Drapeau de l'Empire ottoman, 1793

L'Empire ottoman

"Devlet-i Aliyye-i Osmaniyye", en turc ottoman

1299-1923

1. L'Empire

L'Empire ottoman (provient du nom de l'empereur Osman, premier de la dynastie) fut fondé à la fin du XIIIe siècle (en 1299) au nord-ouest de l'Anatolie (aujourd'hui la Turquie); en tuc ottoman, l'empire portait le nom de Devlet-i Aliyye-i Osmaniyye, littéralement «le Sublime État ottoman». Après 1354, les Ottomans entreprirent la conquête de l'Europe en annexant les Balkans (Grèce, Bulgarie, Serbie, etc.). Sous le règne de Soliman le Magnifique (sultan de 1520 à 1566), un contemporain de François Ier, l'Empire ottoman devint un empire multinational, forcément multilingue bien que la langue officielle soit le turc ottoman; cet État contrôlait une grande partie de l'Europe du Sud-Est, ainsi que des parties importantes du Caucase, de la Russie méridionale, du Proche-Orient (alors la Mésopotamie) et de l'Afrique du Nord.

Son territoire s’étend alors des confins de l’empire d’Autriche à l’ouest, jusqu’au Caucase à l’est, occupant ainsi une bonne partie de l’Asie occidentale et de l’Afrique du Nord, à l'exception du Maroc. C’est donc à la fois un empire continental et un empire méditerranéen; un empire européen, asiatique et africain.

Au début du XVIIe siècle, l'Empire ottoman comptait 32 «provinces» (ou vilayets) et de nombreux États vassaux, ceux-ci ne faisant pas techniquement partie de l'empire, car ils conservaient une certaine autonomie.

Bien que l'Empire fût gouverné par des sultans musulmans et que l'islam fût la religion d'État, l'arabe n'a jamais été adopté par les populations islamisées.

L'insurrection grecque suivie de l'indépendance (1821-1829), les guerres avec la Russie et la concurrence des Habsbourg d'Autriche réduisirent considérablement la présence ottomane en Europe et dans le Caucase. Puis une nouvelle guerre avec la Russie (1877-1878), les guerres balkaniques (1912-1913) transformèrent l'Empire ottoman en un État affaibli et replié sur l'Anatolie et l'Asie Mineure. Enfin, l'alliance pendant la Première Guerre mondiale avec l'Empire allemand et l'Empire austro-hongrois allait mettre fin au sultanat ottoman.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la défaite militaire de l'Empire ottoman et l'occupation du territoire par les Alliés entraînèrent sa partition, et la perte de ses territoires du Proche-Orient (voir la carte) divisés entre le Royaume-Uni et la France. La fondation de la Turquie moderne par Mustapha Kemal Atatürk dans l'Anatolie provoqua l'abolition de la monarchie ottomane en 1923.

2. Les cartes de l'Empire

La grande carte au haut de la présente page représente l'ensemble des territoires de l'Empire ottoman au XVIIIe siècle, époque où l'Empire atteignait son apogée. Sous cet empire, le nom des pays actuels portait des dénominations en turc ottoman pour désigner les provinces appelées «vilayets» ou «sandjaks». Le vilayet désignait une province placée sous l'autorité d'un gouverneur général (appelé «val »), tandis qu'un sandjak constituait une subdivision de second niveau d'un vilayet.

La carte ci-contre représente les vilayets en Anatolie et en Mésopotamie. Voici d'autre exemples en turc ottoman de vilayets à l'extérieur : Mirdit-eli (Albanie), Bosna-eli (Bosnie), Kibris-ada (Chypre), Kudus-i Şerif mutasarrıflığı (Palestine), Mısır hidivliği (Égypte), Tunus beyliği (Tunisie). 

Jamais l'Empire ottoman ne s'est présenté tel qu'il apparaît sur les cartes présentées ci-dessous, lesquelles masquent nécessairement les territoires perdus au fil des décennies et des siècles. Par exemple, en 1898, l'Empire avait déjà perdu ses territoires en Europe, au nord de la mer Noire, en Afrique du Nord, ainsi que dans le golfe Persique (Bahreïn et Qatar); il ne restait plus que l'Anatolie, la Mésopotamie (Syrie, Irak, Jordanie) et la Palestine.

