République fédérative du Brésil

Brésil

Politique linguistique
à l'égard des autochtones

Il n’est pas inutile de rappeler que, avant l’arrivée des Européens, les autochtones du Brésil comptaient une population de cinq à six millions d’habitants. Après avoir été massacrés, soumis à l’esclavage et aux maladies (épidémies), la population avait diminué, vers 1950, jusqu’à un peu plus de 100 000 individus. On estime que, seulement au cours du XXe siècle, quelque 12 tribus autochtones sont disparues chaque mois. Il s’agit là, à coup sûr, d’un véritable génocide! Diverses organisations non gouvernementales ont réussi à alerter le gouvernement brésilien qui, de concert avec la communauté internationale, a fini par offrir de meilleures conditions à ses autochtones. Mais il aura quand même fallu attendre plus de cinq siècles pour que les autochtones soient considérés comme des êtres humains à part entière.

Le Brésil a beaucoup légiféré sur la question des autochtones. Il a non seulement reconnu dans la Constitution fédérale les droits des peuples autochtones, mais il a aussi adopté des lois sur les «indigènes», ainsi que dans le domaine particulier de l’éducation. Malheureusement, le gouvernement n’a pas encore adopté la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation internationale du travail (no 169) qui a été ratifiée par de nombreux pays latino-américains. Néanmoins, les instruments juridiques dont s’est doté le Brésil donne une assez bonne idée de la politique linguistique du Brésil sur la question autochtone.

Les droits des populations autochtones sont reconnus dans la Constitution de 1988 ainsi que dans une loi sur les Indiens adoptée depuis le 19 décembre 1973: c'est la loi no 6.001 relative au statut de l'Indien (Lei no 6.001 Dispõe sobre o Estatuto do Índio). Ces droits reconnus ne concernent pas exclusivement la langue, car ils couvrent à la fois les droits territoriaux, les droits civils et politiques, ainsi que les droits linguistiques reliés à l'éducation. 

1 Les droits territoriaux

La question des droits territoriaux autochtones n'a apparemment rien à voir avec les droits linguistiques. Néanmoins, il a semblé utile de rapporter certains points forts de la législation en vigueur, car ils font partie des mesures globales de protection prévues pour le autochtones par l'État fédéral brésilien.

La Constitution de 1988 de la République fédérative du Brésil, modifiée en 1994, reconnaît formellement les «droits collectifs» des peuples indigènes sur les terres qu’ils occupent historiquement. C'est l'objet du chapitre VIII de la Constitution, intitulé Dos Indios. L'article 231 est le plus révélateur, car il précise en quoi consistent ces droits:

Article 231

Sont reconnus aux Indiens leur organisation sociale, leurs coutumes, leurs langues, leurs croyances et leurs traditions ainsi que leurs droits originels sur les terres qu'ils occupent traditionnellement, et il appartient à l'Union de les délimiter, protéger et faire respecter tous leurs biens.

Cet article décrit en sept paragraphes successifs les droits reconnus. Il s'agit des terres historiquement occupées par les Indiens et habitées par eux de façon permanente, utilisées pour leur activités de production et qui leur sont indispensables pour la conservation de leurs «caractéristiques environnementales» (par. 1). Ces terres traditionnellement occupées par les Indiens sont destinées à leur possession permanente en disposant de l'usufruit exclusif sur les richesses du sol, des rivières et des lacs existant en leur sein (par. 2). L'exploitation de ces terres ne peut être poursuivie que par l'autorisation du Congrès national (par. 3). D'après le paragraphe 4, ces terres sont considérées comme «inaliénables» et «réservées exclusivement» aux autochtones; il est même interdit de déplacer des groupes indigènes de leurs terres (par. 5). 

