Indonésie

(3) La politique linguistique

   République d'Indonésie

1 La Constitution de 1945

La politique linguistique indonésienne consiste à valoriser la langue officielle appelée "bahasa indonesia", ce qui signifie «langue indonésienne», et ignorer toutes les autres langues. Ce qui est fondamental dans cette politique, c'est que l'indonésien est la «langue de l'union», c'est-à-dire la langue permettant la communication entre tous les Indonésiens. L'opération semble avoir réussi, puisque la «langue indonésienne») est devenu la seule langue de la législation, de l'administration et de la justice, ainsi que pratiquement de tout l'enseignement, les médias, l'affichage, les affaires, etc. L'ensemble des documents juridiques concernant l'indonésien tient dans environ une seule page de texte, notamment dans le domaine scolaire et celui des médias électroniques (radiodiffusion).

Il n'existe que deux dispositions linguistiques dans la Constitution de l'Indonésie de 1945 (modifiée depuis à quatre reprises). Il s'agit des articles 32 et 36C, qui se lisent comme suit (traduit de l'indonésien):

Article 32

1)
L'État doit promouvoir
la culture nationale indonésienne parmi les civilisations du monde en garantissant la liberté de la société dans le maintien et le développement de ses valeurs culturelles.

2) L'État doit
respecter et préserver les langues régionales en tant que biens culturels nationaux.

Article 36

La langue nationale est l'indonésien.

Article 36A

L'emblème national est le "Garuda Pancasila" avec la devise «L'unité dans la diversité».

Article 36B

L'hymne national est l'"Indonesia Raya".

Article 36C

D'autres dispositions concernant le drapeau national,
la langue et l'emblème, ainsi que l'hymne national seront réglementés par la loi.

L'article 36 se lit comme suit en indonésien: "Bahasa Negara ialah Bahasa Indonesia." Mot à mot: la langue nationale ("bahasa negara") est la langue indonésienne ("bahasa indonesia"). Ces dispositions constitutionnelles portant sur la langue signifient que l'indonésien (désigné comme le "bahasa indonesia") est la langue qui a accédé au statut de «langue du pays» (officielle et/ou nationale), bien que les langues régionales aient en principe droit de cité dans la vie indonésienne. Cependant, ces dispositions paraissent ambiguës à plus d'un titre. En effet, les «langues régionales» ("bahasa daerah") ne sont pas définies et on ignore de quelles langues il s'agit. On peut se demander également ce que signifie la notion de «biens culturels nationaux» dans la population.

Le gouvernement indonésien a fini par adopter une loi linguistique en 2009, dont la préparation avait commencé en 2007. Cette tâche a été confiée au Pusat Bahasa ou Centre de promotion et de développement de la langue (plus précisément : ''Pusat Pembinaan dan Pengembangan Bahasa''). Le nom de la loi est la Loi n° 24 sur le drapeau, la langue, les symboles de l'État et l'hymne national. L'article 25 de cette loi est révélateur de l'importance de l'indonésien:

Article 25

1)
La
langue indonésienne a été déclarée comme langue officielle énoncée à l'article 36 de la Constitution de 1945 de l'État unitaire de la république d'Indonésie, en tant que langue de l'unité élaborée en date du 28 octobre 1928, conformément à la dynamique de civilisation de la nation.

2) La langue indonésienne visée au paragraphe 1 doit servir d'identité nationale, de fierté nationale, de moyen pour unifier les différents groupes ethniques, mais aussi un moyen communication interrégionale et interculturelle de toutes les régions.

3) L'indonésien comme langue officielle du pays visée au paragraphe 1 sert de langue officielle de l'État, d'introduction à l'éducation, de communication niveau national, de développement culturel national, de transactions et de documentation commerciales, ainsi que de moyens pour le développement et l'utilisation des connaissances de la science, de la technologie, des arts et des médias.

Cela signifie que la langue indonésienne doit être utilisée partout dans le pays.

En 2019, le président Joko Widodo a promulgué à Jakarta, le 30 septembre 2019, le Décret présidentiel sur l'emploi de la langue indonésienne. le premier article du décret distingue trois catégories de langues (officielle, locale et étrangère):

Pasal 1

Dalam Peraturan Presiden ini yang dimaksud dengan:

1. Bahasa Negara Kesatuan Republik Indonesia yang selanjutnya disebut Bahasa Indonesia adalah bahasa resmi nasional yang digunakan di seluruh wilayah Negara Kesatuan Republik Indonesia.

2. Bahasa Daerah adalah bahasa yang digunakan secara turun-temurun oleh warga negara Indonesia di daerah-daerah di wilayah Negara Kesatuan Republik Indonesia.

3. Bahasa Asing adalah bahasa selain Bahasa Indonesia dan Bahasa Daerah.
Article 1er

Dans le présent décret présidentiel, il est désigné comme suit :

1. La langue de l'État unitaire de la république d'Indonésie, ci-après dénommée «langue indonésienne», est la langue nationale officielle employée dans toutes les régions de l'État unitaire de la république d'Indonésie.

2. La langue locale est la langue employée comme héréditaire par le citoyen indonésien dans les régions de l'État unitaire de la république d'Indonésie.

3. La langue étrangère est la langue autre que la langue indonésienne et la langue locale.

Cet article 1er emploie l'expression "bahasa resmi nasional" pour désigner l'indonésien, les termes signifiant respectivement «langue» + «officielle»  + «nationale». La «langue locale» ("bahasa daerah") est celle employée comme héréditaire par le citoyen indonésien dans les régions, alors que la «langue étrangère» ("bahasa asing") est la langue autre que la langue indonésienne et la langue locale.

2 La langue officielle

L'État indonésien n'utilise que le "bahasa indonesia", la langue indonésienne. Il en est ainsi dans la législation, un domaine où l'unilinguisme règne en maître absolu, mais cette langue est également employée dans l'administration, les tribunaux, l'enseignement et les médias. Cependant, les lois peuvent être traduites en anglais, mais elles n'ont alors aucune valeur juridique. 

2.1 La langue des lois et règlements

Les articles 26, 27 et 28 de la Loi sur le drapeau, la langue, les symboles de l'État et l'hymne national (2009) imposent l'usage de l'indonésien dans la législation, les documents officiels de l'État, l'administration publique et les discours du président, du vice-président et des autres représentants de l'État, présentés ici ou à l'étrange:

Article 26

La langue indonésienne doit être utilisée dans la législation.

Article 27

L'indonésien doit être utilisé dans les documents officiels de l'État.

Article 28

La langue indonésienne doit être utilisée dans les discours officiels du président, du vice-président et des autres représentants de l'État, présentés ici ou à l'étranger.

L'article 3 du Décret présidentiel n° 63 sur l'emploi de la langue indonésienne (2019) précise aussi que l'emploi de l'indonésien concerne la formation des mots, la structure de la phrase, la technique d'écriture et l'orthographe:

Article 3

Lois et règlements

1) La langue indonésienne doit être employée dans les lois et règlements.

2) L'emploi de la langue indonésienne dans les lois et règlements visés au paragraphe 1) comprend :

a. la formation des mots;
b. la structure de la phrase;
c. la technique d'écriture; et
d. l'orthographe.

3)  La langue indonésienne employée dans les lois et règlements visés aux paragraphes 1) et 2) a son propre modèle qui se caractérise par la clarté ou la certitude de la compréhension, la simplicité, la normalisation, l'harmonie et l'observance à ces principes, conformément aux exigences légales, à la fois dans les méthodes de formulation et d'écriture.

4) La procédure d'usage de la langue indonésienne dans les lois et règlements visés au paragraphe 3) doit être conforme aux dispositions sur les lois et les règlements.

Bref, il ne suffit pas d'employer la langue indonésienne, il faut aussi qu'elle corresponde à son propre modèle de clarté, de simplicité, d'harmonie, etc.

Le Décret présidentiel n° 63 consacre plusieurs articles concernant les discours officiels:

Article 5

La langue indonésienne doit être employée dans les discours officiels du président, du vice-président et de tout autre fonctionnaire de l'État prononcés à l'intérieur ou à l'extérieur du pays.

L'article 6 précise quels sont les autres fonctions touchées par cette exigence: les membres de la Chambre des représentants, les membres du Conseil des représentants régionaux, le juge en chef de la Cour suprême, les membres de la Cour constitutionnelle, les membres de la Commission d'audit et ceux de la Commission judiciaire, ainsi que les membres de la Commission d'éradication de la corruption, les ministres, les ambassadeurs, les gouverneurs et leurs adjoints, les maires et tout autre fonctionnaire de l'État.

