L'Empire romain

De -27 à 476

1. Les conquêtes romaines

Entre 1000 et 500 avant notre ère, l'Italie était habitée par trois types de peuples différents: les Étrusques (un peuple d'Asie mineure) au nord de Rome, les Grecs au sud de Rome et en Sicile, ainsi qu'un grand nombre d'ethnies latines: Vénètes, Samnites, Osques, Ombriens, Sabins, Péligniens, Lucaniens, Bruttiens, Volsques, etc. (voir la carte). Les Étrusques fondèrent Rome en -753 avec une coalition de Romains et de Sabins. Cette petite bourgade prit de l'expansion et repoussa les Étrusques, les peuples italiques et les Celtes, qui tous furent finalement soumis par les Romains au IIe siècle (avant notre ère). La Gaule transalpine (la majeure partie du sud de la France) fut soumise par Jules César (IIe siècle avant notre ère), mais la majeure partie de la Bretagne passa sous domination romaine au Ier siècle de notre ère, le tout après plus de 200 ans de guerres sanglantes.

Après 800 ans de guerres, Rome avait réussi à soumettre à peu près toute l'Italie (Italia), la Corse (Corsica), la Sardaigne (Sardinia) et la Sicile (Sicilia). Entre 200 et 146, Rome avait acquis l'Espagne (Hispania), la Lusitanie (Lusitania), la côte adriatique (Pannonia, Dalmatia, Thracia, Moesia), la Tunisie appelée alors Africa (toute l'Afrique du Nord), la Grèce (Graecia), la Macédoine (Macedonia) et la Turquie appelée Asia.

Puis, en quelques années, les Romains acquirent la Syrie (Syria) en 64, Chypre (Cyprus) en 58, la Belgique (Belgica) en 57, la Gaule (Gallia) en 52 et l'Égypte (Aegyptus) en 32.

S'ajoutèrent durant les 150 années suivantes une grande partie de la Germanie, les Alpes, la Judée, la Grande-Bretagne (Britannia), la Dacie (Dacia ou Roumanie actuelle), l'Arménie, la Mauritanie (ou Maroc actuel), la Mésopotamie, l'Assyrie et même une partie de l'Arabie.

2. Romanisation et latinisation

La romanisation de l'Afrique du Nord, commencée au IIIe siècle avant notre ère, ne se termina qu'au IIIe siècle de notre ère. Après les invasions des Vandales au Ve siècle, l'Afrique redevint romaine sous l'empereur Justinien (482-565). Il faut faire la différence entre la «romanisation» et la «latinisation». La romanisation implique une appartenance politique à l'Empire romain, mais pas nécessairement une assimilation par la langue. La latinisation suppose la romanisation suivie d'un changement de langue des peuples conquis. De même, plus tard, dans les pays arabes, l'islamisation n'impliquera pas obligatoirement l'arabisation. Dans le monde chrétien, la christianisation n'entraînement pas nécessairement la latinisation.

Tout l'Empire romain, y compris l'Afrique du Nord, connut une longue période de bilinguisme latino-celtique ou, selon le cas, latino-germanique ou gréco-latin, qui commença dans les villes pour gagner plus tard les campagnes. Mais l'implantation du latin ne s'est pas réalisée partout en même temps. Il est certain que c'est en Gaule que cette langue s'implanta d'abord parce que la latinisation y a été plus profonde qu'ailleurs, alors que les colonies romaines y étaient très importantes et très influentes. Ainsi, la plus grande partie du vocabulaire occitan d'aujourd'hui est due à la latinisation précoce de cette province plus ancienne.

En général, la latinisation fut plus lente au nord de la Gaule, notamment en Belgique et en Afrique du Nord; elle ne s'est jamais réalisée en Britannia (Grande-Bretagne), en Germanie, en Grèce, en Asie Mineure, bref nulle part dans l'Empire romain d'Orient où le grec fut utilisé à la place du latin.

