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Les droits linguistiques de la minorité anglophone |
L'arrivée au pouvoir du Parti québécois (un parti nationaliste) en 1976 et l'adoption de la Charte de la langue française en 1977 ont apparemment convaincu plusieurs anglophones de quitter le Québec plutôt que d'accepter leur nouveau statut de minoritaires. Il est vrai que bon nombre d'entre eux ont quitté le Québec d'abord pour des raisons économiques, attirés par le boom pétrolier de l'Ouest ou le boom financier de Toronto, mais certains ont claqué la porte par protestation.
Durant les années qui ont suivi l'adoption de la loi 101, la presse anglophone du Québec a souvent suscité et attisé un fort mouvement de révolte contre la majorité francophone. Depuis son adoption, la loi 101 a été tellement décriée par les médias anglophones que plusieurs ont cru à la «répression linguistique». De nombreux anglophones du Québec sont même convaincus d'être aujourd'hui «la minorité la plus maltraitée au Canada». Il existe toujours au sein d'une partie des anglophones une attitude de méfiance à l'égard des francophones; certains croient encore que les francophones d'aujourd'hui cherchent à leur «faire payer la bataille des plaines d'Abraham». Cette perception s'oppose à celle des francophones qui, loin d'être persécutés, croient plutôt que les anglophones sont très bien traités au Québec et disposent de très nombreux droits et privilèges en matière linguistique, et que ce sont eux les francophones qui, en tant que minoritaires en Amérique du Nord, ont besoin d'être protégés. Cependant, cette mentalité de persécution chez les Anglo-Québécois semble être passée depuis quelques années de dominante à minoritaire, surtout chez les individus bilingues. Procédons donc à un examen de ces droits chez les anglophones du Québec.
Contrairement à la plupart des minorités francophones hors Québec, les Anglo-Québécois jouissent, depuis l'entrée du Québec dans la Confédération, de garanties linguistiques inscrites dans la Constitution. De par l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, l'anglais est reconnu juridiquement à l'Assemblée nationale du Québec, qui doit adopter ses lois en français et en anglais; cette langue est également permise dans les débats de la Chambre.
Article 133 Dans les chambres du Parlement du Canada et les chambres de la Législature de Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais, dans la rédaction des registres, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l'usage de ces deux langues sera obligatoire. En outre, dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux du Canada établis sous l'autorité de la présente loi, ou émanant de ces tribunaux, et devant les tribunaux de Québec, ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage de l'une ou l'autre de ces langues. Les lois du Parlement du Canada et de la Législature de Québec devront être imprimés et publiés dans ces deux langues. |
En outre, les anglophones sont assurés de recevoir de la part de tous les tribunaux (de juridiction civile et criminelle) du Québec des services dans leur langue, et ce, sur tout le territoire. Enfin, à l'instar de l'article 73 de la loi 101, l'article 23 de la Charte des droits et libertés de 1982 leur garantit, comme nous le savons, le droit à l'enseignement en anglais au primaire et au secondaire.
Précisons que tous les projets de réformes constitutionnelles, de Meech à Charlottetown, ont contenu des mesures de protection à l'égard de la minorité anglophone du Québec. En réalité, toute disposition destinée à protéger le français hors Québec, sinon au Québec même, entraîne automatiquement son corollaire: la protection de l'anglais au Québec. Le fait que la minorité anglo-québécoise puisse toujours compter sur l'appui de la majorité anglaise du pays constitue un puissant atout dont peu de minorités dans le monde peuvent bénéficier.
La Charte de la langue française a forcément reconnu les droits constitutionnels des anglophones dans la législation, notamment en matière de justice et d'éducation, mais elle leur a reconnu également des droits supplémentaires.
2.1 Les droits en éducation
Les Anglo-Québécois ont droit à un enseignement dans leur langue. La loi avait limité à lorigine ce droit aux seuls véritables anglophones du Québec, mais la Loi constitutionnelle (Charte des droits et libertés) de 1982 a cependant étendu ce droit à tous les citoyens canadiens qui ont fait leurs études primaires en anglais au Canada. La situation est la même dans les autres provinces, car tous les enfants de citoyens canadiens de langue maternelle française ont, du moins en principe, accès à leurs écoles.
Rappelons que, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, un citoyen canadien anglophone du Québec ne peut revendiquer l'accès à l'école anglaise pour ses enfants en invoquant l'alinéa 23.1a (critère de la langue maternelle) qui n'est pas en vigueur au Québec. De plus, en raison des articles 73 et 76 de la Charte de la langue française du Québec, un enfant reconnu admissible à l'enseignement primaire en anglais est réputé avoir reçu l'enseignement primaire en anglais même si ce n'est pas le cas. Ainsi, contrairement à la plupart des francophones hors Québec (sauf en Ontario et au Nouveau-Brunswick) qui perdent leur droit constitutionnel, les écoliers admissibles à l'enseignement en anglais qui choisissent d'étudier en français ne perdent pas leurs droits, ni pour eux, ni pour leurs frères et soeurs, ni pour leurs descendants.
Dans les faits, les anglophones bénéficient d'un réseau d'enseignement complet de la maternelle à l'université, disposant de plusieurs cégeps et de trois universités, établissements non expressément prévus dans la Charte des droits et libertés et subventionnés par l'État québécois au même titre que les établissements francophones. Les Anglo-Québécois possèdent 360 écoles primaires et secondaires, trois universités et sept établissements post-secondaires (ou campus de cégep). Rappelons qu'en plus, contrairement aux francophones hors Québec, les anglophones ont à leur disposition de "vraies" écoles anglaises et non de simples classes d'immersion au sein d'écoles mixtes. Alors que seulement 50 % des enfants des francophones hors Québec étudient de fait dans des écoles françaises, 96,7 % des enfants des anglophones du Québec fréquentent une école de leur groupe linguistique (Michel Paillé, démographe).
2.2 Les droits dans l'Administration
Dans leurs communications avec l'Administration publique, les anglophones sont assurés de recevoir tous les services gouvernementaux dans leur langue (art. 15 de la loi); ce droit s'étend aux municipalités comptant plus de 50 % de non-francophones. Dans les quelque 93 municipalités québécoises à statut bilingue, les services doivent être bilingues, et les formulaires administratifs, disponibles en anglais. La minorité anglophone a aussi le droit aux toponymes et odonymes (noms de rue) en anglais, mais la partie générique doit être en français: p. ex., chemin Queen Mary et non Queen Mary Road.
