
République irakienne |
Irak
Jumhuriyah al `Iraqiyah |

Capitale: Bagdad
Population: 34,1 millions (2014)
Langue officielle: arabe classique
Groupe majoritaire: arabe mésopotamien (51,3 %)
Groupes minoritaires: dialectes arabes (22 %), kurde (18 %), azéri (4 %), assyrien (1,3 %), farsi (1,2 %),
turkmène (1 %), arménien (0,27 %), circassien (0,08 %), etc.
Système politique: république militaire à parti unique
Articles constitutionnels (langue): art. 4 et 125 de la
Constitution de 2005. Voir
aussi les constitutions
provisoires depuis 1925.
Lois linguistiques:
Accord
d'autonomie irako-kurde de 1970 ;
Loi n° 3 de 1971 sur la protection du droit d'auteur
;
Loi n°
33 du 11 mars 1974 ;
Loi n° 28 de
1983 ;
Loi sur
l'administration de l'État de l'Irak sous la période de transition
(2004);
Règlement d'accréditation des entités politiques (2008)
;
Règlement d'exécution des
contrats administratifs (2008).
|
Plan de l'article
1.
Présentation générale
1.1 D'un État centralisé à un État fédéral
1.2 Le fédéralisme irakien
1.3 Une fédération lacunaire et défectueuse
2. Données
démolinguistiques
2.1 Les ethnies
2.2 Les grands groupes ethniques par gouvernorat (province)
2.3 L'arabe et ses variétés
2.4 Le kurde et ses variétés
2.5 Les autres minorités linguistiques
2.6 Les religions et leurs conflits
3 Données historiques
3.1 La domination ottomane (1533-1918)
3.2 Les puissances coloniales
3.3 Le mandat britannique (1920-1932) |
3.4 Les textes juridiques
3.5 L'indépendance de l'Irak (1932)
3.6 La république d'Irak (1958)
3.6 Le régime de Saddam Hussein (1979-2003)
3.7 L'occupation américaine (2003-2011)
3.8 La menace djihadiste
4. La
politique linguistique de Saddam Hussein
4.1 Les dispositions constitutionnelles de 1990
4.2 La politique linguistique d'arabisation
5. La politique
linguistique actuelle
5.1 La Constitution de 2005 et le bilinguisme
5.2 Les problèmes dans l'emploi des langues
5.3 Le système d'éducation irakien
5.4 La situation des médias
5.5 Le monde des affaires |

Au Proche-Orient, la république dIrak
(en arabe:
Jumhuriyah al `Iraqiyah) est
un pays de
434 128 km², soit quatre
fois plus grand que la Jordanie, mais 3,7 fois plus petit que l'Iran.
L'Irak est bordé par la Turquie
(779
452
km²) au nord,
par l'Iran (1
648 000 km²) à l'est, par l'Arabie Saoudite
(2
240 000
km²) et le Koweït
(17
800
km²) au sud, par la Jordanie
(92
000
km²) et la Syrie (185
180
km²) à l'ouest.
 |
Le
pays est traversé
du nord au sud par deux fleuves, le Tigre à l'est et l'Euphrate à l'ouest, qui se
rejoignent au sud pour former le Chatt-al-Arab débouchant sur le golfe
Persique par un vaste delta. L'Irak ne possède que 20 kilomètres de façade
maritime sur le Golfe. Le pays tire son
nom de sa situation géographique: en effet, le mot arabe Iraq
signifie «bord de l'eau».
Le drapeau de l'Irak est formé de fait de trois bandes
horizontales rouge, blanche et noire, et reprend ainsi les couleurs
panarabes, frappées de la devise en arabe Allah akbar («Allah est grand»).
Le 22 janvier 2008, le Parlement irakien a adopté un
drapeau national provisoire en supprimant les trois étoiles, lesquelles
comprenaient la devise Wihda,
Hurriyah, Ishtirrakiyah, c'est-à-dire «Unité, Liberté, Socialisme». C'est Saddam Hussein
qui avait décidé de
placer les mots Allah Akbar («Allah est grand)» entre les étoiles.
|
Selon l'Arrêté
français du 4 novembre 1993 relatif à la terminologie des noms d’États et de
capitales, il est recommandé d'écrire Iraq
ou Irak (variante). Mais l'adjectif serait iraquien
et non irakien. Toutefois, le Bulletin officiel du Ministère des Affaires étrangères
de 2009 recommande plutôt irakien et propose
Iraq comme variante. Dans le présent site, les graphies
Irak et irakien/irakienne ont été privilégiées.
1.1 D'un État centralisé à un État
fédéral
 |
Depuis sa fondation lors du mandat britanniques (1920-1932), l’Irak était un État
unitaire qui a connu des périodes de centralisation et de décentralisation, mais
il est devenu une république centralisée dès les années 1960. Cette république
fut gouvernée par Saddam Hussein du
16 juillet 1979 au 9 avril 2003. Cette année-là, l'attaque militaire menée par les États-Unis et
le Royaume-Uni, soutenue par plusieurs autres pays, entraîna la chute du
gouvernement de Saddam Hussein.
Par la suite, un gouvernement intérimaire irakien
fut formé par la force multinationale présente en Irak (États-Unis,
Royaume-Uni, etc.) comme
gouvernement provisoire dans le but de gérer l'Irak jusqu'à la
constitution du gouvernement de transition, lequel devait être mis
en place après les élections du 30 janvier 2005. Une nouvelle
constitution fut rédigée en 2005
et adoptée par les membres du Comité de rédaction
constitutionnel irakien afin de remplacer la «loi pour
l'administration de l'État de l'Irak sous la période de transition»
(TAL). Puis le texte fut approuvée lors d'un
référendum tenu le 15 octobre 2005. En octobre 2006, les
députés irakiens ont adopté la loi sur le fédéralisme.
Ainsi, l'Irak
est passé d’un État unitaire centralisé et fort à un État fédéral, avec une seule
région autonome, le Kurdistan
irakien (jusqu'à présent).
|
L'Irak est aujourd'hui une
fédération composée de 18
gouvernorats ou provinces administratives (muhafazat)
et d'une région autonome (Kurdistan irakien):
Provinces
(Muhafazat)
|
Population
(2011) |
Pourcentage |
Superficie
(en km2)
|
Capitale
(province)
|
Basrah
(chiite/sunnite) |
2 532 000 |
7,5 % |
19 070 km² |
Bassora |
Dhi Qar
(chiite) |
1 836 200 |
5,4 % |
12 900 km² |
Nasiriyah |
Muthanna (sunnite/chiite) |
719 100 |
2,1 % |
51 740 km² |
Samawah |
Qadisiyah
(chiite) |
1 134 300 |
3,3 % |
8 153 km² |
Diwaniyah |
Nadjaf
chiite/sunnite) |
1 285 500 |
3,8 % |
28 824 km² |
Nadjaf |
Babil
(chiite) |
1 820 700 |
5,4 % |
6 468 km² |
Hillah |
Karbala
(chiite) |
1 066 600 |
3,1 % |
5 034 km² |
Kerbala |
Maysan (chiite)
|
971 400 |
2,8 % |
16 072 km² |
Amarah |
Wassit
(chiite)
|
1 210 600 |
3,5 % |
17 153 km² |
Kout |
Bagdad
(chiite/sunnite) |
7 055 200 |
20,9 % |
734 km² |
Bagdad |
Anbar
(sunnite/chiite) |
1 561 400 |
4,6 % |
138 501 km² |
Ramadi |
Ninawa ou Ninive
(sunnite/kurde) |
3 270 400 |
9,7 % |
37 323 km² |
Mossoul (Mawsil) |
Salah ad-Din ou Saladin
(sunnite/kurde) |
1 408 200 |
4,1 % |
24 751 km² |
Samarra |
Kirkouk
(sunnite/kurde) |
1 395 600 |
4,1 % |
10 282 km² |
Kirkouk |
Diyala
(sunnite/chiite/kurde) |
1 443 200 |
4,2 % |
6 828 km² |
Baqwbah |
Erbil
(kurde) |
1 612 700 |
4,7 % |
14 471 km² |
Erbil |
Souleimaniyeh
(kurde) |
1 878 800 |
5,5 % |
17 023 km² |
Souleimaniyeh |
Dohouk
(kurde) |
1 128 700 |
3,3 % |
6 553 km² |
Dohouk |
TOTAL 2011 |
33 667 600 |
100,0
% |
434 128 km² |
Bagdad |
Les gouvernorats les plus
populeux sont Bagdad (20,9 %), Ninive (9,7 %) et Basrah (7,5 %);
voir la carte
du pays avec ses gouvernorats. Si trois
gouvernorats sont kurdes (Erbil, Dohouk et Souleimaniyeh) et six
sont chiites (Wassit, Babil, Karbala, Qadisiya, Dhi Qar et
Maysan), neuf gouvernorats sont donc mixtes
(sunnites-chiites, sunnites-kurdes ou autres).
1.2 Le fédéralisme irakien
Toutefois, contrairement à ce qu'on pourrait croire, les 18 gouvernorats ne sont pas des
provinces fédérées. L'article 119 de la
Constitution irakienne
garantit qu'«un ou plusieurs gouvernorats ont le droit de
s'organiser en région en s'appuyant sur une requête qui doit être
approuvée par référendum». Seul le
Kurdistan, qui regroupe les
provinces d'Erbil (Arbil en arabe), de Dohouk (Dahūk
en arabe) et de Souleimaniyeh (prononcer [sou-lai-manié]), a
actuellement le statut de région autonome en Irak. D'autres
provinces réclament le statut de «région autonome» : Salah ad-Din,
Anbar et Basrah
(voir la carte
du pays avec ses gouvernorats). Bref, si plusieurs provinces ont
exprimé leur désir d'acquérir le statut de «région autonome», les
dirigeants irakiens fédéraux ont estimé qu'une telle entreprise
était prématurée et pourrait provoquer des conflits à l'intérieur du
pays. Autrement dit, la fédération irakienne est une
fédération en raison de la
présence de la région autonome du Kurdistan.
- La région autonome
 |
Le Kurdistan irakien
est situé au nord-est du pays comprenant les provinces ou
gouvernorats de Dohouk (6553 km²), de
Souleimaniyeh (17
023 km²) et d'Erbil (14 471 km²) pour un total de 38 047 km², soit
un peu moins que la Suisse (41 290 km²). Le Kurdistan irakien
est limité à l'est par l'Iran, au nord par la Turquie, à l'ouest par la
Syrie, ainsi qu'au sud par les gouvernorats irakiens d'Anbar, de Saladin et
de Diyala. Dans ses limites actuelles, le Kurdistan irakien ne
couvre que 8,7 % de la superficie du pays (434 128 km²). La capitale
du Kurdistan irakien est Erbil, appelée Hewlêr en
kurde et Arbil en arabe.
Plusieurs territoires irakiens sont
revendiqués par la Région autonome: il s'agit d'une partie des
gouvernorats de Ninive, de Saladin et de Diyala. Dès lors, le
Kurdistan irakien couvrirait une superficie de 83 000 km², ce qui
correspondrait à 19,1 % du territoire irakien, soit l'équivalent de
la superficie de l'Autriche (83 858 km²) ou des Émirats arabes unis
(82 880 km²).
Dans les faits, trois gouvernorats sont sous le
contrôle direct du Gouvernement régional du Kurdistan et quatre sont
revendiqués partiellement : Ninive, Kirkouk, Saladin et Diyala (voir
la carte).
|
Cette revendication n'est donc pas que théorique, car les
Kurdes, profitant de la faiblesse de l'armée irakienne, se sont installés
militairement dans les zones disputées et réclamées en vain depuis 2003
par le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK). Celui-ci allègue que, si les
peshmergas (milices kurdes) ont envahi l’ensemble des «territoires disputés»,
c'est parce que ceux-ci avait été confisqués il y a des années
par le gouvernement de Saddam Hussein.
Dans les faits, le fédéralisme irakien a été adopté
spécifiquement pour la Région autonome du Kurdistan (article 117.1
de la Constitution). La
formation des autres régions autonomes, notamment dans les zones chiites, a été
reportée à la demande des sunnites à la suite d'une loi élaborée dans les six
mois suivant la première réunion de la Chambre des députés (ou Chambre des
représentants, article 118). Cette période de six mois commençait à partir du 16
mars 2006, mais aucune loi n'a pu être adoptée à ce jour. C'est pourquoi l’Irak
fédéral n'est composé que d’une seule région fédérée, les autres demeurent
durant un temps indéterminé sous la seule autorité du gouvernement fédéral.
1.3 Une fédération lacunaire et défectueuse
Selon la nouvelle Constitution, le président
de la République, qui est élu au suffrage indirect par la Chambre des
représentants (art., 138), n’occupe qu’une fonction
honorifique et protocolaire, car c'est le premier ministre qui détient le
véritable pouvoir exécutif. C'est lui le chef du gouvernement et il dirige le
Conseil des ministres. En tant que commandant en chef des forces armées, il est
investi de pouvoirs importants, que ce soit le maintien de la sécurité et de
l’ordre. Le Parlement compte en principe deux Chambres: la Chambre des députés
(ou Chambre basse) et le Conseil de la fédération (ou
Chambre haute), mais cette dernière n'est pas encore formée, faute
d'élections à cet effet.
Malheureusement, la Constitution de 2005, rédigée sous la
pression des États-Unis, est lacunaire et défectueuse. Des dizaines de lois
devaient la compléter, mais aucune n’a à ce jour été adoptée ni promulguée.
Parmi celles qui font cruellement défaut, mentionnons les lois sur les partis
politiques, la Cour suprême fédérale, le pétrole et le gaz et la Chambre basse.
En raison de la situation d’insécurité généralisée en l’Irak, les institutions
gouvernementales ne fonctionnent pas de façon normale.
Après 2005, le gouvernement de coalition
a mené une politique autoritaire excluant la minorité sunnite. Ce
gouvernement a été accusé d’avoir contribué à la montée en force de l’État
islamique en Irak. Le nouveau gouvernement semble tout aussi fragile, car il
doit non seulement régler les différends entre le
gouvernement central et la région autonome du Kurdistan, mais
aussi composer avec des violences quotidiennes et la guerre civile entre chiites
et sunnites, puis entre les sunnites baassistes et les sunnites salafistes, sans
oublier le groupe armé de l'État islamique. L’Irak est aujourd'hui gouverné par
une majorité chiite qui pratique une politique sectaire relativement éloignée de
la vision d’un État fédéral irakien regroupant les chiites au sud, les sunnites
au centre et les Kurdes au nord. L’Irak, contrôlé par les chiites, est pavoisé
de portraits de l’ayatollah Khomeiny et l’Iran s’y comporte comme une puissance
de protectorat.
Le 9 avril 2013, l'EI est devenu
l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) ou État islamique en Irak et al-Sham
(EIIS). Depuis 2003, la discrimination et la marginalisation des minorités
nationales sont devenues une pratique courante. L'appartenance ethnique et
religieuse est devenue l'un des principaux piliers de la formation du
gouvernement. Cette appartenance a conduit à la concurrence entre les tribus et
les sectes. Politiser la tribu ou la secte est devenu une culture dans la
société irakienne afin d'obtenir des gains.
L’Irak présente cette caractéristique de posséder un
profil humain parmi les plus diversifié du monde arabe. C'est là le
résultat d’une longue histoire d’invasions, d'exodes, de conversions
et de fusions de races et de religions les plus diverses. Dans le
vaste territoire irakien (près de 80 % de la superficie de la
France) s’entremêlent à la fois des diversités ethniques, avec des
Arabes, des Kurdes, des Turkmènes, des Assyro-Chaldéens, etc., et
religieuses, avec des musulmans chiites, des musulmans sunnites, des
chrétiens, des juifs et d’autres religions plus rares. C'est
pourquoi l'Irak présente aujourd'hui
un pays au paysage humain si
diversifié, et ce, tant au point de vue ethnique que linguistique ou
religieux. Il existe trois grandes ethnies, deux langues
officielles, une trentaine de langues et de peuples particuliers.
Les plus grandes villes
d'Irak sont les suivantes:
Rang |
Ville |
Recensement
1965 |
Estimation
2014 |
Gouvernorat |
1 |
Bagdad |
1 523 302 |
5 672 513 |
Bagdad |
2 |
Bassorah |
310 950 |
2 600 000 |
Basrah |
3 |
Mossoul |
264 146 |
2 220 624 |
Ninive |
4 |
Erbil |
90 956 |
993 468 |
Erbil |
5 |
Souleimaniyeh |
83 612 |
773 496 |
Souleimaniyeh |
6 |
Kirkouk |
175 303 |
620 318 |
Kirkouk |
7 |
Nadjaf |
134 027 |
502 400 |
Nadjaf |
8 |
Kerbela |
81 539 |
449 047 |
Karbala |
9 |
Nasiriyah |
59 330 |
414 977 |
Dhi Qar |
10 |
Amarah |
64 674 |
336 262 |
Maysan |
|
 |
2.1 Les
ethnies
Le tableau ci-dessous présente
les ethnies présentes en Irak, notamment les Arabes, les Kurdes, .
- Les Arabes
(64,8 %)
Il y a d'abord les Arabes qui
comptent pour environ 68 % de la population totale. Ils forment
néanmoins des sous-groupes différents selon leur origine. Les plus
nombreux sont les Arabes irakiens (39,1 %) ou Arabes du Sud et les
Arabes du Nord (22,1 %) habitant au nord de Bagdad. Ils sont suivis
des Arabes saoudiens ( 4,3 %), des Arabes égyptiens (1,1 %), des
Arabes des marais (0,6 %), des Arabes du Golfe (0,1 %), des Arabes
palestiniens (0,0 %) et des Arabes syriens (0,0 %). L'ensemble des
Arabes atteint les 22,1 millions de personnes, soit 64,8 %.
- Les Kurdes
(21,2 %)
Les Kurdes constituent le second
groupe ethnique en importance numérique avec les Kurdes du Centre
(11,7 %), les Kurdes kurmanji (8,6 %) et les Yézidis (1,4 %),
soit 7,4 millions d'habitants (21,7 %).
- Les autres
minorités ethniques (14 %)
Les autres minorités ethniques
sont les Azéris (5,9 %), les Iraniens (1,1 %), les Turkmènes (1,1 %)
auxquelles il faut ajouter les Assyriens, les Louri, les Chaldéens,
les Arméniens, les Bajelani, les Herki, les Adyguéens, les Tsiganes,
les Hawrami, les Tchétchènes, les Mandéens, etc.
Peuple (Irak) |
Langue maternelle |
Population |
% |
Groupe linguistique |
Religion |
Arabes irakiens |
arabe irakien (mésopotamien) |
13
357 000 |
39,1 % |
chamito-sémitique |
islam chiite |
Arabes du Nord |
arabe mésopotamien du Nord |
7 568 000 |
22,1 % |
chamito-sémitique |
islam sunnite |
Kurdes du Centre |
kurde sorani |
4 003 000 |
11,7 % |
indo-iranien |
islam sunnite |
Kurdes kurmanji |
kurde kurmanji (septentrional) |
2 949 000 |
8,6 % |
indo-iranien |
islam sunnite |
Azéris |
azerbaïdjanais du Sud |
2 043 000 |
5,9 % |
altaïque |
islam chiite |
Arabes saoudiens |
arabe nadji |
1 474 000 |
4,3 % |
chamito-sémitique |
islam sunnite |
Yézidis |
kurde kurmanji |
487 000 |
1,4 % |
indo-iranien |
yézidisme |
Iraniens |
farsi de l'Ouest |
408 000 |
1,1 % |
indo-iranien |
islam chiite |
Arabes égyptiens |
arabe égyptien |
401 300 |
1,1 % |
chamito-sémitique |
islam sunnite |
Turkmènes |
turkmène |
400 000 |
1,1 % |
altaïque |
islam sunnite |
Arabes des marais (Maadans) |
arabe des marais |
224 000 |
0,6 % |
chamito-sémitique |
islam chiite |
Assyriens |
assyrien néo-araméen |
152 000
|
0,4 % |
chamito-sémitique |
chrétienne |
Louri |
louri du Nord |
100 000 |
0,2 % |
indo-iranien |
islam chiite |
Chaldéens |
chaldéen |
73 000 |
0,2 % |
chamito-sémitique |
chrétienne |
Arabes du Golfe |
arabe du Golfe |
67 000 |
0,1 % |
chamito-sémitique |
islam sunnite |
Arméniens |
arménien |
60 000
|
0,1 % |
isolat
indo-européen |
christianisme orthodoxe |
Bajelani |
bajelani |
59 000
|
0,1 % |
indo-iranien |
islam chiite |
Herki |
herki |
37 000
|
0,1 % |
indo-iranien |
islam chiite |
Adyguéens |
adyguéen |
34 000 |
0,0 % |
caucasien |
islam sunnite |
Tsiganes |
domari (tsigane) |
33 000 |
0,0 % |
indo-iranien |
islam sunnite |
Hawrami |
hawrami (ou gurani) |
31 000 |
0,0 % |
indo-iranien |
islam chiite |
Arabes palestiniens |
arabe leventin du Nord |
18 000 |
0,0 % |
chamito-sémitique |
islam sunnite |
Arabes syriens |
arabe standard (syrien) |
18 200 |
0,0 % |
chamito-sémitique |
islam sunnite |
Tchétchènes |
tchétchène |
10 000
|
0,0 % |
caucasien |
islam sunnite |
Mandéens |
arabe mésopotamien |
7 700
|
0,0 % |
chamito-sémitique |
mandéisme |
Ourdous |
ourdou |
3 700 |
0,0 % |
indo-iranien |
islam chiite |
Turcs anatoliens |
turc |
2
700
|
0,0 % |
altaïque |
islam sunnite |
Koi-sanjaq Sooret |
koy
sanjaq surat (araméen) |
800 |
0,0 % |
chamito-sémitique |
chrétienne |
Autres |
- |
122
300 |
0,3 % |
- |
- |
Total 2014 |
- |
34 141 000 |
100 % |
- |
- |
2.2 Les grands
groupes ethniques par gouvernorat (province)
En Irak, le critère confessionnel et le critère
ethnique tendent souvent à se confondre. Dans de nombreux cas, les
ethnies et les religions s’entrecoupent. Les unes et les autres
peuvent être minoritaires dans une religion, mais majoritaires par
l’appartenance ethnique, et inversement. Par exemple, les Arabes
sont majoritaires quant à leur appartenance ethnique, mais peuvent
devenir minoritaires si l'on tient compte de leur confession
religieuse. En effet, seuls les chiites sont majoritaires au point
de vue ethnique et religieux (65 %). Tous les autres groupes sont
minoritaires. Néanmoins, les chiites peuvent être minoritaires dans
certaines provinces et les sunnites, majoritaires dans d'autres.
