République populaire de Chine

Région autonome du Tibet

(Chine)  

 

Capitale:  Lhassa
Population: 3,2 millions (2020)
Langue officielle: chinois (putonghua) et tibétain

Groupe majoritaire:
tibétain (90 %)
Groupes minoritaires: chinois (8 %), monba (0,3 %), luoba (0,3 %), xarba, deng, sherpa
, naxi, nu, tu, mandchou, miao, mongol, bai, etc.
Système politique: région autonome
Articles constitutionnels (langue):
art. 4, 19 et 134 de la Constitution de 1982
Lois linguistiques: Règlement sur l'usage administratif des cantons ethniques (1993)
; Règlement sur le travail des minorités ethniques dans les villes (1993); Loi sur la langue et l’écriture communes nationales (2001).
Lois à portée linguistique:
Loi sur l'autonomie des régions ethniques (2001-2015, en vigueur)
;
Loi sur la procédure administrative (1990); Règlement sur l'éradication de l'analphabétisme (1988-1993); Loi sur la carte d'identité de résident (2003); Loi organique sur les tribunaux populaires (2010); Loi sur le patrimoine culturel immatériel (2011); Loi sur la procédure pénale (2012); Loi sur l'éducation (2015); Loi sur la procédure civile (1991-2017); Loi sur l'enseignement obligatoire (2018); Loi sur la fonction publique (2018); Code civil (2020); Règlement détaillé pour la mise en œuvre de la loi sur l'enseignement obligatoire (2020); Loi sur la radio et la télévision (2021); Règlement d'application de la Loi sur la promotion de l'enseignement privé (2021); Esquisse pour le développement des enfants en Chine (2021-2030); Loi organique des assemblées populaires locales et des administrations populaires locales à tous les niveaux (2022).
Réglementation locale: Règlement sur l'apprentissage, l'usage et le développement de la langue tibétaine dans la Région autonome du Tibet (1987-2002);
Règlement intérieur de l'Assemblée populaire de la région autonome du Tibet (2005); Mesures pour la mise en œuvre de la Loi sur l'enseignement obligatoire dans la Région autonome du Tibet (2008); Règlement sur l'administration de la protection du patrimoine culturel du palais du Potala (2019)
 

1. La situation géographique et administrative

Tibet Le Tibet (en chinois: Xizang ; en tibétain: peu), est l'une des cinq régions autonomes de la République populaire de Chine depuis 1965. Cette région est située au sud-ouest de la Chine et elle est limitée au nord par la Région autonome ouïghoure du Xinjiang et la province du Qinghai, à l’est par la province du Sichuan, au sud-est par la province du Yunnan et la Birmanie, au sud par l’Inde, le Bhoutan et le Népal, et à l’ouest par l’Inde. Le Tibet couvre une superficie totale de 1,2 million de kilomètres carrés (Chine: 9,5 millions de kilomètres carrés), ce qui représente 12,8 % de la superficie totale de toute la Chine, mais l'équivalent de quatre fois la France. Lhassa est la capitale (902 500 habitants en 2015) de la région autonome et l’ancienne capitale politique du Tibet ancien.

Le Tibet est à 4000 mètres au-dessus du niveau de la mer et la température moyenne annuelle est inférieure à 0° C, ce qui rend la région quelque peu inhospitalière pour les gens peu habitués à ce genre de climat. La superficie du Tibet actuel (Région autonome du Tibet) est de 1,2 million de kilomètres carrés.

1.1 Le Tibet historique

Si la superficie de l'actuel Tibet compte une superficie de 1,2 million de kilomètres carrés, celle du Tibet historique en comptait 2,5 millions. Bien que débuté en 1912, le redécoupage administratif imposé par la Chine sur le Tibet après 1950 a diminué de moitié l'ancien territoire tibétain. Pour la plupart des Tibétains, «leur» Tibet est celui du Grand Tibet, celui auquel réfère généralement le dalaï-lama, mais pour les Chinois le Tibet renvoie invariablement à la Région autonome du Tibet (RAT); ils ont intérêt à faire oublier les amputations qu'a subies graduellement le Grand Tibet depuis 1912.

Le Tibet historique ou le Grand Tibet comptait quatre provinces: l'U-Tsang, l'Amdo, le Kham et le Ngari.  Mais depuis 1912, les frontières du Tibet ont été progressivement redéfinies par les autorités chinoises. Aujourd'hui, seule la province de l'U-Tsang, avec une petite partie du Kham, constitue la Région autonome du Tibet. L'ancienne province d'Amdo fait maintenant partie de la province chinoise de Qinghai, et le Kham a été divisé et incorporé aux provinces du Gansu, du Yunnan et du Sichuan.

1.2 La Région autonome du Tibet

Rappelons les cinq régions autonomes «égales en statut à la province»:

Nom
de la région autonome

Date
de fondation

Capitale
régionale

Superficie
(km2)

Population
en 2015

Ethnie
majoritaire 2020

Ethnies
 minoritaires


Région autonome de Mongolie intérieure
 


1er mai 1947


Hohhot


1 197 547


24,7 millions


Hans (79%)


Mongols
(17%), Mandchous (2%), Hui (0,9%), Daur (0,3%)

Région autonome zhuang du Guangxi
 


15 mars 1958


Nanning


237 693


50,1millions


Hans
(62%)

Zhuangs (32%), Yao (3%, Hmong (1%), Dong (0,7%), Gelao (04%)

Région autonome du Tibet
 

1er septembre 1965


Lhassa


1 228 400


3,2 millions


Tibétains (90,0%)

Hans (6,1 %), Hui (0,3 %), Monba (0,3 %), autres (0,2 %)

Région autonome du Ningxia
 

25 octobre 1958


Yinchuan


62 818


6 millions


Hans (79 %)


Hui (20 %), Mandchous (0,4 %)

Région autonome ouïghoure du Xinjiang

1er octobre 1955


Urumqi


1 655 826


24,8 millions


Ouïghours (45 %)

Hans (41 %), Kazakhs (7 %), Hui (5 %), Kirghizes (0,9 %), Mongols (0,8 %), Dongxiang (0,3 %), Tadjiks (0,2 %), Xibe (0,2 %)

En principe, le statut de régions autonomes s'applique aux provinces comptant historiquement d'importantes minorités nationales, telles que les Hui (le Ningxia), les Mongols (la Mongolie intérieure), les Zhuangs (le Guangxi), les Tibétains (le Tibet) et les Ouïghours (le Xinjiang). En plus de ces cinq régions autonomes, la Chine compte aussi 30 départements autonomes et 124 cantons autonomes et, dans certains cas, des districts autonomes. En principe, les régions autonomes s'occupent de leurs affaires intérieures, le pouvoir central chinois se réservant généralement la défense, les affaires étrangères et une foule d'autres prérogatives. Les matières suivantes sont réglementées par la province ou la région autonome: l'éducation, la santé publique, les industries et communications provinciales, l'administration et la mise en vente des propriétés de la province, l'administration des municipalités sous juridiction provinciale, les coopératives provinciales, l'agriculture et les forêts, la conservation des eaux, la pêche et l'élevage, etc.  Dans les faits, les régions autonomes n'ont qu'une faible marge de manœuvre, car les autorités chinoises demeurent omniprésentes.

1.3 Les départements tibétains

Dans la plupart des ouvrages portant sur les structures administratives de la Chine, on emploie le terme de «préfecture» (traduit de l'anglais) au lieu de «département», terme plus «français» et mieux adapté dans ce contexte. Le Tibet est divisé entre six départements et une municipalité (Lhassa) qui a rang de département. Les départements sont à leur tour divisés administrativement en plus de 70 districts. Rappelons que la Chine compte cinq régions autonomes «égales en statut à la province»: la Mongolie intérieure, le Guangxi, le Tibet, le Ningxia et le Xinjiang.

Comme l'illustre la carte ci-dessous, la Région autonome du Tibet compte, outre la ville de Lhassa, les départements suivants: le département de Ngari, le département de Xigazé, le département de Nagchu, le département de Lhoka (ou Shannan en mandarin), le département de Nyingchi et le département de Qamdo.

Région autonome du Tibet Total %
Total (2020) 2 616 329 100,0 %
Département de Xigazê    634 962 24,2 %
Département de Qamdo    586 152 22,4 %
- Ville de Lhassa    474 499 18,1 %
Département de Nagchu    366 710 14,0 %
Département de Shannan    318 106 12,1 %
Département de Nyingchi    158 647   6,0 %
Département de Ngari      77 253   2,9 %

Les départements les moins populeux abritent des populations montagnardes avec un climat rigoureux avec une moyenne d'environ −3° C pour le mois le plus froid à +16° C pour le mois le plus chaud. De plus, ces régions se trouvent généralement à plus ou moins 4000 mètres au-dessus du niveau de la mer, ce qui limite les possibilités d'immigration à ces niveaux d'altitude.

Chacun des départements comprend des subdivisions, dont des districts autonomes et des cantons autonomes:

Département Chef-lieu Districts sous juridiction
Municipalité
de Lhassa
Ville de Lhassa Chengguan, Lhunzhub, Damxung, Nyemo, Quxu, Doilundeqen, Dagze, Maizhokounggar.
Département
de
Nagchu
Nagqu Nagqu, Jiali, Biru, Nyainrong, Amdo, Xainza, Palgon, Baqen, Nyima, Sog, Shuang-hu (région administrative spéciale).
Département
de Qamdo
Qamdo Qamdo, Jomda, Gonjo, Riwoqe, Dingqen, Chagyab, Paksho, Zogang, Markam, Lhorong, Banbar.
Département
de Nyingchi
Bayi Nyingchi, Gongbogyamda, Miling, Medog, Bomi, Zayu, Nang.
Département
de Lhoka (Shannan)
Zetang Nedong, Zhanang, Gonggar, Sangri, Qonggyai, Qusum, Ceme, Loca, Gyaca, Lhunze, Co Nag, Nanggarze.
Département
de Xigazê
Xigazê Ville de Xigazê, Namling, Gyangze, Tingri, Sagya, Lhaze, Ngamrin, Xaitongmoin, Bainang, Rinbung, Kangmar, Dinggy, Dongpa, Yadong, Kyirong, Nylam, Saga, Kamba, Port Zham.
Département
de Ngari
Shiquanhe Gar, Burang, Zanda, Rutog, Gelgyai, Gyaize, Coqen.

Cependant, les Tibétains ne résident pas seulement dans la Région autonome du Tibet, mais également dans quatre provinces chinoises.

1.4 Les départements tibétains à l'extérieur de la RAT

La carte ci-contre illustre d'abord les frontières du Tibet historique (en rouge) avant les amputations territoriales du gouvernement chinois. On peut constater qu'il y a des Tibétains dans quatre provinces chinoises (en vert pâle): la province du Gansu, la province du Qinghai (entièrement enclavée dans le Tibet historique), la province du Sichuan et la province du Yunnan. Ces quatre provinces comptent toutes des Tibétains, bien que leur nombre puisse différer.

Ce redécoupage administratif imposé par la Chine sur le Tibet a diminué de moitié l'ancien territoire tibétain ou Tibet historique, ce qui correspond à près de 12,8 de la superficie de la Chine dans ses frontières actuelles (9,6 millions de km²), alors que le Tibet historique équivaudrait à 40% du territoire chinois. Il s'agit donc d'amputations territoriales considérables.

Ainsi, quand on parle du Tibet, il faut comprendre et distinguer, d'une part, la région autonome actuelle, d'autre part, les zones tibétaines à l'extérieur du Tibet. 

Le redécoupage des frontières du Tibet correspond à la distinction plus ancienne entre le «Tibet extérieur» (la Région autonome actuelle) et le «Tibet intérieur» (les provinces orientales actuelles du Qinghai, du Sichuan, du Gansu et du Yunnan).

1. Le canton autonome tibétain de Tianzhu a été annexé par la Chine en 1957pour devenir une subdivision administrative de la province du Gansu; il est placé sous la juridiction de la ville-préfecture de Wuwei.
2. Le département autonome tibétain de Gannan (en chinois) ou de Kanlho (en tibétain) faisait partie de l'ancienne province tibétaine d'Amdo; elle fut réorganisée en tant que préfecture tibétaine autonome de la province chinoise du Gansu en 1958-1964.
3.  Le département autonome tibétain de Ngapa faisait partie de l'ancienne province d'Amdo; elle fut réorganisée comme une préfecture tibétaine autonome de la province chinoise du Sichuan avant 1950.
4.  Le département autonome tibétain de Ganze faisait partie de l'ancienne province tibétaine du Kham; elle fut occupée par les troupes de l'Armée populaire de libération avant que les communistes n'arrivent au pouvoir en 1949. Elle fut réorganisée comme une partie de l'ancienne province du Sikang en 1950-1954. En 1957, le Sikang fut incorporé dans la province du Sichuan en tant que préfecture autonome. 
5. Le canton autonome de Muli ou district autonome tibétain de Muli (32 % de Tibétains) a été annexé par la Chine en 1957 et intégré dans la province du Sichuan. Il est aujourd'hui une subdivision administrative de la province du Sichuan placé sous la juridiction de la préfecture autonome yi de Liangshan. 
6.  Le département autonome tibétain de Dêqên faisait partie de la province tibétaine de Kham; elle fut occupée par troupes de l'Armée populaire de libération avant 1949 et incorporée dans la province du Yunnan.
7. La province du Qinghai fut découpée à partir de la province tibétaine de l'Amdo en 1955. Cette région avait été revendiquée dès 1720 par l'empereur chinois K'ang Hsi; sous le régime du Kuomintang, le général Tchang Kaï-chek avait réclamé lui aussi le territoire, mais ce sont les communistes qui, après 1950, réussirent à faire le suivi de cette revendication chinoise. Cependant, les Tibétains ont toujours refusé de reconnaître les anciennes revendications territoriales.
8. La Région autonome du Tibet correspond à l'ancienne province tibétaine de l'U-Tsang; elle fut proclamée «région autonome» de la Chine en 1965. Les Chinois, lorsqu'ils parlent du Tibet, renvoient invariablement à la Région autonome du Tibet (RAT), laquelle correspond à environ la moitié de la superficie du Tibet historique. La superficie du Tibet actuel  (RAT) est de 1 221 600 km², mais le Tibet historique comptait 2,5 millions de kilomètres carrés. 

1.5 Le drapeau du Tibet

Légalement, le Tibet, en tant que région autonome de la Chine, n'a pas d'autre drapeau que celui de la Chine. Le drapeau qui figure ici à gauche est celui du gouvernement en exil; il fut le drapeau officiel du Tibet entre 1912 et 1949. Ce drapeau a été interdit par la République populaire de Chine après la fuite du 14e dalaï-lama, Tenzin Gyatso, en 1959.

Quiconque au Tibet détient à la maison un drapeau tibétain et/ou un portrait du dalaï-lama est certain de finir ses jours en prison. C'est un acte criminel menaçant la sécurité de l'État chinois!

1.6 Une autonomie factice

Dans un rapport publié en 2002, le Centre pour la justice au Tibet ("Association Tibet Justice Center") concluait que la Région autonome du Tibet (RAT) ne bénéficiait pas d’un statut de réelle autonomie :

The TAR government fails to provide genuine self-rule for Tibetans. The reasons for this are several. First, the TAR government controls few government powers. Even as to those powers, ultimate control rest with the PRC’s central government. Second, the TAR government is controlled by members of the PRC’ Communist Party, many of which are Chinese. Thirdly, the Communist Party’s policies are based on an atheist philosophy which is not compatible with Tibetan culture. The structural set up of the TAR is therefore such that a genuine Tibetan self-governance is virtually impossible.
[Reports, Tibet Justice Center (Eva Herzer); published by Tibetan Parliamentary & Policy Research Centre, New Delhi, India, 2002.]
[Le gouvernement de la RAT n’octroie pas une réelle autogestion aux Tibétains. Il a plusieurs raisons à cet état de fait. Premièrement, le gouvernement de la RAT contrôle peu de pouvoirs gouvernementaux. Même ces pouvoirs sont contrôlés in fine par le gouvernement central de la République populaire de Chine (RPC). Deuxièmement, le gouvernement de la RAT est contrôlé par des membres du Parti communiste de la RPC, dont beaucoup sont des Chinois. Troisièmement, les politiques du Parti communiste sont fondées sur une philosophie athée qui est incompatible avec la culture tibétaine. La base structurelle de la RAT est donc telle qu'une réelle autonomie gouvernementale tibétaine est pratiquement impossible.]
[Reports, Tibet Justice Center (Eva Herzer); published by Tibetan Parliamentary & Policy Research Centre, New Delhi, India, 2002.]

