Lettres des Américains aux Canadiens

1774 - 1774 -1776

Lettre adressée aux habitants de la province de Québec, 26 octobre, 1774
Lettre adressée aux habitants opprimés de la province de Québec, 29 mai, 1775
Lettre aux habitants de la province du Canada, 24 janvier, 1776

Lettre adressée aux habitants
de la province de Québec
,
ci-devant le Canada

De la part du Congrès général
de l’Amérique septentrionale, tenu à Philadelphie

John Dickinson

26 octobre 1774

Traduction française de Pierre Eugène du Simitière
 

AUX HABITANTS DE LA PROVINCE DE QUÉBEC.

Nos amis et concitoyens,

NOUS, les délégués des colonies du Nouveau-Hampshire, de Massachusetts-Bay, de Rhode-Island et des Plantations de Providence, de Connecticut, de la Nouvelle-York, du Nouveau-Jersey, de la Pennsylvanie, des comtés de Newcastle, Kent et Sussex sur le fleuve Delaware, du Maryland, de la Virginie et des Carolines septentrionale et méridionale, ayant été députés par les habitants des dites colonies pour les représenter dans un Congrès général à Philadelphie, dans la province de Pennsylvanie, et pour consulter ensemble sur les meilleurs moyens de nous procurer la délivrance de nos oppressions accablantes; nous étant en conséquence assemblés et ayant considéré très sérieusement l’état des affaires publiques de ce continent, nous avons jugé à propos de nous adresser à votre province comme à une de ses parties qui est des plus intéressée.

LORSQU’après une résistance courageuse et glorieuse le sort des armes vous eut incorporé au nombre des sujets anglais, nous nous réjouîmes autant pour vous que pour nous d’un accroissement si véritablement précieux; et comme la bravoure et la grandeur d’âme sont jointes naturellement, nous nous attendions que nos courageux ennemis deviendraient nos amis sincères, et que l’Être suprême répandrait sur vous les dons de la providence divine en assurant pour vous et pour votre postérité la plus reculée les avantages sans prix de la libre institution du gouvernement anglais, qui est le privilège dont tous les sujets anglais doivent jouir.

CES espérances furent confirmées par la déclaration du roi donnée en 1763, engageant la loi publique pour votre jouissance complète de ces avantages.

À peine aurions-nous pu alors nous imaginer que quelques ministres futurs abuseraient avec tant d’audace et de méchanceté de l’autorité royale, que de vous priver de la jouissance de ces droits irrévocables auxquels vous aviez si juste titre.

MAIS puisque nous avons vécu pour voir le temps imprévu, quand des ministres d’une disposition corrompue ont osé violer les pactes et les engagements les plus sacrés, et comme vous aviez été élevés sous une autre forme de gouvernement, on a soigneusement éviter que vous fissiez la découverte de la valeur inexprimable de cette forme à laquelle vous avez à présent un droit si légitime; nous croyons qu’il est de notre devoir de vous expliquer quelques-unes de ses parties les plus intéressantes, pour les raisons pressantes mentionnées ci-après.

« Dans toute société humaine, » dit le célèbre Marquis Beccaria, « Il y a une force qui tend continuellement à conférer à une partie le haut du pouvoir et du bonheur, et à réduire l’autre au dernier degré de faiblesse et de misère. L’intention des bonnes lois est de s’opposer à cette force, et de répandre leur influence également et universellement. »

DES chefs incités par cette force pernicieuse, et des sujets animés par le juste désir de lui opposer de bonnes lois, ont occasionné cette immense diversité d’évènements dont les histoires de tant de nations sont remplies. Toutes ces histoires démontrent la vérité de cette simple position, que d’exister au gré d’un seul homme, ou de quelques-uns, est une source de misère pour tous.