Quant aux Kurdes, ils sont minoritaires à la fois au
plan ethnique et religieux (étant majoritairement sunnites et non
arabes), mais majoritaires dans le Nord, c'est-à-dire dans la Région
autonome du Kurdistan. Au sein de la région du Kurdistan, il existe
des groupes minoritaires chiites, chrétiens et juifs, et ce, sans
compter les communautés dissidentes de l’islam. Bref, l'Irak peut
présenter à certains égards un beau «melting pot» à l'américaine.
Bagdad, elle-même située dans une région mixte, incarne la diversité
de la population irakienne, car les différentes communautés du pays
y sont présentes.
La ville est
divisée en quartiers chiites et sunnites et quelques-uns sont
mixtes; la situation est similaire pour la banlieue.
 |
D'autres grandes villes irakiennes, par exemple Bassorah située sur les rivages du golfe Persique et Mossoul ou
Kirkouk au nord, ont depuis
toujours abrité une population très hétérogène aux plans ethnique et
confessionnel. Comme chiites et sunnites se regardent en chiens de
faïence, les tensions peuvent être vives.
Lorsqu'on
consulte la carte de gauche («Groupes ethniques par
province»), on constate trois grandes zones en diagonale en
partant du nord jusqu'au sud. On trouve d'abord une bande
kurde (en rouge) couvrant trois provinces entières (Dohouk, Erbil et Souleimaniyeh) et partiellement quatre autres
provinces (Ninive, Kirkouk, Saladin et Diyala).
Les deux autres zones abritent des
Arabes.
À l'ouest et
au sud, on distingue les provinces partiellement
sunnites (en vert): Ninive, Saladin, Anbar, Nadjaf, Muthanna et
Basrah.
Plusieurs
provinces ne comptent que des Arabes chiites (en bleu),
à l'exception des petites minorités non arabophones:
Babil, Karbala, Wassit, Qadisiya, Dhi Qarn. Les autres
provinces sont mixtes: Bagdad, Nadjaf, Muthanna et
Basrah. En général, les
petites minorités non arabophones (Azéris, Turkmènes,
Louri, Chaldéens, Iraniens, Araméens, etc.) résident
dans les zones kurdes ou chiites. Il n'existe que peu de
populations dans les territoires couvrant le Sud-Ouest
(province d'Anbar) et le Sud-Est sunnite, car c'est une
zone désertique faisant partie du désert d'Arabie.
|
Les États-Unis auraient voulu que l'Irak soit
séparée en trois avec un Nord kurde, une portion occidentale à
dominante sunnite à l'ouest et un Sud à dominante chiite, ainsi que Bagdad comme
territoire fédéral. Chaque région aurait en charge les questions
de sécurité, de développement, de santé, d’éducation, etc. À
Bagdad auraient été confiées la politique étrangère, la défense des
frontières, et surtout la gestion des revenus du pétrole,
équitablement répartis de telle sorte que les chiites ne soient
pas trop lésés et le sunnites, pas trop dépouillés. Pour les
Américains, un État fédéral divisé en trois grandes
régions, dominées chacune par une communauté et dotées
d'une grande autonomie, pouvait garantir la stabilité
de l'Irak. Comme on le sait, cette idéologie ne pouvait
pas passer le teste de la réalité, les populations demeurant trop
mélangées.
Il ne faut pas oublier que le niveau de mixité
ethno-confessionnelle dans les grandes villes est considérable, car ces villes
représentent à elles seules la moitié de la population irakienne. On y trouve
des sunnites, des chiites, des chrétiens de rites différents et des Kurdes.
2.3 L'arabe et ses variétés
 |
LIrak comptait en
2014 une population de quelque 34 millions d'habitants dont
68 % sont arabophones. Ceux-ci parlent des idiomes différents appartenant à la famille
chamito-sémitique. Il s'agit de larabe mésopotamien
ou irakien (61,2 %),
parlé au nord et au sud de Bagdad, larabe nadji
ou
saoudien
(4,3 %) dans les régions arides du désert (le Sud-Ouest), larabe égyptien (1,1 %)
surtout à Bagdad, l'arabe des marais (0,6 %), larabe du Golfe (0,1 %)
dans la région de Bassorah, l'arabe palestinien et l'arabe syrien. Il existe aussi
certains dialectes arabes (env.15 %) et certaines variétés rares telles l'arabe judéo-irakien, etc. Bref, pour les Irakiens arabophones, l'arabe
classique constitue une langue
seconde qu'ils apprennent à l'école.
2.4 Le kurde et ses variétés
Les Kurdes constituent la minorité non
arabophone la plus importante de l'Irak et elle représente 21,7 % de la
population, soit quatre millions de locuteurs. Les Kurdes vivent au nord-est du
pays, notamment autour des villes de Mossoul, Erbil (Arbil) et Kirkouk.
La région qu'ils habitent est appelée le
Kurdistan
(voir la carte
du Kurdistan), ce qui comprend non seulement
l'Irak, mais aussi une partie de la Turquie, de la Syrie et de l'Iran.
Avec
un total de 25 millions de locuteurs, on peut dire que c'est
le plus grand peuple du monde, sans pays.
Avec les Arabes, les Perses et les Arméniens,
les Kurdes constituent l'un des peuples les plus anciens de la
région. Les Kurdes
parlent le kurde, une langue
indo-européenne appartenant
au
groupe indo-iranien, mais c'est
une langue non unifiée. Il convient de distinguer le kurde sorani (ou central), le
kurde kurmanji (ou septentrional) et le kurde
méridional. De plus, chacun des ces groupes comptent un grand nombre de variétés dialectales.
Ainsi, le kurde n'est apparenté ni à l'arabe ni au turc.
Le kurmanji est parlé par environ 90 % des
Kurdes de Turquie; il est également parlé dans les régions kurdes d'Iran et
d'Irak, ainsi qu'en Syrie, soit 60 % de l'ensemble des Kurdes. Le sorani est
parlé dans les régions centrales du Kurdistan en Iran et en Irak; le zazai
est parlé dans certaines régions du Kurdistan de Turquie; dans les trois
parties du sud du Kurdistan, on parle le gorani et d'autres dialectes.
|
Certains linguistes organisent autrement la
classification de la langue kurde et de ses dialectes. Ainsi,
Najat
Abdulla-Ali distingue trois grandes branches :
- kurmanji : comprenant le kurmanji du
Nord et le kurmanji du Sud dont ferait partie le sorani;
-
gourani-zazaki : comprenant le groupe gourani et le groupe
zaza;
- lorî : comprenant «petit lorî»
et «grand lorî».
On peut consulter le
tableau de
Najat
Abdulla-Ali, qui illustre cette thèse
en cliquant ici, s.v.p.
Kürdistan
(latin) |
كردستان
(arabe) |
Курдистан
(cyrillique) |
|
De plus, les Kurdes de
Turquie écrivent leur langue en alphabet latin ; ceux d'Irak,
d'Iran et de Syrie, en alphabet arabe
(appelé aussi
arabo-persan),
ce dernier étant un alphabet un peu modifié de l'arabe; ceux
d'Arménie et de Géorgie et
d'Arménie, en
alphabet
cyrillique,
Les Kurdes sont davantage unifiés par la religion,
étant presque tous des musulmans sunnites. |
Si la plupart des Kurdes vivent dans
le Grand Kurdistan historique, qui comprend
une partie de la Turquie, de l'Irak, de l'Iran et de la Syrie, beaucoup
de Kurdes vivent dans les pays voisins tels l'Arménie, la Géorgie, la
Russie, l'Azerbaïdjan, le Liban, l'État d'Israël, la Jordanie, mais
aussi le Kazakhstan, le Turkménistan, le Kirghizistan, l'Afghanistan, le
Pakistan, etc.
Nous ignorons avec précision le nombre
des Kurdes formant la diaspora. Les estimations les plus courantes font état
de la présence d’environ 1.2 million de Kurdes en Europe occidentale. Ils
forment d’importantes communautés en Allemagne (650 000), en France (130
000), aux Pays-Bas (85 000), en Grande-Bretagne (35 000), et en Suède (50
000). Celle-ci, en raison d’une politique d’immigration généreuse initiée
par Olof Palme et d’incitations matérielles pour l’édition et la création, a
su attirer une part importante de l’intelligentsia kurde tandis que
l’Allemagne abrite surtout une immigration ouvrière. En comparaison, ils
sont aux États-Unis (30 000) et au Canada (plus de 10 000).
La diaspora kurde s'étend en France, aux États-Unis, au
Canada, en Australie ou en Nouvelle-Zélande.
La diaspora kurde d'Occident est environ à 85%
formée de Kurdes de Turquie, mais les Kurdes d'Irak arrivent au deuxième
rang.
2.5 Les autres minorités linguistiques
Parmi les nombreuses minorités non arabophones,
mentionnons aussi lazéri (5,9 %), lassyrien
appelé généralement
syriaque (0,4 %), le
farsi
ou persan
(1,1 %), le
turkmène (1,1 %), larménien (0,1 %), le
circassien
ou
l'adyguéen (0,1 %),
etc. La plupart de ces minorités (sauf le farsi) résident dans le nord du pays,
cest-à-dire dans la région kurde au
nord-est,
Lazéri (ou azerbaïdjanais), le
turkmène et le
turc anatolien font partie
de la famille altaïque. Larménien est
un isolat parmi les langues indo-européennes;
le circassien ou
l'adyguéen est une langue caucasienne.
Mentionnons également l'araméen,
une autre langue chamito-sémitique,
parlée par des groupes nomades dispersés dans le sud-est de l'Irak. Ces
communautés sont installées dans ce pays depuis le VIIe
siècle. Leur langue, l'araméen oriental (le koy
sanjaq surat), est aujourd'hui reconnue dans les zones à majorité
assyrienne de l'Irak. Selon des données approximatives, il y aurait entre
130 000 et 260 000 Araméen, mais seule une
petite minorité parle l'araméen (900 locuteurs), car les persécutions dont ils
ont fait l'objet dans le passé ont mis leur langue en péril.
En Irak, surtout depuis la guerre, l'invasion américaine
et la montée des djihadistes, toutes les petites minorités nationales sont
menacées d'extinction. Beaucoup de membres des minorités ethniques ont fui
l'Irak de peur d'être massacrés s'ils ne changent pas de religion.
2.6 Les religions et leurs conflits
En Irak, les religions constituent un élément fondamental dans l'identité
des peuples comptant le pays. L'Irak est un pays très majoritairement musulman,
mais pas uniquement, et ce, d'autant plus qu'ils sont divisés entre chiites et
sunnites. Les chiites
constituent la communauté la plus nombreuse, présente surtout dans le sud et
dans le quartier de Sadr City à Bagdad. Les sunnites sont présents, quant à eux,
dans le Sud-Ouest, le Centre (région de Bagdad), ainsi qu'au Kurdistan, auxquels il faut
rajouter des groupes yézidites et mandéistes. En 1981, le règlement n°
32-1981 sur la protection des communautés religieuses révélait que 17 groupes
religieux étaient officiellement reconnus sur le territoire irakien. Il
s’agissait exclusivement de communautés non musulmanes. Ces communautés peuvent
être regroupées au sein de quatre formations religieuses minoritaires : les
chrétiens, les yézidis, les sabéens-mandéens et les juifs.
- Chiites et sunnites
 |
Près de 95 % des Irakiens sont
musulmans et environ 65 % de ceux-ci adhèrent
au rite chiite, les autres (35 %), au
rite sunnite.
Ainsi, contrairement à la plupart des pays musulmans (qui sont sunnites), l'Irak
(comme l'Iran) compte une majorité de chiites, d'ailleurs tous situés
au sud près de la frontière iranienne. La plupart
des chiites irakiens sont des Arabes parlant
l'arabe mésopotamien et pratiquant une religion d'origine persane. Quant aux
sunnites irakiens
(qui ont contrôlé le pays depuis 1920), ils constituent une minorité
arabe basée dans le
centre-ouest du
pays.
Pour les musulmans, les sunnites (du mot arabe as-Sunna
: «la tradition») sont restés fidèles à la branche «orthodoxe» de
l'islam, celle qui reconnaît comme légitime la succession du prophète Mahomet
telle qu'elle aurait eu lieu. Toutefois, une partie des
musulmans ont contesté cette succession après l'assassinat, en 680, du quatrième
calife Ali, gendre du prophète ; ils se sont eux-mêmes baptisés «chiites»
(en arabe chî’a : «partisans» d'Ali). |
Le parti d’Ali considérait les trois
premiers califes comme des imposteurs; pour eux, c’est dans la descendance d’Ali
que le chef de la communauté (l’imâm) doit être recherché.
Ainsi, le sunnisme se considère comme «orthodoxe» par rapport au
chiisme, qui s'en est séparé au Ier siècle de l'hégire (VIIe siècle
de notre ère) pour des raisons plus politiques que religieuses, et portant sur
le mode de désignation des califes. Néanmoins, pour l'essentiel, tous les
musulmans, qu'ils soient sunnites ou chiites, partagent les mêmes croyances et
les mêmes pratiques. Outre l'Iran majoritairement chiite, seuls cinq pays
arabes ont une partie importante de leur population qui se rattache au rite
chiite : l'Irak, le Bahreïn, le Liban, Oman, le Yémen et la Syrie.
Depuis la mort du prophète Mahomet, les sunnites et les chiites
sont à couteaux tirés. L'antagonisme entre
les deux groupes musulmans a marqué
une grande partie de l'histoire du Proche-Orient. En Irak, le conflit fut exacerbé
du fait que la majorité chiite a été longtemps dirigée par une élite sunnite.
En 1980, les sunnites du gouvernement de
Saddam Hussein ont envahi
l'Iran chiite en raison de conflits de longue date liés aux frontières et par
crainte des conséquences que
pourrait avoir la révolution islamique iranienne sur la majorité chiite en Irak.
Aux élections de 2005, les sunnites ont subi un important
revers parce qu'ils n'ont récolté que 2 % des voix. Le gouvernement irakien est
formé d'une coalition de chiites et de Kurdes, excluant les sunnites. Si le
président de l'Irak est kurde, le premier ministre, qui détient les véritables
pouvoirs, est chiite. Cette situation témoigne que les rênes du pouvoir irakien sont
passés d'une minorité sunnite
à une majorité de Kurdes et de chiites longtemps persécutée. Depuis le départ
des Américains, sunnites et chiites irakiens s’entretuent à qui mieux mieux.
Pourtant, il n'est pas plus facile à un sunnite irakien
de reconnaitre un chiite irakien que, par exemple, à un catholique français de
reconnaitre un protestant français. En effet, sunnites et chiites sont des
Arabes qui portent les mêmes vêtements et ont la même apparence et la même
tenue. Les mosquées des uns et des autres sont identiques. Si les chiites ont
l'habitude de s'appelé Ali et les sunnites, Hussein (ou Omar ou Yazid), mais
cela n'a rien à voir avec les apparences. Toutefois, dans les villes, les
sunnites et les chiites n'habitent pas les mêmes quartiers. C'est de cette façon
que s'identifient sunnites et chiites.
Bref, on compte en Irak trois grandes communautés ethnico-religieuses qui se méfient les unes des
autres: les Arabes chiites, les
Arabes sunnites et les
Kurdes sunnites. Les premiers ont une frontière commune
avec les chiites d'Iran, les seconds (Arabes sunnites) avec les sunnites de
Syrie et les troisièmes (Kurdes) avec les Kurdes de Turquie, de Syrie et d'Iran. Marginalisés
sous le régime de Saddam Hussein bien que majoritaires en Irak, les chiites sont
aujourd'hui au pouvoir à Bagdad (derrière le premier ministre Nouri Al-Maliki,
devenu vice-président depuis le 9 septembre 2014).
- Les autres communautés confessionnelles
Les Kurdes sont généralement des
musulmans sunnites, mais comme ils ne sont pas arabes (mais
indo-iraniens et
indo-européens) ils
ne s'identifient guère à leurs compatriotes arabes sunnites, qu’ils associent à
l’extrémisme et au fondamentalisme musulman. Les Kurdes forment donc un troisième
groupe après les chiites et les sunnites. Les Turkmènes sont également sunnites.
On
compte moins de 5 % de chrétiens en Irak. Comme dans le reste de l'Irak,
les chrétiens ne forment pas une communauté homogène, car ils appartiennent à
des rites les plus divers. Il faut compter au moins une quinzaine de
dénominations religieuses. Les
Assyriens sont des communautés chrétiennes non arabisées, qui utilisent le
syriaque comme langue maternelle, mais l'araméen comme langue liturgique. Ils
appartiennent à l'Église apostolique catholique assyrienne de l'Orient. Il existe aussi de petites communautés de
Syriens catholiques, de Syriens orthodoxes, de Chaldéens catholiques,
d'Arméniens orthodoxes, de Grecs orthodoxes, de Grecs catholiques, de Coptes
orthodoxes, des catholiques romains, des protestants évangéliques, des
protestants évangéliques assyriens, des adventistes du Septième Jour, etc. Tous les chrétiens,
incluant les juifs,
ont été persécutés par le régime de Saddam Hussein et ont été obligés de vivre dans
des ghettos. La plupart vivaient dans le Nord et à Bagdad.
Avant l'invasion américaine de 2003, la population
chrétienne d'Irak était estimée à plus d'un million. La guerre confessionnelle
qui s'ensuivit a fait fondre ses membres de la moitié, dont une grande partie
dans la province de Ninive, car plus de 500 000 chrétiens ont choisi l'exil en raison des
violences sectaires dont ils ont été victimes de la part des musulmans radicaux.
Depuis la chute de sa capitale Mossoul, puis de Qaraqosh, la plus grande ville
chrétienne d'Irak, environ 100 000 chrétiens auraient été chassés par l'avancée
des djihadistes de l'État islamique dans le nord du pays.
Les yézidis constituent l'une des plus anciennes
minorités religieuses d'Irak. D'origine kurde — ils parlent le kurde kurmanji —,
les yézidis sont adeptes d'une religion pré-islamique en partie issue du
zoroastrisme (culte du soleil), avec des éléments du manichéisme (réincarnation),
du christianisme (baptême), du judaïsme (circoncision) et de l'islam (jeûne
et polygamie). Mais ils sont considérés comme des «adorateurs du diable» tant par les
chrétiens que par les musulmans. Persécutés depuis des siècles, leur nombre est
estimé à moins de 500 000 adeptes. Habitant dans le Nord, entre la frontière
syrienne et Mossoul, en majorité dans la province de Ninive, les yézidis sont
aujourd'hui tombés aux mains des djihadistes de
l'État islamique. On les croit victimes d'un nettoyage ethnique, car ils
n’ont le choix que de se convertir à l'islam radical ou mourir.
Le mandéisme est une religion contemporaine, baptiste, monothéiste et
gnostique, qui compte quelque 12 000 de membres. Ils se revendiquent de la
religion d’Adam et de Seth. Ils vivent dans les zones marécageuses de l’Irak
méridional, leurs rituels étant intimement liés au baptême. Leurs prières sont
récitées en mandéen, une langue vernaculaire tirée de l’araméen oriental avec
des mots d’origine sumérienne. Avant le climat de violence qui s'est installé
depuis 2003, leur nombre frôlait les 40 000.
Le judaïsme est présent en Irak depuis la prise de
Jérusalem par Nabuchodonosor II en 587. Plus de 10 000 juifs auraient été exilés
de la Palestine pour Babylone, lieu de la plus vieille communauté juive. Mais la
population commença à décliner à partir de l'invasion mongole au
XIIIe siècle, avant de connaître une brève renaissance à la
fin du XIXe siècle.
Durant plus de deux mille ans, les juifs ont activement contribué à la
vie économique et culturelle de l'Irak. Lors de la Seconde
Guerre mondiale, on estimait que le nombre des juifs d'Irak atteignait environ
120 000 membres. Puis les persécutions liées en partie au conflit judéo-arabe de
1947-1949 obligèrent certains juifs à se réfugier clandestinement dans le nouvel
État d'Israël. En mars 1950, une loi irakienne dite de «dénaturalisation» permit
aux juifs d'émigrer librement vers Israël. Dès 1952, il ne restait plus que
quelques milliers de juifs en Irak qui allaient se heurter à une hostilité
grandissante de la part des autorités et des populations musulmanes.
Aujourd'hui, il ne resterait plus qu'une dizaine de juifs en Irak, tous à
Bagdad.
Enfin, dans le nord du pays, les djihadistes de l'EI s'en
prennent férocement à tous ceux qui ne partagent pas leur religion, non
seulement les musulmans chiites (de la minorité turcomane ou non), mais
également les sunnites qui n'adhéreraient pas à leurs idées. Si la haine entre
sunnites et chiites concerne tout le monde musulman, le conflit avec l'État
islamique va au-delà de ces vieilles querelles, car ce groupe armé veut
instaurer par la force un califat qui ne souffre aucune «hérésie».
En somme, les minorités religieuses en Irak
connaissent des jours difficiles en raison de la montée de l’extrémisme
religieux, de l’insécurité et de l’instabilité politique. Les conditions
matérielles et sociales de ces minorités ne cessent de se détériorer depuis
l’invasion américaine en 2003 et encore davantage depuis la montée des djihadistes de l'EI
dans le nord du pays en 2014. Un exode massif est désormais engagé.
 |
LIrak actuel est situé dans la région de lancienne
Mésopotamie, lun des
berceaux de la civilisation de lAntiquité où se sont succédé les Sumériens, les
Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Parthes, les Grecs, les Romains, les Byzantins, etc.
Puis les
Arabes conquirent la Mésopotamie au
VIIe siècle et fondèrent des cités
fortifiées.
La victoire d’al-Qadisiya, en 638, fit entrer définitivement la région, rebaptisée
Iraq-al-Arabi, dans le monde
arabo-musulman. Actuellement, la plus grande partie
de la Mésopotamie se trouve en Irak. Elle comprend deux zones:
la Haute Mésopotamie et la Basse Mésopotamie. La Haute-Mésopotamie,
appelée Djézireh (en arabe : «île»), était la zone située au nord de
Babylone (env. 100 km au sud de l'actuelle Bagdad), en partie
désertique et caillouteuse, une région partagée aujourd'hui entre la
Turquie, l'Irak et la Syrie, appelée aussi l'Assyrie. La Basse-Mésopotamie,
ou Babylonie, était une vaste plaine marécageuse, drainée par les deux
fleuves formant un delta aboutissant au Chatt al-Arab et occupant un
golfe Persique. La Basse-Mésopotamie est tout entière comprise en Irak
(voir la carte).
