République d'Érythrée

Érythrée

(Értra)


 

Capitale: Asmara
Population:  4 millions (2004)
Langue officielle: tigrina (de facto) et arabe (de facto)
Groupe majoritaire:  tigrina (53 %)
Groupes minoritaires:  tigré (22 %), afar (8,3 %), saho (4 %), kunama (3,9 %), bedawi (3,3 %), bilen (1,9 %), nara (1,7 %), arabe hijazi (1 %), arabe classique, anglais et italien
Système politique:  république à parti unique
Articles constitutionnels (langue): art. 4, 14 et 17 de la Constitution du 24 mai 1997
Lois linguistiques:  sans objet

1 Situation géographique

La république d'Érythrée (Eritrea en anglais, Értra en tigrina) est un pays du nord-est de l'Afrique. À la limite de la région géopolitique de la Corne de l’Afrique, elle a pour voisins Djibouti au sud, l’Éthiopie à l’ouest, et le Soudan au nord. Sa superficie est de 121 144 km², soit l'équivalent de la Corée du Nord (mais cinq fois plus petite que la France).  Sa capitale et sa plus grande ville est Asmara qui, avec 431 000 habitants (en 1995), domine de loin les autres villes, Assab (39 569), Keren (32 100), Massaoua (19 400) et Menderfa (14 800).

L'Érythrée est divisée en six provinces (awraja): Anseba, Debub, Debub-Keih-Bahri, Gash-Barka, Maekel et Semien-Keih-Bahri (voir la carte détaillée).

Le nom de l'Érythrée provient du grec eruthros signifiant «rouge» en raison de la proximité de la mer Rouge. Conquise de nombreuses fois au cours du XXe siècle, d’abord par les Italiens puis par les Britanniques et enfin par les Éthiopiens, l’Érythrée a accédé à l’indépendance en 1993, à l’issue d’une guerre de libération qui a duré trente-cinq ans.

2 Données démolinguistiques

En 2004, la population de l’Érythrée était estimée à environ 4,0 millions d'habitants, la province de Debub étant la plus peuplée.

Province administrative

Population 2004 Superficie
Debub 1 056 800   8 000 km2
Gash-Barka    775 700 33 200 km2
Maekel    755 600   1 300 km2
Anseba    602 900 23 200 km2
Semien-Keih-Bahri    590 700 27 800 km2
Debub-Keih-Bahri    285 200 27 600 km2
Total Érythrée 4 067 000  121 100 km2

2.1 Les langues érythréennes

Les langues parlées comme langue maternelle en Érythrée appartiennent soit à la famille chamito-sémitique (groupe couchitique) soit à la famille nilo-saharienne (groupe soudanais de l'Est).

Langue Pourcentage Famille

Groupe

Tigrina 53 % chamito-sémitique sémitique
Tigré 22 % chamito-sémitique sémitique
Afar 8,3 % chamito-sémitique couchitique
Saho 4,0 % chamito-sémitique couchitique
Kunama 3,9 % nilo-saharienne soudanais de l'Est
Bedawi (bedja) 3,3 % chamito-sémitique couchitique
Bilen 1,9 % chamito-sémitique couchitique
Nara 1,7 % nilo-saharienne soudanais de l'Est
Arabe hijazi 0,5 % chamito-sémitique sémitique

Le tigrina est la langue majoritaire; c'est la langue parlée par 53 % de la population, notamment dans la région d'Asmara, la capitale.

C'est la la langue maternelle des habitants des hauts plateaux du centre du pays, en majorité chrétiens orthodoxes. Le trigina est fragmenté en plusieurs variétés dialectales qui diffèrent sensiblement de la langue tigrina officielle. Comme langue seconde, le tigrina peut être parlé par 25 % des autres Érythréens.
 
Carte linguistique de l'Érythrée

Langues de l'Érythréee

Quelque 22 % des Érythréens parlent le tigré, une langue proche du trigrina parlée dans les basses terres du Sahel, dans la plaine côtière au nord de Zula, dans le Samhar, sur la côte jusqu'à Hirgigo (y compris le grand port de Massawa), dans les hautes terres du nord et le Barka. Il s'agit des provinces du Nord-Est: provinces d'Anseba et de Semien-Keih-Bahri. Les locuteurs du trigré sont généralement des musulmans sunnites. Le tigré compte deux grands groupes dialectaux : le tigré mansa de la région de Keren et du plateau Mansa, et le tigré des Beni Amer, chacun de ces groupes se divisant lui-même en quelques variétés dialectales.

Le tigrina et le tigré utilisent une écriture ancienne, le guèze (voir le tableau ci-dessous). Autrement dit, le tigrina et le tigré sont parlés par près de 75 % de la population et ne sont pas considérées comme des langues minoritaires, contrairement à l'afar, l'amharique, le bedawi, le kunama et le saho.

Les langues telles que l'afar (8 %) au sud-est et le saho (4 %) au centre sont également parlées soit en Éthiopie soit à Djibouti. L'afar est parlé le long de la mer Rouge. Les Afar sont des musulmans sunnites, généralement des pasteurs de camélidés et de caprins; les Afar sédentaires sont les pêcheurs vivant sur la côte ou dans les îles.  Ils sont en contact avec le tigrina, le tigré (à Massawa et Dahlak par exemple) et le saho; ils emploient l'arabe comme langue véhiculaire.

Quant au saho, il est parlé au centre du pays, dans les régions appelées le Seraye, l'Akele Guzay, jusque sur la côte, et dans le Semhar. Les locuteurs du saho comptent une forte majorité de musulmans sunnites et, dans les montagnes, quelques chrétiens orthodoxes. Selon la région où ils se trouvent, les Saho sont en contact avec le tigrina, le tigré ou l'afar. Ils utilisent l'arabe comme langue véhiculaire.  Les Afar et les Saho sont très liés entre eux par les mariages mixtes, les contacts et les influences.