Il ne faut pas se faire d'illusion sur le degré d'autonomie des Tibétains, car la Région autonome du Tibet est administrée directement par le Parti communiste chinois (PCC) à partir de Pékin. Les Tibétains sont soumis à une surveillance intensive dans leur vie quotidienne, avec des caméras de sécurité, des postes de contrôle de la police et des responsables du PCC vérifiant tous les mouvements et activités des Tibétains. Quel que soit le lieu, les manifestants sont obligatoirement arrêtés, emprisonnés et torturés, ils peuvent même être abattus sur place! Dans ces conditions, les prisons au Tibet sont pleines de détenus condamnés pour des actes pacifiques, tels que brandir le drapeau tibétain, appeler au retour du dalaï-lama ou envoyer des informations sur les événements au Tibet à l'étranger. Les condamnations sont sans appel et, lors des procès, les sentences rendues ne respectent jamais les normes internationales de justice. Pour les autorités, il suffit d'accuser les Tibétains de «séparatisme», c'est-à-dire pour des actes destinés à menacer l'État chinois, pour être automatiquement condamnés à des peines pouvant aller jusqu'à la peine de mort.

2. Données démolinguistiques

Lors du recensement chinois de 2000, la Région autonome du Tibet comptait 2,2 millions d'habitants, mais elle avait augmenté à 3,6 millions en 2020 (estimations). Les Tibétains représenteraient l'ethnie majoritaire avec 90,0%. En plus des Tibétains, on trouve d’autres minorités telles que les Luoba, les Menba, les Hans, les Hui, les Deng et les Sherpa. Le tableau ci-dessous indique le pourcentage de la population, selon les estimations de 2020 pour toutes les entités autonomes tibétaines:

Les principaux groupes ethniques par région dans le Grand Tibet (recensement 2020)
 Total Tibétains Chinois Han Autres
Région autonome du Tibet 

3 648 100

3 283 290

90,0 %

291 848

8,0 %

72 962

2,0 %

Source: Ministère des Statistiques de la population, de la société, de la science et de la technologie du Bureau national des statistiques de Chine.

2.1 Les Tibétains de la Région autonome

Le tableau ci-dessous présente la répartition de la population (recensement de 2000) selon les départements de la Région autonome du Tibet (RAT):

Région autonome du Tibet Tibétains Chinois Han Autres
Total (2000) 2 427 168 92,8 % 158 570 6,1 % 30 591 1,2 %
- Ville de Lhassa 387 124 81,6 % 80 584 17,0 % 6 791 1,4 %
Département de Qamdo 563 831 96,2 % 19 673 3,4 % 2,648 0,5 %
Département de Shannan 305 709 96,1 % 10 968 3,4 % 1 429 0,4 %
Département de Xigazê 618 270 97,4 % 12 500 2,0 % 4 192 0,7 %
Département de Nagchu 357 673 97,5 % 7 510 2,0 % 1 527 0,4 %
Département de Ngari 73 111 94,6 % 3 543 4,6 % 599 0,8 %
Département de Nyingchi 121 450 76,6 % 23 792 15,0 % 13,405 8,4 %

On peut remarquer que les Tibétains sont majoritaires dans tous les départements de la RAT, bien que les proportions soient moins élevées à Lhassa (81,6%) et dans le département de Nyingchi (76,6%), car l'arrivée massive de Chinois hans a changé la donne.

En mai 2011, le Tibet comptait trois millions de résidents permanents, en hausse de 14,7% par rapport au recensement de 2000. Selon le Bureau régional des statistiques du Tibet, la population a augmenté à un taux de 1,4%, contre une moyenne nationale de 0,57%. Il faut se rappeler que la politique chinoise de l'enfant unique ne couvre pas les régions autonomes. En 2020, les Tibétains représentent désormais 90,48 % de la population, les Chinois Han 8,0% et les autres groupes de population 2%. Mais les Tibétains affirment que les Chinois hans ont une influence disproportionnée, dominant l'économie de la région et menaçant son identité culturelle.

Cependant, le nombre de Chinois hans qui sont installés au Tibet n'est pas reflété dans ces tanleaux, notamment parce qu'un grand nombre d'entre eux n'entrent pas dans les statistiques officielles : les militaires, les marchands dont beaucoup viennent faire du commerce pendant la période touristique, de mars à novembre, puis repartent chez eux; il faut ajouter à cela les prostituées, car on comptait, juste en 1999, pas moins de 600 bordels à Lhassa. Bien que tous ces gens ne soient pas pris en compte dans les statistiques, ils gens jouent un rôle important dans le processus de sinisation du Tibet.

2.2 Les Tibétains des provinces chinoises

Il est normal de croire que la plupart des Tibétains vivent dans «leur» région autonome, bien que ce ne soit pas le cas. En effet, on compte 3,2 millions de tibétophones dans la région autonome; 1,0 million dans la province du Qinghai (population de 5,9 millions); 1,8 million dans la province du Sichuan (population de 83,6 millions); 117 000 dans la province du Yunnan (population de 48,3 millions) et 329 000 dans la province du Gansu (population de 25,0 millions. Bref, 3,2 millions de tibétophones (53,3%) habitent dans la région autonome pour un total de 6,0 millions, dont 2,7 millions (45,5 %), dans les provinces chinoises.
 
Région Population des tibétophones  Population totale (2000) Pourcentage des tibétophones
Région autonome 3 283 290 3,6 millions 90,0 %
Qinghai 1 086 592 5,9 millions 16,9 %
Sichuan 1 219 085 83,6 millions 1,4 %
Gansu   329 278 25,0 millions 1,3 %
Yunnan   117 099 48,3 millions 0,2 %
Total 6 035 344 166,4 millions 3,6 %

De plus, quelque 300 000 Tibétains habitent dans d'autres provinces du pays, tandis que 2,2 millions de Tibétains résident en Inde, au Népal, au Bhoutan, à Taïwan, aux États-Unis, au Canada, en Australie, etc., pour un total de 8,5 millions de locuteurs du tibétain dans le monde.

- La province du Qinghai

On constate, par exemple, que les Tibétains de la province du Qinghai ne constituent que 22% de la population de l'ancienne province tibétaine de l'Amdo. Les Hans sont majoritaires avec 54 %. Cependant, dans les «préfectures autonomes tibétaines» (Haibei, Huangnan, Hainan, Golog et Gyêgu), ils forment encore des majorités locales:
 

Les groupes ethniques du Qinghai (recensement 2000)
  Total Tibétains Chinois han Autres
Territoires tibétains du Qinghai  4 822 963 1 086 592 22,5 % 2 606 050 54,0 % 1 130 321 23,4 %
- Juridiction de Xining 1 849 713 96 091 5,2 % 1 375 013 74,3 % 378 609 20,5 %
- Département de Haidong 1 391 565 128 025 9,2 % 783 893 56,3 % 479 647 34,5 %
- Département autonome tibétain de Haibei 258 922 62 520 24,1 % 94 841 36,6 % 101 561 39,2 %
- Département autonome tibétain de Huangnan 214 642 142 360 66,3 % 16 194 7,5 % 56 088 26,1 %
- Département autonome tibétain de Hainan 375 426 235 663 62,8 % 105 337 28,1 % 34 426 9,2 %
- Département autonome tibétain de Golog 137 940 126 395 91,6 % 9 096 6,6 % 2 449 1,8 %
- Département autonome tibétain de Gyêgu 262 661 255 167 97,1 % 5 970 2,3 % 1 524 0,6 %
- Département autonome mongol et tibétain de Haixi 332 094 40 371 12,2 % 215 706 65,0 % 76 017 22,9 %


- La province du Sichuan

Dans la province du Sichuan, laquelle a accaparé la moitié de l'ancienne province tibétaine du Kham, les Tibétains sont demeurés majoritaires dans les deux départements tibétains: Ngawa et Garzè:

Les groupes ethniques du Sichuan (recensement 2000)
  Total Tibétains Chinois Han Autres
Territoires tibétains de la province du Sichuan  1 869 169 1 219 085 65,2 % 400 117 21,4 % 249 967 13,3 %
- Département autonome tibétain et qiang de Ngawa 847 468 455 238 53,7 % 209 270 24,7 % 182 960 21,6 %
- Département autonome tibétain de Garzê 897 239 703 168 78,4 % 163 648 18,2 % 30 423 3,4 %
- Canton autonome tibétain de Muli 124 462 60 679 48,8 % 27 199 21,9 % 36 584 29,4 %

- La province du Yunnan

Dans la province du Yunnan, les Tibétains sont minoritaires (33,1%) dans le département autonome tibétain de Dêqên:

Les groupes ethniques du Yunnan (recensement 2000)
 
Territoires tibétains de la province du Yunnan 
- Département autonome tibétain de Dêqên
Total Tibétains Chinois han Autres
353 518 117 099 33,1 % 57 928 16,4 % 178 491 50,5 %

- La province du Gansu
 
Dans la province du Gansu, les Tibétains sont à peine majoritaires (51,4 %) dans le département autonome tibétain de Gannan et minoritaires dans le canton de Tianzhu (29,9%):
 

Les groupes ethniques du Gansu (recensement 2000)
  Total Tibétains Chinois han Autres
Territoires tibétains de la province du Gansu 
- Département autonome tibétain de Gannan (Kanlho)640 106 329 278 51,4 % 267 260 41,8 % 43 568 6,8 %
- Canton autonome tibétain de Tianzhu 221 347 66 125 29,9 % 139 190 62,9 % 16 032 7,2 %

- Le résultat d'une partition (1912-1950)

Il est légitime de se demander pourquoi il y a tant de Tibétains dans les provinces chinoises limitrophes, et pourquoi le Tibet n'englobe pas ces territoires tibétophones. L'explication est relativement simple. Dès 1912, il y eut une partition du Tibet historique à la suite d'une entente tacite entre la république de Chine et le dalaï-lama: celui-ci remettait à d'administration chinoise l'Amdo et le Kham, mais bénéficiait en revanche d'une indépendance de facto dans l'U-Tsang.

Toutefois, en 1950, l’armée de la République populaire de Chine pénétra au Tibet pour «libérer» les Tibétains du servage et de l’influence de l’«impérialisme occidental», surtout britannique. Le Tibet dut abandonner sa souveraineté en 1951 en signant  l'«Accord en 17 points». Ce fut la fin du règne ecclésiastico-nobiliaire et la fin de l’identité et de l’indépendance politique dont jouissaient les Tibétains jusqu'à ce jour.

Depuis 1912, mais surtout depuis 1950, ce redécoupage des frontières a favorisé la minorisation des Tibétains dans les territoires amputés. En effet, dans les quatre provinces jadis sous la juridiction du Tibet en totalité ou en partie — Qinghai, Sichuan, Gansu et Yunnan —, les Tibétains sont devenus très minoritaires: 16,9% au Qinghai, 1,4% au Sicguan, 1,3% au Gansau et 0,2% au Yunnan.

Par ailleurs, beaucoup de Tibétains se sont réfugiés en Inde, notamment à Dharamsala dans l'État de l'Himachal Pradesh, là où vit le 14e dalaï-lama (Tenzin Gyatso), actuellement en exil. La petite ville de Dharamsala (19 000 hab.) est également le siège de plusieurs associations des Tibétains en exil œuvrant pour la liberté du Tibet et le respect des droits de l'homme pour les Tibétains.

- Les micro-autonomies dans les provinces chinoises

Afin de compenser les Tibétains des quatre provinces chinoises pour la perte de leur autonomie, le gouvernement chinois a instauré des départements autonomes tibétains et des cantons autonomes tibétains. De façon générale, les tibétophones peuvent ainsi être majoritaires dans leurs enclaves autonomes, mais cette autonomie est factice dans la mesure où ils n'ont aucun pouvoir.

Une analyse des individus occupant des postes de direction au niveau départemental ou cantonal dans les régions tibétaines indique que, si numériquement les Tibétains ont un certain niveau de représentation, dans la pratique, le pouvoir est profondément réservé aux Chinois. En plus du manque de Tibétains dans les postes du Parti communiste chinois au niveau provincial et départemental, aucun Tibétain ne trouve une place de commandant militaire. Dans toute la Chine, y compris au Tibet, les fonctions les plus stratégiquement importantes ne sont pas entre les mains des Tibétains. Évidemment, cette situation contredit la version officielle adoptée par les dirigeants chinois, affirmant que les Tibétains ont obtenu le droit de participer à l'administration des affaires de l'État, ainsi que l'affirmation selon laquelle un grand nombre de cadres minoritaires sont en postes de direction à tous les niveaux. Certes, il peut arriver que de rares Tibétains puissent diriger une municipalité, mais aucun Tibétain ne doit occuper le porte de poste de secrétaire du PCC à quelque niveau que ce soit.

Depuis la prise de contrôle du Tibet par la République populaire de Chine en 1950, les Tibétains n'ont jamais eu leur mot à dire dans leur gouvernance.


Les amputations du territoire traditionnel tibétain ont eu pour résultat de marginaliser les Tibétains qui vivent à l'extérieur de la région autonome. Cette tendance va s'amplifier considérablement dans les prochaines décennies.

2.3 La langue des Tibétains

La langue des Tibétains est le tibétain qui appartient au groupe tibéto-birman de la famille sino-tibétaine. Selon les régions où ils résident, les Tibétains parlent l'une des trois variétés dialectales suivantes:

1) le tibétain d’Amdo (n° 1) : au nord de la province du Sichuan, à l'est de la province de Qinghai et à l'ouest de la province du Gansu;

2) le tibétain de Kham (n° 2) : au nord du Tibet, au sud de la province de Qinghai, et au nord-ouest de la province du Sichuan;

3) le tibétain de Lhassa ou d'U-Tsang (n° 3) : au sud du Tibet et au nord de la province de Yunnan.

C'est la variété du tibétain de Lhassa, qui sert de langue véhiculaire entre les locuteurs des différentes variétés de tibétain. Le tibétain d'Amdo n'est pas parlé au Tibet, mais à l'extérieur de ses frontières actuelles. Au Bhoutan, le dzongkha, la langue officielle du pays, est apparenté au tibétain.

La langue tibétaine est menacée en Chine, car le mandarin officiel est la langue de l’école et des affaires, tandis que le tibétain est restreint et marginalisé. Les écoliers tibétains se voient également refuser des cours dans leur langue maternelle et sont de plus en plus offerts en mandarin. Les écoles qui enseignent en tibétain sont contraintes de fermer. Environ 800 000 à 900 000 enfants tibétains ont été séparés de leur famille et forcés de suivre une éducation dans des pensionnats coloniaux, où ils sont soumis à l’endoctrinement, une tentative du Parti communiste chinois d’éliminer l’identité nationale des Tibétains
 

- L'alphabet tibétain

Créé au VIIe siècle, le tibétain utilise un alphabet particulier («alphabet tibétain») composé de 30 consonnes et de quatre voyelles ([i], [ou], [é] et [o]. Le son fondamental [a] est inclus dans toutes les consonnes et les autres voyelles sont mentionnées par des accents ou signes diacritiques particuliers. Les syllabes sont séparées par des points et il n'existe aucun espace entre les mots. Le tibétain est une langue à tons, au nombre de trois. Voici l'article 1 de la Déclaration universelle des droits de l'homme:
 

«Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.»

Pour les voyelles au nombre de quatre:

Alphabet tibétain: voyelles

 

 

 

Pour les consonnes:

Consonnes souscrites ou subjointes (lettres empilées):

Les trois consonnes suscrites permettent de modifier le ton ou de supprimer une aspiration, alors que les quatre consonnes souscrites servent à noter des palatales ou des rétroflexes. Cet alphabet correspond à un alphasyllabaire (ou semi-syllabaire ou abugida) inventé par Thonmi Sambhota, un ministre du roi Srong-btsan sgam-po, à partir de l'écriture devanâgarî employée en Inde. Le tibétain demeure l'une des rares langues sino-tibétaines à utiliser encore son écriture d'origine. Ce fait semble s'expliquer par l'isolement géographique du Tibet, ce qui aurait contribué ainsi à limiter les échanges et les influences linguistiques. De plus, les mœurs tibétaines ne paraissent pas propices aux changements.

2.4 Les autres groupes ethniques

Dans la famille sino-tibétaine, il existe deux grands groupes de langues: le groupe chinois et le groupe tibéto-birman. La plupart des petites ethnies parlent des langues du sous-groupe tibétain ou birman, mais d'autres parlent des langues des familles altaïques, hmong-mien ou thaï-kadai.

