[Flag of Nicaragua]
République du Nicaragua

Nicaragua

República de Nicaragua

Capitale: Managua
Population: 5,6 millions (est. 2006)
Langue officielle: espagnol
Groupe majoritaire: espagnol (90  %)
Groupes minoritaires: miskito, créole anglais du Nicaragua, sumo, garifuna
Système politique: république unitaire avec deux régions autonomes
Articles constitutionnels (langue): art. 11, 27, 33, 34, 90, 91, 121, 128, 180 et 197 de la Constitution de janvier 1987
Lois linguistiques: Loi no 28 sur le Statut d'autonomie des régions de la côte atlantique du Nicaragua (1987); Loi sur la réforme partielle de la Constitution politique du Nicaragua (1995); Loi sur l'usage officiel des langues dans les communautés de la Côte atlantique du Nicaragua (1993); Règlement sur la loi no 28 du Statut d'autonomie des régions de la Côte atlantique du Nicaragua (2003).

1 Situation géographique

La république du Nicaragua (esp.: República de Nicaragua) est située en Amérique centrale et forme une étroite ceinture qui relie l'Amérique du Nord à l'Amérique du Sud; elle sépare la mer des Caraïbes de l'océan Pacifique.

Amérique centrale Cette situation limitée entre deux mers et deux continents a toujours représenté une valeur stratégique pour le développement du commerce, de l'économie et des relations géopolitiques de l'hémisphère. D'un point de vue géographique, le Nicaragua est limité au nord par le Honduras, au sud par le Costa Rica, à l'est par l'océan Atlantique, et à l'ouest par l'océan Pacifique.

La capitale et premier centre commercial du pays est Managua (960 000 hab.), León (110 000 hab.) est un important centre religieux et culturel et Granada (89 000 hab.), une ancienne capitale.

Le Nicaragua, dont la superficie est de 139 682 km², est la plus grande république de l'Amérique centrale, soit l’équivalent de la Bulgarie, de Cuba, de la Grèce ou encore de l'État de New York aux États-Unis. Quelque 7 % de la superficie du pays est occupée par les lacs de Managua (ou Xolotlan) et de Nicaragua (ou Cocibolca), ce dernier constituant l'une des plus grandes réserves d'eau douce au monde.

1.1 Les divisions administratives

Le Nicaragua est divisé en 16 départements (et deux régions autonomes), dont Boaco, Carazo, Chinandega, Chontales, Esteli, Granada, Jinotega, León, Madriz, Managua, Masaya, Matagalpa, Nueva Segovia, Rio San Juan, Rivas, etc. La ville de Managua, qui est la capitale et le premier centre commercial du pays, compte au moins un million d’habitants (27 % de la population totale), alors que León, un important centre religieux et culturel, compte plus de 100 000 habitants, la ville de Granada, près de 90 000.

Fait à signaler, la côte atlantique nicaraguayenne est composée de deux régions autonomes (''regiones autonomistas''): d’une part, la Región Autónoma del Atlantico Norte, soit la Région autonome de l'Atlantique nord (RAAN), d’autre part, la Región Autónoma del Atlantico Sur, soit la Région autonome de l'Atlantique sud (RAAS). La côte atlantique occupe 55 % du territoire national et est peuplée d'environ 460 000 habitants (10 % de la population). La Région autonome de l’Atlantique nord (192 716 hab. en 1995) a pour chef-lieu la ville de Puerto Cabezas, tandis que Bluefields sert de chef-lieu pour la zone sud (272 252 hab. en 1995).

Précisons que la côte est (Atlantique) et la côte ouest (Pacifique) sont séparées du nord (de la frontière du Honduras) au sud (à la frontière du Costa Rica) par deux grandes chaînes de montagnes: il s’agit de la cordillère d’Amérique centrale (cordillera Centroamericana) qui forme dans le nord un plateau bien accidenté (la cordillère d'Isabelia) et se poursuit vers le sud avec les cordillères de Segoviana et de Yolaina.

À l’ouest de la cordillère d’Amérique centrale, il ne reste qu’une étroite bande sur le littoral où réside 90 % de la population, avec ses grandes villes que sont Managua, León et Granada.

1.2 Question d’étymologie

Le mot Nicaragua est un mot amérindien d'origine nahuatl, qui désignait lors de la conquête espagnole l'étroit territoire séparant le lac Nicaragua de l'océan Pacifique. Ce mot proviendrait du nom du chef autochtone qui régnait sur ce territoire à l'arrivée des conquistadores: Nicarao. Par extension, le terme s'est graduellement appliqué à la population qui occupait cette région, c’est-à-dire les Nicaraguas (Nicaraguayens) ou Niquirinos. Ce serait un mot appartenant à la langue des Nahoa du Mexique, lesquels se sont étendus vers le sud, jusqu'à la frontière entre le Nicaragua et le Costa Rica. Au Nicaragua, dans la région communément appelée «côte atlantique» ou «côte caraïbe», vivaient les Amérindiens miskito, sumo et rama. 

2 Données démolinguistiques

La population du Nicaragua était estimée à 5,6 millions d'habitants en 2006. Environ 77 % des Nicaraguayens ou Nicas sont des Métis appelés Mestizos, 10 % sont des Blancs, le reste de la population étant constitué d'Amérindiens (4 %) et de Noirs (9 %).

2.1 Les groupes ethniques

La population des Mestizos provient du mixage des conquérants espagnols et de leurs descendants avec des groupes amérindiens majoritaires, mais aussi parfois avec une population minoritaire d'esclaves africains. Ainsi, au XVIIe siècle, on appelait Mestizo un enfant mâle s’il était né d’un Español et d’une India (Indienne); on disait Mestiza au féminin. Un enfant issu d’un Español et d’une Negra (Négresse) était appelé Mulato ou Mulata («mulâtre»). Les Mestizos du Nicaragua ne forment pas une communauté ethnique comme les Amérindiens (India), les Créoles (Criollos) et les Garufinas (voir les pages consacrées aux Garifunas), car ils bénéficient de l'appui politique et institutionnel de l’État, ainsi que des avantages de la langue et de la culture espagnoles. En général, le terme Mestizo(s) sert à désigner les 90 % de Nicaraguayens originaires de la côte du Pacifique par opposition aux 10 % de Costeños (les «côtiers») qui habitent la côte de l'Atlantique (ou Caraïbes), laquelle comprend les deux régions autonomes, d'une part, la Région autonome de l'Atlantique nord (RAAN), d’autre part, la Région autonome de l'Atlantique sud (RAAS).

Mais, contrairement à la côte du Pacifique, les Costeños de l'Atlantique forment une population très multiethnique et multilingue. En effet, 44 % des Costeños sont en réalité des Mestizos, 40 % des Indios (Indiens), 15 % des Criollos (Créoles) et 1 % des Garufinas (présents aussi au Honduras et au Guatemala). La législation nicaraguayenne utilise le terme de comunidad / comunidades (communauté / communautés) pour désigner les groupes ethniques de la côte atlantique, mais elle exclut les Mestizos.

Les Mestizos vivent en nombre plus ou moins égal dans la RAAN et la RAAS, mais ils sont relativement concentrés dans les capitales régionales de Puerto Cabezas (env. 35 000 habitants) au nord et de Bluefields (env. 65 000 habitants) au sud, mais certains résident dans de petits centres urbains (cabeceras). Ce sont des travailleurs, mais aussi des militaires, des fonctionnaires, des enseignants, des commerçants ou des des religieux.

Les Indios, c'est-à-dire les Amérindiens, sont composés de trois groupes: les Miskito (35 %) et les Sumo ou Mayangnas (4 %) au nord, les Rama (1 %) au sud.

Il existe aussi deux groupes de Noirs (Negros): les Criollos (Créoles) et les Garifuna présents aussi au Honduras et au Guatemala. Le terme espagnol de Criollo est utilisé au Nicaragua pour désigner les descendants métissés de la première génération des Britanniques (planteurs anglais) habitant la côte atlantique. Les Noirs provenaient d'Afrique, mais par la suite plusieurs furent des esclaves en fuite, des Jamaïcains libérés ou des travailleurs du dud des États-Unis.

Quant aux Garifunas, ils forment de petites communautés sur la Laguna de Perlas (Pearl Lagoon) dans la RAAS.

Il faut bien comprendre que le Nicaragua compte deux populations distinctes avec les Mestizos del Pacífico et les Costenos del Atlántico, autrement dit les Españoles et les Costenos. Selon le professeur Louis Gilbert, de l'Université Laval, on peut résumer ainsi la situation:

La Côte atlantique comprend la moitié orientale de toute la superficie du pays, vers la mer des Caraïbes et l'océan Atlantique. C'est une région différente du reste du pays à plusieurs points de vue : ethnique, culturel, politique, géographique, socio-économique. Une histoire parallèle a aussi rendu les deux côtes du pays antagonistes et imperméables l'une à l'autre et explique leurs difficultés de relations.

