République gabonaise

Gabon

 
Capitale: Libreville 
Population:
1,4 million (2005)
Langue officielle: français 
Groupe majoritaire:
aucun 
Groupes minoritaires:
une cinquantaine de langues dont le fang (32 %), le mpongwè (15 %), le mbédé (14 %), le punu (12 %), etc.
Langue coloniale: français
Système politique: république
Articles constitutionnels (langue): article 2 de la Constitution du 23 juillet 1995
Lois linguistiques: Code de procédure pénale (1961); Loi n° 21/2011 du 11 février 2012 portant orientation générale de l’éducation, de la formation et de la recherche.

1 Situation générale

Ce pays de l’Afrique équatoriale, traversé par l’équateur, est limité au nord par le Cameroun, à l’est et au sud par le Congo-Brazzaville, à l’ouest par l’Atlantique (voir la carte). La superficie du pays est de 267 667 km², soit moins de l'équivalent de l'Italie ou encore la moitié de la France. La capitale du pays est Libreville; c'est également la plus grande ville, avec une population estimée à 370 000 habitants. Les plus grandes villes après la capitale sont Port-Gentil (125 000 habitants), Franceville devenue Makusu (75 000 habitants) et Lambaréné (15 000 habitants).

Au plan administratif, le Gabon est formé de neuf provinces: Estuaire, Haut-Ogooué, Moyen-Ogooué, Ngounié, Nyanga, Ogooué-Ivindo, Ogooué-Lolo, Ogooué-Maritime et Woleu-Ntem (voir la carte à ce sujet). 

2 Données démolinguistiques

Au point de vue démographique, le Gabon reste un petit pays avec un million et demi d’habitants (2005).  Le peuple gabonais est composé d’environ 50 ethnies issues des diverses régions. Près de 73 % de la population vit en zone urbaine, dont 35 % dans la capitale Libreville et sa périphérie. L’intérieur du pays est peu peuplé. La province la plus peuplée est celle de l'Estuaire, là où est la capitale nationale.

Province Capitale Superficie Population
(2002)
Estuaire Libreville 20 740 597,2
Haut-Ogooué Franceville/Masuku 36 547 134,5
Moyen-Ogooué Lambaréné 18 535 54,6
N'gounié Moulia 37 750 100,3
Nyanga Tchibanga 21 285 50,8
Ogooué-Ivindo Makokou 46 075 63,0
Ogooué-Lolo Koulamoutou 25 380 56,6
Ogooué-Maritime Port-Gentil 22 890 126,2
Woleu-N'tem Oyem 38 465 125,4
TOTAL Libreville 267 667 1 308,6

2.1 Les ethnies

Aucune des ethnies gabonaises n'est majoritaire, mais les plus importantes communautés au point de vue numérique sont les Fang (32 %), les Mpongwè (15 %), les Mbédé (14 %), les Punu (12 %), les Baréké ou Batéké, les Bakota, les Obamba, les Pygmées, etc. Par ailleurs, les Mpongwè ne sont pas toujours considérés comme un groupe ethnique, mais plutôt un sous-groupe ethnique parmi les Myènè. Depuis longtemps, le Gabon compte des immigrants, soit environ 150 000 personnes, dont près de 10 000 Français qui contrôlent les domaines culturels et commerciaux. On trouve aussi des Libanais, des Nigérians, des Togolais, des Camerounais et d’autres venus s’installer au Gabon. Parmi ces populations, les Pygmées (environ 1% de la population totale) ont une place à part, car ils ont été les plus anciens à occuper le territoire ; ils sont appelés différemment selon les régions.

2.2 Les langues nationales

Comme la plupart des États d'Afrique subsaharienne, le Gabon est un pays multilingue. On compte près d'une cinquantaine de langues au Gabon, mais seul le fang, parlé par 32 % de la population (province de l'Estuaire) constitue une langue importante, avec le mbédé (15 %) et le punu (10 %). Les autres langues gabonaises ne sont parlées que par de toutes petites communautés, parfois tout juste 5000 locuteurs, souvent moins. La plupart des langues gabonaises appartiennent à la famille bantoue. Chacun des groupes d’origine bantoue (Fang, Bakota, Mbédé, Okandé, Myéné, Mérié) compte plusieurs variétés dialectales de sorte que les Gabonais parlent souvent entre eux le français comme langue véhiculaire. Seul le baka, parlé par les Pygmées, est une langue non bantoue (langue nigéro-congolaise).