La minorité anglophone jouit des mêmes droits dans les services de santé et les services sociaux du Québec. En 1986, des modifications à la Loi sur la santé et les services sociaux (loi 142) ont élargi les services à la collectivité anglophone. Cette loi québécoise oblige quelque 254 institutions (services sociaux et de santé) à offrir des services en anglais. Voici quelques extraits de cette loi:
Article 1 Le régime de services de santé et de services sociaux institué par la présente loi a pour but le maintien et l'amélioration de la capacité physique, psychique et sociale des personnes d'agir dans leur milieu et d'accomplir les rôles qu'elles entendent assumer d'une manière acceptable pour elles-mêmes et pour les groupes dont elles font partie. Article 2 Afin de permettre la réalisation de ces objectifs, la présente loi établit un mode d'organisation des ressources humaines, matérielles et financières destiné à : [...] 7° favoriser, compte tenu des ressources, l'accessibilité à des services de santé et des services sociaux, dans leur langue, pour les personnes des différentes communautés culturelles du Québec. 1991, c. 42, a. 2. Article 15 Toute personne d'expression anglaise a le droit de recevoir en langue anglaise des services de santé et des services sociaux, compte tenu de l'organisation et des ressources humaines, matérielles et financières des établissements qui dispensent ces services et dans la mesure où le prévoit un programme d'accès visé à l'article 348. 1991, c. 42, a. 15. Article 125 [...] Le ministre, pour l'application du présent article au territoire de la régie régionale instituée pour la région de Montréal Centre, détermine autrement que sur la base du territoire de cette régie régionale, sur proposition de cette dernière, l'organisation prévue au premier alinéa afin de permettre l'exploitation, par au moins deux établissements, de centres de protection de l'enfance et de la jeunesse et la prestation, par l'un d'eux, des services en langue anglaise pour les personnes d'expression anglaise de cette région. 1991, c. 42, a. 125; 1992, c. 21, a. 10. Article 128 Une régie régionale peut proposer au ministre de modifier l'organisation prévue aux articles 119 à 126 lorsque la nature ou l'étendue du territoire ou la nature, le nombre, les caractéristiques particulières ou la capacité des installations des centres qui s'y trouvent, la nature de la clientèle desservie, la densité de la population desservie ou les caractéristiques socio-culturelles, ethno-culturelles ou linguistiques d'une partie de la population ou des établissements le justifient. La régie régionale doit, plus particulièrement, tenir compte des établissements reconnus en vertu de l'article 29.1 de la Charte de la langue française (chapitre C-11). 1991, c. 42, a. 128; 1994, c. 23, a. 2; 1996, c. 36, a. 3. |
Dans quelque 80 de ces institutions, il est même parfois difficile d'obtenir des services en français. Dans tout le Canada anglais, les francophones, pourtant plus nombreux que les Anglo-Québécois, n'ont obtenu que 21 hôpitaux francophones.
Aucune minorité francophone au Canada ne bénéficie d'un tel traitement, même pas au Nouveau-Brunswick, où le français est pourtant l'une des deux langues officielles.
Si l'on fait exception de la loi 178 (Loi modifiant la Charte de la langue française) sur l'affichage, les lois linguistiques québécoises n'ont supprimé aucun droit à la minorité anglophone. Les faits démontrent que cette communauté jouit d'une situation sociale tout à fait exceptionnelle pour une minorité.
Les Anglo-Québécois ont conservé leur dominance sur les ondes radiophoniques et à la télévision, particulièrement dans la région de Montréal. Bien que minoritaires (12,9 % de la population métropolitaine), ils ont accès au tiers des stations de radio (31 %) et à la moitié des six chaînes de télévision (sans compter la dizaine de stations américaines). Les faits révèlent aussi que ce sont les francophones qui font vivre la plupart des stations radiophoniques anglaises, contribuant à assurer la suprématie de l'anglais sur les ondes.
De plus, les anglophones sont desservis par deux quotidiens, The Gazette de Montréal et The Record de Sherbrooke, dont le tirage atteint 17 % des ventes totales de la province; ce n'est pas si mal pour une minorité de 9,2 % (12 % si on tient compte des transferts linguistiques favorables à l'anglais).
Sur le plan du travail, du commerce et des affaires, les anglophones continuent à se faire servir dans leur langue à peu près n'importe où dans la région métropolitaine. Ils peuvent exercer leur métier ou leur profession en anglais sans être vraiment inquiétés ni contestés; l'anglais demeure la langue de travail pour la grande majorité des Anglo-Québécois de la région de Montréal. Les faits démontrent qu'il est relativement facile d'y vivre uniquement en anglais, sans inconvénients majeurs. Les anglophones ont l'avantage d'être majoritaires dans plusieurs villes de l'île de Montréal, ce qui constitue un atout précieux. Un point négatif à améliorer à légard de la minorité anglophone: les représentants de cette communauté représentent environ 12 % de la population de la province, mais ils ne forment que 0,8 % de la fonction publique au Québec.
Du côté des revenus, un anglophone du Québec continue de bénéficier d'un revenu total plus élevé que celui d'un francophone; l'écart était encore de 10 % en 1980, mais il a continué de se réduire pour se situer autour de 6 % ou 7 %. D'après une étude de Médiavision effectuée au printemps 2001, le revenu familial moyen des anglophones serait de 53 146 $CAN, contre 46 457 $CAN pour les francophones. Il faut préciser également que 32 % des anglophones ont obtenu une diplôme d'études secondaires (contre 23 % pour les francophones) et 40 % ont obtenu un diplôme universitaire (contre 33 % chez les francophones). Dans l'échelle des revenus, ce sont les francophones bilingues qui ont les plus hauts salaires, mais ils sont suivis des anglophones bilingues, puis des anglophones unilingues et enfin par les francophones unilingues.
Pour ce qui est de la scolarité, les Anglo-Québécois sont également plus instruits: deux fois plus d'anglophones (34,4 %) accèdent à l'université que de francophones (18,3 %). Cet écart explique en partie la sous-représentation des francophones dans l'échelle des salaires.