De plus, les discours officiels prononcés à l'étranger doivent être en indonésien et, dans certaines occasions, être suivis d'une traduction dans une autre langue. Ce peut être le cas dans des forums internationaux, aux Nations unies ou dans un État destinataire. L'article 21 prévoit notamment l'emploi des langues officielles de l'Organisation des Nations unies composées de l'anglais, du français, du chinois, du russe, de l'espagnol et de l'arabe, ainsi que d'autres langues conformément aux normes internationales et au droit international coutumier.

2.2 La langue des tribunaux

En général, les tribunaux indonésiens sont divisés en trois niveaux :

1. les tribunaux de district ou le tribunal de première instance de chaque circonscription régionale;
2. les Hautes Cours ou cour d'appel de chaque province:
3. la Cour suprême au niveau national en tant que cour d'appel de dernier ressort et la plus haute institution judiciaire.

Le Code civil de 1927 ne prévoyait pas grand-chose, hormis le fait qu'il fallait comprendre la langue dans laquelle était rédigé un testament:

Article 944 (modifié par S.32-42)

Les témoins présents au moment de la rédaction des dernières volontés doivent être d'âge majeur et résider en Indonésie. Ils doivent comprendre la langue dans laquelle le testament a été rédigé, ou la langue de l'acte de souscription ou de garde (modifié par S.17-497). Ni les héritiers, les légataires, ni leurs consanguins ou alliés jusqu'au quatrième degré inclus, ni leurs enfants ou petits-enfants, ni leurs consanguins au même degré, ni les adjoints du notaire devant qui le testament a été dressé sont admis à être témoins d'un testament passé sous la forme d'un acte officiel.

 Le Code pénal de 1982 est tout aussi inopérant en ce qui a trait à l'emploi des langues:

Article 115

Toute personne qui, en totalité ou en partie, examine ou prend connaissance de documents secrets d'objets visés à l'article 113, dont elle sait ou doit raisonnablement soupçonner qu'ils ne sont pas destinés à être connus d'elle, ou fait ou fait faire des copies ou des extraits, dans un alphabet ou une langue, d'estampes, de portraits ou d'imitations, ou qui ne remettra pas lesdits documents ou objets à un officier de justice ou de police ou de l'administration locale s'il en prend possession, sera passible d'une peine d'emprisonnement maximum de trois ans.

On peut se rabattre sur l'article 34 de la Loi sur le drapeau, la langue, les symboles de l'État et l'hymne national qui prescrit que la langue indonésienne doit être utilisée dans tous les rapports des institutions ou des individus avec un organisme gouvernemental:
 

Article 34

La langue indonésienne doit être utilisée dans tous les rapports des institutions ou des individus avec un organisme gouvernemental.

On peut considérer que les tribunaux font partie des organismes gouvernementaux.

Cependant, la Loi n° 30 sur l'arbitrage et la résolution extrajudiciaire des litiges (1999) est beaucoup plus explicite, car elle impose l'indonésien comme langue d'usage ou, à défaut, l'aide d'un traducteur afin que la langue officielle soit employée: 

Article 28

La langue employée dans toute procédure d'arbitrage doit être l'indonésien, sauf que les parties peuvent choisir une autre langue, sous réserve du consentement de l'arbitre ou du tribunal arbitral.

Article 35

L'arbitre ou le tribunal arbitral peut ordonner qu'un document ou une preuve soit accompagné d'une traduction dans la langue indiquée par l'arbitre ou le tribunal arbitral.

Article 67

1) La demande d'exécution de la sentence arbitrale internationale doit être faite après que la sentence aie été soumise et enregistrée par l'arbitre ou ses mandataires auprès du greffier du tribunal de district central de Jakarta.

2) Le dépôt de la demande d'exécution visée à l'alinéa 1) doit être accompagné :

a. de l'original ou d'une copie authentique de la sentence arbitrale internationale, conformément aux dispositions relatives à l'authentification des documents étrangers et la traduction officielle en langue indonésienne;

b. du document original ou d'une copie authentique de l'entente qui constitue la base de la sentence arbitrale internationale conformément aux dispositions relatives à l'authentification des documents étrangers, e
t la traduction officielle du texte en langue indonésienne;

La Loi sur le Code de procédure pénale (1981) est très claire à ce sujet. L'article 51 énonce que le justiciable doit être informé dans une langue qu'il comprend des motifs de son arrestation. Si le justiciable ne comprend pas la langue indonésienne, le tribunal doit désigner un interprète (art. 177):

Article 51

Afin de préparer sa défense :

a. le justiciable a le droit d'être clairement informé, dans une langue qu'il comprend, de ce dont il est soupçonné au moment où commence l'examen ;

b. l'accusé doit avoir le droit d'être clairement informé
dans un langage qu'il comprend de ce dont il est accusé.

Article 153

1) Au jour déterminé, conformément à l'article 152, le tribunal tient le procès.

2) a. Le président du tribunal dirige l'interrogatoire lors du procès qui se déroule oralement dans la langue indonésienne comprise par l'accusé et le témoin.

   b. Il est tenu de veiller à ce que rien ne soit fait ou qu'aucune question ne soit posée qui amènerait l'accusé ou le témoin à donner involontairement une réponse .

Article 177

1)
Si l'accusé ou un témoin
ne comprend pas la langue indonésienne, le juge présidant le tribunal doit désigner un interprète qui, sous serment ou sous affirmation solennelle, traduira fidèlement et fidèlement tout ce qui doit être traduit.

2) Lorsqu'une personne n'est pas autorisée à servir de témoin dans une affaire, elle ne sera pas non plus autorisée à servir d'interprète dans cette cause.

En 1847, le Règlement sur la procédure civile prévoyait déjà l'assistance d'un interprète si c'était nécessaire:

Article 33

1) Si, au cours de l'interrogatoire, l'assistance d'un interprète est nécessaire, alors par les parties ou s'il y a entente sur le choix, un interprète est désigné par le président. Si la personne choisie n'est pas quelqu'un qui a été désigné par le gouvernement comme interprète assermenté, celle-ci doit prêter serment avant d'exercer ses fonctions précédant l'audience devant le président en affirmant qu'elle est un(e) interprète qui exercera les devoirs qui lui incombent avec soin et selon sa conscience.

2) Si un interprète est nécessaire dans une cause qui doit être effectuée par un juge, un commissaire ou par un fonctionnaire autorisé, l'autorité du président est transférée au juge-commissaire ou au fonctionnaire.

De plus, l'article 29 de la Loi n° 24 sur la Cour constitutionnelle (2003) prescrit l'usage de l'indonésien:

Article 29

1) Toute requête doit être présentée par écrit en langue indonésienne par le requérant ou son mandataire à la Cour constitutionnelle.

2) La requête visée au paragraphe 1) doit être signée par le requérant ou son mandataire en 12 exemplaires.

Enfin, comme c'est souvent le cas en matière judiciaire, l'article 43 de la Loi sur la fonction de notaire (2004) oblige ce dernier à employer l'indonésien ou de faire traduire ses actes dans une langue comprise par les comparants:

Article 43

1) Les actes doivent être rédigés en indonésien.

2) Dans le cas où le comparant ne comprend pas la langue employée dans un acte, le notaire est tenu de traduire ou d'expliquer le contenu de l'acte dans une langue comprise par le comparant.

3) Si le notaire n'est pas en mesure de le traduire ou de l'expliquer, l'acte doit être traduit ou expliqué par un traducteur officiel.

4) L'acte peut être rédigé dans une autre langue comprise par le notaire et le témoin si l'intéressé le souhaite, à la condition que la loi n'en dispose pas autrement.

5) Dans le cas où l'acte est fait comme indiqué au paragraphe 4), le notaire est tenu de le traduire en indonésien.

En somme, tous les procès doivent se dérouler en indonésien et, lorsque c'est nécessaire, la cour fait appel à des traducteurs. Les cours de justice ne peuvent recourir qu'à l'indonésien, mais des services d'interprétariat sont possibles lorsqu'on ne peut pas faire autrement avec un justiciable ne parlant pas la langue nationale. Dans certains cas, juges, juristes ou rédacteurs de loi peuvent se référer à de vieilles lois en néerlandais du temps de la colonisation hollandaise afin de les aider dans leur travail. 

