Guyane française

(3) Données historiques

1  Les premiers habitants

Selon le ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration, les premiers habitants de la Guyane auraient été les Amérindiens appartenant aux familles de langues: tupi-guarani (les Emerillon et les Wayampi), arawak (les Arawak et les Palikour), caraïbe (les Kalihna et les Wayana). Avant l’arrivée des premiers Européens (XVIe et XVIIe siècles), on comptait environ 30 000 Amérindiens en Guyane française, puis 25 000 au siècle suivant. Après 1885, la ruée vers l’or et les maladies ont eu pour effet de décimer ces populations qui ne comptaient au début du XXe siècle que 1500 survivants. Présentement, selon les estimations, leur nombre varierait entre 5000 et 9000 individus. Les Amérindiens vivent dans des «zones protégées» à l'accès strictement réglementé par la préfecture de Cayenne.

Sur le plan historico-politique, la Guyane française, à l’exemple du Surinam et de la Guyana, fait partie d’une bande de territoires nés dans une certaine marginalité puisque les Guyanes furent dédaignées, après la bulle papale de 1494, tant par les Portugais que les Espagnols. En effet, on sait qu’en 1494 le pape Alexandre VI avait contraint les Espagnols et les Portugais à signer le traité de Tordesillas, qui traçait les limites territoriales entre l'Espagne et le Portugal: tout ce qui serait découvert à l'ouest du méridien appartiendrait à l’Espagne et à l'est (Brésil et Afrique), au Portugal. C’est pourquoi les Guyanes ont été plus tardivement colonisées mais par les Hollandais, les Anglais et les Français. Contrairement aux Portugais et aux Espagnols, les trois pays coloniaux n’y ont jamais pratiqué une politique de métissage triracial. C’est ce qui explique que les Amérindiens y ont reçu un héritage différent.

2 Une colonie au début précaire

Vers 1498, Christophe Colomb passa devant la Guyane sans s’y arrêter. En janvier 1500, Vincent Pinson découvrit la région. Vers 1503, un groupe de colons français se serait installé dans l’île de Cayenne pendant quelques années. Sous le règne d’Henri IV (1589-1610), une première expédition (1604) dirigée par le capitaine Daniel de la Rivardière fit connaître la colonie de la Guyane française. En 1626, le cardinal de Richelieu autorisa la colonisation de la Guyane, mais la ville de Cayenne ne fut fondée qu’en 1637. Deux nouvelles expéditions furent tentées afin de peupler la Guyane: l’une, en 1643, avec l’arrivée de 300 hommes (la Compagnie de Rouen) et l’autre, en 1662, avec quelques 800 recrues (la Compagnie des Douze Seigneurs). Ces expéditions ne donnèrent pas les résultats escomptés puisque, dès 1663, les Hollandais trouvèrent la place vacante et s’y installèrent. Les pluies diluviennes, la promiscuité, les mauvaises conditions d'hébergement, la famine, les épidémies (syphilis, fièvre jaune et paludisme) et les guerres avec les Amérindiens avaient décimé la population française. Dès lors, la Guyane gagna la réputation d'un pays terriblement malsain, dont le peuplement par des Européens était d'avance voué à l'échec, l'homme blanc n'étant pas censé supporter le dur climat équatorial.

2.1 L'épopée acadienne

Après 1763, la Guyane était demeurée française à la faveur d'une violente tempête qui avait empêché les Britanniques de s'en emparer. Elle restait donc sur la liste des rares colonies françaises à développer. La perte du Canada pouvait être compensée en quelle sorte par la colonisation de la Guyane. Le duc de Choiseul voulait en faire un «nouveau Canada» sous le nom de France équinoxiale, parce que la durée des jours et des nuits y reste approximativement la même tout au cours de l'année. Une campagne de publicité fut entreprise sur ce projet de colonisation. Le ministre Choiseul avait promis d'énormes avantages aux Acadiens qui acceptaient de partir en Guyane. Il vantait les infrastructures, le climat agréable, les facilités de travailler la terre, les soldes durant deux ans, etc. Qui plus est, en mai 1780, la Compagnie de Guyane («Propositions faites à Paris aux députés acadiens de Nantes pour l'établissement des familles acadiennes à la Guyane») promettait aux Acadiens de les regrouper par familles dans des villages ou paroisses desservies par des prêtres:

Les familles acadiennes seront établies à la Guyane, autant que faire se pourra, sur des hauteurs ou collines et à proximité des rivières, en un ou plusieurs villages, suivant leur nombre et la situation des terrains qui leur seront accordés afin qu'elles demeurent unies entre elles pour former une ou plusieurs paroisses qui seront desservies par les curés ou vicaires que la compagnie fournira et à la subsistance desquels elle pourvoira.

Malgré ces promesses alléchantes, la plupart des Acadiens, qui attendaient en France, se montrèrent réticents à ce projet, car ils craignaient d'avoir à endurer des températures trop élevées. Finalement, le ministre des Colonies réussit à convaincre quelque 600 Acadiens d'aller coloniser la Guyane; ceux-ci partirent pour les tropiques entre 1763 et 1765. Les Acadiens n'étaient pas seuls en Guyane. Il y avait aussi des Français, mais davantage d'Allemands, de Lorrains, d'Alsaciens la Lorraine et l'Alsace n'appartenaient alors pas à la France et même des Maltais (l'île de Malte étant alors sous influence française), pour une population totale de Blancs atteignant 1500, ce qui rendait la population acadienne proportionnellement fort importante.

Puis, très rapidement, la France envoya des milliers de Français, de 10 000 à 15 000 résidents supplémentaires. Tous ces démunis s'installèrent sur le littoral à Iracoubo, à Sinnamary et à Kourou. Contrairement aux promesses des autorités, absolument rien n'avait été prévu pour accueillir un nombre aussi important de personnes en un si court laps de temps. Ces milliers d'immigrants demeurèrent sans vivres, sans médicaments ni soins, et furent laissés complètement à l'abandon.