CE fût sur ce principe comme sur un fondement solide que les Anglais élevèrent si fermement l’édifice de leur gouvernement qu’il a résisté au temps, à la tyrannie, à la tradition, et aux guerres intestines et étrangères, pendant plusieurs siècles. Et comme un auteur illustre et un de vos compatriotes1 cité ci-après, observe, « Ils donnèrent au peuple de leurs colonies la forme de leur gouvernement propre : et ce gouvernement portant avec lui la prospérité, on a vu former de grands peuples dans les forêts même qu’ils furent envoyés habiter. »

DANS cette forme le premier et le principal droit, est, que le peuple a part dans son gouvernement par ses représentants choisis par lui-même, et est par conséquent gouverné par des lois de son approbation, et non par les édits de ceux sur lesquels il n’a aucun pouvoir. Ceci est un rempart qui entoure et défend sa propriété, qu’il s’est acquise par son travail et une honnête industrie; en sorte qu’il ne peut être privé de la moindre partie que de son libre et plein consentement, lorsque suivant son jugement il croit qu’il est juste et nécessaire de la donner pour des usages publics, et alors il indique précisément le moyen le plus facile, le plus économe et le plus égal de percevoir cette partie de sa propriété.

L’INFLUENCE de ce droit s’étend encore plus loin. Si des chefs qui ont opprimé le peuple ont besoin de subsides, le peuple peut les leur refuser jusqu’à ce que leurs griefs soient réparés, et se procurer paisiblement, de cette manière, du soulagement sans avoir recours à présenter des requêtes souvent méprisées, et sans troubler la tranquillité publique.

LE second droit essentiel consiste, être jugé par une jurée. On pourvoit par là qu’un citoyen ne peut perdre la vie, la liberté ou les biens, qu’au préalable sentence n’ait été rendue contre lui par douze de ses égaux et compatriotes de mœurs irréprochables, sous serment, pris dans son voisinage, qui par cela même on doit raisonnablement supposer devoir être informé de son caractère et de celui des témoins, et cela après des enquêtes suffisantes face à face, à huis ouvert, dans la cour de justice, devant tous ceux qui voudront se trouver présent et après un jugement équitable. De plus cette sentence ne peut lui être préjudiciable, sans justifier en même temps la réputation et même les intérêts des jurés qui l’ont prononcée.

CAR le cas en question peut-être sur de certains points qui ont rapport au bien public; mais s’il en était autrement, leur sentence devient un exemple qui peut servir contre eux-mêmes s’ils venaient à avoir un semblable procès.

UN autre droit se rapporte simplement à la liberté personnelle. Si un citoyen est saisi et mis en prison, quoique par ordre du gouvernement, il peut néanmoins en vertu de ce droit, obtenir immédiatement d’un juge un ordre que l’on nomme habeas-corpus, qu’il est obligé sous serment d'accorder, et se procurer promptement par ce moyen une enquête et réparation d’une détention illégitime.

UN quatrième droit consiste dans la possession des terres en vertu de légères rentes foncières, et non par des corvées rigoureuses et opprimantes qui forcent souvent le possesseur à quitter la famille et ses occupations pour faire ce qui dans tous état bien réglé devrait être l’ouvrage de gens loués exprès pour cet effet.

LE dernier droit dont nous ferons mention regarde la liberté de presse. Son importance outre les progrès de la vérité, de la morale et des arts en général, consiste encore à répandre des sentiments généreux sur l’administration du gouvernement, à servir aux citoyens à se communiquer promptement et réciproquement leurs idées, et conséquemment contribue à l’avancement d’une union entre eux, par laquelle des supérieurs tyranniques sont induits, par des motifs de honte ou de crainte, à se comporter plus honorablement et par des voies plus équitables dans l’administration des affaires.

CE sont là ces droits inestimables qui forment une partie considérable du système modéré de notre gouvernement, laquelle en répandant la force équitable sur tous les différent rangs et classes de citoyens, défend le pauvre du riche, le faible du puissant, l’industrieux de l’avide, le paisible du violent, les vassaux des seigneurs, et tous de leurs supérieurs.

CE sont là ces droits sans lesquels une nation ne peut pas être libre et heureuse, et c’est sous la protection et l’encouragement que procure leur influence que ces colonies ont jusqu’à présent flori et augmenté si étonnément. Ce sont ces mêmes droits qu’un ministère abandonné tâche actuellement de nous ravir à main armée, et que nous sommes tous d’un commun accord résolus de ne perdre qu’avec la vie. Tels sont enfin ces droits qui vous appartiennent, et que vous devriez dans ce moment exercer dans toute leur étendue.

