Kyrgyzstan
République kirghize

Kirghizistan

3) La politique linguistique

1 Le statut complexe des langues

Sous le régime soviétique, le russe était la langue officielle la langue officielle de l'Union, alors que chacune des langues dites «titulaires», comme le kirghiz, l'était en principe dans chacune des républiques. Même si le russe n'a jamais été déclaré formellement langue officielle, ni par l'Union ni par aucune république, pas même pas en Russie (1978), il a toujours joui dans les faits du statut de langue co-officielle jusqu'en 1991.

Selon la Constitution de 2010 de la République kirghize, le kirghiz est la «langue d’État» et le russe conserve son statut de «langue officielle». Le Kirghizistan est l'une des trois anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale à avoir le russe comme langue officielle, le Kazakhstan (de facto) et l'Ouzbékistan (de facto) étant les autres. La langue kirghize a été adoptée comme langue officielle en 1989. Après des pressions de la part des russophones et des autres minorités du pays, la République kirghize a également adopté le russe comme langue officielle en 1993 pour devenir un pays officiellement bilingue.

1.1 Langue d'État et langue officielle

D'après les textes juridiques, la République kirghize fait une distinction entre la langue d'État et la langue officielle. Il s'agit donc dans ce pays de deux notions différentes, car la «langue d'État» et la «langue officielle» ne sont pas synonymes dans le contexte du Kirghizstan actuel. Au point de vue juridique, la «langue officielle» est en position subalterne par rapport à la «langue d’État», hiérarchiquement supérieure.

- Des notions distinctes

Dans la législation des pays qui réglementent légalement la relation des langues, le statut juridique des langues est défini en trois termes: «langue d'État», «langue officielle» et «langue nationale». En 1953, des experts de l'UNESCO avaient proposé de faire la distinction entre les concepts de «langue d'État» et de «langue officielle». La «langue d'État» serait une langue qui remplit la fonction d'intégration dans le cadre d'un État donné dans les sphères politique, sociale et culturelle, et agirait comme un symbole de cet État. La «langue officielle» serait la langue du gouvernement, de la législation et des procédures judiciaires. Ces deux définitions sont perçues comme explicatives et recommandables, mais elles ne sont guère obligatoires. Qu'en est-il au Kirghizistan?  Les textes juridiques en russe (et en kirghiz) emploient trois termes différents: государственный язык («langue d'État»), официальный язык («langue officielle») et национальный язык («langue nationale», la dernière appellation ne s'appliquant jamais au kirghiz.
 

Langue Équivalence du mot
«État»
Équivalence du mot
«officiel»
Équivalence du mot
 
«national»
Équivalence du mot
«maternel»
Équivalence du mot
«kirghiz»
Équivalence du mot
«russe»

En français

langue d'État langue officielle langue nationale langue maternelle langue kirghize langue russe

En anglais

State language official language national language mother tongue Kyrgyz language Russian language
En russe/cyrillique
En russe/latin
государственный язык
(gosudarstvennyï yazyk)
официальный язык
(ofitsial'nyï yazyk)
национальный язык
(
natsional'nyï yazyk)
родного языкаrodnogo yazyka)
орус тили
(
Orus tili)
Русский язык
(
Russkiy yazyk)
En kirghiz/cyrillique
En kirghiz/latin
мамлекеттик тил
(mamlekettik til)
расмий тилде
(
rasmiy tilde)
улуттук тил
(uluttuk til)
эне тилиene tili)
Кыргыз тилиKırgız tili) Кыргызский языкKyrgyzskiy yazyk)

 

La «langue d'État», le kirghiz, implique un caractère d'obligation dans les cas prévus par la loi. La «langue officielle», le russe, est reconnue comme étant protégée et employée par l'État au même titre que la «langue d'État». L'expression "национальный язык" («langue nationale») s'applique surtout aux langues des minorités ethniques, car le kirghiz n'est jamais associé à cette expression. Néanmoins, on pourrait dire en français que le kirghiz est la langue nationale et le russe, la langue officielle, mais en français l'expression «langue officielle» possède une valeur hiérarchique supérieure à la «langue nationale», ce qui n'est pas le cas au Kirghizistan. C'est pourquoi il apparaît plus judicieux de conserver la distinction pour le Kirghizistan de «langue d'État» et de «langue officielle», bien qu'en français la «langue d'État» soit non seulement inexistante, mais elle se traduit le plus souvent par «langue officielle».

Dans le but de respecter le mieux possible la terminologie à la fois russo-kirghize et française, il faudrait parler de la «langue officielle n° 1» et de la langue officielle n° 2», bref de la «première langue officielle» et de la «seconde langue officielle» en tenant compte que l'une est hiérarchiquement supérieure à l'autre.

- Le statut des langues

Voici comment l'article 1er de la loi linguistique de 2004 décrit le statut des langues au Kirghizistan :
 

Article 1er

1) Conformément à la Constitution de la République kirghize,
la langue d'État de la République kirghize est la langue kirghize.

2) La
langue kirghize, en tant que l'un des principaux fondements de l'État de la République kirghize, fonctionne de façon obligatoire dans tous les domaines de l'activité de l'État et des collectivités locales selon la manière prescrite par la présente loi et d'autres lois de la République kirghize.

3) La
langue russe est employée comme langue officielle
en République kirghize.

4) La République kirghize garantit aux représentants de tous les groupes ethniques qui composent le peuple kirghiz le droit de préserver
leur langue maternelle et de créer les conditions de son étude et de son développement.

Bref, le kirghiz est à la fois la «langue d'État», une «langue officielle» et une «langue nationale»; le russe est une «langue officielle» et une «langue nationale»; les autres langues maternelles des minorités ne sont que des «langues nationales».

Une autre loi de 2000, la Loi sur la langue officielle, n° 52, décrit ainsi le statut du kirghiz et du russe: 
 

Article 1er

La langue officielle de la République kirghize

1) La
langue officielle de la République kirghize est la langue utilisée à côté de la langue d'État dans le domaine de l'administration publique, de la législation et de la procédure judiciaire de la République kirghize, ainsi que dans d'autres domaines de la vie publique de la République kirghize dans les conditions et les mesures prévues par la présente loi et la législation de la République kirghize.

2) La langue officielle de la République kirghize est la langue qui sert de langue de communication interethnique et contribue à l'intégration de la république dans la communauté mondiale.

Il est bien stipulé que «la langue officielle de la République kirghize est la langue utilisée à côté de la langue d'État dans le domaine de l'administration publique, de la législation et de la procédure judiciaire de la République kirghize», la hiérarchie des langues n'étant pas évidente!

Enfin, l'article 10 de la Constitution de 2010 reprend une disposition similaire:
 

Article 10

1) La
langue d'État de la République kirghize est la langue kirghize.

2) En République kirghize , le russe est utilisé comme
langue officielle.

3) La République kirghize garantit aux représentants de tous les groupes ethniques qui composent le peuple du Kirghizistan le droit de préserver
leur langue maternelle
et de créer les conditions de son étude et de son développement.

Qu'est-ce que ces termes ont comme effets juridiques au Kirghizistan? C'est ce que nous verrons dans les lignes qui suivent, car le gouvernement kirghiz a adopté une politique linguistique qui concerne trois types de langues: l'un concerne la langue kirghize, l'autre la langue russe, et le troisième, les langues des minorités nationales.

1.2 Les langues nationales

En ce qui a trait aux minorités nationales, la République kirghize a adhéré, après l'indépendance, à quelque 27 conventions internationales et traités relatifs aux droits de l'homme, confirmant ainsi son attachement à des normes démocratiques universelles dans ce domaine, à une coopération efficace avec l'ONU, l'OSCE et  d'autres organisations internationales dans le domaine des droits de l'homme. En raison de circonstances historiques, la République kirghize est un État multinational, dans lequel vivent des représentants de divers groupes ethniques, notamment les Ouzbeks, les Russes, les Dounganes, les Tadjiks, les Ouïgours, les Turcs, les Kazakhs, les Tatars, les Azerbaïdjanais. La pierre angulaire de la politique linguistique de cet État est de garantir les droits des minorités nationales, dont les russophones, de maintenir l'harmonie interethnique et la tolérance interreligieuse. L'interdiction de la discrimination fondée sur la race, la nationalité, la langue et la religion et le principe de l'égalité des citoyens sont consacrés dans de nombreuses lois et réglementations, en particulier dans le Code civil (art. 2, 52, 56, 223), la Loi sur la citoyenneté (préambule), le Code pénal (at. 4), la Loi sur l'éducation (art. 2), le Code du travail art. 9) et le Code sur le mariage et la famille (art. 4). 

2 Les langues en usage au Parlement
 

Le Parlement kirghiz (unicaméral) a comme nom officiel «Jogorku Kenesh» ("Жогорку Кеңеш" en kirghiz et "Верховный Совет" en russe), ce qui signifie «Conseil suprême». C'est l'organisme législatif du Kirghizistan composé de 120 membres, élus pour cinq ans à la proportionnelle. Aucun parti politique ne peut être formé pour des motifs religieux, ethniques ou linguistiques, tandis que les membres des forces armées, de la police et du pouvoir judiciaire ne sont pas autorisés à adhérer à un parti politique.

2.1 Le bilinguisme législatif

L'article 38 du Règlement du Jogorku Kenesh (2012) énonce la procédure utilisée par les parlementaires en ce qui a trait aux langues kirghize et russe:

Article 38

Langue de l'assemblée du Jogorku Kenesh

1) Les sessions du Jogorku Kenesh sont dirigées par le président dans la langue d'État avec une traduction simultanée dans la langue officielle.

2) Un député ainsi que les personnes invitées ont le droit de prendre la parole lors des réunions du Jogorku Kenesh dans la langue officielle.

3) Les discours prononcés lors des sessions du Jogorku Kenesh et de ses organismes sont prononcés par traduction simultanée de la langue d'État à la langue officielle et de la langue officielle à la langue d'État.

4) Les représentants d'États étrangers, des organisations internationales, ainsi que les citoyens étrangers qui ne parlent pas la langue l'État et la langue officielle, ont le droit de parler dans une langue étrangère, ce qui est assuré par une traduction simultanée dans la langue d'État et dans la langue officielle.

Dans la Loi sur la langue officielle (2000), l'article 5 qui porte surtout sur le russe reprend les mêmes procédés:
 

Article 5

Réunions du Jogorku Kenesh de la République kirghize et du gouvernement de la République kirghize

1) Les députés du Jogorku Kenesh de la République kirghize, les membres du gouvernement de la République kirghize, ainsi que les personnes invitées ont le droit de prendre la parole aux réunions du Jogorku Kenesh de la République kirghize et du gouvernement de la République kirghize dans la
langue officielle.