2.3 La langue de l'administration publique

Le gouvernement indonésien semble confronté à des problèmes importants pour se transformer en une administration efficace, notamment dans les relations entre les responsables politiques et les responsables de carrière, les relations entre le gouvernement central et les administrations locales, la fragmentation des pouvoirs institutionnels, la mise en œuvre de la bureaucratie, les imprécisions concernant la mauvaise qualité de la réglementation, le partenariat public-privé, etc.

- La décentralisation

La loi n° 32 de 2004 concernant le gouvernement régional ("Undang-Undang Nomor 32 Tahun 2004 tentang Pemerintahan Daerah" énonce que la république d’Indonésie est divisée en régions consistant en provinces (au nombre de 34), en département ("kabupaten") et en villes ("kota"). Chacune de ces unités bénéficie de son administration régionale, constituée par le chef de l'Exécutif régional et l'Assemblée régionale. En fait, la législation reconnaît les régions, définies comme étant des «provinces» subdivisées en "kabupaten" et en villes des "kota", lesquelles ont une pleine autonomie pour «gouverner et administrer les intérêts de la population locale», bien sûr dans le cadre de l'État unitaire de la république d’Indonésie. De plus, les villages ("desa") ont également autorité pour gouverner et administrer la population selon la coutume locale ("adat"). La loi définit les différentes divisions administratives de l'Indonésie, énonçant les provinces ("provinsi") sont les unités principales. En réalité, ce sont les "kabupaten" (ou départements) et les "kota" (villes) qui acquièrent l'autonomie administrative.

- La juridiction provinciale

Les domaines relevant de la juridiction du gouvernement central sont les suivants: la politique étrangère, la défense, la sécurité, la justice, la monnaie et la fiscalité, la religion. Quant à l'autonomie régionale, elle est définie (art. 1er, paragr. 6) comme étant «le droit, l’autorité et l’obligation pour une région autonome de régler et de gérer elle-même les affaires de gouvernement et les intérêts de la population locale selon sa propre initiative sur la base des aspirations de la population dans le système de l’État unitaire de la république d’Indonésie». Les domaines de juridiction des régions sont les suivantes: le développement régional, l’aménagement du territoire, le maintien de l’ordre et la tranquillité publics, la mise en place d’équipements et d’infrastructures publics, la santé, l'éducation, les affaires sociales, les emplois, l'environnement, les taxes foncières, les questions démographiques et l'état civil, etc.

- Les questions linguistiques

Les questions linguistiques relèvent autant du gouvernement central que des provinces, des départements ou des villes, sauf que la législation indonésienne prévaut sur n'importe quel règlement des autres paliers administratifs. Or, l'article 30 de la Loi sur le drapeau, la langue, les symboles de l'État et l'hymne national (2009) impose la langue indonésienne dans tous les services de l'administration publique:

Article 30

La
langue indonésienne doit être utilisée dans les services de l'administration publique des agences gouvernementales.

Le Décret présidentiel n° 63 sur l'emploi de la langue indonésienne (2019) énonce que les documents officiels de l'État doivent être rédigés dans la langue indonésienne:

Article 4

Documents officiels de l'État

1) La langue indonésienne doit être employée dans les documents officiels de l'État.

2) Les documents officiels de l'État visés au paragraphe 1) comprennent au minimum les lettres de décision, les titres, les certificats de diplôme, les lettres de remarque, les lettres d'identité, les actes de vente et d'achat, les lettres d'entente et les décisions de justice.

3) Les lettres d'entente visées au paragraphe 2) ne doivent pas être des accords internationaux.

4) Les documents officiels de l'État visés au paragraphe 2), qui s'appliquent au niveau international, peuvent être accompagnés d'une langue étrangère conformément aux dispositions des lois et règlements.

5) La langue étrangère visée au paragraphe 4) doit être employée sans réduire l'authenticité des documents officiels de l'État.

6) En cas de divergence d'interprétation d'un document accompagné d'une langue étrangère tel que visé au paragraphe 4), le document en indonésien sera la référence principale.

La loi prévoit des exceptions, notamment en ce qui concerne les accords internationaux.

L'article 25 du Décret présidentiel n° 63 précise néanmoins qu'il est possible, pour faciliter la compréhension du public, d'employer des langues régionales et/ou des langues étrangères comme équivalents ou des traductions en indonésien:

Article 25

Service de l'administration publique dans les agences gouvernementales

1) La langue indonésienne doit être employée dans les services de l'administration publique des institutions gouvernementales.

2) La langue indonésienne dans les services de l'administration publique des agences gouvernementales visées au paragraphe 1) est au moins employée:

a. dans la communication entre prestataires et bénéficiaires de services publics;
b.
dans les instances de service public;
c.
dans les déclarations de service;
d. d
ans les systèmes d'information sur les services
.

3) Dans le cas où il est nécessaire de faciliter la compréhension du public recevant des services publics, les services de l'administration publique des agences gouvernementales peuvent employer des langues régionales et/ou des langues étrangères comme équivalents ou des traductions en indonésien.

4) En cas de divergence d'interprétation de l'équivalent ou de la traduction visée au paragraphe 3), l'usage de la langue indonésienne sera la référence principale.

L'article 28 du même décret précise bien que l'emploi de l'indonésien concerne les communications écrites et orales (pargr. 3):

Article 28

Communication officielle dans l'environnement de travail du gouvernement et des institutions privées

1) La langue indonésienne doit être employée dans la communication officielle dans l'environnement de travail des institutions publiques et privées.

2) La communication officielle visée au paragraphe 1) est la communication entre les employés, entre les institutions et entre les agences et la société liée aux obligations et aux fonctions des institutions gouvernementales et privées.

3) La communication officielle telle que visée au paragraphe 1) est effectuée à l'oral et/ou à l'écrit.

4) La communication officielle effectuée à l'oral et/ou à l'écrit, telle que visée au paragraphe 3), peut employer des médias électroniques.

Dans les faits, les services administratifs ne sont offerts en principe qu'en indonésien, du moins en ce qui à trait à la documentation écrite. Cependant, dans les bureaux régionaux et les municipalités, les communications orales peuvent se faire dans une langue locale si le fonctionnaire la connaît. Autrement dit, nul n'est tenu de connaître une autre langue que la langue officielle, mais rien n'interdit d'employer une langue locale avec l'accord de toutes les parties.

2.4 Les langues de l'affichage et de la toponymie

L'article 36 de la Loi sur le drapeau, la langue, les symboles de l'État et l'hymne national oblige d'indiquer en indonésien les dénominations des bâtiments, des routes, des établissements, des complexes commerciaux, des établissements d'enseignement, etc.:

Article 36

1)
La
langue indonésienne doit être utilisée dans les noms géographiques en Indonésie.

2) Les dénominations géographiques visées au paragraphe précédent ne peuvent avoir qu'
un nom officiel.

3) La l
angue indonésienne doit être utilisée pour le nom des bâtiments, des routes, des appartements ou des établissements, des bureaux, des complexes commerciaux, des marques de commerce, des entités commerciales, des établissements d'enseignement, des organismes établis ou détenus par des citoyens indonésiens ou des personnes morales indonésiennes.

4) Les dénominations visées au paragraphe 1 et au paragraphe 3 peuvent employer des langues régionales ou étrangères si elles ont une valeur historique, culturelle, traditionnelle et/ou religieuse.

L'article 38 de la même loi  Loi sur le drapeau, la langue, les symboles de l'État et l'hymne national traite des enseignes publiques, des panneaux de signalisation, des installations publiques, des banderoles et des autres outils d'information qui constituent des services publics:

Article 38

1)
La langue indonésienne doit être utilisée dans les enseignes publiques, les panneaux de signalisation, les installations publiques, les banderoles et autres outils d'information qui constituent des services publics.

2) L'emploi de la langue indonésienne tel qu'il est prévu au paragraphe précédent peut être accompagné d'une langue régionale et/ou d'une langue étrangère.

Le Décret présidentiel n° 63 de 2019 reprend les mêmes dispositions en apportant plus de précisions:

Article 32

Dénominations géographiques, bâtiments ou immeubles, routes, etc.

1) La langue indonésienne doit être  employée dans les noms géographiques en Indonésie.

2) La langue indonésienne visée au paragraphe 1) doit être employée pour désigner de nouvelles zones géographiques et/ou pour modifier d'anciens noms géographiques.

3) Le nom géographique tel que visé au paragraphe 1) n'a qu'un seul nom officiel.

Article 33

1) La langue indonésienne doit être employée dans les noms des bâtiments ou des immeubles, des appartements ou des résidences, des bureaux et des complexes commerciaux établis ou détenus par des citoyens indonésiens ou des personnes morales indonésiennes.

