Les majorités linguistiques fragiles
 

2. La langue majoritaire d'un État supplantée par une langue coloniale

 

Cette catégorie s’applique aux États nationaux confrontés avec une ancienne langue coloniale parlée par une minorité qui s'approprie les principales fonctions sociales et politiques du pays en imposant sa langue minoritaire à la majorité. Que ce soit la Guinée-Bissau (portugais et/ou français), le Botswana (anglais), Singapour (anglais), le Paraguay (espagnol), Taïwan (chinois mandarin) ou le Rwanda (anglais). Dans de nombreux pays, surtout lorsqu'il n'existe que fort peu de majorités linguistiques comme en Afrique, les langues locales peuvent subir un processus de minorisation accélérée face à la langue coloniale. Dans tous les cas, c'est la pratique du népotisme linguistique dans la mesure où une petite élite politique favorise une langue qu'elle maîtrise aux dépens d'une langue majoritaire.  

États de cette catégorie: Guinée-Bissau, Singapour, Mauritanie, Botswana, Paraguay, Taïwan, Guyana et Rwanda.

1. La Guinée-Bissau : portugais et créole

La Guinée-Bissau est un pays d'Afrique occidentale de 2,1 millions (2022) d'habitants, dont 80% de la population parle le créole ("kriol"). Il s'agit d'un créole à base de portugais employé comme langue véhiculaire par l'ensemble de la population. La Guinée-Bissau est l'un des rares pays d'Afrique où une langue autochtone, le créole guinéen (en port.: "crioulo guineense"), s'est imposée comme langue véhiculaire. Cependant, ce créole est parlé principalement dans les centres urbains, car il demeure peu utilisé dans les zones rurales, là où les langues africaines nationales ont préséance. Stigmatisé dès le début par les autorités coloniales, le créole a néanmoins réussi à s'établir comme un élément de résistance à l'appel du mouvement nationaliste pour l'indépendance au point de devenir un refuge identitaire. Le recours à une langue commune autre que le portugais officiel de facto a transformé le créole en un symbole de l'unité nationale. De façon générale, les Bissau-Guinéens sont bilingues ou trilingues: ils parlent d’abord leur langue africaine, puis le crioulo (environ les trois quarts de la population), parfois le portugais s'ils sont instruits.

- La langue de l'État

Ancienne colonie portugaise, le portugais est alors devenu la langue du pouvoir, soit la langue de la présidence de la République, du Parlement, de l'administration publique, des cours de justice, des forces armées et policières, de l'enseignement à tous les niveaux, de l'affichage, des médias, etc. Le portugais conserve aujourd’hui une place prépondérante dans l'espace politique et socio-économique, mais il est également concurrencé par le créole portugais, parfois le français, la langue des États voisins.

Dans les actes de procédure, le non-emploi du portugais entraîne la nullité. Il est néanmoins reconnu que, dans les plaidoiries orales, il est possible d'employer le créole ou la langue locale employée par les différents groupes ethniques de la Guinée-Bissau ou une langue étrangère, souvent le français. Dans ce cas, il faut recourir à un interprète si le portugais n'est pas employé.

- L'éducation

Le portugais a toujours constitué la seule langue d’enseignement en Guinée-Bissau. Avant l’indépendance, le «portugais de la Métropole» était l’unique langue d’enseignement dans les écoles. Après la sécession d’avec le Portugal, le «portugais guinéen» revint plus fort qu’auparavant, mais il fut dominé par le crioulo. Jamais les élites bissau-guinéennes ne pensèrent un seul instant de faire entrer les langues africaines à l’école.

Le gouvernement bissau-guinéen pratique une politique linguistique de non-intervention qui consiste à conserver le statu quo depuis l’indépendance. La lusophonisation des habitants de ce pays est même le résultat de la seule politique postcoloniale. Avec l’Angola, la Guinée portugaise demeure l’un des rares pays d’Afrique noire à ignorer encore totalement les langues autochtones dans l’enseignement. Il est probable que, dans un avenir plus ou moins rapproché, le gouvernement devra accorder une place importante au crioulo, la seule langue parlée par la majorité de la population. Mais ce n’est pas demain la veille.

- Résumé

L’État est présentement plus préoccupé à consolider le pouvoir en place que de gérer des langues locales qui ne causent apparemment pas de problème. La situation de la Guinée-Bissau reste très représentative d’un pays non affranchi de sa langue coloniale. La Guinée-Bissau vit un étrange ce paradoxe : tout dans le pays est écrit en portugais, mais une écrasante partie de la population ne parle pas cette langue. Les enfants guinéens savent lire et écrire dans une langue qu'ils n'entendent ni à la maison ni dans la rue. Dans le pays, il n'est pratiquement possible de communiquer qu'en portugais avec l'élite politique et intellectuelle. Cela signifie que le créole majoritaire et les langues locales minoritaires sont relégués à des rôles informels, ceux des relations interpersonnelles. Le crioulo est aujourd'hui la langue véhiculaire et la langue d'unité nationale; il n'a pas de statut officiel, mais il cohabite, en situation de diglossie imbriquée, avec le portugais, langue officielle, et plus de deux douzaines de langues africaines nigéro-congolaises qui constituent la langue de la grande majorité de la population du pays.

2. Singapour : chinois, malais, anglais et tamoul

Singapour est une cité-État de 5,7 millions (2018). Officiellement, la composition ethnique de Singapour est de 76,8% de Chinois, de 13,9 % de Malais et de 7,9 % d'Indiens; il reste 1,4% de ceux qu'on pourrait appeler les «autres», une catégorie forcément diversifiée.

Les Chinois sont majoritaires, mais ils se répartissent en plusieurs langues chinoises, dont le min nan (34,5%), le mandarin (24,8), le cantonais (7,6%), le hakka (4,3%), etc. Il faut donc retenir que les Chinois sont majoritaires, parlent plusieurs langues et se sont révélés incapables d'en imposer une seule, avec le résultat que les langues chinoises sont majoritaires, mais aucune d'elles ne l'est!   

Singapour compte quatre langues officielles: l'anglais (3,4%), le chinois mandarin (24,8%), le malais (6,7%) et le tamoul (2,0%). Bref, ces quatre langues comptent pour 36,4 % des langues maternelles du pays (dont 24,8 % pour le mandarin), mais permettent la communication avec la quasi-totalité des groupes ethniques, l'anglais ayant une longueur d'avance sur les autres langues. Seulement 28,2 % des Singapouriens sont unilingues et ils surtout des locuteurs du chinois mandarin et de l'anglais. Les locuteurs des autres langues, que ce soit le malais, le tamoul ou toute autre langue non officielle, sont tous bilingues, à de rarissimes exceptions.

Rappelons qu'au XVIIIe siècle Singapour et l'Inde sont tombées sous la domination britannique. La Grande-Bretagne a utilisé Singapour comme premier port commercial asiatique pour soutenir sa domination en Inde. Les Britanniques amenèrent ainsi beaucoup de commerçants et de travailleurs de l'Inde, en particulier au sud à majorité tamoule, ce qui a favorisé une identité culturelle autre que chinoise et malaise.