Ne pouvant travailler sous un climat tropical, ils se contentèrent de consommer les provisions qu'ils avaient la chance de recevoir parfois. Le climat tropical insalubre et les épidémies décimèrent la moitié de tous ces nouveaux colons en l'espace de quelques mois, y compris les Acadiens, qui ne furent pas davantage épargnés. En 1767, sur les 15 000 immigrants au départ, environ 2000 survivants furent rapatriés en France, à l'île d'Aix et à Rochefort, dont peut-être 400 Acadiens qui s'embarquèrent aussitôt pour la Louisiane. Il ne resta qu'une poignée d'Acadiens en Guyane qui réussirent à faire leur vie à Sinnamary. Après cette pénible expérience qui n'avait en rien amélioré la gloire de Louis XV, le ministre Choiseul perdit tout espoir d'envoyer les Acadiens peupler d'autres colonies.

2.2 La population blanche

Quelques années plus tard, en 1772, on ne comptait plus qu'un millier de Blancs en Guyane pour une population de 8500 esclaves noirs. Le nombre de colons blancs demeura stable jusqu'à l'abolition de l'esclavage en 1848, alors que plus de 12 000 Noirs durent être affranchis. À Sinnamary, on ne dénombra tout au plus qu'entre 30 à 40 familles acadiennes. Les dernières familles blanches, toutes origines confondues, semblent avoir disparu sans laisser de trace entre 1848 et 1900. Les Acadiens se seraient volatilisés avec ce groupe, pour diverses raisons: les maladies, le métissage et la créolisation de leur langue. En raison des nombreux décès qui les décimaient, ils furent contraints à des mariages exogames avec d'autres groupes de Blancs (Allemands, Alsaciens, Créoles blancs, etc.) et avec des Noirs lorsque les conditions sociales le permettaient. Bref, l'installation des Acadiens en Guyane s'est révélée plutôt un désastre.

Néanmoins, pendant des années, la Guyane fut ainsi occupée tantôt par les Hollandais tantôt par les Français. Puis les rivalités franco-anglaises firent passer la Guyane sous l’autorité de l'Angleterre qui, après s'être emparée du territoire, le céda en 1667 à la Hollande lors du traité de Breda. Enfin, en 1677, l'amiral français Jean d'Estrées reconquit, pour le compte de Louis XIV, le territoire de la Guyane.

3 La période de l’esclavage

La traite négrière et l'esclavage ont été pendant plusieurs siècles les moteurs de l'économie des Caraïbes et de l’Amérique du Sud. Au XVIe siècle, les colons espagnols avaient d’abord obligé les populations amérindiennes à travailler la terre. Ces populations indigènes n’ayant pas survécu aux dures conditions d'esclavage en raison des maladies et du travail harassant, les Espagnols commencèrent alors à importer des Africains dans les colonies parce qu'ils étaient réputés mieux supporter le travail forcé dans le climat éprouvant des Caraïbes et de l'Amérique équatoriale. La France, à l’exemple des autres puissances européennes, n’a pas fait exception et s’est mise aussi à l’esclavagisme.

En 1673, le roi Louis XIV autorisa la création de la Compagnie du Sénégal, qui devait conduire des esclaves noirs aux Antilles et à la Guyane. Cependant, contrairement à la Hollande qui avait organisé la traite des Noirs en faveur du Surinam (plus de 400 000 Africains déportés jusqu’en 1823, année de la suppression de l’esclavage), la France, par la Compagnie de la Guyane, préféra vendre ses cargaisons d‘esclaves à Saint-Domingue (île d’Hispaniola: Haïti et République Dominicaine) plutôt que de les envoyer en Guyane dont le développement économique semblait beaucoup moins important. De fait, plus de 700 000 esclaves furent déportés aux Antilles françaises entre 1673 et 1789, dont 600 000 juste à Saint-Domingue, les autres furent envoyés en Martinique, en Guadeloupe, à Saint-Christophe (devenu aujourd’hui Saint-Kitt-et-Nevis), etc. Au moment de la suppression de l’esclavage en juin 1848, la Guyane ne comptait que quelque 12 500 esclaves. Grâce à cette modeste main-d’œuvre, la colonie effectua la prospection des forêts, l'établissement de plantations de sucre et l'exploitation du sous-sol. Quant aux efforts de colonisation française, ils se soldèrent par des échecs, la plupart des colons blancs ayant trouvé la mort. C’est pourquoi les Africains déracinés constituèrent très vite la majorité de la population guyanaise.

Afin de «protéger» les esclaves des îles françaises (et la Guyane) contre les excès de leurs maîtres, le ministre Colbert avait obtenu de Louis XIV une ordonnance (en 1685) instaurant un régime précisant les devoirs des maîtres et des esclaves. Ce code, appelé le Code noir, restera en vigueur dans toutes les Antilles et en Guyane jusqu'en 1848 (date de l'abolition définitive de l'esclavage par la France), mais il fut rarement respecté. Bien que ce code ne traitât pas des questions de langue, il dépouillait l’esclave de toute son identité. En effet, après le baptême catholique obligatoire, l'Africain devenait un Nègre et changeait de nom, abandonnant ses habitudes vestimentaires et sa langue, puis était marqué au fer rouge et affecté au travail servile.

