Mongolie intérieure
Mongolie intérieure (Chine)
Région autonome
de Mongolie intérieure

 

Capitale:  Hohhot
Population:  23,9 millions (2000)
Langues officielles: chinois (putonghua
Groupe majoritaire:  chinois (79 %)
Groupes minoritaires:  mongol (17,1 %), mandchou (2,1 %), chinois hui (0,9 %), daur, évenki, coréen, russe, etc.
Système politique:  région autonome de la République populaire de Chine
Articles constitutionnels (langue): art. 4, 19 et 134 de la Constitution de 1982
Lois linguistiques: la Loi sur l'autonomie des régions ethniques (1984); Loi sur la langue et l’écriture communes nationales de la République populaire de Chine (2001).

1 La situation géographique

Mongolie intérieure

La Mongolie intérieure (en anglais: Inner Mongolia; en chinois: Nei Mongol ou Nèi Měnggǔ; en mongol: Öbür mongul), appelée aussi «Mongolie chinoise», est l'une des cinq régions autonomes de la République populaire de Chine. Cette région autonome est située au nord de la Chine et s'étend du nord-est au sud-ouest par une longue bande couvrant une superficie de 1,1 million de kilomètres carrés (deux fois la France), soit le rang national avec 12,3 % de la superficie totale du pays (Chine: 9,5 millions de kilomètres carrés), ce qui correspond à 2400 km d'est en ouest et à 1700 km du nord au sud.

Le territoire est limité au nord par la république de Mongolie (ou Mongolie extérieure par oppositon à la Mongolie intérieure) et la Russie. La Mongolie intérieure est limitrophe de huit provinces à l'est, au sud et à l'ouest: Heilongjiang, Jilin, Liaoning, Hebei, Shanxi, Ningxia, Lanzhou et Gansu). Hohhot (signifiant «ville verte» en mongol) est la capitale de la région autonome avec quelque 1,5 million d'habitants (en 2004).

La structure administrative de la Mongolie intérieure est divisée en douze unités préfectorales comprenant neuf communautés urbaines (Hohhot, Baotou, Wuhai, Chifeng, Tongliao, Ordos, Hulunbuir, Baynnur, Ulaan Chab) et trois ligues ( Xilin Gol, Alxa et Xing'an). Il existe aussi des centaines de bourgs, de cantons, de sumu (subdivision de la bannière), de sous-districts, etc.

Le gouvernement de Mongolie intérieure utilise le terme de öbür monggol (ou «Mongolie du Sud (sud du désert de Gobi)» au lieu de dotood monggol, qui serait la traduction mongole de «Mongolie intérieure». Les termes intérieur et extérieur proviennent du mandchou dorgi et tulergi, qui sont considérés comme sinocentriques par certains Mongols, lesquels préfèrent utiliser «Nord» et «Sud» (aru et öbür).

En principe, le statut de régions autonomes s'applique aux provinces comptant historiquement d'importantes minorités nationales, telles que les Hui (le Ningxia), les Mongols (la Mongolie intérieure), les Zhuang (le Guangxi), les Tibétains (le Tibet) et les Ouïgours (l'Ouïgour ou le Xinjiang). En plus de ces cinq régions autonomes, la Chine compte aussi 30 préfectures autonomes et 124 cantons autonomes et, dans certains cas, des districts autonomes.

Rappelons les cinq régions autonomes «égales en statut à la province»:

Nom
de la région autonome

Date de fondation
(région autonome)

Capitale
régionale

Superficie
(km2)

Population en 2005

Ethnie majoritaire locale

Mongolie intérieure
(Mongols)

1er mai 1947

Hohhot

1 197 547

23,0 millions

17,1 %

Guangxi
(Zhuangs)

15 mars 1958

Nanning

237 693

44,9 millions

33 %

Tibet
(Tibétains)
1er septembre 1965

Lhassa

1 228 400

2,7 millions

92,8 %

Ningxia
(Hui)
25 octobre 1958

Yinchuan

62 818

6 millions

20 %

Xinjiang
(Ouïgours)
1er octobre 1955

Urumqi

1 655 826

19,6 millions

45 %

En principe, les régions autonomes s'occupent de leurs affaires intérieures, le pouvoir central chinois se réservant généralement la défense, les affaires étrangères et une foule d'autres prérogatives. Les matières suivantes sont réglementées par la province ou la région autonome: l'éducation, la santé publique, les industries et communications provinciales, l'administration et la mise en vente des propriétés de la province, l'administration des municipalités sous juridiction provinciale, les coopératives provinciales, l'agriculture et les forêts, la conservation des eaux, la pêche et l'élevage, etc. 

2 Données démolinguistiques

La Région autonome de la Mongolie intérieure est multiethnique. Le recensement de 2000 indiquait une population de 23,9 millions d'habitants répartis en près d'une cinquantaine d'ethnies.  

2.1 Les groupes ethniques

Groupes ethniques, recensement 2000
Nationalité Population Pourcentage
Han 18 465 586 79,17 %
Mongols  3 995 349 17,13 %
Mandchous     499 911 2,14 %
Hui    209 850 0,900 %
Daur    77 188 0,331 %
Évenki   26 201 0,112 %
Coréens   21 859 0,094 %
Russes    5 020 0,022 %
Ce sont les Chinois han qui forment la majorité incontournable de la Mongolie intérieure, avec 79,1 % de la population totale. Les Mongols ne représentent que 17 % de la population de la région, mais il existe des Mongols de part et d'autre de la frontière entre la Chine et la Mongolie, où ils sont 2,3 millions de locuteurs. Viennent ensuite les Mandchous (2,1 %), puis de multiples petites minorités telles que les Daur, les Évenki, les Coréens, les Russes, des Oroqen (ou Oroqin, Orochen ou Orochon), des Zhouangs, des Tibétains, des Tu, des Kazakh, etc. En Mongolie intérieure, il subsiste des distinctions entre les différentes tribus; par exmple, les Tumed, les Chahar, les Ordos, les Bargut (ou Barga), les Buryats (Bouriats), les Dörböds, les Torguud, les Dariganga, les Üzemchin (ou Üzümchin), les Bayid, les Khoton, les Mingad, les Zakchin, les Darkhad et les Oirats (ou Öölds ou Ölöts) sont tous considérés comme des tribus mongoles.
Ni les Chinois ni les Mongols ne sont répartis uniformément dans l'ensemble de la région autonome. Les Chinois sont massivement installés dans les centres urbains (ainsi que les Hui, les Russes et les Coréens), alors que les Mongols sont distribués dans l'ensemble des zones rurales à l'exception du désert de Gobi (moins habité) dans la nord de la région autonome; les Mongols forment souvent de masses compactes autour de petites agglomérations où ils vivent isolés des Chinois, mais les grandes villes ne leur appartiennent plus, car les Han sont largement majoritaires, parfois jusqu'à 90 % ou plus de la population locale. Les Évenki et les Daur sont installés au nord-est.