Au lendemain de l'indépendance, les dirigeants locaux privilégièrent aussitôt l’anglais, considéré comme plus «neutre», pour apaiser les tensions ethniques et linguistiques, en plus de maximiser les avantages économiques, ce qui décida le gouvernement de le conserver comme langue principale de communication. L'objectif était le suivant: il semblait plus facile d'unifier le pays par une langue qui n'était maternelle pour personne plutôt que par une langue autochtone (chinois, malais ou tamoul) en rivalité avec les autres. En fait, l'anglais servait d'instrument d'uniformisation et d'acculturation des langues locales. Après l'accession à l'indépendance de 1965, l'usage de l'anglais devint encore plus populaire.

- Le Parlement

La langue la plus utilisée par les parlementaires demeure l’anglais, suivie de près par le mandarin, puis plus rarement, c'est-à-dire occasionnellement, par le malais et le tamoul. Si l’on accepte en principe les quatre langues dans les débats oraux, seul l’anglais reste la langue de la rédaction et de la promulgation des lois. Le système de traduction simultanée adopté au Parlement ne sert qu’à passer du chinois, du malais ou du tamoul vers l’anglais. Comme il n'y a pas de traduction de l'anglais vers les autres langues, il en résulte que tous doivent connaître l'anglais. L'unilinguisme anglais est donc de mise, et le bilinguisme ne vaut que pour transiter dans cette langue.

- Les tribunaux

Tout citoyen a le droit de demander un procès dans l'une des quatre langues officielles selon son choix : anglais, mandarin, malais ou tamoul. Les juges sont tenus de maîtriser l'anglais, et pas nécessairement les trois autres langues officielles, bien qu'en général ils peuvent connaître aussi le malais, sinon le chinois, rarement le tamoul. En pratique, la présence d'interprètes est fréquente, la langue d'arrivée étant essentiellement l'anglais.

- L'administration publique

L’administration publique emploie, en principe, les quatre langues officielles dans ses relations avec les citoyens, mais la tendance est de privilégier l’anglais, en second lieu le mandarin. Tout citoyen peut exiger qu’on lui réponde — à l’oral ou à l’écrit — dans la langue de son choix. Toutefois, la plupart des ministères et des agences de l’État se contentent de diffuser les documents officiels uniquement en anglais. Le bilinguisme dans l'affichage est parfois présent, toujours l'anglais avec une autre langue, souvent avec le chinois. En somme, l'anglais demeure la langue commune de l'administration, présentée comme la langue des transactions commerciales et la langue véhiculaire entre les ethnies de la cité-État.

Cependant, l'anglais qui est généralement parlé comme langue véhiculaire à Singapour n'est pas l'«anglais colonial» (britannique), mais l’«anglais de Singapour», un anglais local basé sur l'anglais britannique avec certaines influences américaines. C'est l'anglais «standard» que les Singapouriens apprennent à l'école. Pour eux, l'anglais standard est quasiment une langue seconde. Cette forme d'anglais adoptée par les Singapouriens s'appelle le singlish. Or, l'emploi du singlish fait peur au gouvernement qui croit que cet anglais peu prestigieux ferait du tort à l'économie de l'île. C'est pourquoi le gouvernement mène régulièrement des campagnes d'information dont il a le secret comportant des messages du genre "Speak Good English" («Parlez le bon anglais») de façon à diminuer l'importance grandissante du singlish. Dans les années 2000, le gouvernement relança le mouvement "Speak Good English", sans grand succès, il faut le souligner. Le problème, c'est que le besoin des Singapouriens d'exprimer leur identité linguistique locale est trop bien enraciné pour qu'on parvienne à faire disparaître cette variété d'anglais populaire.

- L'éducation

Dans les faits, l'anglais est officiellement la langue principale de l'enseignement dans toutes les matières, sauf dans les cours de langue maternelle prévus dans le système d'éducation. La majorité des Singapouriens sont bilingues, la politique de l'enseignement bilingue du gouvernement favorisant un système d'apprentissage de deux langues. L'apprentissage d'une langue seconde est obligatoire dans les écoles primaires depuis 1960 et dans les écoles secondaires depuis 1966. L'anglais est la principale langue d'enseignement. La plupart des enfants apprennent l'une des trois autres langues officielles — le mandarin, le malais ou le tamoul —  ou parfois une autre langue approuvée, en tant que langue seconde, selon leur groupe ethnique officiel.

Au secondaire, les élèves doivent parler et écrire dans un anglais grammaticalement correct, adapté aux objectifs, au public et à la situation. Les élèves sont présumés parler couramment l'anglais. Tous les établissements supérieurs utilisent l'anglais comme langue d'enseignement, avec dans certains cas le chinois mandarin. Depuis l’année scolaire 1983-1984, le chinois est devenu la seconde langue obligatoire pour obtenir un diplôme universitaire. Les locuteurs du malais et du tamoul ont, il est vrai, conservé leurs droits constitutionnels, mais ces droits demeurent plus symboliques que réels.  

- Résumé

En un demi-siècle, l'anglais est devenu la langue la plus importante de Singapour, réduisant les trois autres langues officielles à un rôle quasi familial et scolaire. Le système sous-jacent de la politique linguistique à se servir du mandarin pour cimenter la communauté chinoise en éliminant les autres langues chinoises; du malais comme langue de la première ethnie originaire de l’archipel afin d'éradiquer les langues concurrentes telles que le javanais, l'indonésien, le madourais, etc.). Quant au tamoul, c’est la langue phare des citoyens originaires de l’Inde, mais elle sert à évincer l'hindi, le bengali, le malayalam, le panjabi, le kannada, le gujarati, etc. Autrement dit, les quatre langues officielles servent à éliminer les langues concurrentes, même à s'éliminer entre elles, sauf pour l'anglais.

Le gouvernement singapourien admet que, malgré l’augmentation substantielle du nombre d’anglophones, l’anglais est devenu la langue dominante dans la plupart des foyers, surtout parmi les Chinois. L’évolution linguistique la plus marquante à Singapour se caractérise par la promotion de l’anglais. Les possibilités de parler malais, mandarin ou tamoul sont d’autant plus réduites que le besoin d’employer ces langues en dehors de l’école diminue inévitablement. La seule langue qui sort nettement gagnante de cette politique linguistique, c'est l'anglais qui, au départ, n'était la langue d'aucun individu autochtone, mais celle des colonisateurs britanniques et aujourd'hui celle du capitalisme anglo-américain. Singapour est devenue en deux générations le pays le plus anglophone d'Asie et n'a pu malheureusement préserver sa diversité linguistique qui constituait justement l'une de ses richesses.

3. La Mauritanie : arabe standard et arabe hassanya

La Mauritanie, un pays de 4,8 millions (2023) d'habitants, est composée de deux populations principales: les Arabo-Berbères ou Beidanes (env. 35% de la population) et les Négro-Africains (33%), qui regroupent les Toucouleurs, les Sarakolés, les Foulons, les Bambaras, les Peuls, les Wolofs et les Soninkés. Il existe aussi un troisième type de population: les Haratines ou Maures noirs (env. 33%), mais ce sont les Arabes qui contrôlent tout le pays. La langue officielle de la Mauritanie est, depuis 1968, l'arabe, sans qu'aucun texte juridique n'ait précisé de quel arabe il s'agit, alors qu'il existe au moins trois sortes d'arabe: l'arabe hassanya (84%), l'arabe classique (1%) et l'arabe standard moderne. L'arabe hassanya ou hassanya est présent partout dans la vie quotidienne, mais il ne bénéficie d'aucun statut juridique, comme d'ailleurs les langues africaines tels que le poular, le soninké, le wolof, le bambara, etc. Le français a été une langue officielle avec l'arabe jusqu'en 1991, mais en dépit de son absence de statut dans les documents juridiques officiels, il a conservé une bonne partie de ses privilèges. Depuis l'indépendance, l'arabe classique ou coranique n'a cessé de bénéficier de la politique interventionniste de l'État mauritanien, alors qu'il n'est parlé par à peu près personne.

