République tunisienne

Tunisie

Al Jumhuriyah at Tunusiyah

Capitale: Tunis
Population: 10,4 millions (2009)
Langue officielle: arabe classique
Groupe majoritaire: arabe tunisien (92 %)
Groupes minoritaires: arabe algérien, arabe leventin, arabe marocain, maltais, langues berbères et français
Langue coloniale: français
Système politique: république unitaire
Articles constitutionnels (langue): art. 1 et 39 de la Constitution de 2014
Lois linguistiques: Arrêté de la municipalité de Tunis du 6 août 1957 ; Code de procédure pénale (1968) ; Loi no 91-65 du 29 juillet 1991 relative au système d'éducation (1991) ; Loi no 93-64 du 5 juillet 1993 relative à la publication des textes au Journal officiel de la République tunisienne et à leur exécution (1993); Décret no 94-1692 du 8 août 1994 relatif aux imprimés administratifs (1994); Code de droit international privé (1998); Arrêté du ministre des Affaires étrangères du 10 septembre 2001, fixant les modalités d'organisation du concours interne sur épreuves pour la promotion au grade d'inspecteur financier des Affaires étrangères (2001) ; Décret no 2001-2123 du 10 septembre 2001, portant changement d'appellation en langue arabe de certains établissements publics (2001) ; Code des sociétés commerciales (2000) ; Loi d'orientation de l'éducation et de l'enseignement scolaire (2002) ; Décret no 2007-1938 du 30 juillet 2007, modifiant et complétant le décret no 2004-78 du 14 janvier 2004 relatif aux concours d'entrée aux cycles de formation à l'école nationale d'administration (2007); Loi no 2008-19 relative à l’enseignement supérieur (2008); Code de la nationalité tunisienne (2010).

1 Situation géographique

La Tunisie est un État de l'Afrique du Nord s'ouvrant sur la Méditerranée face à la Sicile (voir la carte). Ce pays du Maghreb est limité à l'ouest par l'Algérie et la Libye à l'est. Sa superficie est de 163 610 km², soit 14 fois moins que l'Algérie et 4,3 fois moins que le Maroc, mais environ cinq fois la taille de la Belgique. Bref, la Tunisie est un bien petit pays face à ses voisins immédiats, surtout l'Algérie (2,3 millions km²) et la Libye (1,7 million km²). La capitale du pays est Tunis. Le pouvoir local, limité dans un pays centralisé et peu étendu, est détenu par les gouverneurs, nommés par le président à la tête des 24 gouvernorats: Ariana, Beja, Ben Arous, Bizerte, El Kef, Gabès, Gafsa, Jendouba, Kairouan, Kasserine, Kebili, Mahdia, Manouba, Médenine, Monastir, Nabeul, Sfax, Sidi Bou Zid, Siliana, Sousse, Tataouine, Tozeur, Tunis, Zaghouan (voir la carte des gouvernorats).

La Tunisie est membre de la Ligue arabe.

2 Données démolinguistiques

Des trois États du Maghreb, l'Algérie, le Maroc et la Tunisie, ce dernier est le plus homogène au plan linguistique. En effet, 92 % de la population parle l'arabe (ou l'une de ses variétés), le reste utilisant le berbère ou le français. L'arabe que parlent la totalité des Tunisiens dans les communications courantes est une variété dialectale appelée arabe tunisien.  Les autres arabophones parlent l'arabe algérien, l'arabe standard, l'arabe marocain ou le maltais de l'île de Malte.

Quoi qu'il en soit, toute la population d'origine tunisienne parle une langue afro-asiatique, que ce soit l'arabe tunisien ou le berbère (appelé aussi amazigh), la plus importante minorité linguistique.

Soulignons que, si l'arabe et le berbère font partie de la même famille linguistique, la famille chamito-sémitique (ou afro-asiatique), ils ne font pas partie de la même branche ou groupe. En effet, il existe six groupes linguistiques dans cette grande famille: chamite, sémitique, berbère, tchadique, couchitique et omotique. Or, les différences sont énormes entre les différents groupes afro-asiatiques, autant que, dans la famille indo-européenne, les langues romanes peuvent être différentes des langues germaniques, des langues slaves ou des langues iraniennes. Aucune compréhension n'est possible, sauf pour de rares mots isolés dus aux emprunts ou à l'histoire. Cependant, il est vraisemblable que toutes ces langues ont eu une origine commune, mais cette histoire demeure encore inconnue.  

Voici comment pouvait se présenter la répartition démolinguistique en Tunisie en 2015: 

Ethnie Population Pourcentage Langue Affiliation linguistique
Arabe tunisien 10 414 000 92,4 %

arabe tunisien

famille chamito-sémitique
Arabe libyen     293 000 2,6 %

arabe libyen

famille chamito-sémitique
Arabe algérien     268 000 2,3 %

arabe algérien

famille chamito-sémitique
Bédouin d'Arad       50 000 0,4 %

arabe tunisien

famille chamito-sémitique
Chaouia       48 000 0,4 %

chaouia (berbère)

famille chamito-sémitique
Bédouin de Jérid      46 000 0,4 %

arabe algérien du Sahara

famille chamito-sémitique
Arabe de Jerba (ou Djerbi)      31 000 0,2 %

nafusi (berbère)

famille chamito-sémitique
Arabe libanais      23 000 0,2 %

arabe leventin du Nord

famille chamito-sémitique
Bédouin de Gafsa      22 000 0,2 %

arabe algérien du Sahara

famille chamito-sémitique
Matmata     10 000 0,0 %

nafusi (berbère)

famille chamito-sémitique
Duwinna       4 800 0,0 %

nafusi (berbère)

famille chamito-sémitique
Tamezret       3 800 0,0 %

nafusi (berbère)

famille chamito-sémitique
Maltais       3 400 0,0 %

maltais

famille chamito-sémitique
Ghadamès       3 100 0,0 %

ghadamès (berbère)

famille chamito-sémitique
Britannique      1 500 0,0 % anglais langue germanique
Français      1 200 0,0 % français langue romane
Italien      1 100 0,0 % italien langue romane
Taoujjout      1 100 0,0 %

nafusi (berbère)

famille chamito-sémitique
Turc      1 100 0,0 % turc famille chamito-sémitique
Juif tunisien        900 0,0 % arabe judéo-tunisien famille chamito-sémitique
Zawa       700 0,0 %

nafusi (berbère)

 
Autres 34 000 0,3 %

-

 
Total (2015) Projet Joshué

11  261 700

100 %

-

 

Pour le gouvernement tunisien, les seules langues parlées dans le pays sont l'arabe, le français et l'anglais. Les variantes dialectales de l'arabe et les variantes du berbère n'existent pas. D'ailleurs, il ne se fait aucune allusion aux langues berbères.

2.1 L'arabe tunisien

Tous les Tunisiens arabophones parlent l'arabe tunisien. La connaissance de l'arabe classique (officiel) n'est réelle que chez les individus instruits et assez longuement scolarisés. En effet, l'arabe officiel est une langue de prestige, mais il n'est pas utilisé dans la vie quotidienne et il n'est pas transmis par les foyers tunisiens, mais par l'école, les médias écrits et la télévision. C'est une langue seconde pour tous les Tunisiens.

La position de l'arabe tunisien est très forte en Tunisie et cette langue demeure très vivante dans tout le pays. Cette variété d'arabe fait partie d'un groupe de dialectes arabes reliés à l'arabe maghrébin. Cet arabe tunisien est appelé darija («dialecte») ou tunsi («tunisien»). Par ailleurs, l'arabe tunisien  n'est pas uniforme: il compte un grand nombre de variétés géographiques relativement distinctes.

En voici quelques-unes:

- le dialecte tunisois (Tunis);
- le dialecte bizertin (Bizerte);
- le dialecte sahélien (Sousse, Monastir et Mahdia);
- le dialecte sfaxien (Sfax);
- le dialecte du Sud-Est (Gabès, Médenine et Tataouine);
- le dialecte du Sud-Ouest (Gafsa, Tozeur et Nefta). 

Les variétés de l'arabe dialectal sont parlées dans toutes les grandes villes, que ce soit Tunis, Bizerte, Nabeul, Hammamet, Sousse, Monastir, Mahdia, Kairouan ou Sfax. L'arabe tunisien a subi une certaine influence lexicale de la part du français, de l'italien, de l'espagnol, du berbère et du turc. C'est cette différence dans la gamme des emprunts que reflète justement l'arabe tunisien, en même temps que des petites différences d'ordre phonétique ou grammatical. Cependant, malgré les différences,  tous les Tunisiens se comprennent les uns les autres, du nord au sud, d'est en ouest.

Bref, la langue arabe officielle n'est pas la langue parlée par le peuple tunisien. C'est une langue que tous apprennent en arrivant à l'école primaire et qui est réservée à des situations formelles, restreintes et supranationales, mais très utile pour communiquer avec le monde arabe de tous les pays. En général, c'est une langue qui se lit plus qu'elle ne se parle. L'univers écrit relève exclusivement de l'arabe classique, alors que l'oralité est réservée à l'arabe tunisien. On peut donc affirmer que les Tunisiens, comme la plupart des autres arabophones, écrivent une langue qu'ils ne parlent pas (l'arabe classique) et parlent une langue qui ne s'écrit pas (l'arabe dialectal). Lorsqu'on parle d'arabisation, il faut toujours comprendre qu'il s'agit de l'arabe classique, non de l'arabe dialectal. Autrement dit, l'arabisation concerne une langue seconde, non une langue maternelle. C'est un peu ce qui explique la difficulté de l'arabisation au sein des populations arabophones.

2.2 Le berbère

En Tunisie plus que dans les autres pays, les Berbères (appelés «Amazighs») sont difficiles à dénombrer avec exactitude en raison de l'absence de toute statistique officielle à leur sujet. De plus, ils sont dispersés géographiquement du nord au sud, d'est en ouest, même s'ils sont relativement plus concentrés dans les régions montagneuses et dans certaines villes. D'après les autorités gouvernementales, les Berbères représenteraient 1 % de la population totale évaluée à 10 millions d’habitants, ce qui signifierait quelque 100 000 personnes. Lorsque l'État tunisien admet l’existence de berbérophones, il précise qu’ils sont «en nombre très largement limité» (Dix-neuvième rapport périodique des États parties attendus en 2006, CERD/C/TUN/19). Le rapport ajoute aussi: «En ce qui concerne les Berbères de Tunisie, on peut indiquer qu’ils sont particulièrement bien intégrés dans la société tunisienne, et qu’ils n’ont pas de revendications. En outre, il n’y a pas de tribus nomades en Tunisie.»

Il faut donc se rabattre sur des estimations et des études indépendantes. Les Berbères représenteraient entre 5 % et 10 % de la population tunisienne, ce qui signifie un nombre variant entre 500 000 et un million d'individus. Le CMA, le Congrès mondial amazigh, estime pour sa part les populations berbères à un minimum d'un million de personnes, soit 10 % des Tunisiens. Les Berbères sont principalement regroupés dans le sud de la Tunisie, notamment à Djerba, Matmata (Zraoua et Taouedjout), Tataouine (Chenini et Douirat), Médenine, Kebili et Tozeur, mais il existe aussi plusieurs groupes formant des villages de quelques centaines de personnes à plusieurs milliers de personnes sur la côte méditerranéenne et à l'ouest, le long de la frontière avec l'Algérie ainsi que dans la région de Gafsa (voir la carte), soit Tamagourt et Senned. Cependant, l'ethnie berbère est plus importante que ses locuteurs. En effet, les berbérophones sont estimés à quelque 78 000 personnes, ce qui démontre l'assimilation galopante des berbérophones.

Les berbérophones utilisent, eux aussi, différentes variétés: le chaouia (39 000 locuteurs), le nafusi (26 000), le sened (11 300) et le ghadamès (env. 2000). Ces variétés ne sont pas aisément intelligibles entre elles, notamment entre berbérophones provenant de différents pays. Ainsi, un locuteur du kabyle (Algérie) ne peut comprendre un locuteur du rifain (Maroc) ni un locuteur du nafusi (Tunisie). En Tunisie, les variétés berbères sont en régression constante au point qu'elles sont menacées d'extinction. Au plan linguistique, les berbérophones de la Tunisie ne bénéficient d'aucun droit linguistique. Comme minorité tunisienne autochtone, les Berbères constituent une minorité totalement oubliée. La langue berbère n'est ni lue ni écrite en Tunisie, parce que l'État a toujours refusé de l'introduire dans le système d'enseignement. Il existe des minorités berbérophones également dans les pays voisins (voir la carte linguistique), soit surtout en Algérie et au Maroc, mais aussi en Libye, au Mali, au Niger et en Mauritanie. 

Depuis treize siècles, la langue berbère est en contact permanent avec l'arabe. C'est pourquoi l'influence de l'arabe sur les différents dialectes berbères est partout présente. Cette influence semble particulièrement apparente dans le lexique où les emprunts arabes représentent dans la plupart des dialectes berbères une proportion appréciable du vocabulaire.

Il est probable qu'un fort pourcentage de Tunisiens d'aujourd'hui soient des descendants de Berbères arabisés et culturellement assimilés.

2.3 Le français

Durant tout le protectorat français, la langue française demeura la langue officielle du territoire. Après l'indépendance, le français conserva certaines prérogatives, notamment dans l'administration et l'éducation. En effet, le français est enseigné comme «langue étrangère» dans toutes les écoles tunisiennes. On estime qu'environ 30 % des Tunisiens seraient en mesure de parler le français, bien que tous l'aient en principe appris. Dans les faits, la plupart des Tunisiens le maîtrisent mal ou le parlent très peu, même pas pour soutenir une conversation. En réalité, selon les linguistes tunisiens, la plupart des Tunisiens ne parlent pas davantage l'arabe classique. Les nouvelles générations ne maîtriseraient donc ni le français ni l'arabe  classique de manière satisfaisante.

