Description des Canadiens et des Sauvages,
 selon l'intendant Hocquart

1737

L'intendant Gilles Hocquart, marquis de Beauharnois, fut en poste de façon intérimaire de 1729 à 1730, puis en titre de 1731 à 1748. Il est réputé pour avoir été l'un des plus remarquables intendants que la Nouvelle-France ait connu. Bien plus que sous Jean Talon, la colonie de la Nouvelle-France connut sous l'intendance de Hocquart sa plus forte et sa plus durable croissance économique. Dans un Mémoire sur le Canada, Gilles Hocquart décrit les Canadiens, les gentilshommes et les enfants d'officiers et les Sauvages (Indiens). En quelques mots, il donne une description de l'éducation des Canadiens.

- Les Canadiens
- Gentilshommes et enfants d'officiers
- Les Sauvages
- L'éducation

Mémoire sur le Canada

La Colonie de la Nouvelle-France peut contenir environ quarante mille personnes, de tout âge et de tout sexe, sur lesquelles il se trouve dix milles hommes en estât de porter les armes.

Les Canadiens sont naturellement grands, bien faits, d'un tempérament vigoureux. Comme les arts n'y sont point gênés par des maîtrises, et (que) dans les commencemens de l'établissement de la Colonie les (ouvriers) étaient rares, la nécessité les a rendus industrieux de génération en génération: les habitans des campagnes manient tous adroitement la hache; ils font eux-mêmes la pluspart des outils et ustenciles de labourage; bâtissent leurs maisons, leurs granges ; plusieurs sont tisserands, font de grosses toiles, et des étoffes qu'ils appellent droguet, dont ils se servent pour se vêtir eux et leur famille.

Ils aiment les distinctions et les caresses, se piquent de bravoure, sont extrêmement sensibles au mépris et aux moindres punitions. Ils sont intéressés, vindicatifs, sont sujets à l'ivrognerie, font un grand usage de l'eau-de-vie, passent pour n'être point véridiques. Ce portrait convient au grand nombre, particulièrement aux gens de la campagne : ceux des villes sont moins vicieux. Tous sont attachés à la Religion ; on voit peu de scélérats ; ils sont volages ; ont trop bonne opinion d'eux-mêmes: ce qui les empesche de réussir, comme ils pourraient le faire, dans les Arts, l'Agriculture et le Commerce. Joignons à cela l'oisiveté à laquelle la longueur et là rigueur de l'Hyver donne occasion. Ils aiment la chasse, la navigation, les voyages, et n'ont point l'air grossier et rustique de nos paysans de France. Ils sont communément assez souples lorsqu'on les pique d'honneur, et qu'on les gouverne avec justice mais ils sont naturellement indociles. Il est nécessaire de fortifier de plus en plus l'exacte subordination qui doit être dans tous les ordres, dans les gens de la campagne. Cette partie du service a esté de tout tems la plus importante et la plus difficile à remplir. Un des moyens pour y parvenir est de choisir pour Officiers dans les Costes les Habitans les plus sages, et les plus capables de commander, et d'apporter de la part du Gouvernement toute l'attention convenable pour les maintenir dans leur authorité. On ose dire que le manque de fermeté, dans les Gouvernemens passés, a beaucoup nui à la subordination. Depuis plusieurs années les crimes ont esté punis- ; les désordres ont esté réprimez par des châtimens proportionnez ; la Police par rapport aux chemins publics, aux cabarets, &c. a esté mieux observée, et en général les habitants ont esté plus contenus qu'ils ne l'étoient autrefois.

Il y a quelques Familles Nobles en Canada; mais elles sont si nombreuses qu'il y a beaucoup de Gentilshommes.

[...]

Tous les gentilshommes et enfans d'officiers désirent entrer dans le service; ce qui est louable en soy même; mais comme la plupart sont pauvres, plusieurs y entrent pour y trouver une petite ressource dans la solde du Roy, plutost que par d'autres motifs. M. le Gouverneur Général choisit les meilleurs sujets; on a de la peine à engager les autres à faire valoir des terres ; peut-être conviendroit-il d'en faire passer quelques-uns en France, pour y servir dans la Marine, afin de s'attacher de plus en plus la Noblesse et les gens du pays.