Le kunama serait parlé par 3,9 % de la population érythréenne. Les locuteurs de cette langue nilo-saharienne sont établis dans l'Ouest (régions du Gash-Barka) où ils pratiquent l'agriculture et l'élevage. Quelques-uns d'entre eux sont convertis au christianisme, d'autres à l'islam, mais il semble que beaucoup d'entre eux aient conservé leur ancienne religion.

Les Bedja (3,3 %) sont désignés en Érythrée comme l'ethnie musulmane des Hidaareb qui vivent dans l'Ouest. Ils ont comme langue maternelle le bedawi ou bedja. C'est une langue en voie de régression, car les jeunes générations de cette communauté ont tendance à parler plutôt le tigré ou l'arabe. Le bilinguisme bedawi-tigré semble être la situation dominante des Bedja, voire le trilinguisme bedja-tigré-arabe.
 
Les locuteurs du bilen sont peu nombreux (1,9 %, entre 65 000 et 70 000 personnes). Tant musulmans que chrétiens, ils vivent dans la région de Keren (au nord-ouest d'Asmara) où ils sont en contact avec les Tigré. Le bilinguisme bilen-tigré est très fréquent, de même que le plurilinguisme bilen-tigré-arabe-tigrina.
 
Le nara est parlé par 1,7 % de la population. C'est une petite langue nilo-saharienne dont les contacts sont fréquents avec le kunama.
 
L'arabe n'est la langue maternelle que d'un petit groupe, celui des Rashaida, estimés à 32 000, soit 1 % de la population, tous musulmans sunnites. En fait, ils sont originaires d'Arabie Saoudite et vivent présentement le long de la côte dans la province de Semien-Keih-Bahri, qui inclut les régions du Semhar et du Sahel au nord de Massawa. Il s'agit d'un arabe local, l'arabe hijazi, traditionnellement rattaché aux dialectes bédouins de l'Arabie Saoudite.
 
Il faudrait mentionner aussi une dernière langue, le dahlik, découverte seulement en 1996, dans l'île principale de Dahlak en mer Rouge. Ce serait une langue issue du tigré ayant évolué de façon originale en raison de son insularité. C'est maintenant la langue maternelle de quelque 2000 locuteurs dans cet archipel. Les hommes sont tous bilingues (tigré et dahlik), trilingues ou quadrilingues (avec le tigré, l'afar et/ou l'arabe), mais beaucoup de femmes sont unilingues, bien que certaines d'entre elles aient une connaissance passive du tigré, de l'afar ou de l'arabe.

Le tigrina et l'arabe sont des langues de travail, avec l'anglais. Ces trois langues prédominent dans le commerce et les affaires nationales; elle sont considérées comme les trois langues officielles dans les faits (de facto). On peut dire que, juridiquement parlant (de jure), l'Érythrée n'a aucune langue officielle. L'anglais est parlé surtout dans les villes et fait partie du programme scolaire. L'arabe (dans sa variété parlée hijazi, soit l'arabe des Rashaida) et, à un degré moindre, le tigrina servent de langues de communication ou de langues véhiculaires. L'italien, la langue de l'ancienne colonie, est parlée par la plupart des personnes âgées, mais tend à être remplacé graduellement par l'anglais.

2.2 Les alphabets

Les locuteurs des langues érythréennes composent avec trois systèmes d'écriture: l'alphabet guèze pour le tigrina, le tigré et le bilen, l'alphabet arabe pour l'arabe et l'alphabet latin pour les autres langues (afar, saho, kunama, bedawi et nara).

L'alphabet guèze est assez particulier en plus d'être unique à l'Éthiopie et à l'Érythrée: il compte 33 lettres, dont chacune réfère à sept caractères, ce qui fait un total de 231 caractères. Les premiers écrits en guèze (IIIe ou IVe siècle) utilisaient un alphabet d'origine sud-sémitique composé uniquement de consonnes. Dans des inscriptions plus tardives datant du Ve siècle, un système de notation des voyelles fut introduit; les sons des voyelles était indiqués par des traits longs ou brefs ou par l'ajout d'un signe diacritique (coche ou cercle, par exemple).

Particularité
de l'alphabet guèze

Cet alphabet est aujourd'hui utilisé pour écrire les langues modernes de l'Éthiopie. La première écriture guèze était un boustrophédon (du grec bous, «bœuf» et strophein, «tourner»: selon le principe du bœuf tirant la charrue d'un sillon à l'autre dans un champ; littéralement «comme tourne le bœuf»). Il s'agit d'une écriture dont les lignes se lisent de droite à gauche, puis alternativement de gauche à droite (et non pas uniquement de gauche à droite, comme on le fait en français ou en anglais). Plus tard, l'écriture de gauche à droite a prévalu sous l'influence grecque, à la différence des autres écritures sémitiques.

2.3 Les religions

Les musulmans regroupent 45 % de la population, contre 45 % pour les chrétiens coptes et 10 % pour les autres confessions. La plupart des chrétiens coptes sont traditionnellement installés sur le plateau érythréen. Quant aux musulmans, ils vivent généralement sur la côte de la mer Rouge et dans certains centres urbains. Plus de 60 congrégations religieuses sont à l'oeuvre dans ce pays.

La liberté de religion inscrite dans la Constitution (art. 19.4: «Tout citoyen a la liberté de pratiquer n'importe quelle religion et d'en exercer la pratique.») ne semble pas bien respectée, car ceux qui pratiquent une religion non reconnue font l'objet d'arrestations de la part de la police. Depuis le mois de mai 2002, une ordonnance gouvernementale oblige que, à l'exception des quatre principales religions – représentées par l'Église orthodoxe érythréenne, l'islam, l'Église évangélique érythréenne (luthérienne) et l'Église catholique romaine –, tous les groupes religieux doivent être dissous et effectuer une demande afin d'être officiellement enregistrés, demande dans laquelle ils doivent notamment communiquer des informations sur leurs membres et sur tout financement étranger. Des centaines de membres d'Églises non reconnues sont aujourd'hui en prison.