La connaissance du français et de l'arabe classique varie en fonction de l'instruction des individus, de leur profession ou de leur métier. En général, les universitaires sont trilingues: ils parlent l'arabe tunisien, l'arabe classique et le français, parfois l'anglais. Il en est ainsi pour tous ceux qui travaillent dans le domaine de l'hôtellerie ou de la restauration, ainsi que du grand commerce. Beaucoup parlent aussi l'italien, sinon l'allemand ou l'espagnol, à des fins touristiques.  En Tunisie, le monde des affaires se fait en français, de même que les rapports commerciaux et les transactions importantes.

Depuis quelques années, le français est en concurrence avec l'anglais en tant que langue véhiculaire internationale. À l'ère de la mondialisation, le français est dans une position critique face à l'anglais. Les jeunes semblent davantage attirés par l'anglais que par le français. Néanmoins, il est très rare qu'un touriste anglophone puisse trouver aisément quelqu'un au hasard pour lui parler en anglais.      

2.4 Les étrangers

Environ 25 000 étrangers travailleraient en Tunisie, dont 11 000 Français. Mais la plupart des immigrants sont originaires des pays voisins: Maroc, Algérie, Égypte, Libye, etc. Il y a aussi des Européens non français employés par des sociétés étrangères. La communauté tunisienne vivant actuellement à l’étranger s’élèverait à près de 700 000 personnes (2006), contre 659 892 personnes en 1999. Les pays européens attirent près de 85 % des Tunisiens qui résident à l’étranger, dont 62 % vivent en France.

2.5 La religion

Par ailleurs, l'islam est une religion d’État en Tunisie (il existe même une «moquée présidentielle»), et ses fidèles constituent la quasi-totalité de la population. Les musulmans tunisiens se rattachent à la branche sunnite de l’islam. Quatre-vingt-cinq pour cent sont de rite malikite, majoritaire dans les pays du Maghreb, et 15 % de rite hanafite. Les Arabes, comme les Berbères, sont musulmans. Il existe aussi des juifs, environ 3000 (selon les autorités tunisiennes). Certains parlent le yiddish, une langue germanique propre aux juifs, mais ils parlent tous l'arabe tunisien et l'arabe classique, souvent le français, parfois l'hébreu.

3  Données historiques

Le peuplement de la Tunisie, issu de la migration des populations libyques venues du Sud, probablement les ancêtres des Berbères, est attesté au moins 4000 ans avant notre ère. Mais la première grande civilisation que connut le pays est celle que fondèrent les Phéniciens sur les côtes, un peuple sémite originaire de Syrie et du Liban. Dominant le commerce maritime en Méditerranée, les Phéniciens établirent des comptoirs vers 1100 avant notre ère dans le nord-est de la Tunisie. La colonisation phénicienne ne débuta vraiment qu'avec la fondation de Carthage en 814 avant notre ère, au nord-est de l’actuelle ville de Tunis; le nom de Carthage  vient du phénicien Kart-Hadasht ou Qrthdst, qui signifie «Nouvelle Ville». Durant les siècles suivants, Carthage se trouva au cœur d’un empire puissant qui domina la majeure partie de l’Afrique du Nord et régna également sur le sud de la péninsule Ibérique, la Sardaigne et une partie de la Sicile, là où les Carthaginois durent se confronter aux Romains. Malgré ces incursions en Sardaigne et en Sicile, l'Empire carthaginois s'en tint essentiellement à l'espace littoral et maritime et ne s’étendit pas vers l’intérieur du pays (l'actuelle Tunisie). À partir de 264, Carthage dut affronter l’Empire romain, alors en pleine expansion, au cours des trois guerres puniques. Durant la dernière de ces guerres, Rome vainquit les Carthaginois et détruisit entièrement leur capitale (en 146).

Les Carthaginois ne laissèrent pas de trace de leur langue chamito-sémitique, le phénicien, sauf quelques inscriptions peu déchiffrables trouvées à Carthage, à Malte et en Sicile. En fait, le phénicien connut trois grandes variétés dialectales: le giblite, le sidonien et le carthaginois (ou punique). Les Phéniciens avaient inventé un alphabet d'où seront issus l'alphabet grec, l'alphabet latin, l'alphabet cyrillique, l'alphabet gothique, l'alphabet copte et l'alphabet araméen, lequel donnera naissance à l'alphabet hébreu et à l'alphabet arabe

3.1 La domination romaine

Du IIe siècle avant notre ère jusqu'au Ve siècle de notre ère, l’essentiel du territoire formant l’actuelle Tunisie fut intégré à la province romaine d’Afrique (appelée Africa), qui entreprit la colonisation de la partie basse du pays en développant l'agriculture. Les Romains construisirent de cités dans leur nouvelle province. La languie latine s'imposa dans toute l'Afrique du Nord, le long de la Méditerranée. Mais les régions montagneuses restées aux mains des Berbères demeurèrent réticentes à la domination romaine et réussirent à préserver leur langue berbère.

Au cours du Ve siècle, alors que déclinait l’Empire romain soumis aux invasions barbares, les Vandales, un peuple germanique dirigé par Genséric, traversèrent la péninsule Ibérique, franchirent la Méditerranée et arrachèrent la «province d’Afrique» aux Romains. Les quelque 8000 Vandales détruisirent les cités romaines et les pillèrent. C'est pourquoi, dans plusieurs langues, le mot vandale a une connotation de terreur, de destruction, de pillage ou de saccage. Les Vandales fondèrent le «royaume vandale d'Afrique» ou «royaume de Carthage» (439–533), du nom de la riche capitale romaine d'Afrique qu'ils avaient prise en 439.

Après un siècle d’occupation vandale, soit de 430 environ à 533, le pays fut conquis par le général byzantin Bélisaire. Les Vandales de Carthage faits prisonniers, environ 800 hommes, furent déportés vers Byzance, mais la moitié réussit à s'enfuir pour revenir en Afrique du Nord. Finalement, tous les Vandales se fondirent dans la population locale, surtout parmi les Berbères.

La reprise du pays par les Byzantins (Empire romain d'Orient) en 533 ramena la prospérité dans la région ainsi que dans tout l'Empire. L'empereur Justinien Ier dut très vite s'employer à défendre la nouvelle province contre les attaques berbères. Il fit de Carthage la capitale du pays et fit aussi édifier un réseau de forteresses. Comme elle se révéla incapable de rétablir la paix et d'endiguer la résistance berbère réfugiée dans les montagnes, l'Afrique byzantine s'affaiblit considérablement, ce qui facilita grandement la conquête arabe. En effet, la région, en grande partie christianisée, fut envahie par les Arabes musulmans au VIIe siècle, qui la dirigèrent jusqu’au début du XVIe siècle.

3.2 La conquête musulmane 

La conquête de l'Afrique du Nord par les Arabes nécessita huit campagnes militaires, soit de 649 à 715. Ce n’est qu’à la cinquième campagne (681-683) que le Maghreb fut atteint par l'offensive arabe. Cependant, la région ne fut définitivement islamisé qu'après 1720. Il fallut plus d’un demi-siècle pour que les Berbères s'associent aux premiers mouvements arabes d'Afrique du Nord pour la conquête de l’Espagne.

La conquête musulmane commença au Maroc avec une première expédition menée par Oqba ibn Nafi (681). Mais les tribus berbères montagnardes, qui n’avaient pas plus accepté la domination de Byzance que celle de Rome, les obligèrent à se replier. La véritable conquête musulmane débuta une vingtaine d’années plus tard, c'est-à-dire entre 705 et 707, sous la direction de Musa ibn Nusayr, qui sut profiter des clivages entre les tribus berbères pour les soumettre.

Les conquérants arabes se heurtèrent aux Berbères qui résistèrent. Néanmoins, si les Berbères se convertirent à l'islam, principalement à travers leur recrutement dans les rangs de l’armée victorieuse, ils ne s'arabisèrent pas entièrement et certains conservèrent leurs langues ancestrales. L'arabisation gagna d'abord les tribus berbères nomades et particulièrement les Zénètes. Puis l’islamisation s’accéléra davantage après la prise de Carthage par les Arabes en 698 et la fondation de Tunis.

De 800 à 909, la province appelée Ifriqiya ou «Afrique» (l'actuelle Tunisie, la Tripolitaine et l'Est algérien) fut gouvernée depuis Kairouan par les Aghlabides. Puis ce fut le règne des  Fatimides et des Zirides (909-1060), l'invasion hilalienne (1050-1060), le règne des Almohades (1159-1230) et celui de la dynastie berbère arabisée des Hafsides (1230-1574). L'arabe s'installa dans les populations urbaines, mais l'arabisation allait tarder dans les zones rurales; au fur et à mesure que les Arabes s'installèrent dans les zones agricoles occupées par les Berbères, ceux-ci finirent par abandonner leur langue et leurs coutumes.

Seuls ceux qui se réfugièrent dans les montagnes de l'Atlas ou dans le désert ne s'arabisèrent jamais. Le pays des Berbères devint musulman en moins de deux siècles, alors qu'il n'est pas encore aujourd'hui entièrement arabisé, soit treize siècles après la première conquête arabe. Malgré leurs résistances, les berbérophones finirent par être influencés par la langue de leurs conquérants. En effet, le berbère a emprunté massivement à la langue arabe. Cependant, l'arabe urbain dit classique fut également submergé par une autre forme d'arabe plus populaire et mêlée de termes berbères. Les conséquences sociales et ethniques entraînèrent un profond métissage des populations arabo-berbères. Il reste à se demander comment quelques dizaines de milliers de Bédouins ont pu avoir raison d'une population de plusieurs millions de Berbères. Les Berbères n'ont jamais été unis politiquement et se sont même fait la guerre entre eux, alors que les Arabes contrôlaient le pouvoir politique et la religion.

Entre-temps, durant la dernière partie du XIIe siècle, les Normands (un autre peuple germanique), commandés par le roi Roger II de Sicile, occupèrent temporairement plusieurs points stratégiques de la côte, mais ils n'occupèrent jamais l'ensemble du territoire et n'eurent pas d'influence dans l'évolution linguistique des populations. Par la suite, à partir de 1228, la dynastie berbère des Hafsides régna jusqu’en 1534 sur le prospère royaume de Tunis, qui donna son nom à la Tunisie. La langue arabe continua de dominer dans toutes les dynasties qui régnèrent sur la Tunisie. d’eux en 1228 et fonde la nouvelle dynastie berbère des Hafsides.

3.3 La domination ottomane 

En 1534, le corsaire turc Khayr al-Din Barberousse, déjà maître d'Alger, conquit Tunis tandis que d'autres Turcs occupaient l'île de Djerba. L'année suivante, l’armée de Charles Quint chassa le pirate de la région et les Hafsides furent rétablis, mais le pays demeura sous la tutelle de l’empereur du Saint Empire germanique et du roi d’Espagne. Peu de temps après, soit en 1574, les troupes de l’Empire ottoman vainquirent les Espagnols et établirent leur hégémonie sur la Tunisie. Commença alors ce qu'on appela la «Tunisie beylicale» pour désigner la Tunisie ottomane (voir la carte de l’Empire ottoman).


Tunisie

Turquie
Durant toute l'occupation ottomane (1574-1881), la Tunisie, appelée aussi la «Régence de Tunis», put jouir d’une relative stabilité. L’autorité impériale fut exercée par des administrateurs locaux, connus sous le nom de deys de Tunis jusqu’en 1705, puis seulement beys. Le bey Hussein ibn Ali, qui régna de 1705 à 1740, fonda en 1710 la dynastie des Husseinites, qui se maintinrent sur le trône jusqu’en 1957. Signalons que, à l'exemple de plusieurs pays à tradition islamique, la Tunisie voit figurer sur son drapeau une étoile et un croissant. La ressemblance du drapeau tunisien avec celui de la Turquie s'explique par le rattachement de la Tunisie à l’Empire ottoman en 1574.

Durant l'occupation ottomane, les Turcs ne s'assimilèrent pas aux populations arabo-berbères. Durant trois siècles, ils ne sympathisèrent jamais avec ces peuples parlant l'arabe ou le berbère. Ils demeurèrent une communauté distincte vivant comme des étrangers en Afrique du Nord (jusqu'en 1830). Pendant que les Ottomans parlaient le turc, les populations locales continuèrent de s'exprimer en arabe local ou en berbère.

La Tunisie multiplia les traités commerciaux avec les pays européens au prix d'une certaine aliénation économique croissante. Au début du XIXe siècle, les principales marines européennes, dont des navires américains, anéantirent la piraterie méditerranéenne. Le gouvernement tunisien, qui vivait en grande partie des revenus de sa propre piraterie, se trouva privé de ceux-ci et, par voie de conséquence, fut rapidement très endetté. La crise financière fut aggravée par les politiques extravagantes des beys et par la nécessité pour les gouvernements d’effectuer de fréquentes et coûteuses représailles contre les soulèvements des rebelles. Les principaux créanciers de la Tunisie furent la France, l’Italie et la Grande-Bretagne. Évidemment, chacun de ces pays nourrissait des ambitions impérialistes en Afrique du Nord.

3.4 Le protectorat français (1881-1956)

C'est en 1830 que la France avait conquis l'Algérie et s'était forcément installée dans la région. Pendant ce temps, l'autorité beylicale s'était étiolée en raison d'une situation intérieure caractérisée par la diminution des ressources de l'État et d'une situation extérieure se traduisant par un interventionnisme étranger accru. Complètement ruiné, l’État tunisien dut accepter l’instauration d’une tutelle occidentale. Lors du congrès de Berlin de 1878, la Tunisie fit l’objet de tractations entre les puissances européennes: la France se vit accorder toute liberté pour coloniser le pays. Les troupes françaises intervinrent à partir de l’Algérie, sous prétexte de mater la rébellion des tribus kroumirs — des Berbères des hauts plateaux — accusées de pénétrer sur le territoire algérien.