Les réserves indigènes — au nombre de 554 — s'étendent au Brésil sur 946 452 km2, ce qui correspond à environ 11,12 % du territoire national. Pour fins de comparaison, ces réserves correspondraient aux territoires de la France et de la Brande-Bretagne réunis. Les 554 réserves indigènes reconnues par la FUNAI (Fundação Nacional do Índio) abritent une population indigène estimée à plus de 330 000 personnes.

L’État fédéral s'est donné l'obligation de délimiter les aires de chaque tribu d’après son occupation traditionnelle; ces terres seront à l‘avenir leur «propriété collective». L'Union dispose non seulement du pouvoir de délimiter les terres autochtones et de protéger ces propriétés, mais elle a aussi le pouvoir de légiférer sur les droits des autochtones. Tout différend relatif à ces droits doit être soumis à des juges fédéraux et au service du Ministère public ayant pour mandat de défendre devant les tribunaux les droits et intérêts des populations autochtones. 

Évidemment, cette nouvelle situation juridique peut causer de nombreux conflits pour les entreprises qui tirent profit de l'exploitation de ces terres. Il semble par ailleurs évident que le développement économique du pays, le progrès et l'unité nationale risquent de l'emporter sur la survie de ces «sauvages» dont beaucoup n'attendent plus que la liquidation. 

Par ailleurs, la Loi n° 6.001 relative au statut de l'Indien de 1973 (Lei no 6.001, Dispõe sobre o Estatuto do Índio) apporte certaines précisions sur les intentions du gouvernement brésilien. L'article 2 de la loi de 1973 énonçait toute une série d'objectifs: 

- étendre aux Indiens les bénéfices d'une législation commune;
- prêter assistance aux Indiens et aux communautés indigènes;
- respecter les particularités inhérentes à la condition indigène;
- assurer aux Indiens la possibilité du libre choix dans leurs moyens de subsistance;
- garantir aux Indiens la permanence de leurs territoires;
- respecter dans le processus d'intégration de l'Indien à la communauté nationale, la cohésion des communautés indigènes, ainsi que leurs valeurs culturelles, leurs traditions, leurs us et coutumes;
- réaliser des programmes visant à faire bénéficier les communautés indigènes;
- utiliser la coopération, l'esprit d'initiative et les qualités personnelles de l'Indien en vue de l'amélioration de ses conditions de vie et de son intégration dans le développement du pays;
- garantir aux Indiens et aux communautés indigènes la possession permanente des terres qu'ils habitent en leur reconnaissant le droit à l'usufruit exclusif des richesses naturelles;
- garantir aux Indiens l'exercice complet de leurs droits civils et politiques.

La Loi n° 6.001 relative au statut de l'Indien traite longuement des «terres indigènes» dans ses articles 17 à 25. Ainsi, l'article 18 stipule que «les terres indigènes ne pourront pas faire l'objet de bail ni d'acte ou d'affaire juridique qui restreigne le complet exercice de la possession directe par la communauté indigène ou par les sylvicoles» (habitants de la forêt). Il est interdit à toute personne non autochtone de pratiquer la chasse, la pêche, la cueillette de fruits ou toute autre «activité agro-pastorale» («a prática da caça, pesca ou coleta de frutos, assim como de atividade agropecuária»). L'article 19 prévoit que les terres homologuées seront seront enregistrées au Serviço do Patrimônio da União (SPU), c'est-à-dire le Service du patrimoine de l'Union. 

Toutefois, la loi prévoit également des mesures de dérogation. L'article 20 de la Loi n° 6.001 relative au statut de l'Indien précise qu'un décret du président de la République pourra intervenir dans les cas suivants: 

a) pour mettre terme à la lutte entre des groupes tribaux;
b) pour combattre des graves maladies épidémiques, qui puissent causer l'extermination d'une communauté indigène, ou un quelconque mal qu'il remette en cause l'intégrité du caractère sylvicole d'un groupe tribal;
c) pour assurer la sécurité nationale;
d) pour la réalisation de travaux public qui concernent le développement national;
e) pour réprimer le désordre;
f) pour exploiter les richesses du sous-sol lorsque entrent en jeu la sécurité et le développement national.