De plus, le chômage touche pratiquement 90 % des Indios et des Noirs, alors que la consommation alimentaire des communautés semble nettement en dessous des besoins nécessaires.

2.2 Les langues

Évidemment, tous les Blancs et les Mestizos («Métis») parlent l’espagnol comme langue maternelle, ce qui représente presque 90 % des Nicaraguayens. Les groupes ethniques parlent soit des langues amérindiennes (miskito, sumo et rama) soit le créole anglais du Nicaragua, appelé aussi le Nicaragua Creole English ou, selon le cas, le Mískito Coast Creole English, le Bluefields Creole English ou encore le Rama Cay Creole English, le Puerto Cabezas Creole English, le Corn Islands Creole English, etc. Évidemment, il s'agit d'un créole à base d’anglais.

Quant aux Amérindiens, les 154 000 Miskito parlent le miskito et ses variantes (tauira, baldam, wangki, kabo, etc.), qui font partie du groupe misumalpa ; dans le même groupe linguistique, les 6700 Sumo parlent le sumo (avec ses variantes dialectales: sumoo, woolwa, sumo, ulwa). Les Amérindiens appartenant au groupe misumalpa sont les seuls autochtones du Nicaragua à avoir conservé l'usage de leur langue ancestrale. Les Miskito, les Sumo et les Rama sont des populations d'origine amérindienne dont les ancêtres, désignés jadis sous d'autres noms, étaient déjà dans la région il y a 500 ans. On les retrouve aussi au Honduras voisin, à la frontière des deux États. Les membres de la communauté des Miskitos sont aujourd’hui très actifs politiquement et représentent des protagonistes importants dans la défense des droits autochtones en Amérique. Le créole est généralement la langue seconde des Miskitos de la côte atlantique.

Pour ce qui est des Rama, ils forment une ethnie d'environ 900 personnes, mais ils ne parlent pratiquement plus leur langue ancestrale, le rama; comme il ne resterait qu'une vingtaine de locuteurs, il s'agit donc d'une langue quasi éteinte de la famille chibcha; les Rama parlent aujourd'hui le creole English.

Pour ce qui est des Noirs, il resterait aujourd'hui moins de 2000 Garifunas à parler le garifuna (famille arawak), car le gouvernement nicaraguayen cite le chiffre de 1750. Ceux qu’on appelle les Criollos (les Créoles), ils parlent le créole anglais du Nicaragua. Les Criollos sont généralement bilingues et parlent l’espagnol comme langue seconde, mais considèrent l’anglais comme leur «langue culturelle».

Alors que les Mestizos sont généralement catholiques à 95 %, les membres des autres ethnies se rattachent en grande majorité à des Églises protestantes, dont principalement l'Église morave qui, de concert avec les administrateurs britanniques, a façonné les institutions de la côte atlantique.

3 Données historiques

L’histoire du Nicaragua est violente. En raison de sa situation stratégique entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, le Nicaragua a souvent été l’objet de luttes de préséances entre les puissances coloniales que furent les Espagnols et les Britanniques, puis plus tard les Américains. De plus, les Nicaraguayens se sont toujours opposés en deux camps, les libéraux et les conservateurs, pour se livrer une lutte féroce à travers de multiples dictatures (Sandino et Somoza), laissant le pays exsangue.

3.1 Les origines amérindiennes

Le Nicaragua fut peuplé à l’origine par les Mayas et les Nahuatls, qui immigrèrent vers le sud pour trouver une large étendue d'eaux avec deux volcans au centre. Il s’établirent sur les rives du lac Nicaragua, face à l'île d'Ometepe. Puis, il y a 500 ans, les Miskitos et les Sumos arrivèrent de la Colombie et s’installèrent dans le Nord-Est (aujourd'hui la Région autonome de l'Atlantique nord). D’autres peuples amérindiens arrivèrent du Honduras et du Salvador. Ils cohabitèrent jusqu’à l’arrivée des Espagnols.

3.2 La conquête espagnole

Lors de son quatrième voyage en 1502, Christophe Colomb fut le premier Européen à parcourir la côte caraïbe du Nicaragua. C'est lui qui donna son nom au cap Gracias a Dios, à la frontière du Honduras. La conquête du Nicaragua ne se fit que 20 ans plus tard, par la côte du Pacifique, sous la conduite de l'Espagnol Gil Gonzáles Dávila (vers 1520). Les Espagnols christianisèrent aussitôt les populations autochtones et les castillanisèrent. En 1542, les Espagnols créèrent la Audiencia y Capitanía General de Guatemala (Audience et Capitainerie générale du Guatemala), qui dépendait de la vice-royauté du Mexique et comprenait sept provinces: le Nicaragua, le Costa Rica, le Honduras, le Guatemala, le Soconusco, le Chiapa et le Verapaz. Mais c’est du Guatemala que les Espagnols gouvernèrent la Capitainerie générale.

Au XVIIe siècle, le Nicaragua fut la cible des pirates anglais qui détruisirent Matagalpa (1643), saccagèrent Granada (1665 et 1685) et incendièrent León (1685). Quelque temps auparavant, en 1633, les Miskitos inaugurèrent une longue tradition de combat aux côtés des Anglais, contre les Espagnols installés sur la côte du Pacifique. Quant aux populations indiennes de l’Ouest qui vivaient de l’agriculture, elles restèrent isolées et périclitèrent, tandis qu’une riche aristocratie terrienne se constituait. La capitale régionale, la Ciudad de Guatemala, fut fondée en 1776 et dotée d'une université, après que l'ancienne capitale Antigua ait été détruite par un tremblement de terre (1773). Au Nicaragua, la colonisation espagnole resta toujours limitée à la côte du Pacifique.

3.3 La tentative d’Union (1823-1839)

L’indépendance du Nicaragua fut proclamée en 1821, mais le pays fut aussitôt incorporé à l’empire mexicain d’Iturbide, dont il se détacha en 1823 pour former, le 1er juillet de la même année, une république fédérative indépendante portant le nom de Provincias Unidas del centro America (Provinces-Unies d'Amérique centrale) et comprenant les États du Nicaragua, du Guatemala, du Honduras, du Salvador et de Costa Rica.

Les dissensions entre deux factions politiques — les libéraux et les conservateurs — apparurent peu après et chacune voulut prendre le contrôle du gouvernement récemment formé. Des guerres éclatèrent entre les États de la fédération et les factions rivales. Puis le pays se disloqua en 1839 pour former cinq nouveaux États indépendants: le Guatemala, le Salvador, le Honduras, le Nicaragua et le Costa Rica.

3.4 La présence anglaise (1845 et 1894)

La situation géographique du Nicaragua a toujours attisé la convoitise des Britanniques qui établirent entre 1841 et 1848 un protectorat sur la côte atlantique, la région habitée par les Miskitos. Afin d’amadouer les Miskitos, les Britanniques allèrent jusqu’à proclamer en 1845 l’un d’eux «roi des Miskitos». Les Anglais avaient l’intention de construire un canal reliant l'océan Pacifique à l'océan Atlantique. Ils firent venir des esclaves, puis des travailleurs de la Jamaïque, qui parlaient le créole. Mais les Britanniques ne contrôlèrent jamais l’ouest du pays.

Lorsque, en 1860, les Britanniques signèrent le traité de Managua et renoncèrent à leurs prétentions sur la côte caraïbe, ils laissèrent derrière eux une «réserve» gouvernée par les autochtones. Après le départ des Britanniques, les Miskitos trouvèrent de nouveaux «partenaires». Ce furent les Américains qui, pratiquement dans les mêmes conditions que leurs prédécesseurs, purent piller à loisir la région tout en assurant des emplois de famine aux autochtones. Durant cette période, des missionnaires allemands convertirent les populations locales au protestantisme morave. De la présence anglaise au Nicaragua, il reste des noms tels que Bluefields, Corn Island, Real Lagoon, Bayside, etc., et une population créolisée à base d’anglais.

Ce n'est qu'en 1884 que cette région marginale sera formellement «réincorporée» au territoire national par le président libéral José Santos Zelaya. L'intégration forcée de la côte atlantique au cadre politique et institutionnel du Nicaragua, ce qu'on a appelé la Reincorporación, s'est aussi faite, dès 1894, en opposition aux Costenos («côtiers»), orientés vers le monde anglo-saxon et presque allergiques à la culture espagnole et nicaraguayenne. Cette «réincorporation» a fait disparaître les structures britanniques, la Réserve de la Mosquitia (avec son roi et son conseil), les fonctionnaires créoles et les établissements d'enseignement mises en place par l'Église morave. L'intégration du gouvernement fut accompagnée d'une tentative d'imposer l'espagnol au détriment des langues utilisées sur la côte atlantique, dont le miskito et le créole. Pour les Amérindiens, l'histoire de leur pays se résume à une érosion lente de leur autonomie précédant la venue des Européens.