Ethnie/langue 2003 Pourcentage
(2003)
Sous-groupe de langue
Nombre total2 592 113 100 %-
Tibétains/tibétain 2 464 742 95,0 % tibétain (sino-tibétaine)
Han/chinois 105 379 4,0 % chinois (sino-tibétaine)
Monba/monba 9 584 0,3 % tibétain (sino-tibétaine)
Luoba/luoba 3 565 0,1 % birman (sino-tibétain
Hui/chinois 2 513 0,1 % chinois (sino-tibétaine)
Xarba/xarba 1 645 0,0 % birman (sino-tibétaine)
Deng/deng 1 514 0,0 % birman (sino-tibétaine)
Sherpa/sherpa 1 200 0,0 % tibétain (sino-tibétaine)
Naxi/naxi 1 139 0,0 % tibétain (sino-tibétaine)
Nu/nu 468 0,0 % tibétain(sino-tibétaine)
Tu/tu 249 0,0 % tibétain (sino-tibétaine)
Mandchous/mandchou 243 0,0 % toungouze (altaïque)
Miao/miao 170 0,0 % hmong (hmong-mien)
Mongols/mongol 161 0,0 % mongol (altaïque)
Bai/bai 101 0,0 % tibétain (sino-tibétaine)
Yi/yi 88 0,0 % birman (sino-tibétaine)
Zhuang/zhuang 57 0,0 % kam-thaï (thaï-kadai)
Buyi/buyi 31 0,0 % kam-thaï (thaï-kadai)
Dulong/dulong 30 0,0 % birman (sino-tibétaine)
Lisu/lisu 18 0,0 % tibétain (sino-tibétaine)
Ouïgours/ouïgour 7 0,0 % turcique (altaïque)
Autres 409 0,0 % -

Les Hans, l'ethnie majoritaire chinoise, constituaient en 2020 une minorité de 8,0 % dans la Région autonome du Tibet avec 291 848 personnes (sur un total de 3,6 millions. La plupart vivent dans la capitale, Lhassa. Cependant, dans la province voisine du Qinghai (au nord-est du Tibet), les Hans forment jusqu'à 54% de la population locale, dont 74,3% dans la juridiction de Xinning, 56,3% dans le département de Haidond et 65% dans le département autonome mongol et tibétain de Haixi. La plupart des Hans parlent le chinois mandarin (ou putonghua), mais d'autres s'expriment en wu, en min, en hakka, en cantonais (ou en yu). Quoi qu'il en soit, les Hans parlent tous des langues chinoises de la famille sino-tibétaine, alors que les autres minorités parlent des langues tibéto-birmanes de la même famille.

Les quelque 10 000 Menba dispersés au sud du Tibet vivent surtout dans le département de Nyingchi (districts de Medog, Nyingch et Cona). Leur langue tibéto-birmane est fragmentée en diverses variétés dialectales.

Les Luoba forment un groupe de quelque 3500 individus installés dans le département de Nyingchi (districts de Mainling, Medog, Lhunze et Nangxian) dans le Tibet du Sud-Est. Les Luoba parlent en principe une langue distincte, le luoba, appartenant au groupe tibéto-birman de la famille sino-tibétaine, mais peu d'entre eux connaissent leur langue ancestrale. Comme le luoba n'est pas doté d'écriture, la plupart des Menba ont recourt à l’écriture tibétaine.

On compte environ 2500 Hui au Tibet, ces «Chinois musulmans» vivant principalement à Lhassa, ainsi que dans les villes de Xigazê (département de Xigazê) et Qamdo (département de Qamdo). Ils sont généralement bilingues, parlant généralement le chinois mandarin et le tibétain dans leurs activités quotidiennes; ils connaissent aussi l'arabe coranique pour les activités religieuses.

Les Xarba sont une petite communauté de 1600 membres vivant dans le sud du département de Nyingchi, près de la province du Sichuan. Le xarba est une langue tibéto-birmane.

Les Sherpa, au nombre d'environ 1200, parlent le sherpa, une langue tibéto-birmane dérivée du tibétain. Ils résident habituellement dans le district de Solukhumbu.

Les Naxi du Tibet vivent dans le sud-est dans le département de Nyingchi; ils possèdent leur propre système d'écriture. La majorité des 300 000 Naxi habitent surtout dans les provinces du Yunnan et du Sichuan. Au Tibet, les Naxi ne sont que 1140 et parlent une langue tibéto-birmane.

Il existe aussi d'autres plus petites minorités tibéto-birmanes telles les Tu, les Mandchous, les Miao, les Mongols, les Bai, les Yi, les Zhouang, les Buyi, les Dulong, les Lisu et les Ouïghours.

Les Tibétains et les autres minorités ethniques vivant au Tibet, comme les Monba, les Lhoba, les Hui, les Dengpa et les Sherpa, utilisent tous la langue tibétaine, à l'exception d'un très petit nombre de cadres, d'ouvriers et d'employés de commerce des Hans et d'autres groupes ethniques qui viennent au Tibet des provinces intérieures. Les étrangers ne comprennent généralement pas la langue tibétaine; les personnes du continent qui viennent au Tibet utilisent le mandarin de manière uniforme, quelle que soit leur appartenance ethnique. Les fonctionnaires de l'État et le personnel scientifique et technologique des Tibétains et des autres minorités ethniques vivant au Tibet doivent utiliser le mandarin avec compétence et vivre dans les villes et les villages. Les Tibétains vivant dans les régions du nord-est et du sud-est du Tibet près du Qinghai, du Sichuan et du Yunnan peuvent parler un peu de mandarin avec l'accent des provinces voisines ; la plupart des intellectuels de niveau intermédiaire et supérieur ont appris un peu l'anglais, mais, quelle que soit leur nationalité, il y a très peu de gens qui peuvent vraiment comprendre et parler l'anglais, et il n'y a qu'une poignée de locuteurs qui utilisent l'anglais comme outil de travail.

3. Données historiques

On ignore généralement l'histoire très ancienne du Tibet. Certaines découvertes laissent croire que le territoire fut très tôt habité par des nomades parvenus entre 14 000 et 8000 avant notre ère. Dès la fin du VIe siècle, on croit que le Tibet aurait été divisé en principautés qui furent réunies sous l’autorité du roi Namri Songsten (570-619). Son fils, Songtsen Gampo (610-649), poursuivit l’œuvre d’unification du pays et introduisit le bouddhisme. C'est à cette époque que fut fondée Lhassa avec son plus ancien sanctuaire bouddhiste, le Jokhang. L’écriture tibétaine fit son apparition vers le VIIe siècle sous le règne de Songtsen Gampo.

Le siècle suivant fut marqué par une politique d’expansion militaire parsemée de conflits avec les populations frontalières de l’Inde, du Népal et de la Chine. En 763, sous le règne de Trisong Detsen (742-797), les forces tibétaines envahirent la Chine. Devenu un empire, le Tibet marcha même sur Xi’an, la capitale de la Chine et, en 763, la mirent à sac; rien ne semblait pouvoir arrêter les armées tibétaines.

3.1 La souveraineté mongole et le lamaïsme

Au IXe siècle, l'empire du Tibet entra dans une période obscure et l’unité du pays se désagrégea. Le Tibet étant en proie aux troubles intérieurs, son autorité fondée sur un pouvoir absolu et sans partage s’effrita. Puis le Tibet perdit le Turkestan oriental au nord en 860 et le Népal au sud en 879. Les armées tibétaines se réduisirent progressivement. Le pouvoir central s’effaça au profit des seigneurs féodaux, de sorte que la féodalité et la théocratie tibétaine se mirent en place. L’Empire tibétain s’effondra sur lui-même et sombra dans un long sommeil, qui allait durer jusqu’au XIe siècle.

En 1240, des forces mongoles attaquèrent plusieurs monastères tibétains. En 1247, le grand lama Sakyapa gagna la sympathie de l’empereur mongol Godan qui le désigna comme vice-roi chargé des affaires séculières du Tibet. Sous l'influence de Kubilaï Khan (1215-1294), le fondateur de la dynastie Yuan se convertit au bouddhisme, tandis que l’administration de la région fut  réorganisée. Le Tibet reprit son indépendance après la chute de la dynastie Ming en 1368.

Divers monastères rivaux tentèrent de s’emparer du pouvoir détenu par les lamas qui occupaient les fonctions de vice-roi. Un gouvernement séculier fut restauré pendant une brève période au XVe siècle. Le moine réformateur Tsong-kha-pa (1357-1419) fonda l’ordre religieux des Gelugpa. En 1578, le prince mongol Altan accorda au troisième abbé des Gelugpa le titre de dalaï-lama du khanat mongol.

Au cours des décennies suivantes, les différents petits royaumes, les fiefs et les monastères du Tibet se livrèrent de nombreuses guérillas. En 1642, l’alliance des Mongols et l'ordre des Gelugpa permirent d’établir au Tibet un gouvernement théocratique, sous l’autorité des dalaï-lamas; ce type de gouvernement devait subsister jusqu’en 1959. C'est le 5e dalaï-lama (1617-1682) qui rétablit la paix et l’unité dans le pays.

3.2 La souveraineté chinoise

Au début du XVIIIe siècle, estimant que le 6e dalaï-lama menait une vie dépravée, les Mongols et les empereurs de la dynastie Qing intervinrent dans la vie politique du Tibet. Une guerre civile s’ensuivit jusqu'à ce que la Chine y mette fin. En 1720, des troupes chinoises expulsèrent les Mongols et entrèrent dans Lhassa. Les empereurs chinois affirmèrent leur souveraineté sur le pays, en laissant dans la capitale des représentants et une petite garnison. Puis, en 1750, l'administration du pays fut de nouveau confiée au dalaï-lama.

À la suite de l'entrée des forces népalaises au Tibet, les Chinois en profitèrent pour resserrer leur autorité sur le gouvernement tibétain. Mais les empereurs chinois délaissèrent ensuite le Tibet. En 1904, le Tibet fut envahi par les Britanniques qui craignaient une expansion russe dans la région ainsi qu'un rapprochement entre le tsar et le dalaï-lama. Le vice-roi des Indes, lord Curzon, signa en 1906, à Pékin, une convention bilatérale sino-britannique selon laquelle l’Empire chinois obtenait la reconnaissance de sa souveraineté sur le Tibet. La convention prévoyait également le paiement d’une forte indemnité aux Britanniques, qui retirèrent leurs troupes.
 

L'année suivante, en 1907, les Britanniques et les Russes concluaient un accord par lequel ils s’engagent à ne pas intervenir dans les affaires tibétaines. Cet accord sino-britannique (en anglais: Convention between Great Britain and Tibet) encouragea l'empereur mandchou à envahir le Tibet en 1907. Après avoir occupé de larges parties du Kham oriental, le général mandchou Zhao Erfeng, surnommé le «boucher du Kham», les intégra dans une nouvelle province, le Xikang, et y mena une politique de militarisation et de sinisation.

3.3 L'éphémère indépendance

À la suite du renversement de la dynastie des Qing en 1911, le Tibet devint de facto indépendant. En 1913, le 13e dalaï-lama, Thubten Gyatso, proclama l'indépendance de son pays, puis ce fut la signature du Traité tibéto-mongol de reconnaissance mutuelle (la Mongolie a proclamé son indépendance dès 1911). Au cours des années suivantes, le Tibet se dota d’un drapeau, d’une monnaie et de timbres nationaux. En 1912, il y eut une sorte d'entente tacite entre Sun Yat-Sen, le premier président de la république de Chine, et le dalaï-lama : ce dernier remettait à l'administration chinoise l'Amdo et le Kham, mais en revanche le Tibet (l'U-Tsang) bénéficiait d'une indépendance de facto.  En 1914, la convention de Simla (ou accord entre la Grande-Bretagne, la Chine et le Tibet à Simla) du nom de la capitale de l'État indien de l'Himachal Pradeshprévoyait l’autonomie du «Tibet extérieur» (provinces occidentales) et la souveraineté de la Chine sur le «Tibet intérieur» (les provinces orientales) avec lequel elle avait une frontière commune. Cependant, l'accord de Simla ne fut jamais ratifié par la Chine.

Quelques années plus tard, les relations entre le Tibet et la Chine se dégradèrent et se transformèrent en conflit armé. Une trêve fut conclue en septembre 1918 avec l’aide des Britanniques, mais les combats éclatèrent à nouveau en 1931. Le 13e dalaï-lama continua à gouverner le Tibet comme un État indépendant en tentant de s’appuyer sur la Grande-Bretagne qui, malgré ses promesses, n'intervint que fort peu. En 1949, le Tibet fit acte de candidature à l’ONU, mais diplomatiquement isolé il ne fut soutenu par aucun pays. 

3.4 Le rattachement à la Chine

Le 1er octobre 1949, Mao Tsé-toung proclama la fondation de la République populaire de Chine sur la place Tian'anmen de Pékin, devant une foule de 300 000 personnes. Le président chinois commença à envoyer de plus en plus d'émissaires auprès du gouvernement tibétain pour qu'il renonce à son statut de semi-indépendance. Parce que le dalaï-lama rechignait devant la persistance chinoise, plus de 40 000 soldats de l'Armée populaire de libération — l'Armée rouge chinoise — envahirent, le 7 octobre de l'année suivante, le territoire tibétain qui était à cette époque six fois plus grand que la France. Le régime chinois déclara «vouloir libérer le Tibet de l’impérialisme étranger» et affirma que «le Tibet fait partie de la Chine». Les troupes tibétaines, dont les effectifs par comparaison étaient dérisoires, ne purent se défendre contre l'armée chinoise, d'où l'expression connue de «libération pacifique».

En désespoir de cause, le gouvernement tibétain dut se résoudre à signer, le 23 mai 1951, un traité («Accord entre le gouvernement central populaire et le gouvernement local du Tibet sur les mesures pour la libération pacifique du Tibet»), appelé aussi l'«Accord en 17 points», qui réunissait le Tibet à la Chine populaire en échange du maintien des droits de leur chef spirituel et du respect des monastères.

En fait, selon les termes de cet accord, le gouvernement de la République populaire de Chine prenait un certain nombre d’engagements et promettait notamment de respecter le système politique existant, de maintenir le dalaï-lama et le panchen-lama, de protéger la liberté religieuse et les communautés monastiques et de s’abstenir de toute contrainte dans l'application des réformes. Le point 9 déclarait que la langue parlée et écrite, ainsi que le système éducatif de la nationalité tibétaine seraient développés progressivement en fonction des conditions actuelles au Tibet. Finalement, l'accord comprenait la mise en œuvre d'un «haut degré d'autonomie» au Tibet. Cependant, si ces engagements furent respectés durant quelques années, ils furent vite reniés, tant chez les Tibétains que chez les Chinois pour des raisons différentes.

3.5 L’insurrection du Tibet

Puis le gouvernement chinois créa des écoles ou des instituts des minorités nationales chargés de la formation des cadres tibétains en Chine. Des enfants tibétains furent accueillis dans ces écoles pendant la décennie 1950-1960. Selon des sources tibétaines exilées et des sources occidentales, de nombreux de ces enfants furent déportés. En 1953, l’Inde reconnut le rattachement du Tibet à la Chine. Non seulement elle retira ses garnisons, mais abandonna à la Chine le contrôle du réseau téléphonique, télégraphique et postal du Tibet. Dès 1955, ce furent la dissolution de la province du Xikang et l'incorporation de tout le Kham oriental aux provinces du Sichuan et du Yunnan. L’Amdo fut inséré globalement à la majeure partie de la province du Qinghai et à des zones restreintes dans les provinces du Gansu et du Sichuan.

Par la suite, les Chinois construisirent un réseau routier et des aéroports dans différentes parties du Tibet, ainsi que des routes militaires.  En 1956, un comité fut instauré afin d'établir les bases d’une constitution tibétaine. La Commission internationale de juristes, une association financée de 1952 à 1967 par la CIA en tant qu'instrument de la guerre froide, révélait ceci dans son rapport de 1959 sur le Tibet :

Les nourrissons étaient tous retirés à leurs parents en présence d'un médecin chinois, puis remis à des nourrices. Pour se justifier quand ils enlevaient les enfants à leurs parents, les Chinois racontaient ou bien qu'ils allaient les instruire, ou bien que ces enfants gênaient leurs parents.

Une autre forme de la politique d'immigration consistait à déporter de jeunes enfants issus des minorités nationales vers la région de Pékin en vue de les initier à la culture han; cette dernière mesure fut inégalement appliquée parce qu'elle provoquait la révolte chez les minoritaires, notamment les Tibétains, qui ne semblaient pas comprendre les «bienfaits» de l'éducation han.

Toutefois, les réformes des autorités tibétaines heurtèrent le peuple des paysans et des moines, profondément religieux. En 1956, les Tibétains se soulevèrent contre le régime et menèrent des guérillas intensives. Le président Mao Tsé-toung admit que «le Tibet n’est pas encore prêt pour l’établissement d’un régime communiste». Le 10 mars 1959, une révolte d’une grande ampleur éclata à Lhassa. À ce moment-là, le gouvernement chinois demandait au dalaï-lama d'assister à un spectacle sans garde armé. La foule, qui craignait un enlèvement, entoura le palais de la Potala pour s'interposer entre son chef spirituel et l'armée chinoise. Le soulèvement populaire de quelque 300 00 Tibétains fit couler beaucoup de sang. On estime à 87 000 le nombre de Tibétains morts au cours du soulèvement.

Le 14e dalaï-lama, déguisé en soldat, quitta Lhassa en catimini et dut trouver refuge en Inde, dans l'État de l'Himachal Pradesh, où il fut rejoint par près de 200 000 Tibétains. Évidemment, les Chinois écrasèrent facilement la révolte tibétaine.