Dans le domaine de la législation, la loi fait accéder l'arabe (lequel?) au statut de langue officielle. Dans le domaine de l'éducation, ce sont les réformes de l'enseignement de 1967, de 1973 et de 1978, qui ont renforcé la promotion de l'arabe classique. Ces réformes faisaient suite à une arabisation progressive et consistaient à augmenter considérablement les horaires d'enseignement et les domaines d'utilisation de la langue arabe, notamment dans l'administration de l'État.

- La législation

Dans les faits, l'arabe moderne est la langue des lois, règlements, décrets, arrêtés, etc., mais tous ces mêmes documents sont traduits en français. Dans les débats parlementaires, l'arabe hassanya, l'arabe moderne et le français sont employés régulièrement, bien devant l'arabe classique. Les lois et les règlements sont généralement rédigés d'abord en français, puis traduits en arabe moderne.  

D'ailleurs, tous les ministres du gouvernement s'expriment en français lorsqu'ils lisent un discours politique en présence d'interlocuteurs étrangers et francophones, sinon ils le font en arabe classique. Les représentants officiels mauritaniens non arabophones s'expriment généralement en français. Dans la capitale, à Nouakchott, l'arabe hassanya, le français et le wolof sont les principales langues véhiculaires.

- Les tribunaux

Dans les tribunaux, il est possible oralement d'employer le hassanya ou le français, mais aucune langue africaine. Tous les documents écrits peuvent être disponibles en arabe moderne et en en français, jamais dans les langues négro-africaines ni en hassanya, ni en arabe coranique. La loi autorise l'aide d'interprètes lorsqu'un accusé ou un témoin ne parle pas ou ne comprend pas la langue utilisée par la cour.

Les tribunaux religieux peuvent employer l'arabe coranique, mais il faut traduire ensuite les jugements en hassanya pour se faire comprendre.

- L'administration publique

La majorité des fonctionnaires employés dans la fonction publique mauritanienne, c'est-à-dire plus de 90 % des quelque 31 000 employés, est d'origine arabo-berbère, donc de langue arabe hassanya. Il en est ainsi pour les membres des Forces armées mauritaniennes. En principe, tous les employés de l'État parlent le hassanya, l'arabe moderne et le français. En réalité, beaucoup d'employés subalternes et de simples soldats ne connaissent que le hassanya et parfois un peu d'arabe moderne à l'écrit. Dans l'ensemble, l'administration publique est aujourd'hui très arabisée, alors que les deux tiers des fonctionnaires et des agents contractuels de l'État travaillent à Nouakchott. La plupart des documents écrits sont en arabe moderne et en français.

En fait, de nombreux ministères, notamment ceux à vocation économique ou technique (Finances, Affaires économiques, Énergie, Industrie, etc.) demeurent des bastions pour le français. La plupart des formulaires administratifs et des études sont rédigés en français, jamais en hassanya. Il faut comprendre que le français remplace les langues nationales négro-africaines.

- L'éducation

La législation mauritanienne prescrit l'arabe comme seule langue d'enseignement en 1re année et l'enseignement du français en 2e année avec le calcul en 3e année et les sciences naturelles en 4e année. Or, aucun enseignement dans les langues nationales africaines n'est prévu. Au primaire, on enseigne l'arabe littéral dans toutes les écoles, et non l'arabe hassanya parlé par la très l'arabe grande majorité de la population. Dans l'enseignement secondaire, l'arabe moderne et le français sont enseignés 5 h/semaine dans le premier cycle et le français 6 h/semaine. Au second cycle, le nombre d'heures pour l'arabe varie entre 2 et 3 h/semaine, le français entre 2 et 6 h /semaine, et l'anglais entre 2 et 4 h/semaine.

L'enseignement supérieur est assuré à la fois en français et en arabe par l'université de Nouakchott (fondée en 1981), l'École normale supérieure, l'École nationale d’administration, le Centre supérieur d’enseignement technique, l'Institut supérieur d’études et de recherches islamiques, ainsi que l’Institut national des spécialités médicales. Dans certains cas, il existe des «filières arabes» et des «filières bilingues». Dans les études supérieures, le nombre des étudiants dans les filières arabisantes est deux fois plus élevé que dans les filières francisantes ou bilingues. De plus, les bourses nationales sont accordées prioritairement aux étudiants arabisants. Les orientations d'étudiants à l'étranger vont généralement vers les pays arabes (Maroc, Algérie, Tunisie, Syrie, Koweït, Bahreïn, etc.).

Il existe une nouvelle loi depuis 2022 en éducation. Cette nouvelle loi constitue une avancée importante en matière de garantie du droit à l’éducation parce qu'elle rend obligatoire l’enseignement de six à quinze ans et qu'elle reconnait que «l’éducation est un droit fondamental garanti à toute la population mauritanienne, sans discrimination de genre et d’origine sociale, culturelle, linguistique ou géographique». Cependant, la loi est aussi controversée, car elle oblige les enfants non arabophones à recevoir des cours d'arabe en plus des cours dans les langues nigéro-congolaises. Par ailleurs, tout enfant arabophone doit apprendre au moins l’une des trois autres langues nationales (le poular, le soninké et le wolof), ce qui ne fait pas l'affaire de tout le monde. L'Organisation pour l'officialisation des langues nationales (OLAN), un mouvement mauritanien qui proteste contre la loi d'orientation de l'éducation nationale, jugea que la loi était discriminatoire envers les langues nationales (polar, soninké et wolof), car elle aurait pour objectif de parachever l'arabisation du système d'éducation. En fait, l'organisation revendique l'officialisation des langues nationales dans la Constitution. Cette exigence découle d’un droit de tous les citoyens à se faire instruire dans leurs langues maternelles. L'OLAN dénonce l’hypocrisie des tenants du système, lesquels envoient tous leurs enfants dans les écoles à filière française, en Mauritanie ou à l’étranger. 

- Les médias

Il existe une centaine de journaux qui paraissent régulièrement en français et/ou en arabe littéral. Il n'existe pas de journaux dans les langues nationales ni en hassanya. La tradition essentiellement orale liée à ces langues fait qu’elles sont inexistantes dans le domaine de la presse écrite. À la télévision nationale, les émissions sont quotidiennes en ce qui concerne l'arabe, l’hassanya et le français, mais avec une prépondérance pour les deux premières. Quant aux langues nationales, elles ne disposent que d'un temps d'antenne limité par jour.

Par ailleurs, le français est très présent sur la scène médiatique, notamment dans les journaux privés (Le Calame, la Tribune, le Quotidien de Nouakchott, L’Éveil-Hebdo), le journal gouvernemental Horizon, ainsi que dans les journaux d’information à la radio et à la télévision. On se demande si la radio française RFI n’est pas mieux écoutée que Radio-Mauritanie. Dans la rue, les panneaux routiers et les enseignes des magasins sont pour la plupart bilingues.