2.3 Le français

Si l'on résume la situation, on peut dire que, parmi les 50 langues nationales, le français est la langue officielle et sert souvent de langue véhiculaire avec le «sabir» (ou «français militaire» et le fang (dans le Nord-Ouest rural). Dans la capitale (Libreville), le français est devenu l'unique langue véhiculaire en raison de l'apport des immigrants provenant de toute l'Afrique. De plus, le français est également devenu  la langue maternelle de plus de 30 % des Librevillois et il est de plus en plus perçu comme une langue gabonaise. Le nombre de jeunes ayant pour langue maternelle le français progresse dans les capitales provinciales et départementales, alors que dans les villages le français garde encore le statut de langue véhiculaire. Toutefois, dans l'ensemble, les langues gabonaises (env. 70 %) restent davantage parlées que le français (env. 30 %). Selon l'Organisation internationale de la Francophonie, 80 % de la population du pays serait capable de s'exprimer en français et 99 % des habitants de la capitale savaient en en 2010 lire, écrire et parler le français. Si tel est le cas, il s'agirait de la plus forte proportion de tous les pays du continent africain.

À côté du français dit «châtié» (officiel) parlé dans les administrations et les écoles, il s'est développé un «français militaire» parlé dans les rues et les marchés, déjà assez éloigné de la langue standard. Citons quelques-uns de ces mots en usage dans ce français gabonais: musonfi, iboga, odika, nkoumou, mbolo, tchouoo, bonami(e), mouza, mangamba, dongo-dongo, foufou, tchang, tchangueur, tchangueuse, tchanguer, gari, nganga, mapanes, matitis, cabangondo, yamba, mwanas, malamba, toutou, malamba, moussoungou, nyemboue, kanguer, malien (le), libanais (mon), cadeau (adj. et adv.), ngounda-ngounda, gépéen (désuet), mougoye, taximan, boy-chauffeur, clando, bedoum, etc. On remarquera que ce français gabonais contient un certain nombre d'emprunts aux langues locales africaines (tsogo, fang, punu, etc.); d'autres mots peuvent provenir de l'arabe, de l'éwé (langue kwa du Ghana ou du Togo), du lingala (Congo-Brazzaville et Congo-Kinshasa) et de quelques langues non africaines telles que l'espagnol, le portugais et l'anglais.

3 Données historiques

On connaît peu l'histoire passée du Gabon, sauf le fait que des vestiges préhistoriques trouvés le long de la vallée de l’Ogooué attestent d’une occupation très ancienne. Les Pygmées furent les premiers habitants connus de la forêt gabonaise. Vers le XIIIe siècle, les peuples de l’Ouest (Myéné, Mpongwé, Orungou et Galoa) s'étaient déjà établis dans le pays; ceux du Sud-Ouest, dont les Punu, vinrent du Congo, ceux du Sud-Est (Nzabi, Tégué) étaient liés aux Batékés de Brazzaville (Congo). L’installation des Fang, dans le Nord, commença progressivement à partir de la fin du XVIIIe siècle. 

En 1472, les Portugais furent les premiers Européens à pénétrer dans la région de l’Estuaire. Ils baptisèrent le pays Rio de Gabão, du fait de sa forme semblable à un caban (gabão en portugais). Le terme gabão se transforma ensuite en Gabon. Jusqu’au XVIIIe siècle, les tribus côtières entretinrent des relations commerciales avec les Européens. Les Portugais, puis les Français, les Hollandais, les Espagnols et les Anglais développèrent, au cours des siècles suivants, la traite négrière, à destination des pays du Nouveau Monde.

3.1 La colonisation française

En 1839, la France obtint le droit d’installer une base sur la rive gauche de l’Estuaire et, plus tard, sur la rive droite, ce qui marqua le départ de la colonisation française.  Dès lors, les missions catholiques françaises se multiplièrent dans le pays. En général, les missionnaires tentaient de connaître certaines langues locales afin d'évangéliser les autochtones dans leur langue maternelle. En 1870 après la défaite franco-allemande, l’Afrique offrit aux Français un territoire pour renouer avec une gloire perdue. C’est alors que commença la floraison de l’exploitation coloniale et l’expansion sur tout le territoire gabonais.

Aux termes du décret du 29 décembre 1903, portant organisation du Congo français et dépendances, le commissariat général comprenait :

- la colonie du Gabon ;
- la colonie du Moyen-Congo ;
- le territoire de l’Oubangui-Chari ;
- le territoire du Tchad.