MAIS que vous offre-t-on à leur place par le dernier acte du parlement? La liberté de conscience pour votre religion : Non, Dieu vous l’avait donnée, et les puissances temporelles avec lesquelles vous étiez et êtes à présent en liaison, ont fortement stipulé que vous en eussiez la pleine jouissance : si les lois divines et humaines pouvaient garantir cette liberté des caprices despotiques des méchants, elle l’était déjà auparavant. À-t-on rétabli les lois françaises dans les affaires civiles? Cela paraît ainsi, mais faites attention à la faveur circonspecte des ministres qui prétendent devenir vos bienfaiteurs; les paroles du statut sont, « que l’on se réglera sur ces lois jusqu’à ce qu’elles aient été modifiées ou changées par quelques ordonnances du gouverneur et du conseil ».

Est-ce que l’on vous assure pour vous et votre postérité, la certitude et la douceur de la loi criminelle d’Angleterre avec toutes ses utilités et avantages, laquelle on loue dans ledit statut, et que l’on reconnaît que vous avez éprouvé très-sensiblement? Non, ces lois sont sujettes aux « changements » arbitraires du gouverneur et du conseil, et on se réserve en outre très-expressément le pouvoir d’ériger « telles cours de judicature criminelle, civile et ecclésiastique que l’on jugera nécessaires. »

C’EST de ces conditions si précaires que votre vie et votre religion dépendent seulement de la volonté d’un seul. La couronne et les ministres ont le pouvoir autant qu’il a été possible au parlement de le concéder, d’introduire le tribunal de l’Inquisition même au milieu de vous.

AVEZ-VOUS une assemblée composée d’honnêtes gens de votre propre choix sur lesquels vous puissiez vous reposer pour former vos lois, veiller à votre bien-être, et ordonner de quelle manière et en quelle proportion vous devez contribuer de vos biens pour les usages publics? Non, c’est du gouverneur et du conseil que doivent émaner vos lois, et ils ne sont eux-mêmes que les créatures du ministre, qu’il peut déplacer selon son bon plaisir. En outre, un autre nouveau statut formé sans votre participation vous assujettis à toute la rigueur d’un impôt sur les denrées que l’on nomme excise, impôt détesté dans tous les États libres. En vous arrachant ainsi de vos biens par la plus odieuse de toute les taxes, vous êtes encore exposés à voir votre repos et celui de vos familles troublés par des collecteurs insolents, pénétrant à chaque instant jusque dans l’intérieur de vos maisons, qui se font nommées les forteresses des citoyens anglais dans les livres qui traitent de leurs lois.

DANS ce même statut qui change votre gouvernement, et qui paraît calculé pour vous flatter, vous n’êtes point autorisés « à vous cotiser pour lever et disposer d’aucun impôt ou taxe, à moins que ce soit dans des cas de peu de conséquence, tels que de faire des grands chemins, de bâtir ou de réparer des édifices publics ou pour quelqu’autres convenances locales dans l’enceinte de vos villes et districts. » Pourquoi cette distinction humiliante? Est-ce que les biens que les Canadiens se sont acquis par une honnête industrie ne doivent pas être aussi sacrés que ceux des Anglais? L’entendement des Canadiens serait-il si borné qu’ils fussent hors d’état de participer à d’autres affaires publiques qu’à celle de rassembler des pierres dans un endroit pour les entasser dans un autre? Peuple infortuné qui est non-seulement lésé, mais encore outragé. Ce qu’il y a de plus fort, c'est que suivant les avis que nous avons reçus, un ministère arrogant a conçu une idée si méprisante de votre jugement et de vos sentiments, qu’il a osé penser, et s’est même persuadé que par un retour de gratitude pour les injures et outrages qu’il vous a récemment offert, il vous engagerait, vous, nos dignes concitoyens, à prendre les armes pour devenir des instruments en ses mains, pour l’aider à nous ravir cette liberté dont sa perfidie vous a privée, ce qui vous rendrait ridicules et détestables à tout l’univers.