Dans l’incapacité ou l’impossibilité d’apprendre la langue du maître, les esclaves s’approprièrent néanmoins les mots de celui-ci en recourant à la grammaire (africaine) qu’ils connaissaient. Du contact entre les maîtres dominants et les ethnies africaines dominées vont naître de nouvelles langues: les créoles. C’est donc à l’époque de l’esclavage que se formèrent les différents créoles. Le terme de créole possède deux étymologies, l'une portugaise (<crioulo), l'autre, espagnole (<criollo), qui viennent du même mot latin criare, signifiant «nourrir» ou plus précisément «serviteur nourri dans la maison», et servant à désigner l'enfant blanc né et élevé dans les colonies européennes. Puis, ce mot sera utilisé pour désigner également la population noire et, par voie de conséquence, la langue de cette population. En Guyane, comme dans les anciennes colonies françaises (Martinique, Guadeloupe, Saint-Domingue, La Réunion, etc.), la base lexicale du créole s’est élaborée à partir du français.

4 La colonie pénitentiaire

En 1794, la Convention de Paris vota un décret qui abolissait l'esclavage. À partir de cette année-là et jusqu'en 1805, la Guyane servit de lieu de déportation (bagne de Sinnamary) pour les opposants politiques aux différents régimes révolutionnaires qui se succédèrent en France. Cependant, en 1802, le rétablissement de l'esclavage par Bonaparte provoqua la fuite d'une partie de la population noire de la Guyane, privant ainsi de main-d'œuvre l'économie locale.

En représailles à l'invasion française du Portugal menée par Napoléon, des troupes portugaises en provenance du Brésil voisin annexèrent la Guyane en janvier 1809. Le Portugal maintint sa souveraineté sur la Guyane jusqu'en 1814, date de son retour à la France, au lendemain de la première abdication de Napoléon. La colonie connut alors une période de stabilité et de développement économique grâce à l'esclavage dans les plantations agricoles.

Mais l’abolition définitive de l’esclavage à la suite du décret du 27 avril 1848 (appliqué le 10 juin 1848 en Guyane) mit fin à cette relative prospérité. La Guyane, rappelons-le, comptait à ce moment-là quelque 12 500 esclaves. C’est Victor Schoelcher (1804-1893), député républicain français de la Martinique et de la Guadeloupe, qui prépara le décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848, lequel a été confirmé par la Constitution du 4 novembre 1848.

Schoelcher revendiqua aussi l’application du droit commun et la départementalisation pour les quatre colonies (Martinique, Guadeloupe, Guyane et la Réunion), mais il échoua sur cette question. Bien sûr, au terme de cette période, la colonie s’était peuplée beaucoup plus de nouveaux arrivants noirs que d’immigrés blancs, et la langue véhiculaire entre les Noirs était devenue le créole guyanais.

Afin de renouveler la main-d’œuvre, le prince Louis Napoléon (futur Napoléon III) décida, en 1852, «de faire passer un certain nombre de condamnés» en Guyane. Ce fut le début de l’établissement d’une colonie pénitentiaire avec les bagnes de Saint-Laurent-du-Maroni, de Saint-Jean-du-Maroni et des îles du Salût au nord de Kourou (dont l’île Royale, l’île Saint-Joseph et la célèbre île du Diable).  Il avait été décidé, dans le but de peupler enfin la Guyane, que les bagnards, tant les hommes que les femmes, devaient rester sur le territoire une durée égale au nombre d'années d'emprisonnement effectuées. Dans l’intention des dirigeants, la colonie pénitentiaire permettait non seulement de soulager les coûteuses prisons françaises, mais également de contribuer au développement économique de la région puisque, à la fin de leur peine, les bagnards devaient rester en Guyane.

Toutefois, la politique visant à accroître la population s’est encore avérée un échec lamentable bien que, entre 1852 et 1939, la Guyane devait accueillir plus de 70 000 condamnés aux travaux forcés (dont 2000 femmes) qui, appelés «transportés», «déportés» ou «relégués», ont été expédiés de Saint-Martin-de-Ré (près de La Rochelle) vers la lointaine colonie pénitentiaire.

En juin 1855, un navire français, le trois-mâts Sigisbert-Cézard, fut en difficulté au large des côtes de la Guyane, avec 800 personnes à bord. Il fut dans l'obligation de débarquer des travailleurs tamouls destinés à la Guadeloupe. À Cayenne, ils furent répartis dans différentes plantations. À partir de ce moment, des contrats furent conclus afin d'introduire en Guyane un millier de coolies tamouls par année. Malgré tous les soins prodigués en partance pour la Guyane, tous les encouragements d'ordre financier, l’immigration indienne connut un échec lamentable. En effet, entre 1855 et 1877, plus de 8400 Indiens tamouls des deux sexes furent introduits en Guyane. En 1885, le nombre total des rapatriés s’élevait à 1368 et il ne restait plus que 2931 coolies tamouls en Guyane. En vingt ans, la moitié (soit 4621) des Indiens immigrants étaient décédés. D'ailleurs, en raison de l’importance du taux de mortalité, le gouvernement de Madras (la «Présidence de Madras»: "Madras Presidency") avait, en octobre 1876, interdit l’émigration indienne vers la Guyane.

Cette décision des autorités britanniques fut bien accueillie par Victor Schoelcher qui déclara à ce sujet : « Est-on vraiment bien venu à reprocher à l’Angleterre ses ruineuses tracasseries et à se plaindre qu’elle ait fini par interdire l’immigration de ses sujets Indiens vers une colonie qui s’inquiète si peu des diverses clauses de la convention qu’elle a souscrite pour les obtenir?» Puis les immigrants tamouls furent affectés dans les mines d’or, où ils furent décimés dans la plus totale indifférence des autorités coloniales françaises. Aujourd’hui, les rares descendants des survivants tamouls à la Guyane se sont fondus et assimilés dans l’ensemble de la population guyanaise.