Pourtant, selon la Constitution érythréenne, la persécution religieuse est interdite et le gouvernement affirme respecter la liberté de culte. Il a même signé le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Mais tout laisse croire que le gouvernement craindrait le fondamentalisme islamique, ce qui expliquerait la suppression de l'enseignement de la religion dans les écoles, une façon de tenir la religion en laisse. Cette répression à l'égard des religions non reconnues semble liée également à l’action menée par les autorités contre les jeunes qui tenteraient de se soustraire au service militaire et contre leurs parents accusés de les aider à se cacher ou à fuir le pays. Le gouvernement explique qu'en vertu de sa législation le service militaire est obligatoire sur une période de 18 mois, comprenant six mois de service militaire et 12 mois d'activités civiques. Le gouvernement précise qu'aucune exemption n'est prévue, à l'exception des personnes ayant combattu durant la guerre de libération nationale. Seuls les témoins de Jéhovah s'opposent ouvertement au service militaire.

3 Données historiques

Dès le début de son histoire, l’Érythrée a subi l'influence du monde arabe. En effet, l’Érythrée connut les migrations de peuples de langues nilotiques, couchitiques et sémitiques. Dès 3000 avant notre ère, l’Érythrée pratiqua le commerce sur la mer Rouge des épices, des aromates et de l’ivoire. Au IVe siècle de notre ère, l’Érythrée fit partie de l’ancien royaume éthiopien d’Aksoum fondé par des émigrants arabes de la péninsule Arabique. Le territoire fut islamisée dès le VIIe siècle, puis prit la forme d’un État semi-indépendant tout en demeurant sous la souveraineté de l’Éthiopie, jusqu’à son annexion au XVIe siècle par l'Empire ottoman en pleine expansion.

Bref, durant près de deux mille ans, l’histoire de l’Éthiopie et celle de l’Érythrée se sont confondues. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, rien n'a séparé l’Éthiopie de l’Érythrée: ni la géographie (les hauts plateaux de l’Érythrée constituent un prolongement des hauts plateaux éthiopiens), ni le peuplement, ni l’histoire. De plus, la population érythréenne n'a jamais constitué une minorité pourvue d'une identité particulière. Il y avait un ensemble de peuples divers répartis dans différentes régions et ces peuples étant communs, tant en Éthiopie qu'en Érythrée.

3.1 La colonisation européenne

L'Érythrée devint une colonie italienne en 1889, lors du traité d’Uccialli. Par la suite, les Italiens se servirent de l'Érythrée comme d'un tremplin pour conquérir l'Éthiopie. Pour cette raison, les Italiens dotèrent l’Érythrée d’une infrastructure économique moderne en créant un bon réseau routier, en installant des voies ferrées et en développant le port de Massawa sur la mer Rouge. L'italien devint évidemment la langue officielle de l'Érythrée. Mais l'Italie échoua dans ses tentatives de conquérir l'Éthiopie. Lors de la bataille d'Adoua, le 1er mars 1896, le roi éthiopien, Ménélik II, fit subir aux Italiens une humiliante défaite. Par la suite, l'Italie dut limiter ses ambitions à l’Érythrée, mais ce n'était que partie remise.

En effet, Mussolini partit à la conquête de l’Éthiopie en 1934 et envahit l'Éthiopie, qui devint une colonie italienne jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Mussolini envoya de nombreux Italiens en Érythrée, chargés de construire les infrastructures de l'effort de guerre et la capitale, Asmara, acquit alors un urbanisme fasciste caractéristique. La moitié des Érythréens fut mobilisée dans la logistique ou comme «askari» (complémentaires ou suppléants) de l'armée italienne. Vers la fin du XIXe siècle, des centaines de milliers de paysans italiens ont immigré en Érythrée considérée comme une excroissance de l'Italie.

Durant la Deuxième Guerre mondiale, les Britanniques s'emparèrent de l'Érythrée en 1941. Néanmoins, quelque 70 000 Italiens décidèrent de demeurer en Érythrée. Les dirigeants locaux en profitèrent pour supprimer l'italien comme langue officielle et le remplacer par deux autres: l'arabe et le tigrina, l'arabe étant la langue religieuse écrite, le tigrina, celle parlée par la majorité de la population.

Après la guerre, l'Italie renonça en 1947 à tous ses droits sur ses colonies africaines. L’Érythrée se retrouva au centre d,Un conflit d'intérêts de la part des grandes puissances de l'époque. Ainsi, pendant que la Grande-Bretagne demandait un partage de l’Érythrée entre le Soudan et l’Éthiopie, les États-Unis étaient favorables à toute solution avantageant l’Éthiopie. Par contre, la France préférait un retour de la tutelle italienne parce qu'elle désirait préserver ses intérêts à Djibouti et éviter la «contagion» nationaliste. Pour sa part, l'URSS prônait l’indépendance immédiate de l'Érythrée. Ayant échoué à se mettre d'accord, les grandes puissances transmirent le dossier à l’ONU en 1948.

3.2 L’Érythrée sous contrôle éthiopien

Après de multiples tergiversations, l’Assemblée générale des Nations unies adopta, en décembre 1950, la résolution 390 rattachant l’Érythrée à l’Éthiopie dans une union fédérale. En 1952, les Nations unies proposèrent formellement la formation d'une fédération entre l’Érythrée et l’Éthiopie afin de satisfaire, d'une part, les revendications de l’Éthiopie à propos d'un accès à la mer Rouge, d'autre part, la volonté d’indépendance des Érythréens. La résolution 390 affirme que «cette association assure aux habitants de l’Érythrée le respect et la sauvegarde de leurs institutions, de leurs traditions, de leurs religions ou de leurs langues».