Soulignons enfin que l'anglais n'a toujours pas perdu toute sa puissance d'attraction, tant auprès des allophones que des francophones. Les transferts linguistiques vers l'anglais sont encore plus importants que le poids démographique des anglophones du Québec. Cette situation montre bien la fragilité des francophones au sein même de la province où ils sont majoritaires. Pour une minorité, les Anglo-Québécois en constituent une nettement privilégiée. D'ailleurs, dans son rapport de 1984, le commissaire aux langues officielles du Canada devait lui-même l'admettre:
Si on met en parallèle les situations vécues par les Anglo-Québécois et leurs homologues francophones des autres provinces, on ne peut s'empêcher de noter que les assises institutionnelles des Anglo-Québécois ont tout, ou presque, pour faire envie à la plupart des minorités de langue française. [Rapport annuel 1984, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1985, p. 197]. |
Au chapitre des facteurs négatifs, plusieurs soutiennent que la communauté anglophone serait menacée. Ce n'est pas la langue anglaise qui l'est, mais la communauté elle-même. En effet, cette communauté a connu un taux de natalité généralement plus faible (jusqu'à 1,2 enfant pas femme seulement, en 1981) que celui des francophones. Ce qui n'arrange rien, c'est qu'elle perd chaque année une partie importante de son effectif au profit des autres provinces. Le problème est certes important, mais la communauté anglophone doit accepter sa grande part de responsabilité en cette matière. Après tout, ce sont des membres de cette communauté qui quittent la province et ne font pas confiance à la majorité francophone.
Bien que la législation linguistique québécoise soit globalement positive à l’égard de la communauté anglophone, elle a néanmoins engendré quelques effets pervers. Ce résultat n’a en soi rien d’exceptionnel dans la mesure où toute législation linguistique s’avère imparfaite. À cet égard, il faut reconnaître que la législation québécoise n'est pas exempte d'erreurs ni de maladresses envers les anglophones.
Ainsi, la Charte de la langue française est rédigée de telle sorte que cette communauté n'est jamais expressément nommée. La langue anglaise, sauf de rares exceptions, est identifiée par des expressions byzantines du type toute autre langue ou une langue autre que le français. Cette façon de traiter la minorité anglophone semble cavalière et frise la paranoïa. Cela aurait si simple de d'employer des expressions telles que «la minorité anglophone», «les membres de la communauté anglophone», «la communauté de langue anglaise», «les anglophones», etc.
4.1 L'éparpillement des droits dans ceux de la majorité
Le procédé utilisé pour énumérer les droits de la communauté anglophone du Québec ont pour effet de banaliser ces mêmes droits. En effet, ces droits, bien que réels et considérables par ailleurs, sont éparpillés dans la loi parmi ceux de la majorité francophone.
L'effet pervers de cette façon de procéder donne la curieuse impression d'ignorer complètement les droits de la minorité qui, répétons-le, n'est quasiment jamais nommée, sauf par les expressions connues de toute autre langue ou une langue autre que le français. Or, il aurait été plus avisé de regrouper dans un seul chapitre les nombreux droits accordés à la minorité anglophone et de leur consentir officiellement un statut juridique différencié (de minoritaire). Autrement dit, il aurait été plus courageux de nommer la minorité et de lui accorder formellement un statut de minoritaire, qui est le sien de toute façon. Quoi qu'il en soit, la loi laisse croire que le législateur tente d'assimiler sa minorité anglophone en l'ignorant. En tout cas, le procédé semble fort mauvais.
4.2 L'accès à la fonction publique
Soulignons aussi que la législation et les pratiques québécoises ne vont pas très loin en matière d’accès à l’égalité dans la fonction publique provinciale. En 1998, les anglophones ne comptaient que pour 0,68 % de l’ensemble des effectifs de la fonction publique. Non seulement les anglophones sont nettement sous-représentés, mais c’est également le cas des autochtones (0,39 %) et des «communautés culturelles» ou immigrantes (2,09 %). Autrement dit, il y a encore beaucoup de progrès à réaliser.
4.3 Les restrictions relatives à l'affichage
Cependant, pour les anglophones, les restrictions relatives à l’affichage ont été les plus irritantes. En vertu de l'article 58 de la Charte de la langue française, l'affichage public devait se faire uniquement en français. Même si la loi avait prévu des exceptions à la règle (organismes municipaux à majorité anglophone, institutions scolaires, services de santé, services sociaux, petites entreprises de moins de quatre employés, organisations religieuses, politiques, humanitaires et idéologiques), les jugements des tribunaux ont invalidé les articles de la loi 101 imposant l'unilinguisme français dans l'affichage, en vertu de la liberté d'expression reconnue dans les chartes canadienne et québécoise des droits.
Les anglophones ont très mal réagi à la loi 178 qui modifiait l'article 58 de la loi 101 et permettait l'affichage unilingue français à l'extérieur des commerces en recourant à la clause dérogatoire de la Loi constitutionnelle de 1982. Il peut paraître paradoxal que les Anglo-Québécois aient «accepté» davantage l'article 58 de la loi 101 que les dispositions de la loi 178, mais c'est oublier l'aspect symbolique de cette dernière loi.
Les anglophones du Québec n'ont pas accepté de se voir retirer un droit que venait de leur reconnaître la Cour suprême du Canada; ils n'ont pas accepté non plus que le gouvernement provincial revienne sur sa promesse de permettre l'affichage bilingue lors des élections précédentes.
Quoi qu’il en soit, les anglophones – y compris les francophones et les allophones – peuvent maintenant afficher dans leur langue, mais à la condition que le français soit présent et prédominant. Pour le moment, un modus vivendi semble tenir. Les grands commerces montréalais n'affichent que très peu en anglais et, dans l'ensemble, la place de l'anglais paraît un peu sous-représentée, alors que le bilinguisme n'existe à peu près plus. Il s'agit d'une entente tacite qui permet de sauvegarder une sorte de paix linguistique.
4.3 La signalisation routière
En ce qui a trait à la signalisation routière, lunilinguisme français prévaut. Il sagit là, pour les anglophones, dun des irritants de la Charte de la langue française. Il faut admettre que cette pratique est relativement courante, même dans des pays comme la Finlande qui s'honorent de protéger de façon efficace leur(s) minorité(s).