Le 21 octobre 1959 et le 9 mars 1961, l’Assemblée générale des Nations unies approuva une résolution qui déplorait la suppression des droits de l’homme au Tibet. Les autorités chinoises justifient leur intervention militaire dans les affaires du Tibet en raison du «régime plus ténébreux et plus arriéré qu'en Europe médiévale»:

Dans la première moitié du XXe siècle, le Tibet restait une société de servage féodal caractérisée par l'union du temporel et du spirituel, régime plus ténébreux et plus arriéré qu'en Europe médiévale. Les propriétaires de serfs ecclésiastiques et laïques, qui représentaient moins de 5 % de la population, maîtrisaient la liberté personnelle des serfs et des esclaves qui représentaient plus de 95 % de la population ainsi que la majorité absolue des moyens de production. Ils exerçaient cruellement, sur les serfs et sur les esclaves, une exploitation économique, une oppression politique et un contrôle spirituel à travers le «code en 13 articles» et le «code en 16 articles» nettement hiérarchisés ainsi que les supplices extrêmement sauvages tels que la mutilation des mains, des pieds, des oreilles et de la langue, l'arrachement des yeux, l'enlèvement des tendons, la projection dans l'eau ou dans le vide. Le droit à l'existence d'un grand nombre de serfs et d'esclaves n'étant pas garanti, il n'était pas question de parler des droits politiques. (Livre blanc sur l'autonomie régionale ethnique au Tibet, 2003).

ll est vrai que, avant la «reconquête» chinoise, le Tibet était une région extrêmement sous-développée et peuplée d'analphabètes. C'était une théocratie féodale, le pouvoir et le savoir étaient monopolisés par les moines et quelques grands propriétaires terriens. La pouvoir appartenait aux moines, les «lamas», et le peuple était réduit à l'état de serfs inféodés. La religion tibétaine enseignait — et c'est encore le cas aujourd'hui — qu'il fallait accepter son sort et que l'avenir passait par une réincarnation plus favorable obtenue par la prière et, entre autres, par des dons faits aux nombreux temples.

Moins d'une décennie plus tard, le Tibet se trouvait sous contrôle, avant d'être dévasté par une révolution culturelle plus féroce qu'en Chine. Près de 20% de la population, soit 1,2 million de Tibétains, périrent des suites de cette invasion, et plus de 99% des 6000 monastères, temples et sanctuaires religieux du Tibet furent pillés ou décimés. Dire que la Chine prétendait «libérer le Tibet» et s'enorgueillissait d'un vaste développement économique dans la région.

3.6 La Région autonome du Tibet comme «territoire chinois»

La plupart des exilés tibétains s’installèrent en Inde, ainsi qu'au Népal et au Bhoutan. Le dalaï-lama établit son gouvernement en exil en Inde, à Dharamsala. En 1965, le Tibet fut découpé en plusieurs zones administratives : la Région autonome du Tibet, la province du Qinghai, le reste du Tibet étant réparti entre les provinces voisines du Yunnan, du Sichuan et du Gansu.

- La Révolution culturelle maoïste

Au cours de la Révolution culturelle, quelque 20 000 Gardes rouges, ces groupes de jeunes Chinois inspirés par les principes du Petit Livre rouge de Mao, accélérèrent les persécutions antireligieuses, dynamitèrent les monastères et les monuments bouddhistes et brûlèrent tous les écrits religieux. Sur un total de 592 000 moines, plus de 110 000 furent torturés et mis à mort et 250 000 durent défroquer de force. Les objets culturels en métaux précieux furent pillés ou fondus. Toute pratique religieuse fut interdite. Plus de 6000 temples et monastères furent détruits. Environ un million de Tibétains disparurent, soit un sixième de la population. Le président Mao Tsé-toung fit ensuite construire des routes et des écoles.

Cependant, l'instruction à cette époque était offerte seulement en chinois mandarin, alors que l'enseignement du tibétain était interdit. De plus, des dizaines de milliers de femmes tibétaines auraient été dans l'obligation d'épouser des colons chinois; de nombreuses autres femmes auraient été l'objet d'esclavage sexuel et de prostitution au sein de l'armée chinoise; finalement, des milliers de Tibétaines furent stérilisées. Au moment où le président Mao amorçait la sinisation du Tibet, de nombreuses minorités dans le monde se réveillaient et réclamaient leur émancipation. La Chine était simplement quelques décennies en retard!

En même temps, le gouvernement chinois entreprit des campagnes d'immigration vers le Tibet. Des milliers de Chinois hans furent invités à «venir en aide» aux Tibétains au nom de l'unité nationale. L'objectif du gouvernement était d'envoyer au moins 10 millions de Hans au Tibet, mais les Hans retournèrent à Pékin après quelques années, car ils n'appréciaient guère vivre à quelque 4000 mètres d'altitude.

Évidemment, tous ces événements furent interprétés différemment par les autorités chinoises et les autorités tibétaines en exil (Dharamsala). D'un côté, on parle de «libération pacifique du Tibet», d'«expulsion des forces impérialiste du Tibet», de «contribution du peuple chinois au processus de modernisation du Tibet», d'«abolition de la théocratie du Tibet»; de l'autre, on parle plutôt d'«annexion du Tibet par la Chine», d'«anéantissement des caractéristiques ethniques du Tibet», de «sabotage de l'environnement du Tibet», de «pillage des ressources du Tibet», de «renforcement du contrôle sur le Tibet par les Hans», d'«éradication de la religion» et d'«asphyxie de la culture tibétaine». Même les vêtements et les coiffures traditionnels tibétains ont été interdits au profit d’une tenue chinoise imposée.

Après la Révolution culturelle de Mao, l'enseignement du tibétain commença à être interdit. Dans l'ancienne province d'Amdo, cette région du Tibet répartie entre les provinces chinoises du Qinghai, du Gansu et du Sichuan dans le centre du Tibet, les dix ans qui ont précédé le départ du dalaï-lama de Lhassa furent marqués par des massacres qui ont entraîné énormément de morts, de disparitions ou de suicides. Pour le centre du Tibet, 1959 demeure la date marquante, mais dans cette région la répression atteignit un point culminant en 1958: ce n'est sûrement pas un hasard si 80 % des immolations s'y sont produites. Cette forme de résistance, qui a pris des formes extrêmes avec les suicides par le feu, se manifesta également par un véritable foisonnement culturel. La mémoire refoulée des années 1950, 1960 et 1970 ressurgit dans la littérature et dans les chansons.

- Les velléités autonomistes

Après la Révolution culturelle de Mao, la Chine décida d’assouplir sa politique à l’égard du Tibet. Elle entreprit des réformes et ouvrit le Tibet  au tourisme international. Mais dorénavant les ressources naturelles du pays allaient être exploitées au profit de la Chine. De violentes manifestations dénonçant la répression chinoise furent réprimées au moyen de milliers d’exécutions ou d’emprisonnements accompagnés de tortures. L’attribution du prix Nobel de la paix au 14e dalaï-lama, Tenzin Gyatso, en 1989 n'apporta aucun changement de politique. Au contraire, les autorités chinoises durcirent leur politique. En août 1993, des pourparlers eurent lieu entre Pékin et les représentants du dalaï-lama, mais le statu quo demeura, alors que la résistance tibétaine se poursuivit.

Malgré la volonté de négociation du dalaï-lama et la mort de Deng Xiaoping, les actuels dirigeants chinois semblent demeurer sourds à toute résolution du problème tibétain. Ils accusent le dalaï-lama de propager des idées sécessionnistes, malgré les déclarations contraires de ce dernier:

Il est à souligner que le gouvernement local du Tibet dirigé par le dalaï-lama, représentant le régime de servage féodal caractérisé par l'union du temporel et du spirituel a été remplacé depuis longtemps par le pouvoir démocratique fondé par le peuple tibétain selon sa volonté. C'est seul le peuple chinois, y compris le peuple tibétain, non le dalaï-lama et sa clique, qui peut décider l'avenir et le destin du Tibet. C'est là une réalité politique objective du Tibet que personne ne peut dénier ni ébranler. La politique appliquée par le gouvernement central à l'égard du dalaï-lama est claire et inchangée. Souhaitons que le dalaï-lama puisse admettre la réalité, prendre conscience de la situation, abandonner effectivement son idée de «l'indépendance du Tibet», et s'efforcer de faire quelque chose d'utile pour la patrie et le développement du Tibet pendant le temps qui lui reste à vivre. (Livre blanc sur l'autonomie régionale ethnique du Tibet, 2003).

Pourtant, après l'ouverture de l'ancien président chinois, Deng Xiaoping (1904-1997), qui avait déclaré en 1979 qu'à l'exception de l'indépendance tout était discutable, le dalaï-lama n'a plus demandé autre chose qu'une autonomie réelle du Tibet au sein de la République populaire de Chine en se basant sur la Constitution chinoise. En octobre 2007, le dalaï-lama déclarait en commémorant le soulèvement des Tibétains survenu le 10 mars 1959: «Je n'ai qu'une revendication : le droit pour tous les Tibétains, c'est-à-dire pour la nationalité tibétaine dans son intégralité, d'établir eux-mêmes leurs propres règles et de jouir d'une autonomie authentique.»

Cette requête était en conformité avec les dispositions de la Constitution chinoise. Rien ne s'opposait donc à ce qu'elle soit satisfaite. Elle paraissait légitime, opportune, raisonnable et répondait aux aspirations du peuple tibétain à l'intérieur et à l'extérieur du Tibet. Cette requête était également fondée sur l'idée que l'avenir est plus important que le passé, elle prenait en compte la réalité d'aujourd'hui aussi bien que les intérêts de demain. Bien que Deng Xiaoping ait introduit de nombreux changements dans les politiques en Chine, notamment au Tibet, la politique de sinisation est demeurée constante. Il l'a affirmé clairement en 1987 lorsqu'il a déclaré que «les deux millions de Tibétains ne sont pas suffisants pour gérer la tâche de développement d'une région aussi vaste». C'est pourquoi il n'y a guère de mal à envoyer des Hans au Tibet pour aider les Tibétains.

Le 14 juin 1991, le gouvernement tibétain en exil («Assemblée des députés du peuple tibétain») adoptait une constitution appelée «Charte des Tibétains en exil», qui ne pouvait évidemment être appliquée à la Région autonome du Tibet. Les dispositions linguistiques se présentaient comme suit :

西藏流亡藏人宪章

第九条:(9)

法律面前人人平等


全体西藏公民在法律面前一律平等。不分性别、种族、语言文字、宗教信仰、僧俗、贫富、出生地和社会地位与职位以及其他情况,可以平等享受本章所载的各项权利。

第十七条:(17)

教育与文化

8. 发展政府或民间所属的各全日制和寄宿制(初、中、高等)学校;课程要设法逐渐实现以藏语文授课;宗教以及教义中有关善良品行的教诲,应特别注重地安排在初级教育的课程中。

第一一五条:(115)

语言文字的标准

由政府有关部门翻译成英文或其他文字的宪章文件,经西藏人民议会确立,将视同合格的译文。但若就有关条文发生争议时,则以藏文本為准。 藏歷二一二七年第十八绕迥铁龙年月二十五日 西歷二零零零年十二月二十日.
 

Charte des Tibétains en exil (1991)

Article 9

Égalité devant la loi

Tous les citoyens tibétains sont égaux devant la loi et jouissent des droits et libertés énoncés dans le présent chapitre, sans subir de discrimination pour des motifs de naissance, de sexe, de race, de religion, de langue, d'origine sociale, riche ou pauvre, de fonction élue ou de tout autre statut, imposé ou mérité.

Article 17

Éducation et culture

(8)
Il est obligatoire d'employer dans l'administration locale et non locale ainsi que dans les écoles primaires privées, moyennes et secondaires d'introduire graduellement le tibétain en tant que langue d'enseignement dans toutes les écoles, avec un accent particulier porté sur l'instruction morale enracinée dans les enseignements du bouddhisme.

Article 115

Conflits dans la traduction

Une traduction officielle du présent document en anglais ou dans toute autre langue, approuvée par l'Assemblée tibétaine, est reconnue comme une traduction exacte. À la condition que si un conflit surgit au sujet de l'interprétation de termes, d'expressions ou de significations dans le présent document, le texte original tibétain soit considéré comme faisant autorité.
 

- La transformation du Tibet

Un événement mérite qu'on s'y attarde: la construction du chemin de fer reliant Pékin via Gormo (Golmud en chinois) dans la province du Qinghai, au coût de 33 milliards de yuans (4,1 milliards de dollars US). Le 1er juillet 2006, le président Hu Jintao inaugura le premier train pour Lhassa au Tibet dans la gare de Gormo dans la province du Qinghai. Cette nouvelle liaison ferroviaire devait, d'après les autorités chinoises, accélérer le développement économique et touristique du Tibet. Parcourant 1118 km, la ligne relie à présent la ville de Gormo, dans l’Amdo devenu aujourd'hui le Qinghai, à Lhassa, la capitale du Tibet. Avec cette ligne, les trains relient maintenant Pékin à Lhassa en 48 heures, en compartiments pressurisés afin de compenser l’altitude.

La construction de la voie ferrée Pékin-Lhassa ne fut pas réalisée pour les beaux yeux des Tibétains. Pour les Chinois, c'est un moyen rapide et efficace pour acheminer des colons et des troupes en cas de problème. C'est aussi une façon simple de déporter des criminels en grand nombre vers Pékin. On comprend que les Tibétains craignent que le chemin de fer n'accélère la migration des Hans au Tibet. D'ailleurs, Pékin croit que la nouvelle voie ferrée devrait permettre, d'ici une trentaine d'années, l'installation de 20 millions de Chinois supplémentaires au Tibet, ce qui minoriserait définitivement les Tibétains sur leur territoire ancestral. Le dalaï-lama affirme aussi que Pékin utilise la liaison ferroviaire pour inonder le Tibet de mendiants, de prostituées et de sans-emploi, mettant en danger la survie de la culture et des traditions tibétaines. Si ce n'était que de cela...

Pensons surtout que le chemin de fer augmente la capacité de la Chine à déployer rapidement des troupes dans tout le pays. Le gouvernement chinois prépare même trois extensions de la ligne du Tibet vers l’est (Inde et Bangladesh), l’ouest (Inde) et le sud (Népal et Bhoutan) durant la prochaine décennie. À long terme, il deviendra facile de transférer le pétrole et d'autres ressources naturelles vers les provinces industriellement développées dans la Chine de l’Est. Bref, le chemin de fer n'améliore certainement pas les conditions de vie des Tibétains dans le contexte actuel, car il servira à favoriser les intérêts économiques et géopolitiques du régime chinois. Dès l'entrée des troupes chinoises au Tibet, le président Mao Tsé-toung avait déclaré:

Évidemment, nous devrons allouer des subventions énormes, et ce, pendant de longues années. Mais le Tibet a une superficie énorme et beaucoup de ressources naturelles. À l'avenir, nous en retirerons beaucoup plus que les sommes que nous aurons investies.

C'est clair : le Tibet doit servir les intérêts économiques de la Chine! Après tout, les Chinois apportent aujourd'hui la «civilisation» au Tibet. Disons plutôt que la Chine apporte la modernisation, car les Tibétains sont généralement encore tournés vers le passé. Au fil des ans, les modifications des lois et des politiques chinoises ont facilité le mouvement des migrants chinois vers le Tibet. Le système réformé appelé "hukou" a permis aux migrants chinois vivant dans les zones rurales d'acheter plus facilement des terres dans les régions tibétaines, et les autorités ont ordonné que des frais tels qu'une surtaxe pour la population urbaine ne soient pas perçus auprès des Chinois qui s'installent au Tibet.

Les Hans qui vivent actuellement au Tibet sont surtout des techniciens, des ouvriers, des professeurs, des médecins, des infirmières ou des cadres venant d’autres provinces, municipalités et régions autonomes du pays. Généralement, ils bénéficient d'une prime à l'éloignement et habitent essentiellement les villes. Ainsi, les militaires chinois bénéficient d'une double solde, de doubles rations et de doubles congés payés; quant aux fonctionnaires, ils jouissent de grands avantages pour le logement, la nourriture, les loisirs, les soins de santé et les voyages périodiques payés «en Chine». Ces communautés chinoises, essentiellement urbaines, demeurent totalement coupées des populations tibétaines; en ce sens, elles forment de véritables colonies de peuplement. Progressivement, certaines villes, dont Lhassa, adoptent non seulement l'architecture chinoise, mais surtout prennent le visage socialiste des villes industrieuses et mornes de façon à supprimer toute trace de l'identité tibétaine. La plupart des commerces, restaurants ou échoppes sont aujourd'hui tenus par des Chinois. Les postes de police sont judicieusement répartis sur des points réputés névralgiques de la ville et permettent une surveillance continuelle.