L’Érythrée fut dotée d'un Parlement et mit en place un régime démocratique, l’Éthiopie étant seulement responsable de la diplomatie et de la défense de l’Érythrée. Deux problèmes surgirent : l'absence d’une cour fédérale pour veiller au respect du texte des Nations unies et l'attitude de l'empereur Hailé Sélassié. L'absence de cette cour fédérale permit aux Éthiopiens d'interpréter à leur façon le fonctionnement des institutions communes, alors que l'esprit démocratique voulue par l'ONU heurtait la volonté centralisatrice de l'empereur Haïlé Sélassié qui, progressivement, par toutes sortes de pressions et de tractations, réussit à faire adopter par le Parlement érythréen le rattachement «libre» du territoire à l'Éthiopie. En 1962, l'Érythrée devint ainsi la 14e «province éthiopienne». Avec les années, l'Érythrée finit par abandonner non seulement le droit pénal érythréen pour le droit éthiopien, mais également le drapeau et les emblèmes érythréens, se fit imposer la langue amharique (aux dépens du tigrina) dans la vie publique et l’enseignement.

Comme on pouvait s'y attendre, une résistance nationale s’organisa parmi les Érythréens, car ils refusèrent l'«annexion» en raison de leurs différences culturelles nées, entre autres, de la domination italienne. Les cadres de la Ligue musulmane d’Érythrée, fondée en 1946, formèrent la première opposition et organisèrent le Mouvement de libération de l’Érythrée (MLE), fondé en 1958 au Caire, une organisation de lutte armée contre la suprématie éthiopienne. Puis le MLE fut remplacé par le Front de libération érythréen (FLE) en 1962.

Jusqu’à la fin des années soixante, la résistance fut menée par le FLE, avec le soutien du Soudan et de l’Égypte. En raison de différends d'ordre idéologique, le FLE se fragmenta et aboutit, à la fin des années soixante-dix, à la création du Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE), d'allégeance laïque et socialiste, sinon marxiste-léniniste, à base de religion copte. Durant presque une dizaine d'années, soit entre 1975 et 1984, les forces éthiopiennes lancèrent de nombreuses offensives en territoire érythréen, ce qui provoqua  l'exode de 900 000 Érythréens. Puis, comme si ce n'était pas assez, une sécheresse (associée aux conséquences de la guerre) occasionna en 1984-1985 une grave famine. Pendant ce temps, la quasi-totalité des 70 000 Italiens ont fui l'Érythrée, seuls quelques centaines d'entre eux sont restés dans la région.

Après toutes ces années de guerre, le Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE) réussit en 1988 à vaincre l'armée éthiopienne qui se replia dans les villes importantes. En réalité, la défaite de l’armée éthiopienne n’était pas seulement due aux indépendantistes érythréens, mais aussi à la rébellion de la province éthiopienne du Tigré, dirigée par le Front Populaire de Libération du Tigré (FPLT). Un gouvernement provisoire érythréen fut mis en place; il était dirigé par Issayas Afeworki, le chef du FPLE et nouveau président de la République. Cette année-là, l'Érythrée était devenue indépendante de facto. Mais le prix de la victoire érythréenne fut lourd: après la plus longue guerre de libération du continent africain (trente ans), on compta au moins 150 000 morts, dont 65 000 combattants, et près de un million de réfugiés.

Pendant les années du conflit avec l'Éthiopie, les langues érythréennes ont été interdites dans les lieux publics. Toutefois, la plupart des Érythréens ont refusé de parler l'amharique et ont continué d'enseigner leur langue nationale à leurs enfants. Cela dit, beaucoup d'habitants de la capitale, Asmara, ont accepté de bon gré de converser en italien plutôt qu'en amharique. Pendant cette guerre de trente ans, les mouvements de population ainsi que l'alphabétisation des adultes et la scolarisation ont mis en contact des Érythréens parlant des langues différentes et permis leur apprentissage. Cette situation a modifié le paysage linguistique du pays à un point tel qu'il n'existe à peu près plus de région unilingue en Érythrée; le bilinguisme, voire le multilinguisme, prévaut désormais sur l'ensemble du pays.

3.3 L’indépendance de l’Érythrée

En avril 1993, un référendum sur sur l'autodétermination eut lieu. La question était celle-ci: «Voulez-vous que l’Érythrée soit un pays indépendant et souverain?» Le OUI à l’indépendance l’emporta à 99,8 %. L’Organisation des Nations unies accueillit officiellement l’Érythrée, le 28 mai 1993, parmi ses membres et reconnut au Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE) la légitimité de diriger le pays. Dès lors, quelque 20 % de la population fut déplacée et un demi-million d’Érythréens durent se réfugier au Soudan. En plus des problèmes de subsistance, de pauvreté et d’illettrisme (estimé en 1993 à 80 % de la population), le nouveau pays dut faire face à de lourdes tâches telles que la réinstallation d'une partie de la population déracinée par la guerre et la famine, et la reconstruction d'un pays dont les infrastructures avaient été détruites, en particulier le port de Massawa.

Après avoir modifié son nom, transformé en Front populaire pour la démocratie et la justice, le FPLE entreprit une politique de bon voisinage avec l’Éthiopie en signant, au mois d’avril 1995, un accord faisant des deux pays une zone de libre-échange. En même temps, le régime dut faire face à la montée d’une opposition islamiste appuyée par le Soudan. En 1997, grâce à l’aide internationale, l’Érythrée poursuivit la reconstruction économique du pays qui dépendait toujours pour 40 % de l’aide extérieure. L’opposition islamiste de l’Union nationale érythréenne sembla s’orienter encore vers des solutions militaires, avec l’appui de certains dirigeants soudanais. Dans ce contexte, la mise en œuvre d’une nouvelle Constitution et l’élection d’un Parlement furent repoussées à plus tard.