Il est également prévu que le gouvernement fédéral puisse intervenir pour empêcher «l'emploi de force contre les Indiens» et déplacer temporairement des groupes tribaux dans un autre secteur. Si une telle éventualité se produisait, le gouvernement devrait rembourser les préjudices liés au déplacement des autochtones.

L'article 22 de la loi no 6001 relative au statut de l'Indien affirme qu'il revient aux Indiens ou aux «sylvicoles» la possession permanente des terres qu’ils habitent et qu'ils ont droit à «l'usufruit exclusif des richesses naturelles» sur les terres homologuées; administrativement, les terres homologuées sont appelée «terres occupées» («terras ocupadas»). En vertu de l'article 24, l'usufruit assuré aux Indiens et aux «sylvicoles» comprend le droit à la possession, l'utilisation et la perception des richesses naturelles ainsi que de toutes les ressources existantes sur les terres occupées, ce qui inclut l'exploitation économique des richesses naturelles.

De plus, conformément à l'article 26 de la loi no 6.001 relative au statut de l'Indien, l'Union pourra, dans toute partie du territoire national, déterminer des «secteurs réservés» («áreas reservadas») et destinés spécifiquement aux Indiens, par exemple pour créer une réserve indigène («reserva indígena»), un parc indigène («parque indígena»), une colonie agricole indigène («colônia agrícola indígena») ou un territoire fédéral indigène («território federal indígena»). Selon l'article 34, tout agence fédérale d'assistance à l'Indien pourra demander la collaboration des forces armées et de la police fédérale pour assurer la protection des terres occupées par les Indiens et les communautés indigènes. Les articles 39 à 46 portent sur les biens et revenus du patrimoine indigène. 

Cependant, l'application des ces dispositions, tant constitutionnelles que législatives, n'est pas aussi simple qu'on pourrait le croire. Lors de l’entrée en vigueur de la Constitution en 1988, un délai de cinq ans avait été fixé pour délimiter les terres indigènes non encore enregistrées (homologuées). À la fin de ce délai, moins de la moitié d’entre elles avaient été délimités, surtout à cause de l'opposition des élites locales et des intérêts économiques de certains groupes de pression. En 1996, un décret présidentiel (no 1775) est venu perturber la procédure de démarcation: les possibilités de contestation en faveur des non-autochtones ont été élargies. À la fin de 1998, selon l’Instituto socioambiental (Institut socio-environnemental) du Brésil, seulement 262 territoires (sur quelque 554 répertoriés), soit 47,2 % de l'ensemble, étaient reconnus officiellement, c'est-à-dire démarquées, homologuées et enregistrées. Il en resterait 292 desquelles 133 sont déjà identifiées ou seraient en voie de l'être. Finalement, malgré les prescriptions constitutionnelles, les faits démontrent que le respect des droits des autochtones n'est pas acquis, car les assassinats et les occupations illégales de territoires autochtones sont rarement poursuivis en justice.

La question des terres autochtones, faute de véritable réforme agraire, est restée sans solution adéquate. Dans leurs «réserves», dont les superficies ont été augmentées — totalisant 946 452 km², soit environ 11 % du territoire national — sous le régime de Fernando Henrique Cardoso (réélu en 1998), les derniers autochtones du Brésil achèvent de mourir sous les maladies des civilizados. Par ailleurs plus de 30 000 km² de la forêt amazonienne dans l’État du Roraima ont été dévastés, en février et mars 1998, par des incendies dus à de fortes sécheresses causées par l'El Niño et à l’imprudence des propriétaires terriens et des paysans recourant au système des brûlis. Ces incendies ont des conséquences dramatiques pour les autochtones et les petits paysans menacés par la famine. Pendant ce temps, les agriculteurs, colons et producteurs brésiliens, sans oublier les autorités locales des États, critiquent et contestent l’ampleur des zones transformées en «réserves» pour préserver «à peine» 350 000 Indiens répartis en 216 tribus. Cela dit, la délimitation des territoires réservés aux autochtones n’empêche pas que 85 % de ces terres soient continuellement envahies par des colons et des petits agriculteurs, avec la complicité apparente de l’État brésilien et surtout des États locaux. De leur côté, les anthropologues ont identifié 741 territoires indigènes au Brésil; or, les 580 réserves prévues par le gouvernement ne suffiraient pas à assurer un sort équitable à l’ensemble des populations indiennes, et encore moins à les dédommager pour cinq siècles de génocide. 

