La langue des traités en diplomatie internationale

Mémoire des Français du 20 juin 1682 présenté au directoire de Mayence

La question était de savoir si, en diplomatie, il était préférable d'utiliser une langue commune ou la langue nationale de chacun. Le point de vue de la France était le suivant : tout État est libre de se servir de sa langue naturelle pour ses écrits particuliers. Quant aux traités et autres actes communs où toutes les parties doivent signer, il est raisonnable entre égaux de convenir d'une langue commune ou de faire plusieurs originaux. Cette langue commune, c'était en général le latin.

Il n'y a point de prince dans l'Europe qui ayt droit d'imposer aux autres la necessité de se servir d'une certaine langue dans les conférences et assemblées qui se font entre souverains, comme celle de Francfort, ny en aucune autre occasion, chacun est libre de se servir de sa langue naturelle pour ses ecrits particuliers, et il est si vray que les treize cantons suisses ecrivent toujours en leur langue au Roy, et que Sa Majesté reçoit leurs lettres sans dificulté et y fait reponse.

Pour les traittez et autres actes communs, ou toutes les parties doivent signer, il est raisonnable entr'egaux de convenir pour cela d'une langue commune, ou de faire plusieurs originaux (comme il se pratique entre la France et l'Espagne, il s'en fait un en François et l'autre en espagnol). L'Empereur et l'Empire se servent de deux langues; de l'allemand entre eux pour toutes leurs affaires, et de la latine avec tous les etrangers, ils appellent cette langue le stile de l'Empire, et pretendant qu'ils sont aux droits de l'Empire romain, ils voudroient obliger tous les autres princes et estats de ne se servir avec eux que de cette langue, ils nomment aussi leur Empire Germanique, le Saint Empire romain, et leur Empereur Auguste et Majesté Cezarée; mais comme ils n'en ont pas la puissance ny la grandeur avecq ces beaus noms, on peut se dispenser d'avoir trop peu d'egard pour cette pretension.

Le Roy est en possession d'écrire en françois a l'Empereur et a l'Empire, a tous les princes d'Allemagne et aux Roys du Nord et de Pologne, et d'en recevoir reponse en latin. Les ambassadeurs de Sa Majesté sont aussi en possession de ne donner qu'en françois leurs ecrits particuliers, et les ambassadeurs de l'Empereur les ont toujours receus clans l'assemblée de Nimégue et méme dans celle-cy, et y ont touiours fait réponse en latin jusques a présent.

Ils n'ont assurement aucune bonne raison pour obliger aujourd'huy l'ambassade de France de changer de stile a Francfort et d'y donner a l'avenir ses ecrits particuliers pour l'Empire en latin, ils n'osent pas alleguer contre nous (comme ils font souvent contre les Italiens) leur pretendu droit de l'Empire romain, et ils alleguent seulement que c'est le stile de l'Empire, et l'usage de leurs dietes. Mais si c'est le stile de l'Empire de faire cette sorte d'écrits en latin, l'usage de la France est de les faire en françois.

Et pour ce qui est de l'usage de leurs dietes, comme elles se font uniquement pour les affaires du dedans de l'Empire, qu'elles ne regardent en aucune façon les etrangers, et qu'on n'y a jamais veu de ministres de France du premier ordre, ni d'aucun autre royaume, quelque puisse estre ce pretendu usage, il ne peut jamais estre tiré a consequence pour les assemblées de la nature de celle de Francfort.
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Source:
BRUNOT, Ferdinand. «Les débuts du français dans la diplomatie» dans Revue de Paris, Paris, 15 décembre 1913, p. 699-728.

 

Dernière mise à jour: 15 déc. 2015

 

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