- Résumé

En Mauritanie, ce sont les élites arabophones qui détiennent le pouvoir depuis l'indépendance. Elles ont aussitôt élaboré une politique linguistique axée essentiellement sur l'éducation et l'enseignement des langues.

Dans le processus d'officialisation, toutes les langues nationales ont été écartées, y compris l'hassanya, la langue maternelle de la majorité de la population. Les courants nationalistes panarabes ont tout fait pour que l’on reconnaisse la Mauritanie comme un pays arabe, alors que l’arabité ne constitue qu’une partie importante de son identité, les autres étant la berbérité et l'africanité.

L'arabe a acquis le statut de «langue officielle», alors que les autres langues ne sont que des «langues nationales». À la suite de conflits ethniques qui paralysent le pays depuis plus d'un demi-siècle, les langues nationales n'ont jamais été officialisées. Quant au français, bien qu'il n'ait aujourd'hui aucun statut juridique en Mauritanie, il bénéficie dans les faits (de facto) de prérogatives d'une langue co-officielle. En effet, il est employé dans les textes de loi, les formulaires administratifs, l'enseignement et les manuels scolaires, la publicité, les médias, etc.

Or, la politique linguistique aurait été fort différente si elles avaient été orientées vers l'arabe hassanya et les langues afro-africaines, plutôt que vers l'arabe littéral que fort peu de personnes parlent. La politique linguistique mauritanienne va toujours à rebrousse-poil des désirs de la population parce qu'elle consiste à disqualifier les langues maternelles des citoyens, l'arabe hassanya et les langues nationales, afin de privilégier l'opposition entre deux langues secondes, l'arabe littéral et le français. Ce genre de politique linguistique ne peut pas faire fureur auprès de la population.

4. Le Botswana : tswana et anglais

La majorité de la population (71,1 %) du Botswana parle le tswana (appelé également setswana), une langue bantoue étroitement apparentée au sotho. Avec ses variétés locales, c'est environ 80 % de la population qui appartient l'une des neuf principales ethnies tswana. Si l'on compte les locuteurs bilingues du tswana et l'une des nombreuses autres langues africaines parlées dans le pays, ce serait environ 95 % de la population totale qui sait parler et comprendre le tswana. Quant aux locuteurs de la langue anglaise, ils sont estimés à environ 2 % de la population totale qui le parle comme langue maternelle. Le tswana et l'anglais sont les langues officielles de facto.

L'anglais a l'avantage de bénéficier du statut de langue officielle «prioritaire» et sert aussi de langue véhiculaire pour une minorité de Botswanais.

- Le Parlement

Ainsi au Parlement, la plupart des délibérations se tiennent en tswana, alors que les lois et règlements sont rédigés en anglais. L'article 62 de la Constitution du 30 septembre 1966 (encore en vigueur) précise que la connaissance de l'anglais est obligatoire pour être élu à l'Assemblée nationale afin de prendre part aux débats de l'Assemblée, qui de toute façon se déroulent en tswana.

- Les tribunaux

Les tribunaux recourent en principe à des pratiques similaires. La plupart des documents sont rédigés en anglais, mais les communications orales se déroulent généralement en tswana, parfois en anglais ou en kalanga, mais rarement dans une autre langue. Dans les cas de force majeure, on fait appel à des interprètes. En principe, quiconque est arrêté ou détenu doit être informé aussi rapidement que possible, dans une langue qu'il comprend, des causes de son arrestation ou de sa détention. On traduit.

Les textes juridiques ne sont pas toujours clairs en ce qui concerne ce qu'on appelle «la langue de la cour» ("Language of court"), car ils ne précisent pas souvent quelles sont ces langues, sauf pour la Haute Cour où c'est obligatoirement l'anglais.  Dans les faits, on délibère en tswana, mais on lit ou on écrit en anglais.

- L'administration publique

Dans les services publics, l'anglais est la langue écrite de l'Administration depuis toujours, mais de nombreux textes destinés à toute la population sont aujourd'hui publiés en tswana. La traduction n'est pas systématique et de nombreux documents et règlements officiels n'existent qu'en anglais. Dans les communications orales avec le public, les employés répondent dans la langue du citoyen à la condition que ce soit en tswana ou en anglais. Les billets de banque sont bilingues, mais présentés en anglais côté recto (Bank of Botswana) et en tswana côté verso (Banka ya Botswana).

L'emploi des langues dans les services publics n'est ni systématisé ni constant. Dans certains cas, seulement une langue officielle est exigée, sans même la nommer, dans d'autres cas les deux langues sont nécessaires. Légalement, il est possible que la seule connaissance du tswana soit suffisante, mais dans la réalité la maîtrise de l'anglais est obligatoire dans la mesure où les études universitaires ne sont possibles qu'en anglais, de sorte que le tswana est considéré comme moins officiel que l'anglais.

- L'éducation

Le système scolaire botswanais a été élaboré à partir du modèle britannique. La politique linguistique en éducation du gouvernement est de promouvoir le tswana dans les premières années du système scolaire (au primaire), puis de passer à l'anglais (au secondaire et au postsecondaire). En réalité, le tswana est la langue d'enseignement pour les deux premières années de l'enseignement primaire. En troisième année, la langue d'enseignement passe à l'anglais, qui est utilisé pour le reste de la scolarité d'un élève tant du primaire que du secondaire. Néanmoins, le tswana demeure également enseigné comme une matière tout au long de la scolarité. Ainsi, seuls l'anglais et le tswana sont autorisés dans le système scolaire. L'anglais bénéficie donc d'un net avantage, car il a reçu le statut de «langue officielle» et de «langue d'enseignement» à tous les niveaux du système d'éducation au Botswana.

La politique linguistique actuelle du Botswana est basée sur le modèle de bilingue de transition (TBE ou Transitional Bilingual Education). Dans la pratique pédagogique, les enseignants utilisent la langue maternelle de l'enfant (L1) — obligatoirement le tswana — comme moyen d'instruction provisoire dans les premières étapes du primaire. Par la suite, la langue d'enseignement est changée pour la langue seconde (L2) — obligatoirement l'anglais. De cette façon, l'éducation bilingue de transition ou «bilinguisme de transfert» offre aux élèves une certaine instruction dans leur langue maternelle tout en fournissant simultanément un concentré d'enseignement de la langue anglaise. Au secondaire, la langue d'enseignement est l'anglais, mais le tswana reste une matière d'enseignement surtout pour la rédaction, la littérature et l'histoire.

- Les médias

La situation linguistique dans les médias ressemble à ce qui se passe dans l'administration: l'anglais est privilégié à l'écrit, le tswana à l'oral. De fait, les journaux sont généralement publiés en anglais. La radio nationale (Radio Botswana National) diffuse ses émissions en tswana et en anglais; certains bulletins de nouvelles sont diffusés en kalanda. Pour la télévision, les émissions produites au Botswana sont en tswana, mais les productions extérieures sont présentées intégralement en anglais, parfois avec des sous-titres en tswana.