3.5 D’une guerre civile à l’autre

Dès le début de l’indépendance, le Nicaragua eut à subir l’influence de pays étrangers en raison des conflits entre les gouvernements libéraux et conservateurs qui alternèrent au pouvoir, non sans provoquer des rivalités et des tentatives d’aide étrangère. En 1823, la ville de Managua fut déclarée capitale du pays (en lieu et place de León), pour mettre fin aux rivalités entre les habitants de León (contrôlée par les libéraux) et Granada (contrôlée par les conservateurs). L’opposition entre les clans de León et de Granada permit en 1855 à William Walker, un flibustier américain à qui les libéraux avaient demandé leur soutien, d’envahir le pays à la tête d'une armée de mercenaires et s'autoproclama président du Nicaragua. Il rétablit l’esclavage et promulgua l’anglais comme langue officielle dans tout le pays. Mais Walker fut évincé dès en 1857.

Après plusieurs années de domination des conservateurs, le libéral José Zelaya s’empara du pouvoir en 1893, puis, profitant des rivalités entre les factions libérales et conservatrices, les États-Unis intervinrent de plus en plus dans la vie du pays et pratiquèrent la «politique du bâton» inaugurée par le président Theodore Roosevelt.  En 1909, un coup d'État soutenu par les États-Unis redonna le pouvoir aux conservateurs.

À partir de 1912 (jusqu’en 1932), le Nicaragua tomba sous la complète dépendance des États-Unis qui occupèrent militairement le pays et imposèrent par le traité Bryan-Chamorro (1913) le contrôle des douanes et des chemins de fer.

- Conflits entre sandinistes et somozistes

Le nationaliste nicaraguayen Augusto Cesar Sandino tenta bien de s’opposer à la mainmise américaine en soulevant une partie de la population. Les Américains intervinrent à nouveau en 1927 pour soutenir militairement les conservateurs contre la guérilla d’Augusto Sandino, lequel bénéficiait du soutien du Mexique. En 1934, Sandino fut assassiné d'une balle dans le dos par la Garde nationale, alors qu'il quittait la table des négociations! Anastasio Somoza García, issu de la Garde nationale formée par les États-Unis, s'autoproclama président en 1936 et imposa au pays sa dictature jusqu'à son assassinat en 1956.

Ses fils lui succédèrent; d’abord Luis, de 1936 à 1963, puis Anastasio, de 1967 à 1979, année où il fut renversé. Le clan Somoza s’était accaparé de l’essentiel des richesses du pays et avait favorisé l'implantation des grandes entreprises étrangères (américaines), dont la Standard Fruit et la Bragmanns Bluff Company, qui ravagèrent des pans entiers du territoire national. Il a aussi lancé des programmes de colonisation des terres n’appartenant en principe à personne. En 1972, les autochtones de la côte atlantique se regroupèrent, formèrent un parti, l'Alliance pour le progrès des Miskitos et des Sumos (ALPROMISU), et réclamèrent une décentralisation administrative ainsi que le contrôle des administrations municipales et des sièges au Congrès national (Parlement). Il n’y eut pas de suite, car toutes les négociations échouèrent.

En 1978, l’assassinat de Pedro Joaquín Chamorro, le chef de l’opposition conservatrice, déclencha un mouvement d’insurrection orchestré par le Front sandiniste de libération nationale (en hommage à Augusto Sandino), qui obligea le dictateur Anastasio Somoza à quitter le pays. La guerre civile aurait provoqué la mort d’au moins 50 000 personnes. Une fois au pouvoir, les sandinistes mirent en place un programme économique d'inspiration socialiste, notamment par des nationalisations, une réforme agraire et la confiscation des terres du clan Somoza. Dans le but d’assurer l’unité nationale du Nicaragua, les sandinistes combattirent les Amérindiens miskitos soupçonnés de soutenir l’opposition armée (la Contra) et de préparer l’indépendance politique.

Au printemps 1987, au terme d'une importante concertation avec les populations concernées, le gouvernement sandiniste de Managua mit en place, au milieu d'une guerre imposée par les grandes puissances, un statut d'autonomie qui créait deux régions autonomes: la RAAN, la Región Autónoma del Atlantico Norte (la Région autonome de l'Atlantique nord) à prédominance miskito et sumo, et la RAAS, la Región Autónoma del Atlantico Sur (la Région autonome de l'Atlantique sud), à prédominance métisse et créole. C'était la première autonomie accordée à des autochtones sur le continent américain. La Constitution de 1987 reconnut les principes fondamentaux accordés aux habitants de la Côte atlantique.

L’opposition des États-Unis, la guérilla des Contras et la grave crise économique de 1988 provoquèrent la chute du candidat sandiniste, Daniel Ortega. C’est en effet Violeta Barrios de Chamorro, la veuve de Pedro Joaquín Chamorro (le chef de l’opposition conservatrice assassiné en 1978), candidate conservatrice soutenue par les États-Unis, qui fut élue présidente de la République.

- Vers un État de droit

La situation économique resta précaire, tandis que le gouvernement dut constamment faire face à des mouvements de grève. Néanmoins, la politique de Violeta Chamorro marqua un changement radical du Nicaragua, notamment par la fin d'une guerre civile de dix ans (la plupart des Contras étaient désarmés en 1992), qui avait pratiquement détruit tout le pays, et le rétablissement d’un État de droit destiné à mettre en place une vraie démocratie. Mais le gouvernement de Mme Chamorro s’est toujours montré peu favorable aux autonomistes autochtones de la Côte atlantique et a volontairement négligé les deux régions autonomes.

Une réforme constitutionnelle fut promulguée en 1995 (Ley de Reforma Parcial a la Constitución Política de Nicaragua) afin de liquider l’héritage sandiniste. L’élection présidentielle de 1996 vit la victoire de la droite libérale d’Arnoldo Alemán, contre le sandiniste Daniel Ortega. Ce dernier contesta l’élection et chercha par tous les moyens à déstabiliser le pays confronté à trois grands problèmes: la lutte contre la pauvreté endémique, la mise au pas des bandes armées qui refusaient toujours de se soumettre au pouvoir central et la restitution des terres confisquées par les sandinistes.

Le régime du président Arnoldo Alemán (conservateur, ancien somoziste), reconnu comme autoritaire, voulut étendre son influence sur les ressources naturelles de la Côte atlantique, tandis que le rêve des Miskitos d'un État fédéré s'évanouissait quelque peu. C’est pourquoi les représentants des Miskitos accusèrent le gouvernement de Managua de considérer le statut d’autonomie comme un «mauvais produit des sandinistes» détestés et destiné à être supprimé. Dès sa première année à la présidence, Alemán tenta de réduire les pouvoirs des gouvernement régionaux qui, de toute façon, ne se sont jamais développés au-delà des principes élémentaires reconnus dans la Constitution. Si le gouvernement Chamorro semblait anti-autonomiste, celui d'Alemán est apparu comme un véritable «ennemi de l'autonomie» autochtone. Étant donné que le gouvernement national contrôle une grande partie des budgets dans les régions autonomes, il utilise cet argent pour acheter, séduire ou manipuler les représentants autochtones. Quoi qu’il en soit, l’autonomie n’a jamais été la priorité d'aucun des grands partis politiques du Nicaragua. Elle est même remise en question, depuis 1990, par les sandinistes eux-mêmes. Cependant, les irréductibles Miskitos ne revendiqueraient plus l'autonomie, mais l'indépendance.

Au cours de la décennie quatre-vingt-dix, les partis politiques au pouvoir se sont succédé sans provoquer de grands changements, si ce n'est de faire perdre la plupart des acquis sociaux du Nicaragua. On compterait aujourd'hui 60 % de chômage, 63 % des Nicaraguayens vivant dans des bidonvilles, 47 % de citoyens réduits à une pauvreté chronique, sans oublier que le taux d’analphabétisme est passé de 12 % en 1990 à 40 % en 2000; l'État ne dépense plus que 14 $ US par personne en santé comparativement à 35$ en 1989. En janvier 2002, Enrique Bolaños, membre du Parti libéral, a été élu à la présidence. Le gouvernement a entamé une politique néo-libérale alignée sur celle des États-Unis et favorisant les grandes entreprises privées.

Le 5 novembre 2006, l'ancien dirigeant sandiniste Daniel Ortega était élu à la présidence de la République au premier tour; il a pris ses fonctions le 10 janvier 2007. Il a réaffirmé sa volonté d'«éradiquer la pauvreté, de garantir la sécurité des intervenants nationaux et étrangers et de développer des relations avec l'ensemble de la communauté internationale», soulignant l'importance qu'il accorde à la «réconciliation de la famille nicaraguayenne». Pour les États-Unis, Ortega reste l'ami personnel du président cubain Fidel Castro et du Vénézuélien Hugo Chavez, et un «socialiste radical». L'ex-chef guérillero sandiniste a dû naviguer avec prudence entre l'Amérique de George W. Bush et celle de Hugo Chavez dont il est un ami personnel (avec Fidel Castro). Quoi qu'il en soit, le Nicaragua est demeuré l'un des pays les plus pauvres de l'Amérique latine.