Article 34

1) La langue indonésienne doit être employée dans les noms de rue.

2) les rues visées au paragraphe 1) comprennent ce qui suit:

a. une route nationale;
b. une route provinciale;
c. une rue de quartier ;
d. une rue d'une ville;
e. une rue d'un village;
F. une route à péage;
g. une autoroute; et
h. tout chemin particulier.

3) Dans le cas où une rue ou une route a une valeur historique, culturelle, coutumière et/ou religieuse, le nom peut être désigné avec une langue locale ou une langue étrangère.

4) L'emploi d'une langue locale ou d'une langue étrangère visé au paragraphe 3) doit s'écrire avec des lettres latines.

5) L'emploi d'une langue locale telle que mentionnée au paragraphe 4) peut être accompagné par des lettres locales.


L'article 40 du même décret inclut aussi les enseignes publiques, les panneaux routiers, etc.:
 
Article 40

Enseignes publiques, panneaux routiers, installations publiques, bannières, et autres outils d'information

1) La langue indonésienne doit être employée dans les enseignes publiques, les panneaux de signalisation, les installations publiques, les bannières et autres outils d'information qui constituent un service public.

2) Les autres informations visées au paragraphe 1) peuvent prendre la forme d'écrits ou d'images affichées et/ou sonores entendues dans les lieux publics.

3) Les textes, images et/ou sons visés au paragraphe 2) peuvent être accompagnés d'une langue régionale et/ou d'une langue étrangère comme équivalent.

4) Dans le cas où cela est nécessaire pour des activités religieuses, coutumières ou artistiques, une langue régionale ou une langue étrangère peut être employée pour des informations de service public en incluant l'indonésien comme partie intégrante.

En consultant la figure ci-dessous, on peut constater que la langue indonésienne est bien représentée dans ces inscriptions: Tut Wuri Handayani / Kemendikbud («ministère de l'Éducation, de la Cutrue et de la Recherche»), Presiden («président»), Bea cukai («douane»), Zona dampak langsung tsunami («Zone d'impact direct du tsunami»), Parkir tamu («Parking réservé aux clients»), Puri Indah Mall («Centre commercial Puri Indah»), Apotek (pharmacie), Kımıa Apotek (pharmacie Kimia), Kecombrang (nom d'une fleur: rose de porcelaine), Pasar Makassar Mall (Marché du centre commercial Makassar), Dilarang parkir didepan pintu («Stationnement interdit devant la porte»), etc. Il ne faut pas oublier que la langue indonésienne a emprunté beaucoup de mots aux langues européennes, notamment au néerlandais et à l'anglais, d'où des mots tels Republik Indonesia, Universitas, Bank, Hotel, Mall, Hypermarket, etc. Dans certains cas, les mots sont intentionnellement en anglais: International Airport, Central Park, Toilet, Fresh Gallery, Happier Life in Indonesia. 

Bref, le gouvernement a entrepris une politique visant à imposer partout la langue indonésienne, dont l'objectif est notamment d'éliminer l'anglais ou du moins le réduire. Cependant, l'industrie du tourisme contribue à répandre la langue anglaise dans le pays. De fait, cette langue est l'une des clés pour optimiser le succès de l'industrie du tourisme, car elle peut attirer les touristes étrangers. Par exemple, l'anglais paraît indispensable pour rédiger des informations destinés aux touristes, que ce soit pour les directions, les attractions touristiques, les conseils sur la réglementation, les guides touristiques, etc.

2.5 Les services publics

Il s'agit ici des services publics offerts par les entreprises commerciales, culturelles, sociales, etc., c'est-à-dire dès que le public est concerné. Ainsi, l'article 8 de la Loi n° 8 sur la protection des consommateurs (1999) interdit de vendre des produits qui ne tiennent pas compte de l'obligation d'employer la langue indonésienne:

Article 8

1) Il est interdit aux acteurs économiques de produire et/ou de commercialiser des biens et/ou des services qui :

j. ne comprennent pas d'informations et/ou d'instructions concernant l'usage des biens en langue indonésienne, conformément aux dispositions de la législation applicable.

Cependant, le Décret présidentiel n° 63 de 2019 apporte beaucoup plus de précision concernant les produits (paragr. 3):

Article 39

Informations concernant les produits ou services

1) La langue indonésienne doit être  employée dans les informations concernant les produits ou services disponibles à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Indonésie.

2)  L'obligation d'inclure des informations sur les biens ou les services visés au paragraphe 1) est exercée par les acteurs commerciaux qui produisent ou importent des biens à des fins commerciales.

3) Les informations concernant les produits des marchandises visées au paragraphe 1) comprennent au moins :

a. le nom de la marchandise ;
b. les caractéristiques;
c. les ingrédients et la composition;
d. le mode d'emploi ;
e. les instructions d'installation;
f. les avantages et les applications ;
g. les effets secondaires;
h. la taille;
i. le poids ou le poids net ;
j. la date de fabrication;
k. la date d'expiration;
l. l'impact sur le produit ; et
m. le nom et l'adresse de l'homme d'affaires.

4) Les informations concernant le produit des marchandises visées au paragraphe 3) doivent s'écrire avec des lettres latines.

5) Les informations visées au paragraphe 1) peuvent être accompagnées d'une langue locale ou d'une langue étrangère en fonction de la nécessité.

3 L'enseignement bilingue

Dès 1954, d’après un document publié en 1959 par le service d’information du ministère de l’Éducation, de l’Enseignement, et de la Culture, la loi n° 12/1954 prévoyait des mesures concernant la langue de communication dans toutes les écoles de l'Indonésie. En vertu de l'article 5 de cette loi, l'indonésien doit être utilisé comme «langue de communication dans toutes les écoles de la république d’Indonésie», mais les langues régionales sont autorisées à la maternelle et dans les trois premières années du primaire:

Article 5

1) L’indonésien est, en tant que langue de l’unité, la langue de communication dans toutes les écoles de la république d’Indonésie.

2) Dans les jardins d’enfants et les trois premiers niveaux des écoles primaires, les langues régionales peuvent être utilisées comme langue de communication. 

Éclaircissements

«Afin que les jeunes enfants obtiennent les meilleurs résultats possible, l’indonésien est utilisé dès le premier niveau comme langue de communication dans les régions dont la langue diffère peu de l’indonésien, comme, par exemple, le pays Minangkabau et Jakarta.»

En Indonésie, les écoles sont gérées soit par le gouvernement ("negeri"), soit par le secteur privé ("swasta"). Certaines écoles privées se désignent elles-mêmes comme des « écoles nationales plus », ce qui signifie que leur programme d’études dépasse les exigences fixées par le ministère de l’Éducation, en particulier avec l’utilisation de l’anglais comme moyen d’enseignement ou avec un programme international au lieu du programme national. En Indonésie, il y a environ 170 000 écoles primaires, 40 000 écoles secondaires de premier cycle et 26 000 lycées. Plus de 80% de ces écoles relèvent du ministère de l’Éducation et de la Culture et les 16 % restants du ministère des Affaires religieuses.

La loi Loi n° 2 sur le système éducatif national (1989) énonce les principes de base du système d'éducation national à être mis en œuvre pour tous les citoyens. Selon la loi n° 2/1989 et le Règlement n° 28/1990, l'éducation de base est un programme d'éducation général pour une durée de neuf ans, ce qui implique six ans d'enseignement primaire (32 millions d'élèves) et trois ans d'enseignement secondaire (19 millions d'élèves). Le programme d'éducation obligatoire de neuf ans est basé sur les caractéristiques particulières suivantes : (a) une approche persuasive; (b) la responsabilité morale de parents et des élèves pour que ces derniers se sentent obligés de fréquenter l'école; (c) des règlements qui ne reposent pas sur l'école obligatoire; et (d) le recours à des mesures qui visent un taux de fréquentation de plus en plus élevé dans les écoles. Voici à ce sujet une traduction des articles 41 et 42 de la loi n° 2/1989:

Article 41

La langue de communication dans l'éducation nationale est l'indonésien.

Article 42

1) Les langues régionales peuvent être employées comme langue de communication dans la première étape de l'éducation et dans la mesure où elles sont nécessaires à l'enseignement de connaissances et de savoir-faire particuliers.

2) Les langues étrangères peuvent être employées comme langue de communication dans la mesure où elles sont nécessaires à l'enseignement de connaissances et/ou de savoir-faire particuliers.