2) Les exposés prononcés lors des réunions du Jogorku Kenesh de la République kirghize et du gouvernement de la République kirghize sont prononcés au moyen de la traduction simultanée de la langue d'État vers la langue officielle et de la langue officielle vers la langue d’État.

(Telle que modifiée par la loi n° 170 de la République kirghize du 28 juillet 2008.)

Article 6

Initiative législative

Les projets de loi présentés par les entités d'initiative législative et les conclusions du gouvernement de la République kirghize doivent être présentés en deux langues:
la langue d'État et la langue officielle.

Étant donné que le russe possède pratiquement le même statut que le kirghiz, les deux langues peuvent être employées au Parlement, tant dans les débats que dans les textes de loi. Les lois sont généralement rédigées en kirghiz, puis traduites en russe, bien qu'elles soient présentées simultanément. Les deux versions ont une égale valeur juridique, mais le texte kirghiz a priorité en cas de conflit d'interprétation. L'article 6 de la Loi sur les actes juridiques réglementaires (2009) ne laisse aucune ambiguïté à ce sujet puisque la langue officielle est subordonnée à la langue d'État :

Article 6

Hiérarchie des actes juridiques réglementaires

3) En cas de divergence entre le texte de la Constitution et d'autres actes juridiques réglementaires de la République kirghize dans la langue d'État avec le texte dans la langue officielle, le texte dans la langue d'État est considéré comme l'original, sauf dans les cas prévus au paragraphe 4 du présent article.

Les articles 24, 26 et 29 de la Loi sur les actes juridiques réglementaires (2009) décrivent la procédure employée dans la présentation et l'adoption des projets de loi:

Article 24

Présentation d'un acte juridique à une entité ayant le pouvoir d'adopter un projet de loi

3) Tout projet de loi est présenté simultanément sur support de papier et support électronique dans la langue d'État et dans la langue officielle, à l'exception d'un projet de loi d'un organisme représentatif d'une collectivité locale qui aurait décidé de l'admissibilité d'un projet de loi présenté exclusivement dans la langue d'État.

Article 26

Adoption d'un projet de loi

1)
À moins d'une disposition prévue dans la Constitution, les actes juridiques sont adoptés par un organisme de réglementation conformément à la manière prévue par la présente loi et les autres actes juridiques réglementaires adoptés en vertu de la présente loi.

1.1) Les actes juridiques réglementaires doivent être adoptés
dans la langue d'État et dans la langue officielle.

Il est permis d'adopter des actes juridiques normatifs de la part des organismes représentatifs d'une collectivité locale exclusivement
dans la langue d'État à la condition que le nombre actuel de locuteurs parlant la langue d'État
résidant sur le territoire de l'unité administrative concernée soit majoritaire et qu'il existe une décision appropriée de l'organisme représentatif de la collectivité locale.

Article 29

Procédure de publication officielle des actes juridiques réglementaires

3)
La publication officielle des actes juridiques réglementaires doit être présentée
dans la langue d'État et dans la langue officielle, à l'exception des actes juridiques réglementaires de la part des organismes représentatifs d'une collectivité locale et adoptés conformément à la partie 1-1 de l'article 26 de la présente loi, qui sont publiés dans la langue de l'adoption.

De nombreux parlementaires, y compris parmi les kirghizophones, parlent encore en russe, ce qui provoque souvent la colère des nationalistes kirghizes. Les députés, dont environ un sur six appartient à une minorité ethnique non russophone, ont le droit de s'exprimer dans leur propre langue, même si aucun service de traduction n'est offert, sauf pour le russe et le kirghiz.

2.2 La langue obligatoire pour la présidence

Quant au président du pays, celui-ci doit connaître suffisamment le kirghiz pour exercer ses fonctions. Voici à ce sujet l'article 62 de la Constitution:

Article 62

1) Un citoyen de la République kirghize âgé de 35 ans au moins et de 70 ans au moins, parlant couramment
la langue d'État et résidant dans la république depuis au moins 15 ans au total, peut être élu président.

2) Le nombre de candidats à la présidence n'est pas limité. Un candidat à la présidence peut inscrire une personne qui a recueilli au moins 30 000 signatures d'électeurs.

La procédure d'élection du président est déterminée par le droit constitutionnel.

L'article 51 de la Loi constitutionnelle sur l'élection du président de la République kirghize et des députés du Jogorku Kenesh de la République kirghize (2011) est encore plus précis puisqu'il indique le niveau de compétence linguistique dont doit faire preuve le candidat à la présidence:
 

Article 51

Obligation de la maîtrise de la langue d'État de la part d'un candidat au poste de président

1)
Tout candidat au poste de président doit parler couramment
la langue d'État au niveau de la compétence en communication dans tous les domaines de la communication afin d'exercer ses activités professionnelles caractérisées comme «supérieures à la moyenne», conformément aux exigences du système de détermination du niveau de compétence dans la langue d'État, approuvé par le gouvernement. Le niveau de compétence linguistique est reconnu par un certificat selon la procédure prévue (ci-après dénommé «certificat de compétence dans la langue d'État).

2) Un certificat de compétenc
e dans la langue d'État doit être émis par une institution ou un organisme national autorisé dans le domaine de l'évaluation du niveau de compétence dans la langue d'État
en fonction des résultats des tests.

De plus, l'article 58 précise qu'au moment de l'investiture «le serment doit être prononcé par le président dans la langue d'État». Toutes ces dispositions signifient qu'un russophone unilingue ou un non-kirghizophone n'est pas éligible à la présidence de la République, ce qui semble contredire la Constitution qui interdit à l'article 16 la discrimination basée sur la langue:

Article 16

2) La République kirghize respecte et garantit à toutes les personnes se trouvant sur son territoire et sous sa juridiction les droits et libertés de l'homme.

N
ul ne peut être victime de discrimination fondée sur le sexe, la race, la langue, le handicap, l'origine ethnique, la religion, l'âge, les convictions politiques ou autres, l'instruction, l'origine, la propriété ou tout autre statut, ou d'autres circonstances.

2.3 La réglementation électorale

Quant au Code sur les élections (1999-2010), l'article 61 prévoit une procédure rigoureuse pour tout candidat à la présidence, le tout sous la supervision de la Commission linguistique ("Комиссии по языку") qui doit décider d'accepter la candidature du citoyen sur la base de sa maîtrise de la langue d'État. Le candidat à la présidence doit subir un véritable examen oral et écrit pour témoigner de sa maîtrise de la langue kirghize: 

Article 61

Maîtrise d'un candidat à la présidence de la République kirghize de la langue d'État

1)
Tout citoyen de la République kirghize qui parle
la langue d'État peut être élu président.

2) La maîtrise de la langue officielle est déterminée par la capacité de lire, d'écrire et d'exprimer ses pensées dans
la langue d'État
.

3) [...] La décision de la maîtrise de la langue d'État par le candidat au poste de président est effectuée par la Commission électorale centrale sur la base d'un avis de la Commission linguistique. Vingt jours avant le jour de l'élection du président, la Commission électorale centrale doit soumettre la composition de la Commission linguistique à l'approbation du Jogorku Kenesh. [...]

Pour vérifier la maîtrise de
la langue d'État
d'un candidat au poste de président, celui-ci doit:

a) présenter par écrit son programme électoral de trois pages au maximum;
b) s'exprimer oralement pendant au plus quinze minutes en décrivant les principales dispositions de son programme électoral;
c) lire un texte imprimé d'un volume ne dépassant pas trois pages.

Chaque membre de la Commission linguistique donne un avis sur la compétence linguistique du candidat pour chaque élément séparément à haute voix sur l'échelle suivante:

- il maîtrise;
- il ne maîtrise pas.

Les décisions de la Commission linguistique sont prises à la majorité des voix des membres présents de la Commission.

Par ailleurs, la télévision nationale est tenue de diffuser en direct la procédure permettant aux candidats de démontrer leur maîtrise de la langue d'État. Si ces prescriptions concernant la maîtrise du kirghiz semblent strictes pour le président de la République, elles s'appliquent aussi pour les postes de vice-président, de président du Parlement et du président de la Cour suprême, de même pour les fonctionnaires dont la liste est déterminée par le gouvernement.

Ces dispositions impliquent que les individus qui ne maîtriseraient que la langue officielle, le russe, ne pourraient postuler à aucun de ces postes. Cependant, les députés russophones unilingues peuvent exercer leurs fonctions puisque la traduction simultanée en kirghiz-russe et en russe-kirghiz est employée lors des séances du Parlement et par les personnes invitées à ces séances (cf. la Loi sur la langue officielle, article 5). De plus, beaucoup de députés kirghizophones ont tendance à privilégier le russe qu'ils maîtrisent mieux dans sa forme standard que leur propre langue qu'ils pratiquent bien souvent que sous sa forme familière. Cette tendance est observable à tous les échelons de la vie publique, même dans les régions rurales éloignées du centre et des grandes villes où l’administration publique fonctionne en kirghiz, dont les normes de la langue littéraire ne sont pas respectées, faute de préparation linguistique suffisante.

3 Le bilinguisme judiciaire

Au Kirghizistan, la Cour suprême ("Жогорку сот" ou Jogorku sot est la plus haute instance de recours après les tribunaux régionaux, qui jugent eux-mêmes en appel les décisions des tribunaux locaux. Il existe aussi des tribunaux traditionnels, appelés «aksakal», compétents pour le droit de la famille ainsi que les petits délits; ils sont sous la juridiction du Bureau du procureur. D'ailleurs, tout le système judiciaire demeure sous l'influence du Bureau du procureur. Malgré les tentatives de réforme du système judiciaire, celui-ci reste inféodé au gouvernement en place, et ce, bien que la Constitution garantisse l'indépendance de la justice. Les faibles salaires des juges rendent difficile la lutte contre la corruption. En témoigne le nombre croissant de cas de détention de juges parce qu'ils recevaient des pots-de-vin. Il en résulte un système judiciaire peu professionnel et peu autonome, à la merci des décisions politiques.

3.1 La non-discrimination

Le Code pénal (2017) interdit toute discrimination des citoyens devant la loi et la justice :
 

Article 4

Principe de l'égalité des citoyens devant la loi

Les personnes qui ont commis les actes prévus par le présent code sont égales devant la loi et sont passibles de poursuites pénales, quels que soient leur sexe, leur race,
leur langue, leur handicap, leur appartenance ethnique, leur religion, leur âge, leurs convictions politiques ou autres, leur instruction, leur origine, leur propriété ou tout autre statut, ou autre situation qui peuvent constituer un motif de discrimination.

Ainsi, la justice se veut être rendue sur la base de l'égalité des citoyens devant la loi et le tribunal, sans distinction de race, de nationalité ou de langue. 