Il faut aussi comprendre que le Brésil refuse de s'aligner sur les législations internationales qui préconisent que les peuples indigènes sont les véritables «propriétaires» de leurs terres ancestrales. Au Brésil, les autochtones ne bénéficient que de l'usufruit de leurs «réserves», sans détenir des titres de propriété. Par comparaison, le Pérou, un pays plus pauvre que le Brésil, a accordé à ses autochtones, depuis 1974, des titres de propriété officiels, qui leur confèrent la pleine propriété communale à perpétuité. Puisque les autochtones ne sont que de simples usufruitiers, l’État brésilien reste en fait le propriétaire légal de l’ensemble des terres autochtones!

Le problème actuel auquel se heurtent les politiques du gouvernement fédéral reste avant tout la corruption généralisée des pouvoirs politiques locaux qui semblent davantage sensibles aux grands propriétaires et aux colons que sensibilisés à la survie des populations indigènes. Il n’en demeure pas moins que cette situation empêche le gouvernement fédéral d’actualiser les dispositions de la Constitution en matière de protection des autochtones. Pour le moment, ces derniers continuent de demeurer sous la tutelle de l'État, sans droit de vote ni celui de posséder un passeport, en attendant leur liquidation.

2  Les droits civils et politiques

Seule la Loi n° 6.001 relative au statut de l'Indien de 1973 traite des droits civils et politiques des autochtones. L'article 5 reconnaît des droits civils aux Indiens («índios») et aux ''sylvicoles'' («silvícolas»), c'est-à-dire les habitants des forêts. L'article 6 énonce que seront respectés les us et coutumes, les traditions, les droits de succession, les régimes de propriété des autochtones. Il sera possible d'appliquer les règles de droit commun connu des autochtones. 

Tout Indien a le droit de recourir aux tribunaux pour exiger d'un juge qualifié d'être libéré du régime de tutelle prévu dans la loi, en s'appropriant en totalité ses droits civils s'il remplit les conditions suivantes (article 9):

1) être âgé d'au moins 21 ans;
2) connaître la langue portugaise;
3) se qualifier pour une activité utile dans la communauté nationale;
4) comprendre les usages et les coutumes de la communauté nationale. 

Dans d'autres pays, le législateur aurait prévu le recours à des interprètes et n'obligerait pas les autochtones à connaître la langue officielle. 

L'article 12 deLoi n° 6.001 relative au statut de l'Indien relative au statut de l'Indien donne la possibilité aux «Indiens non intégrés» («índios não integrados») de reconnaître et d'enregistrer les naissances et décès, les mariages civils, ainsi que les prénoms et noms des autochtones. L'enregistrement civil sera fait selon la demande de l'intéressé ou de l'autorité administrative compétente. L'article 14 de la Loi relative au statut de l'Indien interdit la discrimination entre les travailleurs indigènes et les travailleurs non indigènes. 

Dans les faits, ces dispositions n'ont pas grand effet, car les autochtones ne jouissent pas d'une grande considération de la part des populations non autochtones, qui considèrent généralement les indigènes comme des «vagabonds», des «paresseux», des «incapables de travailler», etc. Beaucoup croient que les indigènes ne servent tout juste que d'attraction pour les touristes en mal de curiosités. Non autonomes, les indigènes dépendent entièrement de l'État pour leur subsistance; acculturés et soumis au bilinguisme, ils vivent dispersés, séparés les uns des autres, et conservent leur statut d'«indigènes» entretenus. 