Néanmoins, dans les municipalités officiellement bilingues et les nouveaux arrondissements bilingues de la mégacité montréalaise, les anglophones peuvent utiliser des plaques odonymiques (noms de rue) françaises et anglaises, incluant le générique et le spécifique du type Avenue Van Horne Avenue ou Rue King George Street. À part ce seul point dans la loi, on constatera que la Charte de la langue française n'a rien enlevé aux anglophones.
En effet, ceux-ci jouissent encore des droits qui font l'envie de toutes les minorités francophones hors Québec, lesquelles d'ailleurs n'en demandent pas autant: le droit de la langue minoritaire au parlement et dans les lois, dans tous les tribunaux, les maternelles, les écoles, les collèges, les universités, ladministration publique et municipale, les services sociaux, les services de santé, laffichage (avec français prédominant), les lieux de travail.
4.5 Des droits linguistiques pour les municipalités bilingues
Il y a aussi un certain abus, du moins sur le plan strictement juridique, d’exiger que la «minorité anglophone» soit numériquement majoritaire dans une municipalité pour recevoir des services bilingues. En effet, légalement parlant, il faut que la population de non-francophones atteigne les 50 % ou plus pour obtenir des droits en matière de services publics en anglais. Néanmoins, cette proportion strictement légale de 50 % semble bien élevée, comparativement, par exemple, aux normes en vigueur dans les pays de l’Union européenne à l’égard des «langues moins répandues». De façon générale, cette proportion est fixée à environ 20 %.
Il est vrai que, dans les faits, beaucoup de municipalités — il y en a 93 — offrent des services bilingues, et ce, même si la proportion des anglophones est située en-deçà de 30 % ou même à moins de 20 %. Par exemple, le fait que la Ville de Montréal ne soit pas incluse dans les municipalités à statut bilingue peut irriter les membres de la communauté anglophone. On aurait pu au moins proposer la création de «districts bilingues» dans certains quartiers. Cela dit, l'Hôtel de Ville de Montréal offre néanmoins des services bilingues à ses citoyens; dans les faits, tous ceux qui le désirent reçoivent des services en anglais, y compris les allophones et les francophones.
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Le problème des municipalités à «statut bilingue» est plus aigu sur l’île de Montréal où l’on comptait (jusqu'au 31 décembre 2001) 28 municipalités (voir la carte détaillée). Parmi celles-ci, du moins jusqu’à la fusion de celles-ci (soit jusqu’au 31 décembre 2001), quinze d’entre elles avaient acquis le statut bilingue. Avant la fusion effective, le gouvernement du Québec a longtemps laissé entendre que les anciennes municipalités intégrées perdraient leur statut linguistique dans une éventuelle municipalité élargie, et ce, sans pouvoir espérer constituer des «districts bilingues». Il était pour le moins inélégant et provocateur de la part des autorités provinciales de refuser de créer de tels districts bilingues, ce qui équivalait à abolir arbitrairement les droits linguistiques acquis. |
Mais il était à parier que, dans une éventuelle réforme municipale de l’Île-de-Montréal, la notion de «districts bilingues» réapparaîtrait et même s'implanterait officiellement. Effectivement, c'est ce qui s'est passé. Le 15 novembre 2000, le gouvernement du Québec a présenté deux projets de loi: l'un pour fondre les 28 municipalités de l'Île-de-Montréal en une seule, l'autre pour assurer le statu quo quant à la reconnaissance du statut bilingue des villes regroupées dans le nouveau Montréal.
Dans le projet de loi 171 qui modifiait la Charte de la langue française, le gouvernement québécois a tenu compte des fusions municipales prévues. Ainsi, les villes de banlieue reconnues auparavant comme «bilingues» dans l'île de Montréal conservaient ce statut en tant qu'arrondissements du nouveau Grand-Montréal. Neuf d'entre elles obtenaint un statut bilingue couvrant exactement le même territoire que les 15 anciennes villes. Dans la loi 170 (Loi portant réforme de l'organisation territoriale municipale des régions métropolitaines de Montréal, de Québec et de l'Outaouais) sur la fusion municipale, la nouvelle ville de Montréal est reconnue comme une «ville de langue française» avec des «arrondissements bilingues». Lors de la fusion municipale à Ottawa, les politiciens ontariens n'ont pas eu la même délicatesse, puisque la nouvelle ville fusionnée est restée unilingue anglaise, alors qu'elle est la capitale nationale d'un pays officiellement bilingue.
Évidemment, les anglophones des municipalités de l'ouest de l'île n'ont pas vu d'un très bon oeil la fusion de «leurs» villes, craignant sans doute d'être noyés dans la nouvelle mégaville de Montréal. Ils ont eu peur de perdre leurs «droits de vivre en anglais» dans les nouveaux arrondissements, peur aussi d'être «politiquement noyés» et confinés dans des «arrondissements fantoches».
Par ailleurs, le gouvernement en a profité pour «resserrer» la Charte de la langue française par la loi 171 (Loi modifiant la Charte de la langue française) adoptée au même moment que la loi 170. Cette nouvelle modification resserre les critères d'attribution du statut bilingue aux municipalités tels que prévus à l'article 29.1 de la Charte de la langue française. Les municipalités ou les arrondissements qui veulent se voir reconnaître un statut bilingue devront dorénavant compter une majorité de citoyens «de langue maternelle anglaise» sur leur territoire et non plus une majorité de citoyens «parlant une langue autre que le français ». Le gouvernement s'est aussi assuré que la grande ville de Montréal (1,8 million d'habitants) ne puisse jamais acquérir le statut de «ville bilingue». En effet, pour obtenir ce statut dorénavant, il faudra que la population de ces villes ou arrondissements soit majoritairement «de langue maternelle anglaise». Autrement dit, les allophones ne pourront plus être comptabilisés comme «anglophones» pour faire passer une municipalité sans statut linguistique à une municipalité à «statut bilingue». Là, les anglophones y ont perdu!