En 1906, la France a découpé cette colonie en deux : le Gabon avec Libreville comme capitale et le Moyen-Congo avec Brazzaville comme capitale. Le commissariat général au Congo est devenu un gouvernement général du Congo français en 1909.

La langue de l'Administration coloniale fut uniquement le français. L'objectif de la France au Gabon était de faire du français la langue de l'unité nationale et d'assurer la promotion de la culture française. Les langues gabonaises n'intéressaient nullement le pouvoir colonial. Les sociétés commerciales de la Métropole reçurent de vastes concessions et s’engagèrent dans l’exploitation de l’Okoumé. Cependant, la mise en valeur du territoire demeura toujours très limitée.

La Convention du 4 novembre 1911 reconnut la cession à l’Allemagne d’une large bande de terrain au nord du Gabon. La colonie du Congo français fut alors remplacée par la Fédération de l’Afrique équatoriale française, qui servira de cadre administratif jusqu’à l’Indépendance. L’Afrique-Équatoriale française représentait un corridor territorial français entouré par le Congo belge au sud et le Cameroun allemand au nord. En 1913, un médecin  missionnaire, Albert Schweitzer,  fonda l’hôpital qui porte son nom à Lambaréné. Entre les deux guerres mondiales, le Gabon connut de nouvelles modifications territoriales. Ce fut seulement en 1946 que la région du Haut-Ogooué fut rattachée au Gabon, qui trouva ainsi sa forme actuelle. 

Durant le régime français, les autorités coloniales eurent recours au travail forcé, notamment pour la construction du chemin de fer Congo-Océan. Les conditions de vie et de travail furent tellement difficiles sur le chantier que 20 000 à 30 000 hommes trouvèrent la mort, ce qui suscita les premières révoltes massives contre l’Administration française. L’une des voix qui s’éleva pour dénoncer les abus fut celle de Léon M’Ba, un Fang nommé chef du canton en 1922. Il fut exilé en Oubangui-Chari (l'actuelle République centrafricaine) en 1933. Le Gabon devint un État indépendant le 17 août 1960 sous le nom de République gabonaise

3.2 La République gabonaise

Le premier président de la République fut justement Léon M'Ba, le proscrit des Français. Paradoxalement, avant les élections présidentielles de 1964, un coup d’État militaire à son encontre put être contrôlé grâce à l’aide des troupes françaises. L’opposition obtint un bon résultat aux élections. Le  président Léon M'Ba dirigea le pays jusqu’à sa mort survenue le 28 novembre 1967. En août 1966, la loi n° 16/66 permit d’organiser un service public avec une triple mission : l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, la gratuité de l’école de 6 à 16 ans et l’égalité des chances entre les sexes. Au fur et à mesure des décennies suivantes, certaines initiatives seront entreprises pour améliorer le système d'éducation pour tous.

- La présidence Bongo

Le 2 décembre 1967, conformément aux dispositions constitutionnelles, sa succession revint au vice-président Albert-Bernard Bongo. Il introduisit le système d’État d’un parti unique avec le Parti démocratique gabonais (PDG). En 1968, il se fait baptiser dans le but d'obtenir une audience avec le pape Paul VI. En 1973, il se convertit à l'islam et prit le patronyme d’El Hadj Omar Bongo. Pour les observateurs, cette conversion n'était qu'un moyen de se faire valoir de la part des pays de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole, principalement à majorité musulmane, car le Gabon était producteur de pétrole. En 1974, le Gabon devint membre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) — d’où le Gabon s’est retiré en 1995 —, puis en 1979 intégra la Conférence islamique.

De 1987 à 1989, manifestations et émeutes se multiplièrent dans les villes, ce qui provoqua l’intervention militaire de la France. Le président Bongo dut alors ouvrir son pays au multipartisme en 1990, mais continua à pratiquer une politique autoritaire. En septembre et octobre 1990 ont lieu les premières élections multipartites. Le PDG (Parti démocratique gabonais prit la première position avec 59 % des voix; il fut suivi par le RNB (Rassemblement national des bûcherons avec 19 % et le PGP (Parti gabonais du progrès avec 18 %. Le 26 mars 1991, la loi relative à la nouvelle Constitution de la République gabonaise fut adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Les Gabonais connurent leurs premières élections présidentielles en 1993, qui ramenèrent le président Omar Bongo au pouvoir. Cette élection présidentielle n'apaisa guère l’opposition démocratique, qui accusa la présidence de fraude. Le père Paul M’Ba Abessolé, un candidat populiste arrivé en seconde position derrière Omar Bongo, constitua un gouvernement parallèle qui reçut le soutien de toute l’opposition.