La
Mésopotamie devint lun des centres les plus brillants de la vie
économique, politique, culturelle et religieuse de lislam. À partir de la seconde moitié du
IXe
siècle, les révoltes politico-religieuses —
celle chiites et des qarmates — se multiplièrent, tandis que les régions périphériques échappaient progressivement au contrôle de Bagdad.
|
3.1 La domination
ottomane (1533-1918)
En 945, la dynastie
iranienne des Buyides prit le pouvoir à Bagdad. Elle en fut chassée en 1055
par les Turcs seldjoukides dont le chef, Toghrul Beg, restaura le sunnisme et l’autorité du califat abbasside. Cette période prospère
prit fin lors de la conquête mongole au XIVe siècle avant de passer sous la
domination ottomane au XVIe
siècle, ce qui laissa la Mésopotamie à l’abandon et à la merci des
razzias de la part des milices bédouines. Une grande partie du
territoire mésopotamien échappa au contrôle ottoman, car les Kurdes, les
Bédouins et les chiites demeurèrent insoumis.
 |
Au XVIe siècle la plus grande partie
du territoire de la Mésopotamie fut envahie par l'Empire
ottoman, qui s'étendait des Balkans jusqu'au nord de l'Afrique en passant
par l'Anatolie, la Mésopotamie, la Palestine et l'Égypte. Le
territoire des Kurdes devint dès lors une zone tampon entre
deux empires rivaux: l'Empire ottoman et l'Empire safavide des
Perses. D'une part, les Perses voulurent contrôler la Basse
Mésopotamie où se trouvaient des lieux saints du chiisme et
parce que Bagdad, siège de l’ancien Empire abbasside, avait une
grande valeur symbolique pour eux. D'autre part, les Ottomans
craignaient que l’islam chiite se propage vers l’Anatolie. C'est
alors que les Ottomans eurent l'idée de se servir des Kurdes
pour protéger leur frontière orientale. En revanche, tout en
demeurant sous suzeraineté ottomane, les Kurdes bénéficièrent
d'une grande autonome.
À partir de la première moitié du
XVIIe
siècle, la Basse-Mésopotamie (Irak) fut gouvernée par plusieurs dynasties kurdes.
Ce statut particulier allait assurer au Kurdistan près de trois
siècles de paix parmi les nombreuses
principautés kurdes. |
Malgré quelques ingérences de temps à autre de la
part du pouvoir central, le statut particulier des
Kurdes fonctionna sans accroc majeur jusqu'au
début du XIXe
siècle, et ce, tant à la satisfaction des Kurdes que des
Ottomans. Il faut dire que les Kurdes n'avaient pas vraiment le
choix: ou bien ils acceptaient la domination ottomane ou bien c'était
l'assujettissement à la Perse. Or, les chefs kurdes ont toujours été
conditionnés dans leurs décision par le degré d'autonomie qu'ils pouvaient se
voir accorder. Alors que la politique perse était d'envoyer leurs émissaires
pour administrer les régions kurdes, la tutelle ottomane préférait se
servir des autochtones kurdes en leur accordant une grande autonomie.
 |
De plus, comme les Kurdes sunnites se méfiaient davantage des
Perses chiites que des Ottomans sunnites, ils ont toujours préféré
pencher en faveur de la Sublime Porte, nom donné à
la porte d'honneur du grand vizirat à Constantinople, synonyme du
gouvernement de l'Empire ottoman. Par le fait même, au cours de ces quelques siècles,
le poids de l’administration ottomane
suscita un fort ressentiment chez les populations chiites arabophones, ce qui
allait favoriser plus tard l'émergence
du nationalisme arabe. Néanmoins,
les Arabes sunnites, les Kurdes
et les Arabes chiites réussirent à cohabiter
en bonne
intelligence avec les membres des nombreuses communautés religieuses, y compris
les minorités chrétiennes. Cette tradition de tolérance
était relativement fréquente dans le système multicommunautaire administré par les Ottomans.
Mais le XIXe siècle allait marquer
la fin des autonomies kurdes et l’amplification de leur instrumentalisation par
les grandes puissances. La centralisation des pouvoirs avait conduit l'Empire
ottoman et la Perse, les deux États rivaux depuis longtemps, à poursuivre une
politique commune de répression contre les
principautés kurdes.
Sous l'Empire ottoman, les écoles primaires et secondaires
enseignaient les sciences naturelles, les mathématiques, l'histoire et la
géographie, la religion islamique, l'alphabet et la langue arabe, et, selon
la région, le turc ou le persan. Dans leur formation générale, les élèves
apprenaient l'arabe et le turc. Au XIXe
siècle, le français et l'anglais, parfois l'allemand, furent introduits
comme langues étrangères.
|
C'est à cette époque que
Grande-Bretagne, la France et lAllemagne commencèrent à sintéresser à
la Mésopotamie; les trois pays entrèrent en compétition pour étendre leur zone
d’influence sur cette région sous domination ottomane. Les Britanniques étaient
déjà présents en Égypte, en Palestine et au Koweït, mais aussi au Soudan, à
Chypre, au sultanat d'Oman et au Yémen. De leur côté, les Français faisaient des affaires en
Syrie et au Liban. Quant aux Allemands, désirant eux aussi, sous l'impulsion de
Guillaume II, mener une "Weltpolitik" afin de se
faire «une place au soleil» ("Platz
an der Sonne"). Cette
expansion coloniale allemande s'est concrétisée au
Proche-Orient
par un
rapprochement entre l’Allemagne et l’Empire ottoman, dans les domaines
économique, miliaire et diplomatique, les Allemands agissant comme principal
allié à l'Empire ottoman en difficulté. Lors de la Première Guerre
mondiale, l'Empire ottoman allait se ranger aux côtés de l'Empire allemand
et de l'Empire austro-hongrois.
Le mot Irak vient du perse
Eraq
et signifie littéralement «basse terre», parfois appelé
Bilād ar-Rafidain,
littéralement «le pays des deux fleuves», en référence au
Tigre et à l'Euphrate.
3.2 Les puissances coloniales
Jusqu’à la
Première Guerre mondiale, le Kurdistan faisait encore partie soit de l’Empire
ottoman (à l’ouest) soit de l’Empire perse (à l’est). Les pays tels l'Irak,
le Koweït, la Jordanie, la Syrie, le Liban, Israël ou la Palestine
n'existaient pas. C'étaient alors des vilayets ou des sandjaks appartenant à
l'Empire ottoman (voir la carte de
1900).
Ce sont finalement les
Britanniques qui vont réussir en quelques années à occuper la plus grande
partie de la région avec la
Mésopotamie
et la Palestine.
En Mésopotamie, les Britanniques s'étaient déjà installés au Koweït
et ne tardèrent pas à monter vers le nord en raison des richesses
pétrolières du Kurdistan. Ils promirent aux populations arabes qu'elles obtiendraient
l'indépendance si elles se soulevaient contre les Ottomans.
 |
Le
16 mai
1916, la Grande-Bretagne et la France conclurent des accords secrets, les
accords Sykes-Picot, par lesquels elles se partageaient
une partie de l'Empire ottoman, notamment la «Grande Syrie» et la
Mésopotamie (Kurdistan, Irak et Koweït). Cet accord, alors que
le premier conflit mondial n’était pas encore terminé, résultait d'un long échange
préalable de lettres entre Paul
Cambon, ambassadeur de France à Londres, et sir Edward Grey, secrétaire d'État
au Foreign Office. Par la suite, le lieutenant-colonel, sir Mark Sykes, pour la Grande-Bretagne, et le
consul à Beyrouth, François Georges-Picot, pour la France,
poursuivirent les pourparlers à Londres et arrivèrent à une
entente. On raconte que Mark Sykes, contemplant une carte de la
région, décrivit ainsi au premier ministre britannique, alors
Herbert Henry Asquith (de 1908 à 1916), sa conception de la
frontière séparant les zones française et britannique : «Je
tirerais une ligne, partant de la lettre "E" dans Acre [la ville
de Saint-Jean-d'Acre, aujourd'hui en Israël] et le deuxième "K"
dans Kirkouk [aujourd'hui dans le nord de l'Irak].» Bref, il
s'agissait d'un trait totalement arbitraire qui ne prenait en
considération ni la géographie, ni la répartition ethnique,
religieuse ou culturelle, ni tout simplement le gros bon sens.
|
 |
Cet accord équivalait à un véritable dépeçage des
territoires compris entre la mer Noire, la Méditerranée, la mer Rouge
et le golfe Persique. La Mésopotamie ottomane fut découpée en
plusieurs
zones, dont trois dans le futur Irak:
1) Une
zone rouge anglaise
d'administration directe (Koweït et Mésopotamie;
2) Une zone rouge
d'influence anglaise (est de Bagdad, Jordanie et Palestine);
3) Une zone bleue
d'influence française, à la fois arabe et kurde (Syrie et
vilayet de Mossoul);
4) Une zone bleue
d'administration française (Syrie du Nord, Liban et Cicilie);
Voir aussi la
carte de toute la région
entre la Méditerranée et la Perse. Les États qui ont été créés après
l'effondrement de l'Empire ottoman correspondent encore aux zones
fixées par MM. Sykes et Georges-Picot. Le bord de la Méditerranée
est devenu le Liban et la Syrie coïncide avec la zone d'influence
française, tandis que les zones britanniques sont devenues la
Jordanie et l'Irak. Mais cette grande région entre la Méditerranée et la Perse comprenait aussi une zone d'occupation de la part de la
communauté internationale (incluant les
villes d'Haïfa et de Jérusalem), la Palestine, ainsi qu'un territoire contrôlé par les
Russes au nord du vilayet de Mossoul
(autour de la ville d'Erzurum). Ce découpage territorial n'a jamais
été bien perçu dans le monde arabe; il a fait l'objet de convoitises
et reste encore aujourd'hui une terre déchirée.
|
De plus, l'issue de la
Première Guerre mondiale allait encore changer la
donne, car l'Empire ottoman, l'Empire austro-hongrois et l'Allemagne se
retrouvèrent dans le camp des vaincus. Durant toute la guerre, le sud de la
Mésopotamie resta sous mandat
britannique, et le nord, sous mandat français, en vertu des
accords Sykes-Picot. Lorsque la Grande-Bretagne se rendit compte qu'il y avait du
pétrole au nord, elle dénonça ces mêmes accords, car elle avait besoin des
nappes pétrolières que l’on commençait à découvrir en Mésopotamie afin d’assurer
le ravitaillement de ses navires et de son armée, sans trop de frais. L’armée
britannique s’était emparé du vilayet de Bassorah dès novembre 1914; au
printemps 1917, le vilayet de Bagdad allait être pris; ce sera au tour du
vilayet de Mossoul de tomber en novembre 1918. Au point de vue géographique, le
vilayet de Mossoul constituait une région de transition entre la zone alpine
représentée par les hautes chaînes du Kurdistan et la plaine désertique qui
commence au sud de Mossoul pour s'étendre jusqu'au au golfe Persique.
En novembre 1917, le ministre britannique des Affaires étrangères, Arthur
James Balfour (1848-1930) promit aux sionistes l’établissement d’un foyer
national juif en Palestine, ce qui suscita aussitôt le mécontentement des
Arabes. Les Britanniques croyaient qu'un État-tampon juif pouvait à la fois
limiter l’influence française dans la région et faire obstacle à l'expansionnisme arabe.
 |
Le tracé des frontières arrêté en 1916, tel qu’il figurait
dans lesdits accords fut modifié, car le vilayet de Mossoul
suscitait la controverse entre la Grande-Bretagne, la France et la
Turquie. Finalement, la France céda aux
Britanniques la zone bleue de la Haute Mésopotamie, car elle n'avait pas les
moyens de s'opposer aux Britanniques qui purent alors étendre leur zone
rouge vers le nord dans l'espoir d'y contrôler les régions
pétrolières autour de Kirkouk et de Mossoul. Auparavant, les
Britanniques avaient pris le contrôle des vilayets de la Basse
Mésopotamie, c'est-à-dire les vilayets de Bagdad, de Bassorah et de
Koweït. Les troupes britanniques dominaient alors largement la
région de l'ancienne
Mésopotamie
avant même que la guerre ne soit
terminée.
Or, le vilayet de Mossoul aurait dû revenir à
la France, en vertu des
accords Sykes-Picot
(zone bleue), mais il fut occupé par les Britanniques au cours de
diverses opérations militaires. La France finit par y renoncer en
décembre 1918 et l'officialisa lors de la conférence de San Remo de
1920 (Italie). Un comité avait été formé de représentants
britanniques, français, italiens, grecs, japonais et belges, afin de
fixer le sort des vilayets (provinces) arabes de l’Empire ottoman.
Le 24 avril 1920, le comité plaça la Palestine et la
Mésopotamie sous Mandat britannique. Finalement, l'accord de
San Remo entérina et légalisa les accords Sykes-Picot avec un mandat
en bonne et due forme de la Société des Nations. La France reçut le
Mandat du Liban et de la Syrie, la Grande-Bretagne, le Mandat de
l'Irak (agrandi de Kirkouk cédé par les Français en échange d'une
participation aux bénéfices pétroliers de la région), de la
Transjordanie et de la Palestine. |
L'accord de San Remo de 1920 scellait le destin des
vilayets (provinces) arabes de l'ancienne
Mésopotamie. Ainsi, s'est dessinée pour un
siècle la carte du Proche-Orient,
sans tenir compte des
revendications des populations qui y vivaient et en faisant fi des promesses
d’indépendance faites aux Kurdes et aux Arabes pendant la guerre.
Pendant que les Kurdes, qui
constituaient la
grande majorité
de la population du vilayet de
Mossoul, réclamaient
l'indépendance, les Turcs
considéraient ce
territoire
comme le leur et
ne reconnaissaient pas
le mandat
britannique sur
la région; les Turcs voulaient
récupérer «leur» vilayet en entier.
En fait, les Britanniques
tenaient à ce que le vilayet
fasse partie
du pays
en raison de ses
ressources naturelles (pétrole
et blé),
de ses frontières
montagneuses assurant
la sécurité
et afin de
faire contrepoids à la
population chiite
du Sud.
En réalité, les Britanniques commençaient à avoir de graves problèmes avec
les chiites, surtout leurs chefs religieux et leurs notables. Au final, nous pouvons affirmer que l’occupation militaire britannique a
sans nul doute favorisé la création du nouvel État en Mésopotamie, l'Irak. L’occupant
britannique a tracé les
frontières du nouveau pays, lesquelles n’ont d’ailleurs jamais été modifiées depuis.
3.3 Le mandat britannique (1920-1932)
Au cours de la Première Guerre mondiale, le droit international public
élabora une institution nouvelle: le mandat. Dans le cas présent, il s'agissait
d’établir dans les territoires non turcophones de la partie asiatique de
l’ex-Empire ottoman, une tutelle provisoire exercée par un «mandataire» au nom
de la communauté internationale. Un mandat de la Société des Nations était un
territoire prévu par l'article 22 du Pacte de la Société des Nations du
28 juin 1919:
Article 22
1) Les principes suivants
s'appliquent aux colonies et territoires qui, à la suite de la
guerre, ont cessé d'être sous la souveraineté des États qui les
gouvernaient précédemment et qui sont habités par des peuples non
encore capables de se diriger eux-mêmes dans les conditions
particulièrement difficiles du monde moderne. Le bien être et le
développement de ces peuples forment une
mission sacrée de civilisation,
et il convient d'incorporer dans le présent pacte des garanties pour
l'accomplissement de cette mission.
2) La meilleure méthode de
réaliser pratiquement ce principe est de confier la tutelle de ces
peuples aux nations développées qui, en raison de leurs ressources,
de leur expérience ou de leur position géographique, sont le mieux â
même d'assumer cette responsabilité et qui consentent à l'accepter :
elles exerceraient cette tutelle en qualité de mandataires et au nom
de la Société.
[...]
4) Certaines communautés
qui appartenaient autrefois à l'Empire ottoman, ont atteint un degré
de développement tel que leur existence comme nations indépendantes
peut être reconnue provisoirement, à la condition que les conseils
et l'aide d'un mandataire guident leur administration jusqu'au
moment où elles seront capables de se conduire seules. Les vœux
de ces communautés doivent être pris d'abord en considération pour
le choix du mandataire.
[...] |
Ces territoires étaient en fait des colonies allemandes ou
des possessions de l'Empire ottoman. Des «mandats» furent confiés à
certaines puissances coloniales «victorieuses», notamment le Royaume-Uni et
la France en ce qui concerne l'Empire ottoman. Au lieu de procéder à cette
«mission sacrée de civilisation», le partage de l'Empire ottoman du
Proche-Orient entre les mandats britanniques (Palestine et Irak) et français
(Liban et Syrie) s'est effectué entre puissances impérialistes opposées et
en l'absence de toute participation tant arabe que kurde, que ce soit lors
de la conférence de San Remo (1920), le traité de Sèvres (1920) ou le traité
de Lausanne (1923).
La France et la Grande-Bretagne se sont ainsi établies progressivement dans
les anciennes provinces ottomanes entre 1920 et 1922.
À la suite du
traité de Sèvres (1920),
la Société des Nations entérina
les mandats britannique et français (voir
accord Sykes-Picot de 1916) sur les territoires arabes de l'ancien Empire ottoman (Liban, Syrie, Palestine,
Mésopotamie, etc.). De plus, l'article 62 du
traité de Sèvres prévoyait la création d'une
commission pour préparer une autonomie locale pour les régions où domine
l'élément kurde:
Article 62
Une commission [...] préparera dans
les six mois à dater de la mise en vigueur du présent traité,
l’autonomie locale pour les
régions où domine l’élément kurde, situées à l’est de l’Euphrate, au
sud de la frontière méridionale de l’Arménie, telle qu’elle pourra
être déterminée ultérieurement ; et au nord de la frontière de la
Turquie, avec la Syrie et la Mésopotamie [...]. |
Il était très clair à l'article 64 du
traité de Sèvres, signé par la Turquie et les puissances
alliées, le 10 août 1920, promettait aux Kurdes qui vivaient dans
l’ancien Empire ottoman de leur accorder l’autonomie et, plus tard, leur
pleine indépendance:
Article
64 Si dans le délai
d'un an à dater de la mise en vigueur du présent traité, la
population kurde dans les régions visées à l’article 62,
s’adresse au Conseil de la Société des Nations en démontrant
qu’une majorité de la population de ces régions désire être
indépendante de la Turquie, et si le Conseil estime alors que
cette population est capable de cette indépendance, et s’il
recommande de la lui accorder, la Turquie s’engage, dès à
présent, à se conformer à cette recommandation et à renoncer à
tous droits et titres sur ces régions. |
Les signataires du traité avaient même prévu un territoire
au sud de l'Arménie pour la création du Kurdistan (voir
la carte). Mais le traité de Sèvres ne fut jamais appliqué. Les années qui
suivirent allaient être marquées par un différend entre la Grande-Bretagne
et une Turquie fortement nationaliste (sous la poigne de Mustapha Kemal)
concernant la légalité de la décision britannique par laquelle le vilayet de
Mossoul — dont la population était majoritairement d'origine kurde — était
rattaché au vilayet de Bagdad et au vilayet de Bassorah, de manière à former
le nouvel État d’Irak.
Durant tout le mandat britannique,
l'enseignement de l'arabe fut privilégié dans les écoles primaires. Par voie
de conséquence, le turc, le persan, le syriaque et le kurde furent
délaissés. L'anglais et le français furent enseignés comme langues
étrangères. De peur d'alimenter le nationalisme kurde, les Britanniques ont
préféré arabiser l'enseignement.
- La monarchie irakienne
 |
Le 23 août 1921, les Britanniques placèrent
l'émir Fayçal
ben Hussein (de 1921 à1933)
sur le trône de l'Irak, mais le
nouveau roi était sunnite, alors que ses sujets étaient
majoritairement chiites et l'acceptaient mal. Qui plus est, les
Britanniques avaient préféré favoriser les Arabes sunnites dans
l'administration gouvernementale plutôt que les chiites. Or, ces
sunnites venaient en grande partie du Hedjaz (Arabie
Saoudite) et de la Syrie. Soutenus par les Britanniques, ces
étrangers devinrent rapidement impopulaires auprès des Arabes
chiites et des Kurdes. Dans ces conditions, le
nouveau royaume dut péniblement affronter des révoltes religieuses
et ethniques. Non seulement les Kurdes se soulevèrent en 1921 pour
réclamer leur autonomie promise, mais les chiites du Sud se
rebellèrent également. Ces révoltes furent vite mâtées par
les forces britanniques, mais elles exprimaient, entre autres, le
refus des Kurdes de retourner sous la domination turque ou d'être
inclus dans un État arabe. |
Le roi Fayçal Ier s'employa constamment à obtenir l'indépendance de
l'Irak. Le 10 octobre 1922, un traité anglo-iranien ("Anglo-Iraqi
Treaty") supprimait théoriquement
le régime du mandat britannique, sans pour autant reconnaître la
pleine souveraineté de l'Irak.
Article I
At the request of His Majesty the King of Iraq, His Britannic
Majesty undertakes subject to the provisions of this Treaty to
provide the State of Iraq with such advice and assistance as may be
required during the period of the present Treaty, without prejudice
to her national sovereignty. His Britannic Majesty shall be
represented in Iraq by a High Commissioner and Consul-General
assisted by the necessary staff.
Article
II
His Majesty the King of Iraq undertakes that for
the period of the present Treaty no gazette official of other than
Iraq nationality shall be appointed in Iraq without the concurrence
of His Britannic Majesty. A separate agreement shall regulate the
numbers and conditions of employment of British officials so
appointed in the Iraq Government.
Article IV
Without prejudice to the provisions of Articles
XVII and XVIII of this Treaty, His Majesty the King of Iraq agrees
to be guided by the advice of His Britannic Majesty tendered through
the High Commissioner on all important matters affecting the
international and financial obligations and interests of His
Britannic Majesty for the whole period of this Treaty. His Majesty
the King of Iraq will fully consult the High Commissioner on what is
conducive to a sound financial and fiscal policy and will ensure the
stability and good organisation of the finances of the Iraq
Government so long as that Government is under financial obligations
to the Government of His Britannic Majesty. |
Article 1er
[traduction]
À la demande de Sa Majesté le roi
d'Irak, Sa Majesté britannique s'engage sous réserve des
dispositions du présent traité à fournir à l'État irakien des
conseils et une assistance, qui peuvent être nécessaires pendant la
période du présent traité, sans préjudice de sa souveraineté
nationale. Sa Majesté britannique doit être représentée en Irak par
un haut commissaire et un consul-général assisté du personnel
nécessaire.
Article
2
Sa
Majesté le roi
d'Irak
s'engage
pour la période
du présent traité
à n'embaucher que des
fonctionnaires autres que de
nationalité irakienne qui ne
pourront être
désignés sans
l'assentiment
de Sa Majesté britannique.
Un
accord séparé
doit réglementer
le nombre et
les conditions
d'emploi des
fonctionnaires
britanniques
ainsi nommés
dans le
gouvernement
de
l'Irak.
Article 4
Sans
préjudice des
dispositions
des articles 17
et
18 du présent
traité,
Sa Majesté le roi
de l'Irak
accepte d'être
guidée
par les conseils
de Sa Majesté
britannique
présentés par
le haut
commissaire sur
toutes les questions
importantes qui
touchent les
obligations et les
intérêts
internationaux et financiers de
Sa
Majesté britannique
pour toute la période
du présent
traité.