3   Les droits linguistiques reliés à l'éducation

Au point de vue juridique, la langue d’enseignement est régie par la loi no 9.394 du 20 décembre de 1996 fixant les directives et les bases de l'Éducation nationale (Lei nº 9.394, de 20 de Dezembro de 1996 estabelece as diretrizes e bases da Educação Nacional) et dévoile certains principes de la politique linguistique que le gouvernement met en application. Mais les autochtones sont également soumis à une loi plus ancienne, la loi no 6.001 relative au statut de l'Indien (Lei no 6.001, Dispõe sobre o Estatuto do Índio) du 19 de décembre de 1973. 

Soulignons auparavant les dispositions de l'article 215 de la Constitution. Celui-ci prévoit que l'État garantit à tous les citoyens le plein exercice de leurs droits culturels, notamment à l'égard des cultures populaires, indigènes et afro-brésiliennes, et des autres groupes participant à l'évolution culturelle nationale:

Article 215

L'État garantira à tous le plein exercice des droits culturels et l'accès aux sources de la culture nationale; il appuiera et encouragera la valorisation et la diffusion des manifestations culturelles.

§ 1) L'État protégera les manifestations des cultures populaires, indigènes et afro-brésiliennes, et des autres groupes participant à l'évolution culturelle nationale.

§ 2) La loi statuera sur la fixation des dates commémoratives ayant une signification importante pour les différents groupes ethniques nationaux.

Dans la mesure où la culture revêt un caractère global et peu inclure la langue, il convient de rappeler cet article 231 de la Constitution brésilienne:

Article 231

Sont reconnus aux Indigènes, leur organisation sociale, leurs coutumes, leurs langues, leurs croyances et traditions et les droits d'origine sur les terres qu'ils occupent traditionnellement, la responsabilité de les délimiter, de se protéger et de faire respecter tous leurs biens incombant à l'Union.

En matière de langue portugaise, la Loi n° 9.394 du 20 décembre de 1996 fixant les directives et les bases de l'Éducation nationale ne mentionne que deux articles (32 et 36). L’article 32 porte sur l’enseignement de base et reprend intégralement les dispositions de la Constitution à ce sujet (article 210), qui prévoient que l'enseignement devra se faire en portugais. Cependant, un paragraphe (§ 3) prévoit des mesures particulières pour les communautés indigènes: 

Article 32

L'enseignement fondamental obligatoire, d'une durée de neuf ans, gratuit dans les écoles publiques à partir de l'âge de six ans, aura pour objectif la formation de base du citoyen par:

§ 3 L'enseignement fondamental régulier sera dispensé en langue portugaise, et les communautés indigènes seront aussi assurées de l'usage de leur langue maternelle et des méthodes prores d'apprentissage.

Pour sa part, l’article 36 (§ 1) précise que, dans l’enseignement moyen (secondaire), sera enseignée, entre autres, «la langue portugaise comme instrument de communication». Autrement dit, l’étude du portugais demeure obligatoire durant tout le cursus primaire et secondaire (art.26, §1), comme l’est également l’enseignement en langue portugaise (art.36, §1). Il faut comprendre que l'enseignement dans la langue maternelle des autochtones n'est possible qu'au primaire, et ce, dans le cadre d'une éducation scolaire «bilingue et interculturelle»

La loi no 6.001 relative au statut de l'Indien (Lei no 6.001, Dispõe sobre o Estatuto do Índio) du 19 de décembre de 1973 consacre un chapitre à l'éducation, la culture et la santé. Le titre V (articles 47 à 55) est le suivant: Da Educação, Cultura e Saúde («Éducation, culture et santé»). Malheureusement, ces articles sont rédigés en des termes très généraux. L'article 47, par exemple, assure aux communautés indigènes le respect de leur patrimoine culturel et de leurs valeurs artistiques. Fort bien! Mais comment? L'article 48 élargit à la population indigène, moyennant des adaptations nécessaires, le système d'enseignement en vigueur au pays:

Article 48

Le système d'enseignement en vigueur au pays est étendu aux populations indigènes, avec les adaptations nécessaires. 

