République de Côte d'Ivoire

Côte d'Ivoire

 
Capitale: Yamoussoukro (depuis 1983)
Population: 23,8 millions (2017)
Langue officielle: français 
Groupe majoritaire:
aucun 
Groupes minoritaires:
baoulé (19,5%), dioula (17,7%), sénoufo (9,9%), yacouba (6,2%), anyin (6,0%), mooré (5,7%), et plus de 70 autres langues nationales
Langue coloniale: français
Système politique: république unitaire
Articles constitutionnels (langue): article 29 de la Constitution du 23 juillet 2000
Lois linguistiques:  Loi n° 60-366 du 14 novembre 1960 portant Code de procédure pénale (1960); Loi n° 64-373 du 7 octobre 1964, relative au nom, modifiée par la loi n° 83-799 du 2 août 1983 (1964); Loi n° 64-374 du 7 octobre 1964, relative à l'état civil, modifiée par la loi n° 83-799 du 2 août 1983 (1964); Décret n° 66-375 du 8 septembre 1966 portant création de l'Institut de linguistique appliquée (1966); Loi n° 69-372 du 12 août 1969 portant statut du notariat (1969); Loi du 18 août 1977 n° 77-584, portant réforme de l'enseignement (1977); Loi n° 95-15 du 12 janvier 1995 portant Code du travail (1995); Loi n° 95-696 du 7 septembre 1995 relative à l'enseignement (1995); Décret n° 2004-564 du 7 octobre 2004 portant organisation du ministère de l'Éducation nationale (2004); Décret 2009-259 portant Code des marchés publics (2009); Décret n° 2012-625 du 6 juillet 2012 portant attributions des membres du gouvernement (2012).

1 Situation générale

La Côte d'Ivoire est un État d'Afrique occidentale de 322 463 km² (l'équivalent de l'Allemagne), baigné par le golfe de Guinée au sud (l'océan Atlantique), limité à l'ouest par le Libéria et la Guinée, au nord par le Mali et le Burkina, à l'est par le Ghana (voir la carte générale du pays).

Le territoire ivoirien est divisé en 19 régions (voir la carte détaillée des régions), puis en départements, sous-préfectures et communes. En août 2009, on comptait 19 régions, 2 districts, 81 départements, 390 sous-préfectures, plus de 8000 villages et environ 1000 communes. Les régions administratives sont les suivantes: région des Lagunes, région du Sud-Comoé, région de l'Agnéby, région du Haut-Sassandra, région des Savanes, région de la Vallée du Bandama, région du N'zi-Comoé, région du Moyen-Comoé, région des Montagnes, région des Lacs, région du Zanzan, région du Bas-Sassandra, région de Worodougou, région du Denguélé, région du Sud-Bandama, région de la Marahoué, auxquelles il faut ajouter, depuis 1999, la région du Fromager, la région du Moyen-Cavally et la région du Bafing.

Abidjan, la capitale économique du pays et son plus grand port, abrite 3,9 millions d'habitants. Depuis qu’en 1983 Yamoussoukro, ville natale de l'ancien président Houphouët-Boigny, est devenue la capitale politique du pays, la population de cette ville a plus que triplé, pour atteindre pratiquement 300 000 habitants. Comme autres villes importantes, mentionnons aussi Bouaké (1,5 million d'habitants), Daloa (173 107), Korhogo (142 039 ), Man (116 657) et Gagnoa (107 124 ).

2 Données démolinguistiques

La population ivoirienne est assez inégalement répartie dans le pays, puisque la région des Lagunes (avec la ville d'Abidjan) compte à elle seule 34 % de la population totale; les cinq régions les plus peuplées (Lagunes, Haut-Sassandra, Savanes, Vallée du Bandama, Montagnes) dépassent les 73 % de la population. 

2.1 Les ethnies

La Côte d'Ivoire constitue une véritable mosaïque ethnique, car on y dénombre plus de 60 ethnies différentes qu'on peut regrouper en quatre grands groupes (selon des critères linguistiques):

1) Le groupe mandé : localisé dans le nord-ouest du pays, ce groupe, appelé aussi mandingue, compte surtout les Malinké, les Bambara, les Dioula, les Foula, etc. Au centre-ouest, l'ethnie des Dan réside dans la zone montagneuse du pays, principalement autour de Man.

2) Le groupe krou : au centre-sud et au sud-ouest résident les Krou ou Magwé, la principale population de cet ensemble ethnique étant les Bété.

3) Le groupe gour (voltaïque): au nord-est, ce groupe constitue l'un des plus anciens peuples du pays, avec les Sénoufo et les Lobi, qui  habitent le Nord. 

4) Le groupe akan : à l'est, au centre et au sud-est se trouvent les Akan, l'ethnie la plus nombreuse, et que l'on divise en Akan du Centre (principalement Baoulé), en Akan frontaliers (Agni, Abron, etc.) et en Akan lagunaires (Ebrié, Abouré, Adioukrou, Appolloniens, etc.).

Les ethnies les plus importante sont les Sénoufo (9,7 %), les Malinké (8,5 %), les Baoulé (6,6 %), les  Dan appelés aussi Yacouba (5,9 %), les Bété (5,7 %), les Agni (4,5 %), les Gouro (3,6 %), les Dioula (3,4 %), les Guéré (3,4 %), les Dida (2,1 %), les Lobi (1,8 %), les Wobé (1,7 %), les Abé (1,4 %), les Adjoukrou (1 %), les Ébrié (0,7 %), etc.

La Côte d'Ivoire accueille sur son sol quatre à cinq millions d'étrangers, soit au moins le tiers de sa population, un cas presque unique au monde. Mentionnons notamment les Burkinabés (environ trois millions), les Ghanéens (environ 500 000), les Libériens (100 000), les Européens (environ 20 000 Français, dont un tiers de binationaux, des Allemands, des Belges, etc.), les Américains et les Syro-Libanais (environ 100 000).

2.2 Les langues

Sur le plan linguistique, le pays offre une aussi grande diversité: on y dénombre quelque 70 langues. La quasi-totalité des langues appartient à la grande famille nigéro-congolaise. Les colonisateurs français ont à l'époque regroupé les langues en groupes linguistiques. On distingue ainsi en côte d'Ivoire les langues ouest-atlantique, kwa, gour, krou et mandé. Seules six langues sont parlée par plus d'un million de locuteurs; 28 par plus de 1000 locuteurs et 37 par plus de 50 000 locuteurs, sans compter les nombreuses langues parlées par quelques milliers ou quelques centaines de locuteurs. Le tableau ci-dessous ne présente que les langues comptant plus de 50 000 locuteurs.

Ethnie Population Pourcentage Langue Religion
Baoulé 4 645 000 19,5 % baoulé chrétienne
Malinké 4 217 000 17,7 % dioula musulmane
Sénoufo 2 129 000 9,9 % sénoufo ethnique
Dan 1 490 000 6,2 % dan (yacouba) ethnique
Anyi 1 444 000 6,0 % anyin chrétienne
Mossi 1 361 000 5,7 % moore chrétienne
Bété 730 000 3,0 % bété ethnique
Attié 642 000 2,6 % attié chrétienne
Gouro 580 000 2,4 % gouro ethnique
Fulani 479 000 2,0 % peul musulmane
Guéré du Centre 422 000 1,7 % we du Sud ethnique
Haoussa 395 000 1,6 % haoussa musulmane
Kulango 372 000 1,5 % koulango ethnique
Malinké mau 348 000 1,4 % mahou musulmane
Akan 346 000 1,4 % akan Chrétienne
Dida 336 000 1,4 % dida Chrétienne
Lobi 270 000 1,1 % lobi ethnique
Abe, Abbey 268 000 1,1 % abe Chrétienne
Wobe 265 000 1,1 % we du Nord ethnique
Brong 223 000 0,9 % abron ethnique
Soninké sarakolé 185 000 0,7 % soninké musulmane
Ebrié 152 000 0,6 % ébrié chrétienne
Odienne 147 000 0,6 % wojenaka musulmane
Adjoukrou 140 000 0,5 % adioukrou chrétienne
Bissa 127 000 0,5 % bisa ethnique
Worodougou 115 000 0,4 % worodougou musulmane
Yoruba 115 000 0,4 % yoruba chrétienne
Nzema 113 000 0,4 % nzema chrétienne
Aburé 93 000 0,3 % aburé chrétienne
Abidji 85 000 0,3 % abidji chrétienne
Koyaga 84 000 0,3 % koyaga musulmane
Nyabwa-Nyedebwa 72 000 0,3 % nyabwa ethnique
Grebo de la Côte 71 000 0,3 % grebo du Sud chrétienne
Gagou 70 000 0,3 % gban ethnique
Tura 67 000 0,2 % toura ethnique
Koro, Koro Jula 58 000 0,2 % koro musulmane
Arabe Libanais 55 000 0,2 % arabe leventin musulmane
Autres 1 015 000 4,2 %    
Total 2017 23 816 000 100,0 %    

Toutes ces langues appartiennent à la famille nigéro-congolaise, à l'exception de l'arabe leventin (famille afro-asiatique).