Finalement, les fusions ont eu lieu. Par la suite, beaucoup d'anglophones acquirent des pouvoirs dans la grande ville. Au lieu d'avoir de petits pouvoirs dans de petites villes, ils furent représentés à la grande ville et obtinrent un poids politique plus considérable. Jamais un maire de Montréal n'aurait désormais pu être élu sans tenir compte des aspirations des anglophones, car ils formaient 25 % de la population du nouveau Montréal (au lieu de 12,4 % dans l'ancien Montréal). On aurait pu espérer que, au lieu de vivre repliés et marginalisés dans leurs banlieues anglophones, il leur serait possible de s'intégrer et de participer plus activement au sein de la collectivité québécoise. Toutefois, les anglophones ont plutôt répondu qu'ils préféraient faire bande à part dans des mini-municipalités qu'ils contrôleraient entièrement.
Les élections provinciales qui suivirent en 2003 ramenèrent un gouvernement libéral, traditionnellement plus favorable aux anglophones. Le chef du Parti libéral (Jean Charest) avait promis, lors de sa campagne électorale, de permettre aux gens concernés de «défusionner» leurs villes par des référendums locaux. Ces référendums ont eu lieu le 20 juin 2004. Une forte majorité des villes québécoises où se tenaient des référendums sur les démembrements ont opté pour le statu quo, à l'exception de Montréal (et Longueuil), emportées par une vague «défusionniste». Les citoyens de 15 anciennes municipalités de l'île de Montréal ont préféré le démembrement: il s'agit de Westmount, Saint-Anne-de-Bellevue, Montréal-Est, Senneville, Beaconsfield, Dorval, Mont-Royal, Kirkland, Baie-d'Urfé, l'Île-Dorval, Hampstead, Pointe-Claire, Côte-Saint-Luc, Dollard-des-Ormeaux et Montréal-Ouest. Pour leur part, les arrondissements de Sainte-Geneviève, Roxboro, Pierrefonds, Anjou, Saint-Laurent et LaSalle ont décidé de rester dans la Grande Ville. On peut visualiser la carte après le démembrement de juin 2004 en cliquant ICI, s.v.p.
La population de Montréal avant la fusion comptait un million. Après la fusion de 2000, elle atteignait 1,8 million; après le démembrement de 2004, la population baissait à 1,6 million d'habitants. Les villes «défusionnées» ne représentaient que 13 % de la population de l'île, mais elles étaient plus riches que les autres (avec des revenus annuels d'environ 120 0000 $ CAN par rapport à 60 000 $ ailleurs). Ces villes sont toutes situées dans l'ouest de l'île, sauf Montréal-Est (3500 habitants). C'est l'Ouest anglophone et riche, qui a décidé de quitter la Ville de Montréal, sauf Pierrefonds (anglophone à 35 %). En somme, le Montréal anglophone a décidé de tourner le dos à la Grande Ville, au risque de se retrouver isolé et marginalisé. En effet, c'est généralement les enclaves les mieux nanties et celles où vivent le plus d'anglophones qui ont été les plus «défusionnistes». Beaucoup de Montréalais trouveront cette situation bien déplorable, car elle accentue le clivage linguistique entre anglophones et francophones, entre riches et pauvres. À la quête identitaire s'ajoute une question d'intérêt. Par ailleurs, il n'y a rien d'outrageant au fait qu'une minorité sente le besoin de se replier sur elle-même pour se protéger. On voit ça chez les francophones du Canada anglais. Certains pointent doigt les deux grands responsables de ce brouhaha municipal: le gouvernement du Parti québécois, qui a imposé en 2001 un système sans convaincre les principaux intéressés, puis le gouvernement du Parti libéral, qui est venu en 2003 rouvrir le débat, comme si l'on pouvait réparer une erreur (2001) par une seconde (2004).
Bien que les anglophones du Québec demeurent les mieux nantis de toutes les minorités officielles au Canada, il est évident que l'évolution politique, linguistique, sociale et démographique des dernières années a profondément modifié le caractère de cette communauté.
Beaucoup d'anglophones n'ont jamais accepté de se voir dépouillés d'une partie de leurs privilèges hérités de la Conquête et d'être considérés comme une minorité. Cependant, plusieurs se sont adaptés à la nouvelle situation et ne nourrissent aucune animosité à l'endroit de la majorité francophone du Québec. Beaucoup ont même appris le français: les anglophones étaient bilingues dans une proportion de 62,7 % en 1991 et de 66,1 % en 2001, contre 34 % (1991), puis 54 % (2001) pour les francophones. Malgré tout, de nombreux anglophones manifestent des réticences à l'égard de la francisation; ils ont même tendance à raidir leurs positions contre la Charte de la langue française. En fait, il paraît difficile pour eux d'accepter de se voir ramener au rang de minoritaires.
La communauté anglophone a développé plusieurs stratégies dont la plupart se sont révélé efficaces. Cette attitude montre que cette communauté dispose de beaucoup de ressources, tant humaines que financières. Certaines minorités francophones du Canada anglais gagneraient sans doute à imiter les Anglo-Québécois qui font preuve d'initiatives peu communes.
5.1 La contestation judiciaire
La première stratégie de la communauté anglophone a été de combattre la Charte de la langue française avec l'appui de la majorité anglaise du pays. C'est ainsi que toutes les dispositions majeures de la loi ont été invalidées par les tribunaux, particulièrement par la Cour suprême du Canada.
Cette stratégie de la confrontation a neutralisé quelque peu la majorité francophone en cassant les articles importants (législature, justice, affichage, etc.) de la législation québécoise.
5.2 La culpabilisation des francophones
La deuxième stratégie consiste à culpabiliser les francophones et à présenter les anglophones comme des victimes. Aiguillonnés par le quotidien montréalais The Gazette, le PSBGM (à ce moment-là: The Protestant School Board of Greater Montreal) et le groupe de pression Alliance Québec, certains anglophones de Montréal se comparent avec indignation aux pauvres Franco-Manitobains et Franco-Albertains à qui on n'interdit pas l'affichage en français. Le journal montréalais The Gazette na jamais manqué une seule occasion de dire aux anglophones et aux allophones, en s'appuyant sur des photos et citations savamment gonflées, que les francophones sont fermés et xénophobes et qu'il vaut mieux joindre les rangs de la communauté anglophone.
Cette tactique a connu beaucoup de succès auprès des immigrants et a ébranlé de nombreux francophones qui regrettent d'imposer ainsi le français aux autres. D'autres francophones, pour leur part, sont plutôt d'avis qu'il s'agit d'un moyen détourné qu'ont trouvé les anglophones pour perpétuer leur dominance perdue.