- Manifestations et émeutes

Le 14 mars 2008, des manifestations éclatèrent à Lhassa pour protester contre la répression chinoise au Tibet, faisant une vingtaine de morts, puis les manifestations dégénèrent en violentes émeutes dirigées contre les habitants non tibétains et leurs biens. Les forces de l’ordre se replièrent devant l’assaut des émeutiers, dont des moines, et ne reprirent progressivement le contrôle de la ville que le lendemain, procédant alors à de nombreuses arrestations. De son côté, le gouvernement en exil en Inde fournissait un bilan «confirmé» de 99 morts. On pouvait lire dans le Quotidien du peuple du 22 mars 2008, l'organe du Parti communiste chinois: «La Chine doit fermement réprimer la conspiration visant au sabotage et écraser les forces tibétaines d'indépendance.» Pékin ferma les portes du Tibet aux étrangers et renforça les mesures de sécurité. Comme toujours, la Chine demeure sourde au dialogue, ce qui semble conforme à son intérêt de boucler hermétiquement le Tibet pour faire taire toute contestation.

L'année 2009 est celle de la commémoration du 50e anniversaire du soulèvement de 1959 et de l'exil du dalaï-lama. Pékin craint de nouvelles émeutes. La colère gronde dans les monastères bouddhistes tout autant que dans les campagnes. Pour beaucoup de Tibétains, 1959, c'était hier. Les autorités chinoises ont étroitement contrôlé les la population et les monastères, en interdisant l'envoi de messages textes par téléphone, pour éviter une répétition des émeutes de l'année précédente. Le 10 mars 2009, le dalaï-lama a souligné le 50e anniversaire par un discours particulièrement accusateur: «Aujourd'hui, la religion, la culture, la langue et l'identité que des générations de Tibétains ont considérées plus précieuses que leurs vies sont près de l'extinction. »

Malgré l'échec apparent de la «voie du milieu» prêchée par le dalaï-lama, il n'en demeure pas moins que le Tibet est demeuré en grande majorité tibétain après un demi-siècle d'occupation. Le dalaï-lama a réussi à internationaliser la question du Tibet, ce qui a empêché la Chine d'intégrer réellement le Tibet. À Pékin, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères balaya ces déclarations en affirmant ne pas vouloir «répondre à ces mensonges» et que la Chine avait permis au Tibet de «s'extirper du féodalisme». Depuis longtemps, les autorités chinoises ont développé une véritable paranoïa à l'égard des velléités d'indépendance ou autonomistes des principaux groupes minoritaires, notamment les Mongols, les Tibétains, les Ouïghours et même les Zhuangs. On ne voit pas pourquoi la dynamique changerait.

- La situation actuelle

L’immense majorité des Tibétains de la Région autonome (85%) réside dans des zones rurales, souvent dans  les montagnes ou les hauts plateaux, à une altitude moyenne de plus de 4000 m, où la densité de population reste très faible. Par conséquent, ces régions sont généralement inhospitalières, difficiles d’accès et très mal pourvues en infrastructures (routes, hôpitaux, écoles, etc. C'est ainsi que les Tibétains de la RAT sont de plus en plus exclus des activités économiques et politiques.

Si la tendance se maintient, ce qui devrait être le cas dans cette région autonome, les Hans deviendront majoritaires dans moins d’un demi-siècle, soit vers 2055, car par le jeu des migrations, les Hans s’imposent lentement, mais sûrement au Tibet, et ils y amènent avec eux un modèle culturel et social chinois. Avec le temps, il deviendra de plus en plus difficile pour les Tibétains de conserver leur culture particulière et de résister à l’acculturation.

Dans les faits, le Tibet est aujourd'hui un territoire militairement occupé et économiquement colonisé. Ses immenses ressources minières sont surexploitées et la sinisation de la société se poursuit à marche forcée. Selon Tenzin Nyinjey, un ancien responsable du gouvernement tibétain en exil, la Chine n'a aucun respect pour la culture, la langue et la religion tibétaines et elle n'y voit que de la superstition et de l'arriération. Les Chinois considèrent comme un devoir sacré de leur part d’apporter la «civilisation» aux Tibétains en apportant la langue, la culture et la civilisation chinoises. La civilisation et la modernisation chinoises du Tibet n’ont d’autre but que la sinisation de toute la population tibétaine.

Bien sûr, selon le Bureau du Commissaire du ministère des Affaires étrangères de la République populaire de Chine, l'État a, depuis plus de quarante ans, conformément aux dispositions de la Constitution et de la Loi sur l'autonomie des régions ethniques, a investi d'énormes sommes d'argent tout en favorisant le développement social et économique du Tibet, afin de répondre aux besoins matériels et culturels croissants du peuple tibétain. Des ressources humaines, financières et matérielles ont été mises en œuvre avec des moyens juridiques, économiques et administratifs dans le but de protéger et de  promouvoir «l'excellente culture tibétaine traditionnelle», de créer et de développer «vigoureusement» la science, la culture et l'éducation modernes. En tant que «maîtres de la nouvelle ère», tous les Tibétains ont hérité, ont développé et ont partagé conjointement la culture tibétaine traditionnelle, et ont créé une vie civilisée moderne et des entreprises culturelles, faisant de la culture tibétaine «une prospérité et un développement sans précédent».

Pourtant, les Chinois ne cessent de considérer le Tibet comme «un pays d'arriérés et de barbares» dont il faut bien apporter la civilisation. Depuis quelques décennies, ils ont investi plus de 45 milliards de dollars et, par conséquent, attendent de la part des Tibétains un minimum de gratitude. Évidemment, les Chinois hans oublient que la majorité des projets réalisés ne profitent pas aux Tibétains. La Région autonome du Tibet est devenue une destination exotique recherchée pour les touristes chinois, un grand parc d'attractions, dont l'intérêt est de folkloriser la culture tibétaine. Les spécialistes qualifient ce développement de «sinisation», alors que les groupes tibétains préfèrent l'appeler un «génocide culturel».

4 La politique linguistique sino-tibétaine

Précisons que les lois et règlements de la République populaire de Chine s'appliquent dans toutes les régions autonomes bien que celles-ci puissent adopter des dispositions supplémentaires concernant leur territoire dans la mesure où leur réglementation n'entre pas en contraction avec celle du gouvernement central. Dans le cadre du présent article, il est apparu inutile de reprendre intégralement le texte de l'article intitulé «5. La politique à l'égard des minorités nationales». On tiendra compte surtout des dispositions qui caractérisent plus particulièrement la Région autonome du Tibet. Il vaut mieux parler de politique «sino-tibétaine», parce que la politique tibétaine actuelle est totalement inféodée à la politique chinoise; elle ne dispose d'aucune marge de manœuvre.

4.1 La garantie constitutionnelle

Cette région autonome ne dispose pas d'une politique linguistique propre, puisque c'est le gouvernement central qui prend toutes les décisions à ce sujet. Rappelons l'article 4 de la Constitution chinoise qui reconnaît le droit aux minorités de conserver et d'enrichir leur langue:

Article 4

Nationalités, minorités, régions, langues

1) Toutes les nationalités sont égales en droits en République populaire de Chine. L'État garantit les droits et les intérêts légitimes des minorités ethniques, il maintient et développe les rapports entre les nationalités selon les principes d'égalité, de solidarité, d'entraide et d'harmonie. Toute discrimination et oppression à l'égard d'une nationalité, tout acte visant à saper l'unité des nationalités et toute activité séparatiste sont à proscrire.
[Modifié par le 5e amendement, al. 38, le 11 mars 2018]

2) L'État aide les régions de minorités nationalités à accélérer leur développement économique et culturel en tenant compte de leurs particularités et de leurs besoins.

3) L'autonomie régionale est appliquée là
où les minorités nationalités vivent en groupes compacts ; à cet effet sont établis des organismes d'administration autonome qui exercent le droit d'autonomie. Toutes les régions d'autonomie nationale sont partie intégrante de la République populaire de Chine.

4) Toutes les nationalités jouissent de la liberté d'utiliser et de développer leur langue et leur écriture, de conserver ou de réformer leurs usages et coutumes.

L'une des parties du premier paragraphe est importante, car elle peut servir à limiter ou à supprimer des droits accordés: «Tout acte visant à saper l'unité nationale et établir un séparatisme ethnique est proscrit.» Le gouvernement central a adopté plusieurs lois à portée linguistique, mais les principales lois sont la Loi sur l'autonomie des régions ethniques (2001), la Loi sur l'éducation (2015) et à la Loi sur la langue et l’écriture communes nationales (2001).

4.2  L'administration locale et la législation

Les régions autonomes (自治区: zìzhìqū) ont été créées par le gouvernement communiste à partir de 1947. La Constitution actuelle donne en principe aux régions autonomes (voir la carte des régions autonomes) une certaine indépendance financière, économique et administrative. Normalement, le président de la région doit appartenir à la nationalité exerçant l'autonomie régionale ou à une des nationalités parmi celles reconnues dans l'exercice de l'autonomie régionale.

- Les langues locales

Les principales responsabilités des administrations locales concernent l’éducation, la santé, l’agriculture et l’aide sociale. Conformément aux dispositions de la réglementation concernant les zones ethniques autonomes, les organismes d'autonomie doivent employer une ou plusieurs langues locales couramment utilisées lorsqu'ils exercent leurs fonctions officielles. Si plusieurs langues peuvent être utilisées pour ces fonctions officielles, la langue du groupe ethnique exerçant l'autonomie régionale doit être employée en priorité.

Les assemblées locales des organismes autonomes du Tibet peuvent employer des langues des minorités linguistiques en plus du putonghua. D'ailleurs, l'article 16 de la Loi chinoise sur la procédure civile (1991-2017) prévoit que les assemblées populaires des zones autonomes ethniques peuvent formuler et élaborer des règlements:

Article 16

Les assemblées populaires des zones autonomes ethniques peuvent, conformément aux dispositions de la Constitution et de la présente loi et, compte tenu des conditions particulières des ethnies locales,
formuler des dispositions modifiées ou complémentaires. Les règlements de la région autonome sont soumis au Comité permanent de l'Assemblée populaire nationale pour approbation. Les dispositions des départements autonomes et des comtés autonomes sont communiquées au comité permanent de l'Assemblée populaire de la province ou de la région autonome pour approbation, et communiquées au comité permanent de l'Assemblée populaire nationale à des fins d'enregistrement.

L'article 4 du Règlement intérieur de l'Assemblée populaire de la région autonome du Tibet (2005) autorise l'emploi à la fois de la langue tibétaine et de la langue nationale standard, ou l'une d'entre elles:

Article 4

Lorsque l'Assemblée populaire de la région autonome tient une réunion, elle utilise à la fois la langue tibétaine et la langue nationale standard, ou l'une d'entre elles.

- Le bilinguisme dans la réglementation

Étant donné que les communautés ethnolinguistiques membres d'un organisme autonome peuvent employer leur langue, ils ont aussi le droit en principe de rédiger les réglementations dans leur langue, en plus du putonghua. C'est ainsi que l'Assemblée populaire de la région autonome du Tibet a pu adopter le Règlement sur l'apprentissage, l'usage et le développement de la langue tibétaine (1987-2002):
 

Article 1er

La langue tibétaine est la langue parlée et écrite commune de la région autonome. Afin de protéger l'apprentissage, l'usage et le développement de la langue tibétaine, le présent règlement est formulé conformément aux dispositions pertinentes de la Constitution de la République populaire de Chine, de la Loi sur l'autonomie des régions ethniques de la République populaire de Chine et de la Loi sur la langue et l’écriture communes nationales, et à la lumière des conditions réelles de la région autonome.

Il en est ainsi à l'article 8 de la Loi sur la langue et l’écriture communes nationales (2001):

Article 8

1) Tout groupe ethnique possède la liberté d'utiliser et de développer sa propre langue et sa propre écriture.

2) L'utilisation des langues et écritures des minorités ethniques s'appuie sur les dispositions en la matière qui sont inscrites dans la Constitution, dans la Loi sur l'autonomie des régions ethniques et dans d'autres textes législatifs.

De plus, les articles 2 et 3 du Règlement sur l'apprentissage, l'usage et le développement de la langue tibétaine (1987-2002) privilégient la langue «titulaire», le tibétain, tout en ne nuisant pas au mandarin national:

Article 2

La région autonome adhère au principe de l'égalité des langues parlées et écrites de tous les groupes ethniques. Elle maintient l'unité du système juridique de la langue et de l'écriture.

Les administrations populaires à tous les niveaux doivent attacher de l'importance et renforcer le travail d'apprentissage, d'usage et de développement de la langue tibétaine.

Article 3

Lorsque les organismes de l'État à tous les niveaux de la région autonome exercent leurs fonctions, la langue tibétaine et la langue nationale standard parlée et écrite ont le même effet.

- Les fonctionnaires

L'article 8 du Règlement sur l'apprentissage, l'usage et le développement de la langue tibétaine (2002) énonce clairement que dans le recrutement des fonctionnaires et des travailleurs de nationalité han on doit privilégier des candidats bilingues maîtrisant à la fois la langue nationale commune et la langue tibétaine:

Article 8

La région autonome encourage et promeut l'apprentissage mutuel des langues parlées et écrites entre tous les groupes ethniques.

Les cadres et les travailleurs de nationalité tibétaine doivent apprendre à employer la langue parlée et écrite couramment utilisée par l'État tout en apprenant à employer la langue tibétaine; les fonctionnaires et les travailleurs de nationalité han et d'autres minorités ethniques doivent également apprendre à employer la langue tibétaine.

Selon le gouvernement chinois, les Tibétains administrent les affaires locales de leur région. En ce qui a trait à la région autonome, les organismes chargés d’exercer l’autonomie sont l’Assemblée populaire et le gouvernement populaire de la région autonome. Les principaux responsables doivent être en principe des membres de l’ethnie tibétaine.

- Les Tibétains et l'administration

Présentement, d'après les sources chinoises officielles, les députés originaires de la Région autonome du Tibet sont majoritairement des Tibétains; ils représentent 99,9 % du nombre total des députés des assemblées populaires des cantons (ou bourgs) de toute la région, 92,6 % du nombre total des députés au niveau du district, et 82,4 % du nombre total des députés de la VIe Assemblée populaire de la Région autonome du Tibet. Depuis 1965, l’Assemblée populaire de la Région autonome du Tibet et le Comité permanent ont adopté plus de 150 règlements, décrets, résolutions et décisions à caractère local. De façon générale, ces textes portent sur l’économie, la culture, l’éducation, la langue, etc.

Évidemment, il est aussi proclamé que la langue tibétaine et la langue chinoise s'emploient en même temps dans la région autonome, mais que la langue tibétaine est «privilégiée». Selon les autorités chinoises, le mandarin et le tibétain doivent être utilisés parallèlement dans les résolutions et les textes de lois et règlements adoptés par les assemblées populaires aux différents échelons de la région autonome et dans les documents officiels et les annonces des gouvernements aux différents échelons de la région et des départements gouvernementaux. Voici à ce sujet la déclaration de l'Office d'information du Conseil des affaires d'État de la République populaire de Chine:

Les résolutions et les règlements, adoptés par les assemblées populaires aux divers échelons de la Région autonome du Tibet, et les documents officiels et les avis émis par les gouvernements de divers échelons du Tibet et les divers organismes administratifs dépendant de ceux-ci sont tous bilingues (tibétain et chinois). Au cours d'une action en justice, s'il s'agit d'un intéressé tibétain, l'affaire doit être jugée en tibétain, il en est de même pour les actes juridiques. Les écritures tibétaine et chinoise sont utilisées en même temps pour les sceaux officiels, les cartes d'identité, les formulaires administratifs, les enveloppes, les en-têtes sur le papier à lettres, les feuilles de brouillon et les logos des diverses unités de travail, ainsi que pour les panneaux indicateurs des institutions, des entreprises industrielles et minières, des écoles, des stations, des aéroports, des magasins, des hôtels, des restaurants, des théâtres, des sites touristiques, des stades et palais des sports, des bibliothèques, pour le nom des rues et pour les panneaux de signalisation. (Livre blanc sur l'autonomie régionale ethnique au Tibet, 2004.)

Quoi qu'il en soit, c'est le Parti communiste chinois (PCC) qui détient tous les pouvoirs en Chine, et non l'Administration régionale. Bien que des Tibétains fassent partie de l'Administration régionale, cela ne signifie pas qu'ils occupent nécessairement des postes de décision. Ils peuvent tous occuper des postes subalternes et ne jamais exercer de fonction importante au sein du PCC. Là, on le sait, ce sont les Han qui contrôlent ces postes et le pouvoir que cela suppose.

- La langue tibétaine

En réalité, il est plus facile d'utiliser le tibétain dans les symboles administratifs (formulaires, en-têtes, etc.) que dans les communications officielles. Il n'est pas aisé d'utiliser le tibétain dans les bureaux administratifs, car il s'est installé, depuis plusieurs décennies, une pratique qui favorisait le chinois officiel. C'est ce que soulignait en 1992 l'historien tibétain, le professeur Dungkar Lobsang Trinley: «Bien que le tibétain soit décrété première langue en usage dans tous les bureaux du gouvernement et les réunions publiques ainsi que pour la correspondance officielle, c'est le chinois qui sert partout de langue de travail.» Autrement dit, le chinois est plus officiel que le tibétain! Dans toutes les administrations gouvernementales (bureaux, banques, postes, stations d’autobus, etc.), la plupart des documents ne sont rédigés aujourd'hui qu'en chinois, non plus en tibétain. Il en est ainsi des noms de localité (toponymes) qui, de façon progressive, perdent leur dénomination tibétaine pour une dénomination chinoise. Dans les librairies, les volumes en tibétain ne représentent plus que 5 % à 10 % des livres vendus.