Dans les années 1855, la découverte de gisements aurifères provoqua une ruée vers l'or et l'abandon du travail de la terre par les colons. De plus, près de 90 % des bagnards sont morts des suites du paludisme ou de la fièvre jaune. Durant tout le XIXe siècle, le taux de mortalité avoisinait les 40 % et l’espérance de vie n’était souvent que de quelques mois. Ce n'est qu'en 1938 que furent abolies dans le droit pénal français toutes les peines de travaux forcés. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, la colonie pénitentiaire fut définitivement fermée, mais non sans avoir provoqué au préalable un scandale à travers le monde en raison des excès et des horreurs vécus dans les bagnes de la région. Les derniers forçats regagnèrent la France en 1953.

Henri Charrière, dit «Papillon», est resté le plus célèbre bagnard de la Guyane française, en raison de ses multiples évasions, dont celle de 1933 et celle de 1941, ce qui lui permit de recouvrer définitivement sa liberté. Charrière a rédigé le récit de ses aventures dans un livre à grand succès: Papillon (vendu à plusieurs millions d’exemplaires). Papillon n'a pas vécu le centième de ce qu'il a écrit, car il s'est prêté à lui-même les aventures d'autres nombreux bagnards. Néanmoins, il reste que son récit donne un aperçu condensé et assez réaliste de ce que pouvait être ce terrible bagne. S’il est vrai que le bagne, appelé la «guillotine sèche» ou la «mangeuse d'hommes», a marqué à jamais la vie des Guyanais de l'époque et celle de leurs descendants, il faut reconnaître que les aspects sordides de la colonie pénitentiaire (et son vocabulaire: transportation, relégation, réclusion, déportation, doublage, quartier disciplinaire, tribunal maritime spécial, etc.) se sont estompés peu à peu dans les esprits. En effet, les anciens bagnes, surtout ceux des îles du Salût, sont devenus aujourd'hui des destinations touristiques incontournables.

5 Le département français d’outre-mer

La Guyane ne connut un certain dynamisme économique qu’à partir de 1885, lors de la ruée vers l’or. Ce sont les chantiers d’orpaillage qui attirèrent des immigrants originaires des Antilles, notamment de Sainte-Lucie. À la fin du XIXe siècle, arrivèrent aussi des Chinois (de Formose, de Singapour et de la Chine) et des Libanais. En Martinique, à la suite de l’éruption de la Montagne Pelée (le 8 mai 1902), qui avait détruit la ville de Saint-Pierre et causé la mort de 28 000 habitants en quelques minutes, une vague d’émigration survint et la Guyane française devint la principale destination des «réfugiés» martiniquais. C'est pour cette raison que l'on trouve une si forte colonie martiniquaise en Guyane (particulièrement aux environs de Saint-Laurent-du-Maroni et à Rémire-Montjoly près de Cayenne).

Plus récemment (dans les années 1980 et 1990), des milliers d’Haïtiens et des réfugiés asiatiques (Hmong) se sont implantés en Guyane, près de Cayenne. Bref, l’arrivée clandestine (au moins 30 000 «sans-papiers») des populations d’Haïti et des pays voisins, surtout le Brésil, le Surinam, le Guyana et la République Dominicaine, constitue à cette époque le mouvement migratoire le plus important en Guyane française.

5.1 La départementalisation

En 1946, près de 100 ans après la recommandation de Victor Schoelcher, la Guyane devint un département français d'outre-mer (DOM) à l’instar de la Martinique et de la Guadeloupe, mais aussi de l’île de la Réunion dans l’océan Indien. C'est par l'adoption de la loi du 19 mars 1946 que le rêve de deux Guyanais, Félix Éboué et Gaston Monnerville, s'est enfin réalisé : la métropole se décidait enfin à intégrer la Guyane, à la développer tant au plan économique que social. Il n'est pas dû au hasard si la France donnait satisfaction à une requête unanime des élus d’outre-mer: les Guyanais, comme les Martiniquais et les Guadeloupéens, avaient manifesté leur grand attachement à la France durant la Seconde Guerre mondiale. Le principal artisan de la départementalisation fut le Martiniquais Aimé Césaire, qui fut le rapporteur de la loi de départementalisation de 1946, appuyé par le Guyanais Gaston Monnerville. Ils demandaient le rattachement intégral à la France et la fin de l'exception coloniale. Pour ces Antillais, seule la départementalisation devait permettre à ces territoires de sortir du sous-développement.

L’extension des lois métropolitaines permit la suppression du poste de gouverneur, remplacé par le préfet, dont le rôle était amoindri, et le Conseil général devenait le pouvoir exécutif. La Guyane amorça son développement avec le préfet Robert Vignon (1946-1955) qui eut pour tâche d'appliquer la départementalisation en Guyane. Le département lui doit, entre autres, l'amélioration des réseaux de communication, une politique d'urbanisme et d'assainissement (éclairage permanent et eau courante), le quadrillage du territoire de centres médicaux et de dispensaires jusque dans les villages, des campagnes de vaccination, une politique scolaire pour les enseignants, la création de Radio-Guyane, etc.

Au cours des années 1950, des groupes nationalistes se firent entendre pour critiquer la départementalisation française. Le folkloriste Michel Lohier et le poète Léon Gontran Damas militèrent pour l’affirmation d'une identité guyanaise, fondée sur des valeurs qui lui sont particulières, dont le concept de négritude. Leurs revendications, qui s'inscrivaient dans un contexte de décolonisation en Asie et en Afrique, et dans la valorisation de la négritude et de la créolité, les poussèrent à demander plus d'autonomie. Sous la Ve République et l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle, la politique guyanaise vit naître une oppositions entre les «départementalistes» et les «autonomistes». Les premiers espéraient développer et étendre le système français en Guyane, alors que les autonomistes exigeaient davantage de pouvoirs décisionnels. À partir des années 1960, le clivage entre «départementalistes» et «autonomistes» s’accentua et se radicalisa; on vit apparaître des mouvements séparatistes. Comme on pouvait s'y attendre, les préfets français combattirent les nationalistes guyanais et ce qu'ils qualifiaient d'«aventure indépendantiste», en censurant la presse et en employant au besoin la répression armée pour contrecarrer les grèves, les manifestations et les émeutes. À cette époque, les nationalistes guyanais étaient témoins des poussées de fièvre nationalistes dans les pays voisins qui accédaient à l’indépendance, comme la Guyana en 1966 et le Surinam en 1975. 

