Les esclaves marrons

Le mot MARRON vient de l'espagnol cimarrón et signifie «s’échapper, fuir»; il désignait d’abord les animaux domestiques qui devenaient sauvages. En français, le mot s'étendit d'abord aux Blancs engagés qui fuyaient leurs mauvaises conditions de travail. Il a fini par désigner également les «esclaves fugitifs». Déjà en 1667, le père Jean-Baptiste du Tertre décrivait ainsi l’importance du marronnage dans les premiers établissements français, particulièrement à l’île de Saint-Christophe (aujourd’hui Saint-Christophe-et-Niévès ou Kitts-et-Nevis) dans les Antilles:
 

Au mois de novembre de l’année 1639, plus de 60 Nègres du quartier de la Capesterre lassez de leur servitude, ou comme plusieurs ont crû, ennuyez des rudes traitemens qu’ils recevoient de leurs Commandans, se rendirent Marons, c’est-à-dire, fugitifs, avec leurs femmes & leurs enfants, dans les bois de la Montagne de la poincte de Sable, d’où ils descendoient tous les jours, pour exercer impunément toute sorte de brigandage & de violence sur les habitants qui passoient, jusques à les tirer à coups de flêches dans le chemin. Les assassinats qu’ils y commirent, obligerent M. le Général de Poincy d’arrêter ce mal dès son commencement.
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SOURCE: Jean-Baptiste DU TERTRE, Histoire générale des Antilles (1667-1671), Fort-de-France, Éditions CEP (réédition aux frais de la Société d’histoire de la Martinique), 1958, tome I, p. 157.


Leonard Parkinson, capitaine des marrons
en Jamaïque, gravure de 1796

La fuite ou marronnage fut un puissant mode de résistance que les esclaves noirs adoptèrent très tôt non seulement dans toutes les Antilles et dans les Guyanes (incluant le Surinam), mais aussi dans l'océan Indien (La Réunion, île Maurice et île Rodrigues), ainsi que dans toutes les colonies esclavagistes. En réalité, les planteurs et les négriers ont constamment eu à faire face à ce problème des Noirs marrons, peu importe les colonies, qu'elle soient françaises, britanniques, portugaises, hollandaises, etc.

Dans le cas particulier de La Réunion, ce système du marronnage aurait débuté dès l’arrivée des tout premiers Noirs. On raconte qu’en novembre 1663 le capitaine Louis Payen débarqua à l’île avec un Français, sept Malgaches et trois femmes noires. Or, les Malgaches et les femmes noires s'enfuirent aussitôt dans les montagnes: ce furent les premiers noirs déserteurs, appelés marrons.

En général, les marrons s’enfuyaient dans les montagnes et les hautes forêts du centre de l’île où ils réussissaient à vivre parfois durant des années, sans être inquiétés. Beaucoup de Noirs marrons s’installèrent dans les fameux cirques (dépressions à parois abruptes) de l’île en raison de leur accès difficile. Certains marrons plus aventureux ont même tenté de rejoindre l’île de Madagascar. Au Surinam, les marrons fuyaient dans les forêts tropicales de l'arrière-pays ou passaient le fleuve Maroni (limitant la frontière entre la Guyane française et le Surinam).

Comme chez les autres esclavagistes, les autorités françaises de La Réunion tentèrent bien de mâter les Noirs marrons, sans obtenir trop de succès. À partir de 1725, la chasse aux marrons fut réglementée: par exemple 30 livres de récompense étaient promises pour toute capture de marrons, morts ou vifs. Certains Blancs devinrent des «chasseurs de marrons» professionnels; bien entraînés et bien armés, ils parcouraient l'île de long en large et, en particulier, les cirques où les marrons avaient choisi de se réfugier. Lors de l’abolition de l'esclavage en 1848, de nombreux Noirs marrons descendirent des cirques de Cilaos, de Salazie et de Mafate pour louer leurs services sur la côte. Évidemment, ce genre de situation s'est répété plus ou moins différemment dans toutes les colonies esclavagistes.

Dans les Antilles, l'île de Saint-Vincent est devenue célèbre. Peuplée d'Amérindiens caraïbes, elle avait la réputation d'être un «paradis» pour les esclaves fugitifs. Beaucoup de marrons débarquèrent dans cette île et se marièrent avec des Caraïbes, ce qui créa un peuple appelé les Garifuna ou «Caraïbes noirs» ou «Caraïbes rouges». Le traité de Paris de 1763 reconnut même l'îles de Saint-Vincent comme une île «neutre». Les Britanniques tentèrent à plusieurs reprises d’occuper Saint-Vincent, mais les Caraïbes noirs se révélèrent de forts bons guerriers et réussirent à les repousser. Ils infligèrent même une cuisante défaite aux Anglais qui durent leur reconnaître le droit d’exister comme «nation indépendante». L'histoire des Noirs et Caraïbes libres s'est mal terminée lorsque le traité de Versailles de 1782 accorda aux Britanniques la possession de cette île «neutre». Comme les Britanniques ne pouvaient accepter que des Noirs soient libres sur une île vaincue et puissent continuer de vivre parmi eux, comme des Blancs, ils les poursuivirent et les emprisonnèrent quelque temps sur l'île déserte de Baliceaux dans les Grenadines (où la moitié d'entre eux mourut de la fièvre jaune en raison des mauvaises conditions de détention et d'alimentation), puis les déportèrent au loin sur la petite île hondurienne de Roatán.  

Malheureusement, les Noirs marrons furent sévèrement réprimés partout (chez les Hollandais, les Français, les Anglais, etc.). En effet, on vit souvent des Noirs pendus, écartelés ou brûlés vifs. La pratique du marronnage, qui s’est étendue dans toutes les colonies européennes, a souvent favorisé les mouvements insurrectionnels. Seuls deux de ces mouvements parvinrent à terme et aboutirent à la reconnaissance de sociétés marronnes autonomes: Haïti (alors Saint-Domingue) et les communautés bushinengées du Surinam. Haïti est resté le cas le plus célèbre en devenant, en 1804, le premier État noir indépendant d’Amérique. En outre, l’histoire d’Haïti montre bien que le marronnage a été toujours très présent dans ce pays. Tous les manuels d’histoire en traitent abondamment. 

À l'île de La Réunion, après 150 ans d'occultation, la culture des nègres marrons sert d’inspiration aux musiciens (musique appelée «maloya»), aux écrivains (avec la revalorisation du créole réunionnais) et aux dramaturges (théâtre en créole). Ayant pris naissance pendant la période de l'esclavage, le maloya, un mélange de danses et de chants réunionnais, devint «un outil de la résistance culturelle» pour les esclaves malgaches, africains et indiens. À travers cette culture, ces derniers ont exprimé la souffrance, le désespoir et la révolte. Longtemps interdite à La Réunion, la musique maloya aborde aujourd’hui des thèmes comme la guerre, le racisme, l'environnement, etc. Elle est restée porteuse de sentiments de révoltes et de revendications. 

On pourrait rapporter d'autres exemples du genre, notamment en Jamaïque, aux États-Unis, au Surinam, en Guyane française, etc.


 

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