LE résultat inévitable d’une telle entreprise, supposé qu’elle réussît, ferait l’anéantissement total des espérances que vous pourriez avoir, que vous ou votre postérité fussent jamais rétablis dans votre liberté : car à moins que d’être entièrement privé du sens commun, il n’est pas possible de s’imaginer qu’après que vous auriez été employés dans un service si honteux ils vous traitassent avec moins de rigueur que nous qui tenons à eux par les liens du sang.

QU’AURAIT dit votre compatriote l'immortel Montesquieu, au sujet du plan de gouvernement que l’ont vient de former pour vous? Écoutez ses paroles avec cette attention recueillie que requiert l’importance du sujet. « Dans un État libre,2 tout homme qui est sensé avoir une âme libre, doit être gouverné par lui-même, il faudrait que le peuple en corps eût la puissance législative; mais comme cela est impossibles dans les grands États, et est sujet à beaucoup d’inconvénients dans les petits, il faut que le peuple fasse, par les représentants, tout ce qu’il ne peut faire par lui-même. » — « La liberté politique dans un citoyen est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté; et pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen. Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fassent des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement. »

« LA puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais exercées par des personnes tirées du corps du peuple dans certains temps de l’année, de la manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu’autant que la nécessité le requiert. »

« LES militaires son d’une profession qui peut-être utile, mais devient souvent dangereuse. » « La jouissance de la liberté consiste en ce qu’il soit permis à chacun de déclarer sa pensée et de découvrir ses sentiments. »

APPLIQUEZ à votre situation présente ces maximes décisives, qui ont la sanction de l’autorité d’un nom que toute l’Europe révère. On pourrait avancer que vous avez un gouverneur revêtu de la puissance exécutrice ou des pouvoirs de l’administration; C’est en lui et en son conseil qu’est placée la puissance législative : vous avez des juges qui doivent décider dans tous les cas où votre vie, votre liberté ou vos biens sont en danger, et effectivement, il semble qu’il se trouve ici une distribution et répartition de diverses puissances en des mains différentes l’une l’autre, ce qui est l’unique méthode que l’esprit humain ait jamais imaginée pour contribuer à l’accroissement de la liberté et de la prospérité des hommes.

MAIS vous servant de cette sagacité si naturelle aux Français, et dédaignant d’être déçus par le faux brillant de cet extérieur, examinez la plausibilité de ce plan, et vous trouverez (pour me servir des paroles de la Sainte Écriture) que ce n’est qu’un « sépulcre blanchi, » pour ensevelir votre liberté et vos biens avec votre vie.

VOS juges et votre (soi-disant) Conseil législatif dépendent de votre gouverneur, et lui-même dépend des serviteurs de la couronne, en Angleterre. Le moindre signe du ministre fait agir ces puissances législative, exécutrice et celle de juger. Vos privilèges et vos immunités n’existent qu’autant que dure sa faveur, et son courroux fait évanouir leur forme chancelante.

LA perfidie a été employée avec tant d’artifice dans le Code de lois que l’on vous a récemment offert, que quoique le commencement de chaque paragraphe paraisse être plein de bienveillance, il se termine cependant d’une manière destructive; et lorsque le tout est dépouillé des expressions flatteuses qui le décorent, il ne contient autre chose sinon, que la couronne et ses ministres seront aussi absolus dans toute l’étendue de votre province, que le sont actuellement les despotes de l’Asie et de l’Afrique. Qui protégera vos biens contre des édits d’impôts et contre les rapines de supérieurs durs et nécessiteux? Qui défendra vos personnes des lettres de cachets, des prisons, des cachots et des corvées fatigantes, votre liberté et votre vie contre des chefs arbitraires et insensibles? Vous ne pouvez, en jetant vos yeux de tous côtés, apercevoir une seule circonstance qui puisse vous promettre d’aucune façon, le moindre espoir de liberté pour vous et votre postérité, si vous n’adoptez entièrement le projet d’entrer en union avec nos colonies.