Le Centre spatial guyanais (CSG), créé en 1964, contribua à dynamiser l'économie de la Guyane, en devenant un centre mondial de la technologie spatiale (le lancement des fusées Ariane). Le secteur spatial a fini par représenter environ 50 % de l'activité économique totale de la Guyane. Cependant, les effets d'entraînement furent relativement faibles au sein de la population, car cette activité, d’ailleurs très particulière et très technique, demeura la chasse gardée des Métropolitains et d'autres Européens, ce que ne manquèrent pas de rappeler les nationalistes guyanais.

Puis la loi de décentralisation de 1982 marginalisa les mouvements nationalistes. En effet, les lois dites Defferre adoptées en 1982 par le gouvernement Mauroy, donc peu de temps après l'élection présidentielle de 1981 ayant porté François Mitterrand (PS) au pouvoir, eurent pour résultat d'accorder beaucoup d’autonomie aux élus guyanais qui bénéficièrent ainsi de fonds importants en provenance de Paris et de l'Union européenne, ce qui désamorça le discours nationaliste. Le niveau de vie augmenta, surtout par comparaison avec les pays voisins, mais également en Guyane même. Toutefois, par rapport à la Métropole, cette amélioration se trouvait quelque peu décalée.

Au cours de la décennie 1980, le mouvement de revendication amérindienne prit forme, notamment sur la question scolaire. En effet, les représentants amérindiens dénoncèrent l’inadaptation de l'enseignement «en milieu amérindien» et critiquèrent ouvertement un système qui niaient l’enseignement traditionnel, leurs langues et leurs cultures. Des linguistes ont été mis à contribution, avec l’appui de l’inspecteur de l’académie de Guyane, afin de proposer un projet pédagogique qui tenait compte de ces revendications dont l’objectif était un enseignement bilingue et biculturel. Des programmes furent proposés non seulement pour les langues amérindiennes, mais aussi pour le bushi-nengé tongo et le hmong. Par la suite, les élèves du créole guyanais ont fait l’objet d’une réflexion similaire pour aboutir dans une dizaine de classes à un enseignement de trois heures hebdomadaires «du créole et de la culture créole» dans le cadre de l’enseignement des langues et des cultures régionales.

Bref, le bilan de la départementalisation parut mitigé. Parmi les éléments positifs, citons l'amélioration indéniable de la condition sanitaire, du niveau de vie et du confort, l'explosion démographique (de 26 000 habitants en 1946 à 200 000 en 2004), et un développement économique considérable. Du côté négatif, la Guyane a accru sa dépendance vis-à-vis la Métropole et l'économie d’assistanat, sans améliorer le chômage et les difficultés scolaires, sans compter les problèmes d'adaptation liés à l'immigration massive. C'est pourquoi de nombreux politiciens guyanais manifestèrent le désir d'un nouveau statut pour leur pays.

5.2 Le nouveau statut de collectivité d'outre-mer

La Guyane française revendiqua un nouveau statut constitutionnel qui devait être approuvé par un référendum local. Après le «processus de Matignon» commencé par le premier ministre français pour ramener le calme sur la Corse, voici celui «d’Oudinot» destiné à contrecarrer les volontés indépendantistes à Cayenne. L’aboutissement de ce processus d’évolution institutionnelle, qui nécessiterait probablement une révision de la Constitution française, a semblé un moment en état de dormance. 

Le 10 janvier 2010, eut lieu une consultation sur le statut de la Guyane. Il s'agissait de savoir si les Guyanais désiraient que leur DOM devienne une «collectivité d'outre-mer» (une COM) dotée d'une autonomie élargie, comme le prévoit l'article 74 de la Constitution. La question était celle-ci: «Approuvez-vous la transformation de la Guyane en une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution, dotée d'une organisation particulière tenant compte de ses intérêts propres au sein de la République?» En cas de victoire du OUI, la nouvelle collectivité aurait pu disposer de moyens supplémentaires conférés par cette autonomie, afin de réglementer en faveur de ses intérêts propres, en dehors des pouvoirs régaliens de l'État. Mais les électeurs ont répondu NON dans une proportion de 69,8 %, rejetant ainsi la transformation du DOM en COM.

Dans le cas d'une victoire du NON au référendum du 10 janvier 2010, un second référendum devait avoir lieu le 24 janvier 2010 sur l'article 73 (régime actuel) proposant en plus la fusion du département et de la région en une collectivité unique d'outre-mer. Cette fois, la question était la suivante: «Approuvez-vous la création en Guyane (ou en Martinique) d'une collectivité unique exerçant les compétences dévolues au département et à la région tout en demeurant régie par l'article 73 de la Constitution?» Le gouvernement français avait précisé le sens du référendum du 24 janvier:

Cette organisation administrative (la collectivité unique donc) ne se traduira pas par aucun changement en ce qui concerne les compétences dont dispose la collectivité ou dans les conditions d’application des lois et règlements. Elle permettra uniquement de mettre fin à l’existence, sur un même territoire, de deux collectivités distinctes qui font de la Martinique et de la Guyane des régions monodépartementales.