Sa Majesté le roi
de l'Irak
consultera
entièrement le
haut commissaire pour
ce qui est
favorable à
une politique
financière et
budgétaire saine
et assurera la
stabilité et la bonne
organisation des
finances
du gouvernement
de l'Irak
aussi longtemps que
ce gouvernement
aura des obligations
financières envers
le gouvernement
de Sa Majesté
britannique. |
En réalité, ce
traité
entre la Grande-Bretagne et
l'Irak permettait
l'autonomie locale
tout en donnant
le contrôle
britannique
des affaires étrangères,
financières et militaires.
Le roi d'Irak demeurait entièrement sous le contrôle d'un haut commissaire
britannique (art. 4). Londres pouvait en tout temps s’opposer aux décisions du
gouvernement irakien. En même temps, la Grande-Bretagne pouvait imposer
certaines politiques «occidentales» telles la non-discrimination pour des
motifs de race, de langue ou de religion :
Article III
His Majesty the King of Iraq agrees to
frame an Organic Law for presentation to the Constituent Assembly of
Iraq and to give effect to the said law ; which shall contain
nothing contrary to the provisions of the present Treaty and shall
take account of the rights, wishes and interests of all populations
inhabiting Iraq. This Organic Law shall ensure to all complete
freedom of conscience and the free exercise of all forms of worship,
subject only to the maintenance of public order and morals. It shall
provide that no discrimination of any kind shall be made between the
inhabitants of Iraq on the ground of race, religion or language, and
shall secure that the right of each community to maintain its own
schools for the education of its own members in its own language,
while conforming to such educational requirements of a general
nature as the Government of Iraq may impose, shall not be denied or
impaired. It shall prescribe the constitutional procedure, whether
legislative or executive, by which decisions will be taken on all
matters of importance, including those involving questions of fiscal
and military policy. |
Article 3
[traduction]
Sa Majesté le Roi
de l'Irak
s'engage à
adopter
une loi organique
pour la présenter
à l'Assemblée
constituante de
l'Irak et pour
donner effet à
ladite loi, laquelle
ne doit contenir
rien qui soit
contraire aux
dispositions du
présent traité
et doit tenir compte
des droits, des
souhaits et des
intérêts de
toutes les populations
qui habitent
Irak. Cette
loi organique
doit assurer
à tous
une entière liberté
de conscience et
le libre exercice de
toutes les formes de
cultes,
sous la seule réserve
du maintien
de l'ordre public
et de la morale.
Elle ne doit permettre
aucune
discrimination
de quelque nature que ce soit
entre
les
habitants
de l'Irak
pour des motifs de
race,
de religion ou
de langue, et
elle doit garantir
le droit
de chaque communauté
de conserver ses
propres
écoles pour
l'instruction
de ses membres
dans leur
langue maternelle,
tout en se conformant
à des
exigences pédagogiques
de nature
générale que le
gouvernement
de l'Irak
peut imposer,
mais qu'il ne doit pas
nier
ni empêcher.
La loi devra
prescrire la
procédure
constitutionnelle,
législative ou
exécutive,
par laquelle les
décisions
seront prises
sur toutes les questions
d'importance,
y compris celles
portant sur des
questions de
politique fiscale
et militaire. |
Le mandataire britannique savait que le nouveau pays était
aux prises avec des antagonismes ethno-religieux, notamment entre Kurdes sunnites,
Arabes sunnites et Arabes chiites, sans oublier les minorités chrétiennes
persécutées par les chiites.
3.4 Les textes juridiques
Après la guerre gréco-turque de
1919-1922 gagnée par Mustafa Kemal, la Turquie avait les moyens de
refuser la ratification du
traité de Sèvres et de contracter
un traité de paix plus
avantageux, le
traité de Lausanne
du 24 juillet 1923, ce qui allait mettre fin à la partition du territoire de la
Turquie et faire oublier l'idée d'un Kurdistan indépendant. Mustafa Kemal ne
voulait absolument plus céder un centimètre du territoire
anatolien. Pour lui, toutes les minorités représentaient un
grave danger politique; c'est pourquoi il fallait les assimiler de gré ou de
force. Quiconque n'était pas de «race turque» était dorénavant suspect.
Le
traité de Lausanne
de 1923,
qui rendait caduc le
traité de Sèvres, se trouvait à annexer la plus grande partie du
Kurdistan au nouvel État turc et n'apportait plus de garantie
en ce qui a trait au droit des Kurdes de s'autodéterminer. Le traité de Lausanne
ignorait les droits
des Kurdes, car il renvoyait tout différend entre la Grande-Bretagne et la
Turquie devant une commission d’enquête de la Société des Nations. La
Turquie tirait avantage du traité de
Lausanne, car elle réalisait d’importants gains
territoriaux au détriment de la France, mais surtout aux dépens de l’Arménie qui
voyait réduire son territoire à ses limites actuelles (voir
la carte spécifique). Le grand perdant fut sans
contredit le Kurdistan qui ne vit jamais le jour (voir
les cartes du traité de Sèvres et du traité de Lausanne).
De plus, le traité de Lausanne reconnaissait l'abolition du sultanat ottoman
de 1922 et prévoyait la disparition du califat pour 1924. La Turquie actuelle
accédait à son indépendance, pendant que le dernier souverain, Mehmed VI Vehid-el-Ddin
(1861-1926), était déposé et la république de Turquie, proclamée le 29 octobre
1923, avec Mustafa Kemal comme président. Désormais, l’Empire ottoman n’existait
plus et le nom de «Turc» allait remplacer officiellement celui d'«Ottoman».
- Les frontières contestées
de Mossoul
 |
Mais
les
frontières du nouveau royaume d'Irak furent rapidement contestées par l’Arabie
Saoudite et surtout la Turquie qui revendiquait le
vilayet de Mossoul
(voir la carte détaillée).
Pour la délégation turque, les Turcs et les
Kurdes, deux peuples musulmans, étaient alors considérés «de même race et de même
origine», ce qui signifiait qu'ils devaient faire partie de la Turquie.
Même la Commission d'enquête reconnaissait que le territoire litigieux
appartenait juridiquement à la Turquie, tant qu’elle n’avait pas
renoncé à ses droits. Pour les Britanniques, le vilayet de Mossoul
était absolument nécessaire à la survie économique du nouvel État
irakien qu’ils avaient créé, en raison des puits de pétrole. Ils
croyaient aussi être les seuls à pouvoir faire régner la paix entre
les divers groupes ethniques, notamment entre les Kurdes, les Arabes
sunnites et chiites, et les chrétiens. |
La Société des Nations s'est vue dans
l'obligation de créer une commission d'enquête sur le vilayet de Mossoul. La
Commission comptait trois commissaires : l'attaché militaire Einar
af Wirsén (Suède) en poste à Constantinople, le comte Pál
de Teleki (Hongrie) et le colonel Albert Paulis (Belgique). Au
moment de l'enquête de la Commission, le vilayet de Mossoul comptait près de 800
000 habitants répartis sur 87 890 km². Ladite Commission ajoutait
dans son rapport que la population était
d'appartenance kurde et non turque ou irakienne; la Commission poursuivait ses propos en ces
termes (1925):
Ce territoire
[…] n’a jamais fait partie de l’Irak. Les Kurdes forment la majorité
de la population. Ils ne sont ni turcs, ni arabes et parlent une
langue assyrienne […] Il n’existe pas de sentiment national irakien
et, parmi les Kurdes, on trouve une conscience nationale croissante
qui est nettement kurde et non irakienne […] S'il fallait tirer une
conclusion de l'argument ethnique isolément, elle conduirait, à
préconiser la création d'un État
Kurde indépendant, les Kurdes formant les cinq huitièmes de la
population. Si une telle solution était envisagée, il conviendrait
de joindre au chiffre précédent les Yézidis, Kurdes de religion
zoroastrienne, et les Turcs dont l'assimilation par l'élément Kurde
serait aisée. Dans une évaluation ainsi faite, les Kurdes
formeraient alors les sept huitièmes de la population. Les
statistiques et les cartes présentées par les deux Hautes Parties
sont inexactes. |
La Commission d’enquête fit savoir
dans ses conclusions que la grande majorité des habitants du vilayet de
Mossoul était en faveur du rattachement à l’Irak plutôt qu'au retour à la
Turquie. Entre deux maux, c'est-à-dire les Turcs ou les Arabes d'Irak, il
fallait choisir le moindre : mieux valait les Arabes sous
le contrôle des Anglais que les Turcs sans aucun contrôle!
Mais les
Arabes les plus nationalistes disaient préférer la Turquie à un Irak
placé sous tutelle
anglaise. Le rapport de la
Commission s'est penché aussi longuement sur la répartition géographique,
linguistique et religieuse des différents groupes ethniques tels les Kurdes,
les Turcs, les Turkmènes (appelés Turcomanes), les Yézidis, les Arabes, les
Assyriens, etc.). La Commission a même dressé des cartes précises —
fabriquées par le géographe hongrois, le comte Pál
de Teleki (1879-1941) —,
pour
démontrer le caractère mixte de la population dans les villes et
l'importance des liens et des intérêts traditionnels dans les communications et
le
commerce. Le Conseil de la Société des Nations est arrivé à la
conclusion que la Grande Bretagne, comme puissance mandataire, devait
protéger la population de la région concernée pendant vingt-cinq ans, sauf
si l'Irak accédait à l'indépendance avant l’expiration du délai du mandat
Quoi qu'il en soit, le rapport de la
Commission d'enquête de la Société des Nations n'a pas semblé peser très lourd face
à la détermination des Britanniques qui ambitionnaient de conserver
absolument cette région dans l’espace du nouvel État irakien qu’ils avaient
créé. Finalement, le Conseil de la Société des Nations, au
cours de sa session du 16 décembre 1925, décidait que le vilayet
de Mossoul serait rattaché à l'Irak en suivant la
ligne de Bruxelles
(ligne provisoire fixée à Bruxelles). Le Conseil a adopté la résolution à
l'unanimité, alors que le vote de la délégation britannique et l'absence de
la Turquie n'étaient pas prises en considération en vertu de la règle
établie par la CPJI (Cour permanente de Justice internationale). Le rapport
de la Commission concluait ainsi dans le Journal officiel de la Société des
Nations du mois d'avril 1926 (p. 502):
The Council,
Having regard to Articles 3 and 16 of the Treaty
of Peace signed at Lausanne on July 24th, 1923;
In view of the conclusions of the report of the
Commission of Enquiry: Adopting the reasons and proposals
contained in the report of the Committee of the Council:
Decides:
1. (description of the proposed frontier which
coincides with the provisional line fixed at Brussels;
2. The British Government is invited to submit to
the Council a new Treaty with Iraq, ensuring the continuance for
25 years of the mandatory regime defined by the Treaty of
Alliance between Great Britain and Iraq and by the British
Government's undertaking approved by the Council on September
27th, 1924, unless Iraq is, in conformity with Article 1 [of]
the Covenant, admitted as a Member of the League before the
expiration of this period. As soon, as within a period of six
months from the present date, the execution of this stipulation
has been brought to the knowledge of the Council, the Council
shall declare that the present decision has become definitive
and shall indicate the measure required to insure the
delimitation on the ground of the frontier line.
3. The British Government, as mandatory Power, is
invited to lay before the Council the administrative measures
which will be taken with a view to securing for the Kurdish
populations mentioned in the report of the Commission of Enquiry
the guarantees regarding local administration recommended by the
Commission in its final conclusions.
4. The British Government, as mandatory Power, is
invited to act, as far as possible, in accordance with the other
suggestions of the Commission of Enquiry as regards measures
likely to ensure pacification and to afford equal protection to
all the elements of the population, and also as regards the
commercial measures indicated in the special recommendations of
the Commissions's report." |
Le Conseil,
[traduction]
Vu les articles 3 et
16 du Traité de paix signé à Lausanne le 24 juillet 1923;
Compte tenu des
conclusions du rapport de la Commission d'enquête : adoptant les
motifs et les propositions contenues dans le rapport du Comité
du Conseil :
Décide :
1. (Description
de la frontière proposée qui coïncide avec la
ligne provisoire
fixée à Bruxelles);
2.
Le gouvernement britannique est invité à soumettre au Conseil un
nouveau traité avec l'Irak, qui assurera la continuation, pendant
vingt-cinq ans, du régime de mandat défini par le Traité
d'alliance entre la Grande-Bretagne et l'Irak, et par l'acte
d'engagement du gouvernement britannique approuvé par le
Conseil, en date du 27 septembre 1924, sous réserve de
l'admission, avant l'expiration de cette période, de l'Irak dans
la Société des Nations, conformément à l'article 1er du Pacte.
Aussitôt que, dans un délai de six mois à compter de ce jour,
l'exécution de cette disposition aura été portée à la
connaissance du Conseil, celui-ci constatera que la présente
décision est devenue définitive et avisera aux mesures propres à
assurer la délimitation sur le terrain de la ligne-frontière.
3. Le
gouvernement britannique, en tant que Puissance mandataire, est
invité à soumettre au Conseil les mesures administratives qui
seront arrêtés pour accorder aux populations kurdes visées par
le rapport de la Commission d'enquête les garanties
d'administration locales recommandées par cette Commission dans
les conclusions finales.
4. Le
gouvernement britannique, en tant que Puissance mandataire, est
invité à s'inspirer aussi fidèlement que possible des autres
suggestions de la Commission d'enquête en ce qui concerne les
mesures propres à assurer l'apaisement, à protéger également
tous les éléments de la population, en ce qui concerne les
mesures commerciales visées dans les recommandations spéciales
du rapport de cette Commission." |
Le rapport de la Société des Nations
(voir des extraits du rapport)
donnait les raisons pour lesquelles le vilayet
de Mossoul devait être annexé au nouvel État irakien. Les rapporteurs de
la SDN soulevèrent que l’Irak «a cependant le droit moral d’exiger que,
puisqu’on l’a créé, on lui donne des frontières lui permettant de vivre,
tant au point de vue politique qu’au point de vue économique». Par ailleurs,
le roi Fayçal avait déclaré à la commission qu'il quitterait l'Irak et
choisirait une autre voie pour refaire l'unité arabe s'il n'obtient pas Mossoul,
car la perte de ce territoire priverait l'Irak d'une assise économique
importante et provoquerait le chaos; c'en serait fini de l'Irak. C’est sur
cette croyance que l’Irak s’est vu octroyer en 1925 la souveraineté sur le
vilayet de Mossoul, devenu le Kurdistan irakien.
En 1926, la Turquie a fini par accepter la
délimitation de la frontière qui la séparait de l’Irak le long d’une ligne
qui coupait en deux les «régions où domine l’élément kurde», préalablement
définies dans le traité de Sèvres jamais appliqué. Le vilayet de Mossoul fut
donc définitivement rattaché à l'Irak. Le Royaume-Uni, l'Irak et la
Turquie signèrent, le 5 juin 1926, un traité (Treaty of Angora, between the
United Kingdom, Iraq, and Turkey, signé à Angora (Ankara), le 5 juin 1926)
qui entérinait la plupart de la décision rendue par le comité de la Société des
Nations.
Ainsi, le tracé des frontières a été
créé de telle sorte que le
Kurdistan se trouvait désormais écartelé entre la Turquie, la Syrie, l'Irak
et l'Iran. C'était là, sans nul doute, la conséquence la plus
négative du tracé de ces frontières, ainsi que la création d’un foyer
supplémentaire de tensions et de conflits au
Proche-Orient. Pendant ce
temps, la Perse est devenue l'Iran, mais ce n'est que le 21 mars 1935 que,
par décret royal, la Perse changera officiellement de nom.
- La Constitution de 1925
Le 10 juillet 1924, un projet de Constitution fut approuvé
par l'Assemblée constituante irakienne. Cette constitution entra en vigueur le
21 mars 1925, mais fut modifiée dès le 29 juillet 1925. Elle ne fut publiée au
Journal officiel que le 12 août 1928. Depuis lors, elle a subi plusieurs
modifications jusqu'à son abrogation à la suite du coup d'État du 14 juillet
1958 et de l'abolition de la monarchie. Cette constitution énonçait que l'arabe
était la langue officielle. Les seuls articles concernant la langue sont les
suivants et reconnaissaient certains droits linguistiques aux différentes
communautés minoritaires:
Constitution de 1925
Article 6
Les Irakiens sont égaux
en droits devant la loi, quelles que soient les différences de
langue, de race ou de croyances.
Article 16
Les différentes
communautés ont le droit d'établir et d'entretenir des écoles pour
l'instruction de leurs membres dans leur propre langue, à condition
que cet enseignement soit effectué en conformité avec les programmes
généraux qui peuvent être prescrits par la loi.
Article 17
L'arabe est la langue
officielle, sous réserve de ce qui peut être prescrit par une loi
spéciale. |
À cette époque, des minorités importantes peuplaient
Bagdad et Mossoul au nord, dont les Assyriens chrétiens, les Turkmènes sunnites
et chiites, ainsi que les Kurdes
chiites; la capitale (Bagdad) comptait également une importante minorité juive.
L'Irak ne réussit pas à s'unifier comme un État-nation dans lequel les
différents groupes de population auraient pu s'identifier. Le pouvoir politique
fut aussitôt accaparé par les Arabes sunnites constamment soutenus par les
Britanniques. Les sunnites réussirent à se maintenir à
la tête du pays grâce à un appareil d'État utilisant la violence
généralisée et la répression. C'est pourquoi les dirigeants sunnites virent
l'intégrité de l'État qu'ils contrôlaient
menacée de l’intérieur par les aspirations sécessionnistes
des chiites au sud et des Kurdes au nord. Tous les rouages administratifs du
nouvel État furent investis par des élites arabes sunnites, ce qui entraîna la
mise à l'écart des chiites (majoritaires) et des Kurdes des sphères du pouvoir.
- Le Traité anglo-irakien de 1930
En principe, le Traité anglo-irakien du 30 juin 1930 (ou "Anglo-Iraqi Treaty"),
qui abrogeait le traité de 1922, reconnut l’indépendance de l’Irak, tout en
raffermissant l’alliance politique et militaire entre les deux pays.
Article 5
It is understood between the High Contracting Parties
that responsibility for the maintenance of internal order in 'Iraq
and, subject to the provisions of Article 4 above, for the defence
of 'Iraq from external aggression rests with His Majesty the King of
'Iraq. Nevertheless His Majesty the King of 'Iraq recognises that
the permanent maintenance and protection in all circumstances of the
essential communications of His Britannic Majesty is in the common
interest of the High Contracting Parties.
For this purpose and in order to facilitate the discharge of the
obligations of His Britanic Majesty under Article 4 above His
Majesty the King of 'Iraq undertakes to grant to His Britannic
Majesty for the duration of the Alliance sites for air bases to be
selected by His Britannic Majesty at or in the vicinity of Basra and
for an air base to be selected by His Britannic Majesty to the west
of the Euphrates. His Majesty the King of 'Iraq further authorises
His Britannic Majesty to maintain forces upon 'Iraq territory at the
above localities in accordance with the provisions of the Annexure
of this Treaty on the understanding that the presence of those
forces shall not constitute in any manner an occupation and will in
no way prejudice the sovereign rights of 'Iraq. |
Article 5
[traduction]
Il est entendu entre les Hautes
Parties contractantes que la responsabilité du maintien de l'ordre
interne de l'Irak, sous réserve des dispositions de l'article 4
ci-dessus, pour la défense de l'Irak contre les agressions
extérieures, incombe à Sa Majesté le roi d'Irak. Néanmoins, Sa
Majesté le roi de l'Irak reconnaît que l'entretien permanent et la
protection en toutes circonstances des communications essentielles
de Sa Majesté britannique sont dans l'intérêt commun des Hautes
Parties contractantes.
Pour ce faire et afin de faciliter la réalisation des obligations de
Sa Majesté britannique en vertu de l'article 4 ci-dessus, Sa Majesté
le roi d'Irak s'engage à accorder à Sa Majesté britannique, pour la
durée de l'Alliance, des lieux pour les bases aériennes qui seront
choisis par Sa Majesté britannique à ou à proximité de Bassorah et
d'une base aérienne devant être choisie par Sa Majesté britannique à
l'ouest de l'Euphrate. Sa Majesté le roi de l'Irak autorise de plus
Sa Majesté britannique à maintenir des forces sur le territoire
d'Irak dans les localités ci-dessus, conformément aux dispositions
de l'annexe du présent traité, étant entendu que la présence de ces
forces ne constitue en aucune manière une occupation et ne sera en
aucun cas porter atteinte aux droits souverains de l'Irak. |
Ce traité rédigé en un langage diplomatique ne rendait pas l'Irak
réellement souverain. D'une part, la Grande-Bretagne remplaçait son
haut commissaire par un simple ambassadeur. D'autre part, la tutelle britannique
demeurait encore omniprésente.
Dans les faits, la Grande-Bretagne se libérait de
certaines charges du mandat tout en conservant certains bénéfices. Les
Britanniques s'étaient rendus compte
que l'Irak serait un pays ingouvernable et que le «mandat» allait devenir
pour eux source d'incessants ennuis. Il valait mieux pour leurs intérêts
politiques, économiques et militaires, se débarrasser de cette charge en
signant avec l'Irak un traité qui leur donnerait des avantages importants avec
peu d'inconvénients. Évidemment, le traité ne contenait aucune disposition
concernant les minorités. Il est même probable que le haut commissaire
britannique n'en avait jamais entendu parler. Pourtant, à Genève, la Société des
Nations avait reçu une abondante série de pétitions, de plaintes et de craintes
qui provenaient de toutes les régions de l'Irak. Cette
situation allait créer un climat explosif favorisant l’extension du nationalisme
et la mobilisation des masses contre la domination britannique.
- La Déclaration de 1932
Devant le Conseil de la Société des nations, l'Irak s'est
engagé unilatéralement en mai 1932 à protéger ses minorités dans une
«Déclaration» officielle. En réalité, la déclaration irakienne sur les minorités
a été élaborée par un comité spécial prévu
lors de la Résolution du 28 janvier 1932 du
Conseil de la Société des Nations. Le 5 mai 1932,
l'Assemblée des représentants a adopté cette déclaration à l'égard des Kurdes et
des autres minorités. Bien que l'arabe soit déclaré la langue officielle,
l'article 4 de la Déclaration reconnaissait l'égalité de tous les ressortissants irakiens sans
distinction de race, de langue ou de religion:
Article 4
1) Tous les ressortissants irakiens seront égaux devant
la loi et jouiront des mêmes droits civils et politiques sans
distinction de race, de langue ou de religion.
2) Le système électoral assurera une représentation
équitable aux minorités de race, de religion ou de langue en Irak.
3) La différence de race, de langue ou de religion ne
devra nuire à aucun ressortissant irakien en ce qui concerne la
jouissance des droits civils et politiques, notamment pour
l'admission aux emplois publics, fonctions et honneurs, et pour
l'exercice des différentes professions et industries.
