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République française

Déclaration de Mme Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, sur les raisons du refus de la France de ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, à Paris le 7 mai 2008.

Christine ALBANEL.

Ministre de la Culture et de la Communication
Débat sur les langues régionales de France, Assemblée nationale, Paris, le 7 mai 2008.


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,


La vigueur de vos interventions témoigne de la place qu'occupe dans le débat public la question des langues régionales. Si la représentation nationale s'en est saisie, c'est qu'au-delà du cadre de nos institutions et des milieux spécialisés, elle intéresse voire passionne l'ensemble des Français.

Ils sont en droit d'attendre une réponse claire aux interrogations que certains d'entre vous ont formulées.

Non, Monsieur..., le Gouvernement ne s'engagera pas dans un processus de révision constitutionnelle pour ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, et ce, pour plusieurs raisons.

Pour des raisons de principe, d'abord. Vous vous souvenez sans doute que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 15 juin 1999, avait relevé que la ratification de la Charte supposait l'adhésion au préambule de ce texte, ainsi qu'aux « dispositions générales » et à ses «objectifs et principes» (parties I et II) qui ne sont pas dépourvus de toute portée normative.

La ratification de la Charte implique la reconnaissance - qui n'est pas seulement symbolique - d'un «droit imprescriptible» de parler une langue régionale, notamment dans la sphère publique. Ce droit figure en effet explicitement dans le préambule de la Charte, ce qui, comme l'a souligné le Conseil constitutionnel, est contraire à des principes constitutionnels aussi fondamentaux que l'indivisibilité de la République, l'égalité devant la loi et l'unité du peuple français.

Les réserves posées par le Conseil constitutionnel vont donc bien au-delà de l'articulation de la Charte avec l'article 2 de la Constitution, aux termes duquel «la langue de la République est le Français ». Elles engagent ce que je n'hésiterai pas à appeler notre «noyau dur constitutionnel», qui interdit de conférer des droits particuliers à des groupes spécifiques - qui plus est sur des territoires déterminés.

Vous en conviendrez avec moi, Mesdames et Messieurs les Députés, la République ce n'est pas un puzzle communautaire dont il suffirait d'assembler les morceaux pour voir s'y dessiner le visage de Marianne.

Elle est une et indivisible.

Et qui, parmi vous, pourrait aujourd'hui se déclarer partisan d'une administration nationale et territoriale obligée, dans une région donnée, de s'exprimer dans la langue déclarée langue de cette région, avec des fonctionnaires obligés, pour être recrutés, de maîtriser cette langue, afin de faire « droit » à des revendications légitimées par la Charte ? Ce serait pourtant l'une des conséquences inévitables de la logique de ce texte.

Le gouvernement signataire de la Charte en 1999 avait bien conscience de ce risque, qui avait assorti sa signature d'une déclaration interprétative.

Mais qui nous assure qu'une autre interprétation ne pourrait pas en être faite ? Et qui en jugerait ?

Mais, me direz-vous, nos grands voisins européens (l'Allemagne, l'Espagne, la Grande-Bretagne, notamment) ont bien ratifié la Charte.

Sans doute, mais convenez que la forme de l'État n'y est pas la même qu'en France. Ni la place de la - ou des - langue(s) nationale(s). Chez nous, la question de la langue a toujours revêtu une dimension particulière dans notre histoire institutionnelle et politique depuis que l'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) a imposé aux Parlements et aux tribunaux l'usage du français. Il n'est pas étonnant qu'aujourd'hui la langue de la République occupe une place symbolique et particulière dans notre socle de références communes. Et la situation linguistique de notre pays - qui, je l'ai dit, a le patrimoine le plus riche d'Europe - n'est pas la même qu'outre-Rhin, outre-Manche, voire outre-Pyrénées.

C'est une autre raison pour la France de ne pas ratifier la charte. Cette ratification supposerait en effet que soient clairement identifiées les langues auxquelles ce texte a vocation à s'appliquer.

En 1999, un groupe de travail piloté par les ministères chargés de l'Éducation nationale et de la Culture s'était appliqué à les recenser.