Dans le rapport qu'il a publié au début des années 1990, un intellectuel tibétain du nom de Dherong Tsering Thondup mentionnait que, sur les 6044 Tibétains membres du Parti communiste et faisant partie des personnalités officielles résidant dans les neuf districts du département autonome tibétain du Ganze, seulement 991 savaient lire et écrire le tibétain. On peut donc croire qu'il ne suffit pas d'être tibétain pour connaître le tibétain. Le fait de nommer des Tibétains à des instances administratives ne signifie nullement que la langue tibétaine va être employée. Certains croient que la politique d'assimilation en douce pratiquée par Pékin entraîne une dévalorisation sociale liée à l'emploi du tibétain. C'est ce qui expliquerait que beaucoup de dirigeants tibétains hésiteraient de prendre la défense de leur propre langue.

En 1996, Khenpo Jigme Phuntsok (1933-2004), alors un lama, Nyingmapa du Kham (actuellement incorporé à la province chinoise du Sichuan), affirmait que la langue tibétaine était devenue «inutile» par rapport au mandarin:

En fait, la langue tibétaine ne sert à rien dans le Tibet d'aujourd'hui. Par exemple, à l'intérieur même du Tibet, une lettre dont l'adresse est rédigée en tibétain n'atteindra pas son destinataire et finira au rebut. En voyage, peu importe que quelqu'un sache lire et écrire le tibétain, ce n'est pas cela qui l'aidera à déchiffrer les horaires de bus ou à lire le numéro de son siège sur son ticket. Même pour trouver un hôpital, un magasin dans un chef-lieu de commune ou une ville, connaître le tibétain est inutile. Une personne qui ne sait que le tibétain se trouvera en difficulté pour acheter l'indispensable quotidien.

Dans les faits, les rapports administratifs du gouvernement, particulièrement à un niveau plus élevé, sont généralement rédigés uniquement en chinois. Presque tous les logiciels employés au Tibet dans les bureaux sont formatés pour lire uniquement le chinois. Il en résulte que de façon progressive les Tibétains même instruits perdent la capacité d'écrire dans leur propre langue. De plus, selon un rapport de 2001, de plus en plus de Chinois sont embauchés par le gouvernement local; sur un total de 1019 étudiants qui avaient terminé leurs études pour obtenir des postes administratifs, seulement 405 (ou 39,7 %) étaient tibétains et 515 (ou 50,5 %) des étudiants chinois. Le gouvernement relance régulièrement des «campagnes d'encouragement» et présente ses offres d'emploi à Pékin en invitant les cadres chinois à «aider le Tibet». Afin de limiter le nombre d'étudiants tibétains acceptés, des restrictions d'âge s'appliquent, alors qu'en général les Tibétains sont désavantagés parce qu'ils commencent l'école plus tard que les autres enfants en Chine centrale. Seuls les Tibétains qui acceptent de suivre la filière chinoise peuvent espérer vivre un meilleur sort. C'est le prix de l'accès à la modernité!

- L'affichage public

Du côté de l'affichage, la langue tibétaine est peu présente, sauf pour les panneaux routiers pour des raisons de sécurité et pour donner bonne presse au gouvernement chinois. Dans tous les cas, les caractères chinois doivent avoir la préséance et avoir une taille deux à trois fois supérieure aux lettres de l'alphabet tibétain.

Il est possible que l'anglais remplace ou s'ajoute aux mots tibétains.

Par ailleurs, les noms tibétains sont souvent conservés, mais ils doivent être sinisés, c'est-à-dire revêtir une apparence chinoise. Ainsi, un nom propre comme "Tashi", un nom personnel très connu au Tibet qui signifie «bonne fortune» peut devenir phonétiquement "Zhaxi» en mandarin, ce qui ne veut rien dire tant dans cette langue qu'en tibétain.

Un autre exemple: le nom "Drolma" désigne en tibétain la déesse Tara, mais sur une affiche il devient "Zhuoma". La montagne du nom de "Kawakarpo", qui signifie «Blanche-Neige», apparaît sur des panneaux comme "Kawagebo". Cette transformation est quasi systématique dans les zones urbaines.

- L'apport du tourisme chinois

Depuis une vingtaine d'années, le Tibet est envahi par le tourisme de masse, essentiellement des Chinois. Par exemple, en 2017, selon Wikipédia, le Tibet a reçu plus de 25 millions de touristes grâce à la ligne ferroviaire Qinghai-Tibet, dite «le Train du Toit du monde» et à la construction de cinq aéroports. Pour recevoir ce grand nombre de visiteurs, il a fallu construire des hôtels, ainsi que des milliers de magasins, de restaurants, de bars et même des bordels, afin de combler les besoins des touristes. Puisqu’il faut loger tous ces gens, de nouveaux quartiers ont poussé comme des champignons dans les villes tibétaines. Évidemment, ces établissements destinés aux touristes de la classe moyenne chinoise exigent une main-d’œuvre parlant le mandarin, voire certaines langues étrangères tels l'anglais, le russe, l'espagnol, le français, etc. Par la force des choses, il a fallu embaucher des centaines de milliers de travailleurs provenant de toute la Chine.

Dans sa course à la croissance à tout prix, le gouvernement chinois se trouve à sacrifier le Tibet et son peuple afin de favoriser son économie. Il a transformé le Tibet, un territoire militairement occupé, en parc d'attractions où la langue nationale commune occupe toute la place et où le tibétain est inexistant. Ainsi, la plupart des commerçants installés dans les sites touristiques pour vendre leurs marchandises appartiennent à des entrepreneurs d’origine chinoise. Les étudiants et les diplômés chinois ont remplacé les guides d’excursions tibétains qui se sont exilés en Inde ou au Népal, après que le gouvernement régional les ait licenciés en 2003. Les touristes ne sont guère libres de visiter les sites historiques à leur guise, encore moins de discuter avec les Tibétains sur leurs conditions de vie. Ils sont toujours confinés à des visites guidées avec des voyagistes officiellement approuvés par le gouvernement.

Quant aux touristes étrangers, quand ils peuvent s'y rendre selon certaines périodes autorisées, ils ont besoin de permis spéciaux et doivent obligatoirement voyager en groupe selon un itinéraire autorisé préalablement. Dans la plupart des cas, c'est l'anglais qui remplace le mandarin.

En somme, le Tibet est devenu une destination exotique pour les touristes chinois, ce qui, rappelons-le, entraîne un certain processus de folklorisation de la culture tibétaine.

4.3 L'emploi des langues en matière de justice

Les tribunaux populaires locaux constituent des organismes aptes à employer des langues minoritaires. L'article 139 de la Constitution autorise le recours à ces langues:

Article 139

1) Les citoyens des différentes nationalités du pays ont le droit d'utiliser leur propre langue parlée et écrite au cours des procès. Pour les parties ne possédant pas la langue et l'écriture en usage dans la localité, le tribunal populaire et le parquet populaire doivent assurer la traduction.

2) Dans les régions où une minorité nationale vit en groupes compacts ou dans celles où cohabitent plusieurs nationalités, il faut employer, au cours des audiences, la langue parlée communément en usage dans la localité et, selon les besoins réels, la langue ou les langues écrites communément en usage dans ladite localité pour dresser l'acte d'accusation et le verdict, rédiger les avis au public et les autres documents.

La loi ne précise pas que le juge doit connaître la langue minoritaire en usage dans une localité, mais la traduction est prévue. Officiellement, la procédure judiciaire peut se dérouler en tibétain ou dans une autre langue minoritaire. Effectivement, la Constitution, la Loi sur la procédure civile, la Loi organique sur les tribunaux populaires, la Loi sur la procédure civile, la Loi sur la procédure pénale et la Loi sur l'autonomie des régions ethniques énoncent formellement que les citoyens appartenant à des minorités ethniques ont le droit d'employer leur propre langue dans les procès et que les jugements doivent être publiés dans la langue locale commune. Cela signifie que, dans les zones autonomes, les procès peuvent être bilingues. Tel est la disposition de l'article 47 de la Loi sur l'autonomie des régions ethniques:

Article 47

Les tribunaux populaires et les parquets populaires des zones autonomes ethniques doivent utiliser la langue locale couramment utilisée pour juger et poursuivre les procès, et affecter raisonnablement du personnel maîtrisant les langues des minorités locales couramment utilisées. Pour les participants au procès qui ne maîtrisent pas la langue locale couramment utilisée, une traduction doit leur être fournie. Les documents juridiques doivent utiliser une ou plusieurs langues couramment utilisées dans la localité en fonction des besoins réels. Il est garanti que les citoyens de tous les groupes ethniques ont le droit d'utiliser dans les procès leurs propres langues parlées et écrites.

De plus, l'article 5 du Règlement sur l'apprentissage, l'usage et le développement de la langue tibétaine :

Article 5

Les organismes judiciaires à tous les niveaux de la région autonome doivent utiliser une ou plusieurs langues couramment employées dans la localité dans les activités judiciaires selon les besoins, et protéger les droits des citoyens de tous les groupes ethniques à employer leurs propres langues lors des procès.

La plupart des responsables principaux des parquets et des tribunaux sont tibétains, mais la connaissance du mandarin demeure néanmoins indispensable. Techniquement, au plan judiciaire, les Tibétains bénéficient, comme les habitants des autres régions, de tous les droits prévus par la loi. Dans les faits, les juges ne sont pas tenus de savoir le tibétain. Ils doivent alors recourir à la traduction. C'est le principe du droit de parler sa langue maternelle, qui n'implique pas nécessairement celui d'être compris.  En fait, le tibétain est aujourd'hui considéré comme une langue étrangère, non seulement dans les provinces du Qinghai, du Gansu, du Yunnan et du Sichuan, mais également dans la région autonome.  Pendant 70 ans de domination chinoise au Tibet, les autorités tibétaines locales, sous la pression du gouvernement central, ont tenté de siniser progressivement le Tibet et les Tibétains, malgré les protections constitutionnelles de la culture et de la langue locales, et bien que le Tibet soit qualifié de «région autonome».

4.4 L'emploi des langues en éducation

Le domaine de l'éducation s'avère complexe au Tibet du fait que les établissements d'enseignement doivent se conformer aux politiques du gouvernement central. D'une part, l'État chinois a élaboré des principes généraux en matière de protection linguistique, d'autre part, il a aussi mis en vigueur un enseignement de la langue nationale à tous les citoyens du pays. En réalité, l'utilisation du tibétain en éducation fait face à de sérieux problèmes. Le gouvernement de Pékin craint des problèmes politiques au Tibet. Pour contrecarrer les éventuels conflits, le secteur de l'éducation a été perçu comme le moyen privilégié pour inculquer la fidélité à l'État chinois. L'objectif principal de l'éducation de la Région autonome du Tibet semble être de siniser la population tibétaine et de l'endoctriner par des dogmes idéologiques et politiques. Par exemple, l'État chinois ne rate aucune occasion pour saturer les masses tibétaines avec un sempiternel discours portant sur «l'amour de la grande patrie», la Chine.

Cela étant dit, en 2005, le Tibet bénéficiait d'un nombre 2474 écoles primaires et de 63 écoles secondaires et 2 474 écoles primaires. Le nombre des élèves inscrits y était de 196 000, en faible majorité des élèves tibétains; celui des enseignants était de 16 000, dont les deux tiers étaient tibétains. La région autonome possède aussi quatre établissements d'enseignement supérieur modernes: l'Université du Tibet, l'Institut des nationalités, l'Institut d'agronomie et de techniques d'élevage et l'Institut de médecine traditionnelle tibétaine. Il existe aussi des écoles normales, des écoles professionnelles d'agronomie et de techniques d'élevage, d'hygiène, de médecine traditionnelle tibétaine, de finances, de sports, d'arts, etc.

- Les mesures générales de protection

Conformément à l'article 36 de la  Loi sur l'autonomie des régions ethniques (2001), les organismes autonomes peuvent décider de la langue enseignée dans les écoles de leur localité:

Article 36

Les organismes autonomes des zones autonomes ethniques doivent, conformément à la politique éducative de l'État et conformément aux dispositions de la loi, décider de la planification de l'éducation de la localité, de la création d'écoles de tous niveaux et types, le système d'éducation, la forme de gestion des écoles, le contenu de l'enseignement, les termes utilisés pour l'enseignement et les méthodes d'inscription des élèves.

Il en est ainsi de l'article 12 de la Loi sur l'éducation (2015), sauf qu'il est clairement énoncé que le chinois ou putonghua demeure obligatoire:

Article 12

1) La langue chinoise parlée et écrite commune doit être la langue de base utilisée par les écoles et autres établissements d'enseignement dans l'éducation et l'enseignement, et les écoles et autres établissements d'enseignement doivent utiliser la langue chinoise parlée et écrite standard dans l'éducation et l'enseignement.

2) Les écoles et autres établissements d'enseignement
dans les zones ethniques autonomes qui sont principalement composés d'élèves issus de minorités ethniques doivent, selon les circonstances réelles, mettre en œuvre un enseignement bilingue dans la langue parlée et écrite commune de l'État et la langue parlée et écrite commune de leur propre groupe ethnique ou groupe ethnique local.

3) L'État doit prendre des mesures pour faciliter et soutenir
la mise en œuvre de l'enseignement bilingue
dans les écoles et autres établissements d'enseignement dominés par des élèves appartenant à des minorités ethniques.

L'Assemblée de la Région autonome du Tibet a adopté le Règlement sur l'apprentissage, l'usage et le développement de la langue tibétaine dans la Région autonome du Tibet (1987-2002), ainsi que les Mesures pour la mise en œuvre de la Loi sur l'enseignement obligatoire dans la Région autonome du Tibet (2008). Les articles 6 et 9 du Règlement sur l'apprentissage, l'usage et le développement de la langue tibétaine énoncent que le tibétain fait partie de l'enseignement obligatoire:

Article 6

Au stade de l’enseignement obligatoire, la langue tibétaine et la langue et l’écriture communes nationales doivent être employées comme langues de base utilisées dans l’éducation et l’enseignement; des cours de langue tibétaine et de langue commune nationale et d’écriture sont offerts ainsi que des cours de langues étrangères à des moments appropriés.

Article 9

La région autonome développe activement l'enseignement de la langue tibétaine, le journalisme, l'édition, la radio, le cinéma et la télévision et d'autres entreprises. Elle doit attacher de l’importance à la publication de livres pour enfants et de vulgarisation scientifique en tibétain.

Elle encourage et soutient les institutions de recherche scientifique, le personnel scientifique et technique ainsi que les travailleurs littéraires et artistiques à employer la langue tibétaine pour mener à bien la publicité scientifique populaire, la création littéraire et artistique et les performances.

La région autonome doit prendre des mesures pour former des enseignants, des éditeurs, des journalistes, des écrivains, des secrétaires et d'autres talents tibétains, et attacher une grande importance à la formation de talents spécialisés dans la recherche sur la langue tibétaine.

L'article 20 des Mesures pour la mise en œuvre de la Loi sur l'enseignement obligatoire dans la Région autonome du Tibet reprend cette disposition qui promeut l'enseignement des langues locales:

Article 20

La région autonome doit améliorer progressivement
le système d'enseignement du tibétain et du chinois, qui est principalement basé sur le système d'enseignement de la langue tibétaine.

Les écoles doivent empêcher les élèves des minorités d'
apprendre d'abord les langues locales parlées et écrites courantes, tout en apprenant bien le mandarin.

L'école doit
promouvoir et employer le mandarin commun
et les caractères standardisés dans tout le pays dans toutes les occasions où le mandarin est employé.

Par ailleurs, la Chine a signé, le 2 mars 1992, la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989. L'article 30 énonce:

Article 30

Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes d'origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d'avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d'employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe.

La Chine est ainsi obligée de s'assurer, du moins officiellement, que les Tibétains bénéficient de la protection concernant les «minorités ethniques, religieuses ou linguistiques».