Depuis plusieurs décennies, non seulement les Chinois sont réussi à minoriser les Mongols sur leur propre territoire, mais ils ont imposé leur mode de vie et leur langue à la population locale. De façon générale, les Chinois han ont de revenus bien supérieurs à ceux des minorités ethniques de la région autonome.

2.2 Les langues

Le mongol est une langue appartenant à la branche mongole de la famille altaïque (à distinguer des groupes turcique et toungouze):

Turcique

turc, turkmène, ouzbek, ouïgour, azéri, kazakh, kirghiz, tatar, gagaouze, karakalpak, bachkir, oroqen, yakoute, tchouvache, tuvine, etc.

Mongol

khalkha (mongol proprement dit), oïrat, bouriat, kalmouk, xorein, évenki, darkhat, etc.

Toungouze

mandchou, lamout, éven (ou évenki), nanai, negidal, oroch, orok, oudihe, oulch, etc. 
En tant que langue altaïque apparentée au turc, le mongol est une langue dites agglutinante, c'est-à-dire que les catégories grammaticales sont exprimées par des suffixes. Le mongol standard (variété khalkha) a le statut de langue officielle en république de Mongolie, mais il est aussi parlé en Chine, donc en Mongolie intérieure ainsi que dans les provinces limitrophes du Nord-Est (Heilongjiang, Jilin), du Nord (Hebei) et du Nord-Ouest (Gansu, Ningxia, Xinjiang).

Le mongol est aussi utilisé en Russie, particulièrement dans la République autonome bouriate-mongole au sud-est du lac Baïkal ainsi qu'à l'ouest du lac, dans deux arrondissements nationaux; sur la rive occidentale du cours inférieur de la Volga, les Kalmouks (env. l50 000) sont installés dans la République autonome de Kalmoukie. Rappelons aussi l'existence, bien aléatoire, de petites communautés apparentées au Mongols: les Moghols d'Afghanistan (les Aïmak et Hazaras), descendants des Mongols de la conquête restés isolés avec la fin de l'empire. Ainsi, enclavée entre la Russie et la Chine, la Mongolie se trouve divisée territorialement, linguistiquement et culturellement, car les Mongols habitent trois États. 

On estime à plus de six millions le nombre de locuteurs mongols, en tenant compte des quelque 350 000 Bouriates de Russie, qui vivent au sud-est du lac Baïkal et des quelque 150 000 Kalmouks habitant sur la rive occidentale du cours inférieur de la Volga.

L'écriture mongole traditionnelle remonterait au XIIIe siècle. Elle est dérivée de l'écriture ouïgour, elle-même inspirée des écritures sémitiques telles que l'arabe. À partir de 1990, le gouvernement de la Mongolie extérieure a décidé de restaurer l’alphabet mongol traditionnel. C'est cet alphabet complexe qui est utilisé aussi en Mongolie intérieure. Il est lu verticalement (de haut en bas), les colonnes commençant par la gauche (voir le texte de droite ci-dessus). En Mongolie extérieure et en Mongolie intérieure, cette écriture a fait, depuis 1991, l'objet d'une promotion importante, mais les projets de sa réintroduction comme écriture nationale officielle se sont heurtés à de grandes difficultés.

En réalité, l’écriture mongole n’a qu’une utilité symbolique aujourd’hui, car toute la communication écrite ne se fait qu'en cyrillique (ou en alphabet latin avec l'anglais). Bien que cette ancienne écriture mongole soit apprise obligatoirement dans les écoles, elle n’est pas véritablement utilisée dans la vie quotidienne, même pas par les journaux ou sur les panneaux de signalisation ou la toponymie. 

Les autres langues minoritaires de la Mongolie intérieure sont des langues toungouzes (mandchou et évenki), mongoles (daur), turciques (oroqen), coréennes (coréen) ou slaves (russe). Les Hui parlent un chinois (langue sino-tibétaine) plus ou moins local, mais intelligible avec le chinois standard.

En principe, le chinois et le mongol sont les deux langues officielles, mais le chinois accapare toutes les fonctions sociales aux dépens du mongol réduit à une langue de traduction ou de communication informelle.   

3 Données historiques

Le mot «mongol» apparut pour la première fois au VIIe siècle de notre ère dans les archives chinoises. La Mongolie était alors gouvernée par un peuple turc, les Ouïgours, qui contrôlèrent le pays jusqu'en 840, avant d'être vaincus par les Kirghiz, un autre peuple turcophone. Au cours des Xe et XIIe siècles, les Mongols formèrent une confédération de clans rivaux.

En 1189, un jeune Mongol du nom de Temüjin parvint à unir la plupart des tribus, ce qui lui valut le titre de Gengis Khān («empereur universel»). Pour les Mongols, ce nom évoque la force, l'unité, le droit et l'ordre de la Mongolie. Après avoir établi sa capitale dans l'actuelle Kharkhorin, il lança sa cavalerie à l'assaut de la Chine et de la Russie. Il mourut en 1227 des suites d’une chute de cheval. Le 18 août 1227, l’Empire mongol (avec Karakoroum comme capitale), qui s'étendait de Pékin jusqu'à Moscou en passant par la mer Caspienne, fut divisé entre ses quatre fils.

En 1279, Kūbilaï Khān, petit-fils de Gengis Khān, acheva la conquête de la Chine. Au lieu de chercher à agrandir davantage le royaume, il s'efforça de l'unifier. Ce fut la pax mongolica, l'âge d'or de l'Empire mongol, l'un des plus vastes de tous les temps. À la mort de Kūbilaï Khān en 1294, des factions rivales se formèrent, tandis que les Chinois commencèrent à s'opposer aux Mongols.  Ceux-ci furent chassés de Pékin en 1368 par le premier empereur de la dynastie Ming (1368-1644). Il s'ensuivit une longue période de déclin et de lutte entre les Mongols orientaux (héritiers de Gengis Khān) et les Mongols occidentaux (soumis aux Ming), qui dura près de trois siècles.

L’arrivée sur le trône d'Altan Khān (1543-1582 ?) redonna pour un temps un certaine vigueur à un empire en déclin. Mais le fait politique essentiel fut l’introduction par Altan Khān (1543-1582 ?) du lamaïsme tibétain de la Secte jaune (bouddhisme réformé au XIVe siècle qui s’opposait au bouddhisme de la Secte rouge). Altan Khān s’étant converti en 1578 au lamaïsme tibétain, les princes et le peuple durent suivre son exemple.