5.3 L'appui et le dénigrement du monde anglo-saxon
La troisième stratégie s'est également révélé fort utile: rechercher l'appui de l'opinion publique anglo-saxonne hors du Québec, avec comme voie de conséquence le dénigrement du Québec. Vu de l'extérieur du Québec, que ce soit au Canada anglais, aux États-Unis ou ailleurs dans le monde anglo-saxon, le Québec français apparaît comme une «société intolérante», «oppressive» et «inhospitalière», où s'agite une «importante minorité de fanatiques» désireux de «détruire les libertés personnelles et la démocratie». La presse américaine, alimentée exclusivement par les informations anglo-canadiennes de Toronto, présente les Anglo-Québécois comme une «minorité harcelée par l'Office de la langue française», «soumise à l'espionnage par la Commission de protection de la langue française», «réprimée dans ses libertés individuelles» et «privée de tout droit linguistique». Le puissant lobby de la majorité continentale crie facilement au «fascisme», au «nazisme» et au «racisme» devant le moindre geste destiné à protéger le français à Montréal. De fait, le rapprochement avec l’Allemagne nazie ou avec quelque régime fasciste et raciste est sans nul doute l’une des images les plus fréquemment utilisées au Canada anglais pour décrire la Charte de la langue française. Pour plusieurs, la Charte de la langue française est raciste non pas tellement en raison des dispositions sur l’affichage, mais principalement parce qu’elle fait en sorte qu’un droit à l’enseignement dans sa langue se transmette de génération en génération, bref, par le sang.
Certains médias américains alimentés par Toronto n’hésitent même pas à trafiquer l’information. Ainsi, en février 1998, le réseau américain CBS, dans son émission d’affaires publiques Sixty Minutes, a diffusé un reportage qui laissait croire qu’un francophone avait logé une plainte à l’Office de la langue française contre un perroquet unilingue anglais (lequel n’a jamais existé). Dans d’autres cas, ce sont les «SS de la Commission de protection de la langue française» qui emprisonnent «les pauvres anglophones» surpris à «parler anglais sur la rue» (?!?). Les campagnes de désinformation menées par la presse anglophone peuvent être tellement exagérées que les délégations du Québec aux États-Unis doivent parfois intervenir dans les journaux locaux pour rétablir les faits, mais l'image négative du Québec demeure auprès des lecteurs américains.
Ces propos du journaliste Jean Paré tirés de la revue L’Actualité illustrent bien la perception véhiculée par les Anglo-Québécois dans le reste du Canada:
Pour beaucoup de Canadiens, le Québec est une réserve ethnocentrique peuplée de racistes qui bouffent les anglophones ramassés la veille par les SS de la loi 101. Hostiles à l'étranger, fermés sur eux-mêmes, ils vivent aux crochets des autres provinces et n'ont d'économie et d'entreprises que subventionnées par des politiciens fédéraux vendus. Ils maltraitent les aborigènes et volent l'électricité des pauvres Terre-Neuviens... |
Cette perception fort négative et mensongère, presque loufoque, est probablement inévitable dans la mesure où, les médias de langue française en Amérique du Nord restant introuvables hors du Québec, les journalistes du monde entier, à l’exception de ceux de la France et de la Belgique wallonne, tirent l’essentiel de leurs informations uniquement dans les médias canadiens-anglais. Or, à l'exemple de nombreux pays composés d’une forte minorité linguistique, la majorité canadienne-anglaise se méfient généralement de sa minorité (francophone), surtout qu'elle est concentrée géographiquement (au Québec) et sait utiliser son rapport de force (au gouvernement fédéral). Il suffit de voir comment les Flamands de Bruxelles (10 %) sont dénigrés à Bruxelles où habitent 70 % de francophones et comment la perception est identique chez les Flamands à l’égard des Wallons; on pourrait parler aussi de la perception des Basques par les Espagnols, des Corses par les Français, des Albanais du Kosovo à l'époque où ils étaient opprimés par les Serbes, etc.
Fait à noter: les livres le plus lus par les Canadiens de langue anglaise sont ceux d'un écrivain anglo-québécois, Mordecai Richler (1931-2001), qui décrivait les francophones du Québec (cf. St. Urbain's Horseman, Solomon Gursky Was Here, Oh! Canada - Oh! Quebec, etc.) comme une société tribale, rétrograde, corrompue, antisémite, etc., mais avec de bons restaurants. Voici ce que l'écrivain disait du Québec dans un article («Inside/Outside») paru dans le prestigieux New Yorker américain:
Peu importe l'issue du référendum, si le Québec en tient un autre, le déclin de Montréal continuera. Les Anglo-Québécois — les jeunes bilingues en particulier — continueront à s'en aller parce qu'ils ne se sentent pas désirés. Et l'on peut entrevoir à l'horizon une séparation de facto, un Québec homogène de francophones qu'auront quittés les immigrants les mieux qualifiés, en route vers des sociétés plus tolérantes où l'on peut envoyer ses enfants à l'école de son choix. |
Voici un autre texte, tout aussi représentatif, rapporté par la journaliste canadienne-anglaise Barbara Frumm:
En dépit de ce qu'ils disent quand ils affirment que nous sommes tous des Québécois, ils ne sont pas vraiment sincères. C'est une société tribale… Je regrette profondément que nous soyons enfoncés dans le bourbier du tribalisme. Les Canadiens français sont devenus tellement révoltés que c'est à n'y rien comprendre puisqu'ils n'ont été que bien traités par le reste du Canada. [...] Nous nous laissons emporter par leur paranoïa. N'eût été du Canada anglais, qui a servi de tampon en laissant au Québec son Code civil et ses lois linguistiques, la province serait devenue depuis des années une autre Louisiane. Donc, le Canada anglais, en particulier ses élites, a embrassé la culture québécoise et a tout fait pour la mettre à l'abri. |
Ces courts textes semblent résumer assez bien le portrait que traçait l’écrivain Richler du Québec, c'est-à-dire une société tribale où l'on brime les droits individuels, où des «fanatiques xénophobes» patrouillent les rues pour dénoncer les coupables anglophones à la «police de la langue». Mordecai Richler en voulait aux Canadiens français de se croire martyrisés par les méchants Anglais et d'avoir tout fait pour en faire des «étrangers» dans une province qui leur appartenait après la Conquête. Il n'est pas surprenant que le célèbre écrivain anglo-québécois soit tant lu au Canada anglais et si décrié au Québec. Pour les Anglo-Canadiens, le départ de nombreux Anglo-Québécois et les lois linguistiques québécoises constituent un «véritable désastre national».