- Résumé

Le Botswana a développé une politique de bilinguisme qui consiste à promouvoir la langue nationale, le tswana, sans pour autant abandonner la langue coloniale officielle, l'anglais. Cet aspect de la politique linguistique semble avoir relativement réussi, mais la langue tswana n'a pas encore trouvé la place qui lui revient, l'anglais ayant encore une grande préséance. On peut affirmer que le tswana est la langue officielle parlée, l'anglais la langue officielle écrite. Entre deux langues en situation de concurrence, la langue internationale sort gagnante, car elle peut aussi être employée à l'oral. À long terme, c'est l'anglais qui va prendre de l'expansion.  

5. Le Paraguay : guarani et espagnol

Le Paraguay compte une population de 6,7 millions (2022). Plus de 88% de la population parle le guarani ou l'une de ses variétés locales. Le guarani, une langue de la famille tupi-guarani, est la seule langue d'origine amérindienne parlée par la majorité d’une population autochtone. C'est une langue fondamentalement transmise oralement, essentielle dans les campagnes et très courante dans les villes. Au point de vue social, le guarani occupe un rang inférieur à celui de l'espagnol (appelé «castillan»), la langue de l'élite et la langue majoritaire sur tout le sous-continent. Bien que le Paraguay soit défini comme un pays multiculturel et bilingue, le bilinguisme social est clairement déséquilibré à l'avantage de l'espagnol. Les Paraguayens seraient bilingues (guarani-espagnol) dans une proportion de 49% dans les centres urbains (surtout dans la ville d’Asunción) et unilingues guaranis dans une proportion de 52% dans les campagnes. Les unilingues hispanophones ne représenteraient que 6% de l'ensemble, ce qui, dans un continent massivement espagnol, constitue un cas unique. 

Selon la Constitution, le castillan et le guarani sont les langues officielles du Paraguay, mais le castillan est associé aux situations de prestige, le guarani dans les communications informelles. D'ailleurs, la classe politique, dominée durant plus de soixante ans par le Parti Colorado, a toujours méprisé le guarani. L'espagnol (ou castillan) exerce une attraction et une dominance quasi exclusive dans l'Administration, les établissements scolaires, les médias écrits, etc., soit tous les aspects importants de la vie publique. En somme, l'égalité juridique dissimule en fait une situation inégalitaire qui tendrait même à s'accentuer avec le temps.  Cependant, la Loi sur les langues (2010) est venue changer le rapport de force entre les deux langues officielles, mais il y a encore du travail à faire afin d'en arriver à l'égalité dans la vie pratique.

- Le Parlement

Au Parlement et à l'Exécutif (Conseil des ministres), seul l'espagnol est employé; aucune loi n'est promulguée ou rédigée en guarani. Ce rôle est exercé uniquement par la «première» langue officielle: l'espagnol qu'on appelle «castillan» dans la Constitution. Bref, l’État paraguayen semble fonctionner en fonction de la minorité unilingue espagnole (7%) aux dépens des unilingues guaranis (27%), les autres étant bilingues ou parlent des langues indigènes.

- Les tribunaux

Tous les citoyens de ce pays ont le droit d'employer l'une ou l'autre des deux langues officielles dans l'administration de la justice et leurs déclarations sont transcrites dans la langue choisie, sans l'intermédiaire d'une traduction quelconque. La personne qui emploie une autre langue est en droit d'être assistée en justice par des personnes qui connaissent sa langue. Bien que la plupart des procès aient lieu en espagnol, de plus en plus de juges rendent leur jugement en guarani plutôt qu'en espagnol, lorsque les parties s'expriment dans cette langue. Depuis 2013, la justice est l'un des domaines où une certaine égalité des langues officielles est mise en œuvre.

- Les services publics

Dans les services gouvernementaux, l'espagnol reste la langue des communications institutionnalisées; on peut toutefois utiliser le guarani dans les communications verbales avec les fonctionnaires au niveau le plus bas de la hiérarchie administrative. En vertu de la Loi sur les langues (2010), les fonctionnaires qui doivent avoir des contacts directs avec la population disposent de cinq ans pour acquérir la maîtrise orale dans les deux langues officielles. Il s'agit là d'un véritable bouleversement de toute la politique linguistique pratiquée depuis l'indépendance il y a deux cents ans.

Mais la reconnaissance de la langue officielle n'a pas encore permis que le guarani soit placé au même niveau que l'espagnol dans tous les domaines. Aujourd'hui, un travail acharné est en cours pour qu'en 2021 les deux langues soient égales dans l'administration publique. Le guarani est normalement employé à l'oral, mais il n'a pas de présence écrite ferme, par exemple, les documents officiels ne sont pas encore en guarani. Sous la direction du Secrétariat aux politiques linguistiques, le Paraguay entame ce processus et dispose déjà de quelques décrets présidentiels, des résolutions et des formulaires dans les deux langues, mais cette pratique est encore à la phase initiale de l'usage écrit. Depuis juin 2021, il est obligatoire pour toutes les institutions publiques de proposer des communications bilingues, mais cela n'est pas encore respecté.

Au Paraguay, l'emploi du guarani, d'ailleurs assez rare dans l'affichage, est considéré par certains comme du «pur exhibitionnisme». Il reste plutôt confiné chez les groupes nationalistes et les partis politiques lors des élections. Pourtant, le guarani n'est pas interdit. Sans prestige, il reste simplement confiné aux relations familiales et interpersonnelles.

- L'éducation

Depuis quelques années seulement, le guarani est enseigné dans les écoles primaires. Mais la langue d'enseignement continue généralement d'être l'espagnol, même dans les zones rurales et les districts populaires urbains. Dans les faits, le guarani sert simplement d'auxiliaire pour l'apprentissage de l'espagnol durant les trois premières années du primaire, même si, en haut lieu, on parle officiellement d'«enseignement bilingue». Pourtant, en 2021, il n'y en général que deux heures de cours de guarani par semaine, et ce, de façon très technique, ce qui surprend les élèves qui perçoivent aussi la différence avec ce qui se parle dans la rue. En réalité, le guarani joue un rôle simplement «auxiliaire» («papel auxiliar») dans l'apprentissage de l'espagnol.

- Les médias

Dans le domaine des médias, l'espagnol exerce sa suprématie, mais les radios locales surtout celles appartenant aux communautés religieuses  ont recours à la langue guaranie. La télévision ne présente généralement pas d’émission en guarani, sauf lors de circonstances spéciales, mais la radio présente plusieurs émissions. La grande presse du pays est en espagnol et seule la presse écrite à caractère religieux s'adresse aux habitants en guarani. Après plus d'un siècle d'absence de périodiques en guarani, la publication Ára a débuté en avril 2006, qui pour l'instant est mensuel, mais il est prévu d'en augmenter la fréquence.

- Résumé

Le Secrétariat aux politiques linguistiques (Secretaría de Políticas Lingüísticas) attribue la survie du guarani au XXIe siècle à la transmission des mères aux enfants et à la persévérance des locuteurs qui ont refusé d'abandonner cette langue héritée de leur peuple autochtone. Il semble bien que l'espagnol et le guarani soient là pour de bon, et que le guarani demeurera la langue normale de la majorité des citoyens du Paraguay.

Plus précisément, le guarani n'est pas menacé de disparition, mais il faut que son statut soit rehaussé au même niveau que l'espagnol. Le guarani était une langue discriminée et ses locuteurs ont souffert de harcèlement et d’agression pendant des siècles. La dernière étape de la persécution et de la tentative d’étouffer son utilisation a été la dictature de 35 ans d’Alfredo Stroessner, qui a pris fin en 1989. C’est à ce moment-là que le guarani a entamé une période de revendication qui a culminé avec sa proclamation comme l’une des deux langues officielles du Paraguay dans la Constitution de 1992, suivi par la promulgation de la Loi sur les langues (2010).