3.4 Encore la guerre!

En mai 1998, un nouveau conflit armé opposa l’Érythrée à l’Éthiopie au sujet d'une partie du territoire éthiopien revendiqué par l’Érythrée sur la base des frontières établies lors de l’occupation italienne. D'une part, l’Érythrée considérait que les frontières du temps du colonialisme italien devaient être respectées; d'autre part, la région disputée a toujours été gouvernée par l’Éthiopie, alors que la population locale se considère comme étant éthiopienne. On peut aussi croire que les Éthiopiens se battaient pour disposer d'un accès à la mer Rouge (ils n'ont, à ce jour, pas de débouché maritime, sinon par Djibouti) et lorgnaient vers le port de Massawa. Par ailleurs, l’Érythrée prétendait que ce n'était pas uniquement les frontières qui étaient en jeu; elle affirmait que les Tigréens maintenant au pouvoir à Addis-Abeba voulaient créer un «Grand Tigré», comprenant une grande partie de l’Érythrée et gagner ainsi l’accès au port d’Assab. Puis chacun des pays accusa l’autre d’avoir commencé le conflit. De fait, le conflit a débuté avec les actions militaires de la part de l'Érythrée, mais celle-ci accusait l’Éthiopie d’avoir provoqué le conflit. Le conflit érythréen constitue un cas unique dans l'histoire dans la mesure où il repose en partie sur le retour à une ancienne frontière coloniale.

Après deux années de guerre, qui auront entraîné la mort de dizaines de milliers de victimes et provoqué le déplacement de 1,3 million de personnes, les négociations de paix entamées en mai 2000 entre les représentants d’Addis-Abeba et d’Asmara aboutirent à la signature d’un accord de cessez-le-feu, le 18 juin à Alger. Le 12 décembre 2000, un «accord de paix global» fut signé à Alger par le président érythréen (Issayas Afwerki) et le premier ministre éthiopien (Meles Zenawi) à l’instigation du président algérien (Abdelaziz Bouteflika). L'accord permit l'envoi de la Mission des Nations unies en Éthiopie et en Érythrée (MINUEE), forte de 4200 hommes et de 200 observateurs.

Depuis l'indépendance, le pays est toujours dirigé par les anciens leaders du Front populaire de libération de l’Érythrée, lequel a combattu l'Éthiopie pendant trente ans. C'est aujourd'hui un État à parti unique (FPLE ), car aucun autre parti n’a le droit d’exister. Aucune élection nationale n’a été tenue depuis que l’Érythrée s'est libérée de l’Éthiopie en 1993; les élections de 1997 ont été annulées à la suite de la guerre de frontière avec l’Éthiopie; elles l’ont encore été en 2001, deux ans après la fin de la guerre. Le gouvernement a régulièrement annoncé qu’il tiendrait des élections, mais jamais aucune date n’a été fixée. Dans les faits, aucune élection n’a été organisée depuis l’indépendance et toute opposition y est brutalement réprimée.

Le chef du gouvernement était Assayas Aferweki, un chrétien qui a pris soin d'inclure des musulmans parmi ses ministres. La politique érythréenne reste entièrement dominée par les relations avec l'Éthiopie. En 2003, l’Éthiopie a annoncé qu’elle rejetait la décision de la commission indépendante sur le problème des frontières, en grande partie parce qu’elle accordait à l’Érythrée le village de Badmé, point déclencheur de la guerre. Le gouvernement érythréen s’est servi de la possibilité du renouvellement du conflit comme justification du report de nouvelles élections et du prolongement du service militaire. Bref, l'Érythrée demeure un État en sursis, encore englué dans des habitudes totalitaires.

Sous prétexte de défendre l'intégrité de l'État, le régime impose à tous les citoyens un «service national» d'une durée d'un an. En réalité, les Érythréens sont recrutés de force dès l'âge de 18 ans et se retrouvent à servir indéfiniment dans des conditions inhumaines. Les dirigeants ont établi un système de contrôle omniprésent; de lourdes conséquences s'abattent sur ceux qui adoptent des comportements jugés «déviants», dont l'incarcération à perpétuité ou la mort. Depuis 2001, le gouvernement érythréen a supprimé la presse libre en fermant tous les journaux indépendants et en réduisant les journalistes au silence par la détention et la torture. Beaucoup de journalistes sont disparus. Depuis, seule l’information favorable au gouvernement est accessible dans le pays. Dans les tribunaux, les juges sont nommés ou congédiés selon la volonté du président. Ils sont dirigés dans leurs actions et influencés dans leurs décisions par les membres du parti au pouvoir et de l'armée. Il n'y a plus d'assemblée parlementaire et il n'y a pas d'État de droit en Érythrée. Le pays demeure sous le contrôle d'un régime totalitaire dont les crimes n'ont malheureusement rien d'une fiction.

En juin 2016, une commission d’enquête de l’ONU révélait que le régime érythréen était l’un des plus répressifs au monde; le 21 juin, la Commission a accusé l'État érythréen de «crimes contre l’humanité» à grande échelle: «Des crimes contre l’humanité ont été commis de manière générale et systématique en Érythrée.» Ces crimes contre l’humanité concernent l’esclavage, la torture, les privations de liberté, les disparitions forcées, la persécution, le viol et le meurtre. Le rapport souligne que «les Érythréens font face à un service national illimité, à des détentions arbitraires, à des discriminations basées sur la religion ou l’ethnie, à des violences sexuelles et à des meurtres».