- Le dioula

Le dioula occupe une position privilégiée, car il sert de langue véhiculaire commerçante entre les Ivoiriens; bien qu'il ne constitue la langue maternelle que de 17,7 % de la population, il serait parlé comme langue seconde (à des degrés divers) par sept millions de locuteurs, ce qui lui confère un rôle important comme langue véhiculaire, notamment dans les échanges commerciaux. La vitalité des langues ivoiriennes ne fait pas de doute puisque 88 % des conversations relevées dans les marchés se font dans l'une de ces langues. De plus, la moitié des enfants parleraient au moins deux langues africaines dont le dioula, le baoulé, le bété et l'agni. C'est pourquoi il demeure surprenant que les langues ivoiriennes n'aient pas encore obtenu un rôle plus important dans la vie sociale du pays.

- Le français

Quant au français, c'est la langue officielle de l'État et celle de l'école. Comme un peu partout en Afrique, les langues nationales, surtout celles qui sont de moindre importance, sont apprises dans le cadre familial, notamment en milieu rural lorsque les deux parents sont de la même ethnie et qu’ils parlent leur langue à leurs enfants. Cependant, même en ce cas, il arrive que la langue des parents soit utilisée concurremment avec le français. Par exemple, dans une grande ville comme Abidjan, le français vient largement en tête des langues apprises comme première langue et il n’est concurrencé que par le dioula, mais uniquement dans les quartiers à fort taux de population d’origine mandingue.

À Abidjan et dans la plupart des centres urbains, les enfants sont exposés très tôt aux différentes variétés du français. En effet, il existe en Côte d’Ivoire trois variétés de français : le français ivoirien, le français populaire ivoirien et le «nouchi». Le français dit «ivoirien» correspond pour l'essentiel au français standard, mais avec une prosodie toute particulière influencée par les langues tonales d'Afrique; il en résulte une musicalité de la langue bien différente de celle du «français de France». Le français populaire ivoirien provient d’une appropriation spontanée et libre du français. Quant au nouchi, c'est un argot né au début des années 1980 appelé aussi le «français de la rue». Le nouchi se caractérise au niveau lexical par des changements de sens et des emprunts aux langues ivoiriennes, notamment au dioula. Le nouchi utilise la syntaxe du français standard ou du français populaire ivoirien.

En somme, le français en Côte d'ivoire est à la fois une langue véhiculaire et et une langue vernaculaire. C'est aussi un français parlé qui se particularise. Jusqu’au début des années 1990, l'école restait le lieu privilégié de l'apprentissage du français dans sa forme scolaire. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, car la rue a pris le relais de l'école. Il est vrai que le nombre de locuteurs déclarant parler français est en constante augmentation, mais la qualité générale de la langue française parlée est décriée par les intellectuels ivoiriens. La plupart des jeunes ayant appris le «français de la rue» sont persuadés que leur «français ivoirien» correspond au français officiel standardisé, mais ce français employé en Côte d’Ivoire tend actuellement à apparaître comme un système fortement régionalisé au point que l'intercompréhension entre les deux variétés de français peut devenir quasi nulle. Plus d'un million de locuteurs n'utilisent qu'une variété pidginisée de français, appelée officiellement «français populaire ivoirien», mais aussi «français petit-nègre», une variété de français à peu près inintelligible pour un francophone non ivoirien tant les différences peuvent être importantes aux plan phonétique, grammatical et lexical.  

2.3 Les religions

Il n'existe pas de religion majoritaire en Côte d'Ivoire. Plus du tiers des Ivoiriens (38 %) adhère à l'islam. Suit le christianisme, surtout le catholicisme (22 %) et le protestantisme (5,5 %).  Le reste de la population, notamment dans les campagnes, est demeuré fidèle aux religions traditionnelles ou tribales (17 %), qui imprègnent plus ou moins profondément les autres croyances. Enfin, 17 % des Ivoiriens ont d'autres religions.

Soulignons qu'il peut exister des liens entre la religion et les langues en Côte d'Ivoire. Ainsi, l'usage de la langue française, bien que prépondérant, n’est pas institutionnalisé. Par exemple, certaines religions utilisent les langues locales ivoiriennes. Si les chrétiens et assimilés utilisent à égalité le français et les langues ivoiriennes, les musulmans emploient plutôt l'arabe et le dioula. 

3 Données historiques

On ignore encore l'histoire très ancienne de la Côte d'Ivoire, car le climat humide du pays ne favoriserait guère la conservation des ossements. Toutefois, la découverte de fragments d'armes et d'outillages montre qu'au paléolithique supérieur (-15 000 à -10 000 ans) des hommes étaient déjà présents dans la région. À la fin du Ier millénaire, le nord de la Côte d'Ivoire était peuplé par les Sénoufo et les Koulango. Il semble que les Pygmées soient arrivés au cours de cette période dans cette partie de l'Afrique, car ils étaient poussés à se déplacer par la disparition des forêts du Sahara. On sait aussi que, dès le Xe siècle, le commerce transsaharien atteignait le nord de la Côte d’Ivoire en entraînant les premières migrations de populations mandingues, qui s’établirent, un peu plus tard (vers le XIIIe siècle), à la lisière de la forêt. D'après les textes écrits par les premiers explorateurs européens, des mouvements migratoires se seraient accélérés au moment de la constitution des grands empires du Ghana, du Mali et du Songaï et se seraient poursuivis jusqu'au XVIIIe siècle pour donner au pays sa configuration ethnique actuelle: les peuples lagunaires le long de la côte, les Mandé au nord et à l'ouest, les Sénoufo au nord, les Krou à l'ouest, les Akan à l'est et les Gour au nord-ouest.

Dès le XVe siècle, les explorateurs portugais parvinrent jusqu’à la côte à partir de laquelle ils organisaient la traite négrière et le commerce de l’ivoire. Rappelons que, 1494, le pape Alexandre VI Borgia avait contraint les Espagnols et les Portugais à signer le traité de Tordesillas qui traçait les limites territoriales entre l'Espagne et le Portugal: tout ce qui serait découvert à l'ouest du méridien appartiendrait à l’Espagne et à l'est (Brésil et Afrique), au Portugal. C’est ce qui explique pourquoi ce furent d’abord les Portugais qui colonisèrent l’Afrique de l’Ouest, sous l'impulsion du roi Henri le Navigateur, vers 1470. C'est aussi au cour de cette période que datent les différentes appellations données au pays par les Européens; celles-ci varient en fonction de l’accueil que les populations leur réservaient et des produits qu’ils échangeaient avec ces dernières. C'est ainsi qu'on a Côte des males gens (ou «mauvaises gens»), Côte des graines et de la malaguette (nom donné au poivre de la Guinée), Côte des dents, Côte du morphil (nom donné à l'ivoire) et Côte d’ivoire.  Les Portugais donnèrent à plusieurs villes et fleuves les noms que nous leur connaissons aujourd'hui: Sassandra, San Pedro, Fresco, Cabo Palmas, etc.

Afin de répondre aux nouveaux besoins de la révolution industrielle, l'amiral français Bouet croisa régulièrement dans la région à partir de 1830. Il signa plusieurs contrats de monopole du commerce avec les chefs des différentes tribus ivoiriennes. Ces contrats portaient essentiellement sur le commerce de l'or, de l'ivoire, du caoutchouc et de l'huile de palme. Petit à petit, les Français s'installèrent sur toute la côte jusqu'à ce qu'ils soient chassés par les Anglais en 1870.

3.1 La colonisation française

Cependant, le négociant français Arthur Verdier décida de rester en Côte d'Ivoire et de tenir tête aux Anglais; il fit planter du café dans la région d'Assinie. On sait que la culture du café deviendra plus tard la principale culture en Côte d'Ivoire avec le cacao.  Mais les Français se trouvèrent en compétition ouverte pour la domination de la région avec les Britanniques qui avaient jeté leur dévolu sur la Côte-de-l’Or (l'actuel Ghana), la Gold Coast devenue la colonie britannique la plus prospère. Les Britanniques imposèrent partout leur langue et leurs institutions dans leurs colonies, au Ghana comme ailleurs. Les zones d’influence respectives de la Grande-Bretagne et de la France furent fixées au congrès de Berlin en 1885. Louis Gustave Binger (1856-1926) fut nommé «résident français aux Établissements de la Côte d'Ivoire» et, à ce titre, agit comme le représentant de la France auprès des chefs locaux. À partir de 1887, Marcel Treich-Laplène, un commis de Verdier, remonta vers le nord du pays en signant des traités au nom de la France, notamment avec les Bettié, les Agni et les Abron. Le 10 mars 1893, le décret portant création de la Colonie de Côte d'Ivoire était signé et Louis Gustave Binger en devenait le gouverneur et Grand-Bassam fut choisie comme capitale. Les Français se heurtèrent à la résistance farouche des populations, qui utilisèrent les tactiques de la guérilla. Les foyers d'opposition furent réprimés de manière brutale et les différentes régions de la Côte-d'Ivoire ne furent conquises qu'une à une, car il faudra plus de vingt ans à la France pour réellement s'imposer dans la région.