La vulnérabilité du guarani est de demeurer dans une situation de diglossie, car la langue guarani n'a jamais été menacée dans sa survie, mais son prestige en a été considérablement amoindri et sa position sociale, nettement dévalorisée. Le problème avec le guarani au Paraguay, c'est qu'il est massivement employé dans les régions rurales et dans la vie économique, mais qu'il ne constitue aucunement la langue des élites politiques, intellectuelles et commerciales.  L'emploi du guarani n'est ni interdit ni refusé, mais le guarani continue d'occuper un rang inférieur à l'espagnol, la langue de l'élite et du continent.  Il faut espérer que la Loi sur les langues finisse par briser ce statut quasi symbolique du guarani. On affirme que le Paraguay est indubitablement le pays latino-américain qui reconnaît le plus de droits linguistiques à ses autochtones, mais il faut que ces droits se transposent dans la réalité, car ce n'est pas encore le cas.

6. La Guyana : créole guyanais et anglais

Ce pays est situé sur la côte nord de l’Amérique du Sud et s'appelait anciennement Guyane britannique (ou British Guiana). Prise en sandwich entre le Venezuela et le Suriname, l'ancienne colonie britannique de Guyana est le seul pays anglophone d'Amérique du Sud. En 2023, la population de la Guyana était estimée à 813 800 habitants. C'est un pays multiethnique en raison surtout de l'arrivée massive d'immigrants en provenance de l'Afrique noire et de l'Inde hindouiste. La langue majoritairement parlée par les Guyanais est le créole guyanais (appelé en anglais Guyanese Creole) avec 75 % de la population, dont 250 000 Noirs et 400 000 Indiens. En principe, le créole guyanais est parlé sur tout le territoire, mais les locuteurs de cette langue sont concentrés sur la côte nord-est, notamment dans la région de Georgetown. On y parle aussi l'hindi guyanais, quelques langues amérindiennes, le chinois cantonais et l'anglais, la langue officielle, employé comme langue maternelle par environ 20% de la population.

La politique linguistique de la Guyana en est une de non-intervention: elle consiste à perpétuer la langue coloniale anglaise. Il n'y a pas de proclamation de la langue officielle dans la Constitution du 20 février 1980 modifiée en 1996. Aucune loi ne vient proclamer l'officialité de la langue anglaise, mais quelques rarissimes lois mentionnent occasionnellement l'anglais comme étant obligatoire dans certaines activités commerciales, électorales ou judiciaires. Dans ces conditions, toutes les activités officielles de l'État se déroulent en anglais.

- La législation

Au Parlement, les lois sont rédigées et promulguées dans la seule langue anglaise. Pour être élu membre de l'Assemblée nationale, il faut être capable de parler et de lire l'anglais avec une maîtrise suffisante pour prendre une part active aux délibérations de l'Assemblée, bien que le créole guyanais puisse être employé occasionnellement sur une base informelle.

- Les tribunaux

Les cours de justice ne se déroulent qu'en anglais, mais certaines mesures sont prévues pour les justiciables qui ne connaissent pas la langue officielle; on recourt gratuitement aux services d'un interprète dans ce cas.

- Les services administratifs

Dans les services administratifs, l'anglais demeure la langue officielle, mais il est possible de recourir au créole guyanais à l'oral, ainsi que dans les bureaux de vote; un citoyen peut voter même s'il ignore l'anglais. En principe, tous les documents écrits sont en anglais, à l'exception des élections. Diverses tentatives sont en cours afin de promouvoir l'usage du créole guyanais dans la vie publique, mais rien n'a encore été fait.

- L'éducation

Toutes les écoles du pays n'emploient que l'anglais comme langue d'enseignement, du primaire jusqu'à l'université (University of Guyana). Cependant, l'espagnol est offert comme langue étrangère dans un grand nombre d'écoles, surtout depuis ces dernières années.

- Les médias

Dans les médias, l'anglais demeure la langue de grande diffusion pour tous les journaux. Dans les médias électroniques, des stations comme Radio Guyana, Voice of Guyana et Radio Roraima diffusent en anglais, mais plusieurs stations locales émettent en créole guyanais. À la télévision, l'anglais est nettement privilégié (Guyana Television, Channel 6 et NBTV Channel 9).

- Résumé

La politique linguistique de la Guyana en est une de non-intervention: elle consiste à perpétuer les pratiques en vigueur lors du colonialisme britannique. Les affaires publiques se déroulent en anglais, mais le peuple continue de parler son créole, parfois sa langue autochtone.  Les locuteurs du créole guyanais sont numériquement majoritaires, mais ils demeurent fonctionnellement minoritaires. À court terme, on ne voit pas comment la Guyana pourrait changer de cap à moins de bousculer les forces de l'inertie favorables à l'anglais. Quant aux Amérindiens, tout reste encore à faire, la Guyana n'étant jamais intervenue sur cette délicate question. Chose certaine, la Guyana ne constitue pas un modèle à suivre, ni pour les locuteurs majoritaires, ni pour les langues amérindiennes totalement délaissées.

7. Taïwan : mandarin et min nan

Bien que Taïwan soit un État insulaire, la concurrence linguistique ne vient pas de l'extérieur, mais de l'intérieur. L'effet protecteur de l'insularité ne protège pas Taïwan de la concurrence linguistique du fait que la «menace» provient d'une élite dirigeante.  

L'île principale de Taïwan est un État comptant 23,4 millions d'habitants. C'est un État indépendant de facto – appelé aussi république de Chine depuis 1949 ou en anglais ROC (Republic of China) – situé au large de la Chine continentale. Cependant, l'île est de jure une «province de Chine» sur laquelle la République populaire de Chine n'exerce actuellement aucun contrôle. Taïwan n'est pas un État souverain du point de vue de l'ONU, tandis que pour Pékin Taiwan est considérée comme «une province séparatiste».

La population de Taïwan comprend deux ethnies principales: les Chinois (97,8 %) et les aborigènes (2 %). On compte cependant trois langues chinoises importantes parmi les Chinois: le chinois min nan appelé taïwanais ou min méridional (57,3%), le chinois mandarin (19,2%) et le chinois hakka (18%). Ainsi, le min nan est la langue majoritaire, alors que la langue officielle est le mandarin minoritaire. En Chine, le chinois officiel est appelé putonghua («langue commune»), une langue très normalisée et basée sur la variante du chinois de Pékin, mais à Taïwan, cette langue est appelée guoyu («langue nationale»).

En réalité, les Taïwanais parlent le min nan dans la variante du min méridional employé le long des côtes de la province chinoise du Fujian et dans la province du Guangdong. Quant aux langues aborigènes, elles parlent des langues dites formosiennes apparentées aux langues austronésiennes et elles régressent depuis plusieurs décennies dans l'île. Des quelque 20 langues ethniques originales de Taïwan, près de la moitié de celles-ci sont disparues et l'autre moitié restante est en danger d'extinction.