De 1639 à 1924, le «Bouddha vivant» (Bogdo Gegen) et ses réincarnations siégèrent à Ourga (aujourd’hui Oulan-Bator). Le lamaïsme entrava le développement de la civilisation mongole et se transforma rapidement en une institution laïque, économique et oppressive. Cette alliance entre le clergé bouddhiste et l’aristocratie mongole gouverna ensuite le pays de 1691 jusqu’au XXe siècle, sous la suzeraineté des dynasties mandchoues de Chine.

De fait, en 1616, les Mandchous, une ethnie du nord-est de la Chine, s'imposèrent à leur tour en Asie en fondant la dynastie chinoise Qing (1644-1911). Ils rallièrent les Mongols orientaux et soumirent la dynastie Ming. Les tribus mongoles occupant le territoire de l'actuelle Mongolie intérieure passèrent sous la domination de la dynastie Qing qui pratiqua une politique d'assimilation forcée. Le règne des Mandchous sur la Chine dura jusque vers 1800. Afin de calmer les révoltes populaires, la dynastie Qing entreprit des réformes et offrit des terres du nord de la Chine aux paysans chinois; c'est ainsi qu'apparurent en 1878 en Mongolie méridionale les premiers «bureaux de colonisation» et les premiers districts chinois. Puis la corruption et le despotisme précipitèrent la chute de l'empire, la dynastie Qing s'éteignant en 1911.

3.1 La Mongolie intérieure autonome

En 1911, la république fut proclamée en Chine et les tribus méridionales de Mongolie restèrent attachées à l'État chinois et formèrent la Mongolie intérieure, alors que les tribus du Nord s'en détachèrent pour fonder plus tard la République populaire de Mongolie dont l'Union soviétique garantira «l'indépendance». Le 14 février 1912, une assemblée révolutionnaire réunie à Nankin (province du Jiangsu) élit Yuan Shikai premier président de la république de Chine. La même année, la Mongolie extérieure, grâce au soutien de la Russie tsariste, déclara son indépendance. Le 5 octobre 1913, un accord sino-russe reconnut l’autonomie de la Mongolie extérieure, mais le gouvernement russe interdit aux Mongols toute intervention en Mongolie intérieure. En 1915, les Mongols du Nord ont été forcés de signer l'accord tripartite de Kiakhta, qui a effectivement divisé la nation mongole en deux États, accordant la partie du Sud à la Chine, alors que la partie du Nord tombait sous la «protection» de la Russie. En 1921, fut fondée la République populaire de Mongolie au nord, auparavant la «Mongolie extérieure», qui devint rapidement une sorte de colonie de l'Union soviétique.

En 1935, les Japonais, qui avaient déjà envahi la Mandchourie, tentèrent de s'imposer en Mongolie. En 1937, la guerre fut déclarée entre la République de la Chine et le Japon. Le 8 décembre 1937, le prince mongol de Wang (Demchugdongrub) déclara l'indépendance des parties restantes de la Mongolie intérieure (c'est-à-dire le Suiyuan et des provinces comme le Mengkiang (ou Mengkukuo) et signa des accords avec le Manchukuo et le Japon, ce qui rendit la Mongolie intérieur une sorte de colonie de l'Empire japonais. La capitale fut établie à Chan Pei, près de Kalgan (actuellement Zhangjiakou), aujourd'hui dans la province de Hebei). Le 4 août 1941, le Mengjiang fut nommé Fédération autonome de Mongolie afin de canaliser le nationalisme mongol et soutenir les ambitions japonaises. Toutefois, les Japonais redessinèrent les frontières du Mengjiang de telle sorte qu'il devint un État habité par près de 80 % de Chinois han. En août 1945, l'État du Mengkiang fut repris par les troupes soviétiques après la défaite du Japon

3.2 Une région autonome chinoise

En 1947, les Mongols sinisés se rallièrent aux communistes chinois et s'engagèrent dans la voie de l'autonomie régionale. La création de la Région autonome de la Mongolie intérieure, le 11 mai 1947, mit fin à une histoire complexe et marquée par la division du pouvoir et les conflits entre les différentes ethnies. Ce fut, pour la Chine, la première région autonome des ethnies minoritaires au niveau provincial. Les Mongols avaient eu l'assurance des Chinois qu'ils pourraient gérer leurs propres affaires et utiliser leur langue. De fait, au cours des premières années de la République populaire de Chine, dans l'espoir de gagner l'adhésion des élites mongoles, les communistes chinois encouragèrent activement les Mongols à employer leur langue et leur écriture ancestrales; ils formèrent de nouveaux bureaucrates locaux, mais loyaux aux Chinois. Les communistes gagnèrent aussi l'appui des jeunes intellectuels mongols qui ont alors cru que les Chinois aidaient vraiment les habitants de la Mongolie intérieure. À cette époque, on ne comptait que 14 % de Chinois en Mongolie intérieure. Le 2 décembre 1949, les communistes chinois changèrent unilatéralement le nom du gouvernement de la Mongolie intérieure autonome pour celui de Région autonome de la Mongolie intérieure. Ils supprimèrent aussi totalement le système politique et religieux mongol. Ainsi, la monarchie constitutionnelle établie par les Mongols fut supprimée par l'Armée populaire de libération, qui imposa une «dictature communiste» en lieu et place. Dans la seule année de 1953, quelque Mongols auraient été exécutés sous prétexte qu'ils étaient des «criminels de guerre», des «contre-révolutionnaires» ou des «réactionnaires ethniques». En même temps, les temples et les monastères bouddhistes furent fermés, pendant que les grands propriétaires de troupeaux ont été expropriés ou réquisitionnés comme propriétés d'État; les riches Mongols furent accusés d'être des «contre-révolutionnaires» ou de faire partie des «classes exploitantes». Les méthodes et l'organisation du style de vie traditionnel des Mongols furent réduites à néant.

En 1954, l'article 71 de la Constitution chinoise énonçait clairement : «Les minorités ont le droit d'employer leur langue maternelle et leur écriture.» Cependant, le gouvernement chinois a plutôt craint que la politique de multilinguisme contribuerait à élargir le fossé entre les Chinois han et les nationalités, notamment les Mongols. Dès 1957, le premier ministre chinois Zhou Enlai présida l'«Assemblée des Affaires minoritaires» dans la ville de Tsingtao (à l'est de la région autonome). L'assemblée interdit alors l'usage de la langue écrite mongole dans toutes les écoles primaires.  Pour soutenir cette politique, un centre de formation des maîtres fut ouvert à Pékin, tandis que la presse et la radio diffusaient des informations sur la langue chinoise afin d'aider le corps enseignant  à se perfectionner. Cette décision suscita une forte opposition de la part des intellectuels mongols, mais tous ceux qui s'opposèrent à cette décision furent réduits au silence ou supprimés.