Dans son entreprise de conquête de l’intérieur des terres, la France se heurta dans le Nord au conquérant malinké, Samory Touré, un guerrier d'origine guinéenne dont les forces étaient armées de fusils acquis auprès des Britanniques. En 1897, Samory fit raser la ville de Kong, dont les habitants avaient pactisé avec la France; celle-ci dut même avoir recours à l'aide britannique pour anéantir le nouvel empire de Samory Touré, qui ne fut vaincu qu'en 1898 et déporté au Gabon où il mourut en 1900. Le conflit avait tout de même dévasté une grande partie de la région. En 1899, Grand-Bassam subit une terrible épidémie de fièvre jaune; les Français se retirèrent de la ville et firent de Bingerville la nouvelle capitale de la Côte d'Ivoire.

La culture du café, introduite en Côte d’Ivoire par les colonisateurs dès 1882, se développa et une classe de petits planteurs apparut.  En 1932, Félix Houphouët-Boigny, jeune médecin formé à l'École de médecine de Dakar, prit la défense des planteurs de cacao contre l’appropriation des terres par les grands propriétaires coloniaux et contre la politique économique qui pénalisait les planteurs autochtones. La Côte d’Ivoire fut alors soumise aux milieux d’affaires comme la SCOA, la CFAO et les Établissements Peyrissac. Ces grosses compagnies incitèrent le gouvernement français à intégrer à la colonie, entre 1932 et 1947, les régions très peuplées du centre et du sud de la Haute-Volta (l'actuel Burkina), dont les habitants étaient recrutés pour le travail dans les plantations et constituaient le gros des contingents de «tirailleurs sénégalais» envoyés sur le front européen durant les deux guerres mondiales. Le recours au travail forcé, pour la construction de la voie ferrée entre Abidjan et Ouagadougou destinée à parfaire l’intégration économique de ces territoires, renforça l’opposition anticoloniale

La France ne put assurer sa domination sur l’ensemble de la Côte d’Ivoire qu’au début du XXe siècle. En 1902, la Côte d'Ivoire intégra l'Afrique occidentale française dont le gouverneur résidait à Dakar. À partir de 1908, le gouverneur Angoulvant élabora un plan de «pacification» définitive, mais les autorités coloniales durent réprimer les révoltes des Baoulé et des Bété jusqu'en 1915. 

- La langue française

Pendant que les militaires se chargeaient de la «pacification» des territoires conquis, l'administration française et surtout l'école s'assuraient de la diffusion et de l'expansion du français. Dès le début de la colonisation française, il s’établit un lien entre l'expansion coloniale, la promotion sociale et la connaissance du français. Tandis que le français était imposé comme langue officielle de l'administration coloniale, les langues ivoiriennes étaient systématiquement ignorées, car la valeur de la culture africaine ne pouvait en aucun cas entrer en ligne de compte. L'un de ceux qui ont le mieux propagé l’idéologie colonialiste française fut sans nul doute Hubert Lyautey (1854-1934), premier résident général du protectorat français au Maroc en 1912, ministre de la Guerre lors de la Première Guerre mondiale, puis maréchal de France en 1921. Voici comment en 1929 Lyautey résumait dans l'Atlas colonial français la mission civilisatrice et humaniste de la France dans les colonies:
 

La colonisation, telle que nous l’avons toujours comprise n’est que la plus haute expression de la civilisation. À des peuples arriérés ou demeurés à l’écart des évolutions modernes, ignorant parfois les formes du bien-être le plus élémentaire, nous apportons le progrès, l’hygiène, la culture morale et intellectuelle, nous les aidons à s’élever sur l’échelle de l’humanité. Cette mission civilisatrice, nous l’avons toujours remplie à l’avant-garde de toutes les nations et elle est un de nos plus beaux titres de gloire.

La politique coloniale française en matière d’éducation et d’administration correspondait à l'idéologie des conquérants. Dans Langues et langage en Afrique noire (Paris, Payot, 1967), Pierre Alexandre, professeur à l'École des langues orientales, décrit ainsi la langue française enseignée dans les colonies:
 

C’est celle de François Ier, de Richelieu, de Robespierre et de Jules Ferry. Une seule langue est enseignée dans les écoles, admise dans les tribunaux, utilisée dans l'administration : le français tel que défini par les avis de l'Académie et les décrets du ministre de l'Instruction. Toutes les autres langues ne sont que folklore, tutu panpan, obscurantisme, biniou et bourrée; et ferments de désintégration de la République. Tel était du moins le principe, qui trouva son expression définitive avec les décrets des années 30, interdisant l'emploi dans l'enseignement, même privé, de toute langue autre que le français (sauf pour le catéchisme et l'instruction religieuse, matières dépourvues de sanction officielle).

Le problème, c'est que ce n'est pas tout à fait le français de François Ier ni celui de Jules Ferry qui a été enseigné en Côte d'Ivoire. Maurice Delafosse (1870-1926), un administrateur colonial français, aussi enseignant et linguiste, écrira plutôt que le français enseigné aux Noirs était un français «adapté» plus facile à comprendre et à enseigner :
 

Les indigènes ont beau parler notre langue, nous avons toujours beaucoup de mal à nous faire comprendre et à les comprendre, et comme il n’est pas naturel, puisque nous nous estimons supérieurs à eux, que ce soit eux qui se mettent dans notre peau, c’est à nous de nous mettre dans la leur [...] il faut évidemment n’employer que les formes les plus simples des mots, mais surtout il faut n’employer que les mots que les Noirs peuvent comprendre.

Ces propos préfigurent quelque peu la naissance du «français petit-nègre» et autres variétés de français d’Abidjan ou de Côte d’Ivoire. Maurice Delafosse essaie d'expliquer qu'il s'agit d'une création de la part des Noirs et non parce que les Français leur ont mal enseigné le français:

On nous dit souvent que c’est nous qui avons inventé le « petit-nègre » et que si nous parlions aux Noirs un français correct, ils parleraient de même. Ce raisonnement est puéril ; si nous ne voulons parler à un Noir qu’un français correct, il sera plus d’un an avant de pouvoir nous comprendre, et quand il nous comprendra enfin, il nous répondra en petit-nègre : voilà la vérité (je ne parle pas bien entendu d’un Noir auquel on apprendrait le français de façon régulière).

Cette qualification de «français petit-nègre» correspond à l’idéologie dominante de l’époque, car ce français se voulait «adapté» à la mentalité des Noirs. Soulignons que le français enseigné n'était pas toujours le français standard, surtout dans les villages. De fait, certains anciens combattants ivoiriens, après leur démobilisation, furent parfois utilisés comme enseignants dans les écoles de villages. C’est dans ces écoles qu’on comptait essentiellement des «moniteurs improvisés» parlant le français dit «petit-nègre».

Cependant, la situation de multilinguisme généralisé, le manque d’enseignants qualifiés et l'omniprésence des «écoles de village», des «écoles régionales» et des «écoles urbaines» faisaient en sorte que l’enseignement dans les langues ivoiriennes n’était pas véritablement interdit. D'ailleurs, un circulaire en date du 5 janvier 1939 rappelait que, conformément à une lettre du ministre des Colonies, «l’usage des
langues indigènes [...] est autorisé à titre complémentaire pour l’enseignement pratique et pour l’éducation professionnelle ou ménagère». En effet, en conformité avec cette circulaire, quelques manuels furent rédigés dans certaines langues (baoulé, dioula, attié, adioukrou, etc.), mais l'expérience ne dura guère, les autorités coloniales invoquant comme raison que le trop grand nombre des langues indigènes rendait incontournable l’imposition définitive du français.

- Le combat pour l'indépendance

En 1944, Houphouët-Boigny créa un syndicat agricole africain (le Syndicat agricole africain, SAA), qui fut à l’origine du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Les différentes factions politiques créées dans les colonies de l’Afrique occidentale française (AOF) menèrent le combat pour l’indépendance. Au cours des deux guerres mondiales, les Français mirent abondamment à contribution leurs colonies: ils recrutèrent un grand nombre de soldats en Côte d'Ivoire, accrurent le travail forcé et exigèrent la fourniture gratuite de certains produits comme l'huile de palme et le caoutchouc. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la pression économique et le durcissement du régime provoquèrent le mécontentement croissant de la population et la montée du nationalisme. En 1946,  Houphouët-Boigny, alors député de la Côte d’Ivoire à l’Assemblée française, fut à l’origine de la loi abolissant le travail forcé dans les territoires français d’outre-mer, un statut auquel accéda, la même année, la Côte d’Ivoire.