Cependant, la loi n° 2/1989, qui réglementait l'éducation indonésienne, a été remplacée par la loi n° 20/2003 relative au système d'éducation nationale. Voici l'article 33 concernant la «langue de communication»:

Article 33

1) L'indonésien est, en tant que langue de l'État, la langue de communication dans l'éducation nationale.

2) Les langues régionales peuvent être employées comme langue de communication dans la première étape de l'éducation si elles sont nécessaires à l'enseignement de connaissances et/ou de savoir-faire particuliers.

3) Les langues étrangères peuvent être employées comme langue de communication dans certaines unités d'éducation, afin de stimuler les compétences en langues étrangères des apprenants.

Article 37

1) Le curriculum de l'enseignement primaire et secondaire doit contenir des cours :

a. d'éducation religieuse;
b. d'éducation civique;
c. de langue;
d. de mathématiques;
e. de sciences naturelles;
f. de science sociale;
g. d'art et de culture;
h. d'éducation physique et de sports;
i. de compétences/professionnelles ; et
j. de contenu local.

Cette loi de 2003 a été renforcée par l'article 29 de la Loi n° 24 sur le drapeau, la langue, les symboles de l'État et l'hymne national prescrit bel et bien l'emploi de l'indonésien dans les établissements d'enseignement:

Article 29

1) La langue indonésienne doit être utilisée comme langue d'enseignement dans l'éducation nationale.

2) La langue d'enseignement visée au paragraphe 1 peut utiliser une langue étrangère à des fins qui favorisent la capacité des apprenants dans les langues étrangères.

3) L'emploi de la langue indonésienne visée au paragraphe 1 ne s'applique pas à une unité d'enseignement étrangère ou à une unité d'enseignement spécial qui forme des étrangers.  

Finalement, l'article 23 du Décret présidentiel n° 63 sur l'emploi de la langue indonésienne (2019)
 

Article 23

Langue d'enseignement dans l'éducation nationale

1) La langue indonésienne doit être employée comme langue d'enseignement dans l'éducation nationale.

2) Langue indonésienne en tant que langue d'enseignement dans l'éducation nationale visée au paragraphe 1) est employée à tous les niveaux de l'enseignement.

3) En plus de l'indonésien visé au paragraphe 1), les langues régionales peuvent être employées comme langue d'enseignement dans les écoles primaires, les écoles islamiques ou d'autres formes équivalentes dans les première et deuxième années pour soutenir le processus d'apprentissage.

4) En plus de l'indonésien visé au paragraphe 1), une langue étrangère peut être employée comme langue d'enseignement pour renforcer les compétences en langues étrangères des élèves.

En Indonésie, les locuteurs sont confrontés à la présence des nombreuses langues indonésiennes régionales et aux langues étrangères. Habituellement, l'enfant sera d'abord exposé à sa langue maternelle, celle qu'un enfant connaît par l'intermédiaire de sa mère. En Indonésie, la langue maternelle peut être une langue régionale indonésienne, car le pays compte plus de 700 langues régionales, ou elle peut être l'indonésien, la langue officielle. Pour les enfants élevés dans les grandes villes, leur langue maternelle est plus probablement l'indonésien. Pour un enfant né à l'étranger ou si l'un de ses parents, notamment sa mère, est étranger, la langue maternelle de l'enfant est une langue étrangère, selon le lieu de sa naissance ou la langue de l'un de ses parents.

Par conséquent, les aptitudes linguistiques des enfants varient énormément. Un enfant peut être unilingue (une langue régionale, la langue officielle ou une langue étrangère), bilingue ou un polyglotte (maîtrisant plus de deux langues). Un enfant élevé dans une zone urbaine, associé à des parents instruits, pourra parler la langue indonésienne et éventuellement une langue étrangère, souvent l'anglais. Un enfant élevé dans une zone suburbaine, peut-être avec des parents instruits, peut être capable ou non de parler la langue locale et de parler indonésien. Un enfant élevé dans une zone rurale et, peut-être éloignée, ne peut parler qu'une langue régionale.

- L'enseignement de l'indonésien

Quoi qu'il en soit, toutes les écoles, de la maternelle jusqu'à l'université emploient l'indonésien comme langue d'enseignement. Dans la pratique, les enfants sont considérés comme ayant des compétences linguistiques de base en indonésien avant de commencer l'école. L'enseignement de la langue est donné en partant du principe que les enfants savent déjà prononcer des mots et comprennent le sens des mots en indonésien. L'intonation est également considérée comme maîtrisée et ignore le fait que la prononciation et l'intonation des langues locales sont différentes de l'indonésien officiel. En réalité, ce n'est pas toujours aussi facile, puisque l'enseignement de la langue indonésienne est considéré comme si c'était la langue maternelle de tous les enfants.

Toutes les matières sont enseignées dans la langue officielle. Il n'est pas rare que l'indonésien soit la langue d'enseignement lorsqu'une langue locale est enseignée comme matière d'étude dans les zones urbaines où la langue locale est incluse dans le contenu local du curriculum. Tous les supports d'enseignement et d'apprentissage sont rédigés en indonésien, mais les matériaux peuvent être communiqués oralement au moyen des langues locales lorsque cela apparaît nécessaire. Les obstacles pour que les langues locales deviennent un moyen d'enseignement écrit sont liés à des problèmes linguistiques avec les langues.

Comme l'indonésien est de toute façon obligatoire comme langue d'enseignement à partir du second cycle du primaire, il existe un très fort taux de bilinguisme chez les jeunes Indonésiens. Il est même extrêmement rare de rencontrer un jeune de 15 ans unilingue dans sa langue locale : on estime qu'au moins 90 % des jeunes sont bilingues (indonésien-langue locale). Étant donné que l'indonésien est devenu la langue véhiculaire entre toutes les ethnies du pays, en plus d'être celle de l'État et de l'administration, les langues locales subissent forcément le contrecoup de cette dominance linguistique. Dans les grandes villes, beaucoup de jeunes ignorent maintenant la langue de leurs parents.  Et, parmi ceux qui la parlent encore, leur langue maternelle est truffée d'emprunts et d'influences tant grammaticales que syntaxiques.

- L'enseignement des langues régionales

C'est en 2004 que le "Kurikulum Berbasis Kompetensi" («Programme basé sur les compétences») a rendu l'étude des langues locales obligatoire au niveau secondaire du premier cycle. Des langues telles que le soundanais et le javanais sont devenues des matières de base dans le programme. Cet enseignement a été élargi en 2006 avec l'introduction d'un autre programme, le "Kurikulum Tingkat Satuan Pendidikan" («Programme d'études au niveau de l'unité d'enseignement») qui exigeait que les langues locales soient enseignées en tant que «matière à contenu local» à tous les niveaux de la scolarité. Dans le cadre de ce programme, le soundanais devenait une matière obligatoire de la maternelle au lycée dans toutes les écoles publiques et islamiques de l'ouest de Java.

Des modifications furent apportées au programme afin d'élaborer des méthodes d'enseignement et d'évaluation adaptées au soundanais. Cette langue locale a donc considérablement gagné en légitimité et a été intégrée dans l'enseignement ordinaire. Une initiative similaire, bien que plus réduite, a eu lieu à Bali et dans un petit nombre de langues locales, lesquelles ont acquis un statut dans le programme formel des écoles ces dernières années. La plupart des langues locales, cependant, restent dans une situation marginale. Des spécialistes ont suggéré que l'exigence de contenu local sert bien souvent à promouvoir la diffusion de l'anglais au détriment des langues locales, en raison de la demande de la communauté, des employeurs et des gouvernements.

La plupart des quelque 700 langues régionales sont ignorées dans ce système, mais quelques-unes d'entre elles sont enseignées dans les trois premières années du primaire. Cependant, il ne semble pas exister de liste officielle énonçant les langues régionales possiblement enseignées. On peut présumer qu'il s'agit généralement du javanais, du soundanais, du madourais, du minangkabau, du balinais, de l'acihais, du bugis, du makassar et du batak (et ses nombreuses variétés). Autrement dit, les langues régionales peuvent être utilisées sur une base temporaire pour mieux enseigner l'indonésien. C'est là le principe de l'éducation bilingue utilisée aux États-Unis.