3.2 Les langues de la procédure judiciaire

L'article 20 du Code de procédure pénale (2017-2020) établit clairement que la langue de la procédure est la langue d'État (le kirghiz) et/ou la langue officielle (le russe):

Article 20

Principe de la langue de la procédure pénale

1) La procédure pénale doit se dérouler dans
la langue d'État et/ou dans la langue officielle
.

2) Les participants au procès qui ne parlent pas la langue de la procédure ont le droit de faire des déclarations, de témoigner, de déposer des requêtes, de se familiariser avec le dossier, de s'exprimer en justice dans leur
langue maternelle et de recourir aux services d'un interprète.

De plus, l'article 20 prévoit que les participants au procès qui ne parlent pas la langue de la procédure ont le droit de s'exprimer dans leur langue maternelle et de recourir aux services d'un interprète. Il en est ainsi à l'article 318 du Code des infractions (2017):
 

Article 318

Le témoin

1)
Toute personne ayant connaissance de circonstances à établir sur ce fait peut être appelée à témoigner en cas d'infraction.

4) Le témoin a le droit de donner des explications dans sa langue maternelle ou dans la langue qu'il maîtrise, d'utiliser des documents écrits et également d'être indemnisé pour les frais liés à sa participation à la procédure d'infraction.

L'article 14 de la Loi sur la langue officielle (2000), qui porte essentiellement sur la protection du russe, impose un bilinguisme judiciaire dans la mesure où «la procédure judiciaire doit dérouler dans la langue d'État ou dans la langue officielle»:

Article 14

Langue de procédure judiciaire

1)
La procédure judiciaire doit dérouler
dans la langue d'État ou dans la langue officielle.

2) Les participants à un procès qui ne maîtrisent pas la langue de la procédure ont le droit de faire des déclarations, de témoigner, de soumettre des pétitions, de se familiariser avec tous les documents du procès, de s'exprimer devant le tribunal
dans leur langue maternelle et de recourir aux services d'un interprète.

3) Des copies de la décision de mise en accusation et du verdict (décision ou règlement) sont signifiées à l'accusé, au défendeur, à la personne reconnue coupable au moyen de la traduction dans leur langue maternelle ou dans la langue qu'ils maîtrisent.

Dans certaines régions du Sud, l'ouzbek et le tadjik sont également admis dans les tribunaux. S'il est théoriquement possible d'utiliser d'autres langues, seuls le kirghiz, le russe, l'ouzbek et le tadjik sont, dans les faits, utilisés, et pas partout pour les deux dernières langues. Dans les cas de force majeure, on peut recourir gratuitement aux soins d'un interprète, mais le juge doit rendre sa sentence en kirghiz ou en russe. La plupart des membres des minorités nationales utilisent le russe.

L'article 21 de la Loi sur la langue d'État (2004) fait la distinction entre une procédure pénale et une procédure civile; dans le premier cas, la traduction est aux frais de l'État, dans le second cas, aux frais des justiciables:    
 

Article 21

1) La procédure judiciaire en République kirghize doit se dérouler conformément à la procédure établie par le droit procédural de la République kirghize.

2) Les participants à
une procédure pénale, qui ne parlent pas la langue d'État ou la langue officielle, doivent recevoir une traduction appropriée aux frais des fonds publics.

3) Les participants à
une procédure civile, qui ne parlent pas la langue d'État ou la langue officielle, doivent assurer une traduction appropriée à leurs frais.

Nous devons retenir que toute procédure judiciaire doit se dérouler en kirghiz ou en russe, que les justiciables impliquées dans un procès, qui ne parlent pas la langue de la procédure, ont le droit de faire des déclarations, de témoigner, de déposer des requêtes, de se familiariser avec tous les éléments en cause, de s'exprimer au tribunal dans leur langue maternelle et de recourir aux services d'un interprète.

3.3 Les tribunaux aksakal

Il existe au Kirghizistan des tribunaux appelés aksakal ou aqsaqal, ce qui signifie «barbe blanche» en référence aux anciens et aux sages d'une communauté dans certaines parties de l'Asie centrale, dont le Kirghizistan, d'où l'appellation aussi de «cour des anciens». En 1995, le président du Kirghizistan, Askar Akaïev, avait annoncé un décret pour faire revivre ce type de tribunal. Rappelons que ces tribunaux ont compétence sur les biens, les délits et le droit de la famille. Les tribunaux aksakal ont finalement été inclus en vertu de l'article 59 de la Constitution kirghize. En 2006, il y avait environ 1000 tribunaux aksaqal dans tout le Kirghizistan, y compris dans la capitale Bichkek. Akaïev a lié le développement de ces tribunaux au rétablissement de l'identité nationale kirghize. En réalité, ces tribunaux ne correspondent bien souvent ni à la lettre ni à l'intention de la loi, car ils reflètent plutôt une personnalisation de la justice. La Loi sur les tribunaux aksakal (2002-2017) précise que la procédure judiciaire de ces tribunaux doit se dérouler «dans la langue d'État ou dans la langue officielle, ou dans la langue de la majorité de la population de la région»:

Article 5

Langue dans laquelle la procédure judiciaire se déroule

1) La procédure judiciaire des tribunaux aksakal doit se dérouler
dans la langue d'État ou dans la langue officielle, ou dans la langue de la majorité de la population de la région.

2) Les tribunaux aksakal peuvent exiger des parties qu'elles traduisent une preuve écrite dans la
langue qui sera appliquée lors de l'examen du procès.

Cela ne signifie pas que le juge puisse comprendre la langue du justiciable; il doit simplement faire appel à un interprète.

3.4 Les pénalités pour les infractions à la législation linguistique

Les lois kirghizes prévoient des infractions contre les personnes morales et les personnes physiques qui ne respectent pas les normes littéraires de la langue kirghize ou qui font fi du libre choix de la langue ou qui méprisent «la langue d'État». 

- Des pénalités variées

Ainsi, l'article 65-1 du Code des infractions (2017) prévoit aussi des pénalités pour les infractions relatives à la législation sur la langue concernant l'emplacement des panneaux sur les bâtiments des personnes morales et des personnes physiques, les annonces, les listes de prix et toute autre information visuelle avec des textes qui ne répondent pas aux normes de la langue littéraire:
 

Article 65-1

Infractions relatives aux prescriptions de la législation sur la langue de la République kirghize

1)
L'emplacement des panneaux sur les bâtiments des personnes morales et des personnes physiques, les annonces, les listes de prix et toute autre information visuelle avec des textes qui ne répondent pas aux
normes de la langue littéraire (alphabet et règles d'orthographe) - entraînent un avertissement.

2) L'action prévue au paragraphe précédent du présent article, si elle n'est pas modifiée dans un délai d'un mois ou si elle est commise à plusieurs reprises dans un délai de six mois après l'émission d'un avertissement - est passible d'une amende
selon la catégorie 1.

3) La publicité extérieure dans les agglomérations urbaines et rurales avec des textes qui ne répondent pas aux normes de la langue littéraire (alphabet et règles d'orthographe) - est passible d'une amende
selon la catégorie 1.

En vertu du paragraphe 1 de cet article 65-1, l'infraction entraîne un «avertissement». Le paragraphe 2 impose une amende selon la «catégorie 1», c'est-à-dire une somme de 1000 soms (env. 12,6 € ou 11,7 $US) en monnaie kirghize. Pour la publicité extérieure, ce sont 5000 soms (54,5 € ou 59 $US) pour les personnes morales. En réalité, les amendes sont calculées en indicateurs établis et sont divisées en huit catégories selon la taille: c'est cinq fois plus élevé pour les personnes morales que pour les particuliers.

- Cent fois le salaire minimal

On ne badine pas avec la langue au Kirghizistan, que ce soit la langue d'État, la langue officielle ou celle des autres nationalités du pays! L'article 64 du Code sur la responsabilité administrative (1998-2019) énonce que «toute infraction du droit des citoyens de choisir librement la langue en éducation» ou toute restriction dans l'emploi de la langue, voire le «mépris de la langue d'État» ou le non-respect des prescriptions prévues par la législation sur la langue entraînent l'imposition d'une amende administrative chez les fonctionnaires d'un montant minimal de 100 fois le salaire mensuel :

Article 64

Infractions du droit des citoyens au libre choix de la langue

1) Toute infraction du droit des citoyens de choisir librement la langue en éducation et dans l'apprentissage, la création d'obstacles et les restrictions dans l'emploi de la langue, le mépris de la
langue d'État, ainsi que d'autres langues des nations et des nationalités vivant en République kirghize, le non-respect et la violation des prescriptions prévues par la législation sur la langue entraînent l'imposition d'une amende administrative chez les fonctionnaires d'un montant minimal de 100 fois le salaire mensuel.

2) Les mêmes actions prévues au premier paragraphe du présent article, commises par des personnes physiques et morales, entraînent l'imposition d'une amende administrative aux citoyens d'un montant de dix fois le montant prévu au règlement et d'un montant de 100 fois pour les personnes morales.

Le salaire mensuel moyen dans le pays est d'environ 95$ US (87 €), alors qu'ailleurs en Asie il peut s'élever à plus de 500 $US (458 €). Par conséquent, un fonctionnaire qui est trouvé coupable devrait payer 100 fois le salaire mensuel, soit 950 $US (871 €), ce qui équivaut à presque un an de salaire. 

- Le bilinguisme institutionnel
 
Comme il fallait s'y attendre, la Loi sur le notariat (1998-2018) oblige que les actes notariés soient rédigés dans la langue d'État ou dans la langue officielle, sinon ils doivent être traduits par un traducteur:  
 

Article 9

Langue de tenue des registres notariaux

Les documents notariés doivent être rédigés
dans la langue d'État ou dans la langue officielle. Si la personne qui demande l'acte notarié ne parle pas la langue dans laquelle est rédigé l'acte notarié, les textes des documents présentés doivent être traduits par le traducteur.

Article 75

Preuve de la fidélité de la traduction

1) Le notaire confirme la fidélité de
la traduction d'une langue à l'autre, si le notaire maîtrise les langues concernées.

2) Si le notaire ne maîtrise pas les
langues concernées, la traduction peut être effectuée par un traducteur
dont la signature est vérifiée par un notaire.

En somme, en matière de justice, d’administration publique et de services notariaux, le kirghiz et le russe sont admis partout puisque les instances publiques, les tribunaux et les notaires sont tenus d’être bilingues, avec comme particularité que leurs fonctions s’effectuent en kirghiz et, «dans les cas nécessaires», en russe.

De façon générale, c'est le bilinguisme russo-kirghiz qui prévaut dans le système judiciaire du Kirghizistan. Cela signifie aussi que les juges, les greffiers, les huissiers, les avocats, les notaires, etc., doivent être bilingues. Dans ces conditions, il est difficile de comprendre en quoi le russe est subordonné au kirghiz. Quant aux langues des minorités nationales, elles sont réduites à la traduction, à moins que les justiciables se servent du kirghiz ou du russe.