Une telle disposition donne lieu à bien des interprétations. Comme tenu de l'article 210 de la Constitution qui stipule que «l'enseignement fondamental régulier sera dispensé en langue portugaise», il faut supposer que des «adaptations» s'imposent, mais de quelle sorte d'adaptation s'agit-il? L'article 49 peut apporter des précisions:

Article 49

L'alphabétisation des Indiens se fera dans la langue du groupe auquel ils appartiennent et en portugais, afin de sauvegarder l'utilisation de la première langue.

Est-ce qu'on entend par «adaptation» l'alphabétisation en langue autochtone? L'article 50 est l'exemple parfait d'une coquille vide: l'éducation de l'Indien sera guidée en vue de l'intégration à la «communion nationale» («comunhão nacional») moyennant un processus de compréhension graduelle des problèmes généraux et des valeurs de la société nationale, ainsi par l'exploitation chez l'Indien de ses aptitudes individuelles. Dans plusieurs pays, de telles dispositions correspondent à une «langue de bois» vide de sens. Apparemment, la législation brésilienne privilégie davantage «l'intégration» des autochtones plutôt que «la conservation» de ces derniers.  

La population autochtone d'âge scolaire est d'environ 70 000 élèves pour lesquels il existe actuellement 785 écoles dont beaucoup sont dirigées par des missions laïques ou religieuses. Malgré les mesures juridiques touchant les autochtones, de graves problèmes semblent subsister: par exemple, la difficulté de trouver des enseignants bilingues compétents, le taux élevé d’abandon scolaire chez les jeunes, la non-intégration dans les programmes nationaux des éléments de la culture indigène, l'absence de valorisation des langues autochtones, etc. Comme partout ailleurs en Amérique latine, les élèves autochtones sont toujours tenus d'apprendre une autre langue que leur langue maternelle, ce qui n’est pas le cas des autres Brésiliens. Autrement dit, les autochtones sont obligés de recevoir une éducation bilingue, voire interculturelle, et de développer des habiletés de bilinguisme, alors que les autres citoyens s’en tiennent à la seule langue portugaise. 

4  La co-officialité des langues autochtones

L'État fédéral n'a jamais officialisé une langue autochtone, ni un État fédéré. Cependant, les municipalités peuvent légalement officialiser une ou plusieurs langues autochtones sur leur territoire. Jusqu'à présent, une seule a eu la possibilité de le faire.

La municipalité de São Gabriel da Cachoeira dans l'État d'Amazonas compte une population de quelque 34 000 habitants (2005). Or, plus de 73 % de sa population est composée d'Indiens et de leurs descendants. La plus grande partie de cette commune est formée de terres indigènes accessibles avec une autorisation préalable de la FOIRN (Federação das Organizaçoes Indigenas do Rio Negro ou Fédération des organismes indigènes du Rio Negro). Forts de leur majorité, les Indiens ont réussi à faire adopter un décret-loi proclamant trois langues co-officielles, en plus du portugais: le nheengatu, le tukano et le baniwa. Il s'agit de la loi-décret no 145 du 11 décembre 2002. Tous les services officiels de la commune de Saint-Gabriel doivent dorénavant être offerts en trois langues autochtones et en portugais, en plus d'encourager les enseignants des écoles publiques à enseigner aux enfants leurs langues indigènes, sans oublier les banques, les églises, les commerces, la publicité, le système judiciaire et les moyens de communication. 