- Le contrôle du pays

Le 12 mai 1881, le bey Sadok Bey (nom francisé de Mohammed el-Sadik Bey) dut signer, sous la menace de son exécution, le traité du Bardo, qui instituait un protectorat française sur la Tunisie. Le bey fut contraint de confier à la France les affaires étrangères, la défense du territoire et la réforme de l'administration. Le régime du protectorat fut presque aussitôt renforcé par la convention de la Marsa du 8 juin 1883, laquelle accordait à la France le droit d'intervenir dans la politique étrangère, la défense et les affaires internes de la Tunisie, ce qui dépouillait le bey du reste de ses pouvoirs. L'article 1er de la convention précisait:

Convention de la Marsa

Article 1er

Afin de faciliter au Gouvernement français l'accomplissement de son Protectorat, Son Altesse le Bey de Tunis s'engage à procéder aux réformes administratives, judiciaires et financières que le Gouvernement français jugera utiles.

Article 2

Le Gouvernement français garantira à l'époque et sous les conditions qui lui paraîtront les meilleures, un emprunt à émettre par Son Altesse le Bey pour la conversion ou le remboursement de la dette consolidée s'élevant à la somme de 120 millions de francs et de la dette flottante jusqu'à concurrence d'un maximum de 17 550 000 francs. Son Altesse le Bey s'interdit de contracter à l'avenir aucun emprunt pour le compte de la Régence.

Article 3

Sur les revenus de la Régence, Son Altesse le Bey prélèvera :

1. les sommes nécessaires pour assurer le service de l'emprunt garanti par la France
2. la somme de deux millions de piastres (1 200 000 francs), montant de la liste civile, le surplus des revenus devant être affecté aux dépenses d'administration de la Régence et au remboursement des charges du Protectorat.

Article 4

Le présent arrangement confirme et complète, en tant que de besoin, le traité du 12 mai 1881. Il ne modifiera pas les dispositions présentement intervenues pour le règlement de la contribution de guerre.

À partir de ce moment, ce fut l'instauration du principe de la co-souveraineté, qui devait régir les relations entre la Tunisie et la France. En réalité, la Tunisie conservait son gouvernement et son administration, lesquels étaient désormais placés sous contrôle français, alors que les différents services administratifs étaient dirigés par de hauts fonctionnaires français et un «résident généra» conservant la haute main sur le gouvernement. La France représenta ensuite la Tunisie sur la scène internationale; elle ne tarda pas à abuser de ses droits et de ses prérogatives en tant que «protectorat» pour exploiter le pays comme une colonie. Il ne resta plus au bey qu'un rôle strictement protocolaire, tandis que, à partir de 1884, le résident général français gouvernait le pays.

Le protectorat français fut à l’origine de profonds changements politiques et sociaux. Le premier résidant général, Paul Cambon, mit en place un secrétaire général chargé de contrôler les décisions des ministres tunisiens et, au besoin, n'hésitait pas à les remplacer par des «directeurs techniques» français. Les divers successeurs de Cambon continuèrent l'œuvre de «francisation» des Tunisiens. Sous le protectorat français, la justice était expéditive et était rendu par le bey. Les pénalités étaient l'amende, la bastonnade, la prison, le bagne ou la mort. Les Turcs et les Koulour'lis, fils de Turcs et de Mauresques condamnés à la peine de mort, étaient étranglés, comme ils l'étaient à Alger au temps des pachas; les Maures étaient décapités; les Arabes nomades et les juifs, pendus. Certains leaders religieux de la Tunisie firent croire aux Tunisiens que Allah avait envoyé les Français pour les punir de leurs nombreux péchés. 

- La «mission civilisatrice» française

Tous les postes et emplois au sein de l’administration coloniale furent réservés aux Français. Dans un journal français publié à Tunis, L’Action coloniale du 18 mars 1920, on y apprend que le Français y était décrit comme «un être supérieur ethniquement aux populations colonisées» et qu'il est un «homme d’action» et un «travailleur acharné et intelligent», investi d’une «mission civilisatrice». Cette supériorité lui a permis de transformer un pays trouvé en «ruines accumulées par 13 siècles d’insouciance, de paresse et de fanatisme». Croupissant dans l’ignorance, les Tunisiens devraient être reconnaissants à la France et aux Français pour l’œuvre réalisée en Tunisie. Ainsi écrivait Georges Deymes dans L’Action coloniale du 1er  novembre 1924 :

C’est à genoux, dans la position de l’humilité la plus complète que vous devriez nous remercier sincèrement et loyalement de tout ce que nous avons fait pour vous… Combattez pour arriver à mieux, ne vous révoltez pas contre vos bienfaiteurs.

Exclus de l'administration des affaires de leur pays, les Tunisiens commencèrent à réclamer leur indépendance. Deux Tunisiens, Ali Bach Hamba et Hedi Sfar, fondèrent en 1907 le groupe des Jeunes Tunisiens, qui influencèrent les élites musulmanes en osant réclamer des réformes (novembre 1911). De 1914 à 1921, le pays fut placé en état d’urgence, la presse anticolonialiste interdite, alors que de nombreux dirigeants nationalistes furent arrêtés. Toutefois, en 1920, plusieurs groupes nationalistes s’unirent pour former le Destour (un parti politique tunisien), qui prônait de profondes réformes démocratiques. Dans l'édition du 4 janvier 1924, L’Action coloniale rejetait ainsi les revendications des Tunisiens : «Les indigènes seront nos élèves et nous leurs maîtres.» On croyait dans ce journal que «l’Arabe est bien connu pour sa maladresse à exercer un métier, son intelligence inférieure à celle de l’Européen, sa paresse naturelle, ses tares ancestrales».

Dans La Voix française du 28 novembre 1920, A. Morin semblait convaincu que les Tunisiens, appelés les «indigènes», étaient incapables de se gouverner, puisque, avant l’arrivée des Français en Tunisie, ils étaient demeuraient inertes: «Livrés à eux-mêmes, ils stagnent dans la plus déplorable situation, il leur faut la tutelle, le contact d’un autre élément pour qu’ils puissent faire un pas en avant.» Et A. Morin d'écrire dans son journal : «Nous oublions trop que l’Indigène a un culte pour la force, qu’il vénère et craint sans haine le fort.» Tout ce qui concernait les Tunisiens, c’est-à-dire leur culture, leur civilisation, leur religion, leur langue, leurs coutumes, leurs loisirs, etc., était ridiculisé, diminué et présenté comme inférieur à la civilisation occidentale. Dans La Voix française du 18 mars, on pouvait y lire cette description infériorisée de l'Arabe :

L’Arabe n’a pas atteint ce degré de stabilité passionnelle et mentale qui est le propre des peuples européens dont la pureté ethnique existe de fait. Prétendre que du jour au lendemain des individus ou des collectivités peuvent se transformer moralement et intellectuellement, c’est afficher une ignorance profonde des lois qui régissent l’âme et le cœur humain.

Cette image de l’Indigène ignorant et incapable de se gouverner était encore soutenue dans L’Action coloniale du 17 avril 1937:

Reste la grande masse des indigènes, ignorante, paresseuse, mais pas méchante cependant, que nous avons laissée croupir dans ses vices, ses tares physiques et morales et qu’il faut diriger. Là, un bon gendarme suffirait! Le plus grand service à rendre à ces primitifs serait de leur inculquer par force, l’amour du travail qui les fait vivre sans voler.

Bref, beaucoup de Français se sentaient investis d'une mission libératrice. Ils n'étaient pas les seuls: les Britanniques, les Espagnols et les Portugais pensaient exactement ainsi dans leurs colonies respectives.

- L'éducation et l'assimilation

Un nombre significatif de colons français s’établirent dans la région côtière du nord du pays (par exemple, Bizerte), occupant les fonctions administratives et dirigeant les entreprises. Lentement, l'élite tunisienne se francisa. Pour la France de l'époque, l'idéologie dominante en matière d'éducation était véhiculée par le politicien François Guizot (1787-1874), qui fut ministre de l'Instruction publique de 1832 à 1836 sous Louis-Philippe d'Orléans (de 1830 à 1848). Puis Jules Ferry (1832-1893) précisera les objectifs de l'éducation en Tunisie:

1) Il fallait maintenir le statu dans le système d'éducation tel qu'il existait avant l'arrivée des Français par respect de l'identité religieuse de la population tunisienne musulmane, mais aussi pour ne pas froisser la communauté italienne restée fidèle à ses écoles et à sa langue.

2) Il fallait franciser la population au moyen du français qui devait devenir la langue d'enseignement destiné non seulement aux Tunisiens musulmans, mais aussi à la population italophone, afin de renforcer sa position par rapport à l'Italie, concurrente directe de la France en Tunisie.

3) Il fallait aussi offrir aux diverses populations une formation professionnelle, afin de fournir aux entreprises qui s'installeront en Tunisie la main-d'œuvre qualifiée nécessaire à leur fonctionnement.

Le rapport du ministre chargé des Affaires tunisiennes, Jean-Jules Jusserand (1855-1932) poursuivait la logique de Jules Ferry. Dans une «Note sur l'instruction en Tunisie», en date du mois de février 1882, Jusserand exposait ainsi ses idées :

Nous n'avons pas en ce moment de meilleur moyen de nous assimiler les Arabes de Tunisie, dans la mesure où cela est possible, que de leur apprendre notre langue, c'est l'avis de toutes les personnes qui les connaissent le mieux : nous ne pouvons pas compter sur la religion pour effectuer cette assimilation ; ils ne se convertiront jamais au christianisme ; mais à mesure qu'ils apprendront notre idiome, une foule d'idées européennes se révéleront forcément à eux, l'expérience l'a suffisamment démontré. Dans la réorganisation de la Tunisie, une très large part devra être faite à l'instruction.

En réalité, le gouvernement français désirait propager la langue française auprès des autres communautés européennes, telles les Maltais et les Italiens, et finalement limiter l'action des écoles italiennes financées par le gouvernement italien dispensant un enseignement religieux en italien. Finalement, les Français instituèrent un système d'enseignement bilingue avec les écoles franco-arabes. Les programmes de ces écoles bilingues étaient calqués pour l'essentiel sur le modèle de l'enseignement primaire français pour les enfants d'origine européenne (Français, Italiens et Maltais), auquel on y ajoutait des cours en arabe dialectal. Quant aux enfants  tunisiens, ils devaient recevoir leur instruction en arabe classique afin d'étudier le Coran. Seule une petite élite tunisienne recevaient une instruction réellement bilingue, en arabe et en français, de façon à co-administrer le pays. La masse musulmane continuait à ne parler que l'arabe tunisien ou l'une de ses nombreuses variétés.

Selon les époques, l'enseignement en français variait de quinze heures et demie à vingt-sept heures et demie, en fonction des cycles d'enseignement. Mais l'enseignement en arabe variait de neuf à treize heures par semaine. On enseignait en français toutes les disciplines, mais en arabe la langue et la littérature arabes, l'histoire et la géographie du monde musulman, l'enseignement islamique, la traduction de textes administratifs, l'instruction civique, la calligraphie et la paléographie (l'interprétation des écritures anciennes).

En général, les écoles franco-arabes furent fréquentées par les enfants habitant le nord du pays et dans la capitale. Dans le Sud, en raison de l'éloignement de Tunis et du manque de contact avec les Européens, les Tunisiens, notamment les Berbères, refusèrent d'envoyer leurs enfants dans ces écoles et se réfugièrent dans un certain conservatisme religieux. Le gouvernement colonial dut exercer des pressions sur les parents et les menaça d'emprisonnement afin de les forcer à envoyer leurs enfants à l'école.

L'enseignement du français était dispensé par des instituteurs formés dans les écoles normales en France. Puis le gouvernement français créa une école normale en Tunisie pour former des maîtres tunisiens. La durée des études était de cinq ans au cours desquels les futurs maîtres étudiaient le Coran, puis la langue arabe (écriture, lecture, grammaire, littérature) et la langue française, les éléments du droit, l'arithmétique, l'histoire et la géographie tunisiennes. Un tel établissement répondait à un besoin de la part de l'administration française: il fallait former des enseignants autochtones bilingues, aptes à instruire les jeunes élèves tunisiens, aussi bien en français qu'en arabe.

- La résistance tunisienne

En même temps, un fort courant nationaliste se manifesta avant la Première Guerre mondiale. De 1914 à 1921, le pays vécut en état d'urgence perpétuelle, alors que la presse anticolonialiste était interdite. Le résident général dut faire exiler les principaux dirigeants nationalistes tunisiens.

En 1932, Habib Bourguiba, un jeune diplômé en droit membre du Destour, fonda avec d'autres le journal L'Action tunisienne, qui prônait à la fois l'indépendance et la laïcisation de la société. Au milieu des années trente, la répression coloniale se fit plus violente et Habib Bourguiba fut expulsé avec d'autres militants dans le Sud tunisien et assigné à sa résidence. En 1936, l'accession au pouvoir du Front Populaire permit la libération des chefs indépendantistes. En 1938, Habib Bourguiba était emprisonné en France «pour conspiration contre la sûreté de l'État»; son incarcération dura cinq ans.

Durant la Seconde Guerre mondiale, les forces allemandes occupèrent le pays. Le 15 mai, les Alliés transférèrent l’autorité de la Tunisie à la France libre. Sans attendre, les autorités françaises procédèrent à l’arrestation de centaines de sympathisants nationalistes et déposèrent le bey régnant, Moncef Bey, jugé pro-allemand, pour le remplacer par Lamine Bey. Cette intervention française suscita un profond ressentiment au sein de la population tunisienne qui avait majoritairement soutenu la reconquête alliée.