Toutes les écoles primaires et secondaires publiques sont en principe subventionnées par l'État chinois. En 1998, un Livre blanc sur les nouveaux progrès des droits de l'homme dans la Région autonome du Tibet énonçait que le tibétain était la matière principale enseignée dans toutes les écoles du Tibet ainsi que dans les écoles ou les classes ouvertes aux élèves tibétains dans l'intérieur du pays:

L'État prête attention à l'étude, à l'utilisation et au développement du tibétain dans la Région autonome du Tibet, et garantit rigoureusement au peuple tibétain la liberté de l'utilisation et du développement de sa langue et de son écriture. Le tibétain est la matière principale enseignée dans toutes les écoles du Tibet ainsi que dans les écoles ou les classes ouvertes aux élèves tibétains dans l'intérieur du pays. À la fin de leurs études secondaires, les élèves doivent pouvoir lire et écrire couramment en tibétain. Le Tibet a terminé la compilation et la traduction en tibétain de 500 manuels différents destinés à l'enseignement obligatoire dans les écoles primaires et secondaires. Il a entrepris en outre la traduction en tibétain et la publication des titres en tibétain de documents scientifiques, ainsi que la collection des documents scientifiques en tibétain. Pour promouvoir la normalisation, la standardisation et l'informatisation du tibétain, le Tibet a commencé, depuis 1994, à entreprendre la codification internationale des caractères et signes en tibétain, aidé en cela par les organismes compétents de l'État. Le résultat de cette recherche a été approuvé en 1996 à Copenhague au Danemark, ce qui a donné une base solide pour l'introduction du tibétain dans les médias informatisés modernes, et la réalisation du traitement et des échanges d'informations sur l'Internet. En 1995, le Tibet a créé la Commission de la standardisation terminologique du tibétain pour entreprendre la standardisation du tibétain et la normalisation de son vocabulaire. Livre blanc sur les nouveaux progrès des droits de l'homme dans la Région autonome du Tibet, 1998.

Le Livre blanc mentionnait que «le tibétain est la matière principale enseignée dans toutes les écoles du Tibet ainsi que dans les écoles ou les classes ouvertes aux élèves tibétains dans l'intérieur du pays». Mais il ne précisait pas dans quelle proportion ces écoles enseignent en tibétain, ni que l'enseignement du tibétain se fait de manière facultative, seul le chinois étant obligatoire.

- Les écoles tibétaines

Il existe en principe trois types d'écoles au Tibet: des écoles unilingues chinoises, des écoles bilingues et des écoles unilingues tibétaines. Les écoles où toutes les matières sont offertes seulement en chinois sont destinées tant aux Chinois qu'aux Tibétains. En général, ces écoles sont situées dans des centres urbains et disposent des meilleurs équipements et fournitures scolaires, ainsi que d'un personnel enseignant relativement qualifié. Il y a aussi des écoles bilingues dans lesquelles le tibétain standard est enseigné aux enfants dont la langue maternelle est le chinois ou un tibétain dialectal local.

Finalement, il existe des écoles dans lesquelles l'enseignement est entièrement en tibétain, alors que le chinois est une langue seconde. Dans ce cas, il s'agit toujours de petites écoles de village, disposant de peu de moyens et d'un personnel plus ou moins qualifié. La distinction entre les zones urbaines et rurales est pertinente, car les immigrants chinois composent une majorité de la population dans les principales villes, alors que 80 % de la population tibétaine habite dans les zones rurales.

Jusqu'à récemment, les établissements scolaires de la Région autonome du Tibet pratiquaient un enseignement bilingue, tout en donnant une priorité apparente aux cours en tibétain. Les documents pédagogiques, à partir des études primaires jusqu'au deuxième cycle du secondaire, étaient rédigés ou traduits en tibétain. En 1987, le Congrès du peuple de la Région autonome du Tibet a adopté un décret réglementant l'emploi du tibétain; la langue tibétaine devenait ainsi la seule langue enseignée dans les écoles primaires tout en obligeant l'apprentissage du chinois à partir de l'âge de neuf ans.

Le décret envisageait également de créer dans les cinq prochaines années des écoles secondaires de premier cycle dans lesquelles l'enseignement serait dispensé en tibétain; il précisait aussi que, peu après 2000, la plupart des cours offerts à l'université le seraient en tibétain. Un comité spécial, appelé le «Comité pour un guide de tibétain parlé et de tibétain écrit à l'usage de la Région autonome du Tibet», fut créé en 1993 pour mettre en application la réglementation. Selon les règlements relatifs à l’enseignement primaire et secondaire de la Région autonome du Tibet, les élèves doivent en principe connaître les deux langues, le tibétain et le chinois, à la fin de leurs études de deuxième cycle de l’enseignement secondaire. De plus, dans les écoles bénéficiant de l’équipement et du personnel enseignant nécessaires, l'anglais est aussi enseigné. Mais il s'agit là de la théorie, non de la pratique.

Malheureusement, la réglementation de 1987 ne fut suivie d'aucune volonté politique, y compris au Tibet. On considéra la politique linguistique de 1987 comme «peu pratique» et «non conforme à la réalité du Tibet». Non seulement le Comité pour un guide de tibétain fut supprimé, mais tous les projets d'enseignement du tibétain au secondaire connurent le même sort. Même les cours de tibétain dispensés à l'université tibétaine de Lhassa furent interrompus; les professeurs durent réviser les manuels afin d'en supprimer toute référence religieuse. En octobre 1995, les dirigeants du Parti communiste de Chine ont fait circuler un document soutenant que le séparatisme tibétain était en partie causé par les écoles qui enseignaient trop de religion et trop de langue tibétaine.

En 1996, le gouvernement chinois a aboli les programmes d'études dans les écoles tibétaines sous prétexte que ces écoles manquaient d'enseignants qualifiés pour appliquer ces programmes. À partir de 1997, toutes les écoles primaires furent dans l'obligation d'enseigner le chinois et, de façon facultative, le tibétain. Les autorités chinoises décrétèrent en 2000 que l'enseignement du tibétain dans les écoles représentait «une saignée pour les ressources du gouvernement.» C'est pourquoi la politique chinoise s'est dirigée ensuite vers un enseignement officiellement bilingue. Depuis l'année scolaire 1997-1998, le chinois doit être enseigné dès la première année du primaire en même temps que le tibétain. De plus, il est précisé que le chinois peut remplacer le tibétain dans les classes du primaire et du secondaire. Cependant, des observateurs occidentaux ayant parcouru le Tibet en avril 2002 ont pu constater que, dans la plupart des écoles urbaines, seul le chinois était enseigné, même si les élèves étaient majoritairement tibétains. Ces élèves ne reçoivent même aucun enseignement dans leur langue, ni de leur histoire, de leur culture ou de leurs coutumes. C'est là une négation du peuple tibétain, malgré les promesses du gouvernement chinois en faveur de la langue des minorités. À cause de la réduction des subventions gouvernementales, les écoles des minorités ont commencé à inscrire de plus en plus d'élèves chinois afin d'équilibrer leurs dépenses. Aujourd'hui, la moitié des élèves sont des Chinois han, parfois davantage. Les directions d'écoles prévoient que cette tendance va augmenter. On croit même que, à long terme, seuls le chinois et l'anglais seront enseignés au Tibet. Une fois au secondaire, l'enseignement n'existe plus qu'en chinois, le tibétain étant ramené au rang d'option.

Cela étant dit, Qun Pei Choepel, vice-président du comité permanent de l'Assemblée populaire du Tibet, déclarait en 2006 à un sénateur français :

L'enseignement obligatoire porte sur neuf années. Dans le primaire et le premier cycle du secondaire, on enseigne le chinois, le tibétain, plus éventuellement l'anglais. Dans le second cycle du secondaire, l'enseignement du secondaire se fait en tibétain dans certaines écoles. Enfin, le tibétain est obligatoire, et éliminatoire, dans les universités du Tibet.

Bref, cette affirmation contredit les faits, mais elle est conforme aux textes officiels.

- L'enseignement limité du tibétain

En réalité, il existe plusieurs problèmes importants dans l'enseignement du tibétain. D'abord, peu d'écoles primaires offrent un enseignement entièrement en tibétain, car la plupart ont décidé d'enseigner le mandarin plutôt que le tibétain. De plus, la majorité des écoles des zones urbaines valorise l'enseignement du mandarin et relègue la langue tibétaine dans un rôle d'importance secondaire. Dans les villes, il y a parfois plus d'élèves chinois que d'élèves tibétains dans les écoles primaires. Des enquêtes régionales ont révélé qu'en 2000 quelque 53 % des élèves ayant fait leurs études dans les écoles primaires du Tibet l'ont fait en chinois. Cette proportion a considérablement augmenté depuis lors.
De plus, les écoles chinoises reçoivent un financement gouvernemental considérablement plus élevé que les écoles tibétaines. La Commission internationale des juristes a décrit la différence en comparant des écoles chinoises à des écoles tibétaines. D'après la commission, les écoles chinoises possédaient, par exemple, des ordinateurs et un laboratoire de science, alors que les écoles tibétaines étaient généralement chauffées au moyen d'un feu de bois et ne disposent même pas d'une cour de récréation. Certains bâtiments scolaires dans les campagnes tibétaines semblaient dans un si mauvais état que plus de 20 % des classes du primaire devaient être relocalisées dans les maisons personnelles des enseignants. C'est qu'au Tibet les investissements en éducation sont concentrés dans les zones urbaines, alors que les zones rurales sont oubliées.

Enfin, en dépit de la législation scolaire en vigueur qui proclame la gratuité scolaire et en raison de l'insuffisance des subventions gouvernementales, de très nombreux enfants tibétains doivent payer entre 10 yuans et 300 yuans (un yuan équivaut à 0,14 $ US ou à 0,10 €) par mois pour fréquenter une école primaire; la plupart paient entre 100 et 200 yuans pour aller à l'école. Le revenu moyen par habitant variait entre 1200 et 1800 yuans (168 $ à 250 $ ou 120 € à 180 €) à la fin de 1999. Selon les sources officielles, le revenu annuel moyen au Tibet était, à la fin de 2005, de 8411 yuans, mais il n'atteignait que 2078 yuans dans les campagnes, où l'on estime que 70 % de la population vit en dessous du seuil de la pauvreté. Cette distinction entre les centres urbains et les zones rurales oppose la population des colons chinois et la population de souche tibétaine: les Chinois habitent les villes de la Région autonome du Tibet et bénéficient de revenus non seulement beaucoup plus importants que les Tibétains des campagnes, mais aussi plus importants que dans toute la Chine. Le gouvernement chinois verse une prime à l'éloignement afin d'inciter les Chinois à venir dans une région réputée pour la rudesse de son climat.

Pour avoir accès à l'instruction, il est souvent exigé de la part des parents tibétains des campagnes qu'ils paient des droits d'inscription difficilement supportables ou qu'ils achètent les fournitures scolaires, les manuels et certains services, tandis que tous les enfants chinois des villes les reçoivent gratuitement. Il arrive aussi que les enfants tibétains soient forcés d'effectuer certains travaux domestiques dont les enfants chinois sont exemptés, comme laver les toilettes, balayer le parquet de la classe, faire la cuisine, etc., sous prétexte que les petits Tibétains doivent collaborer à leur éducation. Dans les campagnes, la rareté des écoles oblige les élèves à effectuer à pied des trajets très longs.

Finalement, toutes ces difficultés conduisent parfois certains parents à ne scolariser qu'une partie de leurs enfants, les garçons par exemple, voire à ne plus les envoyer à l'école, puisque le tibétain apparaît inutile. Au Tibet, seule la connaissance du chinois permet de trouver du travail. Dans les campagnes, lorsque les Tibétains font leurs études en chinois, ils ne trouvent pas davantage du travail bien rémunéré, et deviennent alors bergers ou travailleurs agricoles.

- Un enseignement «bilingue» ambigu

La Chine a officiellement mis en place en 2010 «l'enseignement bilingue» dans les écoles primaires et secondaires de toutes les zones de minorités ethniques, une politique pédagogique respectée au niveau international, car elle encourage les élèves à apprendre à la fois la langue locale et la langue nationale. Le gouvernement chinois appelle cette politique «l'éducation bilingue», mais en fait elle remplace progressivement le tibétain par le mandarin comme langue d'enseignement dans toutes les écoles primaires de la Région autonome du Tibet, à l'exception des classes tibétaines. Plus de la moitié des Tibétains de Chine, soit 53,3%, vivent dans la région autonome du Tibet.

Dès les années 1960, le mandarin a commencé à devenir la langue d'enseignement dans presque tous les collèges et lycées de la région; par la suite, les autorités régionales du Tibet ont permis à plus d'écoles primaires et même de jardins d'enfants d'enseigner en mandarin aux enfants tibétains. Dans des rapports publics, les autorités de la région autonome ont proposé que la nouvelle politique n'exige que des cours supplémentaires pour que les étudiants tibétains adoptent le mandarin, et que les écoles pourraient choisir leur langue d'enseignement, mais il existe clairement une énorme pression pour passer au mandarin exclusivement.

En dehors de la région autonome du Tibet, les autorités chinoises ont mis en place un enseignement de la langue chinoise dans toutes les écoles primaires tibétaines. Dans la province de Qinghai, l'administration locale a ordonné à toutes les écoles primaires d'enseigner le mandarin comme principale langue d'enseignement à partir de l'année scolaire 2019-2020. Cette politique est appliquée dans les autres provinces (Gansu, Sichuan et Yunnan).

Selon les médias d'État chinois, les autorités de la Région autonome du Tibet prévoyaient d'atteindre un objectif de 80 % d'enseignement en mandarin dans les jardins d'enfants d'ici la fin de 2020. En d'autres termes, plus de 80 000 enfants tibétains de plus de trois ans dans les jardins d'enfants ont reçu cette forme d'«éducation bilingue».

Il faut constater que cette politique dite «d’éducation bilingue» de la Chine est motivée non pas par des impératifs pédagogiques, mais par des considérations politiques. La Constitution chinoise (art. 4.4) garantit les droits linguistiques des minorités dont notamment l’enseignement en tibétain dans les écoles primaires. Cependant, le climat politique étant devenu de plus en plus répressif, les autorités chinoises considèrent désormais que même les initiatives locales de promotion de la langue tibétaine constituent des «activités séparatistes». Or, les faits démontrent que dans la région autonome les autorités locales ont adopté des mesures destinées à faire pression sur les écoles locales pour qu’elles adoptent l’enseignement en mandarin. Par exemple, elles ont embauché des milliers d’enseignants non tibétophones venus d’autres régions de Chine, dans le cadre du programme «Aid Tibet», et favorisent ethniquement les «classes mixtes» au nom de l’«unité des nationalités». De ce fait, l’adoption du mandarin commun par les écoles devient quasiment inévitable, en particulier dans les zones urbaines, même si elles ne subissent pas de contrainte directe.

Pour défendre la politique de conversion des écoles tibétaines à l'enseignement de la langue nationale, les responsables chinois affirment souvent que l'amélioration de la connaissance de la langue chinoise aidera les écoliers tibétains à trouver des emplois à l'avenir. Cette affirmation est bien connue au Tibet. Cependant, les raisons de la mise en œuvre de l'enseignement de la langue chinoise dans les jardins d'enfants tibétains semblent assez différentes. L'objectif réel des autorités chinoises est de renforcer l'intégration du mandarin chez les élèves tibétains de la maternelle dans le but de «réduire les facteurs d'instabilité dans les zones tibétaines».

L'accent mis sur la réduction du risque de dissidence ou de troubles politiques futurs se reflète également clairement dans la justification par le Parti communiste chinois d'adopter une politique de «mélange ethnique» et «d'identité culturelle». Les enfants des minorités ethniques à l'école maternelle et à l'école primaire doivent recevoir une rééducation (un «endoctrinement») politique intensive, soulignant que la politique d'intégration ethnique du parti et d'autres objectifs politiques ne manqueront pas de profiter au pays et au peuple. De cette façon, les enfants n'ont que peu ou aucune occasion d'être exposés à d'autres points, et ce, d'autant plus que les médias promettent également la nécessité de donner la priorité à l'enseignement en mandarin, avec peu ou pas de mention d 'autres moyens d'éducation.

- Le détournement de l'éducation bilingue

En réalité, les équipements scolaires destinés aux minorités ne le sont qu'en principe, car de nombreux Chinois s'inscrivent dans ces écoles en tibétisant leur nom afin de se faire admettre dans ces écoles. Les autorités ferment les yeux sur cette pratique parce que, à long terme, les élèves tibétains vont être numériquement minorisés.

Les statistiques officielles du gouvernement central montrent que les enfants d'immigrants chinois au Tibet composent 37 % de la population scolaire du primaire et qu'ils occupent près de 35 % des places disponibles dans les écoles secondaires; selon des sources provenant de Lhassa, les chiffres réels seraient plus proches de 60 %. Le système perpétue aussi la discrimination raciale et est explicitement adapté à l'élimination des dissidents politiques. Selon les statistiques officielles chinoises de 1986, quelque 1700 enseignants œuvraient dans les écoles secondaires de la Région autonome du Tibet: seulement 38 % étaient tibétains.

À cause des difficultés linguistiques (le tibétain devient une option au secondaire), les élèves tibétains quittent les écoles secondaires et demeurent incapables de terminer leurs programmes d'études. Lors des examens, non seulement les jeunes Tibétains doivent rivaliser avec des élèves chinois qui, eux, emploient leur langue maternelle, mais ils sont aussi confrontés avec des matières qu'on ne leur a jamais correctement enseignées. Dans le meilleur des cas, une allocation d'examen de 20 points est accordée aux élèves tibétains pour compenser le handicap linguistique. Cette allocation est présentée comme un geste magnanime envers les élèves tibétains ainsi considérés comme moins intelligents que les Chinois.