3. Le partage de l'Empire entre l'Occident et l'Orient

En 395, à la mort de l'empereur Théodose, qui avait fait du christianisme la religion d'État, l'Empire, trop vaste pour être gouverné, fut partagé en deux : l'Orient revint à Flavius Arcadius (395-408), l'Occident à Flavius Honorius (384-423). Théodose organisa le partage de l'Empire selon une stricte ligne droite : elle passait, au nord, au milieu des actuels Serbie et Monténégro et, au sud, au milieu de la Libye. À cette époque, cette division ne devait être qu'administrative.

L'empire d'Occident gardait Rome comme capitale; l'empire d'Orient avait Constantinople du nom de l'ancien empereur Constantin (272-337). Mais l'unité de l'Empire était définitivement brisée, alors qu'il se trouvait divisé entre l'Empire romain d'Occident et l'Empire romain d'Orient

Par la suite, les territoires conquis finirent par acquérir une certaine autonomie, surtout dans les régions périphériques. En échange, ces régions fournissaient des contingents militaires de soldats qui combattaient sous les ordres de leur propres chefs. Au Ve siècle, cette organisation se généralisa, de sorte qu'elle morcellera l'Empire romain d'Occident, qui devint incapable de les détruire ni de les assimiler. 

Lorsque commencèrent les invasions germaniques, les armées romaines étaient composées d'un grand nombre de mercenaires germaniques. Il devenait alors plus facile d'affaiblir les défenses romaines.

À partir de l'an 407, l'Empire romain d'Occident ne pouvait plus faire face à la pression venue de l'Est: plusieurs centaines de milliers de «barbares» germaniques déferlèrent successivement sur la Gaule, l'Espagne et l'Italie. En 476, le roi des Hérules, Flavius Odoacre, ancien officier de l'armée romaine, s'empara de la ville de Ravenne, alors la capitale de l'empire d'Occident, et déposa le dernier empereur romain, Romulus Augustule. On considère aujourd'hui cet événement comme la fin de l'Empire romain d'Occident. À la fin du Ve siècle, celui-ci avait laissé la place à la fondation de nombreux royaumes germaniques.

4. Le morcellement du latin

Du point de vue linguistique, l'effondrement de l'Empire romain d'Occident accéléra le processus de morcellement du latin parlé ou vulgaire (populaire) amorcé dès le IIe siècle. Les communications avec l'Italie étant coupées, les échanges commerciaux périclitèrent, les routes devinrent peu sûres, les écoles disparurent, le tout entraînant une économie de subsistance rurale et fermée sur elle-même. Si bien qu'au VIIe siècle la situation linguistique était extrêmement complexe dans les anciens territoires romains :

1) les langues germaniques étaient devenues indispensables aux populations qui voulaient jouer un rôle politique puisque tous les rois ne parlaient que des langues germaniques;
2) le latin classique n'était plus utilisé que pour les écrits et les peuples gallo-romains ne le parlaient plus;
3) la langue parlée par les Gallo-Romains était un «latin chrétien», strictement oral, relativement éloigné du latin classique et soumis par surcroît aux variations géographiques particulières.

Le latin des Romains a fini par disparaître dans le secteur central de l'ancien Empire romain (Bavière, Suisse, Autriche), en Illyrie (Albanie) et en Pannonie (Monténégro et Serbie), en Bretagne insulaire (Grande-Bretagne), en Armorique (Bretagne française) et en Afrique du Nord (éradiquée par la conquête arabe). Par contre, le latin parlé s'est maintenu de la péninsule Ibérique jusqu'en Italie (et la Roumanie) en passant par la Gaule gallo-romaine, mais ce n'était plus le latin du Ier siècle qui était utilisé. Cette nouvelle langue latine se maintiendra jusqu'au VIe siècle de notre ère en se transformant sans cesse pour ne plus être du latin. Cela étant dit, jamais les Gallo-Romains ne se rendirent compte qu'ils ne parlaient plus le latin, alors devenu le «gallo-roman» (le "romanz"). Pour eux, c'était encore du latin, même s'ils avaient conscience de parler diverses variétés de «latin» selon les régions, notamment entre le Nord et le Sud.