Il y a vingt-huit Compagnies entretenues en Canada, composées chacune d'un Capitaine, d'un Lieutenant, d'un Enseigne en pied et d'un Enseigne en second ; de 28 Cadets à l'éguillette, et 784 soldats ; nombre trop petit pour garder les postes, et pour les garnisons des villes. Il y a actuellement dans les postes 214 soldats ; de sorte que les troupes n'ayant point encore été complétées et estant indispensable de donner quelques congez à des soldats, il ne reste pas plus de 500 hommes pour les garnisons des trois villes de la Colonie; ce qui n'est pas suffisant pour contenir les peuples des villes et des campagnes dans le bon ordre. En général, il est d'une importante extrême que les troupes soient mieux disciplinées qu'elles ne le sont, que le soldat soit mieux entretenu, plus veillé et qu'il prenne l'air militaire, qu'il n'a point, et qu'il soit plus souvent exercé. Mais, ce sera assez difficile d'y parvenir, si on ne cazerne les troupes à Québec et à Montréal. On estime qu'un Commandant des troupes, habile dans la connaissance de l'Infanterie, qui fût bon homme de guerre et ferme, seroit très utile aujourd'hui. A l'égard des cazernes, il y en a à Québec qu'il faudrait rétablir, et on trouvera des emplacemens à Montréal pour en bâtir: les fonds qui ont esté jusques à présent destinés pour l'enceinte de Montréal pourroient y estre employez.

On a sollicité depuis quelques années deux compagnies suisses du Régiment de Xavier pour envoyer en Canada ; ces Suisses y réussiraient : ce sont de bonnes troupes, biens disciplinées ; l'émulation qu'elles donneroient, mettrait nos troupes françoises sur le bon pied : cela est arrivé à l'Isle Royale. Les Milices des Costes sont mieux disciplinées qu'elles ne l'estoient autrefois, particulièrement dans le Gouvernement de Québec, où on leur fait prendre les armes de temps en temps. M. le Gouverneur Général détacheà cet effet, toutes les années, un Officier pour cela.

[...]

Les Sauvages de la Colonie qui sont les plus reculés, comme ceux du Lac Supérieur, fréquentent plus Chouaguen que les postes François ; et sans les nouveaux établissements qui ont esté faits, le commerce du Castor ne se seroit point soutenu ; les nouveaux objets de commerce qui se présentent nous dédommageront, s'ils ont lieu. [...] Tous les Sauvages qui habitent le continent du Canada, depuis le bas de la Rivière et l'Acadie, jusques aux Illinois, composent environ 30 nations; et on ne croit pas qu'ils passent plus de 29 à 30 mille guerriers. Nous avons, dans la Colonie peuplée, cinq Villages de Sauvages domiciliés, qui sont :

Le Village des Hurons de Lorette, à trois lieues de Québec, composé de 30 guerriers.

Deux Villages d'Abénaquis, près des Trois-Rivières, St. François et Bécancourt, faisant 300 guerriers.

Le Village des Iroquois du Lac des Deux Montagnes, dans le quel habitent aussi des Algonkins et Népissingues ; ces deux derniers Villages composent environ 300 guerriers.

Quelques Sauvages Algonkins et Népissingues, vagabonds, aux environs des Trois-Rivières, au nombre de 30.

Tous ces Sauvages sont Chrestiens, bons ou mauvais, attachés depuis longtemps aux François ; ce qui ne les empesche cependant pas de faire de fréquentes courses en la Nouvelle-Angleterre, surtout les Abénaquis et les Iroquois du Sault St. Louis.

Les Abénaquis des Villages de l'Acadie sont ceux de Panadouske ou Pentag8et, Narantsouack, et la Rivière St. Jean, et composent environ 400 hommes.

Les Micmas, voisins de ces derniers, sont divisez en trois principaux villages: Miramischi, Ristigouche, et Chibougtou, et composent 500 hommes.

Ces Abénaquis viennent, presque toutes les années, en deputation       à Québec, et tâchent de nous persuader de leur affection pour nous ; ils en ont effectivement, mais les Anglois dont ils sont proches voisins, et avec lesquels il sont en commerce journellement, s'efforcent de leur inspirer d'autres sentimens. Ces Sauvages tirent des présens d'eux et de nous. La Religion de ces Abénaquis domiciliés lurs frères, les retiendra de notre costé.

Les Sauvages Micmacs fréquentent moins les Anglois.