Bien sûr, on trouve des Anglo-Québécois et même des Anglo-Canadiens remplis de compréhension, de respect et d'amitié envers les Franco-Québécois. Ils sont malheureusement noyés dans une mer de préjugés!
Ainsi, dans un volume publié en 1988 (Quebec: Social and Political Crisis), les historiens Kenneth McRoberts et Dale Postgate affirmaient que «la loi 101 constitue [...] l'exemple le plus frappant de la modération des réformes péquistes». L’institut C.D. Howe de Toronto (un organisme indépendant et à but non lucratif spécialisé en matière de recherche sur la politique sociale et économique) déclarait en 1976:
La Charte de la langue française du Québec a été controversé mais nécessaire. [...] En général, les restrictions du projet de loi 101 sur l'emploi de l'anglais sont raisonnables si le Québec comme un tout, et Montréal en particulier, doit rester essentiellement francophone [...]. |
On pourrait dire qu’il s’agit là de la part d’anglophones de «foyers de dissidence», tant un tel point de vue semble rare. Au XIXe siècle, l’historien et homme politique français Alexis de Tocqueville faisait une mise en garde qui paraît aujourd’hui encore actuelle:
En résumé, écrivait-il à un ami, méfiez-vous de ce que les Anglais établis au Canada et les Américains des États-Unis vous disent de la population canadienne. Il ne la voient qu’à travers d’incroyables préjugés et ils perdront le gouvernement qui ne verra lui-même que par leurs yeux. (Cf. Tocqueville au Bas-Canada) |
Ce n’est pas pour rien que l’ex-premier ministre québécois, René Lévesque, dénonçait ainsi ce phénomène de désinformation dans Attendez que je me rappelle (1986):
Après notre élection, qui pour [certains anglophones] était déjà le monde à l’envers, la loi 101 vint les rendre enragés. Alimentée par les hystériques du Montréal anglais, la presse de Toronto avait perdu les pédales. D’une phrase à l’autre, on nous y voyait métamorphosés en «nabots risibles» et en inquiétants «fanatiques révolutionnaires» et puis, à l’usage des États-Unis, toujours hantés par l’ours communiste, en «Castro du Nord». Rien de plus pernicieux, justement, que cette facilité avec laquelle la communauté de langue anglaise permet à des officines torontoises de déformation des faits, remplissant de surcroît des commandes pour New York ou Chicago, de nous dénigrer à volonté et à l’échelle du continent. Ce qu’on sait moins, c’est que nombreux sont les Canadiens anglais que la carrière amène par là et qui, bien plus aisément que les Noirs blanchis, se transforment en impeccables yankees, tout en continuant à propager leurs préjugés anti-québécois. |
Il est quand même curieux que la plupart des journaliste non francophones, qui se prétendent pourtant objectifs, ne songent qu’à s’alimenter auprès de sources exclusivement anglophones, sans même penser que ces informations peuvent être parfois baisées. Pire, lorsque certains journalistes interrogent des sources francophones, ils finissent toujours par les supprimer au montage sous prétexte que ce point de vue est trop minoritaire.
Quoi qu’il en soit, ces campagnes de dénigrement à l’égard du Québec francophone constituent une tactique fort habile de la part des Anglo-Québécois pour forcer l'acquisition de nouveaux avantages.
5.4 L'élimination des «irritants» de la loi 101
Cette quatrième stratégie risque d'obtenir moins de succès: l'élimination des "irritants" de la Charte de la langue française. Certains leaders de la communauté anglophone exigent légalité entre le français et langlais, cest-à-dire que la langue anglaise soit reconnue comme lune des deux langues officielles du Québec, et la liberté de choix des écoles pour tous les parents, autrement dit étendre l'accès à l'école anglaise à tous les immigrants en provenance de pays anglophones ou autres et de remplacer ainsi la «clause Canada» par une «clause universelle». De plus, ils réclament aussi l'élimination de la clause dérogatoire de la Loi constitutionnelle de 1982.
Pour concrétiser ces demandes, il faudrait rien de moins que dabroger la Charte de la langue française et modifier la Loi constitutionnelle de 1982. En fait, les anglophones «purs et durs» se battent pour le retour à l'ancienne liberté, celle d'avant la loi 22 (Loi sur la langue officielle de 1974), autrement dit, celle «du renard dans le poulailler». Il est tout à fait improbable qu'un gouvernement québécois recule à ce point et abandonne ce qui reste, selon certains francophones, des «lambeaux» de la Charte de la langue française.
5.5 Le refus du statut de minoritaire
Tout compte fait, la stratégie fondamentale des leaders anglophones consiste à ne jamais se placer dans un contexte de minorité. Accepter le statut de minoritaire, c'est aussi accepter l'inégalité. C'est aussi accepter que les tribunaux canadiens se prononcent éventuellement sur ce qui constitue une minorité et sur la nature des services auxquels elle a droit. Dans un contexte de négociation constitutionnelle où le Québec exigerait des compensations, les tribunaux pourraient — hypothèse peu probable — décider d'ajuster le traitement de la minorité anglaise du Québec sur celui des minorités francophones ailleurs au pays. Voilà pourquoi il est carrément impensable qu'un anglophone puisse accepter de vivre en minoritaire au Canada, pas plus au Québec que dans le reste de l'Amérique du Nord.
Pour une bonne partie des anglophones, il n'existe qu'une seule solution à leur "problème": revenir aux dispositions antérieures à la loi 22 (Loi sur la langue officielle de 1994) et retrouver l'égalité perdue. L'objectif est de faire en sorte que tous les privilèges dont ils jouissent constituent des droits acquis qui feraient partie des libertés fondamentales garanties par la Charte des droits et libertés. C'est pourquoi une partie de la communauté anglophone doit s'assurer que rien ne changera dans sa situation au Québec.