- Le Parlement

Toutes les lois taïwanaises, sauf exception comme la Loi sur le développement des langues nationales (2019), mentionnent l'obligation d'employer le chinois mandarin (putonghua) et les caractères chinois. La seule langue autorisée à l'assemblée, c'est-à-dire dans les débats et la rédaction des lois, est le mandarin, bien que des traductions non officielles des lois et règlements soient possibles en d'autres langues, notamment en anglais.

- Les tribunaux

La langue des tribunaux employée à Taïwan est le chinois mandarin, mais il est possible de recourir à un interprète pour les aborigènes parlant leur «dialecte» et les étrangers qui ne parlent pas l'anglais. La loi exige l'emploi des caractères chinois pour les non-citoyens autorisés à pratiquer le droit à l'occasion d'une procédure judiciaire. Les langues étrangères admises à la traduction sont limitées à l'arabe, à l'anglais, au français, au coréen, au portugais, au russe et à l'espagnol, car toute autre langue est considérée comme un «dialecte».  

- L'administration

Étant donné que la langue officielle est le chinois mandarin, il en résulte que tous les fonctionnaires doivent maîtriser cette langue, bien que celle-ci ne soit la langue maternelle (ou première) que de 19,3 % de la population. De façon générale, les lois taïwanaises ne traitent que rarement de la question linguistique, mais celle-ci est beaucoup plus préoccupante en ce qui a trait à l'immigration, puisque la Loi sur la nationalité prévoit que la naturalisation des ressortissants étrangers est possible s'ils possèdent, entre autres, des compétences de base dans la langue nationale de la république de Chine, ce qui désigne le chinois mandarin.

- L'éducation

Dans les écoles, le chinois mandarin constitue en principe l’unique langue d’enseignement. Le système taïwanais est conçu de façon à favoriser uniquement la langue et la culture des Hans nationalistes, c’est-à-dire le chinois mandarin. Cependant, ces dernières années, le gouvernement taïwanais a autorisé des tentatives d’enseignement bilingue dans les écoles primaires, tant en min nan qu’en hakka ou dans certaines langues aborigènes dont le yami.

Néanmoins, le mandarin demeure la langue prédominante en éducation, bien qu'il existe dans les écoles taïwanaises une exigence linguistique concernant la «langue maternelle» appelée plus souvent «langue première», qui peut être exercée par le choix de la langue maternelle de l'élève: le taïwanais, le hakka ou une langue aborigène. Il ne faut pas oublier que le mandarin enseigné dans les établissements d'enseignement est différent de celui parlé à Taïwan, même par ceux dont c'est la langue maternelle qu'on préfère appeler à Taïwan «langue première». Contrairement au chinois mandarin de la Chine, le chinois mandarin de Taïwan est influencé par le chinois min nan et l'anglais.

- Les médias

Les journaux sont entièrement dominés par ceux en mandarin et en anglais. Les stations de radio sont autorisées à diffuser des émissions en min nan ou en hakka, bien que la législation privilégie le mandarin. La loi aussi prescrit que les émissions télévisées produites en langue étrangère doivent comporter des sous-titres chinois ou être diffusées en mandarin dans la narration, sinon être doublées en chinois.  

- Résumé

Le gouvernement taïwanais pratique une politique privilégiant la langue chinoise de Chine, qui est la langue officielle, sans nécessairement exclure totalement les langues locales. Depuis 1947, l'élite dominante a toujours favorisé le mandarin. Le contrôle politique exercé par les Chinois continentaux nationalistes des années 1940-1950 ne suffit pas à expliquer comment le mandarin a réussi à déloger aussi facilement les langues régionales de l’île de Taïwan, que ce soit le min méridional majoritaire, le hakka ou les langues aborigènes. En réalité, le mandarin a pour qualité première de constituer la grande langue véhiculaire de cette région de l’Asie. En ce sens, les autres langues ne peuvent manifestement pas faire le poids.

La politique linguistique exercée par Taïwan représente le cas type d’un pays gouverné par un groupe ethnique minoritaire ayant recouru à des mesures de coercition et à une forte pression sociale pour maintenir sa langue au pouvoir. La situation est toutefois en train de changer, mais inverser sensiblement le rapport de force entre le mandarin et les langues locales semble impossible. Et si la Chine récupérait un jour Taïwan, ce serait le coup de mort aux autres langues.

8. Le Rwanda : kinyarwanda, français, anglais et swahili

Le Rwanda est un pays de 14 millions d'habitants (2023), dont 93% parlent le kinyarwanda, une langue bantoue. C'est une langue largement majoritaire, surtout pour un pays d'Afrique. Les langues officielles sont le kinyarwanda, le français, l'anglais et le swahili.  

Comme presque partout ailleurs en Afrique, la colonisation a significativement modifié les pratiques linguistiques au Rwanda. En effet, le kinyarwanda a dû d’abord céder la place au swahili sous le protectorat allemand (1898-1916), puis au français sous la colonisation belge (1916-1962). Depuis l’arrivée au pouvoir en 1994 du Front patriotique rwandais, des anciens réfugiés exilés essentiellement dans les pays anglophones (Ouganda, Kenya, Tanzanie), l’anglais a repris la place des anciens colonisateurs. La cohabitation des quatre langues n’est pas aisée, puisque le kinyarwanda, la langue nationale du pays, mal outillée, est presque abandonné à lui-même, malgré son importance numérique Par la force des choses, elle bat en retraite pour laisser le champ libre aux langues étrangères, plus outillées et donc plus utiles.

- Le Parlement

Toutes les lois sont en principe rédigées dans les quatre langues officielles, mais le texte original est d'après la loi, celui rédigé en kinyarwanda. Dans les faits, les lois sont généralement rédigées en anglais, traduites en kinyarwanda et en français, puis promulguées en kinyarwanda. Dans les débats parlementaires, le kinyarwanda est la langue la plus employée, mais l'anglais est aussi utilisé pour commenter des extraits des lois dans leur version anglaise. L'emploi du français est peu fréquent, mais autorisé. 

- Les tribunaux

Le système judiciaire rwandais s'est longtemps inspiré de l'héritage laissé par les anciens colonisateurs belges, mais le génocide de 1994 a pratiquement détruit le système judiciaire. Dans les communications orales, il n’existe guère de problème puisque tout le monde parle le kinyarwanda. Selon le fonctionnaire en exercice, ce peut être le français, rarement l'anglais.

Tel n'est pas le cas pour les documents juridiques écrits, car la tradition juridique écrite en kinyarwanda est inexistante. Avant 1996, tous les textes étaient rédigés en français. En principe, ils doivent maintenant être rédigés en kinyarwanda, en français et en anglais. Or, à peu près aucun juge ne connaît les quatre langues officielles. Généralement, en plus du kinyarwanda, les juges ne connaissent que le français ou l’anglais, pas les deux. Un juge bilingue, c'est un juge qui parle le kinyarwanda et le français ou l'anglais.

Finalement, la plupart des documents judiciaires écrits ne sont rédigés qu'en anglais ou en français. Par exemple, les actes d'accusation sont souvent rédigés en anglais (lorsque le rédacteur est «anglophone»). Il faut alors constamment traduire de l'anglais vers le français ou du français vers l'anglais, selon l'«appartenance linguistique» de la personne impliquée. De façon générale, la procédure se déroule en kinyarwanda, mais certains juges rendent leur sentence en français, d'autres en anglais.