Par ailleurs, dix ans après le conflit interethnique de juin 2010, les victimes attendent toujours la justice. Les événements sanglants qui ont mis en cause l'ethnie ouzbèke ont souffert de façon disproportionnée, tué plus de 400 personnes et détruit des milliers de maisons, suivis de nombreux cas de détention arbitraire, de mauvais traitements et de torture. Les autorités n'ont jamais revu les condamnations prononcées après la tragédie de juin 2010 sur la base d'aveux obtenus sous la torture. Selon un rapport du sous-comité des Nations unies pour la prévention de la torture, l'impunité pour les mauvais traitements et la torture semble la norme, les affaires pénales d'allégations de mauvais traitements et de torture sont rarement engagées, tandis que les enquêtes et les procès sont souvent prolongés et inefficaces.

4 Les langues dans l'administration publique

Le Kirghizistan a été parmi les premiers pays post-soviétiques à prendre des mesures pour entreprendre des réformes concernant l'administration publique dans le but de décentraliser la bureaucratie. Les premières réformes ont commencé sous le régime du premier président Akaïev, notamment en 1994 et en 1995, à la suite de l'adoption de la première Constitution du Kirghizistan indépendant en 1993. En 2001, le processus de transfert de toutes les unités administratives du Kirghizistan selon le principe de l'autonomie locale était officiellement achevé.

Actuellement, il existe trois niveaux d'administration au Kirghizistan :

1) sept régions appelées «oblasts» (Batken, Tchouï, Jalal-Abad, Naryn, Och, Talas et Yssyk-Koul) et deux villes à statut spécial (Bichkek et Och) ;
2) 40 districts appelés "rayon" en russe ou "rayonduk" en kirghiz, 22 villes et 29 établissements d'importance urbaine ;
3) 470 communautés rurales appelées "Ayil Okmotus" réunissant des groupes de villages avec leurs propres maires et conseillers élus.

4.1 La langue des services aux citoyens

Lorsqu'un citoyen du Kirghizistan s'adresse à une administration publique, il doit le faire en principe dans la langue d'État, le kirghiz, ou dans la langue officielle, le russe. C'est l'article 5 de la Loi sur la langue d'État (2004) qui le prescrit, que ce soit au niveau de l'État ou des collectivités locales (oblats, districts ou villages) :
 

Article 5

Les citoyens de la République kirghize s'adressent aux organismes du pouvoir de l'État, des collectivités locales, des autres organismes et institutions
dans la langue d'État ou dans la langue officielle.

- Un accès égal

Par contre, l'article 8 de la Loi sur l'autonomie locale (2011-2019) énonce que les citoyens ont un accès égal aux services municipaux, quels que soient leur sexe, leur race, leur nationalité, leur langue, etc., ce qui ne signifie pas nécessairement qu'ils peuvent employer leur langue et qu'on leur répondra dans cette langue:

Article 8

Le service municipal

1)
Les citoyens de la République kirghize ont un accès égal aux services municipaux, quels que soient leur sexe, leur race, leur nationalité, leur langue, leur origine, leurs biens et leur fonction officielle, leur lieu de résidence, leur religion, leurs convictions.

2) La procédure d'organisation et de conduite d'un service municipal est régie par la législation de la République kirghize.

Cette disposition assure un accès égal aux services municipaux, mais si un citoyen n'est pas compris il ne s'agit plus d'un accès égal. Or, l'article 4 de la Loi sur la fonction publique et les services municipaux (2016-2019) laisse croire que l'égalité d'accès est assurée sans distinction de... langue:

Article 4

Principes de la fonction publique et des services municipaux

La fonction publique de l'État et les services municipaux reposent sur l'unité et l'intégrité du système de l'administration publique et fonctionnent selon les principes suivants:

4) l'égalité d'accès des citoyens de la République kirghize pour l'obtention d'un service, sans distinction de sexe, de race, de langue, de handicap, d'appartenance ethnique, de religion, de convictions politiques ou autres, d'origine, de propriété ou de tout autre statut;

- Le choix de la langue

Mais l'article 7 de la Loi sur l'accès à l'information détenue par l'État et les collectivités locales (2006-2017) indique clairement qu'un document peut exister dans plusieurs langues, toute personne requérante doit le recevoir dans la langue choisie:

Article 7

Formulaires de demande d'informations

1)
Les demandes d'informations peuvent être adressées aux organismes publics et aux collectivités locales sous la forme:

- d'un contact direct oral ou par téléphone;
- d'une demande écrite communiquée par transmission directe, par courrier, par coursier ou transmise par voie de communication électronique.

2) La réponse à la demande doit être exécutée sous la forme dans laquelle la demande a été envoyée.

3) Dans le cas où un document publié par un organisme public et une administration locale existe
dans plusieurs langues, le document doit être soumis dans la langue choisie par la personne qui demande les informations.

De plus, il est indiqué que «la réponse à la demande doit être exécutée sous la forme dans laquelle la demande a été envoyée». Cependant, étant donné le grand nombre de langues parlées dans le pays, il est illusoire de croire qu'on puisse répondre dans toutes ces langues.

L'article 3 de la Loi sur la langue officielle (2000) garantit aux citoyens le droit de s'adresser aux autorités de l'État et aux collectivités locales dans la langue officielle, c'est-à-dire le russe:

Article 3

Garanties des droits des citoyens de la République kirghize à examiner les documents qu'ils soumettent

1)
Les citoyens de la République kirghize ont le droit de s'adresser aux autorités de l'État et aux collectivités  locales dans la
langue officielle.

2) Les organismes du pouvoir de l'État et des collectivités locales doivent accepter et examiner les documents soumis par les citoyens dans la
langue officielle.

Finalement, c'est l'article 9 de la Loi sur la procédure d'examen des recours des citoyens (2007-2016) qui nous donne la réponse, car «s'il est impossible de donner une réponse dans cette langue, la langue d'État ou la langue officielle de la République kirghize doit être employée»:
 

Article 9

Procédure d'examen des recours des citoyens reçus par écrit

1)
Les recours des citoyens peuvent être transmis par courrier ou en personne.

2) Les citoyens ont le droit de présenter un recours
dans la langue d'État, la langue officielle ou toute autre langue des peuples de la République kirghize. Les réponses aux plaintes écrites des citoyens sont données dans la langue du recours. S'il est impossible de donner une réponse dans cette langue, la langue d'État ou la langue officielle de la République kirghize doit être employée. 

Dans les faits, outre le kirghiz, le russe et parfois l'anglais, seuls l'ouzbek, le doungane et le tadjik peuvent parfois être employés sur une base strictement locale. 

4.2 Les langues de l'État et de l'administration

Comme on peut le prévoir, le kirghiz et le russe sont les langues employées par toutes les administrations, qu'elles soient nationales ou locales. D'ailleurs, l'article 7 de la Loi sur la langue d'État (2004) impose l'usage de la langue d'État (le kirghiz) et, si nécessaire, la langue officielle (le russe), ce qui suppose que la première est supérieure à la seconde:
 

Article 7

Les travaux des autorités de l'État et des collectivités locales, des autres organismes et institutions de la République kirghize doivent être effectués dans la
langue d'État et, si nécessaire, dans la langue officielle.

 L'article 14 de la Loi sur la langue d'État (2004) est conforme à la disposition précédente:
 

Article 14

Dans les organismes de l'État, des collectivités locales, des organisations et des entreprises de l'État, les formalités administratives doivent être rédigées dans la
langue d'État, les autres langues devant être employées conformément à la législation de la République kirghize.

- L'apprentissage du kirghiz obligatoire

C'est pourquoi cet article 17 de la Loi sur la langue d'État (2004) incite les autorités responsables à faciliter l'apprentissage de la langue d'État et à veiller à ce que les documents soient rédigés dans cette langue:
  

Article 17

Les responsables des autorités de l'État, des collectivités locales et des autres organismes de l'État doivent faciliter les conditions permettant à leurs employés d'apprendre la
langue d'État et veiller à ce que les documents soient rédigés dans cette langue.

L'article 17 de la Loi sur la fonction publique (2004-2015) va dans le même sens puisque la connaissance de la langue d'État est obligatoire:
 

Article 17

Exigences de qualification

Les exigences de qualification pour les fonctionnaires comprennent les exigences suivantes:

- le niveau et le profil d'enseignement professionnel, en tenant compte de la catégorie et du groupe des postes administratifs publics;

- la pratique et l'expérience dans la spécialité et les compétences professionnelles pertinentes;

- la connaissance de la
langue d'État dans la mesure nécessaire aux activités d'un fonctionnaire dans les cas prévus par les actes juridiques réglementaires.

- La connaissance des deux langues

Cependant, selon la Loi sur la langue officielle (2000), la maîtrise du kirghiz n'implique pas la méconnaissance du russe, car «la langue officielle de la République kirghize est la langue utilisée à côté de la langue d'État dans le domaine de l'administration publique:
 

Article 1er

La langue officielle de la République kirghize

1) La
langue officielle de la République kirghize est la langue utilisée à côté de la langue d'État dans le domaine de l'administration publique, de la législation et de la procédure judiciaire de la République kirghize, ainsi que dans d'autres domaines de la vie publique de la République kirghize dans les conditions et les mesures prévues par la présente loi et la législation de la République kirghize.

Enfin, l'article 13 de la Loi sur la citoyenneté (2007-2011) précise qu'un ressortissant étranger, qui a atteint l'âge de 18 ans, a le droit de demander la citoyenneté s'ils parlent suffisamment la langue d'État ou la langue officielle pour pouvoir communiquer:
 

Article 13

Conditions d'admission à la citoyenneté de la République kirghize de manière générale

1) Les ressortissants étrangers et les apatrides qui ont atteint l'âge de 18 ans ont le droit de demander la citoyenneté de la République kirghize de manière générale: 

1. s'ils résident de façon permanente et continue sur le territoire de la République kirghize au cours des cinq dernières années au moment de la requête. La période de résidence est considérée comme continue si une personne quitte la République kirghize pour une période maximale de trois mois dans un délai d'un an;

2.  s'ils parlent suffisamment
la langue d'État ou la langue officielle pour pouvoir communiquer; la procédure pour déterminer le niveau de connaissance de la langue d'État ou de la langue officielle est établie par le Règlement sur la procédure d'examen relative aux questions sur la citoyenneté;

Article 33

Liste des documents soumis aux autorités compétentes de la République kirghize

1) Tout ressortissant étranger ou tout apatride doit soumettre aux organismes des affaires intérieures du lieu de résidence ou des missions diplomatiques et agences consulaires les documents suivants:

1. un formulaire de demande d'admission à la citoyenneté de la République kirghize en deux exemplaires;

7. un document confirmant le niveau de connaissance du requérant
dans la langue d'État ou dans la langue officielle. Un tel certificat n'est pas exigé des personnes qui ont un certificat d'obtention du diplôme attestant l'étude de la langue kirghize ou russe.