La réforme de l'après-guerre fut déclenchée par l'arrêté du 22 août 1945, qui prescrivait l'«alignement» de l'enseignement primaire élémentaire en Afrique occidentale française sur celui de la métropole et la prolongation de la durée des études en EPS à quatre ans. L'arrêté du 22 août 1945 confirma que l’enseignement primaire élémentaire qui «a pour objet essentiel d’agir sur les populations africaines en vue de diriger et d’accélérer leur évolution [...] est donné uniquement en français». Dès lors, furent placardés sur les portes de toutes les écoles cette affiche qui rappelait l'interdiction de «parler breton» en France: «Défense de parler les dialectes dans l’enceinte de l’école.» Tout le monde comprit que l’enceinte de l’école devait être réservée au français et que les autres langues étaient employées à l'extérieur. Nous savons aujourd'hui que cette politique d'exclusion des langues ivoiriennes de l’école sera reconduite après l'indépendance.

Les partis politiques ivoiriens, à ce moment apparentés au Parti communiste français, s’opposèrent violemment à l’Administration française en 1949 en soutenant les grèves suscitées par la chute des cours du cacao. En 1951, Houphouët-Boigny adopta une stratégie de coopération avec le gouvernement français. Il participa à l'élaboration de réformes qui allaient déboucher sur la décolonisation. En 1957, il devint ensuite président du Conseil de l'AOF et déclara sa volonté de voir naître une Côte d'Ivoire républicaine et indépendante.

3.2 La Côte d’Ivoire indépendante

Le 4 décembre 1958, la Côte d’Ivoire devint une république au sein de la Communauté française, Houphouët-Boigny assurant les fonctions de premier ministre. Proche allié du général de Gaulle, Houphouët-Boigny rompit les liens unissant la Côte d'Ivoire à la France et proclama, le 7 août 1960, l'indépendance ivoirienne. Les deux États conservèrent néanmoins des relations étroites, notamment à travers la présence, en Côte d'Ivoire, d'une importante communauté française. Le 24 avril 1961, la France signait avec la Côte d'Ivoire, ainsi que le Dahomey et le Niger, un accord de défense militaire.

- Le règne de Houphouët-Boigny (1960-1993)

Les responsables politiques ivoiriens décidèrent de maintenir la langue qui leur semblait la plus immédiatement disponible et opérationnelle: la langue de l'ancien colonisateur, le français. En Côte dIvoire, l'idée d'unité nationale et de nation prônée après l'accession du pays à l'indépendance devait se réaliser à travers la langue française. De toute façon, le président Houphouët-Boigny fut l'un des grands défenseurs du français en Côte d'Ivoire: pour lui, le français constituait le «ciment de l'unité nationale» et ne devrait souffrir la concurrence d'aucun «dialecte».  Le maintien du français en Côte d'Ivoire est apparu comme un moyen de neutraliser les particularismes locaux et de fondre les groupes ethniques en une seule nation. L'un des présidents de l'Assemblée nationale a déclaré aux Nations unies à ce sujet:
 

Je dois toutefois à la vérité de dire qu'en ce qui concerne mon pays, l'adoption du français, par l'article premier de notre Constitution, a sans doute été l'un des facteurs d'unité qui ont favorisé l'aboutissement heureux et si rapide de l'œuvre de construction nationale dont Son Excellence le président Félix Houphouët-Boigny avait fait un des premiers thèmes de son action. Le français, librement accepté par nous, a été un facteur de cohésion à l'intérieur de la Côte d'Ivoire où il a favorisé le regroupement de nos quelque cent ethnies.

Le choix du français allait de soi, car le président Houphouët-Boigny, qui avait une excellente maîtrise de la langue française, considérait cette langue comme strictement utilitaire pour continuer à gérer l'État. On peut dire que Houphouët-Boigny a donné au français un rôle essentiellement pragmatique, ce qui a dû influencer par la suite l'attitude des Ivoiriens par rapport à la langue française. Ce choix du français n'est pas étranger non plus à la croissance économique d'ailleurs remarquable de la Côte d'Ivoire. Un ministre des Affaires culturelles (Jules Hié Nea) répondait à un journaliste:
 

Mais il ne faut pas oublier que la Côte d'Ivoire a choisi un développement ouvert sur le monde extérieur: la nécessité d'utiliser une langue internationale s'impose par de telles considérations. Le français est non seulement la langue de l'économie, de l'administration mais aussi de la plupart de nos écrivains.

Quant à la question des langues ivoiriennes, on a longtemps dénoté une grande réticence, de la part des dirigeants politiques, à l'aborder. Selon le linguistique québécois Denis Turcotte, le problème des langues nationales fut même constamment escamoté:
 

On semble entretenir l'espoir de voir bientôt le pays placé devant le fait accompli. Le français progresse si bien dans toutes les couches de la population que le jour n'est pas si loin où son statut ne sera plus remis en question.

L’ancienne Afrique occidentale française (AOF) vit naître un second pôle économique et politique, concurrent du Sénégal, où se trouvaient les administrations coloniales. La rivalité entre Léopold Sédar Senghor, un intellectuel sénégalais, et Houphouët-Boigny, un syndicaliste paysan pragmatique, était déjà ancienne. Le président ivoirien fit échouer le projet d’une grande fédération, qui devait reconstituer l’AOF et qui avait permis au Sénégal de maintenir sa prépondérance sur l’Afrique de l’Ouest francophone. La Côte d’Ivoire en était le pays le plus riche et son dirigeant avait l’ambition de fonder sa puissance politique sur le développement économique national. Avec l’ouverture du canal de Vridi en 1950, Abidjan, la capitale ivoirienne, devint un port de mer, puis un centre financier important.
 

La stabilité politique du pays qu’établit Houphouët-Boigny à travers un régime de parti unique favorisa la forte croissance économique des années soixante et soixante-dix (on parlait alors du «miracle ivoirien»), grâce à la bonne tenue des cours du café et du cacao, et à la création d'une caisse de stabilisation (Caistab) assurant aux paysans des revenus réguliers. La politique paternaliste d’Houphouët-Boigny suscita cependant une opposition croissante (manifestations étudiantes, conspirations dans l’armée, etc.). En 1983, le président Houphouët-Boigny, né à Yamoussoukro, décida d'en faire la capitale de la Côte d'Ivoire. Il y entreprit de grands travaux et fit construire une très grande cathédrale sur le modèle de Saint-Pierre de Rome (basilique Notre-Dame-de-la-Paix), alors que le pays ne comptait que 22 % de catholiques. Le déploiement d’un tel faste, alors même que l’économie nationale s’effondrait, alimenta le mécontentement de la population. 

En 1990, Houphouët-Boigny accepta, sous la pression des manifestations, d’instaurer le multipartisme. Dès cette époque, le problème de sa succession se posa, mais le président ne laissa pas aux dauphins constitutionnels (les présidents successifs de l’Assemblée nationale) la possibilité de s’imposer. Ce fut notamment le cas de Philippe Yacé (1920-1998). Président de l'Assemblée nationale pendant de nombreuses années, et collaborateur dévoué d'Houphouët-Boigny depuis 1941, il réprima le «complot» de 1963 et fut longtemps considéré comme le dauphin du chef de l'État, jusqu’à sa disgrâce en 1980. En octobre 1990, Houphouët-Boigny fut réélu pour un septième mandat de cinq ans, à l’issue des premières élections pluralistes du pays. L’ouverture politique ne fut cependant que formelle: en 1992, les principaux dirigeants de l’opposition, dont Laurent Gbabo, fondateur du Front populaire ivoirien, furent emprisonnés.

Puis, Houphouët-Boigny, celui que les Ivoiriens avaient surnommé «le Vieux», mourut le 7 décembre 1993 (jour anniversaire de l'indépendance) à l'âge de 88 ans. Le décès du seul président de la République depuis l'indépendance ouvrit la voie à des expériences politiques incertaines et à des changements brutaux. Trois chefs d'État se sont succédé à la tête du pays depuis lors, sans parvenir à restaurer cette stabilité politique. 