Le terme Anatolie vient du grec ἀνατολή (Anatolē) signifiant «Orient», c'est-à-dire «lever de soleil». L'Empire romain employait plutôt l'appellation Asie Mineure (< Asia Minor en latin). Aujourd'hui, le terme Anatolie est remplacé par Turquie (< Türk + iye en turc, ce qui signifie «Turc» + «possesseur» pour «pays des Turcs»). Cependant, l'ancienne Anatolie ne comprenait ni la partie européenne ni le tiers oriental (alors l'Arménie historique) de la Turquie moderne.

La carte ci-dessous représente les territoires de l'Empire ottoman dans leur plus grande expansion en Europe, ainsi que dans le Caucase, avec les frontières actuelles.

La carte ci-dessous représente les territoires ottomans au Proche-Orient, en Afrique du Nord et dans le golfe Persique, avec les frontières actuelles.  

3. La langue turque ottomane

Dans l'Empire ottoman, la langue turque avait subi l'influence massive de l'arabe coranique (famille afro-asiatique) et du persan (langue indo-iranienne). La langue officielle de l’Empire était ce qu'on pourrait appeler le «turc ottoman», dont la caractéristique était une variété linguistique savante faite d'un mélange d'arabe, de persan et de turc. Durant près de 1000 ans, les lettrés ont emprunté non seulement des mots à l'arabe et au persan, mais aussi des expressions figées ainsi que des structures syntaxiques.

Dans les faits, cette langue «turque ottomane», passablement artificielle, n’était écrite et parlée que par l'élite ottomane, car elle était quasiment incompréhensible par l'ensemble de la population turcophone rurale vivant à l'intérieur des frontières de l'Empire. Tout au cours de cette longue période, le turc populaire est resté la «langue des pauvres et des illettrés».

L'Illustration ci-contre montre une inscription en turc ottoman écrit avec l'alphabet arabo-persan: on y une propagande pour inciter les Turcs à prendre les armes pour défendre l'Empire contre les troupes britanniques et françaises dans la péninsule de Gallipoli dans l'actuelle Turquie en 1915.

Évidemment, le turc parlé par le peuple était synonyme de «langage grossier» et de «rusticité», mais c'était néanmoins la langue courante de l'époque pour les turcophones. Le turcologue Louis Bazin, auteur de «La réforme linguistique en Turquie» dans La réforme des langues (Hambourg, 1985), dresse le portrait suivant de la situation linguistique sous l'Empire ottoman:

Dans l'État islamique théocratique et multinational qu'était l'Empire ottoman, soumis à une acculturation arabe et persane intense dans ses classes dirigeantes — et spécialement dans la classe intellectuelle, comme celle des ulémas —, la langue écrite officielle et littéraire était envahie de termes arabes et persans, de plus en plus éloigné du parler turc vivant, et inaccessible à la masse populaire turque.

La langue turque du peuple n'a jamais fait l'objet d'un quelconque enseignement. On enseignait le turc ottoman, l'arabe coranique et le persan. Le turc ottoman connaissait trois variantes différentes:

1) Le turc ottoman éloquent (beliğ Osmanlı Türk) : il fut en usage jusqu'à la fin du XVIe siècle dans les cours anatoliennes;
2) Le turc ottoman moyen (
Osmanlı Türk araçlar) : c'était la langue utilisée à des fins administratives;
3) Le nouveau turc ottoman (Yeni Osmanlı Türk) : cette variété n'est apparue qu'au cours des années 1850.

Ce n'est qu'en 1839 que le turc ottoman moyen fut employé exclusivement dans l'administration de l'Empire.

Néanmoins, celui-ci pratiquait une politique exceptionnelle pour l'époque: non seulement le turc n'était pas obligatoire pour les administrés, mais la conversion à l'islam ne l'était pas davantage, ce qui permettait aux Ottomans de percevoir des impôts sur les non-musulmans. Mais les chrétiens convertis à l'islam (les "manimi") voyaient leur fiscalité divisée par deux, conformément à la loi islamique. C'était un moyen très incitatif, et ce, d'autant qu'en plus que la conversion les préservait des persécutions. C'est ce qui explique que, dans les Balkans, les populations chrétiennes aient pu conserver leur religion, leurs écoles, leurs langues et une partie de leurs lois, la seule exigence étant l'obéissance. Cependant, certaines populations se sont islamisées, notamment en Bosnie-Herzégovine, en Albanie, au Kosovo et en Thrace (Grèce). Cela dit, les juifs convertis à l'islam (les "dönme" ou "avdeti") voyaient aussi leur fiscalité divisée par deux, conformément à la Charia.