- L'administration publique

Dans les communications orales, le kinyarwanda est omniprésent, car tous les Rwandais parlent cette langue. À l'écrit, c'est différent: les anciens documents étaient rédigés exclusivement en français, alors que les nouveaux le sont généralement uniquement en anglais, ceux en kinyarwanda ou en swahili n'étant à peu près jamais disponibles. Plus précisément, les documents écrits sont en anglais à Kigali et généralement en français dans les autres régions, mais le gouvernement semble privilégier de plus en plus les documents unilingues anglais. De façon pratique, les annonces gouvernementales sont données en anglais sur les questions internationales, en kinyarwanda lorsque le public national est ciblé et en français pour les sujets spécifiquement francophones. Cependant, de plus en plus de ministères publient des documents uniquement en anglais. Le gouvernement estime qu'il est inutile et coûteux de produire des documents en plusieurs langues. Dans les rues de Kigali, les enseignes rédigées en français se raréfient au profit de celles en anglais.

- L'éducation

À la suite des événements dramatiques qui ont secoué le Rwanda en avril 1994, le système scolaire rwandais s'est totalement effondré, toutes les écoles ayant été détruites ou sérieusement endommagées; de nombreux enseignants sont morts ou partis en exil. En 2008, le président Paul Kagamé a annoncé que le pays passait à l'anglais dans tout le système d'éducation, le français demeurant dorénavant une simple langue seconde ou une matière d'enseignement. Pour justifier le passage du français à l'anglais en 2008, Paul Kagamé avait affirmé donner «la priorité à la langue qui rendra nos enfants plus compétents et qui servira notre vision de développement du pays». Mais ce n'est pas le président rwandais qui devait donner des cours en anglais du jour au lendemain, une langue que les enseignants ne connaissaient pas.

L'enseignement de l'anglais a été introduit en un temps record, et tous ont appris «sur le tas», les élèves comme les maîtres, en passant du français à l'anglais. Le chaos s'est installé, mais le président Kagamé a décidé d'augmenter le salaire des enseignants. Les Tutsis anglophones ont pu en profiter pendant que leurs collègues de français ont été réduits au chômage ou furent contraints à donner quelques heures de cours par semaine.

L’enseignement des trois premières années du primaire est donné kinyarwanda, la langue nationale. En quatrième année, cet enseignement passe à la fois en kinyarwanda et en anglais. Au secondaire, tous les cours se donnent en anglais, tandis que le kinyarwanda et le français sont devenus des disciplines comme les mathématiques ou la géographie; de plus, ils ne font pas partie des matières d’examen. Le swahili, quant à lui, est facultatif et est exclu également des matières d’examen.

Dans l'enseignement supérieur, le gouvernement voudrait bien que les universités n'offrent leurs cours qu'en anglais, mais la pénurie de professeurs anglophones rend presque impossible que cette éventualité se réalise. En attendant, les anglophones étudient en anglais et les francophones en français.

En réalité, la plupart des élèves ne réussissent pas à maîtriser convenablement ni l'anglais ni le français. Au mieux, la majorité parvient à connaître un français ou un anglais tout juste passable. C'est que, dans le monde rural dans lequel vivent la plupart des enfants, il n'y a aucun francophone ni anglophone à qui parler, alors que le swahili leur serait plus utile.

- Les médias

La plupart des journaux sont en kinyarwanda parce qu'un seul public est visé: les kinyarwandophones à plus de 90 %.

Radio-Rwanda diffuse ses émissions en kinyarwanda dans une proportion de 86%. La radio nationale ne lit plus les informations en français durant la journée. Les informations françaises sont diffusées après 22h, alors que les gens dorment déjà. Tout le reste est en kinyarwanda et en anglais, sinon en swahili. À la télévision rwandaise (RTV), l’anglais domine les autres langues (kinyarwanda, français et swahili), parce que la plupart des émissions sont des rediffusions des chaînes étrangères anglaises, par souci d'économie, d'efficacité et d'anglicisation, sans oublier que l’élaboration d’une émission télévisée requiert des moyens que le pays ne peut se procurer facilement.

- Résumé

L’élite qui dirige présentement le pays est majoritairement anglophone et anglophile. Pendant que les Rwandais «francophones» ne veulent pas qu’on leur impose l’anglais, les Rwandais «anglophones» acceptent encore moins le français, et ce, d'autant plus qu'ils détiennent le pouvoir politique au Rwanda. Cette élite minoritaire exclusivement anglophone propage l'idée que l'anglais est la langue de l'avenir, sauf que la population ne croit pas ses dirigeants. Elle constate qu'en raison du transfert linguistique extrêmement rapide pour tout le monde, une génération entière d'enfants et d'enseignants est sacrifiée afin que le processus d'anglicisation se réalise et permette aux oligarques anglophones de se maintenir au pouvoir. Les Rwandais savent aussi que leur président Kagamé et son entourage affichent une profonde amertume envers la France et sa langue, ce qui permet aux dirigeants de se maintenir au pouvoir grâce à l'anglais qu'ils imposent à toute leur population. Bref, l'anglais au Rwanda représente le pouvoir politique. Les autorités rwandaises actuelles ont voulu changer une langue coloniale (le français) pour une autre (l'anglais), mais elles ont présenté cette transformation comme du nationalisme, alors qu'il s'agit d'un «népotisme linguistique».

Finalement, l’anglais est l'instrument du pouvoir politique pour des motifs économiques et clientélistes. Le français demeure le virus qu'on voudrait bien faire disparaître pour diverses raisons idéologiques. Le swahili reste une langue utile pour des raisons commerciales en Afrique de l'Est, tandis que le kinyarwanda est la langue oubliée peu gratifiante, malgré son importance numérique et sociale.

Après l'accession à l'indépendance, les dirigeants politiques ont volontairement choisi la langue de leur ancien maître, langue qu'ils maîtrisaient, afin d'assurer leur pouvoir. Même lorsqu'ils décident d'accorder à une langue nationale majoritaire le statut de co-officialité, la langue coloniale réussit à maintenir sa domination sur l'autre. Le Rwanda a même décidé de changer sa langue coloniale pour une autre, du fait que la nouvelle élite maîtrise mieux la seconde. Quoi qu'il en soit, c'est toujours une élite minoritaire qui décide du sort des langues pour leurs propres intérêts, pendant que la masse de la population ne suit pas.

Dans ces pays, l'ancienne langue coloniale conserve la part du lion dans la plupart des domaines de la vie sociale. Il s'agit d'un phénomène de «superposition linguistique» qui consiste à ce qu’une langue étrangère soit amenée à assurer, dans une société donnée, l’exercice de certaines fonctions considérées comme supérieures, telles que les fonctions politiques, juridiques, administratives, scientifiques, techniques, etc. Dans ce cas, la langue de l’ex-colonisateur est devenue un monopole d’une petite élite scolarisée, générant soit un sentiment de supériorité chez la minorité dominante qui maîtrise cette langue, soit un complexe d’infériorité chez la majorité dominée qui l’ignore ou n'en possède que quelques rudiments. Par conséquent, la langue imposée est considérée par les citoyens de ces pays comme une langue de prestige et comme principal facteur de promotion sociale.

Dernière mise à jour: 22 avr. 2024

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Majorités fragiles 1 :
langue d'un État fragilisée

 


Majorités fragiles 3:
États non souverains

 

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