4 La politique linguistique à l’égard de l’espagnol

Le Nicaragua n’a aucune politique linguistique en ce qui a trait à l’espagnol. C’est la langue de toute l’Amérique centrale (hormis le petit Belize) et d’une grande partie de l’Amérique du Sud. Il ne semble pas nécessaire d’intervenir pour protéger le statut de la langue officielle au Nicaragua. La Constitution de 1987, adoptée sous le régime des sandinistes, reconnaît ce statut à l'espagnol à l’article 11: «L'espagnol est la langue officielle de l'État.» Cette disposition constitutionnelle n’a pas empêché le législateur d’énoncer au paragraphe suivant du même article: «Les langues des communautés de la Côte atlantique du Nicaragua seront aussi officielles dans les cas déterminés par la loi.»

Article 11

1) L'espagnol est la langue officielle de l'État.

2) Les langues des communautés de la Côte atlantique du Nicaragua seront aussi officielles dans les cas déterminés par la loi.

Comme il n’existe guère de minorités linguistiques à l’extérieur des régions de la Côte atlantique, le gouvernement n’a pas à intervenir. C’est pourquoi cette politique linguistique à l’égard de l’espagnol peut être caractérisée comme de la non-intervention.

Dans les faits, hors des territoires des deux régions autonomes, toute la vie politique, administrative, culturelle, économique, etc., se déroule presque exclusivement en espagnol, le reste étant laissé à la langue anglaise, notamment dans l’enseignement des langues étrangères, quelques rares médias écrits et électroniques (radio), parfois dans l’affichage dan les centres urbains. Mais ce phénomène demeure rarissime.

4.1  L'école

L’école mérite quelques précisions particulières. L’article 121 de la Constitution de 1987, toujours en vigueur, est consacré à l’éducation et déclare que les communautés de la Côte atlantique ont accès dans leur région à l'éducation dans leur langue maternelle jusqu'aux niveaux qui seront déterminés :

Article 121

Accès à l'éducation

1) L'accès à l'éducation est libre et égal pour tous les Nicaraguayens.

2) L'enseignement primaire est gratuit et obligatoire dans les établissements de l'État.

3) L'enseignement secondaire est disponible gratuitement dans les établissements de l'État, sans préjudice des contributions volontaires que les parents peuvent faire.

4) Nul ne peut être exclu dans n'importe quel établissements de l'État pour des raisons économiques.

5) Les peuples indigènes et les communautés ethniques de la Côte atlantique ont le droit dans leur région à l'éducation interculturelle dans leur langue maternelle, conformément à la loi.

L'article 123 de la Constitution reprend à peu près les mêmes dispositions (moyennant certaines restrictions prévues dans les programmes nationaux) en ce qui a trait aux communautés de la Côte atlantique:

Article 123

[...]

3) Les communautés de la Côte atlantique ont accès dans leur région à l'éducation dans leur langue maternelle jusqu'aux niveaux qui seront déterminés conformément aux plans et aux programmes nationaux.

La seule langue d’enseignement est l’espagnol, sauf pour les établissements privés qui sont libres d’en utiliser une autre (l’anglais en l’occurrence). Sur 764 587 élèves inscrits en 1995, 109 408 allaient dans les écoles du secteur privé.

Mais le système éducatif du Nicaragua se porte plutôt mal, car le niveau de l'éducation reste particulièrement bas. En effet, le taux d’analphabétisme au Nicaragua se situe autour de 30 % (tout comme au Salvador, au Honduras et au Guatemala), tandis qu’il est de 6 % au Costa Rica et de 9 % au Panama. Près de 20 % des enfants n’ont pas accès à l’école primaire et plus de 55 % n’accèdent pas au secondaire. Mais, selon la Banque mondiale, sur 100 enfants qui entrent à l’école primaire, seulement sept parviennent à l’école secondaire et un seul accède à l’éducation supérieure. Chez les plus pauvres, 40 % des enfants sont analphabètes. Les enfants pauvres fréquentent l'école en moyenne durant 2,3 à 3,1 années. Plus de la moitié des élèves quittent l'école pour des raisons économiques. Ces problèmes semblent particulièrement aigus dans les zones rurales. 

Outre l’inégalité dans l’accès à l’éducation, il faut souligner la qualité médiocre de l’enseignement. De façon générale, les enseignants sont mal préparés, les salaires restent très bas (60 $ US par mois) et les manuels manquent cruellement, sans parler de la pauvreté de la plupart des foyers d’où viennent les élèves. Bref, l'efficacité de l'école publique de base souffre du nombre élevé d'enseignants insuffisamment qualifiés, de l'inadéquation des locaux scolaires et d'un manque chronique de matériel pédagogique.

Quoi qu’il en soit, la langue espagnole n’est pas en cause dans la mauvaise qualité de l’enseignement, même si la langue peut certes en souffrir. Néanmoins, cela ne saurait remettre en question la survie de cette langue.

4.2  La justice

En matière de justice, les articles 33 et 34 de la Constitution de 1987 prévoit des dispositions particulières à l’égard des détenus ou des inculpés qui ne comprennent pas la langue, mais rien ne concerne la langue espagnole. On peut supposer qu'il s'agit de celle-ci:

Article 33

[...]

2) Tout détenu a droit:

a) d'être informé sans retard, dans une langue qu'il comprend et en détail, des causes de sa détention et de l'accusation formulée contre lui; à ce que l'on prévienne sa famille de sa détention; et aussi à être traité avec tout le respect dû à la dignité inhérente à l'être humain.[...]

Article 34

Tout inculpé a le droit, dans l'égalité des conditions, aux garanties minimales suivantes: [...]

6) d'être assisté gratuitement par un interprète s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée par le tribunal.

Encore une fois, ces dispositions ne concernent pas l’espagnol, mais les personnes arrêtés ou inculpées, et parlant une autre langue ou ne comprenant pas la langue officielle. De telles dispositions, qui apparaissent aussi importantes, laissent croire que la révolution a laissé des séquelles. Seuls les pays souvent en état de guerre tiennent à de telles dispositions constitutionnelles.

5 Les régions autonomes de la Côte atlantique

La situation linguistique est différente dans les deux régions autonomes formées par la Región Autónoma del Atlantico Norte (RAAN) ou Région autonome de l'Atlantique nord et la Región Autónoma del Atlantico Sur (RAAS) ou Région autonome de l'Atlantique sud. La Région autonome de l’Atlantique nord a pour capitale (chef-lieu) la ville de Puerto Cabezas, tandis que Bluefields sert de chef-lieu pour la région sud.

La Côte atlantique occupe 55 % du territoire nicaraguayen et est peuplée d'environ 300 000 à 400 000 habitants (10 % de la population). La Région autonome de l'Atlantique nord (la RAAN) est habitée par une population formée majoritairement de Mistiko et de Sumo, alors que la Région autonome de l'Atlantique sud (la RAAS) compte une majorité de Mestizos et de Criollos (Créoles), sans oublier les Garufinas. Plus précisément, la région du Nord abrite surtout les autochtones, alors que le Sud comptent beaucoup de Noirs.

Les région autonomes de l'Atlantique, très multiethniques, sont extrêmement pauvres avec le deuxième taux de revenu le plus bas du pays; le chômage touche environ 90 % de la population économiquement active et la consommation alimentaire des communautés reste en dessous des besoins minimums. Traditionnellement, l'économie régionale est une économie d'autosubsistance. De plus, la population locale n'a pratiquement aucune formation pour assumer ses responsabilités et n'a pas nécessairement les qualifications et l'expérience nécessaires pour exercer ses droits autonomes.

Il n'est pas dû au un hasard que, dans les régions autonomes, les habitants désignent les Nicaraguayens comme «les Espagnols». Alors que du côté du Pacifique, tout le monde parle l'espagnol, la côte de l'Atlantique est restée multiethnique et multilingue et l'on y parle à la fois l’anglais, le créole, l’espagnol, le miskita, le sumo, le misumalpa, le garifuna, etc. C'est presque un autre pays.

L'article 2 du Statut d'autonomie des régions de la Côte atlantique du Nicaragua de 1987 (Estatuto de Autonomia de las dos Regiones de la Costa Atlántica de Nicaragua), ou loi no 28, décrit ainsi les communautés en présence:

Article 2

La Région atlantique nicaraguayenne constitue approximativement
50 % du territoire de la patrie et, avec environ 300 000 habitants, elle représente 9,5 % de la population nationale, distribuée entre 182 000 Métis parlant espagnol; 75 000 Miskitos avec leur langue propre; 26 000 Créoles parlant anglais; 9000 Sumos avec leur langue propre; 1750 Garífunas, dont la plupart ont perdu leur langue, et 850 Ramas dont 35 ont conservé leur langue.