- La politique de l'ivoirité

Après la mort de Houphouët-Boigny, le président de l'Assemblée nationale, Henri Konan Bédié dit «HKB», termina le mandat en cours, conformément à la Constitution. Cependant, comme il en tenait pas son pouvoir d'une élection, sa position s'en trouva considérablement affaiblie. À la faveur d’un climat politique et social tendu, les oppositions entre communautés et régions se manifestèrent. Le scrutin présidentiel d’octobre 1995 fut ainsi marqué par des violences intercommunautaires touchant les immigrés qui, comme on le sait, constituent une part importante de la population. Ces dissensions opposèrent, notamment dans l’Ouest du pays, les Bété aux Baoulé, dont faisait partie le nouveau président Henri Konan Bédié, tandis que les musulmans du Nord et les Burkinabé immigrés de longue date et se considérant souvent comme ivoiriens (l'ancienne Haute-Volta a été intégrée à la Côte-d'Ivoire pendant l'époque coloniale) restèrent marqués par la marginalisation dans laquelle les institutions tentaient de maintenir Alassane Ouattara, ancien premier ministre, en raison de ses origines burkinabées. En 1998, le président Bédié voulut faire adopter une révision constitutionnelle instituant le septennat renouvelable jusqu'à l'âge de 75 ans. La possibilité pour le chef de l'État de reporter l'élection présidentielle prévue pour l'an 2000 souleva les protestations d'une opposition divisée. 
 

Le 26 décembre 1999, le chef de l'armée ivoirienne, le général Robert Giué, intervint pour faire cesser les manifestations de soldats mal payés, et destitua le président Bédié qui se réfugia au Togo, puis en France. Le général Giué mit en place un Comité national de salut public (CNSP) qui s'engagea à organiser des élections. Giué fit voter, le 23 juillet 2000, une nouvelle Constitution qui reprenait le concept de l'«ivoirité». Mais la nouvelle Constitution adoptée par référendum écartait la candidature d'Alassane Ouattara, cet ancien premier ministre de Houphouët-Boigny: sa nationalité ivoirienne était mise en doute à travers le nouveau concept d'«ivoirité». À la fin de la même année, la Cour suprême rejeta la candidature aux législatives de cet homme devenu icône des exclus du Nord et foyer de rébellion. Le conflit opposant les deux adversaires politiques a ranimé entre certains groupes ethniques des haines, dont les Burkinabé ont été les principales victimes. Le 9 octobre 2001, le président par intérim Laurent Gbabo ouvrit un forum de la Réconciliation nationale, avec Konan Bédié, ancien président renversé, Robert Giué , général putschiste, et Alassane Outtura, devenu chef de l'opposition. En novembre, un conflit lié à la propriété foncière a éclaté dans le sud-ouest du pays, entre des Ivoiriens de l'ethnie kroumen et la communauté immigrée, principalement originaire du Burkina Faso; fuyant les combats, plus de 20 000 immigrants se sont réfugiés à Grabo et Tabou, avant d'être renvoyés de force au Burkina.

Le concept d'ivoirité

Ce concept d'ivoirité fut évoqué pour la première fois le 26 août 1995 par le président Henri Konan Bédié. Il est basé sur la distinction entre les Ivoiriens dits de souche et les Ivoiriens dits d'origine douteuse ou de circonstance. Il correspond à un discours identitaire ivoirien un peu réducteur, car il promeut une hostilité à l'encontre des étrangers et des Ivoiriens musulmans du Nord.

En 1993, Laurent Gbagbo, alors dans l'opposition, avait demandé une révision du Code électoral afin d'interdire le vote des «étrangers». En 1998, une loi foncière réservait le droit de propriété de la terre aux seuls «Ivoiriens de souche», alors que Houphouët-Boigny, un militant de l'«hospitalité authentique», considérait que «la terre appartient à celui qui la cultive». Des milliers de paysans d'origine burkinabée du Nord furent expulsés. De plus, la Constitution de juillet 2000 adoptée sous le régime du général Giué énonce dans son article 35 que, pour être candidat à l'élection présidentielle, seuls sont considérés comme Ivoiriens ceux nés de père et de mère eux-mêmes ivoiriens. Puis une politique d'«identification nationale» s'est mise en place afin de déterminer la citoyenneté par l'appartenance à un village «authentiquement ivoirien».

Bref, ce concept d'ivoirité, développé en réaction au sentiment que les étrangers sont devenus «trop nombreux», est considéré comme l'une des causes des exactions commises ces dernières années en Côte d'Ivoire. 

En janvier 2000, la formation d'un gouvernement de transition réunissant le Front populaire ivoirien (FPI) du socialiste Laurent Gbabo et le Rassemblement des Républicains (RDR) de l'ancien premier ministre Alassane Ouattara tourna rapidement à la compétition entre ces deux candidats à la présidentielle, faisant ressurgir le problème de l'«ivoirité», qui avait été la cause politique de la crise précédente.  En octobre, ce fut le premier tour de l’élection présidentielle, qui devait mettre un terme à la transition militaire dirigée par le général Giué. Laurent Gbagbo déclara l’avoir emporté, mais le général Giué tenta de se maintenir au pouvoir par un coup d’État avant d’être mis en fuite par des manifestations massives. 

- La rivalité entre les clans Gbagbo et Ouattara

Laurent Gbagbo fut alors investi président de la République, mais de violents affrontements opposèrent ses partisans, chrétiens, à ceux, musulmans, du candidat Alassane Ouattara, dont la candidature, rappelons-le, avait été invalidée par la Cour suprême. Les hostilités tournèrent à la guerre civile entre les rebelles du Nord (Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire) et les loyalistes du Sud (Mouvement pour la justice et la paix). Un accord de cessation des hostilités fut signé à Dakar, le 17 octobre 2002. Cet accord a été complété par un autre accord, signé à Lomé, le 13 janvier 2003, par le gouvernement ivoirien, non signataire de celui du 17 octobre 2002. Mais les conflits se poursuivirent sur fond de connotation ethnique dans le nord du pays. À l'invitation du président de la République française, une table ronde des forces politiques ivoiriennes s'est réunie à Linas-Marcoussis, du 15 au 23 janvier 2003. Chaque délégation des différentes factions ivoiriennes a analysé la situation et fait des propositions de nature à rétablir la confiance et à sortir de la crise, la plus grave que ce pays ait connue depuis plusieurs décennies; ce fut l'accord de Marcoussis du 24 janvier. Le président Gbagbo parvint à conserver son poste jusqu'aux élections présidentielles de 2005, mais il dut accepter des ministres rebelles.

Puis, s'estimant attaqué depuis le Liberia, le gouvernement de Côte d'Ivoire a demandé à Paris d'appliquer les accords de défense (de 1961). La France envoya près de 6000 soldats dans le pays. Mais les «patriotes», des groupes de soutien au président Gbagbo, déclenchèrent une émeute anti-française sous l'œil amusé des diplomates américains. Le président Gbagbo a semblé remettre en question les accords de Marcoussis qu'il qualifiait de «propositions françaises». Ce fut le début d'évacuation des familles françaises (environ 20 00 personnes). Or, la moitié des PME et la moitié des recettes fiscales du pays étaient assurées par ces Français.

À la suite d'une élection présidentielle sous tension en 2010, les deux candidats arrivés au second tour, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, prêtèrent serment chacun de leur côté comme président du pays. Alassane Ouattara avait été déclaré vainqueur par la Commission électorale indépendante, alors que Laurent Gbagbo l'avait été par le Conseil constitutionnel. La Côte d'Ivoire s'est retrouvée avec deux présidents tentant de s'imposer sur l'ensemble du pays. Mais Alassane Ouattara, bénéficiant de l'appui de nombreux États étrangers réussit avec ses troupes à contrôler l'ensemble du pays, jusqu'à ce que Laurent Gbagbo soit placé en état d'arrestation et fait prisonnier, l'armée régulière, la gendarmerie et la police s'étant rangée du côté d'Ouattara.

Le 21 mai 2011, Alassane Ouattara devint officiellement président de la Côte d'Ivoire. Le président tente depuis lors de pratiquer une politique libérale et interventionniste afin de relancer l'économie du pays. Cependant, sa gestion de l'armée et de la justice lui entraîne la réprobation de la part des partis d'opposition qui l'accusent de perpétrer des exactions contre des partisans de son prédécesseur et de se livrer à une «justice des vainqueurs». Pendant ce temps, les routes et les infrastructures du pays sont dans un état de délabrement avancé, y compris les édifices publics, dont les universités qui ont dû être fermées durant un certain temps.  De plus, le gouvernement doit faire face à une corruption endémique et à un système judiciaire défaillant.

La Côte d'Ivoire a toujours été l'un des pôles économiques de l'Afrique de l'Ouest. Depuis les incertitudes provoquées par les coups d'État et les désordres qui ont accompagné les élections de 2010, la Côte d'Ivoire a rejoint le peloton des pays chroniquement instables, avec en prime une armée éclatée, une classe politique déboussolée, une population apeurée, une guerre civile larvée, des immigrés montrés du doigt, sans oublier «les Blancs qui partent». Pendant ce temps, la tradition de la gabegie et du détournement des fonds publics se perpétue en Côte d'Ivoire. La population, de son côté, continue de croupir dans la misère. 

4 La politique linguistique ivoirienne

La politique linguistique écrite de la Côte d'Ivoire a toujours tenu essentiellement à l'article 1 de la Constitution de 1963: «La langue officielle est le français Cette disposition signifiait que le français était la langue de la Présidence, de la République, de l'Assemblée nationale, de l'Administration publique, des cours de justice, de l'enseignement à tous les niveaux (primaire, secondaire, technique et professionnel, universitaire), des forces policières et des forces armées, de l'affichage et des médias.