Il en est ainsi dans le Règlement sur la procédure d'examen relative aux questions sur la citoyenneté de la République kirghize (2013):

Article 11

Les citoyens étrangers et les apatrides qui ont atteint l'âge de 18 ans ont le droit de demander la citoyenneté de la République kirghize de manière générale:

1. s'ils résident de façon permanente et continue sur le territoire de la République kirghize au cours des cinq dernières années au moment de la demande. La période de résidence est considérée comme continue si une personne quitte la République kirghize pour une période maximale de trois mois dans un délai d'un an;

2. s'ils maîtrisent
la langue d'État ou la langue officielle de façon suffisante pour pouvoir communiquer;

L'article 13 du même règlement exige qu'un ressortissant étranger fournisse un document confirmant l'obtention d'un diplôme d'un établissement d'enseignement dans l'étude du kirghiz ou de la langue russe, ou un document sur l'éducation émis sur le territoire d'un État étranger et comportant une annexe concernant l'étude dans un cours de kirghiz ou de la langue russe, avec une traduction notariée. Évidemment, un tel document n'est pas exigé pour l'ethnie kirghize.

4.3 Le bilinguisme institutionnel

En fait, l'État kirghiz est une institution bilingue. Les articles 11 et 12 de la Loi sur la langue officielle (2000) illustrent bien l'emploi des deux langues, le kirghiz et le russe, dans l'administration publique:
 

Article 11

Noms officiels et coordonnées des autorités pouvoir de l'État, des collectivités locales et des organismes

1) Les noms officiels des autorités de l'État, des collectivités locales et des organismes sont présentés dans
la langue d'État et dans la langue officielle.

2) Les textes des sceaux officiels, des timbres et du papier à en-tête des autorités de l'État, des collectivités locales et des organismes sont présentés dans la
langue d'État et reproduits dans la langue officielle
.

Article 12

Documentation

La tenue de la documentation comptable, statistique, financière et technique dans les organismes publics, des collectivités locales et des organismes sur le territoire de la République kirghize est assurée dans la
langue d'État ou dans la langue officielle.

L'article 6 de la Loi sur les actes d'état civil (2005-2018) prescrit que les registres d'état civil soient présentés dans deux langues, le kirghiz et le russe:
 

Article 6

Enregistrement par l'État des actes d'état civil

5)
La tenue des registres dans les bureaux de l'état civil doit être effectuée
dans la langue d'État et dans la langue officielle de la République kirghize.

L'article 6 de la Loi sur l'enregistrement public des personnes morales et des succursales (2009-2015) oblige que toute soumission de documents pour fins d'enregistrement soit présentée dans la langue d'État ET dans la langue officielle :
 

Article 6

Procédure de soumission des documents lors d'une inscription

3)
Le requérant a le droit de demander à l'autorité d'enregistrement une demande de vérification préliminaire du nom de l'entité juridique créée ou de la succursale (bureau de représentation). La procédure de vérification préliminaire du nom d'une personne morale ou de la succursale (bureau de représentation) est déterminée par le gouvernement.


Les entités juridiques, les succursales (bureaux de représentation) ne doivent utiliser leur nom, respectivement dans la langue d'État et dans la langue officielle de la République kirghize, qu'avec des lettres des alphabets kirghiz et russe et, en anglais, des lettres de l’alphabet latin.

5) Lors de l'enregistrement, les documents d'une entité juridique, succursale (bureau de représentation) sont soumis à l'autorité d'enregistrement
dans la langue d'État et dans la langue officielle
.

L'article 12 du Code des douanes (2005-2014) exige que les documents soient soumis dans la langue d'État OU dans la langue officielle :
 

Article 12

Ordre d'inscription et d'exclusion au registre des personnes exerçant des activités dans le domaine des services douaniers


1) L'inscription au registre des personnes exerçant des activités dans le domaine des services douaniers doit s'effectuer par une personne soumettant une déclaration écrite à l'autorité publique agréée et contenant les informations prévues à l'article 13 du présent Code.

2) La demande doit être accompagnée des documents prévus à l'article 14 du présent Code, lesquels peuvent être présentés sous forme d'originaux ou de copies certifiées conformes selon les modalités prévues. Les documents sont soumis dans la langue d'État ou dans la langue officielle.

L'article 24 de la Loi sur la langue d'État (2004) impose le kirghiz dans le nom des unités administratives de la République kirghize, mais le kirghiz et le russe dans les entreprises, les institutions, les organisations locales nationales et non nationales:
 

Article 24

1)
Les noms des unités administratives et territoriales, ainsi que les lieux (rues, places, etc.) et les noms géographiques et de la République kirghize doivent être libellés dans la langue d'État.

2) Les noms des entreprises, des institutions, des organisations locales nationales et non nationales doivent être enregistrés dans la langue d'État et dans la langue officielle.

Il en est ainsi à l'article 26 de la même loi pour les sceaux officiels et les formulaires des autorités publiques et des collectivités locales, etc.:
 

Article 26

Les sceaux officiels et les formulaires des autorités publiques et des collectivités locales, des institutions et des organismes nationaux et non nationaux doivent être rédigés dans la
langue d'État et reproduits dans la langue officielle ou dans d'autres langues.

En vertu de l'article 8 de la Loi sur les noms géographiques (1997-2014), lorsqu'il s'agit de publications ou de documents destinés à un usage international, les noms des objets géographiques sont transmis dans la langue d'État et dans la langue officielle avec des lettres en alphabet latin :
 

Article 8

Noms des objets géographiques en République kirghize attribués dans la langue d'État et dans la langue officielle

Dans les documents, les publications cartographiques et autres destinés à un usage international, les noms des objets géographiques de la République kirghize sont transmis
dans la langue d'État et dans la langue officielle avec des lettres en alphabet latin selon les modalités prescrites par les normes internationales.

Il existe au Kirghizistan un Bureau du médiateur (Akyikatchy) qui reçoit des plaintes pour les infractions aux droits de l'homme; cet organisme public reçoit régulièrement un certain nombre de plaintes de la part des minorités concernant des allégations de mauvais traitements par la police, des discriminations dans les services publics, sans oublier des discours de haine à l'égard des organisations humanitaires et religieuses. Si l'État kirghiz est bilingue, il verse parfois dans le trilinguisme avec l'anglais. Bien que les langues de travail du Bureau du médiateur soient le kirghiz et le russe, l'article 6 du Règlement sur le Bureau du médiateur (2009-2011) exige que le nom officiel dudit Bureau soit en trois langues:

Article 6

Le Bureau du médiateur a comme nom officiel:

- en langue kirghize : «Kırgız Respublikasının Akıykatçı (Ombudsmen) Apparatı»;
- en langue russe : «Apparat Akyykatchy (Ombudsmena) Kyrgyzskoy Respubliki»;
- en langue anglaise : "Ombudsman Office of the Kyrgyz Republic".

Article 7

Les langues de travail du Bureau du médiateur sont la langue d'État et la langue officielle.

En fait, l'anglais peut servir de langue alternative pour les minorités nationales autres que les russophones. Faute de personnel, le Bureau du médiateur ne peut que difficilement s'acquitter de ses fonctions concernant l'accessibilité aux minorités de déposer des plaintes pour la discrimination fondée sur des motifs ethniques, religieux ou linguistiques. 

La promotion de la langue kirghize a entraîné un effet pervers à l'égard des minorités linguistiques non kirghizophones et non russophones. Étant donné que ces minorités ne parlent pas toujours ces deux langues, les oblasts et les municipalités sont de moins en moins enclins à offrir des services dans ces langues. Pour les mêmes raisons, les autorités locales sont également moins portées à embaucher des membres des minorités nationales.

Chaque année, le Médiateur (Akyikatchy) soumet au Parlement de la République un rapport sur la situation des droits et libertés de l'homme et du citoyen, dans lequel il cite officiellement, à titre indépendant des cas de violation des droits et libertés d'un citoyen à des fins raciales, nationales, religieuses ou linguistique. Les faits diffusés par le Médiateur se veulent une contribution à une analyse critique de la législation existante et une amélioration dans le processus d'harmonisation de la législation nationale avec le droit international.

4.4 Les relations internationales

Le gouvernement tente bien d'imposer le kirghiz («langue d'État») dans les relations internationales. L'article 29.1 de la Loi sur la langue d'État (2004) est précis à ce sujet, mais autorise l'emploi du russe («langue officielle») si cela est nécessaire:
 

Article 29.1

1) Les activités des missions diplomatiques, des postes consulaires et des bureaux de représentation de la République kirghize auprès des organisations internationales doivent se dérouler sont menées dans
la langue d'État et, si nécessaire, dans la langue officielle.

2) Dans les relations officielles avec les États étrangers et les organisations internationales, la République kirghize utilise la
langue d'État et, si nécessaire, la langue officielle, ainsi que la langue d'État d'un État étranger ou la langue de travail d'une organisation internationale.

D'ailleurs, l'article 1er de la Loi sur la langue officielle (2000) précise que la «langue officielle», c'est-à-dire le russe, «sert de langue de communication interethnique et contribue à l'intégration de la république dans la communauté mondiale»:
 

Article 1er

La langue officielle de la République kirghize

2) La
langue officielle de la République kirghize est la langue qui sert de langue de communication interethnique et contribue à l'intégration de la république dans la communauté mondiale.

3) La
langue officielle
de la République kirghize est le russe.

Néanmoins, l'article 10 de la même loi mentionne que les langues des négociations sont le kirghiz, le russe, l'anglais ou la langue de autres parties contractantes:
 

Article 10

Traités internationaux

1) Les langues des négociations sont l
e kirghiz, le russe, l'anglais ou la langue des autres parties contractantes.

2) Les traités internationaux de la République kirghize sont conclus en kirghiz, en russe ou en anglais et dans la langue des autres parties contractantes.

3) La publication des traités internationaux de la République kirghize qui sont entrés en vigueur est présentée dans les langues kirghize et russe et, si nécessaire, dans d'autres langues.

Dans les faits, le russe est privilégié dans les relations internationales puisqu’il fait partie de la liste des langues mondialement reconnues à cet effet, et ce, d’autant plus qu’il est encore très utilisé dans les relations entre les pays de l’espace postsoviétique, alors que le kirghiz n’accomplit sa fonction de communication qu’à l’intérieur de l’État.