Évidemment, la langue romane de cette époque était fragmentée en une multitude d'idiomes distincts. Dans toutes les parties de l'ancien Empire romain d'Occident, les peuples germaniques (Wisigoths, Suèves, Francs, Ostrogoths, etc.) édifièrent leurs royaumes, alors que le latin populaire se transformait selon les régions pendant que les peuples autochtones développaient graduellement leurs langues particulières. Ainsi sont apparues les très nombreuses langues originaires du latin, les langues romanes, d'où naîtront le français, l'occitan, le castillan, le portugais, le catalan, le florentin (italien), le roumain, etc.

5. Le monde latino-catholique et le monde gréco-orthodoxe

Si l'Empire romain d'Occident disparut en raison des invasions germaniques et de la création de royaumes sur son territoire, l'existence de l'Empire romain d'Orient se poursuivit jusqu'à la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453. Plus tard, le schisme de 1054 désigna la rupture survenue le 16 juillet 1054 entre l’Église de Rome (Occident) et l’Église de Constantinople (Orient).

En un siècle ou deux, cette division de l'Empire romain allait également ouvrir la voie à deux mondes distincts: d'un côté, le monde latin et la religion catholique (dite «universelle») romaine; de l'autre, le monde grec et la religion orthodoxe («celle qui défend les vrais dogmes»). L’héritage catholique favorisa l’alphabet latin avec les langues romanes, germaniques, celtiques et certaines langues slaves (croate, polonais, tchèque, slovaque, slovène).

Cependant, l’héritage du monde orthodoxe favorisa l’alphabet cyrillique avec le serbe, le russe, le biélorusse, l'ukrainien, le bulgare, le ruthène et le macédonien, sans oublier l'alphabet grec en Grèce et à Chypre.

 Alors que l'empire d'Occident allait s'effondrer, l'empire d'Orient avait encore plusieurs siècles devant lui. À partir du XVIe siècle, on parlera de l'Empire byzantin plutôt que de l'Empire romain d'Orient.

6. L'avènement des langues romanes

Finalement, l'Empire romain a permis l'élaboration des langues latines dites romanes parce qu'elles sont issues du latin devenu le roman aux variantes diverses. Au total, près de 500 millions de locuteurs parlent des langues romanes (au nombre d'environ une centaine), soit 18% de ceux qui parlent des langues indo-européennes, et 7,9% de l’humanité, dont l’espagnol (322 millions), le portugais (170 millions), le français (75 millions), l'italien (63 millions), etc. Certaines de ces langues sont devenues des langues officielles dans un ou plusieurs pays tels le français, l'espagnol, le portugais, le catalan, l'italien, le roumain (ou le moldave), bien que la plupart aient connu un sort moins heureux: frioulan, corse, sarde, asturien, léonais, andalou, aragonais, languedocien, provençal, wallon, picard, piémontais, lombard, ligure, vénitien, istrien, toscan, ladin, romanche, etc.

De plus, l'Empire romain a laissé un alphabet qui est utilisé par près de la moitié des habitants de la planète. Il est rare qu'un empire ait autant contribué à l'essor des langues dans le monde. Même si aucune loi n’obligeait les peuples conquis à adopter la langue des vainqueurs, le latin offrait néanmoins des avantages évidents qui poussaient les vaincus à l’adopter de leur propre gré. Étant une mosaïque de peuples, l'Empire romain a contribué à faire disparaître un grand nombre de langues, dont le gaulois, l'ibère, le punique (ou carthaginois), le phénicien, le ligure, le germanique ancien, etc., sont les plus connus, non sans avoir mis un frein à l'expansion du grec ancien et du grec médiéval.

Dernière mise à jour: 17 févr. 2024

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