- L'autonomie

En 1945, le général de Gaulle proposa à la Tunisie le statut d’«État associé» au sein de l’Union française. Cependant, Bourguiba, de retour au pays en 1949, intensifia sa campagne pour l’indépendance de la Tunisie, en s’appuyant notamment sur l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT). En 1952, la lutte pour l’indépendance prit un nouveau tour après les arrestations de Bourguiba et des chefs nationalistes et la dissolution forcée du gouvernement Chenik. Les indépendantistes prirent les armes contre le colonisateur, tandis qu’à l’opposé l’organisation «Main rouge», créée par des colons extrémistes, lançait une campagne terroriste contre les nationalistes. Les émeutes et les attentats menèrent la Tunisie au bord de la guerre. Le 31 juillet 1952, Pierre Mendès France, le nouveau président du Conseil français, se rendit en Tunisie et promit, dans un discours prononcé à Carthage, l’«autonomie interne». Bourguiba jugea cette déclaration acceptable et les émeutes cessèrent. Le 3 juin 1955, le premier ministre tunisien Tahar ben Amar et le successeur de Mendès France, Edgar Faure, signèrent une série de conventions consacrant l’autonomie tunisienne. Le 17 septembre, pour la première fois en 74 ans, était installé à Tunis un gouvernement composé exclusivement de Tunisiens.

3.5 L'indépendance et la Première République

Le 20 mars 1956, un nouvel accord reconnut la Tunisie comme une monarchie constitutionnelle entièrement souveraine. Les premières élections législatives de l’histoire tunisienne, organisées le 25 mars, donnèrent une large victoire au Néo-Destour. Le 8 avril, Habib Bourguiba fut élu président de la première Assemblée nationale tunisienne; le 11 avril, il était nommé premier ministre. L’Assemblée tunisienne adopta une constitution transférant au peuple tunisien les pouvoirs législatifs. Le 12 novembre 1956, la Tunisie devenait membre des Nations unies.

Le 25 juillet 1957, l’Assemblée nationale déposait le bey et proclamait la République, dont Bourguiba devint le premier président. Les biens du bey furent confisqués et servirent à régler la dette de l’État. De nombreux fonctionnaires français furent révoqués et le tiers des Français de Tunisie quitta le pays.

Les relations avec la France se détériorèrent en raison de la guerre d’Algérie. À la fin de 1957, des affrontements se produisirent lorsque des troupes françaises, poursuivant des indépendantistes algériens, franchirent la frontière tunisienne. Le 15 avril 1959, la France et la Tunisie signaient un accord prolongeant l’assistance technique française et, en 1960, la Tunisie accepta de rembourser une partie des terres confisquées aux ressortissants français.

La nouvelle Constitution tunisienne fut promulguée le 1er juin 1959. En novembre, Habib Bourguiba fut réélu président sans rencontrer d’opposition; il s'employa à laïciser le justice et le droit, réforma et démocratisa l'enseignement tout en l'arabisant, puis tenta de moderniser l'État notamment par la promulgation du Code du statut personnel avec interdiction de la polygamie et déclaration de l'égalité entre les hommes et les femmes. Il octroya aux femmes le droit de vote en 1957 et autorisa l'avortement en 1973. Dans son discours du 13 août 1966, Bourguiba déclara: «Sans la promotion de la femme, le progrès de la nation est impensable.» Dans ce domaine, la Tunisie faisait certainement figure d'exception.

En matière de langue, Bourguiba ne remit jamais en cause l'usage du français en Tunisie. Au contraire, il généralisa son enseignement dans les écoles tout en favorisant l'apprentissage de l'arabe classique. Initiative unique dans le monde arabe et musulman, le gouvernement tunisien alla jusqu'à interdire l'enseignement des versets du Coran qui prônaient le violence.

En 1961, les relations franco-tunisiennes se détériorèrent, car les Français avaient refusé d’évacuer leur base navale de Bizerte dans le nord du pays: des troupes tunisiennes l’assiégèrent le 19 juillet 1961. Après des discussions prolongées entre la France et la Tunisie, qui débutèrent en 1962, la France se retira intégralement de Bizerte en octobre 1963.

Ayant manifesté l'indépendance de la Tunisie vis-à-vis la France, le président Bourguiba demeura un fervent adepte de la Francophonie. Le 10 octobre 1968, devant les cadres de l’enseignement réunis à Bizerte, H. Bourguiba réitéra son choix, en déclarant :

User du français ne porte pas atteinte à notre souveraineté ou à notre fidélité à la langue arabe mais nous ménage une large ouverture sur le monde moderne. Si nous avons choisi le français comme langue véhiculaire, c’est pour mieux nous intégrer dans le courant de la civilisation moderne et rattraper plus vite notre retard.

Il est aisé de constater que les mots tels que «ouverture», «monde moderne» et «civilisation moderne», le français était pour Bourguiba synonyme de modernité et d’ouverture. C’est pour cette raison qu'il favorisa le bilinguisme français-arabe. Bourguiba ajoutait:

Et c’est trop peu, finalement, quand on parle de la Tunisie, que de souligner son bilinguisme. Il s’agit bien plutôt d’un biculturalisme. La Tunisie ne renie rien de son passé dont la langue arabe est l’expression. Mais elle sait aussi bien que c’est grâce à la maîtrise d’une langue comme le français qu’elle participe pleinement à la culture et à la vie du monde moderne.

Malgré l'arabisation, le français continua donc de jouer un rôle considérable dans les principaux secteurs de la vie tunisienne, notamment dans l'administration, l'éducation et les médias. L'arabisation fut néanmoins manifeste au niveau administratif où le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Justice furent entièrement arabisés. Le président Bourguiba souhaitait aussi jouer un rôle prépondérant au sein du monde arabe.  Il se tourna simultanément vers le reste du Maghreb et le Proche-Orient arabe. Cette politique se traduisit par une coopération économique et politique accrue avec les pays voisins. Le contentieux sur les frontières avec l’Algérie fut résolu, alors que les relations entre la Tunisie et le Maroc s’améliorèrent.
 


Habib Bourguiba (1903-2000)

Durant les années 1965 et 1966, la Tunisie soutint la création du Comité permanent consultatif du Maghreb qui préfigurait l’Union du Maghreb Arabe (UMA), dont l’acte de naissance fut signé en 1989. Puis la Tunisie se rapprocha de l’Égypte. Cette politique pro-arabe apparut comme une alternative à la coopération avec la France. En mai 1964, l’Assemblée nationale décréta l’expropriation des terres encore en possession des étrangers, notamment des Français. En 1979, le siège de la Ligue arabe fut transféré à Tunis.

Bourguiba fut élu pour la troisième fois en novembre 1969. En décembre, l’Assemblée nationale approuva une modification constitutionnelle prévoyant qu’un premier ministre, nommé par le président, assumera la présidence en cas de décès ou d’invalidité de celui-ci. En mars 1975, Bourguiba fut nommé «président à vie». Bien que le président Bourguiba ait prôné une certaine arabisation, il faisait la différence entre l'arabe classique et l'arabe tunisien. Déjà en 1968, il affirmait: «Non, vraiment, l'arabe classique n'est pas la langue du peuple.» En 1971, son ministre de l'Éducation nationale, pourtant un militant de l'arabisation, rappelait aux étudiants: «La tunisification des programmes doit être liée intimement à la réalité nationale. Il faut penser tunisien et éviter l'imitation aveugle d'autrui.»

À partir de 1977, Bourguiba entreprit un réel effort d'arabisation dans l'enseignement et dans l'armée. Au primaire, l'arabe passa à 80 heures d'enseignement, le français, à 65 heures. Au secondaire, seules l'histoire et la philosophie furent arabisées; le français est resté largement la langue des sciences et des techniques. L'enseignement supérieur resta largement dominé par le français. Dans la presse écrite, l'arabe et le français se partagèrent le lectorat de façon variable, selon la fréquence de parution ou la nature des sujets abordés.

La décennie de 1980 vit le régime tunisien confronté à de nombreuses difficultés. Les relations avec la Libye furent rompues en 1985 après que ce pays eut expulsé quelque 30 000 travailleurs tunisiens. La même année, le siège de l’OLP, situé près de Tunis, fut détruit par un raid aérien israélien. En 1986, la Tunisie adopta un plan d’austérité sur recommandation du Fonds monétaire international (FMI), qui fournit aux islamistes de nouveaux arguments contre le pouvoir.

3.6 Le «printemps tunisien» et le général Ben Ali

Le 7 novembre 1987, Habib Bourguiba, le «combattant suprême» et «président à vie» fut déposé par son premier ministre Zine el-Abidine Ben Ali, sous prétexte que son grand âge (84 ans) le rendait incapable de gouverner plus longtemps le pays. Il avait été déclaré «médicalement empêché» de remplir sa fonction. Dans un livre intitulé Notre ami Ben Ali, les journalistes Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi racontent ce qui suit:

Sept médecins dont deux militaires, sont convoqués en pleine nuit, non pas au chevet du malade [Bourguiba] mais, là encore, au ministère de l'Intérieur. Parmi eux se trouve l'actuel médecin du président, le cardiologue et général Mohamed Gueddiche. Ben Ali somme les représentants de la faculté d'établir un avis médical d'incapacité du président. «Je n'ai pas vu Bourguiba depuis deux ans», proteste un des médecins. «Cela ne fait rien! Signe!», tranche le général [Ben Ali].

Le général Ben Ali devint, en tant que successeur constitutionnel, président et chef suprême des forces armées. Dans une déclaration faite à la radio nationale, il annonçait ainsi sa prise du pouvoir :
 
L'époque que nous vivons ne peut plus souffrir ni présidence à vie ni succession automatique à la tête de l'État desquels le peuple se trouve exclu. Notre peuple est digne d'une vie politique évoluée et institutionnalisée, fondée réellement sur le multipartisme et la pluralité des organisations de masse.

Ce «coup d’État constitutionnel» fut relativement bien accueilli par les autres pays et, encore mieux, par la population. Débuta alors le «printemps tunisien» sous le thème du «changement». Le général Zine Ben Ali apparut à la fois comme un homme d’ordre et de compromis, capable de faire face aux tentatives de déstabilisation d’une partie des milieux islamistes. Il choisit d'appliquer une politique modérée en arabisant l’enseignement ainsi que l'essor d’un islam d’État. En même temps, le nouveau président autorisa le multipartisme en appliquant la démocratisation aux islamistes qui furent invités à participer aux élections législatives de 1989 et aux élections municipales de 1990.

Cependant, la «parenthèse démocratique» fut brève. L'opposition, la Ligue tunisienne des droits de l'homme, ainsi que les intellectuels furent vite mis au pas et la presse, totalement assujettie au pouvoir. Le 24 octobre 1999, le président Ben Ali fut réélu pour un troisième mandat de cinq ans, avec 99,94 % des voix. Puis les grands représentants des grandes nations démocratiques, par exemple le président de la République française, le premier ministre italien, le premier ministre portugais, le ministre belge des Affaires étrangères, et bine d'autres, manifestèrent leur appui au régime de Ben Ali, pourtant régulièrement condamné depuis une décennie pour ses violations massives des droits de l'homme. Tous vantèrent le «miracle économique» tunisien, alors que la population s'appauvrissait chaque jour, tous exprimèrent leur admiration devant «l'avant-gardisme» du dictateur. Certains observateurs français ont m^me parlé de «dictature éclairée».

Un mouvement de résistance pacifique sembla se développer dans le pays. Le régime tenta de pratiquer une plus grande ouverture. L'ancien président Habib Bourguiba décéda le 6 avril 2000 à Monastir, à l'âge vénérable de 96 ans. En raison des cérémonies relativement simples organisées par le pouvoir pour les obsèques du «combattant suprême» créèrent une vive réaction dans l’opinion publique tunisienne et internationale. En effet, la presse internationale a remarqué la brièveté de la cérémonie, le peu d’invités étrangers et l’absence de retransmission à la télévision qui diffusait des cérémonies animalières pendant le convoi funéraire.

Un référendum, tenu le 26 mai 2002, permit une autre modification de la Constitution, avec 99 % de OUI, qui autorisait le président Ben Ali à se présenter aux élections pour une quatrième fois. De plus, l’article 21 déclarait que «le chef de l’État bénéficie au cours de l’exercice de ses fonctions de l’immunité judiciaire dont il continue de bénéficier après la fin de son mandat concernant les décisions et les actes relatifs à l’accomplissement de ses fonctions». Autrement dit, il s'agissait d’une «impunité à vie» et non pas d’une simple immunité fonctionnelle durant la présidence.

- La politique d'arabisation

Durant son règne, le président Ben Ali a accru la politique d'arabisation. En octobre 1999, une circulaire ("circulaire no 45 du 29 octobre 1999") distribuée par le premier ministre faisait de l'arabe la seule langue autorisée dans l'administration; la directive prenait effet à partir du 1er janvier 2000. Dès lors, les ministères, les établissements et les entreprises publics, ainsi que les conseils municipaux furent tenus de n'employer que l'arabe comme langue de travail et langue de la correspondance. Les autorités ont néanmoins prévu que l'administration pourra «correspondre avec les étrangers dans leur langue», voire ajouter des traductions de documents officiels dans les dossiers administratifs, notamment d'ordre économique. Même les informaticiens tunisiens durent achever l'arabisation en cours avec des logiciels en quelques semaines. Quant aux marchands qui n'affichaient qu'en français, ils furent menacés de fortes amendes s'ils ne se conformaient pas aux nouvelles règles qui consistaient à placer l'arabe en priorité sur toute autre langue. Cependant, certains imprimés en français ont pu être utilisés jusqu'à «épuisement des stocks», mais «au plus tard» pour la fin de décembre 2000.

Dans les faits, même si tous les documents doivent être rédigés en arabe, ils le sont encore en français dès qu'il s'agit d'un domaine technique ou spécialisé. Il faut comprendre que l'arabisation de la vie publique tunisienne concernait uniquement l'arabe officiel, celui transmis par l'école, les médias écrits et la télévision. La politique d'arabisation a toujours exclus l'arabe tunisien, la langue parlée par presque tous les Tunisiens, hormis les étrangers et les Berbères. Durant le régime de Ben Ali, la langue française a connu un certain déclin.

- La quasi-dictature

En octobre 2004, Zine el Abidine Ben Ali fut réélu sans surprises, avec près de 94 % des suffrages, à la tête de l’État tunisien, alors que son parti allait rafler 80 % des sièges au Parlement. Le président devait pouvoir perpétuer quelques années encore son modèle à base de relative stabilité intérieure et de privation des libertés d’expression. Entre 2004 et 2006, la vie politique fut caractérisée par une poursuite de la répression politique. À la fin de 2006, diverses organisations proches du pouvoir demandèrent au président Ben Ali de présenter à nouveau sa candidature à l'élection présidentielle de 2009, ce qu'il fit le 30 juillet 2008.