Soulignons aussi les propos du chef de l'État à l’agence de presse GHM : «Ils deviendront (Martinique et Guyane) des départements-régions à collectivité unique dans le cadre du 73, comme aujourd’hui ». Plus précisément, les Guyanais devaient se prononcer sur la création d'une collectivité unique à la place du conseil régional et du conseil général. Les Guyanais ont répondu OUI dans une proportion de 57,4 %. Il convient de souligner le très faible taux de participation: 27,4 % en Guyane et 35,8 % en Martinique. On peut croire que l'enjeu consistait, d'une part, à démontrer aux «Français blancs» qu'ils avaient intérêt à rester un «département français», puisqu'ils ont toujours été choyés par la France et qu'ils ne sont certainement pas disposés à laisser leurs terres et leurs profits aux mains de l'économie guyanaise. Il est probable aussi que, d'autre part, il fallait faire peur aux autres Guyanais en leur faisant croire qu'ils pouvaient, par exemple, perdre leurs acquis sociaux. Comme la question posée aux électeurs de la Guyane était celle du degré d’autonomie et de responsabilités, la question l’indépendance ne s'appliquait pas, ni aucune question d'ordre linguistique.

Dès lors, la Guyane devenait une collectivité unique demeurant régie par l’article 73 de la Constitution, mais exerçant les compétences actuellement dévolues au département et à la région. Pour résumer la situation, une collectivité dite «unique» correspond à une sorte de «collectivité territoriale française» créée dans le cadre de la réforme des collectivités territoriales de 2008. Elle consiste à fusionner la région et le département pour les régions monodépartementales. En devenant collectivité unique, la Guyane n'est plus gérée par un conseil régional et un conseil général, mais par une seule assemblée en 2014 l'Assemblée de Guyane composée en principe de 51 membres , avec les mêmes règles juridiques que la métropole. Ainsi, conformément à l'article 73 de la Constitution, toutes les lois françaises s'appliquent de plein droit dans ce type de collectivité.

Aujourd'hui, la Guyane française fait partie de l'Union européenne et constitue plus précisément une «région ultrapériphérique» de l'Europe, une RUP. Une RUP est un territoire d'un pays membre de l'Union européenne situé en dehors du continent européen. À ce titre, la Guyane bénéficie de «mesures spécifiques qui adaptent le droit communautaire en tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières de ces régions.

5.3 La crise sociale de 2017

À la fin du mois de mars 2017, un large mouvement de manifestations et de grèves se développa en Guyane et amena l'arrivée sur place des ministres de l'Intérieur et de l'Outre-Mer. L'accord proposé par le gouvernement fut refusé par les représentants des manifestants et des grévistes le 2 avril suivant. Secouée par une colère sociale de grande ampleur, la Guyane est minée par le chômage et l’insécurité, sans oublier rune administration défectueuse, en dépit d’atouts importants comme son centre spatial de Kourou et sa forêt équatoriale, l'une des plus riches du monde en matière de biodiversité animale et végétale.

- L'orpaillage illégal

L'orpaillage clandestin est un fléau économique et social, un désastre écologique et sanitaire sans précédent en Guyane. Les revendications sociales et économiques sont multiples dont l'orpaillage clandestin n'est pas le moindre. La présence de cet or attire une immigration très forte des pays limitrophes, le Brésil et le Surinam. Des trafics de drogue et d'êtres humains sont également rapportés en raison de cette activité clandestine. De là, un sentiment d'insécurité tenace des Guyanais, d'autant plus que le problème perdure. En effet, en 2008, le président Nicolas Sarkozy avait officiellement «déclaré la guerre» à l'orpaillage illégal, mais l'exploitation illégale de l'or en Guyane a perduré et semble hors de tout contrôle : 10 à 12 tonnes d'or seraient extraites illégalement chaque année, contre 1 à 2 officiellement.

On compterait environ 10 000 orpailleurs clandestins, tous des Brésiliens lusophones, répartis sur au moins 500 sites (voir la carte). Il se sont multipliés par 20 ces dernières années. Il faut comprendre que ces exploitants illégaux, appelés "garimpeiros", arrivent avec leur bulldozers, leurs prostituées, leurs maladies, leur drogue et leur alcool, sans oublier leurs armes de guerre. Ils jettent leurs déchets qui sont consommés par les animaux que chassent les Amérindiens, ce qui rend ces derniers malades. De plus, ces trafiquants polluent les rivières et intoxiquent les Amérindiens par le mercure et d'autres substances nocives pour la santé. D’après les relevés effectués par l’Institut national de veille sanitaire (INVS) et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), les populations amérindiennes présentent une concentration de mercure bien supérieure aux taux fixés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au point où certains observateurs n'hésitent pas à parler d'une forme de génocide si rien n’est fait à court terme.

Pourtant, plus de 350 militaires des forces armées françaises en Guyane et 200 gendarmes sont déployés en permanence sur les réseaux fluviaux pour neutraliser les flux logistiques des orpailleurs et en forêt pour démanteler les sites d’exploitation d’or illégaux. Sur le terrain, les garimpeiros ont déclaré la guerre à l'État français et ils n'hésitent même plus à attaquer les hélicoptères militaires en cours d'atterrissage. Même si les militaires démantèlent chaque année des centaines de campements illégaux, il en surgit d'autres immédiatement. 