5 Les langues en éducation

Le Kirghizistan dispose d'écoles maternelles, d'écoles primaires et secondaires, ainsi que d'établissements d'enseignement supérieur. L'école maternelle ou préscolaire est possible pour les enfants de 3 à 6 ans, parfois 7, mais elle n'est pas obligatoire, surtout que son accès semble limité. Suit l'école primaire obligatoire qui dure quatre ans. L'enseignement secondaire est obligatoire et commence avec un enseignement fondamental qui dure quatre ans. Par la suite, les élèves ont le choix entre une formation généraliste ou professionnelle. L'enseignement  généraliste est constitué d'un programme de deux ans, qui s'achève par certificat donnant accès à l'université. On compte au moins 54 établissements d'enseignement supérieur, dont 33 publics et 21 privés. De façon générale, l'instruction est offerte en kirghiz et en russe, mais aussi en ouzbek et en tadjik.

5.1 La langue d'État (kirghiz)

Quelle que soit la langue principale d'enseignement, tous les établissements d'enseignement sont tenus de respecter les normes nationales en ce qui concerne les programmes et les disciplines de formation.  Parmi ces règles ou normes figure l'enseignement du kirghiz, la langue d'État, et du russe, la langue officielle. L'article 18 de la Loi sur la langue d'État (2004) énonce que la langue d'État est la principale langue d'enseignement dans tous les établissements d'enseignement financés par les budgets de l'État et/ou d'une collectivité locale:

Article 18

1) Dans le système d'éducation de la République kirghize, la langue d'État est la principale langue d'enseignement dans les établissements d'enseignement préscolaire, dans les établissements d'enseignement professionnel primaire, secondaire et supérieur, ainsi que dans les établissements d'enseignement professionnel complémentaire, financés par les budgets de l'État et/ou d'une collectivité locale.

2)Dans les établissements d'enseignement préscolaire, les établissements d'enseignement général (écoles, lycées, gymnases), les établissements d'enseignement professionnel primaire ayant des
langues officielles ou d'autres langues de formation, l'enseignement et l'apprentissage de la langue d'État pour toute la période des études doivent être assurés. Dans les établissements d'enseignement professionnel secondaire et supérieur ayant des langues officielles et d'autres langues de formation, l'enseignement de la langue d'État doit être offert selon les taux fixés par le gouvernement de la République kirghize.

3) Dans les établissements d'enseignement général (écoles, lycées, gymnases), les traductions écrites (d'une classe à l'autre) et les examens finaux sont obligatoires et, dans les établissements d'enseignement professionnel primaire, secondaire et supérieur, les examens d'entrée et de sortie doivent être
dans la langue d'État.

De plus, l'article 3 de la Loi sur la langue officielle (2000) prescrit que dans toutes les écoles la langue officielle est une matière obligatoire et figure dans la liste des disciplines figurant dans les programmes en éducation:
 

Article 13

Établissements d'enseignement

Dans toutes les écoles de différents types, catégories et formes de propriété, ainsi que dans les établissements publics d'enseignement supérieur, la
langue officielle est une matière obligatoire et figure dans la liste des disciplines figurant dans les programmes en éducation.

Il reste à savoir dans quelle proportion ces deux langues doivent être enseignées.

5.2 L'enseignement préscolaire

L'article 15 de la Loi sur l'éducation prévoit que l'État garantit un soutien financier et matériel à l'éducation des enfants d'âge préscolaire, et assure aussi la disponibilité des services pédagogiques des établissements préscolaires pour tous les segments de la population. Étant donné qu'une partie importante des enfants n'ont pas accès à l'éducation préscolaire, l'État est prêt à assumer au moins 50% des coûts pour les services de maternelle privés. Selon l'article 23 de la Loi sur l'éducation préscolaire (2009), les parents ont le droit de choisir l'école maternelle pour leurs enfants, mais ils doivent éduquer leurs enfants «à la rigueur, à l'attitude respectueuse envers l'aîné en ce qui concerne l'âge, la langue d'État, la langue officielle et la langue maternelle, les traditions et coutumes populaires»:

Article 23

Droits et obligations des parents (représentants légaux)

2)
Les parents (représentants légaux) sont tenus:

- de jeter les bases du développement physique, intellectuel, moral et social de leur enfant, d'assumer la responsabilité des enfants recevant une éducation préscolaire;

- de prévoir des conditions permettant aux enfants de recevoir une éducation préscolaire sous quelque forme que ce soit;

[...]

- d'éduquer leur enfant à la rigueur, à l'attitude respectueuse envers l'aîné en ce qui concerne l'âge,
la langue d'État, la langue officielle et la langue maternelle, les traditions et coutumes populaires;

L'enseignement préscolaire est offert dans des établissements publics et privés, surtout sous la responsabilité des municipalités. Les langues d'enseignement les plus employées sont le kirghiz, le russe, l'ouzbek et le tadjik. On compte 1390 établissements préscolaires dans le pays, couvrant 187 078 enfants, dont 99 678 reçoivent un enseignement en kirghiz, 86 511 en russe, 878 en ouzbek et 11 dans d'autres langues.

5.3 L'enseignement primaire et secondaire

La Loi sur l'éducation (2003) stipule à l'article 16 que «l'enseignement général primaire, l'enseignement général de base et l'enseignement secondaire général sont des niveaux d'enseignement obligatoires pour tous les citoyens de la République kirghize». Le paragraphe du même article énonce que l'enseignement primaire vise à développer des compétences en calcul, en lecture et en écriture dans la langue étudiée, ainsi que des compétences en communication dans la langue d'État et dans la langue officielle:

Article 16

La scolarité

5) L’enseignement primaire général vise à façonner la personnalité de l’enfant, à développer ses capacités intellectuelles, à créer de solides capacités de calcul, de lecture et d’écriture dans la langue étudiée, ainsi que des compétences en communication dans la
langue d'État et dans la langue officielle.

D'après un rapport des Nations unies publié en décembre 2019, les langues d'enseignement dans 16 889 écoles publiques sont les suivantes: le kirghiz, le russe, l'ouzbek et le tadjik. Le russe est la langue d'enseignement dans 226 écoles, l'ouzbek dans 33 écoles et le tadjik dans trois. Les données d'analyse longitudinale pour l'année scolaire 2013 jusqu'à l'année 2017-2018 montrent une forte diminution du nombre d'écoles ouzbèkes (de 65 à 33), tandis que le nombre d'écoles russes a augmenté et que le nombre d'écoles avec la langue tadjike reste inchangé tout au long de la période considérée. Il convient de noter que, malgré le fait que la communauté ouzbèke est la deuxième plus grande du pays et la plus nombreuse avant la minorité russe, l'emploi de la langue ouzbèke en éducation est largement sous-représentée. En ce qui concerne l'enseignement professionnel secondaire, sur 91 877 élèves inscrits dans 145 établissements d'enseignement au cours de l'année scolaire 2017-2018, plus de 79 000 étaient d'origine kirghize. 

5.4 L'enseignement bilingue et les minorités

L'un des principaux domaines prioritaires de la stratégie en éducation pour le gouvernement kirghiz est le développement d'une éducation multiculturelle et multilingue, dans laquelle les élèves reçoivent un enseignement dans deux langues ou plus. Ainsi, en 2019, l'enseignement multilingue (trois langues) est offert dans plus de 80 écoles à travers le pays, ainsi que dans 60 jardins d'enfants et 5 établissements d'enseignement supérieur. Il existe également des programmes pilotes pour l'enseignement multilingue, qui sont soutenus par des organisations internationales, telles que l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.

- La concurrence linguistique

Malgré le fait que l'article 10 de la Constitution garantisse aux représentants de tous les groupes ethniques qui composent le peuple du Kirghizistan le droit de préserver leur langue maternelle et de créer les conditions de son étude et de son développement, les minorités font face à de graves difficultés pour obtenir une instruction de qualité dans leur langue maternelle. Le kirghiz et le russe ont progressivement remplacé les langues minoritaires dans le système d'enseignement public, et ce, d'autant plus que l'enseignement professionnel ou universitaire dans les langues minoritaires est pratiquement absent, à l'exception de plusieurs cours limités à l'étude des langues des minorités non russophones.

Avant 2010, il y avait deux universités kirghizes qui offraient des cours en langue ouzbèke, à savoir l'Université kirghize-ouzbèke à Och et l'Université de l'amitié populaire à Jalal-Abad; aujourd'hui, l'Université kirghize-ouzbèke n'offre des cours qu'en kirghiz et en russe, tandis que l'Université de Jalal-Abad est fermée.

- La réduction des écoles minoritaires

Le nombre d'écoles qui enseignent dans les langues minoritaires a considérablement diminué, soit en raison du manque de financement et de professeurs qualifiés dans les langues minoritaires, soit parce que certaines de ces écoles ont troqué l'enseignement en russe pour le kirghiz. En outre, de nombreux parents appartenant à des minorités préfèrent envoyer leurs enfants dans des écoles bilingues avec un enseignement en kirghiz et en russe afin de poursuivre leurs études après le secondaire, car les universités ne donnent un enseignement qu'en kirghiz ou en russe, mais aussi pour assurer un emploi à leurs enfants après l'obtention du diplôme soit Kirghizistan soit à l'étranger, notamment en Russie.

Il n'y a plus aujourd'hui d'enseignement dans un certain nombre de langues minoritaires, c'est en raison du manque de soutien de l'État et de la pénurie d'enseignants bien formés, sans oublier l'absence flagrante de matériel pédagogique et de manuels, ce qui semble contredire les garanties contenues dans l'article 10 de la Constitution. Par exemple, les enfants de la minorité kurde ne reçoivent pas un enseignement dans leur langue maternelle, tandis que les Ouïghours ont reçu l'autorisation du ministère de l'Éducation et des Sciences pour mettre en œuvre des programmes d'enseignement dans la langue ouïghoure dans trois écoles des régions de Tchouï et d'Och. Malheureusement, le gouvernement n'a encore fourni aucune ressource financière à la communauté ouïghoure qui n'a guère les moyens financiers pour résoudre le problème.

Quant à la minorité doungane dans la région de Tchouï, il y a une dizaine d'écoles dans la ville d'Och, où seulement une heure par semaine est consacrée à l'étude de la langue doungane.  De plus, selon les informations fournies au Rapporteur spécial, chaque année, des représentants de la minorité doungane sont obligés d'envoyer des lettres au ministère de l'Éducation et des Sciences et aux parlementaires afin de s'assurer de recevoir une instruction dans la langue maternelle et de conserver une heure par semaine allouée à ces fins. En ce qui concerne les manuels de la langue doungane, il a été signalé qu'au cours des cinq dernières années, un seul projet a été mis en œuvre, dans le cadre duquel 7000 manuels ont été obtenus grâce à la réception d'une subvention gouvernementale par l'Association doungane du Kirghizistan sur une base concurrentielle.