Diverses organisations de défense des droits de l'homme et des libertés ont accusé régulièrement le régime du président Ben Ali d'être une quasi-dictature. Le président était reconnu comme l'un des «10 pires ennemis de la presse» par le Comité pour la protection des journalistes. L'organisme Reporters sans frontières le désignait généralement comme un «prédateur de la liberté de la presse». La loi antiterroriste adoptée en 2003 était devenue l'occasion de procès injustes, tandis que des prisonniers politiques étaient fréquemment torturés et soumis à des conditions de détention et à de mauvais traitements. Ben Ali a assis son pouvoir sur la peur avec une certaine complaisance de la part de la communauté internationale qui n'avait rien contre son régime répressif, dans la mesure où celui-ci servait de rempart contre l'islamisme. 

Ainsi, depuis fort longtemps, la Tunisie vit sous un régime autoritaire et un pluralisme de façade. La situation politique et sociale annonçait une fin de règne pour le président Ben Ali, à la santé chancelante, qui ne contrôlait plus entièrement le pays, lequel croulait depuis des décennies sous la corruption généralisée et le népotisme, alors que sa femme, Leila, visait la succession de son mari. C'était un secret de polichinelle en Tunisie: il s'agissait de perpétuer le régime mafieux du président Ben Ali et de sa femme, afin d'assurer fortune et sécurité à leur descendance, notamment leur fils Mohamed, né en 2005 et que le peuple qualifiait de «petit prince». Toutefois, la Première Dame de la Tunisie, «Madame Tunisie», restait la cible des railleries et des moqueries du petit peuple, qui l’appelait «la coiffeuse» (son premier métier), tout en continuant à se délecter de blagues à son sujet. En réalité, la Tunisie était une kleptocratie, dans laquelle le régime — la famille du président — avait une participation directe dans tout ce qui valait la peine d'être acheté, vendu ou possédé.

En 2007, la famille Ben Ali faisait fermer le prestigieux lycée francophone Louis-Pasteur. Or, en septembre 2004, une élève apparentée au clan Ben Ali avait été refusée en raison d'un dossier scolaire jugé insuffisant. La colère aurait emporté le couple présidentiel qui fit annoncer la fermeture du lycée. Devant le tollé de prestations, le président Ben Ali fit marche arrière, mais de forts intérêts immobiliers — le lycée étant situé sur un terrain de 10 000 m² dans le meilleur secteur des affaires de Tunis —  eurent vite fait de convaincre «Madame Tunisie» de procéder, et ce, d'autant plus qu'elle désirait, avec la collaboration de Mme Souha Arafat, veuve de Yasser Arafat, ouvrir un établissement similaire dans la banlieue nord de Tunis: l'École internationale de Carthage. Il fallait donc supprimer toute concurrence à cette nouvelle école et récupérer les élèves et le corps enseignant. Le 25 octobre 2008, le président Ben Ali fut réélu pour un cinquième mandat avec 89,6 % des voix, ce qui entraîna un fort mécontentement dans la population, particulièrement chez les jeunes. C'était le dernier mandat de Ben Ali qui atteignait 74 ans en 2010, alors que la Constitution limitait à 75 ans l'âge maximal d'un candidat à la présidence.

- La fin du régime

Puis, en janvier 2011, tout s'est précipité pour le président Ben Ali. De forts mouvements populaires de protestation se sont élevés contre son régime corrompu. Le 14 janvier, le président Ben Ali s'enfuyait avec sa famille en Arabie Saoudite. Mais les Tunisiens craignent maintenant la survie du régime, même après le départ de Ben Ali. Celui-ci a si bien écrasé toute dissidence qu'il n'existe pas dans ce pays de mouvement organisé prêt à proposer une voie cohérente pour la suite des événements. On sait que l'Histoire est pleine de révolutions détournées à d'autres fins. On peut espérer que ce peuple, depuis longtemps réduit à l'impuissance, tente de reprendre son sort entre les mains. Les Tunisiens se sont débarrassés d'une famille régnante, rapace et mafieuse, mais il n'est pas certain que le système en place disparaîtra au bénéfice d'un gouvernement véritablement démocratique. Déjà les islamistes radicaux, que le régime avait impitoyablement traqués et écartés par l'exil ou la prison, s'apprêtent à rentrer au bercail. Des manifestants tunisiens réclament un califat qui placerait la Tunisie sous la tutelle islamiste; d'autres demandent l'application de la Charia. Il se pourrait que le mouvement islamiste constitue la seule force organisée, puisque l'opposition démocratique a été muselée depuis plus de soixante ans.

La révolte en Tunisie soulève la question de la démocratisation du monde arabe. Les voisins immédiats, le Maroc et l'Algérie, sans oublier la Lybie, n'ont jamais été capables d'établir une société plus libre et prospère, sinon avec des résultats très médiocres. Si la Tunisie se démocratise un jour, ce sera long, car la démocratie ne s'instaure pas du jour au lendemain. Le plus curieux, c'est que, un mois avant la chute de Ben Ali, le régime dictatorial ne dérangeait que fort peu les démocraties occidentales. Comme au Maroc, en Égypte, au Pakistan, en Chine, en Arabie Saoudite, etc. Pour l'instant, les observateurs de l'histoire tunisienne affichent un optimisme modéré. L'un des livres les plus recherchés est aujourd'hui La régente de Carthage. Main basse sur la Tunisie de Nicolas Beau et Catherine Graciet, qui n'était disponible qu'en français (maintenant traduit en arabe). Les deux journalistes y expliquent comment «la présidente» et l’épouse de Ben Ali, Leïla Trabelsi, ou «Madame Tunisie», aurait réussi, à la tête de son clan familial, à faire «main basse» sur des pans entiers de l’économie tunisienne.

Au cours de la dernière décennie, la politique d'arabisation s'est stabilisée. La France a continué d'être le premier client de la Tunisie. Le gouvernement français injectait vingt fois plus d'argent en matière de culture et d'éducation dans ce pays que la Grande-Bretagne et les États-Unis réunis. Ainsi, du point de vue politique et économique, les positions du français apparaissent sont encore solides.     

La Tunisie vécut ses premières élections libres depuis l'indépendance. Malgré une mosaïque de partis politiques installée, après le 14 janvier 2011, sur le paysage politique tunisien, les élections du 23 octobre ont vu l'émergence du mouvement Ennahdha, qui détenait environ 40 % des voix, d'après les résultats partiels. Ce mouvement se définit comme un «parti islamiste modéré» dit «à la turque», mais nombre de signaux annoncent que les extrémistes islamistes incarnent plutôt l'antithèse de la modération. Ainsi, de nombreuses femmes ont confié à la presse internationale leur désarroi devant la montée de fanatiques radicaux qui intimident les femmes non voilées dans les transports publics, veulent les expulser des cafés et réclament la fermeture d'une chaîne télévisée ayant critiqué les mollahs iraniens. Les discours tenus par les partisans de l'Ennahdha trahissent à la fois le mépris de la femme, le non-respect des droits individuels et la haine de l'Occident, tout en confondant État et religion. Selon ces sondages effectués en mai 2011, les Tunisiens, dans une proportion de 61%, souhaitaient que les préceptes de la Charia soient enseignés dans les écoles, tandis que 60 % désiraient interdire la liberté d'expression, histoire d'empêcher les blasphèmes contre l'islam et le Prophète. La Tunisie, un pays qui a toujours été ouvert sur le monde extérieur, risque de plonger dans le conservatisme et l'islamisme. Dans ces conditions, les petites minorités berbères n'auraient rien à espérer; elles seraient encore oubliées et méprisées.

3.7 La Tunisie après la dictature

Le 12 décembre 2011, un opposant historique de Ben Ali, Moncef Marzouki, fut élu (pour une année) au poste de président de la République tunisienne par les membres de l'Assemblée constituante. Durant la campagne présidentielle, il avait affirmé l'identité arabo-musulmane du pays, accusant ses adversaires d'être « la vieille gauche laïcarde et francophone, totalement déconnectée des vrais problèmes de la société tunisienne». Écrivain bilingue, il a publié de nombreux livres en arabe, dont quatre en français, traitant de médecine communautaire, d'éthique médicale, des droits de l'homme et du problème de la démocratisation dans les pays arabo-musulmans. Parmi ses ouvrages, mentionnons Le Mal arabe. Entre dictatures et intégrismes : la démocratie interdite (2004) et Dictateurs en sursis (2011). Markouzi, un homme d'envergure dont on entendra sans doute parler dans un proche futur, a écrit un plaidoyer pour la démocratisation dans le monde arabe et se demande pour quelles raisons internes et externes les Arabes ont-ils autant de mal à implanter des régimes démocratiques.

Pour Moncef Markouzi, chaque fois que se tiennent des élections libres dans un pays arabe ou musulman, ce sont des islamistes qui sont portés au pouvoir. Cette situation serait causée et nourrie par «la collusion de l'intégrisme laïc et de l'appui occidental à la dictature». Alors qu'Habib Bourguiba convoquait les caméras de télévision pour enlever le voile des femmes au lendemain de l'indépendance, celles qui ne le portent pas aujourd'hui seraient devenues des «femmes marginalisées». Les murs des villes se couvrent de graffitis islamiques appelant au jihad, et menaçant de mort ceux qui insulteraient, par leurs paroles ou actes, Dieu et son prophète. La société tunisienne sembler entrée dans une période de «romantisme post-révolutionnaire», qui se traduit par une soif d'islam concrétisée par la victoire du parti Ennahda lors de l'élection de l'Assemblée nationale constituante (ANC). Le président Moncef Marzouki a pourtant déclaré en juillet 2012 devant les députés de l'Assemblée nationale française que la Tunisie n'était pas tombée dans «l'escarcelle des islamistes», mais dans celle de la démocratie.

On me pose souvent la question: est ce que la Tunisie est tombée dans l'escarcelle de l'islamisme ? La réponse est non, la Tunisie est tombée dans l'escarcelle de la démocratie.

Le président tunisien défendait ainsi son alliance avec le parti islamiste Ennahda. Il espérait que la nouvelle Constitution de son pays pouvait être présentée le 14 janvier 2013, date anniversaire du déclenchement de la «révolution tunisienne». Lors du débat tenu à l'Assemblée nationale constituante le 28 février 2012, le «guide suprême» du parti islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi, déclarait que «l'article 1 de la Constitution (de 1959) stipule que ’’la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain? ; sa religion est l’islam, sa langue l’arabe et son régime la République’’». Il n'excluait pas que la Charia puisse être la source principale de la législation tunisienne et prenait comme modèle la Turquie. Il oubliait que dans la Constitution turque il n’est nullement question de la Charia  et que la Turquie est un État constitutionnellement laïc. Officiellement, le Parti Ennahdha rejette l'islamisme radical comme forme de gouvernement en Tunisie, mais entend néanmoins donner de la visibilité à l'islam dans l'espace public.

En février 2013, la mort de Chokri Belaïd, figure de l'opposition qui ne cachait pas ses critiques contre le parti islamiste au pouvoir, Ennahda, a de nouveau plongé le pays vers l'incertitude. Tout le système politique est resté en suspens : l'élaboration de la Constitution est resté au point mort, faute de consensus à l'Assemblée constituante; les futures élections furent sans cesse repoussées aux calendes grecques; les dossiers importants en matière d'indépendance de la justice et dans le domaine social ne furent pas traités. Le président Marzouki semble avoir pris ses distances avec Ennahda au point où il n'hésite plus à accuser ses alliés islamistes de s'approprier «les rouages administratifs et politiques de l'État».

Plus de trois ans après la fuite de Ben Ali, la Tunisie a fini par s'entendre sur une nouvelle constitution. Le texte final de cette loi fondamentale a été adopté le 26 janvier 2014 par l'Assemblée nationale constituante (ANC) avec 200 voix pour, 12 contre et 4 abstentions. Cette constitution se veut un compromis entre le parti islamiste Ennahda (à la tête du gouvernement) et les forces de l'opposition; elle consacre un exécutif bicéphale et accorde une place réduite à l'islam et, pour la première fois dans l'histoire du monde arabe, introduit un objectif de parité hommes-femmes au sein des assemblées élues.

À la suite de l'élection de 2014, Béji Caïd Essebsi est devenu le premier président élu démocratiquement au suffrage universel dans l'histoire de la Tunisie. De plus, la Tunisie est le seul État arabe où des islamistes ont été élus démocratiquement, sans que le pays ne verse dans l'anarchie. Les islamistes ont pu participer au gouvernement et à la rédaction d’une constitution laïque. Ils ont ensuite accepté de quitter leur poste pour se présenter aux élections. Contrairement à l'Égypte, par exemple, ils se sont «normalisés» dans la vie politique. Idéalement, il faut que les islamistes démocrates puissent devenir des politiciens normaux, comme le sont les chrétiens démocrates en Europe. C’est cette normalisation qui permet d’éviter les divisions violentes dans la société. En ce sens, il convient d'être optimiste quant à l’avenir de ce pays, qui pourrait devenir la première démocratie du monde arabe.

Bien que la Tunisie soit de loin le pays arabe qui a connu les plus grandes améliorations depuis le fameux «Printemps arabe», tout n'y est pas rose pour autant. Si c'est surtout au plan politique que le pays a progressé : élections libres et démocratiques, nouvelle Constitution, avancées dans les droits des femmes et des minorités, poursuites judiciaires contre les infractions commises sous la dictature, etc. Tout cela semble acquis, car il serait difficile de revenir en arrière.

4 Le statut juridique de l'arabe

Avant la Constitution de 2014, le statut de la langue était resté ce qu'il était et proclamé dans la Constitution de 1956 (modifiée en 1992 et en 2002, mais suspendue en 2011). L'article 1er stipulait que l'arabe était la langue de la Tunisie:

Article 1er  [abrogé]

La Tunisie est un État libre, indépendant, souverain; sa religion est l'islam, sa langue l'arabe et son régime, la République.