4) Il ne sera édicté aucune restriction au libre usage
pour tous les ressortissants irakiens d'une langue quelconque, soit
dans les relations privées ou de commerce, soit en matière de
religion, de presse ou de publications de toute nature, soit dans
les réunions publiques.
5) Nonobstant l'établissement par le Gouvernement irakien
de la langue arabe comme langue officielle, et nonobstant les
dispositions spéciales que le Gouvernement irakien prendra en ce
qui concerne l'emploi des langues kurde et turque, dispositions
prévues à l'article 9 de la présente Déclaration, des facilités
appropriées seront données à tous les ressortissants iraquiens de
langue autre que la langue officielle, pour l'usage de leur langue,
soit oralement, soit par écrit, devant les tribunaux.
|
Pour un pays arabe, c'était là à l'époque une avancée
considérable dans les droits accordés aux minorités. L'article 5 de
la Déclaration énonçait les
mêmes principes :
Article 5
Les ressortissants irakiens appartenant à des minorités de race,
de religion ou de langue jouiront du même traitement et des mêmes
garanties en droit et en fait que les autres ressortissants
irakiens. Ils auront notamment un droit égal à maintenir, diriger
et contrôler à leurs frais ou à créer à l'avenir des institutions
charitables, religieuses ou sociales, des écoles et autres
établissements d'éducation, avec le droit d'y faire librement usage
de leur propre langue et d'y exercer librement leur religion.
|
Quant à l'article 8 de la
Déclaration, il prévoyait une protection réelle dans le système
d'enseignement public, puisqu'il garantissait aux
ressortissants irakiens dont la langue maternelle
n'est pas la langue officielle de recevoir une instruction dans leur
langue maternelle tout en recevant un enseignement obligatoire en
arabe:
Article 8
1) Dans le système d'enseignement
public dans les villes et les districts dans lesquels réside une
proportion considérable de ressortissants irakiens dont la langue
maternelle n'est pas la langue officielle, le Gouvernement irakien
prendra des dispositions pour des installations adéquates afin de
s'assurer que, dans les écoles primaires, l'instruction soit donnée
aux enfants de ces ressortissants dans leur propre langue ; il est
entendu que la présente disposition ne doive pas empêcher le
gouvernement irakien de rendre obligatoire l'enseignement de la
langue arabe dans lesdites écoles.
2)
Dans les villes et
les districts
dans lesquels il
existe une
proportion considérable de ressortissants
irakiens
appartenant à des
minorités
raciales, religieuses ou
linguistiques,
ces
minorités
se
verront assurer une
part équitable
dans le bénéfice
et l'application des
sommes qui
pourraient être
attribuées par
les fonds publics de
l'État,
les budgets
municipaux ou autres
à des fins éducatives,
religieuses
ou charitables.
|
Enfin, selon l'article 9 de la
Déclaration, le gouvernement irakien
s'engageait à ce que le kurde soit une langue officielle dans les régions où les
Kurdes étaient présents, au même titre que la langue arabe:
Article 9
1) L'Iraq s'engage, en ce qui concerne les livas de
Mossoul, d'Arbil, de Kirkouk et de
Souleimaniyeh, à ce que la langue
officielle, à côté de l'arabe, soit le kurde dans les kazas où la
population prédominante est de race kurde.
Toutefois, dans les kazas de Kifri et de Kirkouk du liva de
Kirkouk, où une partie considérable de la population est de race
turcomane, la langue officielle sera, à côté de l'arabe, soit le
kurde, soit le turc.
2) L'Iraq prend l'engagement que dans lesdits
kazas, les
fonctionnaires devront, sauf exception justifiée, posséder la langue
kurde ou, le cas échéant, la langue turque.
3) Bien que dans lesdits
kazas, le critère pour le choix
des fonctionnaires soit, comme dans le reste de l'Iraq, la capacité
et la connaissance de la langue plutôt que la race, l'Iraq s'engage
à ce que les fonctionnaires soient choisis, comme jusqu'à présent,
autant que possible parmi les ressortissants iraquiens originaires
de ces kazas.
|
Les mots «livas» et «kazas» indiquaient des divisions
administratives (voir les termes
administratifs). La
Déclaration reflétait les règles traditionnelles du régime de la
protection des minorités de la Société des Nations: la non-discrimination, la
liberté de religion, l'utilisation des langues minoritaires, etc., mais pas du
tout l'idéologie du pan-arabisme. L'autonomie locale des Kurdes n'a jamais été
proclamée dans cette déclaration, bien que la Grande- Bretagne l'ait garantie
devant le Conseil.
3.5 L'indépendance de l'Irak (1932)
L’indépendance de l’Irak ne fut reconnue que
le 3 octobre 1932, lorsque le pays fut admis à la
Société des Nations. Cette admission resta formelle, car le Traité anglo-irakien du 30 juin 1930 (ou "Anglo-Iraqi Treaty")
était prévu pour une durée de vingt-cinq ans :
Article 11
This Treaty shall be ratified and ratifications shall
be exchanged as soon as possible. Thereafter it shall come into
force as soon as 'Iraq has been admitted to membership of the League
of Nations. The present Treaty shall remain in force for a period of
twenty-five years from the date of its coming into force. At any
time after twenty years from the date of the coming into force of
this Treaty, the High Contracting Parties will, at the request of
either of them, conclude a new Treaty which shall provide for the
continued maintenance and protection in all circumstances of the
essential communications of His Britannic Majesty. In case of
disagreement in this matter the difference will be submitted to the
Council of the League of Nations. In faith whereof the respective
Plenipotentiaries have signed the present Treaty and have affixed
thereto their seals.[...] |
Article 11
[traduction]
Le présent traité sera ratifié et les
ratifications seront échangées dès que possible. Par la suite, il
entrera en vigueur dès que l'Irak aura été admis comme membre de la
Société des Nations. Le présent traité restera en vigueur pour une
période de vingt-cinq ans à compter de la date de son entrée en
vigueur. À tout moment, après vingt ans à compter de la date
d'entrée en vigueur du présent traité, les Hautes Parties
contractantes devront, à la demande de l'une d'elles, conclure un
nouveau traité prévoyant le maintien et la protection en toutes
circonstances des communications essentielles de Sa Majesté
britannique. En cas de désaccord à ce sujet, le différend sera
soumis au Conseil de la Société des Nations. En foi de quoi les
plénipotentiaires respectifs ont signé le présent traité et ont
apposé leurs sceaux. [...] |
De plus, l'article 5 de l'Annexe au Traité d'alliance
supposait le libre déplacement des troupes britanniques sur le territoire irakien, où étaient établies deux bases de la Royal Air Force
:
Annexure To Treaty of
Alliance
Clause 5.
His Britannic Majesty undertakes to grant whenever they may be
required by His Majesty the King of 'Iraq all possible facilities in
the following matters, the cost of which will be met by His Majesty
the King of 'Iraq.
1. Naval, military and aeronautical instruction of 'Iraqi officers
in the United Kingdom.2. The provision of
arms, ammunition, equipment, ships and aeroplanes of the latest
available pattern for the forces of His Majesty the King of 'Iraq.
3. The provision of British naval, military and
air force officers to serve in an advisory capacity with the forces
of His Majesty the King of 'Iraq. |
Annexe
au Traité
d'alliance
[traduction]
Article
5
Sa Majesté
britannique
s'engage à accorder,
à chaque fois
qu'elles
peuvent être exigées par
Sa Majesté le roi
d'Irak,
toutes les facilités
possibles dans
les matières
suivantes,
dont le coût
sera
pris en charge par
Sa Majesté le roi
d'Irak.
1.
La formation navale,
militaire et
aéronautique
des
officiers irakiens
au Royaume-Uni.
2. La fourniture
d'armes, de
munitions,
d'équipements,
de navires et
d'avions des
derniers modèles
disponibles pour
les
forces
de
Sa Majesté le roi
d'Irak.
3.
La fourniture d'officiers
britanniques de la marine,
de l'armée et de
l'aviation afin de servir à
titre consultatif
pour les forces de
Sa Majesté le roi
d'Irak. |
L’agitation contre le mandat britannique
perdura malgré l'indépendance de l'Irak. Non seulement les Kurdes
réclamèrent leur indépendance, mais les chiites se soulevèrent afin de protester
contre leur éviction du pouvoir par les sunnites. Le poids de la
Grande-Bretagne continua de se faire sentir, notamment dans les affaires
pétrolières, ce qui suscita la grogne et les sentiments antibritanniques chez
les nationalistes arabes, surtout que le gouvernement colonial promettait une
implantation juive en Palestine.
En 1945 et 1946, les Kurdes, qui ne se retrouvaient pas dans un
État se définissant comme «arabe», se soulevèrent
tout en recevant le soutien de l’Union soviétique. Les Britanniques, craignant que les Soviétiques ne prennent le contrôle des champs pétrolifères du Nord, intervinrent militairement.
 |
En avril
1947, les royaumes hachémites d’Irak et de Transjordanie signèrent
un traité d’amitié et d’alliance prévoyant un soutien militaire et
diplomatique mutuel. Aussitôt après la création d’Israël en mai
1948, les armées des deux pays attaquèrent le nouvel État. Défaits,
l’Irak et la Transjordanie se résolurent à signer un armistice début
1949. Le 24 février 1955, la signature du pacte de Bagdad conclu avec la Grande-Bretagne, la Turquie, le Pakistan et
l’Iran constitua un système de défense contre le bloc soviétique. Après la crise de Suez, l’influence britannique en Irak s’estompa au profit des États-Unis. Le 14 février 1958, en réaction à la création de la République arabe unie (RAU) liant l’Égypte et la Syrie, l’Irak et la Jordanie se fédérèrent en une
union arabe appelée «Fédération arabe d'Irak et de
Jordanie» dont le roi Fayçal II devint le dirigeant. Mais le 21 août
1958, la fédération fut dissoute après seulement cinq mois
d'existence, lorsque l'Irak s'en est retiré après le coup d'État qui
mit fin à la monarchie. |
3.6 La république d'Irak (1958)
En effet, le 14 juillet 1958, le général Abdul Karim Qasim (ou général Kasem), soutenu par les
nassériens (Égypte) et les communistes (URSS), renversa la monarchie
irakienne. Le roi Fayçal et le prince héritier furent
massacrés au cours du soulèvement, alors que le premier ministre
Nuri al-Saïd (pro-britannique) fut pourchassé et lynché par la
foule. Le lendemain, le nouveau gouvernement, qui avait proclamé la
République, annonça la dissolution de l’Union arabe et le
rapprochement avec la République arabe unie. En mars 1959, l’Irak se retira du pacte de Bagdad. La
même année, alors qu'il est étudiant en droit, Saddam Hussein participa à un
attentat manqué contre le général Kassem; condamné à mort par contumace, Saddam
Hussein
s'exila en Égypte.
 |
Le général Kasem occupa le poste de
premier ministre et de ministre de la Défense. Il fit adopter un
nouveau drapeau en 1959. Les couleurs de ce drapeau, le noir, le
blanc et le vert, représentaient le panarabisme, mais le soleil
jaune évoquait la minorité kurde, alors que l'étoile rouge autour du
soleil symbolisait la minorité assyrienne. Ce fut le seul drapeau de
l'histoire irakienne à porter un symbole représentant la minorité
kurde. Néanmoins, le général Kasem persécuta et massacra la
population kurde: 4500 villages furent détruits
sous ses ordres. |
- La dictature d'un général
Le général
Kasem exerça un pouvoir si dictatorial qu'il finit par être renversé par un
groupe d’officiers du Parti Bass et exécuté le 8 février 1963,
soit neuf jours après un nouveau coup d'État. Le Parti Baas
prit le pouvoir et interdit le Parti communiste irakien, pourchassa et
emprisonna ses membres et sympathisants. C'est le maréchal Abdel Salam Aref qui
devint président de l'Irak, le 20 novembre 1963.
Le maréchal s'installa au pouvoir et fit arrêter et éliminer plusieurs
têtes dirigeantes du Parti Baas soupçonnées de comploter contre lui; Saddam Hussein fut arrêté
et emprisonné. Pendant ces années de détention, il sera torturé et interrogé
par la police du régime en place.
Abdel Salam Aref
mourut en 1966 dans un accident d'hélicoptère dans le sud de l'Irak; son frère,
Abdul Rahman Aref, le remplaça à la tête de l'État.
Durant les années qui suivirent, diverses dictatures se succédèrent les unes aux
autres, avec comme trame de fond une politique de panarabisme, qui ne pouvait
que déplaire aux Kurdes.
 |
Après le renversement du régime de Kasem, un
autre drapeau fut adopté en juillet 1963. Les étoiles vertes
désignaient la proposition d'alliance avec l'Égypte et la Syrie, qui
avaient toutes deux un drapeau comportant ces étoiles. Puis les
trois étoiles devinrent le symbole du Parti Baath : unité, liberté
et socialisme. En 1966, Saddam Hussein s'évada de prison et devint
sous-secrétaire du commandement régional du Parti Baas. Après avoir passé un
an à préparer le renversement du gouvernement d'Abdul Rahman Aref, Hussein, à la
tête d'une armée de révolutionnaires, passa à l'action. |
- L'arrivée de Saddam Hussein et la
question kurde
Le 17 juillet 1968, Saddam Hussein
prit place sur le premier char d'une colonne qui montait à l'assaut du palais
présidentiel, où le régime d'Abdul Rahman Aref vivait ses dernières heures. Quelques jours plus
tard, Saddam Hussein limogea le premier ministre et le ministre de la Défense, puis prit la tête des services de sécurité. Il occupa la fonction de
vice-président du Bureau révolutionnaire.
En 1970, le
nouveau régime irakien, croyant régler la question kurde, accorda une autonomie
politique aux Kurdes. Ce furent les accords du
11 mars 1970, alors que les Arabes et les
Kurdes parvinrent à s’entendre sur une autonomie accordée, dans un délai
fixé à quatre ans, aux gouvernorats peuplés majoritairement de Kurdes.
L'article 14 des accords prévoyait «l'autonomie du peuple kurde dans la région
formée par l'unification des gouvernorats et unités administratives habités par
une majorité kurde, conformément au recensement officiel qui aura lieu».
Les autres articles précisaient que le kurde serait la langue officielle et la
langue d'enseignement dans les régions peuplées en majorité par les Kurdes, et
que le recrutement de Kurdes dans l'administration et l'armée constituerait une
part «équitable» des budgets de développement pour les régions kurdes, la
nomination d'un vice-président kurde, et leur participation au pouvoir
législatif en fonction du pourcentage de la population en Irak. Enfin, le PDK
pouvait reprendre ses activités et publier son journal Al-Taakki.
En réalité, si Saddam Hussein a lui-même
négocié et signé ces
accords, c'est parce qu'il n'avait pas l'intention de les appliquer: il voulait
simplement gagner du temps avec les Kurdes
afin de «régler» le problème à sa façon. De fait, tout traîna en longueur à un
point tel que les Kurdes finirent par se soulever contre le gouvernement. Mais les révoltes kurdes furent finalement réprimées dans le sang en 1975 par les
Forces armées irakiennes. Les populations kurdes furent déplacées hors des zones
les plus sensibles du Kurdistan irakien. Le silence des États-Unis
fut considéré comme une trahison de l’Occident dans les milieux kurdes qui se
rallièrent alors au système socialiste, en partie maoïste, parce que l'URSS
apportait son soutien à Bagdad.
C'est alors que Saddam Hussein déclencha une «campagne nationale pour
l'éradication de l'illettrisme» destinée à combattre l'analphabétisme. L'école
devint obligatoire, gratuite et laïque tant pour les garçons que pour les
filles. En moins de dix-huit mois, le nombre des enseignants passa à 62 000,
alors que trois fois plus de filles se sont scolarisées. Même l'Unicef dut
reconnaître que l'Irak avait éliminé l'analphabétisme et scolarisé massivement
les Irakiens. Évidemment, la seule langue enseignée dans les écoles publiques
était l'arabe classique, le kurde étant interdit.
3.6 Le régime de Saddam
Hussein (1979-2003)
Le 16 juillet 1979,
Saddam
Hussein fut élu secrétaire
général du commandement régional du Baas, président du conseil de
commandement de la Révolution CCR et, devenu général, il succéda au président al-Bakr. Il imposa rapidement un pouvoir personnel : rompant avec le Parti communiste, il procéda à des purges massives au sein du
Parti Baas – un parti nationaliste arabe, laïc et socialiste, dont tous
les dirigeants sont originaires de la ville de
Tikrit
– et renoua avec les monarchies pétrolières du Golfe ainsi qu’avec les
pays occidentaux.
 |
Le pouvoir de Saddam Hussein s'est donc constitué au départ autour de
l'idéologie baasiste, relativement laïque et républicaine, puis s'est resserré
autour du clan, de la ville de Takrit, d'où sa famille élargie était
issue. Ce système clanique s'est appuyé sur une terreur permanente,
considérant l'islam sunnite comme une composante essentielle de la
culture arabe, tout en forçant les dirigeants religieux à s'abstenir de
toute ingérence dans les affaires politiques.
Mais la révolution de 1979 en Iran
constituait une menace directe pour Saddam Hussein et le Parti Baas sunnite.
C'est pourquoi l’Irak se rapprocha de l’Arabie Saoudite afin d'assurer leur sécurité
réciproque, tandis que la répression s’abattait de nouveau sur les chiites
d’Irak, pourtant majoritaires. En septembre
1980, le président Saddam Hussein, lui-même musulman sunnite, fit déporter 30
000 chiites irakiens qui menaçaient son autorité.
|
Quelques jours plus tard (le 22
septembre), il déclencha une guerre contre l’Iran; ce fut une guerre des Arabes
contre les Iraniens, c'est-à-dire des sunnites contre les chiites, en même temps une guerre
stratégique pour le contrôle du golfe Persique.
Débutait ainsi une longue et meurtrière guerre
qui allait durer
huit années, durant laquelle le gouvernement irakien en profita pour
réprimer les chiites du Sud, notamment les «Arabes des marais», et les Kurdes qui avaient pris le contrôle des zones frontalières.
La guerre Irak-Iran entraîna vers la mort un million de personnes et
rendit l'Irak redoutable au plan militaire.
- La répression contre les Kurdes
 |
En 1988, après l'accord de
cessez-le-feu mettant fin à la guerre entre l’Iran et l’Irak, le
régime de Saddam Hussein voulut encore mâter la rébellion kurde,
recourant cette fois-ci aux armes chimiques. Des milliers de Kurdes
périrent, et des centaines de villages kurdes furent détruits par
les troupes irakiennes. Un nouveau drapeau fut adopté en
janvier 1991. Saddam Hussein décida de placer les mots Allahu
Akbar («Allah est plus grand») entre les étoiles. Le texte
aurait été rédigé de la main même de Saddam Hussein; c'était une
tentative de gagner le soutien des pays musulmans lors de la guerre
avec le Koweït. Plusieurs années plus tard (entre 2003 et 2005), la
coalition américano-britannique allait trouver 288 charniers contenant quelque 300 000
cadavres de personnes exécutées par le régime. |
En 1990,
lenvahissement du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein — aussi
maréchal, chef suprême des forces armées, secrétaire général du Parti Baas et
président du Conseil de commandement de la Révolution —
entraîna une guerre internationale dirigée
par les États-Unis et le début de la fin pour Saddam Hussein qui allait subir,
durant une douzaine d'années, un régime de sanctions économiques strict et une
série de frappes militaires.
À la libération du Koweït et la débâcle de l'armée irakienne s'ajouta le
soulèvement des chiites et des Kurdes (mars 1991). Contre toute attente, Saddam
Hussein parvint à rétablir la situation au prix d'une terrible répression. Les populations kurdes d'Irak furent de nouveau la cible de larmée irakienne.
L'exode massif des Kurdes fuyant les bombardements entraîna la réaction des pays
occidentaux qui créèrent, au nord de l'Irak, des «zones refuges» sous mandat de
l'Organisation des Nations unies.
Par la suite, le Kurdistan irakien est devenu le champ de
tir des aviations tant turque qu'iranienne et irakienne, qui détruisirent des centaines de
villages, tandis que des dizaines de milliers de paysans kurdes durent fuir les
zones pilonnées par l'artillerie lourde de la Turquie, de l’Iran et de l’Irak.
Puis Saddam Hussein continua d’imposer son pouvoir personnel, les
conflits avec les Kurdes n’ayant jamais été réglés, l’embargo décrété par
l’Onu n’ayant rien donné, sauf d'appauvrir davantage la population civile
irakienne.
Pendant ce temps, Saddam Hussein mena une
forte politique d'arabisation dans
la région kurde. Quelque 100 000 Kurdes furent chassés de Kirkouk. Leurs
maisons furent occupées par des «colons» arabes. On les appela les «Arabes
à 10 000 dinars», parce que le régime donnait cette somme pour les inciter à
s'installer au Kurdistan irakien. C'était aussi une façon pour Saddam Hussein de renforcer
son pouvoir dans le pays. Évidemment, l'arabisation s'est étendue aux autre
minorités linguistiques comme les Turkmènes, les Azéris, les Iraniens, les
Assyriens, les Louri, les Chaldéens,
les Arméniens, etc.
- La guerre du Golfe de 2003
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001
contre le World Trade Center (New York) et le Pentagone (Arlington, Virginie), Saddam Hussein fut soupçonné
d'avoir trempé dans cette affaire : il était l'un des rares chefs
d'État à ne pas avoir condamné ces attentats. L'Irak fut alors désigné par
le gouvernement américain comme un «dangereux ennemi de l'Occident», un pays
faisant partie de «l'axe du mal» et soupçonné de développer, en
collaboration avec des groupes terroristes internationaux, des armes de
destruction massive. Le 20 mars 2003, commençait la seconde guerre du Golfe,
destinée cette fois à renverser le régime du président Saddam Hussein.
Ce dernier tentait depuis des années de
s'ériger en leader et défenseur du monde musulman. Il faisait tout pour dépeindre
l'Amérique comme le «Grand Satan» et, pour un homme qui n'était pas
particulièrement pratiquant, il faisait ériger des mosquées et accordait des
privilèges aux dirigeants musulmans sunnites de son pays, en jouant
la carte religieuse. Il s'organisait pour islamiser ses discours à des fins
politiques. Il se posait comme Saladin, un Kurde de Takrit, en grand vainqueur de
l'Occident.
Saddam Hussein disposait en principe
de 425 000 soldats qu'il disait prêts à
combattre contre les 285 000 soldats occidentaux (américains, britanniques et
australiens). Il estimait être sûr de vaincre les Américains et comparait les
envahisseurs occidentaux aux «hordes mongoles qui ont envahi Bagdad au
XIIIe siècle»;
il pouvait alors ordonner à son peuple de défendre le territoire irakien coûte que
coûte. Dans un message télévisé, le président Saddam
Hussein proclamait, le 1er
avril 2003, que dans cette guerre «Dieu nous a offert une grande occasion, une
adversité par laquelle il veut tester notre foi et notre allégeance à Dieu».