Néanmoins, l'usage des langues locales au début du primaire est une pratique qui tend aujourd'hui à disparaître. La politique indonésienne d'enseignement concernant les langues locales et régionales à enseigner comme matière d'enseignement n'a pas pu être bien mise en œuvre. L'emploi oral des langues locales dans les écoles est également très minime. Certes, l'usage des langues locales dans l'enseignement n'est pas interdit, mais dans les faits les langues locales servent davantage de «fonction phatique», c'est-à-dire qu'elles sont devenues des instruments privilégiés pour créer une convivialité entre enseignants et élèves. Il s'agit d'une fonction du langage utilisée pour établir une communication sans apport d'information. Par exemple, dans les salles de classe, une blague est souvent exprimée dans les langues locales. Il n'est pas surprenant de voir que des étudiants universitaires et des conférenciers, qui viennent d'arriver une région, tentent de maîtriser la langue régionale de la nouvelle région parce qu'ils ne veulent pas devenir les victimes de plaisanterie. À ce stade, les langues locales dans l'éducation remplissent bien leur fonction phatique plutôt que comme moyen de communication scolaire, et ce, du primaire à l'université.

- Les langues étrangères

L'enseignement des langues étrangères n'est pas toujours prisé en Indonésie. Cet enseignement est souvent perçu par les autorités comme véhiculant «l'influence négative des cultures étrangères», sauf pour l'anglais. C'est pourquoi il importe d'en limiter les dégâts, notamment dans la terminologie, surtout dans les lieux publics comme l'affichage et la publicité. Dans les écoles secondaires, l'enseignement des langues étrangères est limité à l'anglais, à l'allemand, au japonais, au français et à l'arabe (pour le Coran). Dans les établissements d'enseignement supérieur, les mêmes langues sont enseignées, plus éventuellement l'italien, l'espagnol, le russe, le latin, le grec ancien et le sanskrit. Dans la Loi n° 2 sur le système éducatif national (1989), la politique de l'enseignement des langues étrangères consistait à déclarer que «les langues étrangères peuvent être employées comme langue d'enseignement dans la mesure où elles sont nécessaires à la transmission de compétences et de savoirs particuliers».  L'anglais demeure la seule langue étrangère obligatoire. L'allemand est parfois introduit comme seconde langue étrangère à la fin des études secondaires.

La situation diverse ici comporte son lot de défis. De nombreuses écoles, en particulier les écoles dites «internationales», se servent des langues étrangères comme langues d'enseignement, et ce, dès le plus jeune âge des enfants. Cependant, deux conditions doivent être remplies. Premièrement, l'enseignement des langues étrangères et de la langue indonésienne doit être offert avec la même intensité. Deuxièmement, les professeurs de langues étrangères doivent maîtriser couramment ladite langue étrangère.

Toutefois, de nombreuses écoles internationales enseignent les langues étrangères sans enseigner la langue indonésienne. Parfois, les écoles offrent moins d'heures pour la langue indonésienne que pour les langues étrangères. L'anglais, en tant que langue universelle, a été introduit comme langue étrangère et a commencé à être enseigné au niveau du premier cycle du secondaire. Depuis l'année 2000, l'anglais a gagné en importance dans le nouveau programme de l'enseignement supérieur en tant que l'une des nombreuses matières de «développement de la personnalité», avec d'autres disciplines telles l'indonésien, la philosophie et le sport. L'anglais est considéré comme essentiel pour l'interaction internationale dans le cadre du programme d'internationalisation du secteur de l'enseignement supérieur. En outre, un nombre limité d'établissements d'enseignement supérieur prestigieux proposent des études dans d'autres langues étrangères, principalement axées sur la littérature, telles que le chinois mandarin, le japonais, le français, l'allemand et le coréen. Dans l'enseignement universitaire, l'indonésiation n'a guère progressé. Si la plupart des cours se donnent en indonésien, presque tout le matériel pédagogique est d'origine anglo-saxonne (dans des proportions d'environ 70 %), c'est-à-dire américaine.

Au niveau de l'école primaire, l'indonésien reste une matière de base avec éventuellement une langue locale, choisie à la discrétion de l'école locale. L'anglais reste une activité extrascolaire, mais les écoles disposant d'enseignants qualifiés sont encouragées à l'offrir. Au premier cycle du secondaire, l'indonésien et l'anglais continuent d'être des matières obligatoires pour toutes les écoles, ainsi que l'étude de l'arabe (obligatoire) d'une langue étrangère et d'une langue locale. Au lycée, l'indonésien et l'anglais sont des matières obligatoires, avec une étude facultative de la langue et de la littérature indonésiennes, de la langue et de la littérature anglaises ou d'autres matières de langue et de littérature étrangères.

4 Les langues dans les médias

Seul l'indonésien est utilisé en principe dans les médias écrits, si l'on fait exception des journaux étrangers et de certains journaux moribonds dans quelques langues régionales. Cependant, il existe certaines exceptions avec les journaux diffusés en anglais tels que le Indonesian Observer (Jakarta), le Kompas (Jakarta), le Inside Indonesia, le Jakarta Post, le Tempo, le Suara Merdeka (Semarang), etc. Il existe même une édition en néerlandais du Kompas. On peut aussi trouver de rares journaux en chinois.

Il en est ainsi dans les médias électroniques avec la télévision, mais les radios privées peuvent recourir aux langues locales. En réalité, les émissions régionales dans les langues locales ne sont autorisées que dans la mesure où elles paraissent «nécessaires». Néanmoins, les autorités du ministère de l'Information ont tout le loisir d'interdire l'usage régulier des langues régionales. 

En 2002, l'article 37 de la Loi n° 32 sur la diffusion prescrivait certaines dispositions concernant «la principale langue d'expression des programmes» qui devait être l'«indonésien bon et correct»:

Article 37

La principale langue d'expression des programmes doit être l'indonésien bon et correct.

Article 38

1) Les langues régionales peuvent être employées comme langue de communication pour les émissions d'intérêt local et, si nécessaire, pour les besoins de programmes particuliers.

2) Les langues étrangères peuvent être employées comme langue de communication conformément aux besoins de programmes donnés.

Article 39

1) Les émissions en langues étrangères peuvent être diffusées dans la langue originale; s'agissant particulièrement de la télédiffusion, les émissions doivent être sous-titrées ou sélectivement doublées en indonésien, conformément aux besoins particuliers du programme.

2) Le doublage de la langue étrangère en indonésien est limité à 30 % (trente pour cent) maximum des émissions diffusées en langues étrangères.

3) La langue des signes peut être employée dans le cadre d'émissions destinées aux malentendants.

La loi prescrit l'usage de l'indonésien, mais autorise le recours aux langues régionales comme langue de communication pour les émissions d'intérêt local. L'article 39 de la Loi sur le drapeau, la langue, les symboles de l'État et l'hymne national impose l'indonésien, mais autorise les langues régionales et étrangères:
 

Article 39

1)
L'
indonésien doit être utilisé dans l'information au moyen des médias.

2) Les moyens de communication de masse visés au paragraphe précédent peuvent recourir à des langues régionales ou étrangères dans un but particulier ou un objectif spécifique.

Il en est ainsi à l'article 41 du Décret présidentiel sur l'emploi de la langue indonésienne (2019):

Information au moyen des médias

Article 41

1) La langue indonésienne doit être employée dans les informations véhiculées par les médias.

2) Les médias visés au paragraphe 1), comprennent:

a. les médias imprimés; et
b. les médias électroniques.

3) Dans le cas où il est nécessaire de transmettre des informations ayant un but spécial ou une cible spécifique concernant les particularités des traditions régionales, les médias peuvent transmettre des informations dans la langue régionale.

4) Dans le cas où il est nécessaire de transmettre des informations ayant un but précis ou une cible précise pour les services publics internationaux, les médias peuvent transmettre des informations dans une langue étrangère.

Les émissions en langues étrangères sont généralement interdites dans le pays, sauf celles concernant l'enseignement des langues, les programmes religieux et celles diffusées dans la même «famille» linguistique (bahasa serumpun), c'est-à-dire le malais de Malaisie et le malais de Brunei. Ces mesures n'ont pas empêché l'Australie de conclure une entente avec le gouvernement indonésien afin de permettre l'installation d'une centaine de stations radiophoniques de la chaîne Kang Guru Radio English (KGRE). Outre l'anglais, on trouve aussi des stations diffusant en japonais, en allemand, en français, en thaï, en coréen, en arabe, en chinois, etc.