Évidemment, cette situation est propice à l'exode des populations civiles. En effet, les Érythréens fuient par milliers leur pays qui est dirigé par une main de fer depuis 1993 par le président Issayas Afeworki. Seulement en 2015, plus de 47 000 Érythréens ont demandé l’asile en Europe; ceux-ci trouvent surtout refuge en Suède, en Allemagne, en Suisse et aux Pays-Bas. Avec un revenu annuel moyen de 490 $ (ou 432 €) par habitant en 2013 (selon la Banque mondiale), l’Érythrée est l’un des pays les plus pauvres du monde et les revenus de la diaspora constituent une aide cruciale. Non seulement l'Érythrée demeure l'un des plus pauvres du monde, il est aussi l’un des pays les plus corrompus de la planète.

4 La politique linguistique de l'Érythrée

Juridiquement parlant, il n'y a aucune langue officielle en Érythrée, bien que le tigrina, l'arabe et l'anglais soient couramment utilisés par le gouvernement comme «langues de travail». L'utilisation et le développement de chacune des langues érythréennes (tigrina, tigré, afar, saho, kunama, bedawi, bilen, nara et arabe hijazi) sont encouragés au niveau local, et les enfants reçoivent en principe leur instruction à l'école primaire dans leur langue maternelle.

4.1 La question des langues officielles

Le paragraphe 3 de l'article 4 de la Constitution du 24 mai 1997 précise bien que toutes les langues sont égales en Érythrée:

Article 4
Les symboles nationaux et les langues

1) Le drapeau érythréen compte des couleurs vertes, rouges et bleues avec des feuilles d'or olives placées au centre. La description exacte du drapeau sera déterminée conformément à la loi.
2) L'Érythrée a un hymne national et un blason reflétant convenablement l'histoire et l'aspiration de ses citoyens. Les détails de l'hymne national et du blason seront déterminés conformément à la loi.
3)
L'égalité de toutes les langues érythréennes est garanti.

Cette disposition constitutionnelle signifie qu'il n'existe pas de langue officielle en Érythrée, puisque toutes les langues nationales sont égales et que le statut d'officialité privilégierait l'une d'elles. Le tigrina a ainsi perdu son statut de «langue officielle» pour celui de «langue de travail» du gouvernement, avec l'arabe et l'anglais.

Le statut du tigrina et de l'arabe est multiple, car ces langues constituent à la fois des langues nationales et des langues véhiculaires. L'anglais n'est pas une langue nationale, mais il a acquis le statut de langue internationale. L'arabe est, lui aussi, un moyen de communication international à une échelle plus réduite, celle du monde arabe. De plus, le tigrina et l'arabe jouissent d'un prestige lié à la religion. Rappelons que si l'arabe reste la langue du Coran, le tigrina est la langue liturgique qui remplace le guèze dans les offices religieux chrétiens (coptes). C'est pourquoi, à des degrés divers, ces deux langues ont joué un rôle important dans la construction de l'identité nationale. En réalité, seuls le tigrina et l'arabe sont couramment utilisés dans l'administration de l'État, ainsi que dans les les milieux culturels et universitaires, bref, tout ce qui concerne les relations entre les citoyens et l'État.

Les autres langues nationales (tigré, afar, saho, kunama, bedawi, bilen et nara) sont utilisées pour la communication entre les membres de la famille, de la même communauté ou de la même ethnie; dans les régions, ces langues sont également employées dans les textes administratifs et politiques. En somme, le fait d'adopter une politique de multilinguisme particularise l'Érythrée, car la défense des cultures et des langues régionales constitue, un peu comme en Éthiopie et en Afrique du Sud, des cas d'exception en Afrique.

L'égalité des langues suppose l'égalité des citoyens. L'article 14 suit logiquement cette même disposition en en interdisant toute discrimination à propos de la langue (paragraphe 2):

Article 14
L'égalité selon la loi


1) Tous sont égaux devant la loi.
2) Nul ne peut être victime de discrimination fondée sur la race, l'origine ethnique,
la langue, la couleur de la peau, le sexe, la religion, une incapacité, l'opinion politique ou le statut social ou économique, ou tout autre facteur inapproprié.
3) L'Assemblée nationale, conformément aux dispositions du présent article, adoptera les lois pouvant contribuer à l'élimination des inégalités existant dans la société érythréenne.

Cette politique d'égalité entre les langues est celle du FPLE (Front populaire de libération de l'Érythrée). L'objectif est de lutter contre la discrimination et garantir l'usage de la langue maternelle afin de permettre la transmission de la culture des communautés et favoriser le développement du sentiment d'identité culturelle. Le problème, c'est de transposer ce principe d'égalité dans la réalité, car dans les faits il n'est pas vrai que toutes les langues soient égales. Le tigrina, par exemple, bénéficie d'avantages considérables sur les autres langues.

Néanmoins, le texte de la Constitution, initialement rédigé en tigrina, en arabe et en anglais, est également disponible en tigré, en saho et en afar, et des versions en d'autres langues seraient en préparation; l'hymne national a également été traduit en plusieurs langues nationales.

4.2 Les droits linguistiques en matière de justice

Lorsque des citoyens érythréens sont détenus, ils ont le droit d'être informés, dans une langue qu'ils comprennent, des motifs de leur arrestation ou de leur détention (art. 17 de la Constitution):

Article 17
Arrestation, détention et procès juste


[...]

3) Quiconque est arrêté ou détenu sera informé, dans une langue qu'il comprend, des raisons de son arrestation ou de sa détention ainsi que les droits dans lesquels il est en rapport avec son arrestation ou sa détention.

Le plus souvent, la cour utilise le tigrina ou l'arabe, mais elle permet aussi le recours à des interprètes lorsque les circonstances l'exigent.