L'expression «langue officielle» n'était pas employée. C'est à partir de cette seule disposition constitutionnelle que l'arabe classique, non l'arabe tunisien, a été utilisé comme la langue officielle de l'État.

Une nouvelle constitution fut en préparation dès 2011, mais l'Assemblée nationale constituante (ANC) de Tunisie n'a pas adopté le texte final avant le mois d'avril 2013. Les principaux partis tunisiens s'étaient donné un an à compter de l'élection le 23 octobre 2011 de l'ANC pour rédiger la nouvelle loi fondamentale du pays et remplacer les textes provisoires régissant la Tunisie à la suite de la révolution qui a renversé le président Ben Ali. Or, ces travaux ont pris du retard, aucun compromis ne se dégageant notamment sur la nature du régime. D'une part, les islamistes réclamaient un système parlementaire pur, d'autre part, les autres partis militaient pour laisser d'importantes prérogatives au chef de l'État. Faute de compromis, le projet de Constitution ne fut adopté que le 26 janvier 2014. Seuls les articles 1 et 39 portent sur la langue:

Article 1er

La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'islam est sa religion, l'arabe sa langue et la république son régime.

Il n'est pas permis d'amender cet article.

Article 39

L'enseignement est impératif, jusqu'à l'âge de seize ans.

L’État garantit le droit à un enseignement public et gratuit dans tous ses cycles et veille à fournir les moyens nécessaires pour réaliser la qualité de l'enseignement, de l'éducation. L'État veille aussi à enraciner l'identité arabo-musulmane et l’appartenance nationale dans les jeunes générations et à ancrer, à soutenir et à généraliser l’utilisation de la langue arabe, ainsi que l’ouverture sur les langues étrangères et les civilisations humaines et à diffuser la culture des droits de l’Homme.

Encore une fois, l'arabe n'est pas déclaré formellement «langue officielle», mais il l'est dans les faits (de facto), comme auparavant. L'article 39 parle ouvertement de l'identité arabo-musulmane et de la généralisation de la langue arabe dans l'enseignement, ainsi que de l'ouverture sur les langues étrangères. Ainsi,  le texte de la nouvelle Constitution ignore totalement le peuple berbère (amazigh) de Tunisie.

Quant à la législation concernant la langue arabe, elle demeure relativement limitée: une dizaine de textes juridiques. C'est sûrement là l'un des indices permettant de croire que la Tunisie ne connaissait pas de graves problèmes linguistiques.

La politique d'arabisation a commencé en 1958. Au début, elle touchait exclusivement le domaine de l'enseignement. Elle a progressé davantage en 1968, mais il a fallu attendre la décennie 1970-1980 pour voir l'arabisation toucher les domaines de l'Administration en général. 

4.1 La langue de la législation

En vertu de la loi no 93-64 du 5 juillet 1993 relative à la publication des textes au Journal officiel de la République tunisienne et à leur exécution, l'arabe classique est la seule langue utilisée lors des débats du Parlement, de la rédaction et de la promulgation des lois:

Article 1er

1) Les lois, les décrets-lois, les décrets et les arrêtés sont publiés au Journal officiel de la République tunisienne en langue arabe.

2) Ils sont publiés également en une autre langue, et ce, uniquement à titre d'information.

3) Les avis juridiques et judiciaires sont publiés au Journal officiel de la République tunisienne, conformément à la législation en vigueur. 

Le Journal officiel de la République tunisienne, lequel retranscrit les débats parlementaires, est bilingue (arabe-français), mais la version française n'a aucune valeur juridique. Il arrive parfois que certaines lois soient traduites en français, mais là encore, le texte français n'est jamais considéré comme officiel. Précisons que les débats se déroulent autant en arabe tunisien qu'en arabe standard, et il en est ainsi dans les réunions du Conseil des ministres.

4.2 La langue de l'Administration

Le domaine de l'administration est massivement bilingue (arabe-français). L'article 5 du décret no 94-1692 du 8 août 1994 relatif aux imprimés administratifs précise que la langue arabe est utilisées dans les modèles des imprimés administratifs, mais qu'il est admis d'ajouter sa traduction dans une ou plusieurs langues étrangères:

Article 5

La langue arabe est adoptée dans l'élaboration des modèles des imprimés administratifs. Il est admis, le cas échéant, d'ajouter sa traduction dans une ou plusieurs langues étrangères.

En réalité, les formulaires sont imprimés en arabe et en français; les services à la population sont toujours assurés tant en arabe tunisien qu'en arabe classique et en français. En fait, seuls les ministères de la Justice et de la Défense sont entièrement arabisés. De façon générale, il n'y a pas de loi concernant la langue de la communication institutionnelle des ministères, mais des directives internes pour le ministère des Affaires étrangères. Généralement, ce sont de simples règlements qui précisent les modalités d'usage de cette langue dans l'administration et l'enseignement. En fait, depuis l'acquisition de moyens informatiques en langue arabe (traitement de texte, logiciels, etc.), l'arabisation dans l'Administration gouvernementale est devenue plus effective. Un universitaire tunisien apporte le témoignage suivant:

Les efforts entrepris depuis l'indépendance pour introduire l'arabe dans certains secteurs de l'administration jusque là entièrement francisés sont restés à peu près sans effet. Tel est le cas, par exemple, de l'administration des Postes et Télécommunications: les divers imprimés mis à la disposition du public, dans les guichets, sont libellés dans les deux langues. Mais une infime proportion (1 à 2 %) des utilisateurs s'intéresse à la version arabe de ces imprimés. Quant au personnel, il ne lui viendrait jamais à l'idée d'utiliser cette version [...].

Les ministères qui utilisent l'arabe en priorité sont les suivants: l'Éducation, l'Intérieur et les Forces armées. Tout ce qui relève des domaines techniques, scientifiques ou économiques se fait encore en français. Par ailleurs, conformément à la législation en vigueur, le domaine de la justice est entièrement arabisé.

En dépit des règles concernant l'arabisation, l'article 18 du Décret no 2007-1938 relatif aux concours d'entrée aux cycles de formation à l'école nationale d'administration les épreuves écrites peuvent être rédigées dans deux langues, soit l'arabe soit le français, au choix du candidat

Article 18

Sauf dispositions réglementaires contraires, les épreuves écrites du concours sont rédigées dans deux langues différentes soit en arabe soit en français, selon le choix du candidat.

L'épreuve orale d'admission définitive comprend un exposé de dix (10) minutes suivi d'une discussion avec les membres de jury de vingt (20) minutes après une préparation de trente (30) minutes.

Le sujet de l'épreuve orale est tiré au sort.

L'exposé et la discussion se déroulent dans deux langues différentes soit en arabe soit en français, au choix du candidat.

Selon l'article 9 de l'Arrêté du ministre des Affaires étrangères du 10 septembre 2001, fixant les modalités d'organisation du concours interne sur épreuves pour la promotion au grade d'inspecteur financier des Affaires étrangères, les épreuves d'admission se font en deux langues, en arabe classique et en français:
 

Article 9

L'une des trois premières épreuves écrites doit être rédigée en langue arabe, les deux épreuves restantes peuvent être rédigées en langue arabe ou en langue française selon le choix du candidat.

L'exposé oral a lieu indifféremment en langue arabe ou en langue française selon le choix du candidat.

Le jury du concours constate dans le procès-verbal de ses délibérations l'annulation de l'ensemble des épreuves de tout candidat qui ne respecte pas ces dispositions.

En vertu de l'article 23 du Code de la nationalité tunisienne (2010), il faut une «connaissance suffisante» de la langue arabe pour obtenir la citoyenneté tunisienne:

Article 23

Nul ne peut être naturalisé :

1. s'il n'est majeur;

2. s'il ne justifie d'une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue arabe;

Cependant, il y a eu, lors du régime arbitraire de Ben Ali, de nombreux cas où la citoyenneté a été accordée sans cette connaissance de l'arabe, surtout si un étranger avait rendu des «services exceptionnels à la Tunisie» ou «celui dont la naturalisation présente pour la Tunisie un intérêt exceptionnel». Dans ce cas, la naturalisation était accordée sur rapport motivé du secrétaire d'État à la Justice.

4.3 La langue de la justice

En matière de justice, l'arabe tunisien et l'arabe classique sont les seules langues autorisées. Dans un procès normal, toute la procédure se déroule en arabe tunisien, sauf s'il faut citer des documents rédigés en arabe standard ou en français. Lorsque le juge rend sa sentence, il n'emploie que l'arabe standard, non l'arabe tunisien. Le français est considéré comme une langue étrangère et il est traité comme tel; il faut recourir à un interprète lorsque l'accusé est d'origine française, et ce, même si toutes les parties connaissent la langue. Les articles 66 et 332 du Code de procédure pénale sont clairs à ce sujet:

Article 66

Dans le cas où
l'inculpé ou les témoins ne parlent pas la langue arabe, un interprète est désigné d'office par le juge d'instruction.

Si le témoin ou l'inculpé est sourd ou muet, les questions et réponses sont faites par écrit.

S'il ne sait pas écrire, il lui est donné un interprète capable de converser avec lui, ou ayant l'habitude de le faire.

L'interprète, s'il n'est pas assermenté, prête serment de traduire fidèlement les dépositions. Le procès-verbal mentionne les nom, prénom, âge, profession et domicile de cet interprète qui signe comme témoin.

Article 332

En cas de poursuites répressives exercées à l'étranger, lorsqu'un gouvernement étranger juge nécessaire la notification d'un acte de procédure ou d'un jugement à un individu résidant sur le territoire tunisien, la pièce est transmise suivant les formes prévues aux l'articles 316 et 317, accompagnée, le cas échéant, d'une traduction en langue arabe. La signification est faite à la requête du ministère public. Le document constatant la notification est renvoyé par la même voie au gouvernement requérant.

Lorsqu'un jugement à l'égard d'un ressortissant tunisien est rendu dans un autre État, il faut une entente entre la Tunisie et l'autre État pour que le jugement soit exécutoire: c'est la procédure d'exequatur, du latin  exequi, signifiant «qu'il exécute». Or, selon l'article 17 du Code de droit international privé (1998), il faut une traduction en arabe du jugement pour que la procédure soit reconnue et exécutoire:

Article 17

La requête d’exequatur ou de non-reconnaissance ou de déclaration d’inopposabilité est présentée accompagnée d’une expédition authentique du jugement ou de la décision, traduite en langue arabe.

Les jugements statuant sur une demande d’exequatur, ou de non reconnaissance ou de déclaration d’inopposabilité sont régis par la loi tunisienne en ce qui concerne les voies de recours.

Bref, la langue de la justice est l'arabe officiel, même si tous la procédure peut se dérouler entièrement en arabe tunisien.

4.4 Les langues de l'éducation

Le domaine de l'enseignement est totalement arabisé à la maternelle ainsi qu'aux trois premières années du primaire (premier cycle). Par la suite, c'est-à-dire au second cycle du primaire et au secondaire, l'enseignement se fait moitié en arabe, moitié en français. Voici ce qui est prescrit dans la loi no 91-65 du 29 juillet 1991 relative au système d'éducation:

Article 1er

Le système éducatif a pour objectif de réaliser, dans le cadre de l'identité nationale tunisienne et de l'appartenance à la civilisation arabo-musulmane, les finalités suivantes: [...]

4) donner aux élèves la maîtrise de la langue arabe, en tant que langue nationale, de façon qu'ils puissent en faire usage, dans l'apprentissage et la production, dans les divers champs de la connaissance: sciences humaines, sciences exactes et technologie;

5) faire en sorte que les élèves maîtrisent une langue étrangère et au moins de façon à leur permettre d'accéder directement aux productions de la pensées universelle, technique, théories scientifiques, et valeurs humaines, et les préparer à en suivre l'évolution et à y contribuer d'une manière propre à réaliser l'enrichissement de la culture nationale et son interaction avec la culture humaine universelle.

Article 9

Dans les deux degrés de l'enseignement de base, toutes les matières concernant les humanités, les sciences et les techniques sont enseignées en arabe.

Effectivement, l'enseignement de l'arabe occupe beaucoup d'heures dès le primaire.
 

Premier degré Nombre d'heures par semaine
Première année 11 h 30
Deuxième année 11 h 30
Troisième année 10 h
Quatrième année 10 h
Cinquième année 7 h
Sixième année 7 h

Second degré (enseignement de base)

Nombre d'heures par semaine

Septième année 5 h
Huitième année 5 h
Neuvième année 5 h
Cycle secondaire

Nombre d'heures par semaine
Filières scientifiques       Filières littéraires

Première année   4 h 30
Deuxième année               / 5e année   4 h 30
Troisième année              / 6e année                                3 h                                5 h
Quatrième année            / 7e année                                 --                                  4 h

Ce qui frappe dans le système tunisien, c'est la part consacrée à l’enseignement des langues : 58 % de l’horaire total, dont 30 % pour la langue arabe et 28 % pour la langue française. L'article 12 de la loi no 91-65 du 29 juillet 1991 relative au système d'éducation prescrit ce qui suit à propos de l'enseignement secondaire:

Article 12

1) Le premier cycle de l'enseignement secondaire vise à permettre aux jeunes d'acquérir une formation équilibrée qui cultive leur intérêt pour les langues, les humanités, les sciences, tant théoriques qu'expérimentales et pour la technologie; et qui observe une juste mesure entre les dimensions cognitives, pratiques et affectives; de même, cette formation permet de consolider et d'approfondir les connaissances acquises par l'élève, au cours de l'enseignement de base.

2) Le deuxième cycle de l'enseignement secondaire a pour finalité de préparer à la spécialisation, de développer les dextérités et de cultiver les aptitudes; de même, il vise à poursuivre la consolidation et l'approfondissement des connaissances acquises par les élèves au cours du premier cycle, et ce, en vue de développer leur capacité d'être à l'écoute de l'évolution des connaissances et de renforcer leur intérêt pour le savoir, l'autoformation et la création. 