Les militaires et gendarmes français installés en Guyane estiment que la législation en vigueur est peu adaptée à l'exercice de la police judiciaire en Amazonie. De plus, la forêt tropicale guyanaise les oblige à travailler à pied, en pirogue, en quadrimoteur ou en hélicoptère, avec des moyens énormes sur un territoire sauvage extrêmement vaste. Enfin, la collaboration avec le Brésil s'avère assez compliquée et ne donne que peu de résultats. Avant l'arrivée massive des orpailleurs, la forêt amazonienne portait le nom de «paradis vert» qui est devenu le «paradis noir». Multipliant les vols de pirogues et les pillages d’abattis, les garimpeiros ont créé un climat d’insécurité dans la forêt. Face à cette ruée vers l’or qui dure depuis plus de vingt ans, des Amérindiens ont fini par prendre les armes pour se faire justice eux-mêmes.

- Le chômage

Un autre problème important concerne le chômage. Avec un taux de près de 22 %, soit plus du double qu'en métropole, la Guyane n'arrive pas à fournir suffisamment d'emplois à ses habitants. Étant donné que la moitié des 250 000 Guyanais a moins de 25 ans, le chômage est forcément associé à une jeunesse de plus en plus désœuvrée, dont 40 % quittent le système scolaire sans diplôme, ce qui contribue à alimenter le sentiment d'insécurité. Ainsi, la population guyanaise double tous les 20 ans, alors que le PIB/habitant décroit régulièrement. C’est dans ce contexte qu’il faut analyser les discours stigmatisant les immigrants étrangers qui sont perçus comme les seuls responsables de tous les problèmes socio-économiques. Dans cette perspective, les populations immigrées sont souvent perçus comme des «envahisseurs» qu’il faut expulser. 

Or, les étrangers et les immigrants subissent une précarisation sociale considérable amplifiée par des facteurs cumulatifs tels qu'un faible niveau de scolarisation, voire une non-scolarisation, un milieu familial pauvre, des revenus faibles, une grande disparité entre les hommes et les femmes, des ruptures conjugales entraînant une décohabitation importante, etc. Le nombre de ces immigrants est particulièrement préoccupant à Cayenne et sa banlieue, à Kourou et à Saint-Laurent-du-Maroni. 

- La santé

L'autre problème majeur est celui de la santé. Par rapport aux normes en vigueur en Amérique du Sud, le système de santé en Guyane peut paraître parmi les meilleurs du continent. Selon les normes européennes, le système est déficient à plus d'un titre. Par exemple, il y a en Guyane une trentaine de médecins généralistes par 100 000 habitants, quand la moyenne nationale française est de 140 pour 100 000.

En réalité, bien que la population de la Guyane demeure en soi relativement restreinte (env. 250 000 habitants), elle est composée de nombreux groupes ethniques très différents et répartis sur un immense territoire. Il en résulte qu'il devient difficile pour l'État français d'assurer un système de santé efficace sur l'ensemble du territoire. Dans certaines régions, les habitants ne sont accessibles qu'après deux jours de navigation fluviale ou par hélicoptère. Conséquemment, la prestation de soins médicaux peut entraîner des coûts de transport exorbitants pour le personnel.

- L'autonomie politique

Un quatrième problème est celui de l'autonomie du territoire. Parce que la Guyane est française et qu'elle fait partie de l'Union européenne tout en étant en Amérique du Sud, elle demeure éloignée de 7000 km des centres de décision de la Métropole, avec le résultat que les financements européens promis pour développer le territoire n'arrivent pas, alors que l'administration locale ne parvient pas, avec les pouvoirs qu'elle a ou n'a pas, à gérer efficacement les problèmes importants de ses habitants. C'est pourquoi la plupart des Guyanais se sentent abandonnés par les autorités au point de ne plus se considérer comme des Français. 

Depuis 2015, la Guyane, comme la Martinique, est devenue une «collectivité territoriale unique», qui lui donne davantage de pouvoirs en matière de négociations internes et de coopérations externes. Toutefois, la République pose des limites : la Guyane n’est pas vraiment autonome, puisqu'elle doit en aviser l’autorité centrale compétente. Au printemps 2017, les Guyanais sont passés d’une demande de moyens à une revendication institutionnelle plus importante. On ne sait pas à quel statut réel ils aboutiront, mais certains voudraient faire adopter pour le territoire l’article 74 de la Constitution selon lequel les collectivités d’outre-mer sont gérées par «un statut qui tient compte de leur intérêt propre au sein de la République». La Guyane espèrerait ainsi gagner ce qui lui manque pour parvenir à un processus d’autonomie plus avancée : la «spécificité législative». Celle-ci lui permettrait d'adopter ses propres lois en tenant compte de la réalité de son territoire ainsi que de sa complexité sociologique. N'oublions pas que de nombreux groupes ethniques vivent en Guyane, dont une communauté d’origine asiatique qui se considère française, des collectivités traditionnelles comme les Noirs marrons et diverses populations immigrantes comme les Haïtiens.

La Guyane demande donc un autre référendum qui proposerait aux Guyanais de passer à l’article 74 de la Constitution. Ainsi, les lois applicables en Guyane seraient ainsi celles qu’auraient élaborées leur assemblée élue dans les domaines déterminés par la République. Bien que les élus locaux soient dans l'obligation d'aménager leur politique extérieure par rapport à la ligne définie par le gouvernement français, la collectivité territoriale devrait se gérer elle-même, avec l’aide de la France pour améliorer un service public défaillant. Bref, les Guyanais revendiquent une autonomie législative comme un droit. Il reviendrait à la République de respecter l’évolution de cette autonomie législative.