4.3 Les langues de l'Administration

Les langues de l'Administration en Érythrée correspondent aux «langues de travail». C'est généralement le tigrina et l'arabe, rarement l'anglais. Au plan régional, les autres langues nationales telles que le tigré, l'afar, le saho, le kunama, le bedawi, le bilen et le nara sont également utilisées pour les services oraux aux citoyens, ainsi que dans les textes administratifs et politiques «de proximité». Toutefois, beaucoup d'Érythréens non tigrinaphones ont appris le tigrina au contact des fonctionnaires résidant dans leur région. Le long de la côte, c'est l'arabe qui sert de langue de communication entre les musulmans parlant une autre langue maternelle, que ce soit une langue sémitique, une langue couchitique ou une langue nilo-saharienne.

4.4 Les langues de l'éducation

L'Érythrée est engagée dans la voie du multilinguisme stratégique. L'expansion et la consolidation des langues maternelles dans le système scolaire ont constitué une dimension importante, peu importe la taille de la population et le nombre des locuteurs des langues. Il a paru nécessaire de dispenser l'enseignement dans leur langue à toutes les communautés, même dans les plus petites langues minoritaires telles que le kunama (3,9 %), le bedawi (3,3 %), le bilen (1,9 %), le nara (1,7 %) et l'arabe hijazi (1 %). À la suite du programme scolaire appliqué par le Front populaire de libération de l'Érythrée (FPLE) pendant la guerre d'indépendance, des programmes d'enseignement des langues nationales ont été mis en place. Au département du Curriculum Branch, plusieurs équipes de spécialistes de toutes les langues nationales ont eu pour tâche de mener à bien ce projet qualifié d'ambitieux. Il fallait également mettre au point des alphabets pour les langues non écrites, sans oublier l'établissement de méthodes d'enseignement appropriées et la formation des maîtres. Lors d'un colloque tenu en janvier 2000, une charte, The Asmara Declaration on African Languages and Literatures, a été adoptée: elle précise notamment que chaque enfant africain a «le droit inaliénable d'être scolarisé et d'apprendre dans sa langue maternelle». Effectivement, il existe des écoles primaires pour toutes les langues (sauf en dahlik), comme en fait foi ce tableau du ministère érythréen de l'Éducation:

Écoles en langue maternelle et distribution des élèves par région en 1998/1999

 Région

Tigré

Arabe

Tigré
/arabe

Tigrina

Tigrina
/arabe

Tigré
/tigrina

Bilen

Bilen
/arabe

Bilen/ Tigrina

Afar

Afar
/arabe

Saho

Kunama

Kunama
/tirgrina

Nara

Nara/ arabe

TOTAL

Maekel

 105

  4

   -

   1

    -

    -

  -

  -

    -

  -

   -

   -

     -

     -

    -

   -

  110

Semien-Keih-Bahri

  17

 12

   -

  20

    8

    -

  -

  -

    -

  1

   6

   -

     -

     -

    -

   -

    73

Dbub-Keih-Bahri

  3

 11

   -

   -

    -

    -

  -

  -

    -

 1

   6

  -

      -

     -

   -

   -

    21

Gash-Barka

 48

 20

   4

   5

   19

    -

  -

  -

    -

  -

   -

  1

   16

    2

   1

   6

  122

Anseba

 26

 11

   -

   23

   -

    1

  5

  3

   20

  -

   -

   -

     -

    -

   -

   -

    89

Debub

 162

   -

   -

   -

   -

    -

  -

  -

    -

  -

   -

  15

     -

    -

   -

   -

  187

Total

 347

 74

   4

  48

  27

    1

  5

  3

   20

  2

  13

 32

   16

    2

  1

   6

  602

En principe, la tendance est de d'enseigner dans la langue maternelle de l'enfant dès la première année du primaire. Toutes les langues nationales sont enseignées (sauf en dahlik)! De plus, un second principe a été retenu par le gouvernement: l'enseignement d'une langue seconde. Cela signifie que tous les élèves connaîtront, outre leur propre langue, l'une des deux «langues de travail» de l'État : le tigrina ou l'arabe.

Mais la question des langues d'enseignement dans les écoles n'est pas si simple, car il faut compter sur deux difficultés majeures:

1) Le manque de ressources humaines:

Depuis l'indépendance et la guerre contre l'Éthiopie, de nombreuses écoles ont été privées d'enseignants dans certaines langues. Souvent, il est impossible de trouver des professeurs qualifiés dans toutes les langues nationales. Il a alors fallu se rabattre sur la langue seconde pour certaines petites langues telles que l'afar et le nara.  Il faut ajouter aussi la pénurie de manuels et d'équipements pédagogiques, qui constituent d'autres facteurs pouvant nuire à l'apprentissage dans la langue maternelle.

2) L'inégalité de fait des langues nationales:
 
Celles-ci ne jouissent pas d'un égal prestige auprès de leurs propres locuteurs. Certaines communautés ont même tendance à déprécier leur propre langue et préfèrent qu'on dispense pour leurs enfants un enseignement dans une autre langue. Des parents vont, par exemple, demander que leurs enfants reçoivent leur instruction en trigina ou en arabe, des langues plus prestigieuses.

De façon générale, les communautés urbaines et souvent multilingues préfèrent les langues comportant un statut plus élevé comme le tigrina, l'arabe ou l'anglais. Dans les communautés rurales et unilingues, la langue maternelle de la région semble encore dominer. Néanmoins, beaucoup d'écoles ne comptent que fort peu d'élèves. D'après des sources du ministère érythréen de l'Éducation, 36,7 % des écoles primaires dénombrent de petites populations d'élèves, c'est-à-dire moins de 250.