En matière de télévision, Televisi Republik Indonesia (TVRI) est la station nationale de l'État, mais elle coexiste avec des stations privées diffusant dans tout le pays, telles que Andalas Televisi (antv), Global TV (GTV), Indosiar, Lativi, Metro TV, Rajawali Citra Televisi Indonesia (RCTI), Surya Citra Televisi (SCTV), Televisi Pendidikan Indonesia (''Indonesian Educational Television'' ou TPI), Televisi Transformasi Indonesia (Trans TV), TV7, ainsi que TV Edukasi (TVE). Il existe aussi un grand nombre de stations locales limitées aux îles de Sumatra, Kalimantan, Riau, Lampung, Sulawesi, Moluques, Bali, Papouasie, etc.

Les émissions télévisées en langues étrangères doivent généralement être doublées en indonésien, pour un maximum de 30 % fixé par la loi no 32/2002; les émissions en anglais sont sous-titrées en indonésien. Un décret sur les radios privées (n° 39/kep/menpen/1971) a déjà interdit l'usage des langues étrangères et des «sabirs» (''langues mixtes'').

5 Les résistances à la politique d'indonésiation

Dans les faits, même si les Javanais (l'ethnie majoritaire) imposent le bahasa indonesia ou l'indonésien standard à plus de 200 millions d'Indonésiens qui l'emploient, à des degrés divers, comme langue seconde, même si les petites ethnies s'incorporent linguistiquement aux Javanais, la langue nationale n'est pas encore devenue vraiment commune à l'ensemble de la population.

Il faut comprendre que les Indonésiens, dans leur vie quotidienne, n'utilisent généralement pas  l'indonésien standard, mais leur langue indonésienne locale. Le caractère insulaire du pays favorise d'ailleurs le maintien des langues locales. Celles-ci sont employées couramment au sein des municipalités. Elles le sont également pour l'édition d'une partie des journaux locaux, des livres et des émissions de radio communautaire. Mais c'est l'école qui sert de moyen privilégié pour imposer l'indonésien officiel. C'est la seule langue d'enseignement dans tous les établissements d'enseignement publics, bien que les langues locales soient généralement autorisées pour les trois premiers cycles de l'enseignement primaire.

Bref, l'indonésien officiel est apparemment accepté par presque tous les groupes ethniques comme symbole d'identification de la nation indonésienne, et ce, d'autant plus que cette langue demeure, pour la plupart des Indonésiens, une langue seconde. Cette langue assure sa dominance maintenant sur toutes les langues locales, qui ne lui font plus aucune concurrence, surtout à l'écrit, puisque seul l'indonésien standard est utilisé. Cette politique de suprématie linguistique de  l'indonésien a réussi effectivement partout, sauf dans les îles du Timor, dans la province d'Aceh et dans la province de la Papouasie occidentale (voir la carte). Si les Timorais ignoraient l'indonésien dans une proportion de 47 %, ce pourcentage baisse à 21,3 pour les Papous et à 16,2 % pour les Acihais (cliquer ICI, s.v.p. pour le tableau).

5.1 La province d'Aceh

La province d'Aceh (prononcer [a-tché]) est un ancien royaume musulman (XIIIe siècle) devenu un sultanat ottoman au XVe siècle. Les Acihais ont toujours vécu relativement en marge de la société indonésienne en raison de leur conservatisme religieux. En 2020, les habitants de cette province indonésienne, les Acihais, étaient environ cinq millions d'habitants, la plupart parlant l'acihais, une langue du groupe malayo-polynésien occidental de la famille austronésienne.

En 1959, le gouvernement indonésien accorda un statut spécial à la province d'Aceh, qui obtenait alors une autonomie dans les domaines de la religion, du droit coutumier et de l'éducation. Rappelons aussi que la province d'Aceh fut le théâtre d'un long conflit (la décennie 1970) sanglant (environ 15 000 morts en trente ans) entre l'armée de terre indonésienne et les troupes séparatistes du «Mouvement pour un Aceh libre». C'est depuis 1953 que l'Indonésie intervient militairement dans cette province qui a déclaré son indépendance afin de réprimer les militants sécessionnistes. Durant plusieurs décennies, l'ethnie traditionnellement dirigeante dans la province, les Oulémas, ont perdu leur influence sur leurs communautés au profit d’une nouvelle élite dirigeante composée presque exclusivement de Javanais. La langue des Acihais fut interdite dans les écoles et dans les médias. Seul l'indonésien fut autorisé.

Le 8 novembre 1999, plus d’un million d'Acihais, soit presque 25 % de la population, ont manifesté à Banda Aceh, la capitale, pour réclamer un référendum sur l’autodétermination: cette demande fut aussitôt rejetée par Jakarta qui choisit la solution militaire pour régler le problème. En mai 2003, la loi martiale fut proclamée dans le «district spécial» de l'Aceh. Le gouvernement civil fut suspendu et une opération anti-insurrectionnelle d’envergure fut lancée contre le Gerakan Aceh Merdeka (GAM: Mouvement pour l’Aceh libre). Les douze mois qui ont suivi comptent parmi les plus sanglants du conflit qui ravage l’Aceh depuis près de trente ans.

En mai 2004, la loi martiale a été remplacée par un état d’urgence civil. Dans cette région de conflits, la vie quotidienne de la population est ponctuée d’homicides politiques, d’actes de torture et de raids armés dans des foyers et des villages qui poussent les Acehnais à fuir par centaines. Évidemment, la province est fermée aux humanitaires ainsi qu’aux journalistes étrangers et, au cours de cette guerre civile, plus de 500 écoles d’Aceh ont été incendiées.

Parmi les tenants de la ligne dure au sein du gouvernement indonésien, il se trouve des nationalistes qui n'ont pas encore digéré la perte du Timor oriental en 1999 et qui estiment qu’octroyer l’autonomie aux Acihais va ouvrir nécessairement la voie à un éclatement total de l’archipel. Il y a aussi le fait que l'instabilité politique à Aceh permet à certains dirigeants indonésiens d’entretenir un trafic très rémunérateur de drogue, de prostitution, de racket des compagnies pétrolières internationales ou d'exportation illégale de bois. Un porte-parole de l'armée indonésienne a déclaré: «La guerre à Aceh sera la plus importante opération militaire depuis l’invasion du Timor oriental en 1976.» Mais l’indépendance du Timor oriental a fait des envieux dans d’autres provinces.

Quoi qu'il en soit, à la fin de la dictature de 1999 du président Suharto, le gouvernement indonésien adopta la loi n° 18 de 2001 sur l'autonomie spéciale à la province à (voir les extraits) et annonçait l'introduction de la loi islamique (la Charia) à Aceh. Cette initiative du président Bacharuddin Jusuf Habibie (21 mai 1998 au 20 octobre 1999) se voulait une mesure visant à régler un conflit qui ensanglantait la province depuis 1976. Cette loi conférait à la province une plus grande liberté dans sa gestion administrative et législative, sauf dans les domaines de la politique étrangère, de la défense, de la sécurité et de la fiscalité. En même temps, la province changeait de nom pour celui de Nanggroë Aceh Darussalam : Nanggroe signifie «pays» en langue acihaise, et Darussalam, «havre de paix» en arabe. La loi ne contient aucune disposition linguistique.

5.2 La Papouasie

En Indonésie, la Papouasie est située dans la partie occidentale de l'île de la Nouvelle-Guinée et comprend deux provinces: la Papouasie occidentale (en indonésien: Papua Barat)et la Papouasie (en indonésien: Papua).

La Papouasie occidentale a toujours été peu densément peuplée; elle ne compte à peine plus de deux millions d'habitants. La majorité des habitants de cette province est constituée de Papous. Depuis bientôt quarante ans, le gouvernement indonésien mène à l’égard du peuple papou de cette province (ex-Irian Jaya et l'Iryan Jaya de l'Ouest) une politique colonialiste d’une rare violence. Sous le régime du général Suharto, la répression des Papous fut atroce, l'armée indonésienne n’hésitant pas à bombarder au napalm des villages de la région des hauts plateaux de Baliem soupçonnés d’abriter des mouvements de résistance.

De plus, l'Indonésie pratiqua une politique de minorisation des Papous afin de désengorger l'île surpeuplée de Java. Devant la résurgence du mouvement sécessionniste de la province, le gouvernement indonésien exerça une répression toujours plus grande, accompagnée d'une politique d'assimilation culturelle forcée. Les autorités indonésiennes interdirent aux «sauvages primitifs» (Papous) la pratique de leurs rites ancestraux et de leurs langues dans les lieux publics.