En 1994, de nouvelles émeutes, à Libreville et à Port-Gentil, contribuèrent à l’ouverture de négociations entre le pouvoir et l’opposition. Les accords, difficilement négociés à Paris et conclus à Libreville en octobre 1994, prévoyaient la formation d’un gouvernement d’union nationale et la tenue de nouvelles élections législatives en 1996. Ces accords furent approuvés par référendum en juillet 1995.

- La promotion des langues locales

Convaincu de la difficulté de choisir une langue nationale parmi les autres, l'État gabonais a décidé de toutes les promouvoir. En 1996, l'enseignement des langues locales fut introduit dans les établissements scolaires du secondaire. Faute de planification, le projet n'aboutit jamais. La plupart des langues n'avaient jamais été écrites et il manquait de professeurs qualifiés. Au final, les cours ne sont furent dispensés que dans certains établissements pilotes.

Malgré une conjoncture économique difficile, le président Bongo fut réélu en décembre 1998 avec un pourcentage confortable de 66 % des suffrages exprimés. L’opposition, regroupée autour de Paul M'Ba Abessole, le maire de Libreville, en un Rassemblement national des bûcherons (RNB), mais ne présentant qu’une unité de façade, a mis en question la régularité du scrutin. L'opposition accusa Omar Bongo d'avoir détourné, depuis 1970, plus de 130 millions de dollars par l'entremise des comptes privés de la Citibank. Omar Bongo a rebaptisé sa ville de naissance Bongoville et a donné son nom à une université gabonaise : l'Université Omar-Bongo.

Malgré une conjoncture difficile (diminution du prix du pétrole et effondrement de celui du bois en raison de la crise asiatique), le président Omar Bongo fut réélu en décembre 1998 avec 66 % des suffrages exprimés. Il a pu bénéficier d’une modification constitutionnelle permettant d'augmenter le mandat présidentiel de cinq à sept ans. En 2004, il ajouta le nom de son père au sien et devient Omar Bongo Ondimba. En novembre 2005, Omar Bongo fut réélu à la tête du Gabon avec 79,21 % des suffrages. Le 8 juin 2009, l'inamovible président gabonais en poste depuis 1967 (après 42 ans de pouvoir) décédait dans une clinique de Barcelone.

- L'anglais comme seconde langue officielle

Le 3 septembre 2009, Ali Bongo Ondimba, le fils d'Omar Bongo Ondimba, devint le troisième président du Gabon, élu avec 41,7 % des suffrages exprimés. En mai 2010, le gouvernement d'Ali Bongo a organisé les états généraux de l'éducation de la formation et de la recherche, afin de rendre l'école plus apte pour répondre aux besoins économiques, sociaux et culturels du Gabon. Par la suite, le président de la République a promulgué la loi n° 21/2011 du 14 février 2012, portant orientation générale de l'éducation, la formation et la recherche. En octobre 2012, juste avant le Sommet de la Francophonie, le porte parole de la présidence de la République, M. Alain-Claude Bilie By Nze a déclaré à Libreville que le gouvernement voulait introduire l’anglais comme «seconde langue officielle» :
 

C’est déjà décidé d’introduire l’anglais depuis la maternelle. À terme, nous allons voir comment faire de l’anglais la seconde langue de travail au Gabon.

Le gouvernement du Gabon croit que le modèle rwandais a porté ses fruits en termes de développement de l'économie au Rwanda. C'est pourquoi les autorités gabonaises veulent s'en inspirer pour rendre effectif «le plan stratégique du Gabon émergent». Le président Ali Bongo croit que l'anglais sert de levier économique pour le Rwanda, alors que cette langue sert avant tout les intérêts de la nouvelle élite anglophone et anglophile. Cette oligarchie rwandaise unilingue, qui ignore le français, se maintient au pouvoir grâce à la l'anglais qu'elle impose à toute la population.