Il n'en demeure pas moins que cet effort dans les établissements d'enseignement primaires en plusieurs langues nationales est rare en Afrique, où le plus souvent ces langues sont laissées pour compte. Les études ont démontré que le taux de réussite scolaire des élèves était supérieur lorsqu'ils recevaient leur instruction dans leur langue maternelle. Par ailleurs,  il semble y avoir une corrélation entre la maîtrise des habiletés langagières dans la langue maternelle et l'acquisition d'une langue seconde.

Dans les écoles secondaires, la situation semble différente. En effet, le tigrina et l'anglais restent, sauf exception, les seules langues d'enseignement. L'anglais tend même à remplacer progressivement le tigrina et est devenu la langue étrangère de premier choix.

Depuis 2003, les écoliers doivent passer la dernière année de leur cycle dans le camp militaire de Sawa, à l’ouest de l’Érythrée. Le commandant du camp a affirmé que les étudiants sont considérés comme des membres des Forces de défense érythréennes. Le gouvernement utilise parfois le service militaire comme une récompense pour avoir critiqué les politiques du gouvernement. Tous les Érythréens âgés entre 18 et 45 ans doivent accomplir, durant deux ans le service militaire obligatoire; Dans la pratique, la durée du service est très souvent prolongée. L'armée n'hésite pas non plus à effectuer des «nettoyages» dans certaines établissements d'enseignement afin de «rafler» ceux qui tenteraient de se dérober du service militaire. Beaucoup de jeunes filles font partie du recrutement.

4.4 Les langues des médias

L'Érythrée est présentement le seul pays du continent africain et l'un des rares dans le monde à ne pas avoir de presse privée. Si l'on fait exception des radios internationales captées dans certaines régions, l'État reste le seul fournisseur des informations. Il contrôle la télévision, la radio et les quelques journaux du pays. La marge de manœuvre des journalistes des médias ainsi étatisés est inexistante. La plupart des journalistes ne font que relayer la propagande du pouvoir en place, car aucune critique du gouvernement n'est tolérée.

C'est en septembre 2001, que les journaux privés de l’Érythrée ont annoncé qu’ils publiaient leur dernier numéro, après avoir reçu du gouvernement l’ordre de cesser leurs activités. Le président érythréen avait ordonné cette mesure dans le cadre d’une vague de répression contre la «dissidence». Le directeur de la télévision publique avait expliqué à l’antenne que «les médias privés ont eu le temps de corriger leurs erreurs» et qu’ils «mettaient en péril l’unité du pays». L’Érythrée s'est retrouvée sans presse privée. Seuls les médias de l’État ont conservé le droit de parole, mais ils sont étroitement contrôlés par le régime. Tous les journalistes ayant échappé aux arrestations de septembre 2001 ont fui le pays pour trouver refuge à l'étranger. En septembre 2002, le secrétaire national du parti au pouvoir affirmait, lors d'une visite en Arabie Saoudite, que le gouvernement érythréen se préparait à juger les journalistes emprisonnés «pour trahison».

Il n'existe pas beaucoup de journaux en Érythrée et ils appartiennent tous au gouvernement ou au parti au pouvoir: Hadas Eritrea, Eritrea Profile, Tirigta et Geled. Ces journaux sont publiés en anglais, en tigrina et en arabe. L'Eritrera Profile est diffusé en anglais le samedi, en tigrina et en arabe les autres jours.


En anglais

En arabe

En tigrina

Il existe des journaux locaux (hebdomadaires ou mensuels), généralement imprimés dans toutes les langues nationales (à l'exception du dahlik).

Pour ce qui est des médias électroniques, le gouvernement possède la télévision nationale TV ERI et différentes stations radiophoniques locales. TV ERI émet en tigrina, en tigré et en arabe. La station d'émission The Voice of the Broad Masses of Eritrea émet d'Asmara en 11 langues, dont le tigrina, l'arabe, le tigré, le kunama, le saho, l'afar, l'amharique et l'oromo. Dimtsi Hafash émet en arabe et en tigrina, alors que Radio Zara le fait en tigrina et en amharique. Il existe aussi une programmation éducative spécialisée pour l'alphabétisation aux adultes; elle est diffusé en tigrina et en arabe.

En dépit de la guerre, des déplacements de populations, des problèmes économiques, etc., l'Érythrée pratique une politique de multilinguisme hors du commun, surtout dans le contexte d'un continent comme l'Afrique. En ce sens, il s'agit d'une politique de sauvegarde et de promotion des langues nationales que l'on peut qualifier de courageuse. Malheureusement, le pays ne s'est pas encore débarrassé de son passé socialiste et marxiste-léniniste; le discours communiste semble disparu, mais les attitudes totalitaires ont persisté, notamment dans les médias et le service militaire.

Par ailleurs, la politique égalitariste ne peut faire fi des faiblesses inhérentes aux petites langues et empêcher les langues plus prestigieuses (tigrina, arabe et anglais) de poursuivre leur expansion et leur domination. Néanmoins, les efforts pour valoriser les autres langues méritent une certaine admiration, même si les résultats pourraient laisser à désirer. 

Dernière mise à jour: 28 sept. 2023
 

Bibliographie

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FONTRIER, M., La chute de la junte militaire éthiopienne (1988-1991), Paris, L’Harmattan, Peiresc, 1999.
 
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SIMEONE-SENELLE, Marie-Claude. «Les langues en Érythrée», dans Chroniques yéménites 2000, publications du CFEY. 
 
TADESSE, T., Church and State in Ethiopia, 1270-1527, Oxford, Oxford University Press, 1972.
 
THOMPSON, E.D. «Languages of Northern Eritrea» dans The Non Semitic Languages of Ethiopia, M. L. Bender (éditeur), East Lansing, African Studies Center, Michigan State University, 1976, p. 597-603.

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