5.1 L’autonomie politique

Cette fameuse autonomie politique dont on a tant parlé fut accordée en 1987 par un gouvernement sandiniste. Quatre documents juridiques en font mention:

- la Constitution de 1987:
- la loi no 28 du Statut d'autonomie des régions de la côte atlantique du Nicaragua (1987) ou Ley de Autonomía de las Regiones de la Costa Atlántica ;
- la Loi sur la réforme partielle de la Constitution politique du Nicaragua (Ley de Reforma Parcial a la Constitución Política de Nicaragua) de 1995;
- le Règlement sur la loi no 28 «du Statut d'autonomie des régions de la Côte atlantique du Nicaragua» (Reglemento a la Ley no. 28 "Estatuto de autonomía de las regiones de la Costa Atlántica de Nicaragua") de 2003.

Précisons que l'autonomie dont il est ici question n'est pas accordée aux «peuples autochtones» ou «indigènes», ni aux Noirs, mais aux «régions». De plus, le terme «peuple autochtone» n'est jamais utilisé, car il s'agit, selon les textes juridiques, de «communautés», plus précisément de comunidades indígenas y étnicas («communautés indigènes et ethniques»). Le mot «communauté» désigne, selon le cas, le village ou l'ethnie tout entière (Miskitos, Créoles, Sumos, Ramas et Garifunas). De plus, en 1996, une loi sur l'environnement et les ressources naturelles (Ley General del Medio y los Recursos Naturales) a été adoptée, et elle était destinée à établir des normes pour la préservation de l'environnement ; cette même loi oblige l'État à apporter son soutien aux communautés autochtones des régions autonomes de l'Atlantique. De leur côté, les représentants des autochtones soutiennent que, depuis l'adoption de la loi, le gouvernement central a fréquemment pris des décisions à ce sujet sans même consulter les communautés concernées.

L’article 5 de la Loi sur la réforme partielle de la Constitution politique du Nicaragua (Ley de Reforma Parcial a la Constitución Política de Nicaragua) de 1995 est venu ajouter certaines précisions:

Article 5

[...] L'État reconnaît l'existence des peuples indigènes, qui jouissent des droits, obligations et garanties consignés dans la Constitution, et spécialement ceux de maintenir et de développer leur identité et leur culture, de tenir leurs propres formes d'organisation sociale et d’administrer leurs affaires locales; ainsi que de maintenir les formes communales de propriété de leurs terres ainsi que la jouissance, l’usage et le bénéfice de ces dernières, le tout conformément à la loi. À l’intention des communautés de la Côte Atlantique, la présente Constitution établit le régime d'autonomie.

- Les structures

La Ley de Autonomia n'est entrée en vigueur qu'en 1990 à la suite de l'élection des deux gouvernements autonomes. Chacune des deux régions — RAAN et RAAS — est gouvernée par une Assemblée régionale et un Conseil exécutif dirigé par un coordonnateur régional ou «gouverneur» (élu par l'ensemble des membres de chacune des Assemblées régionales). Chacune des Assemblées comprend 45 «concejales» («conseillers») élus et représentants des districts électoraux, en plus de compter les députés régionaux également membres de l'Assemblée nationale (deux pour la RAAN et un seul pour la RAAS). Chacune de ces Assemblées régionales peut adopter des lois (appelées ordonnances) et des règlements sur son territoire, qui pourront ensuite être adoptés ou rejetés par l'Assemblée nationale. L'article 24 du Statut d'autonomie précise que les ordonnances des conseils régionaux doivent être «en harmonie» avec la Constitution et les lois de la République. Chacune des Assemblées locales a le pouvoir d'«adapter» les lois nationales aux particularités de leur région. Ces précisions étant établies, il faut admettre que les conseils régionaux jouent un rôle subordonné par rapport à l'Assemblée nationale.

- Les droits

La législation reconnaît aux communautés autochtones des deux régions autonomes le droit de gérer leurs propres affaires. La juridiction des gouvernements autonomes s’étend en principe aux services tels que l’éducation, la langue, les services de santé, la gestion des municipalités, etc. La loi no 28 ou Statut d'autonomie des régions de la Côte atlantique du Nicaragua (Estatuto de Autonomia de las dos Regiones de la Costa Atlántica de Nicaragua) précise ce qui suit:

Article 8

Le nouvel ordre constitutionnel du Nicaragua établit que le peuple nicaraguayen est de nature multiethnique; il reconnaît les droits des communautés de la Côte atlantique de préserver leurs langues, leurs religions, leurs arts et cultures; à la bénéfice, à l'usage et à la jouissance des eaux, des forêts et des terres communes; à la création de programmes spéciaux qui contribuent à leur développement et garantissent le droit de ces communautés de s'organiser et de vivre selon les formes qui correspondent à leurs traditions légitimes.

Les pouvoirs semblent inexistants en matière de sécurité, de justice et de commerce extérieur. Par contre, il est clair que la défense nationale et les relations internationales restent du ressort exclusif du gouvernement central. Il faut bien comprendre que, en vertu de l'article 2 du Statut d'autonomie des régions de la côte atlantique du Nicaragua les communautés font partie du Nicaragua:

Article 2

Les communautés de la Côte atlantique font partie indissoluble de l'État unitaire et indivisible du Nicaragua, et ses habitants jouissent tous les droits et devoirs qui leur correspondent comme Nicaraguayens, conformément avec la Constitution politique.

- Les conflits  

Le problème, c’est qu’il n'y a dans la législation aucune précision quant au partage des tâches entre le gouvernement du Nicaragua et ceux des régions autonomes. Cette ambiguïté juridique a souvent entraîné de nombreuses confrontations entre les autorités nationales et régionales. Tandis que la pression vers la centralisation des pouvoirs à Managua est constante, les moyens financiers à la disposition des institutions autonomes demeure très faibles. De plus, les gouvernements autonomes n'ont aucun pouvoir dans les décisions stratégiques, pas plus que dans la planification économique globale. Les régions autonomes n'administrent que des projets d'intérêt local, avec les budgets fournis par le gouvernement central. Finalement, les gouvernement régionaux n’ont jamais obtenu les compétences administratives nécessaires — ni la gestion financière — pour exercer de manière efficace leur rôle dans la gestion de leur autonomie.

Encore aujourd’hui, la RAAN et la RAAS bénéficient de transferts de fonds de la part du gouvernement de Managua. Cependant, à l’instar des pouvoirs publics locaux, les régions autonomes n’ont droit qu’à une petite partie des recettes tirées des concessions minières ou forestières, et des permis liés à la pêche. De façon générale, ces sommes d’argent paraissent dérisoires et sporadiques, le gros des revenus revenant à Managua. Finalement, les régions finissent toujours par consacrer plus de la moitié de leurs maigres crédits qu’ils reçoivent du gouvernement central aux salaires des fonctionnaires plutôt qu’à des projets visant à améliorer les conditions de vie des citoyens.

Un rapport soumis en 1998 par la Commission interaméricaine des droits de l'homme à la Cour interaméricaine des droits de l'homme soulève la question de l'obligation qu'a l'État de reconnaître et de respecter les terres, les ressources et les territoires des autochtones, ainsi que de délimiter ces terres et territoires. Les autochtones affirment que le gouvernement n'a jamais respecté les obligations qui lui incombe en vertu de la Constitution et du droit international. En ce sens, il n'a pas reconnu et protégé les droits de la communauté sur les terres que ses membres occupent et exploitent de tout temps. Les régions n’ont jamais tissé de liens avec les pouvoirs publics locaux, la plupart d’entre eux n’existant que de nom.

Le directeur «exécutif» du gouvernement régional, M. Rodrigo Pérez Roa, expliquait ainsi la situation en 1997:

Notre autonomie est le résultat d’une lutte historique de notre peuple, mais les gouvernements qui se sont succédé ne lui ont pas donné un grand élan. De sorte que, le temps passant, elle n’était rien de plus qu’un document. Mais, aujourd’hui, le gouvernement régional est présidé par le licenciado Steadman Fagoth Muller. Qui, mieux que lui, qui fut un grand dirigeant pendant la guerre, un leader naturel, un homme qui a toujours gardé ses principes costeños  et qui de plus a été élu député à l’Assemblée nationale, pourrait aller frapper aux portes des différents ministères et de l’État pour développer enfin cette région?

Beaucoup de Nicaraguayens souhaitent aujourd'hui la suppression de l’autonomie des deux régions de l'Atlantique. Pour les costeños  (habitants de la côte), ce serait la pire des erreurs politiques. Dès lors, ils ne se battraient plus pour l'autonomie, mais pour l’indépendance. N'oublions pas que les deux côtes du pays ont leur propre histoire: la côte pacifique a été colonisée par les Espagnols et est catholique, la côte atlantique le fut par les Britanniques et les Américains et est morave. Ainsi, la côte atlantique est généralement plus tournée vers le monde anglo-américain que vers le monde hispanique.