En 1958, le président Mao Tsé-toung développa un nouveau programme économique, social et politique. Connu sous le nom de «Grand Bond en avant» (1958-1962), ce fut la collectivisation dans tous les domaines de la vie quotidienne, avec des contrôles rigides afin d'accroître la production agricole, réduire la consommation et accélérer l’industrialisation. La politique du «Grand Bond en avant» fut l'une des plus grandes catastrophes qu'a connue la Chine moderne: au moins 30 millions de personnes moururent de faim durant ce sombre épisode de l’histoire. La politique du «Grand Bond en avant» fut étendue aux minorités nationales, notamment en Mongolie intérieure. Ce fut la période de «l'unité par l'uniformisation en marche» où toute revendication à la différence impliquait nécessairement «un frein à la collectivisation». La politique linguistique précédente à l'égard des Mongols et autres minorités fut critiquée et remise en question. Au nom de l'unité nationale, on supprima les coutumes locales, les religions et les langues minoritaires.

Puis, durant le «Grand Bond en avant», le gouvernement chinois s'est mis à pratiquer une politique favorisant l'immigration massive des Han dans les régions minoritaires. Cette politique entraîna la minorisation rapide des non-Han sur leur propre territoire. En Mongolie intérieure, les Han devinrent majoritaires pour atteindre près de 80 % après seulement deux décennies. En même temps, de jeunes enfants furent déportés dans la région de Pékin en vue de les initier à la culture han. Mais cette mesure fut inégalement appliquée parce qu'elle provoquait la révolte chez les minoritaires, notamment les Mongols qui ne semblaient pas comprendre les «bienfaits» de l'éducation han. De plus, le Parti communiste chinois s'organisa pour fragmenter la Région autonome de la Mongolie en plusieurs territoires administratifs dans le but de mieux la contrôler. La plupart des postes officiels furent comblés par des Han sous prétexte que les minorités manquaient de cadres et ne connaissaient pas suffisamment le putonghua pour communiquer avec le gouvernement central. Il en est résulté que la plus grande partie du personnel administratif et gouvernemental de la Mongolie intérieure ne pouvait plus s'exprimer qu'en chinois et non plus en mongol ou toute autre langue minoritaire.  

Dès lors, les Mongols perdirent définitivement confiance dans les bonnes intentions des dirigeants chinois. Avec le temps, des pamphlets de toutes sortes dénonçant le gouvernement chinois et la politique chinoise des minorités furent distribués partout en Mongolie intérieure. Les autochtones mongols protestèrent contre le retraçage des frontières, contre le contrôle du Parti communiste chinois et la politique des minorités de la République populaire de Chine et contre la minorisation dont ils faisaient l'objet. Ils réclamèrent leur rattachement à la Mongolie extérieure. Le gouvernement central ignora les récriminations et dispersait les manifestants lorsqu'ils osaient sortir dans la rue.

3.3 La Révolution culturelle maoïste

En 1966, Mao Tsé-toung décida de lancer la «Révolution culturelle» (une autre période sombre), ce qui lui permit de revenir au pouvoir en s'appuyant sur la jeunesse chinoise, les fameux «Gardes rouges». Le président Mao souhaitait purger le PCC de ses éléments «révisionnistes» et limiter ainsi les pouvoirs de la bureaucratie. Les intellectuels furent discrédités, puis publiquement humiliés, les élites bafouées au nom de la supériorité du peuple et de ses droits. La même année, des dirigeants mongols critiquèrent la politique chinoise qui forçait les Mongols à apprendre le chinois et accepter l'idéologie communiste à l'encontre de leurs propres coutumes. Tous les dirigeants mongols durent quitter leur poste au Parti communiste chinois. Ce fut l'époque où le chauvinisme han croissait au fur et à mesure de l'importance des «méfaits du nationalisme local». Si le «chauvinisme han» était encouragé, le chauvinisme non han était, lui, durement réprimé.

Au cours de la Révolution culturelle, les Chinois organisèrent une campagne pour rechercher les membres du Parti populaire révolutionnaire de la Mongolie intérieure. Leur objectif était d'anéantir la résistance mongole. Ils toute la Mongolie intérieure au peigne fin, ainsi que le Xinjiang, le Qinghai, le Gansu et trois autres provinces de la Chine Nord-Est. Aucun Mongol ne fut oublié. Quelque 700 000 personnes furent emprisonnées sous prétexte qu'elles étaient des «contre-révolutionnaires» ou des «séparatistes», un crime exclusivement conçu pour les minorités. Plus d'un million de Mongols furent soupçonnés d'être reliées au Parti populaire révolutionnaire de la Mongolie intérieure. Quelque 250 000 Mongols furent exécutés, ce qui correspondait à presque 10 % de la population totale de l'époque, sous prétexte d'avoir propagé le «nationalisme local» ou d'avoir tenté de  «diviser la patrie». Puis des centaines de temples bouddhistes mongols furent détruits pendant la vague de la Révolution culturelle. En 1949, juste avant la création de la République populaire de Chine, on comptait plus de 1400 temples en Mongolie intérieure et quelque 20 000 lamas bouddhistes, mais il n'existe plus beaucoup de temples aujourd'hui; la plupart ont été détruits par le régime communiste lors de la Révolution culturelle. La religion bouddhiste fut interdite et déclarée illégale et la plupart des lamas furent persécutés ou exécutés.

La langue nationale des Mongols fut affublée de «langue des bêtes», de «langue féodale» et l'alphabet mongol d'«alphabet réactionnaire féodal» ou d'«alphabet contre-révolutionnaire», et officiellement interdit. Les écoles des Mongol furent fermées et les enfants forcés de fréquenter les écoles chinoises et d'étudier avec des enfants chinois. Les manuels en langue mongole furent confisqués et détruits, répandant chez les Chinois la haine et le mépris à l'égard des Mongols. Ce régime de terreur dura dix ans, soit de 1967 à 1977. Ce fut certainement la période la plus sombre de l'histoire de la Mongolie intérieure, car il s'agissait d'un génocide planifié et froidement exécuté.  Évidemment, tous ces mauvais traitements ont eu pour effet de susciter la haine des Mongols envers les Chinois. Durant tout ce temps, aucun Chinois n'a subi une quelconque peine de prison pour avoir pratiqué le «chauvinisme han». On parla même de «chauvinisme grand han», dont le discours ultranationaliste sur la «race chinoise» visait à occulter les problèmes de coexistence ethnique en confondant la nationalité han largement majoritaire et la nation.

De plus, en 1969, la Révolution culturelle a rétréci de plus de la moitié la superficie de la Mongolie intérieure au profit des provinces voisines (Ningxia, Gansu, Liaoning, Jilin et Heilongjiang) sans que l'on sache trop pourquoi; la région autonome ne retrouvera sa taille initiale qu'en 1979.