Dans l'enseignement supérieur, l'arabisation progresse encore lentement. Celle-ci demeure partielle dans les sciences sociales et les sciences humaines, comme la philosophie, la sociologie, l'histoire, le droit, etc. Dans les matières scientifiques et techniques, l'enseignement reste essentiellement en français. Néanmoins, à chaque année, dans toutes les facultés, de nouveaux cours en arabe doivent remplacer ceux dispensés en français. La Loi no 2008-19 du 25 février 2008 relative à l’enseignement supérieur ne compte qu'un seul article plutôt évasif sur la langue arabe et la maîtrise des langues étrangères:

Article 2

L’enseignement supérieur et la recherche scientifique ont pour mission fondamentale de :

- consolider l’utilisation de la langue arabe et la maîtrise des langues étrangères en vue d’interagir avec le progrès universel et le développement des échanges intellectuels.

Dans l'enseignement des langues secondes, l'anglais est obligatoire. Cette langue est enseignée dès la huitième année de base, soit à l'âge de 15 ans, et ce, depuis 1996. Mais le nombre d'heures imparti à l'anglais devrait être multiplié par 2,5 d'ici peu. L'espagnol, l'italien et l'allemand sont des matières optionnelles enseignées à partir de la deuxième année du cycle secondaire.

Il existe aussi un grand nombre d'écoles privées où l'enseignement est dispensé en français. La loi no 91/65 de Juillet 1991 relative au système éducatif a réservé un chapitre entier à l’enseignement privé en délimitant le cadre juridique nécessaire pour la mise en place, la gestion et le fonctionnement des établissements scolaires privés. Bien que payant, cet enseignement gagne du terrain pour deux raisons : l’efficacité des apprentissages et les taux de réussites enregistrés par ces établissements. Bien que mal vue des enseignants, ces écoles sont au contraire bien perçues par les employeurs qui estiment que cet enseignement est plus efficace. Compte tenu de la dégradation du système public (baisse du niveau de l'enseignement, favoritisme dans l'attribution des diplômes, bas salaires aux enseignants, etc.), l'enseignement privé est en plein essor. En 2009, la Tunisie comptait 376 établissements privés dispensant un enseignement à quelque 70 000 élèves. Seulement pour l'année scolaire 2007-2008, vingt-cinq établissements privés ont été créés, surtout à Tunis. En principe, les dirigeants des écoles primaires privées appliquent scrupuleusement les programmes officiels, mais, contrairement au secteur public, ils dispensent aux élèves des cours de français et d’anglais à partir de la première année. Les enfants sont également initiés à l’informatique, à la danse et à un ensemble d’activités sportives et culturelles contribuant à leur épanouissement.

En théorie, tous les enfants tunisiens doivent être trilingues (arabe, français et anglais) à la fin de leurs études secondaires. En pratique, c'est différent. Il suffit d'interroger des passants au hasard pour constater que trois Tunisois (habitants de Tunis») sur quatre sont incapables de soutenir une brève conversation en français; en anglais, c'est pire. Pour parler français, il faut être dans une situation qui favorise l'usage régulier de cette langue. Il faut détenir un poste dans l'administration, dans le domaine du tourisme ou le commerce, sinon il n'y a personne à qui parler dans cette langue. La langue normale et généralisée, c'est l'arabe tunisien.

Il va sans dire que, dans ces conditions, l'enseignement du berbère est inexistant. En effet, la population autochtone de la Tunisie ne reçoit son enseignement qu'en arabe classique et en français, et partiellement en anglais. Dans les faits, seuls les jeunes berbérophones qui poursuivent leurs études au-delà du secondaire peuvent atteindre cette performance, sans être nécessairement trilingue, si ce n'est avec le berbère, l'arabe tunisien et l'arabe classique. Dans un grand nombre de cas, c'est le lot des berbérophones qui, au plan linguistique, ne bénéficient d'aucun droit particulier de recevoir leur instruction dans leur langue maternelle. 

4.5 Les langues de l'affichage

La législation nationale n'a pas légiféré sur la langue de l'affichage, mais un arrêté de la municipalité de Tunis (6 août 1957) a déjà obligé les propriétaires d'établissements publics d'arabiser leurs enseignes avant le 1er avril 1958. Voici la formulation de cet arrêté:

Article 1er

Toutes les enseignes commerciales, industrielles ou autres qui donnent sur la voie publique doivent être rédigées en langue arabe. Elles peuvent cependant être bilingues.

Article 2

Le volume des lettres arabes de ces enseignes doit être au moins égal à celui des lettres de la langue étrangère.

Article 3

Le spécimen rédigé en arabe doit être approuvé par un calligraphe agréé par l'administration municipale.

Article 4

Un accord municipal doit obligatoirement précéder la réalisation de toutes les enseignes conformément à la réglementation de l'organisation des rues de la ville en vigueur.

Il semble que cette prescription ait été respectée à l'époque dans une proportion de 90 %. Toutefois, il s'agissait d'une politique adoptée par la seule ville de Tunis, car en aucun moment l'arabisation de l'affichage n'a fait l'objet d'un objectif prioritaire de la part du gouvernement tunisien.

Aujourd'hui, la Tunisie se caractérise par un affichage bilingue généralisé, à l'exception du ministère de l'Intérieur et du ministère de la Justice, entièrement arabisés. Le bilinguisme français-arabe se révèle une pratique courante à peu près partout dans le pays, que ce soient les édifices gouvernementaux (avec priorité à l'arabe), la signalisation routière, la toponymie et les noms de rues, etc. Cependant, les enseignes commerciales sont plus souvent en français que bilingues (en français et en arabe), se limitant à des noms propres, des banques ou des restaurants. Dans l'ensemble, la Tunisie présente un visage résolument bilingue; cette attitude démontre que les dirigeants ne poursuivent pas une arabisation totale et qu'ils ont choisi la voie du pluralisme linguistique. Ce choix ne peut mettre en danger la langue arabe, puisque le français demeure une langue essentiellement instrumentale en Tunisie. L'usage de l'anglais est extrêmement limité est il se limite à l'occasion à des établissements à haute teneur touristique. 

4.6 La langue des médias

Les médias tunisiens sont diversifiés et existent dans plusieurs langues. La presse est en principe «libre» en Tunisie et n'admet comme cadre contraignant que les dispositions prévues dans la Constitution, qui proscrivent toute forme de fanatisme, de racisme et de discrimination (article 8), et de la loi qui interdit les appels à la haine, et toutes les formes d'incitation à commettre des actes terroristes. L'incitation à commettre des crimes ou des actes de fanatisme religieux ou ethnique est considérée par la loi comme étant elle-même un acte de terrorisme (lois de 1993 et 2003). Le droit à la liberté d’opinion et d’expression est consacré, sans discrimination aucune, dans les article 31 et 127 de la Constitution qui dispose que «les libertés d’opinion, d’expression, d'information et de publication sont garanties» :

Article 31

1) Les libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication sont garanties.

2) Ces libertés ne sauraient être soumises à un contrôle préalable.

Article 127

1) L'instance de la communication audiovisuelle est chargée de la régulation et du développement du secteur de la communication audiovisuelle. Elle veille à garantir la liberté d’expression et d’information, le droit d’accès à l’information et l’instauration d’un paysage médiatique pluraliste et intègre.

2) L'instance jouit d'un pouvoir réglementaire dans son domaine compétence et est obligatoirement consultée pour les projets de lois relatifs à son domaine de compétence.

3) L’instance se compose de neuf membres indépendants, neutres, compétents, expérimentés et intègres qui effectuent leur mission pour un mandat unique de six ans avec renouvellement du tiers de ses membres tous les deux ans.

En réalité, la presse a toujours été libre dans la mesure où elle ne critiquait pas le régime, sinon elle était muselée, ce qui a fait dire à L'Express français: «Plutôt Ben Ali que Ben Laden». En juillet 2001, le président Ben Ali a déclaré, au cours d'une réunion du parti au pouvoir, le RCD (le Rassemblement constitutionnel démocratique), que les opinions divergentes étaient «les bienvenues», mais que ceux qui critiquaient le pays dans les médias étrangers étaient des «traîtres» qui seraient confrontés à la rigueur des lois nationales. L'ex-président déclarait aussi: «Je vous le dis encore une fois de la façon la plus claire : écrivez sur n’importe lequel des sujets que vous préférez... Il n’y a pas de tabous, excepté ceux interdits par la loi et la déontologie de la presse.» Selon les autorités, il faut défendre l’honneur des personnalités publiques face à des informations biaisées et sensationnalistes dans un milieu médiatiquement sous-développé, et empêcher les médias de dépasser les limites des bonnes mœurs.

La presse écrite paraît massivement en arabe classique, mais également en français, parfois en anglais, en espagnol ou en italien. Ainsi, parmi les quotidiens tunisiens, mentionnons Al Chourouk (arabe), Assabah (arabe), Essahafa (arabe), Essarih (arabe), L'Expert (arabe-français), L'Action tunisienne (arabe-français), La Presse de Tunisie (français), Le Quotidien (français), Le Temps (français). Il existe aussi de nombreux hebdomadaires en arabe (Akhbar Achabab, Akhbar Al Joumhouria, Al Adhouaa, Al Akhbar, Al Ahd, Al Anwar, Al Bayane, Al Fallah, Al Mawkif, Al Ousboui, Al Ousbou Moussawar, Al Wahda, Sabah Al Khair, Tunis Al Khadhra), mais un seul est en français (Tunis Hebdo); un autre en anglais, un en allemand, un en espagnol et un en italien. Les partis de l'opposition peuvent publier leurs propres journaux, mais leur tirage est assez limité. De nombreuses organisations et associations professionnelles ont également leurs propres publications. Les autorités tunisiennes peuvent intervenir dans les services postaux pour saisir des journaux qui publient des articles qu’elles jugent biaisés.

L’État tunisien a le monopole de toutes les chaînes de radio et de télévision, hormis les stations étrangères diffusées par satellite. Les programmes des radios et télévisions sont retransmis généralement en arabe classique et en arabe tunisien; les stations de radio locales emploient massivement l'arabe tunisien; des journaux télévisés quotidiens sont diffusés en français et en anglais. La chaîne internationale de la radio tunisienne (RTCI) diffuse en français, en anglais, en allemand, en italien et en espagnol. La majorité des foyers tunisiens sont équipés d'antennes paraboliques et captent directement les programmes des télévisions satellitaires étrangères. Deux sociétés de télévision étrangères fournissent un accès par abonnement aux programmes étrangers, notamment en français et en anglais. Étant donné que les chaînes de télévision tunisiennes sont régies par des lois rigides découlant des années soixante-dix, les Tunisiens se réfugient dans les chaînes arabes et européennes disponibles par satellite; seuls 50 % des Tunisiens regardent régulièrement les chaînes nationales du pays.

La Tunisie s'est aussi assuré une certaine célébrité en raison de son contrôle de l'Internet. L'État tunisien dispose même d'une «cyber-police» de quelque 600 personnes installées dans la banlieue de Tunis. En 2005, l'organisme Reporters sans frontières écrivait à ce sujet:

Le président Ben Ali, dont la famille dispose d'un monopole sur l'exploitation du réseau, a mis en place un système très efficace de censure d'Internet. Toutes les publications de l'opposition tunisienne sont bloquées, de même que de nombreux sites d'information — comme le quotidien français Libération. Les autorités cherchent par ailleurs à dissuader les internautes d'utiliser des webmails, plus difficiles à surveiller que les comptes mails classiques (par Outlook, etc.). Accéder à Yahoo mail à partir d'un cybercafé tunisien peut prendre vingt minutes et, souvent, se terminer par un message du type "Délai de connexion dépassé" ou "Page non trouvée". [Cité par Nicolas BEAU et Catherine GRACIET, p. 62].

On comprendra pourquoi Washington se méfie des dirigeants tunisiens. En juillet 2009, John Kerry, président de la Commission des affaires étrangères du Sénat américain et ex-candidat à la présidentielle, déclarait: «La situation est alarmante et l'on me rapporte que la liberté des médias est l'une des plus mauvaises dans le monde arabe.»

Toutes les sociétés étrangères sont dans l'obligation de procéder à la publication de leurs actes constitutifs, que leur raison sociale soit en arabe ou en d'autres langues (surtout en français). Cependant, elles doivent, selon le Code des sociétés commerciales (2000), en faire la publicité par une insertion au Journal officiel de la République tunisienne et dans deux journaux quotidiens «dont l'un étant publié en langue arabe». 

5 Le déni des droits des Berbères

En Tunisie, l'État n'accorde aucun droit linguistique aux Berbères. Selon les autorités tunisiennes, les Berbères ne feraient aucune revendication et seraient bien intégrés à la société tunisienne: «On peut indiquer que les Berbères de Tunisie sont particulièrement bien intégrés dans la société tunisienne et qu’ils n’ont pas de revendications. En outre, il n’y a pas de tribus nomades en Tunisie.» Ce texte est cité dans un rapport du CERD, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale. Évidemment, tel n'est pas le cas, car au contraire les Berbères subissent d'énormes discriminations. Non seulement les berbérophones ne bénéficient pas d'un enseignement dans leur langue maternelle, mais ils ne disposent pas non plus de services dans les médias et ils ne peuvent donner des prénoms berbères à leurs enfants ni défendre leurs intérêts. Les Berbères n'ont même pas le droit de créer des associations à caractère social ou culturel. Le seul fait qu'il n'existe aucune association pour la promotion, le développement et la protection des langue et culture berbères démontre éloquemment que ce genre d'association est interdit.

Or, l’article 35 de la Constitution de 2014 garantit à tous les citoyens tunisiens, sans distinction aucune, le droit à la liberté d’association et de former des partis politiques. De même la loi no 59-154 du 7 novembre 1959 relative aux associations (modifié et complétée par les lois organiques no 88-90 du 2 août 1988 et no 92-25 du 2 avril 1992) consacre ce principe constitutionnel. C'est qu'il faut respecter certaines conditions d’adhésion pour fonder une association à caractère public et d’intérêt général.