Malheureusement, la Loi sur l'autonomie (Ley de Autonomia) n'a pas réglé la question de fond des droits historiques et territoriaux des autochtones. La loi n'a jamais été vraiment appliquée, même si les communautés ont pu obtenir certains progrès. Bref, l’autonomie accordée ne s’est pas transposée comme les autochtones l’auraient espéré. Il serait pour le moins surprenant que la situation soit radicalement différente dans le domaine de la langue, notamment en matière d'éducation bilingue interculturelle.

5.2 La législation linguistique

La politique linguistique des deux régions autonomes est définie dans la Constitution de 1987, dans la loi no 28 du statut d'autonomie des régions de la côte atlantique du Nicaragua (1987) ou Ley de Autonomía de las Regiones de la Costa Atlántica, dans la Loi sur la réforme partielle de la Constitution politique du Nicaragua de 1995 et la Loi sur l'usage officiel des langues dans les communautés de la Côte atlantique du Nicaragua (Ley de Uso Oficial de las Lenguas ede las Comunidades de la Costa Atlántica de Nicaragua) de 1993.

- Les dispositions constitutionnelles

L’article 90 de la Constitution de 1987 reconnaît des droits linguistiques aux communautés de l’Atlantique:

Article 90

1) Les communautés de la Côte atlantique ont le droit à la libre expression et à la préservation de leurs langues, de leur art et de leur culture.

2) Le développement de leur culture et de leurs valeurs enrichit la culture nationale.

3) L'État établira des programmes spéciaux pour l'exercice de ces droits.

Ces langues visés par cette disposition constitutionnelles sont, en l’occurrence, l’anglais, le miskito, le sumo, le rama et le créole (anglais). Le paragraphe 3 de l’article 123 de la Constitution traite spécifiquement de l’éducation chez les communautés de la Côte atlantique:

Article 123

[...]

3) Les communautés de la Côte atlantique ont accès dans leur région à l'éducation dans leur langue maternelle jusqu'aux niveaux qui seront déterminés conformément aux plans et aux programmes nationaux.

En 1995, l’article 121 (paragraphe 5) de la Loi sur la réforme partielle de la Constitution politique du Nicaragua (Ley de Reforma Parcial a la Constitución Política de Nicaragua) reprend à peu près les mêmes dispositions:

Article 121

5) Les peuples indigènes et les communautés ethniques de la Côte atlantique ont le droit dans leur région à l'éducation interculturelle dans leur langue maternelle, conformément à la loi.

À l’article 128 de la Constitution, l’État affirme protéger «le patrimoine archéologique, historique, linguistique, culturel et artistique de la nation»: «L'État protège le patrimoine archéologique, historique, linguistique, culturel et artistique de la nation..» Mais c’est l’article 180 qui semble préciser le plus le statut d’autonomie dévolue aux autochtones:

Article 128

Droits des communautés de la Côte atlantique

1) Les communautés de la Côte atlantique ont le droit de vivre et de se développer dans les formes d'organisation sociale qui correspondent à leurs traditions historiques et culturelles.

2) L'État garantit à ces communautés la jouissance de leurs ressources naturelles, l'efficacité de leurs formes de propriété communale et le libre choix de leurs autorités et des membres de la députation.

3) La préservation de leurs cultures et de leurs langues, ainsi que de leurs religions et coutumes est assurée.

Finalement, l’article 197 de la Constitution précise que, outre l’espagnol, la Constitution «doit être publiée dans les langues des communautés de la Côte atlantique».  Dans la loi, on peut dire que «tout est garanti», mais dans les faits il n'existe que fort peu de moyens pour appliquer cette garantie. 

- La loi sur l’autonomie (Statut d'autonomie)

En 1987, le gouvernement sandiniste du Nicaragua adoptait également la Ley no 28 o Estatuto de Autonomia de la Costa Atlantica de Nicaragua ou loi n° 28 sur le Statut d'autonomie des régions de la côte atlantique du Nicaragua. L’article 4 reconnaît cette autonomie:

Article 4

Les régions où habitent les communautés de la Côte atlantique jouissent, dans l'unité de l'État nicaraguayen, d'un régime d'autonomie qui leur garantit l'exercice effectif de leurs droits historiques et d'autres droits consignés dans la Constitution politique.

L'article 5 du Statut d'autonomie des régions de la Côte atlantique reconnaît comme officielles, en plus de l'espagnol, les langues des communautés de la Côte atlantique dans les régions autonomes:

Article 5

L'espagnol est la langue officielle de l'État, mais les langues des communautés de la Côte atlantique seront aussi d'utilisation officielle dans les régions autonomes.

Les langues ne sont pas mentionnées, mais il s'agit des langues des communautés, soit le miskito, le créole anglais, le sumo, le rama et éventuellement le garifuna.

L'article 8 de la loi n° 28 réaffirme que l'ordre constitutionnel reconnaît le caractère multiethnique du peuple nicaraguayen et le droit des communautés de la Côte atlantique de préserver notamment leurs langues, leurs religions, leurs formes d'art et leurs cultures. En réalité, l'État reconnaît à ces communautés des droits particuliers, tout en affirmant l'unité du Nicaragua et son intégrité territoriale:

Article 8

Les Régions autonomes établies en vertu du présent statut sont des personnes morales de droit public, qui respectent dans ce qui correspond aux orientations et plans nationaux. Les attributions générales suivantes relèvent de leurs organismes administratifs :

1) Participer effectivement à l'élaboration et à l'exécution des plans et programmes de développement national à la région, lesquels doivent être en harmonie avec les intérêts des communautés de la Côte atlantique.

2) Administrer les programmes de santé, d'éducation, de culture, d'approvisionnement, de transport, de services communs, etc., en coordination avec les ministères correspondants de l'État.

3) Stimuler les projets économiques, sociaux et culturels propres.

4) Promouvoir l'usage rationnel, la bénéfice et la jouissance des eaux, des forêts, des terres communales et la défense de leur système écologique.

5) Promouvoir l'étude, l'avancement, le développement, la préservation et la diffusion des cultures traditionnelles des Communautés de la Côte atlantique, ainsi que leur patrimoine historique, artistique, linguistique et culturel.

6) Promouvoir la culture nationale dans les Communautés de la Côte atlantique.

7) Promouvoir l'échange traditionnel avec les nations et les peuples des Caraïbes, conformément aux lois nationales et aux procédures qui sont en vigueur en la matière.

8) Promouvoir l'articulation du marché intra-régional et inter-régional, en participant de cette façon à la consolidation du marché national.

9) Fixer des impôt régionaux conformément aux lois en vigueur en la matière.

Il faut constater que les pouvoirs des régions relèvent davantage d'une marge de manoeuvre dans l'application des politiques nationales que de véritables pouvoirs autonomes, comme c'est le cas, par exemple, des États américains ou mexicains, des provinces canadiennes ou des Communautés autonomes d'Espagne. Le Nicaragua n'est pas une fédération, mais un pays unitaire dotée de régions autonomes subordonnées.

L'article 11 du Statut d'autonomie des régions de la Côte atlantique reconnaît des droits particuliers aux habitants des communautés de la Côte atlantique, dont ceux de préserver et développer leurs langues, leurs religions et leurs cultures, de dispenser un enseignement à la fois dans leur langue maternelle et en espagnol:

Article 11

Les habitants des communautés de la Côte atlantique ont droit :

1) À l'égalité absolue en droits et obligations entre eux, indépendamment de leur démographie et de leur niveau de développement.

2) De préserver et développer leurs langues, leurs religions et leurs cultures.

3) D'utiliser, de bénéficier et de jouir des eaux, forêts et terres communales selon les programmes de développement national.

4) De développer librement leurs organisations sociales et productives conformément à leurs valeurs propres.

5) À l'éducation dans leur langue maternelle et en espagnol, grâce aux programmes qui recueillent leur patrimoine historique, leur système de valeurs, les traditions et les caractéristiques de leur environnement, tout en se conformant au système d'éducation nationale.

6) Aux formes communes, collectives ou individuelles de propriété et la transmission de celle-ci.

7) De choisir leurs propres autorités et d'être élus dans les Régions autonomes.

8) De préserver, dans une forme scientifique et en coordination avec le système national de santé, les connaissances de leur médecine naturelle accumulées au cours de leur histoire.

L'article 12 du Statut d'autonomie énonce que les membres des communautés de la Côte atlantique ont le droit de définir et de décider de leur propre identité ethnique:

Article 12

Les membres des communautés de la Côte atlantique ont le droit de définir et de décider de leur propre identité ethnique.

Article 44

Le présent statut est réglementé et amplement diffusé sur tout le territoire national, en espagnol et dans les langues des communautés de la Côte atlantique.