3.7 L'occupation américaine (2003-2011)
Tous ces beaux discours n'ont pas empêché les Américains d'entrer dans Bagdad le
9 avril 2003, sans rencontrer de grandes résistances de la part des Irakiens,
pendant
qu'un fort contingent de Bagdadis mettait la capitale à sac. Le régime de
Saddam Hussein, l'un des plus répressifs de l'histoire, s'écroula dans les heures qui suivirent.
L'armée américaine est entrée dans Bagdad dans la troisième semaine
d'une campagne qui avait duré un mois. Les
historiens mettront des années à expliquer le peu de résistance de l'armée
irakienne et, surtout, de la Garde républicaine, une «élite» qui n'a
certainement pas été à la hauteur de sa réputation. Le
9 avril 2003, jour de la chute du régime de Saddam
Hussein, allait représenter un tournant radical dans l’histoire de l’Irak depuis
sa création par les Britanniques en 1921. Avant l'invasion américaine, le
gouvernement irakien, qui avait été jusqu'alors omniprésent et centralisateur,
disparut brutalement, ce qui a laissé aussitôt un vide juridique, idéologique et
administratif difficile à combler.
Après leur invasion, les Américains ont décidé de
favoriser la majorité chiite, qui avait été sous Saddam Hussain, privée du
pouvoir au profit des sunnites. Le nouveau gouvernement irakien a vite monopolisé le
pouvoir au profit de la seule communauté chiite; les chiites
attendaient leur tour depuis soixante-quinze ans. Ils ont fait comme les
sunnites avant eux: exclusion des autres confessions, favoritisme et corruption.
Par voie de conséquence, les sunnites irakiens ont
vu leurs conditions sociales se détériorer; ils se sont
vus traités comme des
citoyens de seconde zone. La répartition des pouvoirs est l'un
des grands problèmes en Irak.
- La Loi sur l'administration de
l'État de 2004
Les
États-Unis ont alors voulu démocratiser l'Irak,
ce qui correspondait à une tâche herculéenne dans un pays qui n'a jamais connu la démocratie et où 40 %
de la population était alors illettrée. Les Américains instaurèrent l'Autorité provisoire de
la coalition (en anglais: la "Coalition Provisional Authority") comme
gouvernement. Cette «autorité» a administré le pays
du 21 avril 2003 au 28 juin 2004, moment de sa dissolution et de son
remplacement par le «gouvernement intérimaire irakien» (en anglais:
"Iraqi Interim Government"). C'est sous ce
gouvernement que fut adoptée la
Loi sur
l'administration de l'État de l'Irak sous la période transitoire (2004), qui
remplaçait la Constitution irakienne de 1970, bien que cette loi ne fût pas
qualifiée de «constitution».
Selon l'article 2 de la
Loi sur
l'administration, c'était une loi provisoire qui
demeurait en vigueur entre le 30 juin 2004 et le 31 décembre 2005 au plus tard.
L'article 4 de la
Loi sur l'administration définissait l'Irak comme une République fédérale, démocratique et
pluraliste dans laquelle les compétences étaient partagées entre Bagdad et les
régions et gouvernorats, selon des bases géographiques et historiques et non pas
sur les bases ethniques ou sectaires:
Article
4
Le système de
gouvernement
en Irak doit
être
républicain,
fédéral, démocratique
et
pluraliste, et
les pouvoirs sont
partagés
entre le gouvernement
fédéral et les
gouvernements
régionaux, les
gouvernorats,
les municipalités et
les administrations
locales.
Le système fédéral
doit être fondée sur
des réalités
géographiques
et historiques
ainsi que sur
la séparation des pouvoirs,
et non sur
l'origine,
la race, l'origine
ethnique, la nationalité
ou la
confession religieuse. |
Cette loi constituait un véritable
succès pour les Kurdes. En effet, l'article 53 de la
Loi sur
l'administration énonçait que «le gouvernement du
Kurdistan est reconnu comme le gouvernement officiel des territoires qu’il
administrait avant le 19 mars 2003, qui se trouvent sur les gouvernorats de Dohouk, d'Erbil, de Souleimaniyeh, de Kirkouk, de Ninive
et de Diyala ». Il s’agit donc d’une reconnaissance officielle des institutions
kurdes, qui continueront à gouverner leur région de façon autonome jusqu’à
l’adoption de la Constitution permanente (2005):
Article 53
a) Le gouvernement
régional du Kurdistan est reconnu comme le gouvernement officiel des
territoires qu’il administrait avant le 19 mars 2003, qui se
trouvent sur les gouvernorats de Dohouk, d'Erbil, de Souleimaniyeh,
de Kirkouk, de Ninive et de Diyala. Le terme «gouvernement régional
du Kurdistan» doit se référer à l'Assemblée nationale du Kurdistan,
au Conseil des ministres du Kurdistan et à l'autorité judiciaire
régionale dans la région du Kurdistan.
b) Les frontières des 18 gouvernorats resteront sans changement
pendant la période transitoire.
c) Tout groupe d'au plus trois gouvernorats à l'extérieur de la
région du Kurdistan, à l'exception de Bagdad et de Kirkouk, ont le
droit de former des régions en leur sein. Les mécanismes de
formation de ces régions peuvent être proposés par le gouvernement
intérimaire irakien et doivent être présentés et examinés par
l'Assemblée nationale élue pour les fins de promulgation. En plus
d'être approuvée par l'Assemblée nationale, toute loi proposant la
formation d'une région donnée doit être approuvée lors d'un
référendum par les citoyens des gouvernorats concernés. |
De plus, les Kurdes voyaient enfin leur
langue reconnue en tant que langue officielle pour l’ensemble de l’Irak. C’était
la première fois qu’un État souverain adoptait le kurde comme langue officielle.
De fait, la Constitution irakienne de 1970 avait bel et bien reconnu le kurde
comme langue officielle, mais uniquement dans les provinces kurdes. Or, l'article
9 de la
Loi sur l'administration de l'État de l'Irak
sous la période transitoire reconnaissait le kurde, au même titre que la langue arabe, comme
deux langues officielles et deux langues de travail pour l’ensemble de l’Irak:
Article 9 La langue
arabe et la langue kurde sont les deux langues officielles de
l'Irak. Le droit des Irakiens d'éduquer leurs enfants dans leur
langue maternelle, comme le turkmène, le syriaque et l'arménien est
garanti dans les établissements publics d'enseignement, conformément
aux directives pédagogiques, ou dans toute autre langue dans les
établissements d'enseignement privés. La portée de l'expression
«langue officielle» et les moyens d'appliquer les dispositions du
présent article sont définies par la loi et doivent comporter :
(1) La publication du Journal officiel
dans les deux langues ;
(2) La parole et l'expression dans
les domaines officiels, comme l'Assemblée nationale, le Conseil des
ministres, les tribunaux et les conférences officielles, dans
l'une ou l'autre des deux langues ;
(3) L'examen et la publication des
documents officiels et de la correspondance dans les deux langues ;
(4) L'ouverture d'écoles qui
enseignent les deux langues, conformément aux directives
pédagogiques ;
(5) L'utilisation des deux langues
dans toute question visée par le principe d'égalité (comme les
billets de banque, les passeports et les timbres);
(6) L'utilisation des deux langues
dans les institutions et organismes fédéraux dans la région du
Kurdistan.
|
Cette loi représentait un compromis
entre le Conseil de gouvernement et l’autorité d’occupation, bien que l'État
irakien lui-même ait été pratiquement inexistant entre ce moment et 2005.
Néanmoins, les principales dispositions de la
Loi sur
l'administration de l'État de l'Irak sous la période transitoire du 8 mars 2004 allait être reprises plus ou moins
intégralement dans la Constitution de 2005.
Après plusieurs mois passés
dans la clandestinité, l'ancien président de l'Irak, Saddam Hussein, fut arrêté
par l'armée américaine à Tikrit, dans la nuit du 13 au 14 décembre 2003 lors de
l'opération "Red Dawn" («Aube rouge»).
- Le gouvernement intérimaire
irakien (2004-2005)
Le gouvernement intérimaire irakien fut formé le
1er juin 2004 par la force
multinationale présente en Irak comme gouvernement provisoire pour
gérer le pays jusqu'à la constitution du gouvernement de transition.
Ce gouvernement intérimaire s'est vu transmettre la souveraineté sur
l'Irak le 28 juin 2004. Il devait diriger le pays jusqu'à des
élections démocratiques prévues au plus tard le 31 janvier 2005.
Selon la résolution n° 1546 adoptée par le
Conseil de sécurité de l'ONU à sa 4987e
séance du 8 juin, le gouvernement intérimaire devait établir un
«partenariat» avec la Force multinationale, laquelle pouvait prendre
«toutes les mesures nécessaires» (art. 10) pour faire régner la paix
et la sécurité. Le gouvernement pouvait aussi demander le départ des
troupes étrangères.
 |
C'est sous ce gouvernement que l'Irak adopta un nouveau drapeau
provisoire avec une calligraphie kufique, une écriture créée dans la
ville de Kufa, près de Nadjaf, typique des chiites.
Les couleurs sont toujours celles du
drapeau de la libération arabe et représentent l'oppression (le
noir) surmontée par la lutte sanglante (le rouge) pour être
remplacée par un brillant avenir (le blanc). Les trois
étoiles symbolisent encore le Parti Baas sous l'ancien régime de
Saddam Hussein. Le gouvernement était dirigé par un président kurde
et un premier ministre chiite. |
D'avril 2005 à mai 2006, le pouvoir
en Irak fut détenu par le «gouvernement de transition»
dirigé par le chiite Ibrahim al-Jaafari. Le président
intérimaire était un Kurde (Jalal Talabani) favorable à la
séparation de l'Irak en trois entités distinctes, ce qui
ne pouvait être considéré comme acceptable par la
minorité sunnite, alors que les chiites proposaient une
position intermédiaire en un État fédéral.
Un nouveau gouvernement de transition fut instauré à la suite des
élections de janvier 2005 afin de préparer la constitution du
premier gouvernement définitif en Irak. Dans un
contexte de violence, la
nouvelle Constitution irakienne fut ratifiée le 15 octobre 2005.
Les éléments importants de la Constitution sont, entre
autres, les suivants:
- Islam : C'est la religion officielle
de l'État et l'une des sources de législation; la constitution
respecte l'identité islamique de la majorité de la population
irakienne, mais garantit la liberté totale de toutes les autres
religions et de leurs pratiques.
- Présidence du pays : l'Irak a un président unique et
deux vice-présidents, afin que les trois grandes communautés
soient représentées à la présidence.
- Kurdes : le Kurdistan bénéficie du statut de région
autonome, tandis que les autres provinces pourront préparer un
gouvernement local, en attendant que cette question soit réglée
par un gouvernement élu.
- Langues officielles : l'arabe et le
kurde sont les deux langues officielles de l'Irak, mais les
minorités turkmène, syriaque et arménienne, chaldo-assyrienne
ont le droit d'utiliser leurs langues dans leurs établissements
scolaires.
Puis une nouvelle élection générale s'est
tenue le 15 décembre pour élire les 275 membres du Conseil des
représentants de façon permanente. Le gouvernement de transition
a lui-même laissé la place au gouvernement al-Maliki en avril
2006.
Saddam Hussein fut finalement exécuté
par pendaison le 29 décembre 2006 à Bagdad, pour «crimes contre l'humanité» à la
suite à une procédure judiciaire expéditive et dirigée par les autorités
américaines. Sa mort mit fin à toutes les poursuites qui avaient été
engagées contre lui, en particulier le «procès Anfal», où il devait être jugé pour
génocide contre la population kurde et accusé d'être responsable de la mort de
quelque 180 000 personnes en 1987-1988.
 |
Le 22 janvier 2008, le Parlement irakien adopta, par 110 voix
contre 50, un nouveau drapeau: la version de 2004 sans les trois étoiles.
L'inscription «Allahu Akbar» («Dieu est le plus grand)»,
initialement écrite en vert par Saddam Hussein sur la partie
centrale du drapeau, est remplacée par le même texte mais rédigée en
graphie kufique, une forme d'écriture arabe ancienne.
Les trois étoiles symbolisant le Parti Baas au pouvoir sous l'ancien
dictateur ont été éliminées. Dans cette version de 2008, toutes les
références à l'ancien régime de Saddam Hussein ont été supprimées.
Sa durée était prévue pour une année, le temps que les députés
s'entendent pour choisir un drapeau définitif. |
Pendant ce temps, avec la bénédiction
de Washington, les congrégations évangéliques américaines ont envoyé des missionnaires en Irak
afin de détourner les musulmans de ce qu'ils considèrent comme une fausse
religion, sinon démoniaque, et de les convertir. L'Administration américaine a clamé haut et
fort que la «libération» (comprendre «invasion») était nécessaire pour instaurer
la démocratie. En octobre
2006, les députés irakiens ont adopté la loi sur le fédéralisme. Ce
texte ouvre ainsi la voie à la constitution d'entités
ethno-confessionnelles.
- Le retrait des Américains
(2011)Avant son
élection à la présidence des États-Unis, Barack Obama s'était dit
prêt à retirer les troupes américaines de l'Irak à l'été 2010. Le 18 décembre 2011, le dernier convoi de militaires américains
quittait le pays pour entrer au Koweït. Seuls quelque 400
soldats sont restés pour protéger l'ambassade des États-Unis à Bagdad. Les
Américains ont englouti dans cette opération plus de 900
milliards de dollars US (725 milliards d'euros) et ont
sacrifié la vie de 4500 de leurs militaires, sans parler
des 30 000 blessés, ainsi que celle d'environ 110 00
civils irakiens. Plus de 500 000 enfants seraient morts
de maladie et de malnutrition des suites de la guerre.
Pour les Américains, la facture était salée, non
seulement en termes de vies humaines perdues ou de
trésor public dilapidé, mais la crédibilité de
Washington est devenue nulle au sein des populations
qui auraient eu besoin de l'assistance et de l'expertise
américaines. Dans les années qui ont suivi la
chute de Saddam Hussein en 2003, une vague d'assassinats
a frappé l'élite intellectuelle du pays, ce qui a coûté
la vie à quelque 300 universitaires irakiens.
Il est légitime de se demander si
l'invasion de l'Irak valait le coup, tant pour les Irakiens que pour les Américains.
Pour ces derniers, certainement pas. Quant aux Irakiens, ils évidemment échappé à un
dictateur, dont le mode normal dans la résolution des conflits était la guerre à
l'étranger et les massacres à l'intérieur. Cependant, après huit années d'enfer, c'est à nouveau la loi du plus
fort qui règne dans ce pays. La majorité
chiite refuse de partager le pouvoir et les groupes armées sunnites ne demandent
pas mieux de reprendre les combats si leur communauté est de nouveau mise à
l'écart.
Au final, non seulement la démocratie n'a pas progressé en
Irak, mais le pays a sombré dans l'anarchie. Une nouvelle dictature va
émerger sur les ruines laissées par les États-Unis. Pendant longtemps,
l'Irak demeurera l'un des pays les plus
corrompus de la planète, une avant-dernière place que le pays partage avec
la Birmanie.
- Les conséquences de l'occupation
Il est vrai que l’Irak s’est un peu démocratisé, et les Irakiens sont plus libres
qu'auparavant. Par contre, le pays est plus divisé
que jamais entre ses trois composantes ethniques et religieuses. En effet,
l'Irak est gouverné par
un parti pro-iranien issu de la majorité arabe chiite, l'Alliance nationale
irakienne. Or, les chiites marginalisent la
minorité sunnite, pendant que les Kurdes vivent dans une quasi-indépendance dans
la Région autonome du Kurdistan irakien.
Les Kurdes peuvent difficilement être blâmés de vouloir se libérer du
fardeau d’une société de loin moins fonctionnelle que la leur, avec laquelle ils
ne s’identifient guère.
Partout ailleurs, dans le pays, la violence est endémique.
Le quart de la population vit dans la misère. Quant au statut des femmes
en Irak, il a régressé considérablement, car
l’insécurité continuelle a eu pour
résultat de compromettre gravement le
bien-être physique des femmes et de limiter leur vie
quotidienne. Il était prévu que le lendemain de l'engagement américain en Irak serait chaotique,
mais peu d'observateurs croyaient que la violence s’installerait
à demeure et avec une telle
ampleur. Le sectarisme a fini par imprégner toutes les structures de
l'État et alimente une lutte de pouvoir dont les
premières victimes sont toutes les petites minorités qui
sont aujourd'hui très fragilisées.
En plus des pertes humaines, les conflits ont détruit
une grande quantité de musées, de bibliothèques et de
sites archéologiques, qui renfermaient des témoins
irremplaçables du
passé. À cause de la guerre, l'Irak a
subi un net recul aux plans de la culture et de
l'éducation. La bonne réputation des universités
irakiennes attirait de nombreux étudiants de la région
proche-orientale;
de nombreux étrangers venaient étudier en Irak, que ce
soit de la Jordanie, de la Syrie, du Yémen ou de la
Mauritanie. La guerre a tout détruit.
De plus,
la
corruption
de
l'administration
publique
est aujourd'hui omniprésente dans le pays.
Un système de détournement des biens publics est organisé entre les
différentes factions au pouvoir. La
corruption complique
et
empoisonne
la
vie
des
Irakiens, surtout s'ils sont
incapables
de
payer des pots-de-vin, que ce soit pour
pour
accéder
à un emploi
public,
pour s’enrôler
dans
l’armée ou simplement pour obtenir un service comme
un
passeport ou pou remplir un formulaire.
Dans
le
nouvel
Irak,
tout
se
vend.
Les Irakiens semblent avoir perdu tout espoir dans la capacité de leur
gouvernement à gérer la reconstruction et à assurer les
services de base.
L'administration du pays est devenue
si catastrophique que le
spectre de l’éclatement du pays plane désormais partout. L'Irak pourrait
même devenir le théâtre des ambitions hégémoniques de la
part de l’Iran, de la Turquie et de l’Arabie Saoudite,
qui ne demanderaient pas mieux que de dépecer ce
territoire à leur avantage.
Bref, le
modèle conçu et mis en place par les Américains traduit
une incompréhension profonde des réalités sociales et
économiques de l'Irak. Plutôt que de consolider le pays,
le nouveau système a attisé les clivages confessionnels
et ethniques, il a favorisé la parcellisation du territoire
et il a fourni un terreau fertile à la prolifération des
mouvements terroristes, transformant ainsi l’Irak en
nouvelle terre de djihad.
Il n’y a pas en Irak de projets transcendant les idéologies
communautaires et concernant l’ensemble de la population
irakienne. Le pays n’est plus administré que sous la
forme de communautés, de clans, de confessions et de
factions. Les partis politiques qui
détiennent le pouvoir sont incapables de s'entendre sur
quoi que ce soit, même d'adopter des lois nécessaires, ce
qui engendre une situation politique constamment
bloquée. Le blocage est total entre des pouvoirs qui
ne peuvent engager quelque réforme que ce soit et qui
sombrent dans la corruption généralisée.
Bref, la jeune «démocratie
irakienne», rêvée par l'administration américaine, n'a
pas réussi à éliminer les violences
interconfessionnelles. La colère de la minorité sunnite
face au gouvernement à majorité chiite a favorisé
l'émergence du groupe ultra-radical l'État islamique,
dont une partie des cadres sont des anciens de l'armée
de Saddam Hussein. Plus de 5000 soldats américains sont
toujours sur place, afin de soutenir une armée irakienne
encore incapable d'assumer seule la guerre contre les
djihadistes.
3.8 La menace
djihadiste
Comme si ce n'était pas suffisant, l'Irak doit faire face à un autre problème: l'avancée
de l'EILL ("État islamique en Irak et au Levant"). Ce
groupe terroriste lourdement armé a proclamé le 29 juin
2014 l'instauration d'un califat qui engloberait au
minimum la partie sunnite de l’Irak, la Syrie et une
partie du Liban. Parti de la Syrie, l'EILL se réclame d’un sunnisme salafiste
hostile aux chiites et d’un combat djihadiste
international tout en ayant comme objectif de supprimer
les frontières actuelles des pays concernés.
 |
Au
début du
mois d'août 2014, les djihadistes de l'État
islamique ont avancé rapidement vers le
nord-est et ont occupé les provinces
pétrolières et gazières
de Ninive, de
Saladin et d'Anbar. Ils se sont emparés
ensuite de Qaraqosh, la plus grande ville
chrétienne d'Irak (près de Mossoul). L'étape
ultime est la prise de Bagdad. Pour le
moment, les combattants djihadistes
contrôlent une grande partie du territoire
sunnite irakien au nord-ouest.
Cette avancée en Irak pourrait être une
réponse des sunnites devant la difficulté de
se faire entendre par des moyens politiques.
L'EIIL a provoqué un mélange de soulagement
et de crainte chez les populations sunnites.
D'une part, ils se sont crus libérés du joug
des forces gouvernementales irakiennes (à
majorité chiite), d'autre part,
ils craignent de se faire appliquer les
mêmes «recettes» déjà éprouvées en Syrie. Le principe
est simple : qui ne se soumet pas à leur loi
mérite le châtiment, voire la mort. Les
exactions (viols, mutilations, exécutions,
etc.) des djihadistes sunnites de l'État
islamique dans le nord de l'Irak sont telles
que la communauté internationale craint un
génocide dans la région. |
- La
politique de destruction
 |
Les combattants djihadistes de l’EIIL
ont comme politique de réduire en poussière tous les
monuments historiques non conformes à leur idéologie
: mausolées des saints et personnalités pieuses, églises, mosquées
et tombeaux des prophètes, pièces archéologiques,
etc. Or, certains monuments contiennent des pièces
de valeur inestimable, car ils représentent la
civilisation assyrienne mésopotamienne. Ainsi, les djihadistes ont entrepris en mars 2015 de réduire en
poussière la cité antique de Nimrud, dans le nord de
l’Irak. Ce joyau patrimonial vieux de 3000 ans a été
attaqué au bulldozer, suscitant des réactions
indignées de la part de la communauté internationale. Classée
au patrimoine mondial de l’UNESCO, qui a décrit sa
destruction comme un «crime de guerre», Nimrud fut
une «très grande capitale» de l’Empire assyrien, qui
a dominé tout le Proche-Orient, de l’Iran jusqu’à la
Méditerranée, de 800 à 700 ans avant notre ère. En détruisant ainsi le patrimoine irakien, les djihadistes remettent en cause les anciennes
cultures préislamiques et cherchent à imposer leur
vision extrêmement rigoriste de l’islam, car cette
religion interdit toute représentation de dieux.
|
Or, sur la
forteresse de Nimrud, ce sont des dieux qui étaient
représentés. Toutefois, au-delà de l’idéologie
religieuse, l’attaque de la cité de Nimrud est aussi
motivée par des considérations pécuniaires. En
effet, on sait qu'il existe un trafic d’œuvres d’art
assez important et que les militants de l’État
islamique sont parmi les revendeurs.