QUEL serait le conseil que vous donnerait cet homme si véritablement grand, cet avocat pour la liberté et l’humanité, que nous venons de citer, fut-il encore vivant et sût que nous vos voisins puissants et nombreux, inspirés d’un juste amour pour nos droits envahis et unis par les liens indissolubles de l’affection et de l’intérêt, vous auraient invités au nom de tout ce que vous devez à vous-même et à vos enfants (comme nous le faisons à présent) de vous unir à nous dans une cause si juste, pour n’en faire qu’une entre nous, et courir la même fortune pour nous délivrer d’une subjection humiliante sous des gouverneurs, intendants et tyrans militaires, et qui ont appris de leurs ancêtres à faire trembler ceux qui osent seulement penser à les rendre malheureux.

NE serait-ce pas par un discours semblable qu’il s’adresserait à vous? Et dirait, « saisissez l’occasion que la Providence elle-même vous offre, votre conquête vous a acquis la liberté si vous vous comportez comme vous devez, cet événement est son ouvrage : Vous n’êtes qu’un très-petit nombre en comparaison de ceux qui vous invitent à bras ouverts de vous joindre à eux; un instant de réflexion doit vous convaincre qu’il convient mieux à vos intérêts et à votre bonheur, de vous procurer l’amitié constante des peuples de l’Amérique septentrionale, que de les rendre vos implacables ennemis. Les outrages que souffre la ville de Boston, ont alarmés et unis ensemble toutes les colonies, depuis la Nouvelle-Écosse jusqu’à la Géorgie, votre province est le seul anneau qui manque pour compléter la chaîne forte et éclatante de leur union. Votre pays est naturellement joint au leur, joignez-vous aussi dans vos intérêts politiques; leur propre bien-être permettra jamais qu’ils vous abandonnent ou qu’ils vous trahissent : Soyez persuadez que le bonheur d’un peuple dépend absolument de sa liberté et de son courage pour la maintenir. La valeur et l’étendue des avantages que l’on vous offre est immense; Daigne le Ciel ne pas permettre que vous ne reconnaissiez ces avantages pour le plus grand bien que vous pourriez posséder, qu’après qu’ils vous auront abandonnés à jamais. »

NOUS connaissons trop bien la noblesse de sentiment qui distingue votre nation, pour supposer que vous fussiez retenus de former des liaisons d’amitié avec nous par les préjugés que la diversité de religion pourrait faire naître. Vous savez que la liberté est d’une nature si excellente qu’elle rend, ceux qui s’attachent à elle, supérieurs à toutes ces petites faiblesses. Vous avez une preuve bien convaincante de cette vérité dans l’exemple des cantons suisses, lesquels quoique composés d’États catholiques et protestants, ne laissent pas cependant de vivre ensemble en paix et en bonne intelligence, ce qui les amis en état depuis qu’ils se sont vaillamment acquis leur liberté, de braver et de repousser tous les tyrans qui on osé les envahir.

S’IL se trouvait quelques uns parmi vous (comme cela est assez fréquent dans tous les états) qui préféreraient la faveur du ministre et leurs intérêts particuliers au bien-être de leur patrie, leurs inclinations intéressées les porteront à s’opposer fortement à toutes les mesures tendantes au bien public, dans l’espérance que leurs supérieurs les récompenseront amplement pour leurs services honteux et indignes : mais nous ne doutons pas que vous ne serez en garde contre de telles gens, et nous espérons que vous ne ferez point un sacrifice de la liberté et du bonheur de tous les Canadiens, pour gratifier l’avarice et l’ambition de quelques particuliers.