En ce qui a trait à la terre, la loi reconnaît aux communautés autochtones le droit fondamental «à l'usage et à la jouissance des eaux, forêts et terres communales dans le respect des programmes de développement nationaux» et le droit «aux formes communales, collectives ou individuelles de propriété et de transmission de la terre». Dans la loi d’autonomie, la «propriété communale» est définie comme «les terres communales, les eaux et forêts qui ont appartenu traditionnellement aux communautés.» De plus, «elles ne peuvent être ni saisies, ni vendues, ni frappées d'hypothèque [...] et les habitants des communautés ont le droit d'y travailler des parcelles et de jouir des biens qu'ils produisent». Il apparaît donc que les autochtones disposent de pouvoirs étendus dans le droit d'utiliser et de profiter de leurs ressources naturelles, ainsi que le droit de pratiquer les formes traditionnelles de location et de transfert de leurs terres. On sait que ces peuples autochtones vivent traditionnellement de façon communautaire; vivant le plus souvent en petits groupes dispersés, leurs terres leur appartiennent collectivement et elles ne peuvent être ni vendues ni expropriées. Les non-autochtones qui souhaitent s’installer sur ces terres doivent signer un accord avec la communauté et payer une location.

Ce statut d'autonomie fut à l’époque un texte de compromis — ce fut le résultat des initiatives du gouvernement sandiniste qui cherchait comment en arriver à un cessez-le-feu avec les Miskitos — où étaient formulés de grands principes, mais où certains éléments fondamentaux ont été abordés de manière très évasive, sinon ambiguë. Les deux principes fondamentaux de ce texte juridique sont le caractère multi-ethnique du peuple nicaraguayen et le caractère unitaire et indivisible de l'État national, alors que la population a le droit de recevoir une éducation dans sa langue et de décider de sa propre identité ethnique. D’où les conflits de préséance juridique qui en découlent, et ce, d’autant plus que la législation reconnaît des droits sans prévoir les moyens de les exercer. Étant donné que la loi d'autonomie adoptée en 1987 par les sandinistes et inscrite dans la Constitution n'a jamais abouti à une réglementation, les gouvernements qui se sont succédé en ont profité pour appliquer une politique restrictive à l’endroit des autochtones.

- La Loi sur l'usage officiel des langues dans les communautés de la Côte atlantique du Nicaragua

L'Assemblée nationale du Nicaragua a adopté une véritable loi linguistique destinée à protéger et promouvoir les langues officielles des communautés de la Côte atlantique. Il s'agit de la loi no 162 du 10 juillet 1993, publiée dans La Gazette, no 132, du 15 juillet 1996, et appelée Ley de Uso Oficial de las Lenguas ede las Comunidades de la Costa Atlántica de Nicaragua (Loi sur l'usage officiel des langues dans les communautés de la Côte atlantique du Nicaragua). Cette loi compte 27 articles répartis en quatre chapitres: (1) «Dispositions générales», (2) «L'éducation et les communications», (3) «L'administration de la justice», (4) «L'Administration publique».

L'article 1 de la Loi sur l'usage officiel des langues dans les communautés de la Côte atlantique du Nicaragua reconnaît le caractère co-officiel de l'espagnol et des langues locales:

Article 1

L'espagnol est la langue officielle de l'État. Les langues des communautés de la Côte atlantique du Nicaragua sont d'un usage officiel dans les Régions autonomes, conformément à la présente loi. 

L'article 4 de la Loi sur l'usage officiel des langues dans les communautés de la Côte atlantique du Nicaragua énumère, pour la première fois dans un texte juridique, les «langues d'usage officiel» dans les Régions autonomes:

Article 4

Les langues miskito, créole, sumo, garifuna et le rama sont des langues d'usage officiel dans les Régions autonomes de la Côte atlantique.

Quant à l'article 6 de la même loi fait mention des «cultures» de ces «communautés», sans nommer les langues:

Article 6

L'État prévoit des programmes pour préserver, sauvegarder et promouvoir les cultures miskito, sumo, rama, créole et garifuna. Ainsi que toute autre culture indigène qui existe encore, dans le pays, en étudiant le faisabilité future de l'éducation dans leurs langues maternelles respectives.

Le chapitre II de la Loi sur l'usage officiel des langues dans les communautés de la Côte atlantique du Nicaragua est consacré à l'éducation. L'article 7 réaffirme que la Constitution politique du Nicaragua reconnaît que les communautés de la Côte atlantique ont le droit, dans leur région, à l'éducation dans leur langue maternelle. Les raisons invoquées sont le développement chez les enfants de leur propre identité culturelle, du système de valeurs de leur ethnie et le respect de leur environnement, ainsi que le «développement psychomoteur et affectif» avec les propres caractéristiques de leur communauté. Cela dit, l'enseignement autorisé est une éducation bilingue et biculturelle, avec l'espagnol et la langue locale de la communauté. L'article 8 énonce que les conseils régionaux autonomes, en coordination avec les autorités éducatives nationales, doivent développer des programmes éducatifs bilingues interculturels, en respectant les normes de base contenues dans la loi. Autrement dit, les conseils régionaux sont subordonnés au ministère de l'éducation du Nicaragua.

En vertu de l'article 10 de la Loi sur l'usage officiel des langues dans les communautés de la Côte atlantique du Nicaragua, les médias nationaux et régionaux doivent présenter une programmation destinée à promouvoir l'usage des langues des communautés de la Côte atlantique. Selon l'article 11, le gouvernement s'engage à ce que les lois, décrets, communiqués et toute autre documentation émise par l'État national soient traduits et publiés dans les langues des communautés de la Côte atlantique. Il en est ainsi des messages sur la santé publique (art. 12), les signaux de transport (art. 13), les avis, contrats de travail et autres documents du genre (art. 14), ainsi que le Registre de l'état civil (art. 15).

Selon l'article 17 de la Loi sur l'usage officiel des langues dans les communautés de la Côte atlantique du Nicaragua, les tribunaux sont tenus d'être bilingues :

Article 17

Les juges, magistrats, procureurs, secrétaires et autres fonctionnaires des tribunaux et des cours doivent utiliser en plus de l'espagnol également les langues officielles propres des parties. Si la situation le requiert, l'autorité judiciaire nomme des interprètes et des traducteurs dans ses instances distinctes pour se conformer à la présente loi. 

Cette disposition n'oblige pas les juges et autres magistrats à connaître la langue locale, puisque le recours à la traduction semble reconnue comme une pratique normale.

Suit le chapitre IV de la Loi sur l'usage officiel des langues dans les communautés de la Côte atlantique du Nicaragua est consacré à l'Administration publique. Il faut comprendre que les langues officielles ne le sont pas sur tout le territoire d'une région autonome, mais seulement dans les limites territoriales d'une ville, d'un village ou d'un hameau. Néanmoins, l'Administration est tenue de prendre en considération la langue officielle locale dans ses documents, réunions, organismes, etc.

Article 22

Les langues officielles des communautés de la Côte atlantique le sont aussi au sein des organismes de l'administration régionale, municipale et communale. Toute la documentation dérivée de leurs activités doit être rédigée dans les langues des communautés de la Côte atlantique et elle aura une valeur officielle.

En somme, les dispositions contenues dans cette loi sont, par comparaison avec celles des autres pays de l'Amérique latine, tout à fait exceptionnelles. On peut consulter une version bilingue (espagnol-français) de la la Loi sur l'usage officiel des langues dans les communautés de la Côte atlantique du Nicaragua en cliquant ICI, s.v.p.

Enfin, en matière de langue, le décret no 3584 du 9 juillet 2003, ou Règlement sur la loi no 28 du Statut d'autonomie dans les régions de la Côte atlantique du Nicaragua (Reglamento a la Ley no. 28 Estatuto de Autonomía de las Regiones de la Costa Atlántica de Nicaragua), n'ajoute rien à la législation déjà en vigueur.

- L’enseignement supérieur

L’enseignement supérieur dans les régions autonomes connaît les mêmes difficultés que pour la formation de tout professionnel, la pauvreté et la distance occasionnant de graves entraves à tout développement tant économique que culturel. Toutefois, depuis 1995, les régions autonomes se sont dotées d’une université propre: l’Universidad de las Regiones Autonomas de la Costa Caribe de Nicaragua (URACCAN) ou, en français, de l’Université des Régions autonomes de la Côte caraïbe du Nicaragua. 

On compte trois campus de cette université; ils sont situés à Bluefields, Bilwi et Siuna, avec des «extensions» à Laguna de Perlas, Nueva Guiena, Waspan, Bonanza et Rosita. L’URACCAN compte environ 4000 étudiants, mais environ 60 % d'entre eux ne paient pas de frais de scolarité, les autres ne payant que l'équivalent de 30 $ US par an. L’aide internationale contribue pour la quasi-totalité du budget. L'URACCAN compte également quatre instituts de recherche, soutient un réseau de stations radiophoniques et publie son propre périodique.