Au Gabon il n'existe pas d'élite anglophone pour imposer sa langue à la population. Il n'existe pas de langue nationale comme au Rwanda avec le kinyarwanda, et tous les voisins du Gabon sont francophones. Même si le Cameroun est bilingue, la langue dominante est bien le français. Le président Ali Bongo croit que le bilinguisme français-anglais pourrait résoudre tous les problèmes de sous-développement dont souffre le Gabon. Le vœu d’Ali Bongo d’introduire l’anglais dans le pays risque de mettre un certain temps à se réaliser. Il serait plutôt vraisemblable de croire que le président gabonais cherche à faire comprendre à ses compatriotes que la mondialisation est une réalité dont le français ne fait plus partie.

Par ailleurs, l'introduction de l'anglais suscite des commentaires pertinents à propos de la politique de la France à ce sujet. En effet, Alain Claude Bilié-Bi-Nzé, ex-ministre gabonais délégué auprès du ministre d’État responsable des Transports, de l’Aviation civile et du Tourisme, a bien compris l'attitude de la France:
 

Ce qui est intéressant dans ce sujet c’est de constater que les scientifiques français font des publications en anglais. Que dans la plupart des conférences internationales, les diplomates français interviennent en anglais. Si les Français eux-mêmes vont dans l’anglais, pourquoi voulez-vous que les Gabonais se l’interdisent?

Bref, les Africains seraient les seuls aujourd’hui à intervenir en français... avec les Québécois. On ne peut pas lui donner tort. Autrement dit, la France sert d’exemple à l'anglicisation de la Francophonie !

2 La politique linguistique

Le Gabon pratique une politique linguistique à deux volets, le premier portant sur la langue officielle, le second sur les langues nationales gabonaises. D'ailleurs, l'article 2 de la Constitution du 23 juillet 1995 est clair à ce sujet:
 

Article 2

La République gabonaise adopte le français comme langue officielle de travail. En outre, elle œuvre pour la protection et la promotion des langues nationales.

L'État gabonais n'a à peu près jamais adopté de loi contenant une ou plusieurs dispositions à caractère linguistique. La seule loi qui semble correspondre à ce fait est la Loi n° 21/2011 du 11 février 2012 portant orientation générale de l’éducation, de la formation et de la recherche.

2.1 Le français, langue de l'État

C’est à partir de cette seule disposition constitutionnelle que découlent les pratiques linguistiques de l’État. Celles-ci sont on ne peut plus simples: sauf pour certains cas dans les médias, seul le français est utilisé à des fins officielles.

Que ce soit sur le plan de la législature (débats parlementaires, rédaction et promulgation des lois), de la justice, des services publics ou de l’éducation, le français est l’unique langue utilisée... du moins à l’écrit. Selon les régions, les langues gabonaises sont assez largement employées dans les communications verbales entre les employés de l’État et les citoyens parlant la même langue locale.

Cette situation vaut aussi dans les cours de justice où le juge peut s’exprimer dans la langue de l’accusé. L'article 58 du Code de procédure pénale (loi n° 35/61 du 5 juin 1961) prévoit qu'en cas de non-connaissance du français le recours à un interprète est nécessaire: 
 

Article 58

A)-
Les témoins seront entendus séparément, hors la présence du prévenu, par le juge d'instruction assisté de son greffier, hors le cas prévu par l'article 27 D).

B)- Si les témoins ne parlent pas français, leur déposition sera reçue par le truchement d'un interprète assermenté.

C)- Les interprètes prêtent le serment de traduire fidèlement les paroles des personnes parlant un langage différent. Mention de cette prestation de serment doit figurer au procès-verbal.

D)- Le témoin aura la possibilité de récuser l'interprète et d'en présenter un autre qui devra au préalable prêter serment et être agréé par le magistrat instructeur.

Évidemment, il ne s’agit pas d’un droit dûment reconnu, mais d’une pratique découlant du gros bon sens. De plus, lorsque tous les intervenants parlent la même langue... ils s’expriment normalement dans cette langue. Ainsi, dans les hôpitaux et autres établissements de santé, les médecins et les infirmières utilisent largement la langue gabonaise locale avec leurs patients.

2.2 La politique linguistique en éducation

Après l'indépendance, le Gabon n’a pas encouragé pas l’utilisation des langues nationales dans l'enseignement, mais ne l’a jamais interdit non plus. Dans les faits, elles n'ont pas fait l'objet d'un enseignement systématique, bien qu'elles aient toujours été utilisées dans les communications informelles. Cette situation a prévalu de la maternelle à l’université. À partir du secondaire, l’anglais fut enseigné comme langue seconde, puis une troisième langue s’ajouta à partir de la troisième année.