5.6 Des réticences à la «solidarité québécoise»
Jamais la communauté anglo-québécoise n'a admis que la majorité francophone du Québec a été, dans le passé, dépouillée de tous ses droits de majoritaire avant l'arrivée des lois linguistiques. Les lois «réparatrices» n'ont jamais été acceptées par les anglophones avec le résultat que chacune d'elles (loi 22 et loi 101) a fini par réduire progressivement les privilèges dont jouissait cette communauté.
Il est regrettable que la communauté anglo-québécoise n'ait jamais manifesté une quelconque solidarité avec la majorité francophone dont la langue est pourtant sérieusement menacée. Au contraire, elle a tout fait pour casser la législation québécoise avec l'appui de la majorité anglaise du pays.
Beaucoup d'anglophones refusent d'admettre (même si certains le pensent) qu'ils jouissent de droits beaucoup plus étendus que ceux de tous les groupes minoritaires réunis au Canada. Jamais ils ne se sont montrés solidaires des minorités francophones dont le sort n'a rien de comparable à celui de leur communauté. En somme, on peut dire que les Anglo-Québécois ne semblent pas avoir développé une grande autocritique. Même les Russes de la Lituanie, de lEstonie et de la Lettonie se montrent plus réceptifs à leur majorité que les Anglo-Québécois, et ce, bien qu'ils acceptent difficilement, eux aussi, leur nouveau statut de minoritaires. La situation est certainement appelée à changer, mais en attendant il faut que les francophones vivent avec ce «handicap» ou apprennent à convaincre «leurs» anglophones.
C'est peut-être déjà commencé. Aujourd'hui, la plupart des Anglo-Québécois ont «honte» d'Alliance Québec, un peu comme certains francophones avec la Société Saint-Jean-Baptiste. Le groupe de pression Alliance Québec ne regroupe plus que les anglophones les plus irréductibles à la loi 101. On les appelle les «angryphones» et ils sont de plus en plus marginaux. Même le journal The Gazette prend ses distances avec Alliance Québec; la chroniqueure Sue Montgomery a écrit que ce groupe était composé d'une «poignée de has been hargneux». En décembre 2002, c'est presque dans l'indifférence totale que la communauté anglophone a accueilli le refus de la Cour suprême du Canada d'entendre l'appel des propriétaires d'une boutique tenue par des anglophones de la ville de Lac-Brôme, qui contestaient les dispositions de la Charte de la langue française concernant l'affichage. Lorsque le président d'Alliance Québec a menacé de s'adresser au Comité des droits de la personne des Nations unies, bon nombre d'anglophones ont été les premiers à lever les yeux au ciel ou à réprimer quelque bâillement.
Toutefois, Alliance Québec est écouté au Canada anglais et il projette encore l'image d'un Québec «frileux» qui malmène sa minorité anglophone. Le gouvernement du Canada, pour sa part, continue de bien traiter Alliance Québec qui reçoit le quart des 2,4 millions distribués par le fédéral à la vingtaine d'associations anglophones du Québec. Depuis 2003-2004, l'organisme anglophone a connu d'importants problèmes de gestion et a accumulé des dettes de plus de 200 000 $. Alliance Québec ne paie plus ses employés, la ligne téléphonique a été débranchée, les subventions fédérales ont été arrêtées. Le ministère fédéral du Patrimoine canadien exige que Alliance Québec fasse preuve de «bonne gouvernance» et de «stabilité». De plus, les dirigeants devront se donner une «nouvelle mission» parce qu'un groupe de défense ne signifie pas «poursuivre tout le monde devant les tribunaux».
Sur le plan stratégique, il ne paraît pas réaliste de favoriser le français et le bilinguisme généralisé en même temps en Amérique du Nord, de vouloir un Québec français sans en payer le prix et sans déranger personne, d'implanter le français avec l'accord des anglophones, de croire que l'état normal entre langues concurrentes, c'est l'harmonie. C'est une lourde tâche que de rallier tous les groupes linguistiques, de faire respecter la Charte de la langue française par les francophones et d'éliminer les «irritants» qui la rendront supportable tant aux anglophones qu'aux allophones, le tout fait avec réalisme, équité et tolérance!
Dans l'état actuel des choses, une partie de la communauté anglophone risque de s'enfoncer dans un cul-de-sac et de se mettre à dos la majorité francophone, creusant encore davantage le fossé entre les deux communautés. Ce faisant, les revendications des anglophones peuvent aussi accentuer leur mécontentement et leur désaffection au prix de ne jamais se sentir chez eux au Québec. Les solutions probables semblent être les suivantes: ou bien ils déménagent en Ontario, ou bien ils se marginalisent socialement, ou bien ils adhèrent au courant de la partition du Québec ou bien ils acceptent leur nouveau statut de minoritaires tout en conservant leur langue et leur culture. Il semble que ce soit cette dernière possibilité qui s'installe de plus en plus au Québec, car le discours d'assiégés du journal The Gazette et du regroupement Alliance Québec reflète de moins en moins les valeurs de la communauté anglo-québécoise.
Cela dit, bien que se proclamant
officiellement de l'unilinguisme territorial, le Québec accorde
des droits personnels étendus à sa minorité anglophone.
En regard de la loi, ces droits personnels correspondent au statut juridique
différencié, mais les faits démontrent que les droits
de la minorité équivalent ou surpassent souvent ceux accordés
par la solution dite de bilinguisme institutionnel: bilinguisme au Parlement
et dans les rédaction des lois, dualité et autonomie du système
d'enseignement de la maternelle à l'université, accès
en anglais aux services gouvernementaux, aux services sociaux, aux services
de santé, etc. Le statut juridique différencié ne
survit plus que dans l'affichage et la signalisation routière. Le
Québec a donc adopté la formule de la personnalité
pour les anglophones, et même les allophones et les autochtones,
mais a choisi l'unilinguisme territorial pour la majorité francophone.
Le Québec | |||
Informations préliminaires |
La question démographique |
Le défi de l'immigration |
La politique linguistique du Québec et la Charte de la langue française |
Les modifications à la Charte de la langue française: les lois 178, 86, 40, 171 et 104 |
Les droits linguistiques de la minorité anglophone |
Les droits linguistiques des autochtones |
Conclusion |