L’URACCAN se veut une université de type nouveau. Il s’agit d’une réalisation multi-ethnique dont le concept est de promouvoir et fortifier l'autonomie des régions caraïbes du Nicaragua, où vit la majorité des autochtones ceux du pays, les Miskitos, les Créoles, les Ramas et les Garifuna. L'objectif est d'offrir aux autochtones une instruction à la fois en langue maternelle et en espagnol au moyen de programmes qui rassemblent leur patrimoine historique, leur systèmes de valeurs, les traditions et les caractéristiques de leur environnement, le tout en conformité avec le système éducatif national. En somme, il s'agit de promouvoir l'étude, la promotion, le développement, la préservation et la diffusion des cultures traditionnelles des communautés de la côte atlantique, ainsi que de son patrimoine historique, artistique, linguistique et culturel.

5.3 L’application de la législation

Malgré les failles de la législation nationale, les autochtones ont su préserver l’essentiel de leur organisation politique traditionnelle et leur autonomie dans la gestion de leurs affaires. La plupart ont un conseil des anciens, un chef, un juge et des fonctionnaires, et toutes les personnes en poste sont élues par voie de consensus. Cependant, ces structures traditionnelles n’ont pratiquement rien à voir avec les structures de actuel État nicaraguayen, avec son gouvernement central fixé à Managua, ses pouvoirs régionaux de Puerto Cabezas et de Bluefields, ses municipalités, etc. Dans les deux régions autonomes, il n’existe pratiquement pas de pouvoirs publics, au sens où on l'entend à Managua. Ces communautés autochtones sont restés désespérément pauvres et plus de 80 % des gens vivent sous le seuil de la pauvreté. Un autochtone peut fort bien tomber malade et mourir sans jamais avoir pu consulter un médecin; il est inutile de parler des vétérinaires. Un paysan peut ramasser ses récoltes, mais il n’est pas dit qu’il pourra les vendre dans un marché. Si un enfant a la chance d’aller à l’école, il est presque assuré de ne pas avoir de manuels. Quant à recevoir tous ces services dans asa langue maternelle, c'est une autre histoire!

Selon les études gouvernementales, quelque 13 000 enfants bénéficieraient d'un enseignement bilingue et biculturel. Toutefois, dans certaines écoles, il arrive qu’on enseigne seulement en espagnol, dans d’autres, uniquement en langue autochtone (miskito ou créole anglais), le problème de la formation des enseignants demeure encore une incontournable difficulté. Quoi qu’il en soit, les programmes sont constamment remis en question aussitôt que se présente un nouveau gouvernement local. La plupart des enseignants, c’est-à-dire, 70 % du corps professoral, sont ce qu’on appelle des «enseignants empiriques». Il s’agit d’enseignants qui, non seulement ne détiennent pas de diplôme d’instituteur ou d’institutrice, mais ils n’ont comme formation que le certificat d’études primaires (six ans). Il est extrêmement difficile de former des professeurs dans les régions autonomes en raison de la grande pauvreté des gens. Comme il n’existe à peu près pas de routes, il faut se déplacer par bateau d’une ville à l’autre, ce qui rend presque impossible à tout autochtone de parfaire sa formation dans l’unique école normale de la côte est, laquelle se trouve à Bluefields. Ajoutons aussi que le gouvernement a fait de véritables efforts pour limiter la portée du programme d'éducation bilingue. Si certaines organisations internationales ne l'avaient autant soutenu, le gouvernement national l'aurait fait avorter. 

En ce qui a trait à l'administration gouvernementale, il est vrai que les langues locales sont utilisées dans certains villages, mais il faut, pour ce faire, que le fonctionnaire soit un autochtone, sinon c'est l'espagnol qui prévaut. Par contre, plusieurs documents administratifs bilingues sont disponibles, mais pas partout ni pour toutes les langues officielles. Théoriquement, le personnel du système judiciaire ainsi que les respon-sables de l'application des lois doivent être capables de comprendre les langues parlées pour toutes les parties impliquées. Cependant, il n'est pas facile de trouver du personnel bilingue et bien formé. C'est pourquoi il y a encore souvent des services non rendus dans les langues officielles locales.  Autrement dit, il y a parfois loin de la coupe aux lèvres, car ces droits peuvent être inutilisables en tout temps.

Si le Nicaragua n’a pas de politique pour l’espagnol, il en a une fort ambiguë pour les langues autochtones. Il s’agit en réalité d’un bilinguisme basé sur une application territoriale très localisée. L’espagnol a toujours droit de cité, mais d’autres langues qu’on ne nomme pas dans les textes juridiques peuvent également être officielles (en plus de l'espagnol). Justement, le problème, c’est de n’avoir pas mentionné ces langues, ce qui laisse place non seulement à l’espagnol, mais aussi à l’anglais. De plus, le gouvernement central de Managua n’a jamais donné les moyens aux deux régions autonomes d’appliquer leurs politiques, qu’elles soient économiques, sociales, scolaires, linguistiques, écologiques, etc. L'autonomie ne fonctionne pas très bien dans le cas du Nicaragua. Il semble bien que les sandinistes de 1987, qui ont accordé le statut d’autonomie à deux régions, l’aient fait par pure stratégie électorale. Il s’agissait de calmer les ardeurs indépendantistes des autochtones et leur donner juste assez de corde pour les faire taire, sans leur donner de réels pouvoirs.

N'oublions pas que le Nicaragua a une longue tradition centralisatrice et que les régions autonomes n'ont que peu de ressources financières et ne bénéficient d'aucun appui gouvernemental solide. Tous les acquis juridiques demeurent fragiles, y compris l'éducation bilingue. 

En Europe, beaucoup de minorités telles que les germanophones de Belgique ou du Val-d’Aoste, les suédophones de la province d’Åland (Finlande), les Sames dans les pays nordiques, etc., ne voudraient pas d’une telle autonomie. Les francophones du Québec se révolteraient, comme ils l’ont fait au XIXe siècle, lors de la révolte des Patriotes (1838-1839). Bref, la situation des autochtones paraît inacceptable en regard des normes occidentales. Les Nicaraguayens ont laissé croire dans les années quatre-vingt-dix que le Statut d’autonomie était une première mondiale en Amérique. Il suffirait de comparer le sort des autochtones des régions autonomes du Nicaragua à celui des Inuits du Nunavut (Canada) pour faire que les différences sont grandes, et qu’il y a loin de la coupe aux lèvres.

Finalement, beaucoup de politiciens nicaraguayens estiment que cette autonomie est factice et qu’il vaudrait mieux l’abolir. Un fonctionnaire employé au secrétariat à l’Éducation d’un des gouvernements régionaux du Nicaragua déclarait déjà au début des années quatre-vingt-dix: «Beaucoup souhaitent la tenue d'une session de l'Assemblée nationale pour supprimer l'autonomie. Ce serait la pire des erreurs politiques. Parce que, dans ce cas, ici, il y aura une guerre. Et pour l'indépendance, plus du tout pour l'autonomie.» Évidemment, les irréductibles Miskitos s’opposeront toujours à se faire «incorporés» dans l’État du Nicaragua, qui ne leur accorde d’aucun moyen pour les tirer de l’impasse. L’objectif du gouvernement national, c’est de tirer partie de la vache à lait que constituent les richesses naturelles de territoires autonomes, sans avoir à payer le prix fort, tout en apaisant les populations locales qui se contentent de travailler à faible salaire pour de riches compagnies multinationales. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’autonomie dont disposent les autochtones du Nicaragua n’est certainement pas un exemple à suivre en matière de droits humains. Néanmoins, il faut admettre que l'adoption de l'autonomie a permis aux habitants de quitter l'arène militaire pour l'arène politique. Il reste donc à relever le défi de construire cette  autonomie! 

Dernière mise à jour: 03 janv. 2024

Bibliographie

GAUTHIER, François, Jacques LECLERC et Jacques MAURAIS. Langues et constitutions, Montréal/Paris, Office de la langue française / Conseil international de la langue française, 1993, 131 p.

GILBERT, Louis. «Problématique des groupes ethniques et de l'autonomie au Nicaragua» dans La construction de l'anthropologie québécoise, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1995.

LÉGER. Marie. «La Côte atlantique du Nicaragua : une autonomie régionale» dans Des peuples enfin reconnus, Montréal, Les Éditions Écosociété, 1994, p. 79-111.

LEMOINE, Maurice. «L’autonomie perdue des Miskitos du Nicaragua» dans Le Monde diplomatique, septembre 1997.

MUÑIZ-ARGÜELLES, Luis. «Les politiques linguistiques des pays latino-américains», Colloque international La diversité culturelle et les politiques linguistiques dans le monde, Québec, Commission des états généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec, 24 et 25 mars 2001.

VARENNES, Fernand de. «Indigenous Peoples and Language» dans Murdoch University Electronic Journal of Law, vol. 2, no 1, avril 1995, Murdoch.

YACOUB, Joseph. «Les minorités en Amérique latine et aux Caraïbes» dans Les minorités dans le monde, Paris, Desclée de Brouwer, 1998, p. 781-805. 

 

 
L'Amérique du Sud et les Antilles
Accueil: aménagement linguistique dans le monde