- Les difficultés scolaires

Le niveau scolaire des immigrants n'est pas souvent invoqué, alors qu'il demeure très préoccupant. Le niveau scolaire de ces nouveaux arrivants dépend de leur âge à l’arrivée en Guyane, mais aussi de la qualité du système scolaire et des taux de scolarisation dans leurs pays d’origine. Par exemple, les immigrants venant d’Haïti, d’origine francophone et d’immigration ancienne, sont les moins diplômés : 86% n’ont aucun diplôme et à peine plus de 2 % ont un diplôme de niveau bac ou plus. Un enfant de nationalité brésilienne sur dix n’est pas scolarisé; les enfants de nationalité surinamienne ont également des taux de non-scolarisation supérieurs à la moyenne du département, soit 7,5%. Ceux qui arrivent de la Guyana, de la Chine et de Sainte-Lucie semblent un peu plus nombreux à bénéficier d’un diplôme au moins équivalent à celui du secondaire. En général, le taux de scolarisation des immigrants est de 54 %, ce qui est est inférieur de 11 points au taux régional. Par conséquent, les élèves étrangers sont accusés de faire baisser le niveau intellectuel de l’ensemble des écoles où ils sont regroupés. Ce faible niveau de scolarisation entraîne une main d'œuvre peu qualifiée et qui connaît souvent des problèmes d'apprentissage du français, ce qui handicape grandement leur intégration. En réalité, le réel problème des écoles à forte présence immigrante, ce n'est pas l'immigration elle-même, mais le fait que ce sont des enfants appartenant à des classes défavorisées, qu’ils soient ou non français. Ainsi, leur handicap linguistique par rapport aux normes scolaires serait équivalent à celui des petits Français appartenant à une même classe sociale. Soulignons que les enfants des nouveaux arrivants non francophones sont accueillis dans des structures particulières qui privilégient l’apprentissage du français.

Enfin, un dernier problème, c'est celui de l'éducation. Étant donné que la Guyane est un territoire français, elle est approvisionnée en manuels scolaires venus de France. Certains manuels n'ont rien à voir avec la situation géopolitique et culturelle de la Guyane, et paraissent totalement inadaptés pour de jeunes enfants. De plus, ces manuels sont conçus pour la français langue maternelle, non pour le français comme langue seconde. Par ailleurs, l'enseignement aux enfants amérindiens se heurte à des problèmes particuliers. Les enseignants sont tenus de leur enseigner le français, à l'instar des autres groupes ethniques. Or, non seulement la scolarité n'est pas obligatoire, mais lorsqu'ils fréquentent l'école les jeunes enfants abandonnent régulièrement les classes. De façon générale, l'éducation scolaire en Guyane ne donne pas les résultats escomptés, car plus du tiers des élèves sortent du système scolaire sans avoir terminé leurs études.

Il n'en demeure pas moins que de nombreux facteurs contribuent aux difficultés scolaires. Notons d'abord l'implantation géographique des écoles existantes, le manque d’infrastructures scolaires dans les zones le moindrement éloignées du littoral, la nécessité d'un plus grand développement de l'enseignement secondaire, les équipements insuffisants, les problèmes concernant le transport scolaire, les écarts socio-économiques et linguistiques entre les enfants et l’école, la dévalorisation des zones périphériques par les enseignants et même la pénurie d'enseignants qualifiés en poste.

Les véritables préoccupations actuelles en Guyane concernent surtout l'immigration. En tant que collectivité d'outre-mer (COM) et, de ce fait, territoire européen sur le continent sud-américain, la Guyane attire de nombreux ressortissants de pays voisins, soit environ 8000 par année, dans l'espoir d’une vie meilleure. Aujourd’hui, les nationalités étrangères représentent 30 % de l’ensemble de la population et 60 % des naissances. Par voie de conséquence, la population guyanaise double tous les vingt ans, alors que la pays s'appauvrit progressivement. Dans un tel contexte, les immigrants étrangers ont considérés comme les grands responsables de tous les problèmes socio-économiques. En même temps, la proportion des «Créoles guyanais» ne cesse de décroître, alors qu'ils continuent de former la majorité des élites politiques locales. Bref, cette immigration entraîne une insécurité grandissante, mal traitée par un système judicaire sous-équipée. De plus, malgré tous les efforts, il apparaît impossible pour l'État français de contrôler l'immigration clandestine. Les immigrants peuvent traverser les fleuves qui délimitent la frontière à tout moment et par tous les côtés, le travail des quelques policiers et gendarmes aux postes frontières se révélant totalement inefficace et inutile.

Les conditions actuelles qui prévalent en Guyane rendent difficile l'intégration des milliers d'immigrants parlant des langues différentes. Si les enfants sont tenus de fréquenter l'école et d'apprendre le français, il n'en est pas ainsi pour les parents de ces enfants. Rappelons que plus d'une vingtaine de langues sont parlées en Guyane et non pas de façon épisodique, mais le plus souvent comme langues maternelles. Ces langues proviennent de sources très différentes: des langue romane (français, espagnol, portugais), des créoles d'origines diverses, des langues asiatiques comme le chinois ou le hmong, des langues amérindiennes, etc. Si en France métropolitaine, les langues régionales sont pratiquées pour la plupart par des personnes âgées, la transmission familiale ayant pratiquement cessée, il n'en es pas ainsi en Guyane, car les langues locales continuent d’être transmises dans le cadre familial et sont des langues premières de communication au sein de la communauté. Ainsi, le créole guyanais, le créole haïtien, le créole sranan-tongo et le portugais, sans oublier les langues amérindiennes dans le Sud, livrent une forte concurrence au français, la langue officielle. N'oublions pas que le français n'est la langue maternelle que pour environ 15 % de la population et qu'il demeure une langue seconde pour 85 % des Guyanais. Même si le gouvernement national favorise l’emploi du français, il ne peut endiguer l’usage généralisé du créole au sein de la population. La Guyane est un territoire français, mais davantage créolophone que francophone.

 

Dernière révision en date du 03 janv. 2024

(1) Situation géographique

 


(2) Composition ethnolinguistique

 


(3) Données historiques

 


(4) La politique linguistique 

 


(5) Bibliographie

 


GUYANE FRANÇAISE