En outre, après 2015, la possibilité d'utiliser la langue ouzbèke dans les examens finaux nationaux dans les écoles secondaires, dont le passage donne accès à l'enseignement supérieur, a été annulée. Depuis lors, les examens ne peuvent être passés qu'en kirghiz et en russe. Le Comité des Nations unies pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale considère la suppression des examens d'entrée dans les universités en langue ouzbèke comme une mesure potentiellement discriminatoire pour les enfants, dont la formation a été partiellement donnée en langue ouzbèke.

En réalité, le plus grand problème auquel doivent faire face les minorités concerne les membres qui ne vivent pas dans des zones d'implantation où résident des minorités, car ils sont dispersés sur des portions de territoire. Dans cette situation relativement courante, ce droit à recevoir son instruction dans sa langue maternelle ne peut pas être compris pour chaque individu d'un groupe minoritaire. En raison de facteurs économiques, il faut un minimum d'élèves pour ouvrir une école ou une classe dans une langue donnée. Outre l'ouzbek et le tadjik, les langues maternelles enseignées sont généralement le doungane, l'ouïgour, l'allemand et le turc. Lorsque le demande semble insuffisante pour répondre aux besoins des enfants de petites langues minoritaires, l'offre d'un enseignement dans ces langues n'est plus possible. Dans ces conditions,  les enfants doivent recevoir leur instruction dans les langues disponibles, ce qui contrevient encore une fois à l'article 10 de la Constitution. De façon générale, les parents qui ne peuvent obtenir que leurs enfants reçoivent leur instruction dans leur langue maternelle choisissent le russe lorsqu'ils habitent dans les centres urbains du Nord; dans le Sud et les villages du Nord, ils ont tendance à choisir le kirghiz.

La langue russe continue aujourd'hui d'être grandement utilisée dans le système d'éducation. Son rôle est particulièrement important dans les établissements préscolaires concentrés principalement dans les grandes villes et dans l'enseignement supérieur. Selon les données officielles de 2015, quelque 65% de tous les enfants inscrits dans l'enseignement préscolaire reçoivent leur instruction en russe, 33,3% en kirghize et 1,8 % en ouzbek. Au lycée, 73,1% de tous les élèves étudient en kirghiz, 17,9% en russe et 8,7% en ouzbek. Selon l'ambassade du Kirghizistan auprès de la Fédération de Russie, il existe 200 écoles dans le pays avec le russe et 414 avec un enseignement mixte en russe et en kirghiz.

5.5 Les langues secondes

Du côté des langues secondes, les enfants qui fréquentent les écoles kirghizes doivent aussi apprendre le russe (langue seconde), alors que ceux qui préfèrent les écoles russes sont tenus d'apprendre le kirghiz (langue seconde). Les membres des petites minorités peuvent désirer que leurs enfants fassent leur apprentissage dans leur langue maternelle; en ce cas, le kirghiz et le russe seront tous deux obligatoires. Dans les écoles employant une autre langue d'enseignement que le russe, les enfants n'acquièrent pas assez de compétences linguistiques pour bien communiquer en russe (langue seconde). Il en est ainsi dans les écoles russes lorsque les enfants apprennent le kirghiz comme langue seconde: les enfants demeurent souvent incapables de communiquer en kirghiz lorsqu'ils ont terminé leurs études.

Les principales difficultés dans l'apprentissage des langues secondes relèvent de plusieurs causes:

1) En raison de la pression économique, beaucoup de parents considèrent plus important que leurs enfants aient une bonne connaissance du russe que de la langue parlée à la maison.
2) Parce que les compétences linguistiques du russe dans les écoles non russes ne sont pas satisfaisantes, des parents préfèrent envoyer leurs enfants dans une école russe.
3) Les parents acceptent que leurs enfants passent des moments difficiles lorsqu'ils se trouveront totalement immergés dans une nouvelle langue à l'école; ils savent également que leurs enfants pourraient oublier leur langue maternelle.
4) Parce que la langue officielle est perçue comme la langue d'un groupe ethnique (le kirghiz), il paraît plus difficile pour les membres d'autres groupes ethniques d'apprendre cette langue.
5) Les écoles du Kirghizistan ne fournissent pas assez d'efforts pour que les enfants apprennent à communiquer dans plusieurs langues.

Au Kirghizistan, les enseignants sont parmi les employés de l'État les moins bien payés. Les experts notent que sans soutien financier et social, il est impossible d'améliorer la qualité de l'éducation. Pour cette raison, de nombreux enseignants sont obligés de quitter les écoles et d'aller à l'étranger pour gagner de l'argent. Aujourd'hui, environ 79 000 enseignants travaillent dans des écoles au Kirghizistan. Selon le ministère de l'Éducation et des Sciences, dans les régions éloignées, il n'y a pas suffisamment d'enseignants dans des matières telles que l'informatique, la physique et la chimie.

- Les langues étrangères

En République kirghize, l'enseignement traditionnel des langues étrangères, que ce soit l'anglais, le français ou le turc, se fait à travers les composantes de la langue russe. La méthodologie soviétique pour l'enseignement des langues étrangères de la période d'avant-guerre, comme dans d'autres pays, a été caractérisée par une lutte constante entre les deux approches principales. L'une d'elles est consciemment comparative, orientée, tout d'abord, vers l'activité analytique des élèves sur le mot, le texte, la transition des règles apprises consciemment à la formation des compétences et des capacités de parole sur leur base, à l'utilisation généralisée de la langue maternelle  ̶  c'était automatiquement le russe  ̶  comme support dans la maîtrise d'une langue étrangère. Les diplômés des écoles kirghizes pour lesquelles la langue russe avait le statut de première langue étrangère, faute de manuels écrits pour un public kirghiz, ont étudié selon les manuels des russophones. Par conséquent, les langues étudiées (anglais, allemand, français) se sont vu attribuer le rôle d'une deuxième langue étrangère.

Les langues étrangères ne sont pas très connues dans les régions. En général, cet enseignement se réduit à l'anglais. Dans la capitale, Bichkek, la langue étrangère la plus populaire est l'anglais, suivi du turc, du chinois et de l'arabe. Le français et l'allemand arrivent loin derrière. 

- Les établissements supérieurs

On compte au moins 54 établissements d'enseignement supérieur, dont 33 publics et 21 privés. De façon générale, l'instruction est offerte en kirghiz et en russe, mais aussi en ouzbek et en tadjik.

Le Kirghizistan compte 54 établissements d'enseignement supérieur, qui forment des spécialistes de nombreuses disciplines. On y enseigne surtout en russe et en kirghiz, parfois en anglais. Certaines minorités peuvent trouver des universités où certains cours sont donnés en ouzbek, en tadjik ou en ukrainien. La langue d'enseignement dans les universités est donnée en grande partie en kirghiz, mais les manuels ne sont pas toujours disponibles dans cette langue; il faut alors recourir au russe et/ou à l'anglais. La connaissance de la langue russe reste un atout incontournable pour ceux et celles qui veulent faire des études universitaires.

Des établissements non traditionnels ont été ouverts, tels que l'Université américaine du Kirghizistan, l'Université internationale du Kirghizistan, l'Université kirghizo-turque et l'Université kirghizo-ouzbek: on y enseigne en anglais, en russe, en kirghiz, en turc et en ouzbek. Dans certains établissements subventionnés par des pays étrangers, on y enseigne en chinois ou en arabe. Alors que l'écriture kirghize utilise encore auprès de la population l'alphabet cyrillique, les étudiants des établissements d'enseignement général et supérieur doivent apprendre l'écriture dans ses formes arabe et latine.

À Bichkek, la capitale kirghize, c'est la langue russe - et non le kirghiz - qui est la langue véhiculaire. Les universitaires, les hommes d'affaires et d'autres élites bien éduquées, sans parler de la population russophone, mènent la plupart de leurs affaires en russe, car l'utilisation de cette langue leur permet de dialoguer directement avec des contemporains dans d'autres pays russophones. L'auteur kirghiz le plus célèbre du Kirghizistan, Chingiz Aitmatov (1928-2008), a écrit presque exclusivement en russe, afin que ses œuvres puissent atteindre un public plus large; dans les années 1980, il est même devenu l'un des écrivains les plus connus de l'Union soviétique. Dans les universités kirghizes, les deux tiers des cours universitaires sont donnés en russe, car la plupart des supports scientifiques ne sont pas disponibles en kirghiz. Dans la capitale, la plupart des panneaux sont imprimés en russe. En effet, Bichkek est une ville entièrement russifiée.

6 Les langues et la vie économique

En Kirghizistan, comme dans les autres États d'Asie centrale, la vie économique a été soviétisée et russifiée. Dans les conditions de l'ancien système totalitaire, la vie économique était subordonnée à des politiques et à des objectifs idéologiques. La base économique de ce système était la propriété dite «sans propriétaire» autre que l'État qui possédait plus de 90% des principaux actifs de production de façon à exercer un monopole sur l'économie.

Après son indépendance, le Kirghizstan fut qualifié de «Suisse de l’Asie centrale» en raison de sa rapide libéralisation économique et de la liberté d’expression dont jouissaient les médias. Dans le contexte centrasiatique, le pays fut considéré comme un modèle de transition. Pour ce faire, le Kirghizistan a dû mettre en œuvre des réformes pour créer une économie de marché. Bien que la vie économique se soit dérussifiée en se kirghizant, la Russie représente encore environ 60% du commerce extérieur du Kirghizistan; elle est demeurée le principal partenaire commercial et économique du pays. C'est pourquoi le Kirghizistan reste un marché pour les produits russes, sans oublier que le pays reste aussi un grand fournisseur de main-d'œuvre bon marché sur le marché russe. Cette situation de dépendance à l'égard de la Russie explique en partie le statut de «langue officielle» accordé à la langue russe au Kirghizistan.

6.1 La non-discrimination

Afin de promouvoir autant la langue kirghize, il fallait que le gouvernement intervienne et impose la langue nationale tout en autorisant toute autre langue, notamment le russe. La première mesure consistait à interdire au moyen de l'article 9 du Code du travail (2004-2019):
 

Article 9

Interdiction de la discrimination à l'emploi

1) Tous ont des chances égales d'exercer leurs droits et leurs libertés à l'emploi.

2) Nul ne peut être limité dans ses droits et ses libertés à l'emploi ou de bénéficier d'avantages dans leur mise en œuvre en fonction du sexe, de la race, de la nationalité,
de la langue, de l'origine, des biens et du poste officiel, de l'âge, du lieu de résidence, des attitudes à l'égard de la religion, des opinions politiques, de l'appartenance ou de la non-appartenance à des associations publiques, ainsi qu'à d'autres situations non reliées aux qualités commerciales du salarié et aux résultats de son travail.