- Les langues nationales

À la fin des années 1970, le Gabon s'est engagé à promouvoir ses langues nationales en élaborant d'abord l'Atlas linguistique du Gabon et les descriptions des langues gabonaises ainsi que les lexiques spécialisés et en favorisant les médias qui utilisaient ces langues, dans le but de les introduire dans l'enseignement primaire. Cependant, les autorités ont eu du mal à implanter cet enseignement en raison notamment des problématiques reliées à la planification et à la standardisation des langues maternelles locales.

En même temps, les autorités ont constaté que les jeunes Gabonais scolarisés ne maîtrisaient pas bien le français parce que beaucoup ne recevaient pas une instruction de base efficace.  C'est pourquoi, au début des années 1980, le gouvernement gabonais a donné comme mission au ministère de l'Éducation nationale de ne plus se contenter de simples discours politiques, mais de mettre en place une politique linguistique efficace pour la promotion et l'enseignement des langues nationales. Mais le français a continué d'être la seule langue d'enseignement dans toutes les écoles.  Au cours des années, le nombre de jeunes ayant pour langue maternelle le français augmente progressivement  surtout dans les villes, alors que dans les villages il conserve encore son statut de langue véhiculaire. 

Il faut dire que, jusqu'à récemment, beaucoup de responsables gabonais croyaient que la promotion des langues nationales pouvait mettre un frein à l'«unité nationale» du pays. À la suite d'une campagne de sensibilisation auprès du public, on s'est rendu compte que la promotion des langues nationales n'entraînait pas nécessairement des conflits.  Depuis 1997, le ministère de l'Éducation nationale est convaincu que «l'enseignement de nos langues est le seul facteur de consolidation de la relation identité culturelle et identité nationale». Une commission interministérielle a été mise sur pied en février 1997 afin de reprendre les travaux relatifs à l'enseignement des langues nationales. Depuis 2000, le ministère de l'Éducation nationale a été mandaté pour mettre en place un module de langues nationales dans les écoles de formation des instituteurs et pour l'élaboration de guides pour les instituteurs et autres enseignants des langues nationales. L'article 5 de la loi n° 21/2011 du 11 février 2012 portant orientation générale de l’éducation, de la formation et de la recherche ne fait qu'une allusion aux «langues locales»:

Article 5

Les curricula, les offres de formation, les infrastructures et les équipements d’enseignement et de formation, doivent, à cet effet, permettre, selon les niveaux, l’appropriation des connaissances et des compétences en matière :

- de formation à la citoyenneté sociale, sociétale, civique et environnementale ;
- de langues locales ;

Jusqu'ici, l'enseignement des langues gabonaises n'a été dispensé qu'à titre expérimental, à partir d'une initiative privée, la Fondation Raponda-Walker qui a élaboré des manuels d'apprentissage en quelques langues locales. Depuis 1975, le mienné, le fang et sept autres langues choisies parmi la soixantaine de langues nationales du pays sont expérimentés dans des écoles primaires. Actuellement, on assiste à l’introduction des langues nationales au secondaire, notamment avec le fang, l’ipunu et l’omiéné. La promotion des langues dominantes au niveau régional se fait par province et reste marginale.

L'Institut pédagogique national a fondé le Département des langues nationales afin d'élaborer des manuels didactiques et pour réfléchir sur l’enseignement des langues nationales comme langue maternelle et sur celui des langues nationales comme langue non maternelle. De plus, un alphabet scientifique des langues gabonaises et une orthographe de ces langues ont été fixés. Actuellement, on compte plus d'une centaine de descriptions qui porte sur la phonologie, la morphologie ou quelques points spécifiques de grammaire.

Il existe aussi une trentaine de langues présentant une esquisse descriptive: atege, liduma, ndumu, nzaman, ntumu, mpongwè, benga, ikota, gilumbu, yisangu, gisira, civili, yipunu, bekwil, inzébi, liwandzi, lekanigi, saké, getsogo, mvaï, nyani, pove, givungu, kombè, seki, ngubi, chiwa, geviya et gepinzipinz. Enfin, le ministère de l’Éducation nationale et la Radio nationale ont mis sur pied une émission hebdomadaire de sensibilisation sur les langues gabonaises intitulée «Nos langues, notre culture».