Pour le reste, l'État n'est à peu près jamais intervenu, sauf de façon symbolique. Les modalités d'application de l'article 1er de la Constitution de 1963 ont été laissées à la discrétion des ministres. Dans les faits, les langues ivoiriennes et le français ont toujours eu leur domaine propre: les premières restent les langues utilisées dans les villages et pour les communications informelles, tandis que le français, langue de l'école, de la promotion sociale et du travail, est utilisé dans les villes. En juillet 2000, le général Giué fit voter par référendum, le 23 juillet 2000, une nouvelle Constitution qui reprenait le concept de l'ivoirité:
 

Article 35

Le président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n'est rééligible qu'une fois.
Le candidat à l'élection présidentielle doit être âgé de quarante ans au moins et de soixante quinze ans au plus.

Il doit être ivoirien d'origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d'origine.
Il doit n'avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne.
Il ne doit s'être jamais prévalu d'une autre nationalité.
Il doit avoir résidé en Côte d'Ivoire
de façon continue pendant cinq années précédant la date des élections et avoir totalisé dix ans de présence effective.

L'obligation de résidence indiquée au présent article ne s'applique pas aux membres des représentations diplomatiques et consulaires, aux personnes désignées par l'État pour occuper un poste ou accomplir une mission à l'étranger, aux fonctionnaires internationaux et aux exilés politiques.

Le candidat à la présidence de la République doit présenter un état complet de bien-être physique et mental dûment constaté par un collège de trois médecins désignés par le Conseil constitutionnel sur une liste proposée par le Conseil de l'Ordre des médecins. Ces trois médecins doivent prêter serment devant le Conseil constitutionnel.

Il doit être de bonne moralité et d'une grande probité. Il doit déclarer son patrimoine et en justifier l'origine.

L'article 29 de la Constitution ivoirienne de 2000, tout en reprenant l'article 1er de la Constitution précédente à propos du français (par. 5), ajouta une disposition concernant les langues nationales (par. 6): 
 

Article 29

1) L'État de Côte d'Ivoire est une République indépendante et souveraine.
2) L'emblème national est le drapeau tricolore orange, blanc, vert, en bandes verticales et d'égales dimensions.
3) L'hymne de la République est l'Abidjanaise.
4) La devise de la République est Union, Discipline, Travail. 
5) La langue officielle est le français.
6) La loi fixe les conditions de promotion et de développement des langues nationales.

Étant donné que le français est la langue officielle, tous les textes de lois et tous les textes administratifs sont rédigés dans cette langue.

Le décret n° 2012-625 du 6 juillet 2012 portant attributions des membres du gouvernement (2012) constitue l'un des rares textes juridiques en Afrique consacré à la Francophonie. En matière de culture, il doit assurer la promotion des langues nationales, mais en matière de Francophonie, il représente la Côte d'Ivoire et assure  la promotion et vulgarisation de la Francophonie auprès des populations:

Article 21

Le ministre de la Culture et de la Francophonie

Le ministre de la Culture et de la Francophonie est chargé de la mise en œuvre et du suivi de la politique du gouvernement en matière de culture et de francophonie.

À ce titre, et en liaison avec les différents départements ministériels intéressés, il a l'initiative et la responsabilité des actions suivantes: [...]

2- En matière de Francophonie

• Représentation de la Côte d'Ivoire dans les organes de la Francophonie;
• Suivi de l'évolution juridique et institutionnelle de la Francophonie;
• Organisation de la participation de la Côte d'Ivoire aux instances des divers sommets de la Francophonie;
• Renforcement des relations culturelles avec les ambassades et organismes francophones en Côte d'Ivoire;
• Contrôle de la mise en œuvre des décisions des sommets de la Francophonie;
• Promotion et vulgarisation de la Francophonie auprès des populations;
• Contribution au suivi et à l'évaluation des opérations de coopération culturelles francophones en Côte d'Ivoire.

4.1 Les tribunaux et les langues

Le français est aussi la langue des tribunaux. C'est pourquoi savoir lire et écrire le français constitue l'un des tout premiers critères pour le choix des jurés d’une cour d’assises. Même si le français est la langue officielle, la loi permet l'utilisation d'une langue ivoirienne aux justiciables ayant de la difficulté à s'exprimer en français. L'article 344 de la loi n° 60-366 du 14 novembre 1960 portant Code de procédure pénale (1960) autorise le recours à l'interprétariat:
 

Article 344

Dans le cas où l'accusé, les témoins ou l'un d'eux, ne parlent pas suffisamment la langue française ou s'il est nécessaire de traduire un document versé aux débats, le président nomme d'office un interprète, âgé de vingt et un ans au moins, et lui fait prêter serment de remplir fidèlement sa mission.

Comme il peut arriver qu'un justiciable ne parle pas la langue officielle, il faut en ce cas avoir recours à un interprète occasionnels.

4.2 L'administration publique

La langue de l'administration publique ivoirienne est le français, surtout à l'écrit, les documents officiels n'apparaissant qu'en cette langue. Mais à l'oral les fonctionnaires peuvent avoir recours aux langues ivoiriennes avec les citoyens s'ils connaissent la langue locales. Dans un acte d'état civil, l'agent responsable doit avoir recours à un interprète au besoin lorsque les parties contractantes ne parlent pas la langue officielle. L'article 27 de la loi n° 64-374 du 7 octobre 1964, relative à l'état civil, modifiée par la loi n° 83-799 du 2 août 1983 (1964) énonce la procédure utilisée:
 

Article 27

Si les parties comparantes, leur fondé de procuration ou les témoins, ne parlent pas la langue officielle et si l'officier ou l'agent de l'état civil ne connaît pas la langue dans laquelle ils s'expriment, leurs déclarations sont traduites par un interprète ayant préalablement prêté devant l'officier ou l'agent de l'état civil le serment ci-après :

«Je jure de bien et fidèlement traduire les déclarations des parties et des témoins ainsi que l'acte qui les constate.»

Mention en est faite dans l'acte.

Cette mention comporte l'indication de la langue dans laquelle la déclaration a été faite, des prénoms et nom de l'interprète, ainsi que de la prestation de serment de celui-ci.

L'article 28 de la même loi prescrit à la fois l'usage de la langue officielle et de la traduction avant de dresser l'acte de l'état civil:
 

Article 28

Avant de dresser l'acte, l'officier ou l'agent de l'état civil avise les parties comparantes ou leur fondé de procuration et les témoins, des peines prévues par la loi pour sanctionner les fausses déclarations.

L'acte établi, il leur en donne lecture et les invite, s'ils lisent la langue officielle, à en prendre connaissance avant de le signer.

Dans le cas prévu au premier alinéa de l'article précédent, la traduction de l'acte est faite par l'interprète.

Il est fait mention dans les actes de l'accomplissement de ces formalités.

Article 100

Toute pièce produite par un étranger en vue de l'établissement d'un acte de l'état civil, doit obligatoirement être accompagnée de sa traduction dans la langue officielle ivoirienne, certifiée conforme à l'original par le consulat de l'intéressé.

L'article 6 de la loi n° 64-373 du 7 octobre 1964, relative au nom, modifiée par la loi n° 83-799 du 2 août 1983 (1964) est ambigu dans la mesure où il ne précise pas si la langue utilisée dans un nom ou un prénom constitue un critère d'acceptation:
 

Article 6

Il est interdit aux officiers de l'état civil de donner des noms ou prénoms et de recevoir des prénoms autres que ceux figurant dans les différents calendriers ou consacrés par les usages et la tradition.

Selon l'article 33 de la loi n° 69-372 du 12 août 1969 portant statut du notariat (1969), tous les actes notariés doivent être rédigés en français et, si cela est nécessaire, le notaire doit être assisté d'un interprète:
 

Article 33

Toutes les fois qu'une personne ne parlant pas la langue officielle est partie ou témoin, le notaire doit être assisté d'un interprète ayant prêté serment devant la juridiction de sa résidence ou, à défaut, devant lui-même. Cet interprète traduit littéralement l'acte et le signe.

Les parents ou alliés, soit des parties contractantes, soit du notaire, en ligne directe à tous les degrés, et en ligné collatérale, jusqu'au degré d'oncle ou de neveu inclusivement peuvent remplir les fonctions d'interprète dans les cas prévus par le présent article, les légataires à quelque titre que ce soit, ni leurs parents ou alliés jusqu'au degré de cousin germain inclusivement.