Voici les deux premiers articles du décret-loi :

Artigo 1°

A língua portuguesa e o idioma oficial da República Federal do Brasil

Parágrafo Único

Fica estabelecido que o município de São Gabriel da Cachoeira/Estado do Amazonas, passa a ter como línguas co-oficiais, as Nheengatu, Tukano e Baniwa.

Artigo 2°

O status de língua co-oficial concedido por esse objeto, obriga o município:

§1°. A prestar os serviços públicos básicos de atendimento ao público nas repartições públicas na língua oficial e nas três línguas co-oficiais, oralmente e por escrito.

§2°. A produzir a documentação pública, bem como as campanhas publicitárias institucionais na língua oficial e nas três línguas co-oficiais.

§3°. A incentivar a apoiar o aprendizado e o uso das línguas co-oficiais nas escolas e nos meios de comunicações.

Article 1er

Le portugais est la langue officielle de la République fédérale du Brésil

Paragraphe unique

Il est établi que la municipalité de Saint-Gabriel de Cachoeira / État d'Amazonas adopte trois langues co-officielles, le nheengatu, le tukano et le baniwa.

Article 2

Le statut de langue co-officielle accordé par le présent article oblige la Municipalité :

À assurer des services publics de base de participation au public dans les répartitions publiques dans la langue officielle et dans les trois langues co-officielles, à l'oral et à l'écrit.

À produire la documentation publique, ainsi que les campagnes publicitaires institutionnelles dans la langue officielle et dans les trois langues co-officielles.

À encourager à soutenir l'apprentissage et l'usage des langues co-officielles dans les écoles et dans les moyens de communication.

São Gabriel da Cachoeira est devenue la première ville brésilienne à officialiser ainsi des langues autochtones. Cependant, toute la région du Haut Rio Negro, située dans l’extrême nord-ouest de l’État Amazonas, est l’habitat traditionnel de 22 ethnies partagées entre environ 650 communautés. C'est donc dire que les trois langues co-officielles de São Gabriel da Cachoeira constituent une goutte d'eau dans l'océan linguistique brésilien. Cela étant dit, l'État devrait encourager les municipalités à adopter de tels règlements, puisque chaque commune ou municipalité peut adopter ses propres règlements dans les limites des compétences imposées par la Constitution. On peut consulter le texte complet du décret-loi no 1345 en cliquant ICI, s.v.p.

Si l'on s'en tient à la politique linguistique du gouvernement fédéral brésilien, il faut admettre que celle-ci demeure extrêmement limitée, car elle est entièrement liée au seul domaine scolaire et, plus précisément, à l'éducation primaire bilingue interculturelle. Évidemment, ce type d'éducation ne vaut que pour les seuls autochtones et ne concernent nullement les non-autochtones qui ne sont pas tenus à l'«interculturalité» (ou interculturalisme), c'est-à-dire l'intégration de leurs communautés dans un environnement où seul l'espagnol est la langue commune de la vie publique. Le problème vient du fait que les rapports de force sont trop inégaux pour les 350 000 autochtones qui ne disposent d'aucun pouvoir, si ce n'est la sympathie de la communauté internationale. 

De plus, les autochtones se heurtent toujours à des obstacles importants tels que la pauvreté, l’exclusion et le mépris. Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que le président du Brésil, Fernando Henrique Cardoso, ait reconnu lui-même dans l'un de ses discours que «le passé esclavagiste, oligarchique et patriarcal du Brésil en faisait une des sociétés les plus injustes du monde». Il semble donc inéluctable que le sort des autochtones du Brésil continuera de se détériorer et que leur disparition soit plus ou moins prochaine. C'est probablement ce que veulent les Brésiliens qui ne voient pas d'un grand intérêt le sort de ces populations exclues depuis longtemps du reste de la Nation. 

Dernière modification en date du 28 déc. 2023
 

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La politique linguistique à l’égard des autochtones
 

Bibliographie
 
 

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