Quelque 79 langues avaient alors été identifiées (dont 39 outre-mer), sous la dénomination de «langues de France». S'agissant de la France métropolitaine, cet ensemble incluait l'ensemble des langues concernées par la loi Deixonne (basque, breton, catalan, gallo, langue mosellane, langue régionale d'Alsace et langue d'oc dans ses différentes variétés), auxquelles s'ajoutaient notamment le flamand occidental, le franco-provençal et les langues d'oïl, ainsi que cinq autres langues parlées par des ressortissants français sur le territoire de la République (berbère, arabe dialectal, yiddish, romani, arménien occidental).

On mesure donc la difficulté, pour la France, de fixer le périmètre d'application de la Charte, et cela d'autant plus que celle-ci ne fournit aucune indication sur les critères d'éligibilité, comme, par exemple, le nombre minimum de locuteurs.

Le risque de dispersion de l'aide et des moyens serait réel, au détriment des langues les plus représentatives.

La Charte présente par ailleurs la particularité d'être un texte à options : les États qui y adhèrent s'engagent à respecter, outre les principes et objectifs généraux, au moins 35 des 98 mesures qu'elle propose.

La France a sélectionné, lors de la signature de la charte, une liste de 39 engagements. Parmi ceux-ci, figurait l'engagement de «rendre accessible, dans les langues régionales ou minoritaires, les textes législatifs nationaux les plus importants [...] à moins que ces textes ne soient déjà disponibles autrement». La France retenait également l'obligation de «permettre et/ou encourager la publication par des collectivités territoriales des textes officiels dont elles sont à l'origine dans lesdites langues, ainsi qu'à l'emploi ou l'adoption des formes traditionnelles de la toponymie dans ces mêmes langues».

Imaginez-vous le coût budgétaire faramineux pour l'État d'une telle obligation de traduction (il serait proportionnel au nombre des langues retenues)? Et cette obligation ne concernerait pas seulement les textes futurs, mais également notre stock législatif, avec un travail très subjectif de sélection des textes «les plus importants» à traduire.

Le coût potentiel pour les collectivités locales serait par ailleurs loin d'être négligeable. Certes, à la différence de l'État, elles n'auraient aucune obligation de traduction. Mais le refus de traduire pourrait vraisemblablement être contesté devant les tribunaux, sur le fondement de ce « droit imprescriptible » de parler une langue régionale, que reconnaît - je le répète - le préambule de la Charte.

Pour conclure : ratifier la Charte serait donc contraire à nos principes ; l'appliquer serait difficile, coûteux et d'une portée pratique pour le moins discutable. Elle n'apporterait au mieux qu'une réponse symbolique à la question posée, qui, elle, est bien réelle : comment mieux faire vivre les langues régionales dans notre pays ?

Le constat que je dresse n'est évidemment pas incompatible avec la promotion et la protection du pluralisme linguistique. Veillons à ne pas opposer les « langues régionales » à la « langue de la République ». La singularité française se nourrit aussi de la richesse de nos territoires. Et les langues régionales font partie de notre patrimoine commun. Non, le basque n'appartient pas qu'aux Basques, et le breton qu'aux Bretons. Ces langues appartiennent à tous les Français.

Reconnaître la diversité linguistique, ce n'est pas nécessairement reconnaître des droits spécifiques et « imprescriptibles » aux locuteurs de ces langues dans la sphère publique. C'est d'abord encourager leur usage, permettre leur enseignement, chaque fois que les familles le demandent, et favoriser leurs expressions culturelles et artistiques, sur tous les territoires.

A cet égard, je crois d'abord que nous aurions avantage à y voir plus clair sur ce qu'autorise le cadre législatif et réglementaire actuel. Les attendus du Conseil constitutionnel nous montrent la voie à suivre : en jugeant que « n'était contraire à la Constitution, eu égard à leur nature, aucun des engagements souscrits par la France, dont la plupart, au demeurant, se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en œuvre...en faveur des langues régionales », le Conseil nous ouvre une très large marge de manœuvre. Ma conviction est qu'elle est insuffisamment exploitée.

