, Joseph Chatoyer, les Garifunas repoussèrent les Britanniques le long de la côte ouest vers Kingstown. Lorsque, quelque temps après, Chatoyer fut tué dans un combat singulier par un Anglais et que les Français durent laisser tomber leurs alliés, les Garifunas furent définitivement vaincus.
Les Britanniques ne pouvaient accepter que des Noirs soient libres sur l’île vaincue et qu’ils continuent de vivre parmi eux, comme des Blancs. Comme c’était la coutume anglaise à l’époque, il fallait liquider les populations jugées indésirables. Les Anglais pourchassèrent tous les Garifunas pour les emprisonner, brûlant au passages les maisons, prenant le bétail et tuant dans la mêlées des centaines de résistants. Puis, le 15 juillet 1796, Henry Dundas, le secrétaire d’État britannique à la guerre, ordonna au major-général Sir Ralph Abercromby de transporter les 4300 prisonniers garifunas sur l’île déserte de Baliceaux dans les Grenadines, en attendant qu’une décision soit prise sur leur sort. Mais là, la moitié d'entre eux mourut de la fièvre jaune en raison des mauvaises conditions de détention et d'alimentation. Pendant ce temps, les Britanniques continuèrent la chasse et détruisirent toutes les cultures de façon à affamer les survivants.
2.5 La déportation
Afin d’empêcher toute nouvelle résistance, le gouvernement britannique décida finalement de déporter la plupart des Garifunas. Le 26 octobre 1796, il fit embarquer sur des bateaux 5080 d’entre eux et les fit larguer sur la petite île hondurienne de Roatán, après avoir chassé la garnison espagnole qui occupait l’endroit.
Mais, ce 11 avril 1797, les Anglais ne laissèrent sur l’île de Roatán que 2248 Garifunas, les autres ayant péri au cours du long voyage. Les Garifunas qui étaient restés à Saint-Vincent furent conduits dans des colonies pour travailler dans le nord de l’île (où leurs descendants demeurent toujours). Cette pratique de la déportation massive était courante à l’époque, et les Acadiens de la Nouvelle-Écosse au Canada avaient connu le même sort en 1755. En effet, Charles Lawrence, le lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse, avait justifié la déportation des Acadiens dans une lettre adressée en 1754 aux autorités britanniques:
Comme les Acadiens possèdent les plus belles et les plus grandes terres de cette province, nous ne pourrons nous y installer pour de bon tant que ce sera le cas. […] Je ne puis m'empêcher de penser qu'il serait préférable […] qu'on les chasse. |
Comme les Acadiens n’étaient pas des Noirs, on peut croire que la déportation n'était pas justifiée politiquement pour une simple question de race, mais surtout pour accaparer gratuitement des terres.
Les Garifunas ne restèrent pas plus d’une décennie sur l'île de Roatán. En bons navigateurs, ils se fabriquèrent des pirogues, puis se dispersèrent sur les côtes du Belize, du Honduras et du Nicaragua, pour devenir dorénavant non plus une nation libre, mais de petites communautés minoritaires.
Beaucoup des descendants des Garifunas vivant aujourd’hui en
Amérique
centrale ont conservé leur langue et leur culture, mais ceux qui, au
XXe
siècle, se sont réfugiés aux États-Unis (plus de 100 000) ont perdu
définitivement leur langue, comme d’ailleurs les descendants des Garifunas
qui étaient restés aux îles Saint-Vincent et Dominique. On estime à quelque
500 000 personnes associées culturellement aux Garifunas. On en trouve aux
États-Unis (notamment New York, La Nouvelle-Orléans, Los Angeles et Miami), à Saint-Vincent, à la Dominique, en Martinique, au Mexique, au
Belize, au Guatemala, au Honduras et au Nicaragua. La langue garífuna est encore parlée au nord du Honduras, au sud du Belize, au sud-est du Guatemala et dans certains centres urbains au Nicaragua. Seule une minorité — peut-être 150 000 locuteurs? — parlerait encore la langue ancestrale à base d’arawak, avec des mots d’origine africaine (surtout yorouba), française (env. 210 mots), anglaise (env. 50 mots) et espagnole (env. 210 mots). C’est là l’héritage linguistique des guerres qui se sont déroulées contre les différents envahisseurs européens. Les plus grandes concentrations de locuteurs du garufina résident au Honduras (98 000), au Guatemala (16 000), au Belize (12 000) et au Nicaragua (1500). De façon générale, le taux de scolarisation demeure faible chez les Garufinas. On estime qu'environ 70 % de la population est illettrée ou semi-illettrée. Non seulement il n'existe pas assez d'écoles pour ces communautés, mais il manque aussi des enseignants et des manuels, sans compter que les gouvernements concernés ne font pas beaucoup d'efforts pour sauvegarder cette culture. Beaucoup d'enfant délaissent leurs études entre la troisième et la sixième année du primaire. Seulement 10 % des Garifunas qui réussissent leur primaire poursuivent au secondaire. |
Les Garifunas qui s'expatrient aux États-Unis adoptent l'anglais et la langue ancestrale se perd.