Le Conseil de sécurité de l'ONU a
été mis en alerte par les pays occidentaux qui
désirent stopper l'avancée des
combattants djihadistes en Irak. Pour stopper
l'avancée de l'EI, les États-Unis ont engagé des
frappes aériennes avec l'aide
d'avions français, australiens, britanniques,
canadiens, danois, belges et néerlandais. Avec la
participation de l'Arabie Saoudite, des Émirats
arabes unis, de la Jordanie et du Bahreïn, les
Américains ont mis en œuvre
des frappes aériennes en Syrie depuis le 23
septembre 2014. Cet engament militaire pourrait
durer plusieurs années.
L'EIIL pourrait disposer de quelque 30 000
combattants et a décapité plusieurs otages
occidentaux, mais leur plus grand plaisir, c'est
d'égorger des chiites et les décapiter, après avoir
violé leurs femmes. Les rapports et les descriptions
ne manquent pas sur les atrocités commises par ces
fous d'Allah: crimes de guerre, crimes contre
l'humanité, opérations de nettoyage ethnique
exécutées principalement contre des minorités
religieuses, etc. Tortures, meurtres, massacres:
tous les moyens sont bons pour instaurer la peur et
forcer les conversions et faire disparaître les
idolâtres irrécupérables aux yeux des islamistes.
Seules les femmes, soumises à l'esclavage sexuel,
bénéficient d'un sursis.
- Les
minorités religieuses irakiennes
Depuis 2013, plus de 3,2 millions d’Irakiens ont été
chassés de leur foyer en moins de deux ans par les
violences, qui ont fait près de 19 000 morts dans la
population civile. Les djihadistes sont en grande
partie responsables de cet état de fait; ils ont
même réintroduit l’esclavage dans ce pays du
Proche-Orient. Telles sont les principales
conclusions d’un rapport de l’Organisation des
Nations unies (ONU) dévoilé en janvier 2016. De
plus, il faut mentionner aussi des violences
interethniques entre chiites et sunnites, ainsi que
contre les chrétiens. Les territoires contrôlés ou
visés par l’EIIL ("État islamique en Irak et au
Levant") sont majoritairement sunnites, mais les
djihadistes commettent des attentats dans les zones
chiites. Pour ce qui est des minorités musulmanes,
comme les yazidis, elles sont particulièrement
ciblées par la répression religieuse. Quant aux
minorités chrétiennes, elles ne peuvent ni quitter
le pays ni se réfugier ailleurs en Irak, parce
qu’elles ne sont pas les bienvenues. Le risque que
la communauté chrétienne disparaisse de l’Irak est
tout à fait probable et inquiétant. Enfin, il existe
de moins en moins de minorités religieuses en Irak;
il n’y a plus de juifs et de moins en moins de
chrétiens. En somme, l'Irak connaît une accélération
de son appauvrissement social au plan de la
diversité.
Le 6 juin 2014, l'EIIL, allié à des tribus et des
groupes armés sunnites, lançait une offensive sur la
ville de Mossoul, bordée de champs pétroliers, qui
fut prise après quatre jours de combats. Ce sont les
divisions entre chiites et sunnites qui nous font
comprendre pourquoi la ville de Mossoul a été prise
si facilement par les djihadistes du groupe État
islamique. Presque tous les habitants sunnites de la
ville ont accompagné la fuite des forces de sécurité
irakiennes chiites en leur envoyant des cailloux. Ce
n’est pas que les habitants de Mossoul étaient
eux-mêmes islamistes, mais ils souhaitaient qu’il y
ait une gouvernance plus transparente; l’État
islamique leur offrait cette possibilité. Par
ailleurs, la population sunnite de Mossoul se
sentait en plus maltraitée par l’armée irakienne qui
était majoritairement chiite. Ne se sentant pas en
zone amicale, l'armée irakienne a vite retraité,
laissant ainsi la place aux djihadistes. En fait,
l’armée irakienne ne s'est pas comportée comme une
armée nationale, mais comme une armée chiite. Si
l’État islamique a pu rassurer la population sunnite
de Mossoul, ce fut tout le contraire pour la
population minoritaire chiite de la ville, qui a
subi des atrocités de la part du groupe terroriste.
Puis la peur, les bombardements sur les quartiers
ouest, ainsi que l'absence d'eau et d'électricité,
ont persuadé plusieurs milliers d'habitants de cette
cité, qui en comptait alors 1,5 million, à fuir vers
la province voisine du Kurdistan irakien. À la suite
de la chute de Mossoul, des dizaines d'autres
localités sont tombées, parfois sans qu'un coup de
feu ne soit tiré. L'EIIL a réussi à s'imposer en
nouant des alliances avec certaines tribus sunnites
locales, les absorbant au sein de sa hiérarchie,
tout en puisant dans son contingent de combattants
étrangers pour multiplier les opérations kamikazes.
-
L'implication kurde
Il
restait à savoir combien de temps les djihadistes
réussiraient à tenir la ville. Mossoul est une ville
du Nord où cohabitent des sunnites et des Kurdes.
Ces derniers, qui sont majoritairement laïcs et
anti-islamistes, ont vu d'un très mauvais œil
l’arrivée de ces extrémistes sunnites, alors que
Mossoul est aux portes du Kurdistan, soit à quelques
kilomètres d’Erbil, la capitale kurde. La pérennité
de l’EIIL dans la zone était loin d’être assurée.
Évidemment, les Kurdes, qui ont longtemps
été persécutés par le régime de Saddam Hussein,
se sont trouvés devant un nouvel ennemi dans le groupe armé
de l'État islamique. Pour les cinq millions de
Kurdes, cette crise représentait à la fois une
menace et une occasion unique de se donner le pays
dont ils rêvent depuis des décennies. En effet, avec
la peur, le vieux rêve d'indépendance kurde a refait
surface.
Il ne faudrait pas croire que les djihadistes
sunnites de l'EIIL étaient motivés uniquement par des
facteurs «religieux». Ce qui est beaucoup plus important que la religion, c'est le contrôle du territoire et la richesse
provenant du pétrole. Les combattants djihadistes se
sont emparés des biens et des avoirs laissés par les
Irakiens expulsés comme «butin de guerre» afin
d'exploiter eux-mêmes à leur profit les richesses naturelles de
la région.
En juillet 2017, après neuf mois de
combats, les forces irakiennes, avec le soutien
d’une coalition internationale antidjihadiste
composée de 60 pays et menée par les États-Unis, ont
réussi à reprendre la ville de Mossoul aux mains de
l'EIIL au prix de milliers de victimes, civiles et
militaires, d'une crise humanitaire énorme et de
destructions colossales. L'Irak est désormais
confronté à la tâche titanesque de sécuriser, de
reconstruire et d'assurer le retour des habitants
dans la deuxième ville du pays, ravagée par près de
neuf mois de combats. On estime qu'il faudrait 100
milliards de dollars pour reconstruire l’ensemble
des régions reprises à l’État islamique.
Or, les
problèmes fondamentaux ayant permis au groupe État
islamique de s’emparer de Mossoul et de se répandre
comme un virus en Irak n’ont pas été résolus. La
colère des sunnites, marginalisés par les chiites
depuis la chute de Saddam Hussein, ne s’est pas
apaisée, sans parler des Kurdes qui continuent à
réclamer plus d’autonomie. D’ailleurs, les relations
entre chiites et sunnites dans la région, à
l’extérieur de l’Irak, ne vont guère mieux. Un
référendum sur l’indépendance doit se tenir le 25
septembre 2017 dans le Kurdistan irakien. Dans ces
circonstances, on voit mal comment l'Irak pourrait,
à court terme, se refaire une santé.
Le gouvernement irakien de Saddam Hussein navait dautre politique que celle de
larabisation intensive. Cette politique consistait à imposer simplement
lunilinguisme arabe par tous les moyens... surtout militaires. Dailleurs, la
Constitution ne reconnaissait que larabe dans lensemble du pays, sauf
dans la région kurde où le kurde était théoriquement co-officiel avec larabe.
4.1 Les dispositions constitutionnelles
de 1990
En 1970, lIrak a adopté une
constitution provisoire qui a été plusieurs fois
modifiées depuis. La plus récente Constitution provisoire datait de 1990. Elle proclamait
toujours lislam comme religion dÉtat (art. 4), garantissait la liberté de
religion (art. 25) et prohibait toute discrimination raciale, religieuse ou linguistique
(art. 19 de la
Constitution de 1990):
Article 19
1) Les citoyens sont égaux devant la loi, sans discrimination quant au sexe, à la
race, à la langue, à lorigine sociale ou à la religion.
2) La loi garantit les chances égales à tous citoyens.
|
L’article 26 de la
Constitution (1990) garantissait même la liberté d'opinion, de
publication, de réunion, de formation de partis politiques, de syndicats et de sociétés
diverses. Quant à larticle 5, il portait sur les nationalités irakiennes dont on
reconnaissait deux composantes principales:
Article 26
1) LIrak est une partie de la nation arabe.
2) Les citoyens irakiens sont composés de deux nationalités principales: la nationalité
arabe et la nationalité kurde.
3) Cette Constitution reconnaît les droits nationaux des citoyens kurdes et les droits
légitimes de toutes les minorités dans l'union irakienne. |
En ce qui a trait aux langues, la
Constitution irakienne
de 1990 reconnaissait dans son
article 7 larabe comme langue officielle du pays mais aussi le kurde dans la
région kurde:
Article 7
1) Larabe est la langue officielle.
2) Le kurde est, en plus de larabe, la langue officielle dans la région kurde. |
Enfin, en vertu de larticle 17 de la Constitution, lÉtat devait lutter
contre l'analphabétisme et garantissait à tous les citoyens le droit à linstruction
gratuite aux niveaux primaire, secondaire et universitaire; l'État devait aussi
rendre obligatoire l'instruction primaire, accroître linstruction technique et
professionnelle dans les villes et les régions rurales, et encourager particulièrement
l«éducation du soir» afin de permettre aux masses populaires de combiner la
science et le travail. De plus, l'État garantissait la liberté de recherche scientifique,
encourageait et récompensait l'excellence et linitiative dans toutes les activités
intellectuelles, scientifiques et artistiques, ainsi que tous les aspects de
«l'excellence populaire».
4.2 La politique
linguistique d'arabisation
La politique linguistique était très
simple: c'était l'arabisation.
De fait, seul larabe était utilisé au Parlement national (Bagdad), dans les cours
de justice, les écoles, ladministration publique, etc. Si l'on fait
exception de la zone kurde protégée par l'aviation américaine et britannique,
Saddam Hussein pratiquait une politique d'arabisation intensive et radicale.
Dans
les villes de Mossoul et de Kirkouk au
nord, plus de 250 000 Kurdes furent chassés de leurs maisons et remplacés
par des Arabes chiites; ces Kurdes vivent aujourd'hui dans des camps de réfugiés. Des
quartiers kurdes furent rasés, des moquées démolies, des villages voisins
bombardés. Même les noms kurdes sur les tombes des cimetières furent
effacés et remplacés par des inscriptions arabes. Dans les villes qui n'étaient
pas sous le contrôle des Kurdes, il n'était pas possible pour un Kurde d'acheter
une voiture, une maison ou une terre. Il était strictement interdit de parler
kurde en public. Selon un rapport de l'Alliance internationale pour la justice, tout
était
absolument interdit aux habitants non arabes de Kirkouk: si les Kurdes refusaient
de changer d'identité ethnique, ils n'avaient pas droit à un emploi, un héritage,
une maison, au téléphone et à l'instruction pour leurs enfants, ni de quitter
leur quartier sans autorisation. En fait, les Kurdes devaient se dire «arabes»
s'ils voulaient survivre.
Du côté des médias, non
seulement ceux-ci n'étaient diffusés quen arabe, mais ils étaient totalement inféodés
à la tutelle de lÉtat irakien. En effet, les journalistes irakiens
étaient tous
fonctionnaires du ministère de l'Information et étaient obligatoirement membres du Parti Baas. Ils
avaient pour principale fonction de diffuser la position des autorités de Bagdad. Pas
question de critiquer le président Saddam Hussein, le Conseil de commandement de la
Révolution, le Parti Baas, le gouvernement ou l'Assemblée nationale: les contrevenants
étaient passibles de lourdes peines de prison. Quant aux journalistes étrangers, ils
étaient impérativement accompagnés d'un fonctionnaire du ministère de la Culture et de
l'Information en réalité un agent des services de renseignements qui
limitait strictement leurs mouvements. La population, pour sa part, ne pouvait posséder
d'antennes paraboliques et était, de fait, privée de tout contact avec l'extérieur.
Loin d'être un chef tout-puissant,
Saddam Hussein était, au cours de ses dernières années
au pouvoir, complètement dépassé sur ce qui se passait
dans son pays. En 2003, Saddam Hussein était occupé à
écrire des romans. Non seulement il ne s'occupait plus à
faire fonctionner le gouvernement, mais il n'avait même
pas de plan réel pour défendre l'Irak en cas d'attaque;
il ne semblait pas comprendre l'importance de la tempête
qui s'en venait et allait le renverser. Il n'écoutait
plus que ce qu'il voulait entendre.
Déjà, sous
l'occupation américaine, les élèves des écoles avaient cessé subitement
d'entonner des hymnes à la gloire du «grand dirigeant». Beaucoup d'enfants
furent
déconcertés d'autant plus que les enseignants n'expliquaient pas toujours
pourquoi le rituel avait changé. Le soldats américains sont venus dans les écoles
pour demander aux professeurs de retirer les portraits du dictateur, qui
étaient accrochés dans toutes les classes et figuraient à la première page
de tous les manuels scolaires. La nouvelle administration, sous contrôle
américain, a exigé le retrait des cours d'éducation physique, qui étaient
des outils de propagande en faveur du Parti Bass et désignaient les trois
«ennemis éternels» de l'Irak: Israël, les États-Unis et l'Iran.
5.1 La
Constitution de 2005 et le bilinguisme
Les électeurs irakiens ont ratifié, par près de 79 % des voix, le projet de
Constitution qui dotait leur pays d'un régime parlementaire et fédéral, mais des
responsables sunnites ont qualifié de frauduleux les résultats du référendum du
15 octobre 2005. Sur l'ensemble du territoire, le «oui» l'a emporté avec 78,5 %
des suffrages, contre 21,4 % pour le «non», ont annoncé les responsables de la
commission électorale. L'issue du référendum a été jugée digne de foi par une
représentante des Nations unies en Irak et par les responsables de la commission
électorale. Plusieurs provinces chiites et kurdes ont approuvé le texte à plus
de 95 %. Toutefois, dans la province d'Anbar, où les sunnites sont majoritaires,
le texte qui instaure le fédéralisme a été re
jeté par
près de 97 % des voix. Certains Irakiens sunnites estiment que la nouvelle
Constitution, d'inspiration américaine, est imposée par une occupation militaire
étrangère et sont contre le fédéralisme.
De façon générale, les sunnites craignent que le
fédéralisme ne leur laisse que des régions pauvres en pétrole. C'est pourquoi
ils privilégient un État au pouvoir centralisé, avec un contrôle direct sur les
réserves de pétrole dans tout le pays. De plus, les sunnites craignent que
l'Irak soit façonné sur le modèle de l’Iran à majorité chiite.
Ces disparités illustrent certainement le caractère
multi-ethnique et multiconfessionnel de l'Irak.
- L'islam comme
religion d'État
Au plan religieux, l’Irak est multiforme. Cette
réalité est aujourd'hui inscrite dans la
Constitution,
dont l’article 3 proclame que «l’Irak est un pays aux
multiples ethnies, religions et confessions»:
Article 3 L'Irak est un pays aux
multiples ethnies, religions et confessions. Il est un membre
fondateur et actif de la
Ligue arabe ; il applique sa charte, et il
fait partie du monde islamique. |
L'article 2.2 de la Constitution déclare que l'État garantit pleinement
les droits religieux à la liberté de croyance et de
culte religieux de tous les individus comme les chrétiens, les
yézidis, et les mandéens-sabéens:
Article 2
2) La présente Constitution garantit
l'identité islamique de la majorité du peuple irakien et elle
garantit pleinement les droits religieux à la liberté de croyance et
de culte religieux de tous les individus comme les chrétiens, les yézidis, et les
mandéens-sabéens. |
Par voie de conséquence, tout Irakien est
libre de croire ou de ne pas croire, de choisir
une religion et de la pratiquer sans restriction
de la part de l’État. Toutefois, la portée de
ces dispositions est tempérée par le statut
prépondérant reconnu à l’islam comme «religion
officielle de l’État et l'une des sources de la
législation»:
Article 2
1) L'islam est la religion officielle de l'État et
l'une des sources de la législation :
a. Il est interdit de de promulguer
des lois contraires aux préceptes
établies de l'islam. b. Il est interdit de de promulguer des lois contraires aux principes de
la démocratie. c. Il est interdit de de promulguer des lois contraires aux droits et aux libertés fondamentales énoncés par
la présente Constitution
|
L'Irak n'est pas un État laïc qui se
tiendrait à égale distance de toutes les
religions et n’en encouragerait officiellement
aucune. Tout en reconnaissant la liberté
religieuse, l'État privilégie et protège l'islam
qui, de plus, est «l'une des sources de la
législation». Cela signifie que la loi
islamique, la Charia, établit une
hiérarchisation dans les normes juridiques et
leur élaboration par l'État. En d’autres termes,
le pouvoir législatif doit s’assurer de la
prééminence des sources islamiques dans
l'élaboration des lois et de leur conformité à
l’islam.
Malgré la liberté de religion, la conversion
d’un musulman à une autre religion demeure
interdite. Mais un non musulman peut changer
librement de religion, que ce soit vers l’islam
ou vers l’une des nombreuses autres religions.
- Les
dispositions linguistiques
Les nouvelles dispositions sur la question linguistique ne peuvent qu'être
plus positives pour l'ensemble des communautés qui habitent ce pays. L'article 4
de la Constitution de 2005 édicte ce qui suit:
Article 4
1) L'arabe et le kurde sont les deux langues officielles de
l'Irak. Le droit des Irakiens d'instruire leurs enfants dans leur langue
maternelle est garanti, comme le turkmène, le syriaque et l'arménien, dans
des établissements d'enseignement publics, conformément aux directives
éducatives, ou en toute autre langue dans des établissements
d'enseignement privés.
2) La portée du terme de langue officielle et les moyens
d'appliquer les dispositions du présent article seront définis
conformément à la loi qui doit inclure :
a) La publication du Journal officiel en deux langues;
b) Les discours, communications et manifestations dans leurs formes
officielles, telles que le Conseil des représentants, le Conseil des
ministres, les tribunaux et les conférences officielles, dans chacune des
deux langues;
c) La reconnaissance et la publication des documents et correspondances
officiels en deux langues;
d) Les écoles publiques qui enseignent les deux langues, conformément
aux directives d'enseignement;
e) L'usage des deux langues dans toute disposition décrétée en vertu du
principe de l'égalité comme les billets de banque, les passeports et les
timbres.
3) Les institutions et agences fédérales dans la région
du Kurdistan doivent employer l'arabe et le kurde.
4) Le turkmène et le syriaque sont deux autres langues
officielles dans les unités administratives au sein desquelles elles
représentent une densité d'occupation.
5) Chaque région ou gouvernorat peut adopter une autre
langue locale comme une langue officielle complémentaire si la majorité de
sa population en décide lors d'un référendum général. |
L’arabe et le kurde sont maintenant les deux
langues officielles de l’Irak. Il en résulte que le kurde est devenu la
cinquième langue officielle au
Proche-Orient, après l'arabe, le farsi (iranien
ou persan), le turc et l’hébreu.
De plus, les autres minorités (chaldo-assyrienne et
turkmène) ont le droit d’utiliser leur langue dans leurs établissements
d'enseignement et les entités administratives locales.
Les sunnites avaient demandé que seul l'arabe soit la langue
officielle de l'Irak et le kurde, la langue officielle pour le Kurdistan, ce que
refusaient les Kurdes. De plus, les Kurdes ont réussi à obtenir que soient
mentionnées les autres langues, telles que le turkmène et le syriaque, et le
droit de ces minorités de faire instruire leurs enfants dans leur langue
maternelle.
Quant à l'article 125, il garantit des droits administratifs,
politiques, culturels et éducatifs aux diverses nationalités, telles que les
Turkmènes, les Chaldéens, les Assyriens et tous les autres composants du pays:
Article 125 :
La présente Constitution garantit les droits administratifs,
politiques, culturels et éducatifs aux diverses nationalités, telles que
les Turkmènes, les Chaldéens, les Assyriens et toutes les autres composantes
du pays. Il en sera prévu ainsi conformément à la loi. |
Le Kurdistan conserve son statut
d'autonomie dans le cadre d'une fédération, alors que les autres provinces du
pays pourront élaborer un éventuel gouvernement local, en attendant que cette
question soit réglée par un gouvernement dûment élu.
L'islam continue d'être la religion
officielle de l’État et l’une des sources de législation, tout en garantissant
la liberté totale de toutes les autres religions et de leurs pratiques.
5.2 Les
problèmes dans l'emploi
des langues
Rappelons qu'en vertu de la
Constitution de 2005 l'Irak est
devenu officiellement bilingue sur tout le territoire,
non seulement au Kurdistan. Au Parlement fédéral,
l'arabe et le kurde sont utilisés lors des débats
parlementaires et dans la rédaction et la promulgation
des lois. Ainsi, la publication du Journal officiel
est assurée dans les deux langues, de même que
l'examen et la publication des documents officiels. Au
sein du gouvernement, les deux langue sont également
admises. L’administration et la justice doivent utiliser
les deux langues dans leur fonctionnement. C'est
pourquoi les billets de banque, les passeports et les
timbres doivent être en arabe et en kurde.
Toute
région ou
tout
gouvernorat
peut
adopter
une autre
langue
locale
comme
langue officielle
supplémentaire, si
la
majorité
de la
population
en décide
ainsi
lors d'un
référendum
général.
Abstraction faite que les portraits de Saddam Hussein
soient disparus, l'État irakien n'est pas encore parvenu à
appliquer le bilinguisme officiellement reconnu par la
Constitution. Depuis 2005, aucune des dispositions sur
le bilinguisme n’as été mise en œuvre,
à l'exception de la Région autonome du Kurdistan. Les
tribunaux ne sont pas accessibles en une autre langue
que l'arabe, sauf dans la région autonome du Kurdistan.
Les décisions de la Cour suprême fédérale irakienne et
les débats parlementaires ne se font qu'en arabe.
La
politique de
la double
attribution des toponymes, soit en arabe et en kurde,
n'est
appliquée
que dans
les trois
provinces
d'Erbil,
de
Souleimaniyeh et de
Dohouk.
Quoi qu'il en soit,
il n'existe
aucun organisme pour créer pour normaliser
les
toponymes
ou noms
géographiques
au niveau
national.
La monnaie et les timbres n'apparaissent qu'en arabe et,
lorsqu'ils sont bilingues, c'est en anglais.