Selon la loi n° 95-15 du 12 janvier 1995 portant Code du travail (1995), tous les contrats d'apprentissage doivent être rédigés en langue française:
 

Article 12.2

Le contrat d'apprentissage est celui par lequel un chef d'établissement industriel, commercial ou agricole, un artisan ou un façonnier s'oblige à donner ou à faire donner une formation professionnelle méthodique et complète à une autre personne et par lequel celle-ci s'engage en retour à se conformer aux instructions qu'elle reçoit et à exécuter les ouvrages qui lui sont confiés en vue de sa formation.

Le contrat doit être constaté par écrit. Il est rédigé en langue française.

Le contrat est exempt de tous droits de timbre et d'enregistrement.

En vertu de l'article 27 du décret 2009-259 portant Code des marchés publics (2009), le français est obligatoire dans les documents écrits concernant les marchés publics:
 

Article 27
 
Usage de la langue française

 
Dans le cadre des procédures de passation, d'exécution, de règlement, de contrôle et de régulation des marchés publics ainsi que des conventions de délégation de service public, toutes les pièces écrites, publiées, remises aux ou par les candidats, soumissionnaires, attributaires et titulaires, à quelque titre que ce soit, doivent être impérativement établies en langue française.

Il ressort de cette présentation que le français demeure la toute première langue dans la vie socio-économique de la Côte d'Ivoire. Certes, dans le secteur informel et sur les marchés, il est concurrencé par des langues comme le dioula ou l'agni-baoulé, bien que le français y soit tout de même présent. Dans ce secteur d’activité, le français populaire ivoirien et le nouchi, l'argot des jeunes, demeurent des langues tout aussi employées.

4.2 L'éducation

La Côte d'Ivoire possède un système d'éducation qui comprend un enseignement préscolaire, un enseignement primaire et secondaire général, un enseignement technique et de formation professionnelle, un enseignement supérieur. 

- Le français comme langue d'enseignement

L’enseignement préscolaire est l’étape scolaire offerte par les établissements ouverts aux enfants âgés de 3 à 5 ans. Ainsi, les élèves qui fréquentent l’école maternelle doivent être mieux préparés que les autres, notamment lorsque la langue d’enseignement n’est pas la langue parlée à la maison. Dans ce cas, le préscolaire peut servir à initier l’enfant à la langue d’enseignement (le français).

Le cycle primaire dure six ans; il est sanctionné par le certificat d’études primaires élémentaires (CEPE); l’âge officiel de fréquentation concerne les enfants de 6 à 11 ans. Au primaire, les élèves doivent obligatoirement parler français sous peine de sanctions, y compris parfois pendant les périodes de récréation. Selon les sources officielles, au terme de leurs six années d'études primaires, les enfants ivoiriens auraient une maîtrise suffisante du français pour pouvoir exprimer leurs idées sans trop de difficultés.

Le premier cycle de l’enseignement secondaire dure théoriquement quatre ans et est sanctionné par le brevet d’étude du premier cycle (BEPC); il concerne la population d’âge de 12 à 15 ans. L’accès à ce cycle est conditionné par le succès au concours d’entrée en sixième. Quant au deuxième cycle de l’enseignement secondaire, il se fait en trois ans et est sanctionné par le baccalauréat; il touche la population d’âge de 16 à 18 ans. Au secondaire, on introduit l'anglais comme langue seconde obligatoire; au deuxième cycle, les élèves doivent apprendre une autre langue étrangère au choix : l'espagnol ou l'allemand. De plus, depuis 1971, un programme de télévision éducative est destiné aux élèves du primaire et du secondaire. L'expérience de la télévision éducative semble jusqu'ici très concluante en ce qui concerne la maîtrise du français: les leçons de français semblent plus efficaces qu'avec les méthodes traditionnelles.

Pour ce qui est de l'enseignement technique et la formation professionnelle, il veut répondre aux besoins en formation des populations pour leur insertion durable dans la vie active et favoriser leur promotion socioprofessionnelle.

C'est le ministère de l'Éducation nationale qui est responsable de l'encadrement pédagogique des enseignants de la maternelle, du primaire et du secondaire.

- Les langues nationales

À tous les niveaux d'enseignement, c'est l'usage exclusif du français qui prévaut. Pourtant, l'Institut de linguistique appliquée de l'Université de Cocody-Abidjan a élaboré quelques projets, à titre expérimental, dans les langues nationales et le ministre de l'Éducation nationale a prévu un programme spécifique dénommé "Programme d’école intégrée" qui utilise dix langues nationales. Toutefois, il ne s’agit là que d’un enseignement expérimental tout à fait marginal. En 1977, la loi du 18 août 1977 n° 77-584, portant réforme de l'enseignement avait été adoptée par le Parlement avec comme mission d'introduire les langues nationales dans l'enseignement officiel:
 

Article 67

L'introduction des langues nationales dans l'enseignement officiel doit être conçue comme un facteur d'unité nationale et de revalorisation du patrimoine culturel ivoirien.

À cette fin, l'article 68 de cette loi n° 77-584 avait mandaté l'Institut linguistique appliquée de préparer l'introduction des langues nationales dans l'enseignement, notamment par leur description, leur codification, l'identification et la consignation de leurs grammaires et lexiques:
 

Article 68

L'Institut linguistique appliquée est chargé de préparer l'introduction des langues nationales dans l'enseignement, notamment par leur description, leur codification, l'identification et la consignation de leurs grammaires et lexiques, l'élaboration de manuels scolaires et le développement des productions littéraires garantissant leur caractère culturel.

L'article 2 du décret n° 66-375 du 8 septembre 1966 portant création de l'Institut de linguistique appliquée (1966) a comme vocation particulière la linguistique appliquée à l'enseignement des langues vivantes, sans que l'on sache s'il s'agit des langues nationales ou étrangères:
 

Article 2

Cet institut a vocation en matière d'enseignement universitaire et extra-universitaire, de recherche et de publication concernant la linguistique appliquée à l'enseignement des langues vivantes.

Il assure la coordination de toutes les recherches de sa spécialité en Côte d'Ivoire et, éventuellement, la formation des chercheurs s'intéressant à sa discipline.

Il est chargé de la gestion d'un laboratoire de langues vivantes. Il n'est pas habilité à délivrer des diplômes ou des certificats susceptibles d'être assimilés ou considérés comme équivalents à des diplômes universitaires.

Cependant, les textes définissant les modalités d’application de la loi n° 77-584 et du décret n° 66-375 n’ont jamais été adoptés. Malgré tout, les chercheurs de l’Institut de linguistique appliquée ont poursuivi leur mission de présenter des descriptions scientifiques complètes, de préparer du matériel didactique et de commencer certaines expérimentations. Le problème, c'est que la volonté politique n'a jamais suivi le mouvement en raison des enjeux politiques et socioculturels.

De plus, la loi n° 95-696 du 7 septembre 1995 relative à l'enseignement introduit une disposition concernant l'enseignement des langues nationales, mais cette disposition semble uniquement déclarative :
 

Article 3

Le service public de l’enseignement est conçu et organisé en vue de permettre l’acquisition des savoir, savoir-faire et savoir être, des méthodes de travail et d'assimilation des connaissances, la formation de l’esprit critique et le développement de la sensibilité et de la curiosité. Il doit garantir à l'enseignement et à la recherche, leurs possibilités de libre développement.

L'enseignement des langues nationales, les enseignements artistiques les enseignements technologiques et les activités manuelles, l’éducation physique et sportive concourent à la formation des citoyens.

Le rythme de l'enseignement comprend des périodes d'étude et des périodes de vacances. Le calendrier de l’année scolaire et universitaire est fixé par des textes réglementaires.

Cette loi réaffirme le droit à l’éducation et l’égalité de traitement de tous les citoyens, notamment dans l’enseignement public, mais en ce qui a trait aux langues nationales aucun décret de mise en application n'a encore été promulgué. À l'exception de quelques rares projets d'introduction des langues ivoiriennes dans l'enseignement primaire dans une douzaine d'écoles, tous les établissements d'enseignement fonctionnent uniquement en français.

L'article 12 du décret n° 2012-625 du 6 juillet 2012 portant attributions des membres du gouvernement énonce que l'élaboration, l'expérimentation et la promotion des programmes d'enseignement en langues nationales sont de la responsabilité du ministre de l'Éducation nationale :

Article 12

Le ministre de l'Éducation nationale

Le ministre de l'Éducation nationale est chargé de la mise en œuvre et du suivi de la politique du gouvernement en matière d'éducation nationale.

À ce titre, et en liaison avec les autres départements ministériels intéressés, il a l'initiative et la responsabilité des actions suivantes:

• Planification, mise en œuvre et évaluation des stratégies et programmes d'enseignement dans les domaines de l'enseignement primaire et secondaire général;
• Gestion administrative et pédagogique des structures d'enseignement primaire et secondaire général;
[...]
• Tutelle des établissements privés d'enseignement primaire et secondaire général;
• Suivi de l'organisation et du fonctionnement des établissements d'enseignement primaire et secondaire général;

Élaboration, expérimentation et promotion des programmes d'enseignement en langues nationales.