Les Iroquois des cinq Nations peuvent estre à présent au nombre de 5 à 600; ils passent pour estre plus attachés aux Anglois qu'à nous : cependant leur interest demande qu'ils soient neutres, et ils prendroient vraisemblablement ce parti s'il survenoit une rupture.

Les Mississaguez sont établis dans trois ou quatre petits Villages au nord du Lac Ontario, et ne sont pas plus de 50 hommes.

Il y a trois Villages sauvages au Détroit : un des Hurons de 250 hommes; un des PoutéSatamis de 150 hommes; un d'OutaSacs de 140 hommes.

A douze lieues audessus du Lac Ste. Claire, est un Village de Sauteurs de 150 hommes. A Mischilimakinac, un Village d'Outa8acks de 200 hommes, et à douze lieues plus haut est un Village de Sauteurs de 100 hommes.

Les Saquis sont encore 150 hommes; la plupart se sont rendus l'Esté (dernière) à la Rivière St. Joseph, et se sont séparés des M Renards ; ils demandent la paix.

Les Folles-Avoines sont encore 150 hommes; il reste encore 60 à 80 Renards.

Tous ces Sauvages sont les plus renommés- pour la guerre ; à l'exception des Saquis et des Renards, ils paraissent attachés aux François. On présume qu'ils persévéreront dans les mêmes sentimens. On ne craint cependant point de dire que les Sauvages, si on n'en excepte quelques-uns, n'aiment ny les François ny les Anglois ils sçavent que les uns et les autres ont besoin d'eux, et il est naturel qu'ils pensent que c'est l'intérest seul du commerce qui nous les fait rechercher ; les démarches que nous taisons incessamment pour nous les attirer ne doivent pas leur laisser de doute la-dessus ; mais comme les Anglois tiennent a leur égard la même conduitte, et que même ils nous surpassent dans les caresses et les présens qu'ils leur font, il est à craindre que ces Sauvages ne se détachent absolument de nous. Il pourroit paroistre nécessaire dans les circonstances présentes de leur faire des présens plus distingués, ou de s'en faire craindre et plus respecter que l'on n'a fait par le passe, à quoi l'on parviendrait en établissant le Détroit, et en fortifiant par des garnisons les postes où il y a des François établis. [...]

Le caractère et les moeurs des Sauvages sont connus. Les Missionnaires travaillent avec bien peu de succès à leur conversion à la Religion; ils ont un éloignement infini pour tout culte, sans cependant qu'ils le fassent connoître. Il suffit de dire qu'ils aiment passionnément leur liberté en tout genre, et qu'ils sont ennemis de toute contrainte.

Toutes les nations parlent des langues différentes ; mais elles dérivent toutes des langues huronne et algonkine.

[...]

Toute l'éducation que reçoivent la plupart des enfans d'officiers et des gentilshommes se borne à très-peu de chose ; à peine sçavent-ils lire et écrire ; ils ignorent les premiers élémens de la géographie, de l'histoire ; il seroit bien à désirer qu'ils fussent plus instruits. Le Professeur d'Hydrographie à Québec est si occupé de sa charge de Principal de Collège, même des fonctions de Missionnaire, qu'il ne peut vaquer autant qu'il est nécessaire à sa charge, de Professeur.

A Montréal, la jeunesse est privée de toute éducation; les enfans vont à des Ecoles publiques qui sont établies au Séminaire de St. Sulpice et chez les Frères Charrons, où ils apprennent les premiers élémens de la Grammaire seulement. Des jeunes gens qui n'ont d'autres secours, ne peuvent jamais devenir des hommes utiles. On estime que si, dans chacune des villes de Québec et Montréal, Sa Majesté vouloit bien entretenir un Maître qui enseignât la Géométrie, les Fortifications, la Géographie aux cadets qui sont dans lés troupes, et que ces cadets fussent tenus d'estre assidus aux leçons qui leur seroient données, cela formeroit par la suitte des sujets capables de rendre de bons services. Les Canadiens ont communement de l'esprit, et on croit que l'Establissement proposé auroit le succès qu’on en peut espérer.

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Source: France. Archives nationales, Fonds des Colonies, Série C11A. Correspondance générale, Canada, vol. 67, fol. 95-95v, Hocquart, Gilles, Description du caractère des Canadiens, 1737.

 

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