3.4 La résistance pacifique

En 1973, le Parti communiste chinois se ravisa et autorisa en Mongolie intérieure l'usage des langues maternelles et leur écriture. Mais le mal était fait. En 1974, un spécialiste des minorités, M. Ya Hanzhang de l'Université de Mongolie intérieure, critiqua sérieusement l'idéologie ultranationaliste han des communistes chinois et leur politique de répression en Mongolie intérieure. Ses propos reçurent un accueil enthousiaste de la part des Mongols. Le texte de Ya Hanzhang fut traduit en mongol et diffusé dans toute la Mongolie intérieure; même les bergers habitant dans des tentes entendirent parler de Ya Hanzhang. Comme on pouvait s'y attendre, Ya Hanzhang fut incapable d'échapper au régime communiste: il fut dénoncé comme «le spécialiste en réaction contre la théorie de la nationalité» et relocalisé pour travailler comme ouvrier dans une usine de la province du Yunnan, tout au sud de la Chine. En 1976, le Parti communiste chinois accusa la «bande des quatre» d'être responsable de la souffrance du peuple mongol et du désastre économique de la région.

À l'été de 1981, un mouvement étudiant éclata à grande échelle en Mongolie intérieure, mais ce mouvement ne dura que trois mois. Des étudiants dans environ une centaine de collèges et d'universités de la Mongolie intérieure, du Gansu, du Qinghai, du Xinjiang et des provinces du Nord-Est rejoignirent le mouvement et organisèrent des manifestations et des grèves. Le mouvement obtint un large appui de la part des communautés mongoles. Ce mouvement de résistance étudiante affaiblit temporairement le contrôle des dirigeants chinois en Mongolie intérieure.

En juillet 1987, le gouvernement chinois déposa 4000 tonnes de déchets nucléaires en provenance de l'Allemagne de l'Est dans le désert de Gobi en Mongolie intérieure. Les populations locales protestèrent et les étudiants de la ville de Hohhot descendirent dans la rue en signe de protestation et firent entendre leurs récriminations auprès du gouvernement de la République populaire de Mongolie, le pays voisin. C'est alors que le commandant en chef de la Mongolie intérieure, Tsai Ying, ordonna aux troupes de supprimer les manifestations. Il y eut des morts et des blessés, et de nombreux emprisonnements.

En 1990, eurent lieu des mouvements organisés afin de défier ouvertement les instructions du Parti communiste et d'exiger l'indépendance de la Mongolie intérieure. Ce mouvement, comme bien d'autres, fut écrasé avec cruauté par les Chinois en mai 1990; les leaders furent tous arrêtés. En mars 1994, des protestations s'élevèrent pour exiger une procédure d'élection démocratique libre dans le choix de tous les dirigeants et à tous les niveaux du gouvernement de la Mongolie intérieure, ainsi que la radiodiffusion libre, le droit pour les Mongols de publier leurs journaux, de modifier certaines dispositions de la Constitution, qui discriminaient les citoyens mongols, et le droit à l'égalité de toutes les nationalités. En avril de la même année, quelque 4000 ouvriers protestèrent contre les privilèges et la corruption des représentants gouvernementaux locaux. Ils réclamèrent l'arrêt des achats de voiture et de maisons de luxe chez les représentants, le paiement des salaires des fonctionnaires retraités, ainsi que des sanctions contre les représentants gouvernementaux corrompus qui avaient abusé de leur pouvoir au profit de leur bénéfice personnel. Pour toute réponse, Pékin fit disperser tous les protestataires par les forces paramilitaires chinoises et des dizaines de personnes furent emprisonnées.

3.5 La politique coloniale chinoise

Durant de nombreuses décennies, le gouvernement chinois a pratiqué une politique coloniale digne de celle des Occidentaux au XVIIIe siècle. En effet, la Chine a envoyé des troupes en Mongolie intérieure, elle a favorisé l'immigration massive des Chinois, elle a nié les droits élémentaires des Mongols, elle s'est servie de la région pour entreposer des déchets nucléaires, elle a fait plusieurs essais nucléaires sur leur territoire, elle s'est approprié les richesses naturelles sans aucune compensation pour les populations locales et elle a détruit les traditions religieuses et la culture mongoles. Dans sa politique de sinisation à long terme, le gouvernement chinois a imposé aux Mongols la langue et la culture chinoises.

Aujourd'hui, près de 95 % de la main-d'oeuvre dans les secteurs de l'acier, des industries pétrolières et des mines est d'origine chinoise. Plus de 90 % des bâtiments modernes sont occupés par des Chinois. Par contre, la plupart des Mongols autochtones vivent dans les montagnes ou les prairies et ils partagent les mêmes logements que leurs troupeaux, sans eau courante, sans électricité, ni système de chauffage autre que le bois recueilli ça et là. Un demi-siècle de régime communiste chinois n'a jamais pu changer les conditions matérielles des Mongols demeurés parmi les plus pauvres de toute la Chine. Durant les dernières décennies, le gouvernement chinois a même réduit unilatéralement le prix des matières premières concernant l'agriculture et le bétail, ce qui a encore diminué considérablement le niveau de vie des Mongols; la plupart sont devenus très pauvres à un point tel qu'il leur devient difficile d'envoyer leurs enfants à l'école, même à l'école primaire. Ce traitement colonial est sûrement la source de nombreux problèmes sociaux et politiques. 

L'une des principales causes de conflit entre les colons chinois et les autochtones mongols demeure la politique de transfert massif des populations. Afin de faciliter l'assimilation et le contrôle des autochtones, les Chinois ont construit des routes, des chemins de fer, des ponts et des lignes téléphoniques en Mongolie intérieure. Pour protéger ces équipements, les dirigeants chinois ont envoyé de gros contingents de militaires dans la région. La politique d'immigration chinoise a fait considérablement augmenter le nombre de Chinois en Mongolie intérieure. Pour accélérer la minorisation des Mongols, le gouvernement chinois leur a imposé en plus une politique de régulation des naissances. En 1949, la proportion de Chinois han était de 1-5, soit un Chinois pour cinq Mongols; elle est maintenant de 4-1, soit quatre Chinois pour un Mongol. La rapidité avec laquelle s'est effectué ce transfert des populations constitue un record dans l'histoire chinoise. La politique de minorisation des Mongols a fini par supprimer toute politique destinée à protéger les droits des autochtones mongols, leur langue, leur culture, leur éducation et leurs coutumes, tous au bord de l'extinction.