Quant au décret n° 2004-564 du 7 octobre 2004 portant organisation du ministère de l'Éducation nationale, il impose à la Direction de la pédagogie et de la formation continue l'élaboration, l'expérimentation et la promotion des programmes d'enseignement dans les langues nationales;
 

Article 16

La Direction de la pédagogie et de la formation continue (DPFC) est chargée de :

- La gestion et du suivi de la mise en œuvre des activités pédagogiques dans l'enseignement maternel, primaire et secondaire;
[...]
- L'élaboration, de l'expérimentation et de la promotion des programmes d'enseignement en langues nationales ;
- La coordination des activités du Projet écoles intégrées ;
- La formation continue des personnels enseignants, administratifs et d'encadrement pédagogique.

De toute évidence, les dirigeants politiques ivoiriens ne semblent pas avoir la ferme intention de faire des langues nationales des langues d'enseignement. Les moyens mis en œuvre ou l'absence de moyens, notamment dans les domaines de l'enseignement, ne laissent aucun doute à ce sujet. Néanmoins, de temps à autre, un politicien intervient pour promouvoir l'enseignement en langues ivoiriennes. Ainsi, en février 2013, le ministre de la Culture, Maurice Bandama, rappelait en ces termes l'importance des langues ivoiriennes: «Il faut introduire les langues nationales dans l’enseignement en Côte d’Ivoire. Cela apparait comme une nécessité absolue.» Puis il a évoqué la stratégie à mettre en place pour l’adoption de celles-ci dans le système d'éducation ivoirien.

Si le maintien du français en Côte d'Ivoire n'est pas remis en question, la politique actuelle de non-intervention à l'égard des langues ivoiriennes fait régulièrement aujourd'hui l'objet de controverses, compte tenu du sort peu enviable réservé aux langues nationales. Il est probable que les langues ivoiriennes ne pourront plus être ignorées dans un proche avenir, bien que 40 % de la population est déjà francisée, ce qui fait de la Côte d'Ivoire l'un des pays d'Afrique les plus «francophonisés». Pour l'instant, les responsables de la politique linguistique de la Côte d'Ivoire évitent de faire des choix en faveur d'une langue ivoirienne en particulier, ce qui correspond pour plusieurs à une tentative de noyer le poisson dans l'eau.

- L'enseignement supérieur

Le dispositif d’enseignement supérieur est essentiellement sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. On dénombrait ainsi en 2007 trois universités publiques, quatre grandes écoles publiques dont deux écoles professionnelles et deux écoles de formation pour les enseignants du secondaire et dix-huit universités privées. Il existe aussi un certain nombre d’établissements qui dispensent des formations post-baccalauréat. Ce sont en général des écoles spécialisées rattachées à des ministères techniques. Elles sont au nombre de 31. Tout l'enseignement est en français.

- Les difficultés

Beaucoup de spécialistes ivoiriens mettent sérieusement en doute la maîtrise du français des élèves. L'expérience semble démontrer que la scolarisation menée uniquement en français ne donne pas les résultats attendus. En effet, près de 80 % des élèves de première année du primaire n'obtiennent pas leur certificat d'études primaires. La majorité des élèves ne vivent pas dans un milieu favorable à l'acquisition du français. Il serait donc souhaitable que les enfants aient, avant d'apprendre le français, une expérience de scolarisation dans leur langue maternelle.

Le pays possède les moyens pour assurer une meilleure promotion des langues ivoiriennes. L'alphabet et l'écriture du dioula, du baoulé, du bété et du sénoufo ont été harmonisés et normalisés. Il ne reste que la volonté politique d'appliquer la loi n° 95-696 du 7 septembre 1995 relative à l'enseignement. Cette politique possible n'a pas pour objectif de sauvegarder les langues ivoiriennes qui ne sont pas menacées, mais la reconnaissance de quelques langues ivoiriennes importantes contribuerait à favoriser la promotion des classes sociales marginalisées par leur handicap linguistique.

4.2 Les médias

Tout comme le système d'enseignement, les médias sont perçus par les autorités ivoiriennes comme un puissant instrument d'unité nationale et de développement économique. Tout le pays est doté de moyens d'information modernes: journaux, radio, télévision, agences de presse, etc., ce qui fait de la Côte d'Ivoire l'un des pays d'Afrique les mieux équipés en ce domaine. La langue des médias écrit est le français, mais il existe deux magazines satiriques (Y a fohi et Gbich!) qui sont écrits en nouchi, la variété locale du français ivoirien. Voici quelques noms de journaux:  24 Heures, Fraternité Matin, L'Intelligent d'Abidjan, L'Inter, Ivoir Soir, Le Jour, Le National, Le Temps, Nord-Sud, Notre Voie, Le Nouveau Réveil, Le Patriote, etc. Les quelques textes disponibles en langues ivoiriennes relèvent du domaine de la confidentialité et sont destinés à des publics de spécialistes très restreints.

Dans les médias électroniques, une quinzaine de langues ivoiriennes sur une soixantaine sont utilisées à la radio à raison de deux périodes d'information de vingt minutes par semaine et par langue; a plupart des nouvelles stations émettent à 95% en français. Par exemple, sur un total hebdomadaire de 254 heures d’émissions cumulées, seules 26 heures sont consacrées à des émissions en langues nationales, tout le reste est diffusé en français.

La télévision diffuse seulement en français, sauf dans le cas des informations régionales quotidiennes, qui sont présentées en une douzaine de langues. Soulignons que la Radio-Télévision ivoirienne (RTI) a adopté, depuis plusieurs années, des programmes d'information radio et télévisés en langues nationales auxquelles s'ajoute le moré, langue des Mossi, dont une communauté de trois millions de personnes vit en Côte d'Ivoire. Présentement, la TRI consacre quinze minutes par semaine à chacune d'un ensemble de 23 langues ivoiriennes; il s'agit d'informations essentielles de la semaine.

En Côte d'Ivoire comme ailleurs, plusieurs langues nationales sont appelées à survivre au rouleau compresseur du français officiel. Jusqu'ici, la politique linguistique ivoirienne a consisté à assurer la primauté du français, pour ne pas dire son exclusivité, afin de favoriser l'unité nationale du pays et probablement le développement économique. Cependant, les langues africaines les plus faibles finiront pas faire les frais de cette politique de non-intervention. Il est probable que les langues ivoiriennes seront davantage enseignées dans un proche avenir, mais il ne faut pas se faire trop d'illusion, elles ne pourront tenir tête au français, solidement établi dans ce pays. Ces propos de l'Ivoirien Lansana Kouyaté, représentant spécial du secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), semblent révélateurs:
 

La langue française est une de nos langues maternelles C'est l'histoire qui crée les communautés linguistiques. On y naît et on l'assume ! Je parle français, je parle bété Je suis francophone, je suis bétéphone. Abandonnons les complexes et fixons la langue française comme une langue ivoirienne.

Si le français est devenu une «langue ivoirienne», cela signifie que la politique de valorisation de la langue officielle a réussi en Côte d'Ivoire, plus que partout ailleurs dans les pays africains dits francophones. 

Dernière mise à jour: 14 nov. 2023
 

Bibliographie

ALEXANDRE, Pierre. Langues et langage en Afrique noire, Paris, Payot, 1967, 173 p.

DÉRIVE, Jean et Marie-Josée. «Francophonie et pratique linguistique en Côte d'Ivoire» dans Politique africaine, no 23, Paris, Karthala, septembre 1986, p. 42-56. 

GAUTHIER, François, Jacques LECLERC et Jacques MAURAIS. Langues et constitutions, Montréal/Paris, Office de la langue française / Conseil international de la langue française, 1993, 131 p. 

KOUADIO N’GUESSAN, Jérémie. «Le français : langue coloniale ou langue ivoirienne?» dans Hérodote, Paris, Éditions La Découverte, n° 126, 2007, p. 69-85.

KOUADIO N’GUESSAN, Jérémie. «Le français en Côte d’Ivoire : de l’imposition à l’appropriation décomplexée d’une langue exogène», dans Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, n° 40/41, 2008, URL: http://dhfles.revues.org/125.

LECLERC, Jacques. Langue et société, Laval, Mondia Éditeur, coll. "Synthèse", 1992, 708 p.

TCHAGBALE, Zakari. «Langues nationales: les langues ivoiriennes à l'école, une réalité» dans Fraternité Matin, Abidjan, 10 Avril 2003.

TURCOTTE, Denis. «Analyse comparée de la planification linguistique en Côte d'Ivoire et à Madagascar», dans L'État et la planification linguistique, tome II, Québec, Éditeur officiel du Québec, p. 141-162. 

TURCOTTE, Denis. La politique linguistique en Afrique francophone, Québec, Presses de l'Université Laval, CIRB, 1981, 219 p.

 

Carte Afrique
L'Afrique

   
 

 
Accueil: aménagement linguistique dans le monde