L'École normale supérieure a fermé la filière qui servait à former les enseignants dans les langues nationales. La direction de l'établissement n'a pas jugé utile de justifier la décision. Il resterait encore à prévoir un projet de loi pour définir le statut des langues nationales, une fois la production de matériels didactiques achevée et assurer à l’Institut pédagogique national les moyens matériels pour la conception et la réalisation de matériels didactiques, mais le ministère de l'Éducation nationale ne semble pas se soucier du sort concernant la promotion des langues gabonaises.

- Le français et l'anglais

Malgré les recommandations des états généraux sur l’éducation, il faut bien admettre qu'aujourd'hui encore les programmes d’enseignement du Gabon restent très proches des programmes français et ne tiennent que fort peu compte des réalités sociales, culturelles et économiques du pays. L'objectif des autorités gabonaises n'est pas de remplacer le français par les langues nationales, mais de mettre en place un enseignement qui contribuerait au développement des langues gabonaises à côté de la langue française.

Afin de faire face aux dysfonctionnements du système d'éducation caractérisés notamment par un taux de redoublement considérable, le gouvernement gabonais s'est engagé, au cours de la période de 2005 à 2012, à lancer une réforme du système d'éducation dans son ensemble. La réforme y est définie en termes de programme d’enseignement, de préservation du patrimoine culturel national et de
renforcement des domaines considères comme délaissés tels que la formation professionnelle et l'alphabétisation des adultes. Cette réforme a été complétée par l'adoption de la loi n° 21/2011 du 11 février 2012 portant orientation générale de l’éducation, de la formation et de la recherche. L'article 132 parle la valorisation des langues locales, de français, d'anglais et d'une deuxième langue étrangère au choix (espagnol, arabe, allemand, mandarin, kiswahili ou russe):

Article 132

Les promoteurs préparant aux diplômes internationaux dans les sciences dures, les technologies de l’information et de la communication, la valorisation des langues locales, la culture et la civilisation bantoue peuvent bénéficier, dans un cadre contractuel avec l’État, d’avantages particuliers.

- de français ;
- d’anglais dès le préprimaire ;
- d’une deuxième langue étrangère dès la sixième, au choix entre l’espagnol, l’arabe, l’allemand, le mandarin, le kiswahili ou le russe;
- des sciences et technologies ;
- des disciplines d’éveil ;
- des technologies de l’information et de la communication ;
- d’activités pratiques socio-éducatives et sportives.

Au Gabon, le français demeure la principale langue d’enseignement, et ce, à tous les niveaux, du pré-primaire à l'université. Comme langues secondes sont enseignés l'anglais, l’espagnol, l’allemand, l'arabe et le swahili. Mais l'anglais est une matière obligatoire au Gabon depuis la 6e année de la scolarité, donc six ans d'apprentissage d'anglais; pourtant, rares sont les Gabonais scolarisés en mesure de s'exprimer correctement dans cette langue en raison de l'absence de locuteurs anglophones. 

En 2000, sur l'ensemble des candidats scolarisés se présentant au baccalauréat, 24,8 % étaient inscrits dans un établissement privé. Les meilleurs établissements sont les écoles françaises, notamment le lycée français Blaise-Pascal de Libreville et le collège Victor-Hugo de Port-Gentil ; d’autres établissements gabonais sont gérés avec la coopération de la France.

Le Gabon a un taux de scolarisation parmi les plus élevés en Afrique: 95% chez les 6 à 15 ans; 65% des jeunes âgés de 15 à 20 ans (âges de scolarisation dans le secondaire), dont 69% chez les hommes et 61% chez les femmes. Mais cela peut masquer le problème du taux d'abandon scolaire. Plus encore, les récents taux d’échecs aux examens nationaux reflètent une baisse de la qualité du système éducatif gabonais. Au secondaire, 53% des élèves poursuivent leurs études secondaires, mais le Gabon vise à faire passer ce chiffre à 100 % d’ici 2015.