Compte tenu de la situation catastrophique des Mongols, il n'est pas surprenant que des slogans nationalistes se soient implantés au sein des communautés autochtones: par exemple, «Contre l'oppression nationaliste (chinois)», «Sauvons les Mongols de l'extinction», «Mongols de tous les pays, unissez-vous», «L'indépendance pour la Mongolie intérieure», etc. Ces slogans ont suscité l'enthousiasme et la confiance des Mongols de souche, qui tiennent plus que jamais à leurs coutumes, leur langue, leur religion, etc. Évidemment, de nombreuses organisations pro-indépendantistes ont été supprimées par les communistes chinois au cours des dernières années. Les minorités, surtout en Mongolie et eu Tibet, ne croient plus aux fausses promesses d'autonomie accordées par les communistes chinois; la plupart préfèrent la route de l'indépendance totale. Durant tout ce temps, les Chinois et leurs descendants, qui vécurent en Mongolie intérieure, ne se sont jamais donné la peine d'apprendre les langues locales. Il leur a toujours été difficile de dissimuler leur sentiment de supériorité et de condescendance à l'égard des autochtones.

4 La politique linguistique

Il n'existe pas vraiment de politique linguistique propre à la Région autonome de la Mongolie intérieure, car c'est le gouvernement central qui prend toutes les décisions à ce sujet. Rappelons l'article 4 de la Constitution chinoise qui reconnaît le droit aux minorités de conserver et d'enrichir leur langue:

Article 4

Nationalités, minorités, régions, langues

1) Toutes les nationalités de la République populaire de Chine sont égales en droits. L'État protège les droits et les intérêts légitimes de toutes les minorités nationales, maintient et développe les rapports entre les nationalités selon le principe de l'égalité, de la solidarité et de l'entraide. Toute discrimination ou toute oppression à l'égard d'une nationalité, quelle qu'elle soit, est interdite; tout acte visant à saper l'unité nationale et établir un séparatisme ethnique est proscrit.

2) L'État aide les régions des minorités nationales à accélérer leur développement économique et culturel en tenant compte de leurs particularités et de leurs besoins.

3) Les régions où se rassemblent les minorités ethniques appliquent l'autonomie régionale; elles établissent des organismes administratifs autonomes et exercent leur droit à l'autonomie. Aucune des régions d'autonomie ethnique ne peut être séparée de la République populaire de Chine.

4) Toutes les nationalités ont le droit d'utiliser et de développer leur propre langue et leur propre écriture, de conserver ou de réformer leurs us et coutumes.

L'une des parties du premier paragraphe est importante, car elle peut servir à limiter ou à supprimer des droits accordés: «Tout acte visant à saper l'unité nationale et établir un séparatisme ethnique est proscrit.»  Il suffit pour le gouvernement central d'accuser des Mongols de vouloir saper l'unité nationale pour être justifié de réduire ou d'abolir n'importe quel droit.  

L'article 119 de la même Constitution précise que les organismes d'autonomie des régions ethniques autonomes administrent librement l'éducation, les sciences, la culture, etc., et protègent et collectent le patrimoine culturel ethnique, développent et font rayonner la culture des nationalités:

Article 119

Éducation autonome

Les organismes d'autonomie des régions ethniques autonomes administrent librement l'éducation, les sciences, la culture, la santé et les sports de la région, protègent et collectent le patrimoine culturel ethnique, développent et font rayonner la culture des nationalités.

Enfin, l'article 134 de la Constitution prévoit que «les citoyens des différentes les nationalités du pays ont le droit d'utiliser leur propre langue parlée et écrite au cours des procès»:

Article 134

Langue des procès

1) Les citoyens des différentes les nationalités du pays ont le droit d'utiliser leur propre langue parlée et écrite au cours des procès. Pour les parties ne possédant pas la langue et l'écriture en usage dans la localité, le tribunal populaire et le parquet populaire doivent assurer la traduction.

2) Dans les régions à forte concentration d'une ou de plusieurs nationalités, il est obligatoire d'employer, au cours des audiences, la langue parlée en usage dans la région; les actes d'accusation, verdicts, avis au public et autres documents utilisent, selon les besoins réels, la ou les écritures en usage dans la région.

Cela étant dit, on peut comprendre que le mongol ou toute autre langue puisse être utilisé dans l'administration locale, ainsi que dans les tribunaux et les écoles. Il faut vérifier dans les faits si cette politique est mise en pratique.

4.1  L'Administration locale et la législation

Parmi les représentants gouvernementaux en Mongolie intérieure, les Mongols ne constituent qu'une toute petite proportion. Cependant, lors de la création de la région autonome en 1947, le pourcentage des fonctionnaires chinois était encore très faible, alors qu'aujourd'hui il atteint plus de 90 %. Il en est ainsi des juges et des policiers qui sont massivement d'origine chinoise. D'après la Commission des affaires ethniques de la Région autonome de la Mongolie intérieure, la population des ethnies minoritaires représente 21,6 % de la population globale et le nombre de cadres issus des ethnies minoritaires dans les organismes administratifs et du Parti communiste chinois (PCC), représente 30,5 % du total des cadres, soit un pourcentage supérieur à la population «ethnique». Le problème, c'est que les statistiques gouvernementales ne disent pas tout. S'il semble que ce pourcentage de 30 % représente la part des cadres d'origine ethnique, il ne mentionne pas qu'ils s'agit de cadres inférieurs ou occupant des fonctions symboliques, sans pouvoir réel. On ne dit pas non plus que 90 % des fonctionnaires sont sinophones.

Par ailleurs, selon de nombreux observateurs étrangers, la qualité des administrateurs chinois en Mongolie intérieure laisserait grandement à désirer, la corruption étant endémique. Les dirigeants locaux ne savent faire autre chose que d'exploiter et d'abuser de leurs privilèges et de leur pouvoir. Dans ces conditions, la langue chinoise est devenue incontournable dans la plupart des centres urbains non seulement pour communiquer avec l'Administration, mais aussi pour trouver du travail. Les représentants des groupes minoritaires restent à l’écart de la nouvelle économie de marché, qui se développe sur leur propre territoire. Au fur et à mesure que le poids des Han s'accentue aux plans de la démographie et de la productivité au travail, l’administration régionale se sinise en profondeur, pendant que les responsables autochtones occupent des fonctions subalternes. Tout le découpage territorial et administratif se trouve être modifié au profit des nouvelles zones urbaines typiquement han : ainsi, les «municipalités» (shi) chinoises remplacent graduellement les les «bannières» (qi) et les «ligues» (meng).