NOUS ne requérons pas de vous dans cette adresse d’en venir à des voies de fait contre le gouvernement de notre souverain, nous vous engageons seulement à consulter votre gloire et votre bien-être, et à ne pas souffrir que des ministres infâmes vous persuadent et vous intimident jusqu’au point de devenir les instruments de leur cruauté et de leur despotisme. Nous vous engageons aussi à vous unir à nous par un pacte social, fondé sur le principe libéral égal, et entretenu par une suite de bons offices réciproques, qui puissent le rendre perpétuel. A dessein d’effectuer une union si désirable, nous vous prions de considérer s’il ne serait pas convenable que vous vous assembliez chacun dans vos villes et districts respectifs, pour élire des députés de chaque endroit qui formeraient un Congrès provincial, duquel vous pourriez choisir des délégués pour être envoyés, comme les représentant de votre province, au Congrès général de ce continent qui doit ouvrir ses séances à Philadelphie, le 10 de mai 1775.

DANS le présent congrès qui a commencé le 5 du mois passé, et a continué jusqu’à ce jour, il a été résolu unanimement et avec une satisfaction universelle, que nous regarderions la violation de vos droits, opérée par l’acte pour changer le gouvernement de votre province, comme une violation des nôtres propres, et que nous vous inviterions à entrer dans notre confédération, laquelle n’a d’autres objets en vue que la parfaite assurance des droits civils et naturels de tous les membres qui la composent, et la préservation d’une liaison heureuse et permanente avec la Grande-Bretagne, fondée sur les principes fondamentaux et salutaires que nous avons expliqués ci-devant. C’est pour parvenir à ces fins que nous avons fait présenter au roi, une requête humble et loyale, le suppliant de vouloir bien nous délivrer de nos oppressions. Nous avons aussi formé un accord, par lequel nous suspendrons l’importation de toutes sortes de marchandises de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, après le premier de décembre prochain. Comme aussi nous nous engageons à ne rien transporter de chez nous dans ces royaumes ou aux îles de l’Amérique, après le dixième de septembre prochain, si nous n’avons pas encore obtenu, dans ce temps là, la réparation de nos griefs.

QUE le Tout-Puissant daigne vous porter d’inclination à approuver nos démarches justes et nécessaires, et à vous joindre à nous, et que lorsque l’on vous offrira quelques injures que vous serez résolus de ne point souffrir, à ne pas faire dépendre votre sort du peu d’influence que pourrait avoir votre seule province, mais des puissances réunies de l’Amérique septentrionale; et qu’il veuille accorder à nos travaux unis, un succès aussi heureux que notre cause est juste, est la fervente prière de nous, vos sincères et affectionnés amis et concitoyens.

Par ordre du Congrès,

26 octobre 1774.

HENRY MIDDLETON, Président.

 

Lettre adressée aux habitants
opprimés de la province de Québec


De la part du Congrès général
de l’Amérique septentrionale, tenu à Philadelphie

John Jay

29 mai 1775

Traduction française de Pierre Eugène du Simitière
 

AUX HABITANTS OPPRIMÉS DE LA PROVINCE DE QUÉBEC.

Nos amis et compatriotes,

LES desseins formés par un ministre arbitraire pour extirper la liberté et les droits de toute l'Amérique, nous ayant alarmés; un pressentiment du danger commun se joignant aux mouvements de l'humanité, fit que nous vous engageâmes par notre précédente adresse à prêter votre attention à ce sujet de la dernière importance.

DEPUIS la conclusion de la dernière guerre, nous vous avons considérés avec satisfaction comme sujets du même prince que nous: et depuis le commencement du plan actuellement en exécution pour subjuguer ce continent, nous n'avons vu en vous que nos compagnons de souffrance. — La divine bonté d'un Créateur indulgent nous ayant donné à tous un droit à la liberté, et étant tous également voués à une ruine commune par les cruels édits d'une administration despotique, il nous a paru que le sort des colonies protestantes et catholiques était étroitement lié ensemble et conséquemment nous vous invitâmes à vous unir avec nous dans la résolution d'être libres et à rejeter avec dédain les fers de l'esclavage, malgré l'artifice qu'on aurait employé pour les polir.

NOUS devons nous affliger sincèrement avec vous de ce que le jour est arrivé, pendant lequel le soleil ne peut éclairer de ses rayons un seul homme libre dans toute l'étendue de votre pays: Soyez assurés que votre dégradation si peu méritée a émue de la pitié la plus sincère toutes vos sœurs les colonies, et nous nous flattons que vous ne souffrirez jamais (en vous soumettant lâchement au joug que l'on veut vous imposer) que cette pitié soit supplantée par le mépris.