Dans l'enseignement supérieur, il faut mentionner l'Université nationale du Gabon (UNG) fondée en 1970, renommée en 1978 l'Université Omar-Bongo (UOB). En 1985, une deuxième université, accueillant les formations scientifiques jusque là organisées dans le cadre de l’UOB, fut, pour des raisons d’équilibre régional, ouverte à Franceville sous le nom d’Université des sciences et techniques de Masuku (USTM). En janvier 2002, l’UOB fut scindée avec, d’une part, la création de l’Université des sciences de la santé (USS), d’autre part, l’autonomisation des grandes écoles et instituts : l’École normale supérieure (ENS), l’École normale supérieure de l’enseignement technique (ENSET), l’École nationale supérieure de secrétariat (ENSS), l’Institut national des sciences de gestion (INSG) et l’Institut supérieur de technologie (IST). Ce mouvement s’est poursuivi en novembre 2002 avec la création de l’Institut supérieur d’agronomie et de biotechnologies (INSAB) jusque-là département d’Agronomie de l'USTM. À l'heure actuelle, ces trois universités (UOB, USTM et USS) et ces six établissements autonomes (ENS, ENSET, ENSS, INSG, IST et INSAB) pour environ 9000 étudiants offrent un enseignement supérieur massivement donné en langue française, parfois en langue anglaise.

2.3 Les médias

Tous les journaux sont en français, dont L'Union, le premier quotidien du pays. Dans les médias électroniques, le français conserve encore la part du lion, mais les autorités gabonaises s'efforcent d'assurer la promotion des langues dans le domaine de la radio et de la télévision. Sur à peu près six chaînes de radio émettant au Gabon, 50 %, soit trois chaînes sur six présentent au moins une émission hebdomadaire.  Il en est ainsi à la Radio-Télévision gabonaise (chaînes I et II) et à la radio Liberté. Les langues gabonaises sont utilisées non seulement à des fins d'informations, mais aussi de formation. Les quelques langues utilisées à la radio et la télévision sont, entre autres, le yipunu, le fang, le inzébi, le ikota, le mpongwè, le téké, le lembama et le gisira.

Enfin, la vie commerciale et le monde des affaires ne fonctionnent qu’en français, sauf dans le cas des petites entreprises qui travaillent sans inconvénient dans la langue locale ce qui ne les empêche pas d’utiliser, lorsque les circonstances l’exigent, le français, la langue officielle. Donc, la vie économique se déroule entièrement en français, du moins en ce qui a trait à l’écrit: publicité commerciale, affichage, étiquetage, modes d’emploi, raisons sociales, formulaires, etc.

La plupart des Gabonais ne se plaignent pas de la situation linguistique dans laquelle ils se trouvent. Le français occupe toutes les fonctions de prestige, les langues nationales sont normalement réservées aux activités familiales, religieuses, interpersonnelles, etc. C’est là une situation tout à fait normale dans ce pays. Certains intellectuels dénoncent cette dominance du français, mais aucune langue nationale ne peut prendre la relève puisqu’aucune n'est majoritaire. En général, les Gabonais croient même que, sauf exception (p. ex., le fang), les langues locales vont finir par disparaître, les enfants les maîtrisant d’ailleurs de moins en moins, surtout dans les villes.

Le Gabon, d'une manière fort bien précautionneuse, tente de s'engager dans une nouvelle politique de promotion des langues nationales. Comme les autorités le font avec beaucoup de préparation, l'opération devrait se dérouler avec un certain succès. Pour le moment, on peut affirmer que le Gabon pratique une politique de promotion de la langue officielle coloniale, mais qu'il est sur la voie d'une politique sectorielle dans les médias et bientôt l'école primaire. C'est pour le Gabon une nouvelle politique linguistique qui aura des effets importants si elle est mise en œuvre, ce qui n'est pas assuré.

Dernière mise à jour: 16 nov. 2023
 

Bibliographie

ALVIÈS, Maria. «La presse gabonaise en langue française: étude lexicale», mémoire de
maîtrise, Université de Paris III, 1994.

BOUCHER, Karine.
«Créativité lexicale et identité culturelle du français au Gabon», mémoire de maîtrise, Université de Paris III, 1997.
BOUCHER, Karine et Suzanne LAFAGE. Emprunts, hybrides et identité culturelle des jeunes au Gabon, mémoire de maîtrise, Université de Paris III, 1997. 

BOUTIN-DOUSSIT, Claudine.
«Matériaux pour un inventaire des particularités lexicales du français au Gabon», mémoire de maîtrise, Université de Paris III, 1990.
ENCYCLOPÉDIE MICROSOFT ENCARTA, 2004, art. «Gabon» pour la partie historique.
LEVISALLES, Natalie. «Et autrement ¿está well?» dans Libération, Paris, 8 avril 2000.

POWER-LAPOINTE, Claire. «Enquête sur la situation linguistique au Gabon», étude non publiée, 1994.

 

Carte Afrique
L'Afrique

   
 
Accueil: aménagement linguistique dans le monde