Il est plus aisé d'utiliser le mongol dans les symboles administratifs (formulaires, en-têtes, etc.) que dans les communications officielles. Il n'est pas facile d'utiliser le mongol dans les bureaux administratifs, car il s'est installé, depuis plusieurs décennies, une pratique qui favorisait le chinois officiel. Partout, c'est le chinois qui sert de langue de travail. Autrement dit, le chinois est plus officiel que le mongol. Dans toutes les administrations gouvernementales (bureaux, banques, postes, stations d’autobus, etc.), la plupart des documents ne sont rédigés aujourd'hui qu'en chinois, rarement en mongol. Il en est ainsi des noms de localité (toponymes) qui, de façon progressive, perdent leur dénomination mongole pour une dénomination chinoise.

Dans les faits, les rapports administratifs du gouvernement, particulièrement à un niveau plus élevé, sont généralement rédigés uniquement en chinois. Presque tous les logiciels employés en Mongolie intérieure dans les bureaux sont formatés pour lire uniquement le chinois. Progressivement, les minorités nationales perdent toute capacité d'écrire dans leur propre langue.

4.2 La justice

Rappelons que, d'après l'article 134 de la Constitution chinoise, les citoyens des différentes les nationalités du pays ont le droit d'utiliser leur propre langue parlée et écrite au cours des procès. Officiellement, la procédure judiciaire peut se dérouler en mongole ou dans une autre langue minoritaire. Théoriquement, dans le domaine judiciaire, les Mongols bénéficient, comme les habitants des autres régions, de tous les droits prévus par la loi, mais la connaissance du chinois demeure incontournable. Dans les faits, les juges ne sont pas tenus de savoir le mongol ou toute autre langue minoritaire. Ils doivent alors recourir à la traduction et à des interprètes. C'est le principe du droit de parler sa langue maternelle, qui n'implique pas nécessairement celui d'être compris. 

4.3 L'éducation

L'État chinois a élaboré des principes généraux en matière de protection linguistique, tout en mettant en vigueur un enseignement de la langue nationale à tous les citoyens du pays. En fait, l'utilisation du mongol en éducation fait face à de sérieux problèmes dans la mesure où l'éducation a été perçue comme le moyen privilégié pour inculquer la fidélité à l'État chinois. L'objectif principal de l'éducation de la Région autonome de la Mongolie intérieure semble être de siniser la population locale et de l'endoctriner par des dogmes idéologiques et politiques. Par exemple, l'État chinois ne rate aucune occasion pour saturer les masses mongoles avec un sempiternel discours portant sur «l'amour de la grande patrie», la Chine.

Pourtant, conformément à l'article 36 de la Loi sur l'autonomie des régions ethniques (1984), les organismes autonomes peuvent décider de la langue enseignée dans les écoles de leur région ou district:

Article 36

Conformément à la politique de l'éducation de l'État, les institutions autonomes peuvent déterminer, d'après la loi, les plans de l'éducation dans la région, l'installation de différentes écoles, la scolarité, les formes, les méthodes, les programmes d'enseignement, la langue employée dans l'enseignement et les règlements de sélection des élèves ou des étudiants.

Il en est ainsi de l'article 12 de la Loi sur l'éducation de 1995, sauf qu'il est clairement énoncé que le chinois demeure obligatoire:

Article 12

1) La langue chinoise, tant à l'oral qu'à l'écrit, est la base de la langue d'enseignement oral et écrit dans les écoles et les autres établissements d'enseignement. Les écoles et d'autres établissements d'enseignement destinés essentiellement aux enfants des minorités nationales peuvent employer pour leur instruction la langue maternelle ou celle de la nationalité généralement en usage dans cette région.

2) Les écoles et les autres établissements d'enseignement doivent dans leurs activités pédagogiques répandre le chinois national commun parlé ainsi que les règles des caractères écrits.

Par ailleurs, la Chine a signé, le 2 mars 1992, la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989. L'article 30 énonce:

Article 30

Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes d'origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d'avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d'employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe.

La Chine est ainsi obligée de s'assurer que les Mongols, les Tibétains, les Ouïgours et les autres minorités nationales bénéficient de la protection concernant les «minorités ethniques, religieuses ou linguistiques».

Il est vrai que le système d'éducation en Mongolie intérieure est fondé sur l'apprentissage de la langue mongole durant les années du primaire, mais l'enseignement du chinois (putonghua) demeure obligatoire pour les minorités, alors que les Chinois n'ont pas à apprendre ces langues. En 2000, la région comptait quelque 10 147 écoles primaires, 6299 établissements d'enseignement primaire, 1707 écoles secondaires, dont 1330 du premier cycle et 377 du deuxième cycle, 425 écoles professionnelles, dont 269 pour le premier cycle et 156 pour le second cycle, 18 établissements d'enseignement supérieur et 12 écoles pour adultes

En Mongolie intérieure, les Chinois reçoivent leur instruction en chinois et apprennent l'anglais comme langue seconde. Quant aux membres des minorités, ils ont droit à une instruction dans leur langue, mais ce droit n'est réel que dans les zones rurales et les villages où ils sont en concentration suffisante. Dans les villes, ce sont surtout des écoles bilingues, généralement en mongol et en chinois, mais dans beaucoup de grandes villes seules les écoles chinoises sont disponibles. Au secondaire, il n'existe guère d'écoles où l'on enseigne en mongol ou en une autre langue minoritaire. Cependant, le gouvernement régional a accordé une certaine priorité à l'instruction dans les langues minoritaires pour les écoles destinées à l'agriculture et à l'élevage des moutons et autres animaux de bergerie. Des manuels ont été traduits en mongol, mais ils ne sont disponibles que pour le réseau du primaire. De plus, les écoles chinoises reçoivent un financement gouvernemental considérablement plus élevé que les écoles des minorités ethniques.

Il existe des écoles de formation des maîtres destinées aux minorités. Quant à l'enseignement supérieur dispensé dans la langue des minorités, il ne forme que des enseignants, des médecins ou des fonctionnaires qui travailleront localement. Les disciplines scientifiques, techniques ou économiques ne sont enseignées qu'en chinois, ce qui restreint l’accès des jeunes issus des minorités à ces occupations et au rôle de gestionnaire strictement local. Toutes les universités n'enseignent qu'en chinois, sauf pour les disciplines liées à l,agriculture, la médecine ou l'enseignement. Il existe à Tongliao (ville située dans la partie orientale de la Mongolie) une Université de la Mongolie intérieure pour les nationalités; cette université, qui compte quelque 12 0000 étudiants, est sous l'autorité du gouvernement de la Région autonome. La quasi-totalité des cours est dispensée en anglais. La plupart des étudiants sont d'origine chinoise, mais aussi américaine, britannique, canadienne, australienne et mongole. Parmi les spécialités de cette universités, mentionnons la médecine mongole (incluant la médecine vétérinaire), l'agriculture et l'élevage du bétail.