Cette inadéquation entre les
préceptes de la Constitution et la réalité n'est pas
étrangère au fait que les minorités ne participent pas à
la vie politique du pays. Non seulement les sunnites ont
été écartés du pouvoir au profit des chiites, mais
également toutes les minorités nationales. Les nouvelles
autorités fédérales semblent ignorer que l'Irak
est un pays
multi-ethnique
et
multiconfessionnel.
Or, le partage des pouvoirs et le respect des droits des
minorités constituent
l'une des
composantes
essentielles pour
construire et
développer un
pays.
Toute politique linguistique qui ne tient pas compte de
cette réalité est vouée à l'échec.
LIrak a toujours été un pays unilingue arabe dirigé de main de maître, sauf dans la région
kurde laissée à elle-même depuis la guerre du Golfe de 1991. La reconnaissance des
langues des minorités nationales nest restée que formelle dans la Constitution,
sauf pour le kurde dans leur région autonome, mais les petites langues telles lazéri, le syriaque, le farsi, le
turkmène, larménien, etc., attendent encore leur tour.
5.3 Le système d'éducation irakien
L’actuel système d’éducation en
Irak a été mis sur pied par les Britanniques dans les années 1920. Peu d'enfants
fréquentaient alors les écoles publiques. Lorsque l’Irak est devenu une
république en 1958, seule 20 % de la population pouvait lire et écrire. Ce
pourcentage a certes beaucoup augmenté depuis, grâce aux efforts du gouvernement
qui a fait construire des écoles et encouragé les études. Entre 1976 et 1986, le
nombre d'élèves du primaire a
augmenté de 30 %, alors que le nombre d'enseignants du primaire a augmenté de 40
% au cours de cette même période. Au niveau secondaire, le nombre d'élèves a
augmenté de 46 %. Le nombre des élèves inscrits dans les écoles primaires et
secondaires en Irak était la plus élevée dans cette région du
Proche-Orient.
Avant la guerre, le gouvernement avait fait des progrès considérables dans la
réduction de l'extrême concentration des établissements d'enseignement primaire
et secondaire dans les principales villes, notamment à Bagdad. L'enseignement
professionnel, qui avait été notoirement insuffisantes en Irak, a reçu une
attention considérable officielle dans les années 1980. En même temps, le nombre
d'étudiants qui désiraient poursuivre des études supérieures dans les années
1980 avait aussi considérablement augmenté. Sous le régime de Saddam Hussein,
l'enseignement n'était offert qu'en arabe, sauf dans les régions kurdes.
- La situation
actuelle
Une étude de 2010 sur la portée du système
d'éducation en Irak indiquait que, malgré des améliorations considérables depuis
2003, l'ensemble du système d'éducation nécessitait des investissements
substantiels pour surmonter l'héritage du conflit irakien. Non seulement, l'Irak
manque d'écoles en nombre considérable, mais environ 70 % des écoles existantes
manquent d'eau potable et de latrines. Les équipements concernant les
laboratoires de sciences, les bibliothèques, etc., sont dans un état de
délabrement ou sont non fonctionnels. Toutes les écoles situées dans les zones
dangereuses sont fermées. L'absentéisme des enseignants et celle des filles a
atteint un niveau élevé, en raison de la menace à la sécurité des enfants. Plus
de 20 000 enseignants ont été déplacés pour des raisons de sécurité. Bref, le
système d'éducation en Irak est dans un état de délabrement avancé. Malgré les
défis quotidiens sans fin, le système d'éducation continue néanmoins de
fonctionner.
En Irak, le système d’éducation est placée
sous le contrôle de l’État fédéral et demeure très centralisé. Le processus de
décision relève de trois juridictions: d'une part, les autorités locales qui sont
responsables de la maternelle et de l’enseignement primaire, d'autre part, le
ministère de l’Éducation qui est chargé de l’enseignement secondaire, ainsi
que de la formation générale, professionnelle et enseignante. Il faut ajouter
aussi le ministère de l’Éducation supérieure et de la Recherche scientifique,
lequel est responsable de l'administration des universités.
Le degré d'alphabétisation était de 79 % en
2012. En 2010, plus de 78 % des enfants avaient terminé leur école primaire,
mais ce taux tombe à 61,3 % pour le secondaire.
- L'enseignement
primaire
L’enseignement préscolaire est
d'une durée de deux ans et scolarise les enfants à partir de l’âge
de quatre ans.
Matières
|
Nombre de séquences hebdomadaires
par année
|
|
1re |
2e
|
3e
|
4e
|
5e
|
6e
|
Éducation
islamique |
4 |
4 |
4 |
4 |
4 |
4 |
Arabe et
calligraphie |
11 |
11 |
11 |
11 |
7 |
7 |
Anglais
|
- |
- |
- |
- |
4 |
4 |
Mathématiques
|
6 |
6 |
6 |
6 |
5 |
5 |
Instruction civique
|
- |
- |
- |
3 |
1 |
1 |
Histoire |
- |
- |
- |
- |
2 |
2 |
Géographie
|
- |
- |
- |
- |
2 |
2 |
Éthique et éducation sociale
|
1 |
1 |
1 |
1 |
- |
- |
Science |
4 |
4 |
4 |
3 |
3 |
3 |
Éducation agricole
|
- |
- |
- |
1 |
1 |
1 |
Éducation technique
|
2 |
2 |
2 |
2 |
1 |
1 |
Éducation physique
|
3 |
3 |
3 |
2 |
2 |
2 |
Musique et chants patriotiques
|
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
Éducation familiale
|
- |
- |
- |
- |
1 |
1 |
Nombre total de séquences
hebdomadaires
|
32
|
32
|
32
|
34
|
34
|
34
|
|
L’enseignement primaire dure six ans et compte deux cycles : le
cycle intermédiaire et le cycle préparatoire. Le cycle intermédiaire
dure trois ans, pour les élèves âgés de 12 à 14 ans. Le cycle
préparatoire est également d'une durée de trois ans; il est conçu
pour préparer les élèves au marché du travail ou à l’université.
Comme l'indique la tableau ci-dessous, l'arabe est enseigné au
primaire à tous les enfants, y compris aux membres des minorités
nationales, en tant que langue d'enseignement et l'anglais comme
langue étrangère à partir de la 5e
année. On constate que l'enseignement de l'arabe, avant la 5e
année, occupe une grande part de l'enseignement hebdomadaire avec 11
heures sur 32. Le programme diffère quelque peu au Kurdistan.
Conformément à
l'article 4
de la
Constitution de 2005,
l'arabe et le kurde
sont identifiés comme
les
deux
langues officielles
de l'Irak. |
En outre, les
autres langues, comme le
turkmène,
le syriaque
et
l'arménien,
sont en principe assurées d'être
enseignées dans les
établissements scolaires
publics, mais pour le moment aucune école n'enseigne dans ces langues
minoritaires.
- L'enseignement secondaire
Le cycle intermédiaire de l’éducation
secondaire dure trois ans. À ce stade, une place importante est accordée à
l’enrichissement de la langue et à la formation générale à raison de 6h/semaine
pour l'arabe et au moins 5 h/semaine pour l'anglais. Au secondaire, les
élèves suivent aussi des cours d'éducation scientifique, de mathématiques, de
chimie, de physique, de biologie, y compris un entraînement militaire. Tous les
élèves suivent le même programme d’études. L’enseignement professionnel
préparatoire a comme mission de préparer les élèves à exercer des professions ou
à étudier à l’université.
Il n’existe pas
d’établissement d'enseignement privé aux niveaux primaire et secondaire.
La durée de la
scolarisation universitaire dans laquelle les étudiants sont admis à la fin de
leurs études secondaires s’échelonne entre trois et six ans.
- L'enseignement supérieur
La durée de l’enseignement universitaire, dans laquelle les étudiants sont
admis à la fin de leurs études secondaires, peut s’échelonner entre trois et six
ans. Les étudiants sont admis dans des collèges et dans des universités afin de
poursuivre leurs études dans divers domaines de spécialisation tels les arts,
les sciences, la médecine, l’ingénierie, etc. Certains programmes de cinq ans
conduisent à un baccalauréat en architecture, en chirurgie dentaire, en
pharmacie, en médecine et en chirurgie vétérinaire. Les programmes qui mènent au
baccalauréat en médecine ou en chirurgie sont d’une durée obligatoire de six
ans.
Dans toutes les universités du pays, plus
d'une vingtaine, les cours ne sont offerts qu'en arabe et en anglais.
- Les écoles «ethniques»
L'un des problèmes les plus importants en éducation concerne les écoles
«ethniques», celles destinées aux minorités nationales.
Ces minorités
sont
soumises à des restrictions
linguistiques
graves
qui ont nécessairement un impact
de leurs
droits à la liberté
d'expression.
Les Turkmènes,
par exemple, l'une des plus
importantes minorités, ne peuvent recevoir une
enseignement dans leur
langue dans les écoles
malgré les garanties
constitutionnelles (art. 125).
Il en est ainsi des
Chaldéens et des Assyriens.
Dans la plupart des cas,
le déni des droits
linguistiques
a un effet
néfaste sur
la survie des petites
langues minoritaires.
Toutes ces langues risquent de se
voir inscrire dans les langues en voie de disparition par l'Unesco.
Or, il faudrait que le
ministère de l'Éducation prépare de nouveaux programmes dans toutes les matières
pour chacune des langues «ethnique» dans les écoles primaires, qu'il élabore des
programmes pour apprendre l'arabe comme langue seconde au secondaire,
qu'il révise les programmes d'enseignement de l'histoire
et de la religion afin d'encourager la promotion du pluralisme et l'acceptation
des autres, qu'il ouvre de nouvelles écoles et facilite l'ouverture d'écoles
ethniques privées, notamment au secondaire.
Les autorités centrales ne
semblent pas prêtes à adopter des mesures pour redresser la situation. Quand on
sait que le gouvernement fédéral interdit de poser des enseignes commerciales en
d'autres langues que l'arabe, il faut admettre que, pour le
moment, les droits constitutionnels des petites minorités ne sont guère
respectés.
Rappelons que les anciennes lois discriminatoires à l'égard des minorités,
qui ont été adoptées sous l'ancien régime, sont demeurées en vigueur. Afin
d'abroger ces lois, il est devenu nécessaire d'en adopter de nouvelles afin de
mieux protéger les minorités. Dans l'état actuel, le Parlement est incapable
d'adopter quoi que ce soit. C'est pourquoi la situation des minorités se
détériore de jour en jour en Irak, parce que celles-ci ne bénéficient pas d'une
protection juridique adéquate. Ainsi, le nombre de ceux qui émigrent à
l'étranger augmente continuellement.
5.4 La situation des médias
Sous le régime de Saddam Hussein, les médias étaient limités et entièrement
contrôlés par l'État. Il existait un réseau de nouvelles appelé «Agence
irakienne de nouvelles», qui fonctionnait uniquement comme porte-parole du
régime. Tout support autre que ce réseau était formellement interdit, alors que
les antennes paraboliques étaient illégales, bien que certains individus ou
organismes aient pu parfois contourner cet interdit. À l'époque, il n'y avait
que cinq journaux, une chaîne de télévision et quatre stations de radio
appartenant au gouvernement irakien.
Après l'occupation américaine de 2003, l'interdiction des antennes
paraboliques fut levée et, dès le mois de juin, étaient apparus, selon un
rapport de la BBC, 20 stations de radio, 15 à 17 stations de télévision et plus
de 200 journaux irakiens. L'Agence irakienne de nouvelles a continué à
fonctionner, mais est devenue un organisme indépendant, en concurrence avec
l'agence Aswat al-Iraq, l'Anadolu Ajansi de Turquie, l'Associated Press des
États-Unis, la Deutsche Presse-Agentur d'allemagne, l'Informatsionnoye
Telegrafnoye Agenstvo Rossii–Telegrafnoye Agenstvo Suverennykh Stran (ITAR-TASS)
de la Russie, Reuters de la Grande-Bretagne et la Xinhua News Agency de la
Chine.
Du côté de la presse écrite, les quotidiens ayant le plus grand tirage sont
tous publiés à Bagdad en arabe: Al Mada, Al Mutamar, Al Sabah et Al Zaman.
Il existe au total plus d'une trentaine de journaux, dont quelques-uns au
Kurdistan: Rozhnama, The Hewler Globe (Erbil), Hawlati, Awene, Xebat, Shock
Magazine, Mangish, etc.
Les stations de radio sont nombreuses et la plupart diffusent en arabe, mais
quelques-unes le font en kurde, en anglais ou dans ces deux langues, et une
seule diffuse en arabe et français (Radio Monte Carlo Doualiya). Pour la
télévision, on compte au moins 25 stations qui diffusent surtout en arabe, mais
l'anglais et le kurde sont aussi très présents. Des émissions sont diffusées en
assyrien et en turkmène.
5.5 Le monde des affaires
En Irak comme ailleurs dans le monde, l'anglais est perçu comme la langue de
la modernité, beaucoup plus que l'arabe ou le kurde. On peut affirmer que, pour
les petits commerçants et les affaires locales, l'arabe et le kurde sont
normalement employés. Ainsi, l'article 12 du
Règlement d'accréditation des entités politiques (2008) impose
la publication des accréditation des entités politiques dans au moins deux
langues, l'arabe et le kurde:
Article 12
1) La IHEC (Haute Commission électorale indépendante) informera
l'entité politique que la IHEC a accepté sa demande en publiant sur
le site électronique de l'IHEC puis en apposant sur le tableau
d'affichage
du bureau électoral, pour qui la présentation a été produite, ainsi
si que sur le tableau d'affichage du Bureau national électoral à Bagdad.
2) En cas de refus, IHEC informera l'entité politique à ce sujet
par la publication de la décision sur le site électronique de l'IHEC
et dans trois quotidiens pendant trois jours au moins et dans les
deux langues, l'arabe et le kurde. |
Par contre, l'article 8 du
Règlement d'exécution des
contrats administratifs (2008) oblige que ceux-ci soient rédigés
en arabe, en kurde et en anglais si c'est possible:
Article 8
Préparation de l'élaboration du contrat :
1) Tous les ministères et les organismes
qui ne sont pas affiliés à un
ministère doivent organiser leurs contrats en coordination avec les
services techniques et financiers, et les organismes
bénéficiaires; ces contrats doivent comporter des dispositions reliées aux conditions
ou aux invitations
d'appel d'offres en précisant que des conditions
supplémentaires convenues entre les parties garantissent la
sécurité de mise en œuvre selon les modèles de contrats émanant du
service des contrats publics du ministère de la Planification et
de la Coopération au développement.
7) A. Les contrats doivent être
rédigés en arabe, en kurde et en
anglais si c'est possible.
B. Le document d'appel d'offres détermine la version qui prévaut en
cas de divergence d'interprétation. |
Depuis l'intervention américaine, l'anglais est de plus en
plus utilisé dans le domaine des affaires.
L'Irak a été en état de guerre
durant plus de vingt-deux ans, sans répit : guerre contre l'Iran de 1980 à 1988, guerre
économique contre le Koweït de 1988 à 1990, guerre menée par les États-Unis
pour l'expulser du Koweït en 1990-1991, et guerre de sanctions de l'ONU depuis
1990. Dans ces conditions, le patriotisme est de rigueur. La guerre de la part
des États-Unis n'a pas arrangé les choses, d'autant plus que les
Arabes irakiens estimaient qu'il s'agissait d'une «guerre injuste».
Pourtant, dans le passé,
Washington n'a jamais eu le moindre scrupule à soutenir Saddam Hussein (dans les
années 1980) et d'autres dictateurs tels que Marcos aux Philippines,
Suharto en Indonésie, le shah en Iran, Somoza au Nicaragua, Batista à Cuba,
Trujillo à Saint-Domingue, Pinochet au Chili, Mobutu au Congo-Kinshasa, etc.
Dans certaines circonstances, les
États-Unis s'accommodent très bien des dictateurs quand cela les arrange!
Ceux qui croient que les États-Unis voulaient intervenir en Irak pour restaurer la démocratie sont bien naïfs. Certains
stratèges sont plutôt convaincus que l'objectif était plutôt de perpétuer la domination
des USA dans le monde en contrôlant
le plus longtemps possible à leur profit les réserves de pétrole irakiennes.
À l'heure actuelle, les
Irakiens ont bien d'autre préoccupations que la protection des minorités. Le
gouvernement irakien a commis beaucoup d'erreurs. Non seulement il s'est
enfoncé dans une politique sectaire contre les sunnites en les excluant des
postes dans la fonction publique et l'armée, mais il a utilisé la répression à
leur égard en recourant à des milices chiites extrémistes, ce qui a conduit des
anciens militaires du Parti Baas à se rallier au groupe État islamique au point
où certains sunnites préfèrent la «protection» des djihadistes à celle de leur
propre gouvernement.
Au nord, les
Kurdes, bien armés, vivent dans une
quasi-indépendance. Ils ont développé leur propre autonomie aussi loin
qu’ils le pouvaient tout en gérant leurs abondantes ressources pétrolières pour
leur profit. Si l'on en croit les rumeurs, les Kurdes ne tiennent pas à participer au
pouvoir à Bagad; leur participation se limiterait à des activités
parlementaires.
Depuis leur quasi-indépendance de 1991 et la constitution de l'État fédéral en
2005, les Kurdes
se sont prêtés au jeu; ils
ont participé non seulement
à la création
de l'État fédéral, mais
aussi à son fonctionnement. Aujourd'hui, rien ne va plus, les Kurdes étant à
bout de patience, car rien ne bouge au Parlement fédéral. Il n'est pas certain
que le Kurdistan irakien soit prêt à sauver
l'Irak de la désintégration.
Pour le moment, les Kurdes,
profitant de l'affaiblissement du gouvernement de Bagdad, se positionnent afin
de garantir l'intégrité de leur État et de leur souveraineté.
Dans l'ouest du pays, la
minorité sunnite
milite pour ne plus être exclue au sein de l'appareil de l'État et de l'armée,
tout en écoutant les représentants les plus extrémistes du groupe armé État islamique.
Ils risquent de vivre des jours sombres dans leur portion la plus démunie du
pays, car ce sont les djihadistes de l'EI qui prendraient le pouvoir pas les
sunnites irakiens.
Les
minorités
ethniques (Turkmènes, Arméniens, etc.) et religieuses (chrétiens, yézidis, etc.)
revendiquent une représentation politique, tant au point de vue local que
nationale.
Les
chiites ont repris les rênes du
pouvoir, mais ils sont plus ou moins apparentés à la révolution
islamique iranienne. À Bagdad et dans
le Sud, les imans de la majorité chiite, longtemps réprimée et exclue du
pouvoir, prennent déjà le contrôle des communautés. En fait, les
chiites, majoritaires ont entrepris de coloniser à leur profit l'État central
redevenu autoritaire. En même temps, les chiites craignent la prise du pouvoir
par les djihadistes de l'EI, financés par les monarchies du Golfe, qui veulent
la restauration du Califat.
Dans le futur, sans reconnaissance de la spécificité des chiites
comme des sunnites, mais aussi des Kurdes, des Turkmènes et des Assyriens, sans
tout cela, il n'y aura jamais de coexistence pacifique dans ce pays miné par les
guerres et les conflits ethniques. Le régime de Saddam Hussein avait
contenu les velléités des différentes communautés ethno-confessionnelles par son
autoritarisme, tout en poursuivant pendant des années des discriminations et des
répressions, engendrant des haines confessionnelles qui s'imposent violemment
aujourd'hui. On dirait que la mosaïque irakienne semble se développer sur fond
de «guerre sainte». Il s'agit aussi d’une crise politique profonde qui a poussé
les communautés exclues du pouvoir à privilégier des solutions militaires.
Dernière mise à jour:
22 avr. 2022
Bibliographie
ABDULLA-ALI, Najat. «Empire, frontière et tribu. Le
Kurdistan et le conflit de frontière turco-persan 1843-1932», Université de
Paris X Nanterre, thèse de doctorat en histoire, 2006, 668 p.
CARON, Jean-Claude et Michel VERNUS.
L’Europe au XIXe
siècle : des nations aux nationalismes, Paris, Armand
Colin, 2011, 493 p.
CHALIAND, Gérard.
Le malheur kurde, Paris, Seuil, 1992, 212 p.
ENCYCLOPÉDIE
MICROSOFT ENCARTA, 2004, art. «Irak», pour la partie historique.
FARALE,
Dominique. La Turquie ottomane et l'Europe, du
XIVe siècle à nos jours, Paris, Éditions Economica,
2009, 255 p.
HACHEY, Isabelle. «La poudrière de Kirkuk» dans
La Presse,
Montréal, 1er mars 2003, p. B-6.
KAKAI, Falaq. «The Kurdish Parliament of Arbil» dans
Book IRAQ- Since the Gulf War, juillet
1996, http://human.is-bremen.de/~kurdweb/politics/prlarb_e.html.
KHAN, Jooneed. «Jour de fête sous l'ombre
de la guerre» dans La Presse, Montréal, 25 janvier 2003, p. A-11.
KITSIKIS, Dimitri.
L’Empire ottoman, Paris, PUF, coll. «Que
sais-je?», n° 2222, 1994,128 p.
KUTSCHERA, Chris. «Un État contre les Kurdes» dans
Le livre noir de
Saddam Hussein, Les Éditions Oh!, Paris, 2005, p. 335-403.
LECLERC, Jacques.
Langue et société, Laval, Mondia Éditeur, coll. «Synthèse»,
1992, 708 p. MORE, Christiane. Les Kurdes aujourd'hui, Paris,
L'Harmattan, 1985, 310 p.
MANTRAN, Robert (dir.). Histoire de l’Empire ottoman, Paris,
Fayard, 1994, 810 p.
McDOWAL, David. A Modern History
of the Kurds, Londres, I.B.Tauris & Co Ltd, 3e
édition, 2014, 532 p.
NEZAN, Kendal. «Le
malheur kurde» dans Le Monde diplomatique, Paris, octobre
1996, p. 1, 18 et 19.
NEZAN, Kendal. «Quand notre ami Saddam
gazait ses Kurdes» dans Le Monde diplomatique, Paris, mars
1998, p. 18019, THION, Serge. "Sur l'Irak" dans Gazette du Golfe
et des banlieues, no 2, Paris, mars 1991, p. 1 et 14-15, [http://abbc.com/totus/1991-2000/202Irak.html].
PIRBAL,
Khasro. «Le
Kurdistan et la nation kurde: généralités» dans
Kurdistan - Profil régional, Finlande 2001, [http://perso.wanadoo.fr/kurdes/hizir.htm].
SCOWEN, Peter. Le
livre noir des États-Unis, Les Éditions des Intouchables,
Montréal, 2002, 296 p.
TERNON, Yves. L'Empire ottoman : le
déclin, la chute, l'effacement, Paris, Éditions le Félin, 2002,
575 p.
|

Kurdistan irakien
Kurdistan