Seuls les musulmans sunnites étaient des Ottomans de plein droit: ils payaient deux fois moins d'impôts que les autres croyants qui avaient le statut de "dhimmis" («protégés»). Les musulmans chiites étaient présents en Albanie, au centre de l'Anatolie, ainsi que dans certaines régions de la Mésopotamie (Syrie, Liban) et du golfe Persique (Koweït, Bahreïn, Qatar) et de la mer Rouge (Yémen). Il y avait aussi des druzes, des ismaéliens, des yézidis, etc., issus du chiisme, mais ce n'était pas des Ottomans de plein droit, bien que le sultan puisse les protéger en tant que "dhimmis".

4 Les autres langues de l'Empire

Les langues les plus importantes dans l'Empire ottoman était le turc ottoman, le turc vernaculaire ou populaire, le persan et l'arabe. Cependant, les peuples conquis parlaient un grand nombre de langues dont on ne saura jamais le nombre exact. Il convient de citer des langues aussi diverses que le grec, l'arménien, l'albanais, le berbère, le géorgien, l'hébreu, le hongrois, le valaque ou l'aroumain, l'azéri, l'assyrien, l'araméen, le bulgare, le copte, le tatar de Crimée, le gagaouze, le croate, le judéo-espagnol, le kurde, etc. À la fin de l'Empire ottoman, on trouvera aussi l'allemand, le français, l'italien, l'anglais, le russe, l'ukrainien, le roumain, etc.

À part une poignée d'universitaires, personne ne parle plus le turc ottoman aujourd'hui, lequel est perçu comme un mélange de turc, de persan et d'arabe, largement inintelligible pour les individus le moindrement moins instruits, et ce, d'autant plus que cette langue s'écrivait avec l'alphabet arabo-persan. Au point de vue historique, le turc ottoman demeure néanmoins l'ancêtre immédiat du turc moderne.

5 La révolution de Mustafa Kemal Atatürk

Après l'effondrement de l'Empire ottoman en 1918, Mustafa Kemal devint en 1923 la fois chef de l'État et de l'armée, président du Conseil de la République turque, président de l'Assemblée et président du Parti populaire; Mustafa Kemal devint ainsi «légalement» un autocrate aux pouvoirs quasi absolus. Il entreprit une politique de modernisation et de laïcisation de l'État turc. En instaurant la République, il désirait, entre autres, libérer son peuple des prescriptions de la religion qui réglait les moindres faits et gestes de la vie de chaque citoyen. De plus, il lui paraissait nécessaire de rompre au plan linguistique avec la culture ottomane et de mener à terme une turquification totale dans la nouvelle République, ce qui passait aussi par la négation des minorités. Il liquida donc les minorités grecques, kurdes, juives et arméniennes afin de préserver une société plus homogène. En très peu de temps, les Turcs durent combler le vide laissé par ces minorités qui géraient les principales activités commerciales, bancaires et industrielles. 

Le but ultime de la réforme linguistique était de développer la langue turque populaire (ou vernaculaire) en une langue nationale normalisée afin de servir comme moyen d'unité nationale. Pour y parvenir, il fallait changer l'écriture et purifier la langue turque de tous les emprunts arabo-persans, aussi bien lexicaux que grammaticaux. L'ancien alphabet arabo-persan disparut d'autant plus vite que l'enseignement de l'arabe et du persan dans les écoles fut tout simplement interdit après l'adoption en 1929 de l'alphabet latin.

Il faut se rendre compte qu'il s'agit là d'une prouesse inimaginable dans l'Histoire. La Turquie a bel et bien remplacé une écriture en usage depuis plus de 1000 ans par une autre en quelques mois seulement. Il faut dire que la méthode forte de Mustafa Kemal avait fait ses preuves. L'Histoire compte peu d'exemples de ce genre où un gouvernement a réalisé des changements linguistiques d'une aussi grande envergure en un temps aussi court et, il faut le reconnaître, avec autant de succès. On peut donc comprendre que le turc ottoman ait rapidement laisser la place au turc moderne.

De l'Empire ottoman, il ne reste donc pratiquement plus rien, car il a fait place au turc moderne (après 1928), appelé "Türkiye Türkçesi" («turc de Turquie»). Il s'écrit avec l'alphabet latin et utilise une abondance de néologismes et d'emprunts aux langues étrangères modernes (par ordre décroissant): français, italien, anglais, grec, latin, allemand, russe, espagnol et arménien. Le nombre de locuteurs du turc moderne se situe à quelque 80 millions de locuteurs comme langue maternelle et à 40 millions comme langue seconde. 

Dernière mise à jour: 17 févr. 2024

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