Finalement, il faut reconnaître que les autorités chinoises tendent à favoriser l'assimilation des groupes ethniques mongols avec comme objectif à long terme la sinisation complète de ces communautés. Il s'agit d'une politique qui interdit aux Mongols de pratiquer leurs coutumes nationales ou de respecter leurs valeurs culturelles dans les établissements scolaires. Par exemple, le grand conquérant mongol, Gengis Khan (vers 1155-1227), est devenu un «héros de la nation chinoise» (zhonghua minzu); il a été totalement récupéré par les autorités chinoises qui ont bâti un mausolée transformé en un important site touristique chinois. Pourtant, lors de la Révolution culturelle, les Gardes rouges avaient condamné Gengis Khan comme «pillard sanguinaire», mais au nom de l'égalité de traitement des héros de toutes origines ethniques Pékin a révisé son statut. Autrement dit, le système scolaire fait en sorte que les jeunes Mongols ne valorisent guère leur langue ancestrale pour privilégier le chinois qui donne accès au monde du travail. Selon certains observateurs, l'assimilation des Mongols de Chine serait sur la bonne voie d'être réalisée totalement. L'arrivée de nouveaux immigrants chinois de plus en plus qualifiés et maîtrisant mieux  le chinois a pour effet de marginaliser la main-d’œuvre locale. La langue mongole, bien que valorisée de façon sporadique, est généralement un moyen commode de discrimination aux mains des dirigeants politiques au nom de leur idéologie sinisante. Malgré les dispositions linguistiques dans la législation chinoise nationale, la langue mongole s'achemine vers l'extinction parce qu'elle ne constitue plus un moyen collectif de communication en Mongolie intérieure. Le gouvernement central a créé une demande grandissante pour la langue chinoise en brandissant la menace du chômage pour ceux qui s'en tiennent à la seule langue tibétaine; par ailleurs, ceux qui insistent pour conserver leur langue et leur culture font face à des accusations de propagande séparatiste et de soulèvement contre le gouvernement national. Les communautés minoritaires ne pèsent jamais lourd dans les prises de décision économiques, et ce, même au niveau local.

4.4 Les médias

Comme partout ailleurs en Chine, la presse n'est pas libre. Les autorités chinoises contrôlent totalement les médias tant écrits qu'électroniques.  Selon le gouvernement de Pékin, le mongol est largement employé dans les médias et dans les publications. En réalité, pratiquement tous les journaux, livres et périodiques distribués en Mongolie intérieure sont en chinois, non en langue mongole.

Du côté des médias électroniques, toutes les chaînes émettent en chinois. Les sinophones bénéficient d'un grand nombre d'heures à la radio et à la télévision. Ils peuvent même recevoir des émissions par câblodistribution ou par satellite. Quant aux Mongols, ils peuvent obtenir en principe les mêmes services mais avec beaucoup moins d'heures de diffusion. Non seulement, il n'existe qu'une seule station de télévision en langue mongole, mais la majorité des auditeurs possibles vivent dans les zones rurales ou désertiques et ne peuvent capter les ondes des émetteurs. De toute façon, avec quel argent pourrait-ils se procurer le matériel électronique nécessaire?

Comme au Tibet, les stations de télévision et de radios demeurent les plus importants outils de propagande pour le Parti communiste chinois. Ainsi, les discours des principaux dirigeants chinois sont régulièrement retransmis, généralement en chinois, afin de contrer les «activités contre-révolutionnaires» au nom de la «nécessaire dictature du prolétariat». Les journalistes de la radio et de la télévision sont dans l'obligation d'appliquer la «politique de sinisation» de la langue mongole. Tous les journalistes vivent dans une grande insécurité, tant ils ont peur d'être inquiétés par la police avec des accusations d'avoir publié des «pamphlets contre-révolutionnaires». Depuis 1990, de nombreux journalistes ont été emprisonnés et torturés.

 

La Région autonome de la Mongolie intérieure est dans un piètre état, du moins chez les Mongols qui ne sont plus maîtres de leur destin. Les quelques dirigeants mongols doivent composer avec une politique chinoise qui leur est totalement défavorable. Celle-ci comporte deux volets: la première politique linguistique provient de Pékin et elle correspond à une politique qui se rapproche de l'assimilation dans la mesure où l'État central ne cherche pas à protéger la langue mongole, mais plutôt à temporiser en attendant que les Mongols s'assimilent en douce au chinois. Comme au Tibet, les Mongols considèrent leur langue comme la source de leur culture, alors que les autorités chinoises la perçoivent comme le symbole du sentiment nationaliste (comprendre «séparatiste»). C'est pourquoi toute politique orientée dans la pratique vers la sauvegarde de la langue mongole est perçue comme anti-patriotique par les Chinois. 

Malgré les déclarations officielles, le chinois reste la principale langue d'enseignement dans les écoles primaires de la région autonome. Elle servent d'«incubateurs» pour propager l'idéologie communiste, pour former de futurs sinophones dociles qui agiront comme des leaders dans leur communauté afin de consolider le contrôle chinois sur la Mongolie intérieure à des fins patriotiques. Les autorités chinoises accordent la préférence du travail aux colons chinois, sous prétexte que les Mongols ne sont pas suffisamment qualifiés. Dans ces conditions, la langue écrite mongole se détériore graduellement.

En somme, la politique linguistique pratiquée en Mongolie intérieure par les autorités chinoises s'apparentent à une politique d'assimilation, malgré les instruments juridiques de protection dont bénéficient théoriquement les Mongols. Il semble bien que les lois de protection ne sont là que pour masquer les pratiques de sinisation et de «nettoyage ethnique». Ces instruments juridiques, qui ne servent pas à protéger la langue minoritaire, sont là pour amadouer la communauté internationale et protéger à la rigueur les petites minorités nationales (Daur, Évenki, etc.) ne constituant pas un menace pour la patrie chinoise. En Chine, les politiques linguistiques pratiquées à l'égard des nationalités ont des objectifs louables de protection, mais elles cachent aussi une stratégie de contrôle destinée à les intégrer de force dans la Grande Nation chinoise. En Mongolie intérieure, la politique d'assimilation pourrait bien réussir à plus ou moins long terme. Certains estiment que, quelles que soient les mesures qu'on pourrait adopter pour y remédier, il est trop tard. 

 

Dernière mise à jour: 25 déc. 2015
  Chine  

(1)
Région autonome zhuang
du Guangxi
 

(2) Région autonome
de Mongolie intérieure

(3) Région autonome
ouïgoure du Xinjiang
(4) Région autonome hui
du Ningxia
(5) Région autonome
du Tibet
(6) La politique linguistique à l'égard des minorités nationales


(7)
Loi sur l'autonomie des régions ethniques (1984)

(8) Bibliographie

Voir aussi la république de Mongolie

L'Asie
Accueil: aménagement linguistique dans le monde