LORSQUE l'on forme des attentats audacieux pour dépouiller les hommes de ces droits qui leur ont été départis par l'Être suprême, lorsque pour donner entrée au despotisme on fraye des routes au travers des pactes les plus solennels, lorsque la foi que le gouvernement a engagée cesse de donner de l'assurance à des sujets fidèles et obéissants, et enfin lorsque les manœuvres et les stratagèmes insidieux de la paix deviennent plus terribles que les opérations les plus sanglantes de la guerre. C'est alors pour eux le temps de maintenir ces droits et de s'opposer avec une indignation vertueuse au torrent de l'oppression qui vient se précipiter sur eux.

PAR l'introduction de la forme actuelle de votre gouvernement ou plutôt la forme actuelle de tyrannie, vous, vos femmes et vos enfants sont faits esclaves — vous ne possédez rien que vous puissiez dire vous appartenir et chaque fois qu'un gouverneur avare ou un conseil rapace seront portés à les demander on peut vous ravir tous les fruits de vos labeurs et de votre industrie. Vous êtes sujets par ces édits à être transportés en pays étrangers pour livrer des batailles dans lesquelles vous n'avez aucun intérêt et répandre votre sang dans des combats desquels vous ne pouvez retirer ni honneur ni profit. La jouissance même de votre religion, suivant le présent système, dépend d'un corps législatif auquel vous n'avez aucune part, et sur lequel vous n'avez point d'autorité, et vos prêtres sont exposés à être chassés, bannis, et ruinés, chaque fois que leurs richesses et leurs possessions en fournira une tentation suffisante: ils ne peuvent pas s'assurer qu'il y aura toujours un prince vertueux sur le trône et si jamais un souverain méchant et négligeant concourrait avec un ministère abandonné à vous dépouiller des richesses et des forces de votre pays, il est impossible de concevoir jusqu'à quelle extrémité et quelle diversité de misère vous pourriez être réduits sous la forme de votre établissement actuel.

NOUS sommes informés qu'on vous a déjà requis de prodiguer vos vies dans un démêlé avec nous: Si vous vous soumettiez à votre nouvel établissement en acquiesçant à cette demande et qu'une guerre s'alluma contre la France, vos biens et vos fils pourraient être envoyés pour périr dans des expéditions contre les possessions de cette nation dans les îles de l'Amérique.

IL n'est pas à présumer que ces considérations ne seront d'aucun poids auprès de vous, ou que vous soyez si fort dénués de toute sentiment d'honneur — nous ne croirons jamais que la présente race de Canadiens aurait si for dégénéré qu'elle ne posséderait plus l'ardeur, le courage et la valeur, de leurs ancêtres; certainement vous ne permettrez pas que l'infamie et la disgrâce d'une pusillanimité pareille rejaillit sur vos têtes et que les conséquences qui s'en suivraient retombassent pour toujours sur celle de vos enfants.

QUANT à nous nous sommes déterminés à vivre libres ou à mourir, et nous sommes résolus que la postérité n'aura jamais à nous reprocher d'avoir mis au monde une race d'esclaves.

PERMETTEZ que nous vous répétions encore une fois que nous sommes vos amis et non vous ennemis, et ne vous laissez point en imposer par ceux qui peuvent tâcher de faire naître des animosités entre nous — quant à la prise du fort et des ammunitions de Ticonderoga, de même que celle du fort de la pointe à la Chevelure, et des bâtiments armés sur le lac; elle a été dictée par cette grande loi, notre conservation propre, ces forts étaient destinés à nous nuire et à interrompre cette correspondance amicale et cette communication qui a subsisté jusqu'à présent entre votre colonie et les nôtres, nous souhaitons que cette affaire ne nous aye causé aucune inquiétude et vous pouvez faire fonds sur les assurances que nous vous donnons que ces colonies ne poursuivrons aucune mesures quelconques que celles qui seront dictées par l'amitié et une attention pour notre sûreté et notre intérêt réciproque.