Plus du tiers de la population totale n'est aujourd'hui plus d'origine papoue. M. Sem Karoba, coordinateur de l’OPM (Organisasi Papua Merdeka: ''Organisation de la Papouasie libre'') en Europe, résume ainsi la situation :

Depuis 1969, nous sommes assassinés et nos villages sont bombardés. Nous ne maîtrisons pas notre propre éducation et notre langue est interdite. Nos maisons sont détruites. Notre culture est méprisée, car notre religion traditionnelle nous conduit à croire aux arbres, aux montagnes, aux fleuves. Les compagnies minières nous disent qu’il faut croire en un Dieu unique et non aux divinités de la nature.

Bien sûr, l’Indonésie n’est pas prête à renoncer à ce territoire au fort potentiel économique, même si le développement économique se fait au détriment de ses habitants papous. Devant ces pratiques, les Papous se rebellèrent, ce qui accentua la répression indonésienne.

Le gouvernement indonésien projeta de diviser la Papouasie (ex-Irian Jaya) en trois provinces: l'Irian Jaya Barat (Ouest), l'Irian Jaya Temgah (Centre) et l'Irian Jaya (proprement dite) ou Papoua. Finalement, le gouvernement reculadevant l'hostilité de la population; seules les provinces de la Papouasie occidentale (Papua Barat) et de la Papouasie (Papua) existent actuellement. Malgré cette décision judiciaire, certains dirigeants indonésiens préconisent encore une division de la Papouasie occidentale en cinq provinces, question de fragmenter encore davantage les Papous.

Néanmoins, pour calmer le jeu, l'Indonésie a adopté la Loi n° 21 sur l'autonomie spéciale de la province de Papouasie (2001). Grâce à cette loi, la Papouasie occidentale obtenait plus de pouvoirs, sauf dans les domaines de politique étrangère, de défense, de sécurité, de fiscalité, donc ceux qui sont les plus décisifs en matière d’exercice du pouvoir. La loi permettait également une plus importante redistribution des revenus issus de la province vers le budget provincial. De plus, la loi reconnaît le droit à la province papoue d’avoir des représentations culturelles de son identité. Elle reconnaît également que les autochtones de Papouasie sont l'un des groupes mélanésiens, qui font partie des groupes ethniques indonésiens et qui ont une variété de culture, d'histoire, de coutumes et de langues. Les autochtones bénéficient d'une assemblée appelée "Majelis Rakyat Papua", ou le MRP, le Conseil du peuple papou, qui est l'institution représentative culturel des habitants autochtones de Papouasie. Il faut aussi ajouter le Parlement provincial appelée "Dewan Perwakilan Rakyat Papua" (ou DPRP), le Conseil représentatif du peuple de Papouasie, qui est l'organisme législatif de la province; les actes législatifs sont appelés des "perdasi», ce qui correspond à un règlement régional de la province de Papouasie dans le cadre de l'exercice de l'autorité tel que stipulé dans les règlements statutaires.  Enfin, l'autorité régionale ou "Pemerintah Daerah" est représenté par le gouverneur et sa structure administrative, qui en sont l'organisme exécutif.

6 Les velléités d'internationalisation linguistique

L'Indonésie pratique depuis plusieurs années une politique d'internationalisation linguistique destinée à propager et à normaliser les pays qui ont «le malais en partage». À cet égard, on pourrait parler de malaisophonie, un peu sur le modèle de la francophonie. Les régions dites malaisophones (soit comme langue maternelle soit comme langue seconde) couvrent six pays d'Asie  et du Pacifique: l'Indonésie, la Malaisie, le Brunei, Singapour, le Sri Lanka, la Thaïlande et l'Australie (surtout les îles Coco). Les malayophones compteraient quelque 200 millions de locuteurs. Trois de ces pays ont fondé l'Assemblée du brunéien-indonésien-malaisien ou en malais ''Majelis Bahasa Brunei Darussalam-Indonesia-Malaysia'' appelée aussi la MABBIM. En réalité, cet organisme international se veut un organisme de coopération pour la promotion du malais, ce qui comprend, d'une part, le bahasa Indonesia, d'autre part, le bahasa Malaysia.

Rappelons que la Malaisie a été colonisée par les Britanniques après 1824, alors que l'Indonésie l'a été par les Hollandais. Il s'en est suivi une certaine fragmentation linguistique dans la mesure où les Malaisiens ont emprunté massivement à l'anglais, les Indonésiens, au néerlandais. De plus, les Indonésiens se sont alignés sur l'«orthographe de van Ophuysen» (un Hollandais), alors que les Malaisiens se sont alignés sur l'orthographe de l'Anglais Wilkinson. L'influence de l'anglais et du néerlandais s'est fait sentir au point de vue lexical (par les emprunts) et orthographique, mais aussi dans la morphosyntaxe et parfois dans la phonétique. La création de la MABBIM se veut un organisme de «convergence linguistique», c'est-à-dire qu'il a reçu comme mandat de réduire les différences entre les différentes variétés de malais. 

En Indonésie, le Pakersa («Comité de coopération linguistique indonésien-malaisien») est chargé de développer la coopération linguistique bilatérale. En Malaisie, c'est le Jawatankuasa Tetap Bahasa Malaysia («Comité permanent du malaisien»). Le Brunei assiste comme observateur aux travaux de la MABBIM.

La Charte de la MABBIM de 1987 décrit ainsi les grandes lignes du fonctionnement de cet organisme (cité par J. Samuel, 2005):

(a) Accroître l'esprit de communauté et de fraternité entre les États membres.

(b) Accroître le rôle des langues nationales / langues officielles des États membres, comme outil de communication élargie.

(c) Œuvrer à la promotion et au développement des langues nationales / langues officielles des États membres afin d'en faire des langues de même niveau que les autres langues modernes.

(d) Harmoniser les langues par des écrits scientifiques et de création, des guides et des manuels.

(e) Organiser des rencontres linguistiques périodiques afin d'harmoniser et de rapprocher les langues nationales / langues officielles des États membres.

On constate que le thème principal de cette coopération est l'harmonisation, dans les domaines de la langue et de la terminologie, plutôt que la normalisation, ce qui nuirait à la liberté des États membres en matière de langue. Chaque pays conserve sa marge de manœuvre pour la diffusion et la publication des différentes terminologies.  

De plus, la Loi sur le drapeau, la langue, les symboles de l'État et l'hymne national mentionne que le gouvernement doit augmenter la fonction de l'indonésien pour devenir une langue internationale de façon progressive, systématique et durable:

Article 44

1)
Le gouvernement doit augmenter la fonction de l'indonésien pour devenir une langue internationale de façon progressive, systématique et durable.

2) L'augmentation de la fonction de l'indonésien comme langue internationale, tel qu'il est mentionné au paragraphe précédent doit être coordonnée par les organismes  linguistiques.

3) Toute autre disposition sur l'augmentation des fonctions de l'indonésien comme langue internationale, tel qu'il est mentionné au paragraphe précédent, doit être prévue par règlement de la part du gouvernement.

Si l’on fait exception des provinces de l'Aceh et de la Papouasie, l'Indonésie a réussi à mettre en pratique une politique d'assimilation pacifique, un cas presque unique dans l'histoire avec celui d'Israël. Cette réussite s'explique: la politique reposait avant tout sur le consensus de la nation. Ce n'est pas l'importance numérique du malais qui a compté, mais son importance fonctionnelle et symbolique. Ainsi, le cas indonésien montre qu'une politique d'assimilation peut constituer une réussite, bien que l'on puisse réprouver les méthodes répressives auxquelles elle a donné lieu dans certains cas.

En effet, cette politique d'assimilation a échoué dans certaines provinces et ces échecs ne semblent pas ralentir la politique d'uniformisation idéologique des autorités indonésiennes qui ont développé depuis l'indépendance des pratiques répressives féroces. Certes, il ne saurait être question qu'un État comme l'Indonésie protège un si grand nombre de langues qu'on répertorie dans ce pays, soit plus de 700 langues. Néanmoins, l'État pourrait tenir compte des grandes langues régionales (javanais, soundanais, batak, madourais, minangkabau, bétawi, bouguinais, musi, banjar, balinais, acihais), celles parlées par quelques millions de locuteurs, soit une dizaine. La politique linguistique à l'égard des grandes langues régionales laissent à désirer, notamment en ce qui concerne l'éducation.

Dernière mise à jour: 21 mars 2022

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SAMUEL, Jérôme. Modernisation lexicale et politique terminologique: le cas de l'indonésien, Éditions Peeters, Paris/Louvain, 2005, 590 p.

UTORODEWO, Felicia N. "Indonesian Languages, Regional Languages, and Foreign Languages" dans Mentary Group, 12 août 2019.

 

 
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