- Les enseignants

Les déclarations publiques des autorités tibétaines sont délibérément ambiguës, tout en exerçant en même temps des pressions indirectes, comme envoyer davantage d'enseignants qui ne comprenaient pas le tibétain à enseigner dans les écoles primaires le mandarin, ce qui a pour effet d'abandonner l'enseignement du tibétain. La politique linguistique de la Chine dans la région autonome du Tibet limite ainsi les possibilités pour les Tibétains de recevoir leur instruction dans leur langue maternelle. Le nombre d'enseignants qui ne parlent pas tibétain dans les écoles primaires des régions tibétaines a triplé entre 1988 et 2005, et selon le plan actuel, 30 000 autres devaient être transférés au Tibet et au Xinjiang d'ici 2020. Les professeurs non tibétains n'ont pas besoin d'apprendre le tibétain, donc ils enseignent en mandarin. Un grand nombre de ces enseignants œuvrent dans des collèges ou des lycées de la Région autonome du Tibet, mais également en éducation préscolaire et en particulier dans les zones rurales : selon une étude réalisée en 2017 par des universitaires chinois, 30% des enseignants d'un canton de Lhassa ne comprennent pas un traître mot de tibétain.

En outre, depuis au moins 2016, des centaines d'enseignants tibétains ont été transférés dans d'autres provinces pour poursuivre leurs études en mandarin, car depuis 2017 tous les enseignants tibétains sont tenus de connaître cette langue. 

- Les universités

Des cours spéciaux de tibétain sont donnés à l'université du Tibet, qui est ouverte aux étudiants venant de toute la Chine. Mais la tendance actuelle est plus à l'apprentissage des langues étrangères, notamment l'anglais, que du tibétain.

À l'Université du Tibet, seulement 44 % des élèves sont tibétains. Par exemple, les départements de science et de mathématiques ne comptent presque que des étudiants chinois. Étant donné que les exigences pour l'admission aux universités tibétaines sont moins élevées que dans les autres universités de la République populaire de Chine, les Chinois moins qualifiés, qui ne résident pas dans la Région autonome du Tibet, viennent étudier au Tibet, ce qui a pour effet de réduire le nombre de places disponibles pour les Tibétains. Les étudiants qui s'inscrivent à l'Université du Tibet de Lhassa doivent réussir un examen d'entrée en chinois pour s'inscrire, non en tibétain. Beaucoup de Chinois han profitent ainsi de l'occasion, et ce, d'autant plus qu'ils témoignent d'une plus grande maîtrise du chinois que les Tibétains; ils réussissent mieux. Tout l'enseignement à l'Université du Tibet est dispensé chinois, sauf pour les départements de médecine et d'art, où l'enseignement est donné en partie en tibétain. Les possibilités pour les étudiants tibétains de faire leurs études outre-mer ou à l'étranger sont aussi très limitées; seulement 150 étudiants tibétains sont choisis annuellement, contre des milliers pour les Chinois.
Moins de 30 % des enseignants dans les universités tibétaines sont tibétains. De plus, les enseignants chinois obtiennent un salaire plus élevé que leurs collègues tibétains, en vertu d'une prime à l'éloignement. Cependant, ces mêmes enseignants chinois repartent souvent en Chine centrale, ce qui fait que le roulement du personnel est très important. L'Annuaire chinois statistique (1986) fait état que seulement 27 % des enseignants d'université dans la région autonome sont tibétains.

4.5 Les médias

Il existe au Tibet une quinzaine de journaux et plus d'une trentaine de périodiques. Selon une dépêche de l'agence officielle Xinhua (Chine nouvelle), datée de juillet 1995, quelque 55 publications sont éditées dans la région autonome : 23 en tibétain, 30 en mandarin et deux en anglais. Ainsi, Le Quotidien du Tibet («Xizang Ribao») de 16 pages est un journal publié dans les deux langues (en deux versions distinctes): environ 20 000 en tibétain et 30 000 en chinois. C'est le principal journal paraissant à Lhassa, et l'organe de presse du Comité tibétain du PCC. C'est pourquoi le journal se contente de traiter surtout des réalisations chinoises dans la région autonome. La quasi-totalité des informations provient des traductions de l'agence chinoise Xinhua (Chine nouvelle).

- La presse écrite

D'autres quotidiens tels que le Lhassa Soir («Lhassa Wanbao»), publié par le comité de Lhassa du Parti communiste chinois, est en tibétain et en chinois; il est spécialisé dans les informations économiques tout en étant contrôlé par les organismes officiels. Dans les régions à peuplement tibétain, mais rattachées à d'autres provinces chinoises, il existe des journaux en tibétain (et en chinois) tels que Le Quotidien du Qinghai, Le Quotidien du Sichuan, etc. Du côté des magasines, mentionnons le Zhi fu zhi you («Comment s'enrichir»), fondé en 1997, qui est une revue trimestrielle de langue tibétaine s'adressant aux fermiers et éleveurs. Ce sont toujours des journalistes chinois, dont la majorité est membre du parti communiste chinois, qui dirigent les journaux. Ils imposent une censure relativement sévère et décident de tous les choix rédactionnels. Plusieurs magazines édités à Pékin sont également consacrés à l'actualité du Tibet. Par exemple, dans La Chine au Tibet, un mensuel publié en tibétain et en chinois, de nombreux articles abordent les questions touchant la région autonome. Évidemment, le dalaï-lama est tenu par les autorités chinoises pour le grand responsable de tous les actes de résistance commis jusqu'à aujourd'hui: «Le dalaï-lama est non seulement une personnalité religieuse, mais aussi un exilé politique qui s'active depuis longtemps à l'étranger pour diviser la patrie, monter une armée, fomenter la violence, susciter des troubles à l'intérieur du pays et saboter l'union nationale.»

Selon Pékin, le tibétain est largement employé dans les médias et dans les publications. En fait, la plupart des journaux, livres et périodiques distribués au Tibet sont en mandarin, non en tibétain. John Billington, un observateur australien indépendant, a remarqué qu'il y avait 408 magazines en vente en mandarin, mais un seul en tibétain. Selon les autorités chinoises, la presse tibétaine aurait publié quelque 2000 titres environ, dont la majorité en tibétain, soit au total plus de 50 millions d'exemplaires. Dans un rapport sur la liberté de la presse au Tibet, Reporters sans frontières a constaté qu'il existe une bonne vingtaine de publications clandestines, généralement publiées en tibétain; malgré la répression qui guette les rédacteurs et distributeurs, chacune de ces publications est rédigée à la main et distribuée à raison d’une centaine d’exemplaires, le tout dans des conditions extrêmement risquées.

- Les médias électroniques

À la radio, les stations locales émettent en tibétain et en mandarin. Dès 1960, la Radio tibétaine, une radio publique, diffusait sa première émission en chinois, mais ce n'est qu'en septembre 1973 que la station a réussi à émettre à la fois en tibétain et en chinois. Jusqu'à présent, le Tibet compte deux stations régionales de radio, 36 bases de lancement et stations de relais de radio, trois stations de télévision par câble et 470 stations de lancement et de relais de télévision.

Étant donné que toutes les stations radiophoniques sont contrôlées par les autorités de Pékin, les émissions en provenance de la radio étrangère offrent une source d'informations non censurées sur le Tibet et le monde extérieur. Présentement, trois radiodiffuseurs à ondes courtes offrent une programmation sur le Tibet: La Voix de l'Amérique (Voice of America), Radio Free Asia et Voice of Tibet. Ces stations sont basées aux États-Unis (les deux premières) et en Norvège (la dernière). Les stations émettrices sont toutes situées à l'extérieur de la Chine: aux Seychelles, au Tadjikistan, au Kazakhstan, en Inde, aux Philippines, au Pakistan, etc. Voice of America diffuse en de très nombreuses langues, dont en anglais, en chinois, en tibétain, en russe, en kurde, en birman, en azéri, en portugais, en français, en espagnol, etc. Pour sa part, Voice of Tibet émet en tibétain et en chinois. Quant à Radio Free Asia, elle diffuse en neuf langues: mandarin, cantonais, tibétain, ouïghour, birman, vietnamien, laotien, khmer, cambodgien et coréen (pour la Corée du Nord). Les émissions de ces diffuseurs attirent au Tibet un très vaste auditoire. Ainsi, la plupart des familles tibétaines syntonisent la Voix de l'Amérique pour écouter les nouvelles du matin.   D'autres radios émettent en tibétain depuis l'étranger. Ainsi, All India Radio est une station contrôlée par le gouvernement indien; elle est limitée à des communiqués de la part des autorités de New Delhi et des informations sur les activités du dalaï-lama.

Les autorités chinoises, pour leur part, tentent périodiquement de brouiller les programmes de ces stations. À diverses reprises, le gouvernement américain, par exemple, s'est plaint auprès des autorités de Pékin, mais les officiels chinois ont toujours démenti être à l'origine de ces brouillages. En raison de ces brouillages, mais aussi à cause des caractéristiques géographiques du Tibet, les radios émettant en ondes courtes depuis l'étranger doivent changer régulièrement de fréquence.

En ce qui a trait à la télévision, les Tibétains peuvent capter quatre chaînes par ondes hertziennes de la Télévision du Tibet:

Tibet-1 : diffusé par satellite en langue tibétaine, couvre une quinzaine d'émissions en raison de 71 minutes produites par la station elle-même, et 200 heures par an de films et téléfilms traduits du chinois en tibétain;
Tibet-2 : diffusé par satellite en chinois, couvre 14 émissions en raison de 114 minutes par jour de produites par la station elle-même;
Tibet-3 : une chaîne spécialisée dans les films, téléfilms et émissions culturelles en raison de 17 heures de programmation par jour;
Tibet-4 : une chaîne spécialisée dans la vie économique.

Par ailleurs, la Station de télévision de Lhassa diffuse depuis octobre 1996 ses émissions par câble, en tibétain et en chinois. Elle dispose de trois chaînes:

Chaîne-1 : programmes généraux, dont les rubriques principales sont «Nouvelles de Lhassa», «Programmes pour enfants», «Chansons sur commande», «Théâtre tibétain et chinois» et «Place de la Télévision»;

Chaîne-2 : émissions culturelles et sportives, dont des matchs et des programmes culturels pour enfants;

Chaîne-3 : émissions spécialisées pour les téléfilms, les films, le «cinéma familial» et les «guides d'achats».

Ces chaînes diffusent quatorze heures de programmation par semaine. Selon la direction de l'agence Xinhua (Chine nouvelle), les émissions diffusées par satellite ont vocation «d'informer dans sa langue la minorité tibétaine sur les affaires intérieures et étrangères».

Quoi qu'il en soit,  les télévisions et radios officielles demeurent les plus importants outils de propagande pour le Parti communiste chinois. Ainsi, les discours des principaux dirigeants chinois sont régulièrement retransmis, généralement en chinois, afin de contrer les «activités contre-révolutionnaires» au nom de la «nécessaire dictature du prolétariat». Les journalistes de la radio et de la télévision sont dans l'obligation d'appliquer la «politique de sinisation» de la langue tibétaine. Par exemple, les présentateurs des bulletins d'information en tibétain doivent délaisser l'accent tibétain au profit d'une prononciation plus proche du chinois officiel (putonghua). Tous les sujets concernant les activités du gouvernement tibétain en exil, le dalaï-lama, la liberté religieuse ou les droits de l'homme sont obligatoirement bannis des ondes. Tous les journalistes vivent dans une grande insécurité, tant ils ont peur d'être inquiétés par la police avec des accusations d'avoir publié des «pamphlets contre-révolutionnaires». Depuis 1990, de nombreux journalistes ont été emprisonnés et torturés.

 

La Région autonome du Tibet n'est pas maître de son destin. Par conséquent, elle ne peut adopter la politique linguistique qu'elle désire. Les dirigeants tibétains doivent forcément composer avec une politique chinoise qui ne leur est pas très favorable. En fait, la politique linguistique appliquée dans la Région autonome du Tibet compte deux volets. L'une provient de Pékin et elle correspond à une politique qui se rapproche de l'assimilation dans la mesure où l'État central ne cherche pas à protéger la langue tibétaine, mais plutôt à temporiser en attendant que les Tibétains s'assimilent en douce au chinois mandarin. Le problème, c'est que les Tibétains considèrent leur langue comme la source de leur culture, alors que les autorités chinoises la perçoivent comme le symbole du sentiment nationaliste (comprendre «séparatiste»). C'est pourquoi toute politique orientée vers la sauvegarde de la langue tibétaine est perçue comme antipatriotique par les Chinois. 

Malgré les déclarations officielles, le mandarin (putonghua) continue d'être la principale langue d'enseignement dans les écoles primaires tibétaines. Les écoles sont devenues des «incubateurs» pour propager l'idéologie communiste; elles servent à former de futurs sinophones dociles qui agiront comme des leaders dans leur communauté afin de consolider le contrôle chinois sur le Tibet à des fins patriotiques. D'ailleurs, depuis des années, le gouvernement chinois envoie des contingents d'enseignants chinois au Tibet et déplace les enseignants tibétains dans d'autres provinces chinoises de façon à leur démontrer que leur langue est inutile et désuète. Parfois, ces enseignants tibétains reviennent dans leur région natale et ne savent plus communiquer dans leur langue maternelle. Il s'agit là d'une pratique apparentée à une politique coloniale de discrimination contre une population autochtone ou indigène. C'est ainsi que les autorités chinoises peuvent accorder la préférence du travail aux colons chinois, sous prétexte que les Tibétains ne sont pas suffisamment qualifiés. Dans ces conditions, la langue écrite tibétaine se détériore graduellement.

En somme, la politique linguistique pratiquée au Tibet par les autorités chinoises correspond à une politique d'assimilation, malgré les instruments juridiques de protection dont bénéficient théoriquement les Tibétains. Il semble bien que les lois et les Livres blancs soient là pour masquer les pratiques de sinisation et de «nettoyage ethnique». Ces instruments juridiques, qui ne servent pas à protéger la langue tibétaine, sont là pour amadouer la communauté internationale et protéger à la rigueur les petites minorités nationales ne constituant pas une menace pour la patrie chinoise. En Chine, les politiques linguistiques pratiquées à l'égard des nationalités ont des objectifs louables de protection, mais elles cachent aussi une stratégie de contrôle destinée à les intégrer de force dans la Grande Nation chinoise.

En 1951, dans l'Accord en 17 points, le gouvernement chinois avait fait la promesse de respecter la «nature unique» du Tibet. C'est réussi: c'est la province la plus pauvre du pays, la région autonome la plus opprimée de la Chine, le seul territoire de travail des militants maoïstes d'extrême gauche, la seule région où les médecins sont autorisés à pratiquer une politique de régulation des naissances sous la forme d’infanticides, d’avortements et de stérilisations forcés.  Comme le souligne le sinologue Patrice de Beer: «Le Tibet est certainement l'épine la plus douloureuse dans le pied du gouvernement de Pékin.» Le Tibet vit sous un régime colonial au moyen duquel les Chinois imposent leurs idées et leurs valeurs, le tout avec un fort patriotisme normalement accompagné de racisme, de dogmatisme, de mépris et d'ignorance. Pour la Chine, le Tibet, cet immense désert d’altitude (4000-4500 m), constitue un territoire de colonisation de premier choix, car il servira un jour à désengorger un pays surpeuplé.

En définitive, il ne faut pas se faire trop d'illusions sur le sort du Tibet. Le mieux que les Tibétains puissent espérer de la Chine dans la situation actuelle, ce serait un statut d'autonomie similaire à celui de Hong Kong ou de Macao, ce qui serait évidemment considérable! Mais ce n'est pas pour demain la veille! Alors que Hong Kong et Macao étaient, au moment de leur rétrocession, de formidables locomotives économiques, le Tibet, pour sa part, ne bénéficie d'aucun rapport de force avec le gouvernement central, ses seuls leaders étant des moines bouddhistes. Ce ne sont pas des moulins à prières qui vont impressionner le gouvernement chinois, car ils représentent les symboles de la féodalité et de l'asservissement d'un peuple crédule. Si les Tibétains disposaient d'une formidable armée, d'une aviation, de chars d'assaut, etc., ce serait autre chose. Et la communauté internationale semble peser d'un bien petit poids face à la nouvelle puissance économique de la Chine. Quel État semble prêt à sacrifier son potentiel économique pour le Tibet? Aucun! Il n'en demeure pas moins que la situation humanitaire des Tibétains d'aujourd'hui s'est néanmoins améliorée depuis la reconquête chinoise. Il est difficile de le nier, mais c'est au prix de l'identité tibétaine.

 
Dernière mise à jour: 20 févr. 2024
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