5.1 La Convention internationale pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Pourtant, la Tunisie a ratifié la Convention internationale pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965), mais elle n'en respecte aucunement les principes, notamment ceux concernant la non-discrimination pour des raisons liées à la race, à la couleur, à l'ascendance ou à l'origine nationale ou ethnique. Citons cet article 7 de la Convention acceptée par la Tunisie:

Article 7

Les États parties s'engagent à prendre des mesures immédiates et efficaces, notamment dans les domaines de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et de l'information, pour lutter contre les préjugés conduisant à la discrimination raciale et favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre nations et groupes raciaux ou ethniques, ainsi que pour promouvoir les buts et les principes de la Charte des Nations unies, de la Déclaration universelle des droits de l'homme, de la Déclaration des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et de la présente Convention.

La position officielle des autorités tunisiennes concernant la question berbère, c'est tout simplement que celle-ci n'existe pas, donc qu'il n'est pas nécessaire d'accorder des droits quelconques. En 2002, la Tunisie a publié son «rapport périodique consolidé» (CERD/C/431/Add.4) de 17 pages sur l'application de la Convention relative à la discrimination raciale. On y trouve des données sur la population tunisienne, le taux de fertilité connaît une régression continue depuis les années soixante, grâce à l’amélioration des conditions de vie, l’élévation du niveau de l’enseignement, le rôle accru de la femme dans la société, l’amélioration de la couverture médicale et sociale des habitants, etc., mais absolument rien sur les Berbères. Ce faisant, le gouvernement réduit les Tunisiens à la seule ethnie arabe et ignore la présence du peuple le plus ancien sur ce territoire, un peuple dont la civilisation, la culture et la langue, toujours vivantes, ont traversé des millénaires. La Tunisie veut bien reconnaître que les Berbères (appelés «Amazighs») constituent le premier peuple de ce pays, mais il n'en resterait pratiquement aucune trace aujourd'hui. Ce chiffre non officiel de 500 000 à un million est évidemment contesté par les autorités qui n'en admettent que quelques dizaines de milliers.

5.2 Un patrimoine historique comme les autres

Les seuls vestiges de cette prétendue «civilisation disparue» sont aujourd'hui conservés dans les musées ou s'affichent dans l'artisanat traditionnel et le folklore, exploités à des fins strictement touristiques. Pour le gouvernement tunisien, la berbérité ou l’amazighité n'existe plus comme réalité, mais elle subsiste en tant que patrimoine dans l’histoire et les musées. Le Code tunisien du patrimoine archéologique, historique et des arts traditionnels (promulgué par la loi no 94-35 du 24 février 1994) définit à l'article 1er le patrimoine de la façon suivante:

Article 1er

1) Est considéré patrimoine archéologique, historique ou traditionnel tout vestige légué par les civilisations ou les générations antérieures, découvert ou recherché, en terre ou en mer qu’il soit meuble, immeuble, document ou manuscrit ou autre en rapport avec les arts, les Sciences, les croyances, les traditions, la vie quotidienne, les événements publics ou autres datant des époques préhistoriques ou historiques et dont la valeur nationale ou universelle est prouvée.

2) Le patrimoine archéologique, historique ou traditionnel fait partie du domaine public de l’État à l’exception de celui dont la propriété privée a été légalement établie.

Pour l'Institut national du patrimoine (Tunisie), le patrimoine historique couvre toutes les époques et toutes les civilisations qui se sont succédé au pays : phénicienne et carthaginoise, berbère, punique, romaine, chrétienne, byzantine et arabo-musulmane. La civilisation berbère fait partie de l'ensemble. Le déni de l'existence berbère comme réalité vivante est inacceptable pour certains représentants berbères : il s'agit là d'un «véritable génocide culturel».

5.3 La discrimination envers les Berbères

Il n'existe officiellement pas de discrimination en Tunisie. Dans le rapport de 2002 remis par le gouvernement, on y lit notamment ce qui suit (page 4) sur la prétendue non-discrimination en Tunisie:

10. Aucun organisme ou institution public ou privé ne se livre en Tunisie à des actes de discrimination ou de ségrégation raciale contre des personnes ou des groupes de personnes, quels qu’en soient la couleur, le sexe, la religion ou la nationalité.

11. Il n’existe pas en Tunisie de groupe racial en retard, dont la situation nécessiterait l’adoption de mesures provisoires en vue de lui garantir l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines économique, social, culturel, politique ou autre.

12. L’État n’encourage pas, ne défend pas et n’appuie pas les activités de nature discriminatoire; il les désapprouve dans la mesure où elles sont absolument incompatibles avec la Constitution, en particulier l’article 6. Le dispositif législatif et réglementaire tunisien respecte cette exigence d’ordre constitutionnel.

Le point 11 est révélateur: «Il n’existe pas en Tunisie de groupe racial en retard, dont la situation nécessiterait l’adoption de mesures provisoires en vue de lui garantir l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines économique, social, culturel, politique ou autre.» Or, les Berbères tunisiens constituent la classe la plus pauvre de la société, la moins instruite, celle dont l'espérance de vie est la plus basse. En mars 2003, le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale émettait cette recommandation à la Tunisie au sujet de la prétendue non-discrimination affirmée par la Tunisie:

9. Le Comité n'accepte d'aucun État partie l'affirmation selon laquelle la discrimination raciale n'existe pas sur son territoire et recommande à la Tunisie d'éviter de telles généralisations dans ses rapports futurs. Notant que les nouvelles lois pénales réprimant la discrimination raciale et l'incitation à la haine raciale sont un prolongement de la loi qui incrimine le terrorisme, le Comité est préoccupé par l'association de la discrimination raciale et du terrorisme. Le Comité reste également préoccupé par le fait que la législation de l'État partie ne semble pas correspondre entièrement aux prescriptions de l'article 4 de la Convention. Il recommande à l'État partie de revoir sa législation intérieure à la lumière de la Recommandation générale no XV de 1993 concernant l'application de l'article 4 de la Convention, et d'adopter une législation distincte sur le délit de discrimination raciale et la propagation de la haine raciale.

Le même Comité des Nations unies soulève aussi la question de la population berbère:

8. Le Comité note que l'État partie n'a pas fourni de renseignements sur la population berbère (ou amazigh) ni sur les mesures prises aux fins de la protection et de la promotion de la culture et de la langue berbères. Étant donné l'absence de toute mention de ce groupe dans le rapport, il souhaite recevoir des informations concrètes à ce sujet et recommande que davantage d'attention soit donnée à la situation des Berbères en tant que composante spécifique de la population tunisienne.

Le Comité demande que ces renseignements mentionnent des indicateurs sur les différences ethniques et les langues maternelles utilisées en Tunisie.

5.4 L'identité tunisienne

Dans ce pays, la seule identité admise, c'est l'identité tunisienne fondée sur l'islamité et l'arabité. Les Berbères sont des musulmans, mais ce ne sont pas des arabophones puisqu'ils sont berbérophones: s'ils ont jadis été islamisés, ils ne sont jamais arabisés. Évidemment, la plupart des Berbères connaissent aujourd'hui l'arabe comme langue seconde, ce qui autorise le gouvernement à nier l'existence effective du peuple berbère. De toute évidence, aucun lieu public ne porte le nom d’un quelconque Berbère qui aurait été célèbre. Le gouvernement écrit aussi dans son rapport (p. 3):

Le phénomène de discrimination raciale n’a jamais existé en Tunisie. Notre pays a connu le brassage de divers peuples et de diverses civilisations. Les valeurs de tolérance et de respect de l’autre sont profondément ancrées dans la civilisation arabo-musulmane à laquelle appartient la Tunisie et qu’elle enrichit par des contributions éclairées et à l’avant-garde de la civilisation humaine.

Il peut paraître curieux que la Tunisie, résultat d'un «brassage de divers peuples et de diverses civilisations» devienne par la suite exclusivement «arabo-musulmane»? Voici la réponse donnée par le gouvernement au Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale, le 17 février 2009, à Genève:

Les civilisations qui se sont succédé en Tunisie ont créé les conditions d’un brassage culturel des plus enrichissants. Cette diversité n’a jamais donné lieu à une quelconque adversité. En Tunisie, les Berbères constituent une frange extrêmement réduite de l’ensemble de la population, ne dépassant guère 1 %. Ils s’intègrent parfaitement et ne souffrent d’aucune forme de discrimination. C’est pourquoi l'amazigh est exclusivement oral et ne donne pas lieu à un enseignement systématique et structuré.

En Tunisie, toute affirmation ou revendication d'une autre identité que la tunisienne «arabo-musulmane», notamment de l'identité berbère, peut être qualifiée par les autorités comme un «acte de trahison». Pourtant, lors des cinq dernières élections présidentielles, tous les Berbères ont voté pour le candidat Ben Ali, qui est pro-arabe et anti-berbère. Comment expliquer qu'une population entière puisse voter pour son bourreau? Mystère!

C'est que le système de surveillance policière et les violences institutionnelles (menaces, intimidations, harcèlements, etc.) exercées «à titre préventif» constituent des moyens de dissuasion efficaces envers les Berbères. En conséquence, ceux-ci n'osent plus affirmer leur berbérité, ni même parler leur langue maternelle en public. Dans les régions touristiques, les Berbères, surtout les femmes, utilisent leurs vêtements traditionnels colorés parce que le gouvernement considèrent qu'un tel accoutrement attire les touristes. C'est comme si seuls les vêtements étaient réellement berbères, pas les être humains. Officiellement, ce sont des Arabes déguisés en Berbères! Sinon, les prétendus Berbères doivent se fondre incognito dans la société tunisienne. Pire, les autorités font croire aux Berbères que leurs ancêtres étaient arabes et que la langue berbère est issue de l'arabe. C'est ce qu'on peut appeler du révisionnisme. De l'histoire réinventée! 

5.5 Le déni non officiel mais réel

Comme si ce n'était pas suffisant, le gouvernement tunisien fait croire aux Berbères qu'ils ne parlent pas une «langue», mais seulement un «dialecte» qui ne s'écrit pas, ce qui est évidemment erroné. Non seulement le berbère est-il une langue (comme l'arabe), mais il est enseigné en Algérie et au Maroc (sur une base expérimentale, il est vrai). Il s'écrit avec l'alphabet latin en Algérie, avec l'alphabet tifinagh ou avec l'alphabet arabe au Maroc. En Tunisie, le berbère écrit n'existe pas, son enseignement demeurant interdit. Il n'existe aucun texte interdisant formellement la langue et la langue et la culture berbères, mais les faits démontrent qu'il en est ainsi en l'absence d'associations, d'enseignement et de médias.

Heureusement que la Tunisie, signataire de la Convention internationale pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, s'est engagée «à ne se livrer à aucun acte ou pratique de discrimination raciale contre des personnes, groupes de personnes ou institutions et à faire en sorte que toutes les autorités publiques et institutions publiques, nationales et locales, se conforment à cette obligation». Ce genre de contradiction ne semble pas préoccuper les autorités tunisiennes qui se conforment simplement à un pluralisme de façade. Il n'en demeure pas moins que la marginalisation économique des régions berbérophones incitent ses habitants à émigrer dans les régions arabophones où ils subissent une assimilation linguistique et culturelle. C'est exactement ce que désire le gouvernement tunisien.

De tous les pays du Maghreb, la Tunisie semble représenter le stade le plus avancé de ce qui pourrait être le sort futur des langues dans cette région du monde. Contrairement à l'Algérie et au Maroc, ce pays ne compte presque plus d'éléments berbères traditionnellement réfractaires à l'arabisation parce que, depuis l'indépendance, la population concernée a été soumise et presque entièrement assimilée par les politiques gouvernementales. Il est donc devenu plus facile de réaliser l'homogénéisation linguistique du territoire. L’État tunisien est aujourd'hui le grand responsable de l’éventuelle disparition de la langue et de la culture berbères. En effet, parce que les communautés berbérophones occupent des régions économiquement très pauvres, elles sont dans l'obligation d'émigrer dans des régions arabophones où elles subissent une assimilation linguistique et culturelle. Rappelons que la langue berbère n’est pas enseignée et qu'elle n’est pas autorisée dans les médias. Ce faisant, l'État tunisien se prive ainsi d’une composante essentielle de son histoire, de son identité et de sa culture. La culture berbère ne peut se résumer à des costumes folkloriques, à des danses et à des ghorfas (photo).

C'est pourquoi l’État tunisien devrait déployer tous les moyens pour reconnaître et protéger sa petite minorité berbérophone qui ne représente certainement pas un réel danger pour la sécurité nationale. Il faudrait cesser de considérer que l’expression de la berbérité porte atteinte aux intérêts et à la sécurité de l’État. La Tunisie pratique une politique d'assimilation linguistique qui n'a plus sa raison d'être. De nombreux observateurs étrangers parlent même de «génocide» perpétré contre les Berbères.

Toutefois, l'originalité de la solution tunisienne, surtout par rapport à l'Algérie, résidait dans son parti pris pour un certain pluralisme culturel sans dépendance excessive à l'égard des cultures, fût-elle arabe. Depuis quelques années, la Tunisie poursuivait une politique d'arabisation moins prononcée, tout en s'acheminant vers l'adoption généralisée de l'arabe dialectal tunisien, qui ne craint pas de puiser à la fois dans l'arabe classique et dans le français. Depuis quelques années, la Tunisie semblait avoir choisi la voie de l'efficacité et du pluralisme culturel, mais la tendance peut se modifier considérablement en raison de l'avènement du «printemps arabe» et de la montée du mouvement islamiste Ennahdha. Il est possible d'assister à de nouvelles vagues en faveur de l’arabisation de plusieurs secteurs de la vie publique, ce qui ferait reculer le français au profit de l’anglais, sans que l'arabe tunisien en sorte gagnant, encore moins le berbère.

Dernière mise à jour: 20 janv. 2024

Bibliographie

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