COMME l'intérêt que nous prenons à votre prospérité nous donne un titre à votre amitié, nous présumons que vous ne voudriez point en nous faisant injure nous réduire à la triste nécessité de vous traiter en ennemis.

Nous conservons encore quelque espérance que vous vous joindrez à nous pour la défense de notre liberté mutuelle et il y a encore raison de croire que, si nous nous joignons pour implorer l'attention de notre souverain aux oppressions inouïes et injustes de ses sujets américains, il sera enfin détrompé et défendra à un ministère licencieux de continuer d'exercer désormais les violences sur les ruines du genre humain.

Par ordre du Congrès,
JEAN HANCOCK, Président.

Philadelphie, le 29me mai, 1775.

 


 

Comité composé de William Livingston, Thomas Lynch Jr., James Wilson

24 janvier 1776
 

AUX HABITANTS DE LA PROVINCE DU CANADA.

Amis et compatriotes;

NOTRE précédente adresse vous a démontré nos droits, nos griefs et les moyens que nous avons en notre pouvoir, et dont nous sommes autorisés par les CONSTITUTIONS BRITANNIQUES, à faire usage pour maintenir les uns, et obtenir justice des autres.

NOUS vous avons aussi expliqué, que votre liberté, votre honneur et votre bonheur, sont essentiellement et nécessairement liés à l'affaire malheureuse que nous avons été forcé d'entreprendre, pour le soutien de nos privilèges.

NOUS voyons avec joie, combien vous avez été touchés, par les remontrances justes et équitables de vos amis et compatriotes, qui n'ont d'autres vues que celles de fortifier et d'établir la cause de la liberté: les services que vous avez déjà rendus à cette cause commune, méritent notre reconnaissance; et nous sentons l'obligation où nous sommes, de vous rendre le réciproque.

LES meilleures causes sont sujettes aux événements, les contretemps sont inévitables, tel es le sort de l'humanité; mais les âmes généreuses, qui sont éclairées et échauffées par le feu sacré de la liberté, ne seront pas découragées par de tels échecs, et surmonteront tous les obstacles qui pourront se trouver entr'eux et l'objet précieux de leurs vœux.

NOUS ne vous laisserons pas exposé à la fureur de vos ennemis et des nôtres; deux bataillons ont reçu ordre de marcher au Canada, dont une partie est déjà en route; on lève six autres bataillons dans les colonies unies pour le même service, qui partiront pour votre province aussitôt qu'il sera possible; et probablement ils arriveront en Canada, avant que les troupes du ministère, sou le général Carleton, puissent recevoir des secours: en outre, nous avons fait expédier les ordres nécessaires pour faire lever deux bataillons chez vous. Votre assistance pour le soutien et la conservation de la liberté amériquaine, nous causera la plus grande satisfaction; et nous nous flattons que vous saisirez avez zèle et empressement à l'instant favorable de coopérer au succès d'une entreprise aussi glorieuse. Si des forces plus considérables sont requises, elles vous seront envoyées.

À présent, vous devez être convaincus, que rien n'est plus propre à assurer nos intérêts et nos libertés, que de prendre des mesures efficaces, pour combiner nos forces mutuelles, afin que par cette réunion de secours et de conseils, nous puissions éviter les efforts et l'artifice d'un ennemi qui cherche à nous affaiblir en nous divisant; pour cet effet, nous vous conseillons et vous exhortons, d'établir chez vous des associations en vos différentes paroisses, de la même nature que celles qui ont été si salutaires aux colonies unies; d'élire des députés pour former une Assemblée provinciale chez vous, et que cette assemblée nomme des délégués, pour vous représenter en ce Congrès.

NOUS nous flattons de toucher à l'heureux moment, de voir disparaître de dessus cette terre, l'étendard de la tyrannie, et nous espérons qu'il ne trouvera aucune place en l'Amérique septentrionale.

Signé au nom et par l'ordre du Congrès: JOHN HANCOCK, Président.

À Philadelphie, le 24 janvier 1776.

 

Page précédente


 
 

Histoire du français au Québec