Dans les cinq matières énumérées par la Charte (médias, activités et équipements culturels, échanges transfrontaliers, justice, autorités administratives et services publics), la plupart des dispositions législatives nécessaires à la poursuite des objectifs retenus existent déjà.

S'agissant des domaines de la justice, des autorités administratives et des services publics, aucune disposition législative ou constitutionnelle n'interdit, par exemple, à une collectivité locale de traduire ses propres délibérations ou tout autre texte dans une langue régionale, dès lors qu'existe une version en français (qui est la seule, il est vrai, à faire foi).

Mais ne pas interdire ne signifie pas prescrire ou imposer : la nuance est d'importance.

De même, rien ne nous empêche de mettre en valeur les bonnes pratiques, et de conforter, s'il y a lieu, les « territorialisations » existantes, dans le respect de nos valeurs républicaines. Je ne citerai qu'un exemple : le principe de la demande des familles étant clairement posé, nous pourrions développer les conventions avec les collectivités locales et les associations, à l'image de celles qui régissent l'enseignement et la promotion de la langue basque dans les Pyrénées-Atlantiques, où a été mis en place un très remarquable Office public de la langue basque.

Mais si les dispositions légales et réglementaires existent pour favoriser l'apprentissage ou l'usage des langues régionales dans notre pays, il ne serait pas inutile d'en faire l'inventaire afin de mieux « sécuriser » l'emploi de ces langues, ainsi que le président de la République en exprimait le voeu pendant sa campagne électorale. L'état du droit en la matière est insuffisamment connu, et un effort de clarification s'impose.

Les textes qui régissent l'enseignement des langues régionales, depuis la loi Deixonne de 1951, et plus généralement leur usage dans la vie sociale, sont nombreux et constituent un véritable maquis où le citoyen peut facilement se perdre.

Cette absence de clarté motive, à juste titre, certaines revendications.

Nous devons normaliser et organiser l'apprentissage et l'emploi des langues régionales dans notre société, par une forme de codification.

Nous avons besoins de textes auxquels nous puissions nous référer, avec le moins d'ambiguïté possible, sans avoir à exhumer des circulaires annulées parfois par d'autres circulaires....

Ce dont nous avons vraiment besoin, c'est d'un cadre de référence - je crois que nous pouvons tous nous mettre d'accord sur ce point et c'est ainsi que j'interprète la demande que vous formulez, Monsieur le député Marc Le Fur.

Ce cadre de référence - dont la mise en place permettrait, chemin faisant, de relancer l'effort de promotion - prendra la forme d'un projet de loi, ainsi que le président de la République en avait émis l'idée lors de la campagne électorale.

Voilà, Mesdames et Messieurs les Députés, l'approche qui sera la nôtre pour accroître la place des langues régionales sur notre territoire et garantir à terme leur vitalité. Elle doit s'accompagner d'un soutien résolu apporté, au niveau territorial, à leur pratique, dans de nombreux domaines de la vie culturelle et sociale.

Il s'agit de permettre et non pas de contraindre, d'inciter et non pas d'imposer. Il s'agit - tout en rappelant la primauté du français dans notre société - d'ouvrir un espace d'expression plus large à d'autres langues historiquement parlées sur notre territoire, et non pas de reconnaître des droits spécifiques et « imprescriptibles » aux locuteurs de ces langues.

Bref, il s'agit de favoriser l'exercice d'une liberté d'expression et non pas de créer des obligations nouvelles pour l'État.

Cette liberté, nous la garantirons avec le souci de respecter les principes de nos textes fondamentaux, et le rôle primordial du français, notamment en matière d'apprentissage. Le premier ministre l'a rappelé dans le rapport au Parlement sur l'emploi de la langue française : notre langue commune est « au plus profond, le lien qui nous rassemble autour des valeurs de la République ». Sur le statut du français, nous ne transigerons pas.

Mais en donnant une forme institutionnelle à la notion de patrimoine linguistique, en « instituant » en quelque sorte la diversité linguistique interne, nous conforterons la bataille que nous menons, en Europe et dans le monde, pour favoriser le multilinguisme et la diversité culturelle.

Je vous remercie.

Source: http://www.culture.gouv.fr, le 14 mai 2008
 

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