6.2 Le paysage linguistique

Le paysage linguistique au Kirghizistan est en fonction des langues parlées dans le pays. Si Bichkek, la capitale, est relativement russifiée, il n'en est pas ainsi dans les régions où le kirghiz domine massivement, sauf dans le Sud où l'ouzbek peut faire concurrence au kirghiz. De plus, l'anglais tend de plus en plus à être employé, notamment dans les zones touristiques, que ce soit les hôtels, les restaurants, les guides, etc. Cela signifie qu'on peut trouver des affiches en kirghiz, en russe, en anglais et parfois en ouzbek.     

Dans la législation kirghize, il fallait sans doute que le paysage linguistique se kirghize en privilégiant la langue nationale, appelée «langue d'État», sans interdire la «langue officielle», le russe, ou toute autre langue, mais surtout l'anglais et l'ouzbek.

C'est l'objet de l'article 27 de la Loi sur la langue d'État (2004) qui autorise le bilinguisme:

Article 27

1) En République kirghize, les panneaux d'affichage, les annonces, les listes de prix et autres informations visuelles doivent être rédigés d'abord dans la
langue d'État, puis dans la langue officielle et, si nécessaire, également dans d'autres langues.

2) La taille de la police du texte dans
d'autres langues ne doit pas dépasser la taille de la police du texte dans la langue d'État.

Évidemment, depuis l'adoption de cette loi de 2004, la situation a tendance à se modifier progressivement à l'avantage de la langue kirghize, mais le russe demeure encore très présent, parfois majoritairement, puisqu'il n'est pas interdit. Le bilinguisme est également de moins en moins fréquent. 

- Les langues étrangères

L'article 29 de la Loi sur la langue d'État autorise même les langues étrangères si cela est nécessaire :
 

Article 29

1) Les informations (textes des étiquettes, étiquetage, listes de nomenclature des marchandises, mode d'emploi, passeport technique) sur les marchandises (travaux et services) sont obligatoires dans la
langue d'État et la langue officielle et, si nécessaire, également dans des langues étrangères.

2) Les informations spéciales sur les marchandises dans une langue étrangère (textes des étiquettes de produits, étiquettes, listes de produits, mode d'emploi, passeport technique et autres) sont traduites dans la
langue d'État et dans la langue officielle aux frais des sociétés importatrices.

3) Les noms approuvés par l'entreprise lors du marquage des marchandises sont enregistrés sans traduction dans
d'autres langues.

Les exigences sur les langues sont exactement les mêmes à l'article 8 de la Loi sur la Banque nationale de la République kirghize, les banques et les activités bancaires (2016-2019):

Article 8

Exigences sur les contrats

1)
Les contrats conclus avec les clients doivent respecter la législation bancaire et autre de la République kirghize. Les contrats conclus avec les clients, conformément aux principes islamiques des banques et du financement, doivent également respecter les règles de la Charia.

2) Les textes des contrats doivent être imprimés avec une police de la même taille, présentés très clairement et accessibles aux clients dans la perception et la compréhension. En accord avec le client, le texte du contrat doit être rédigé
dans la langue d'État ou dans la langue officielle. Si nécessaire, le texte du contrat peut être traduit dans une autre langue.

L'article 78 de la même loi interdit d'utiliser certaines abréviations et certains mots officiels («public», «national», «central», etc.) en kirghiz ou en russe et de les traduire en d'autres langues; il faut donc employer les termes officiels kirghizes ou russes:
 

Article 78

Nom de la banque

1)
La banque doit avoir son nom officiel, sous forme longue et abrégée. Le nom de la banque doit être indiqué dans la charte de la banque. Le nom de la banque doit contenir une indication de sa forme juridique, de son type d'activité (banque) et de son nom usuel, conformément à la législation de la République kirghize.

2)
Il est interdit
à la Banque d'utiliser dans son nom ou sa symbolique les mots "mamlekettic" («public»), "gosudarstvennyy" («public»), "Kirghizistan", "Uluttuk" («national»), "Natsional'nyy" («national»), "Borborduk" («central»), "Tsentral'nyy" («central»), "KırgızBankı" («Banque du Kirghizistan»), "Bank Kyrgyzstana" (Banque du Kirghizistan»), ainsi que les abréviations "NBKR" et "CBKR " dans leur intégralité ou sous leur forme abrégée, dans toute autre langue et dans toute autre combinaison.

4) Il est interdit d'utiliser une banque avec un nom autre que le nom officiel. Le changement de nom de la banque doit être publié par la banque dans les médias dans un délai de dix jours ouvrables à compter de la date de réenregistrement de l'État.

5) Il est interdit à d'autres personnes morales d'utiliser le mot «banque» et tout autre mot dérivé de celui-ci dans leurs noms.

- La publicité et les enseignes

L'article 5 de la Loi sur la publicité (1999-2015) stipule que la publicité sur le territoire de la République kirghize doit être diffusée dans la langue d'État ou dans la langue officielle et, à la discrétion des annonceurs, également dans les langues des peuples vivant au Kirghizistan:
 

Article 5

Exigences générales en matière de publicité

1)
La publicité, quels que soient les formes, les moyens et les modes de distribution immédiatement au moment de sa présentation, la publicité doit être reconnaissable sans connaissances particulières, ni formation ni moyens techniques.

3) La publicité sur le territoire de la République kirghize doit être diffusée dans la langue d'État ou dans la langue officielle et, à la discrétion des annonceurs, également dans les langues des peuples
vivant en République kirghize.

Les marques déposées (marques de service) enregistrées selon la modalité établie et les lettres syllabiques dans un ensemble typographique (logo) peuvent être données dans la langue d'origine.

Dans une enquête russe réalisée en 2016 et publiée dans la revue International Journal of Russian Studies, on apprenait que, dans le cas des enseignes fixes et permanentes, 43 % des enseignes dans les centres commerciaux de Bichkek, étaient alors en russe ou dans une autre langue que le kirghiz (l'anglais?), contre 14 % en russe et en kirghiz et aucune en kirghiz seulement. Au centre-ville de Bichkek, 59 % des enseignes permanentes étaient bilingues, contre 32 % en russe et 9 % en une autre langue, aucune en kirghiz. Enfin, dans les quartiers résidentiels, 62 % des affiches étaient bilingues (kirghiz-russe), 16 % en une autre langue, 14 % en russe et 8 % en kirghiz.

Emploi des langues dans les affaires à Bichkek en 2016

  Russe Kirghiz Bilingue Autre langue seule
Enseignes fixes        
 Micro-districts (quartiers résidentiels) 14 % 8 % 62 % 16 %
 Centres commerciaux 43 % 0 % 14 % 43 %
 Centre-ville 32 % 0 % 59 % 9 %
Inscriptions temporaires        
 Micro-districts (quartiers résidentiels) 84 % 0 % 16 % -
 Marchés 100 % 0 % 0 % -
 Centres commerciaux 86 % 0 % 14 % -
 Centre-ville 82 % 0 % 14 % 5 %

Dans les inscriptions temporaires, c'est-à-dire les messages rédigés à la main ou en caractères d'imprimerie pour des besoins ponctuels, 84 % des messages étaient en  russe contre 16% à la fois en russe et en kirghiz dans les quartiers résidentiels. Dans les marchés, 100% des messages étaient uniquement en russe. Dans les centres commerciaux, 86% des messages étaient uniquement en russe, contre 14% de messages bilingues. Dans le centre-ville, 82% des messages étaient en russe et 14% étaient bilingues. Rappelons que la proportion de russophones au Kirghizistan est de 6,1%, alors que les kirghizophones représentent 72,0 % de la population. On ne peut pas croire que derniers croient vendre davantage leurs produits en utilisant le russe.   
 

Regardons les affiches de la figure de gauche. En (1), la librairie Raritet (РАРИТЕТ) de Bichkek inscrit son nom en kirghiz : китеп дүкөнү ("kitep dükönü") en haut à gauche; en russe : книжный магазин ("knizhnyy magazin") en haut à droite; enfin, l'inscription "Bookshop" est en anglais (en bas au centre).

En (2), КОР РУПЏИЮ ou "Kor rupd̂iyu", il s'agit d'un message entièrement en russe provenant d'une firme russe.

En (3), ажаткана (ou "jatkana") est un terme kirghiz pour désigner les toilettes, mais les lettres Ж (женщины = Femmes) et М (мужчины  = Hommes) sont en russe.

En (4), Рaбота ou "rabota" signifie «travail» en russe.

En (5) ТРЕБУЮТСЯ официантки с опытом работы (trebuyutsya ofitsiantki s opytom raboty), au moyen d'une affiche unilingue russe sur la vitrine, un restaurant de Bichkek recherche des «serveuses REQUISES avec une expérience de travail».

En (6), on trouve une affiche unilingue anglaise (Optima Bank).

En réalité, les enseignes russes sont omniprésentes à Bichkek, ce qui restreint considérablement l'usage de messages unilingues en kirghiz. Il existe aussi de nombreux mots en langue étrangère, notamment des mots anglais très courants du genre "fast food" («restauration rapide»), "fashion" («mode»), "pizzeria", etc. En fait, seules les entreprises et les institutions de l'État soumises à la réglementation affichent des inscriptions en kirghiz. Étant donné que les messages temporaires ne sont pas soumis à la loi, certains messages peuvent se retrouver en anglais: "Back in 5 minutes" («retour dans 5 minutes»), "Open" («ouvert»), "Close" («fermé»), etc., ce qui réduit encore davantage l'usage du kirghiz.

6.3 Les consommateurs

Quant à la Loi sur la protection des consommateurs (1997-2015), l'article 9 oblige les fabricants de fournir au consommateur les informations sur les biens et services dans la langue d'État et dans la langue officielle, également dans des langues étrangères:
 

Article 9

Informations sur les biens (travaux, services)

1)
Le fabricant (entrepreneur, vendeur) est tenu de fournir au consommateur les informations nécessaires et fiables sur les biens (travaux, services) en temps opportun, en s’assurant qu’ils sont en mesure de choisir correctement. Pour certains types de biens (travaux, services), la liste et les modalités pour transmettre des informations au consommateur sont fixées par le gouvernement de la République kirghize.

Les informations sur les biens (travaux, services) doivent être présentées
dans la langue d'État et dans la langue officielle de la République kirghize et, si nécessaire, également dans des langues étrangères.

3) [...] Si la documentation technique (passeport technique, manuel d'instruction et autres) pour les marchandises est rédigée dans une langue étrangère, sa traduction
dans la langue d'État et dans la langue officielle
est obligatoire.

Les produits alimentaires produits ou emballés sur le territoire de la République kirghize doivent être présentés avec des informations sur le lieu de leur fabrication et le fabricant.

Autrement dit, toutes les langues sont permises, dans la mesure où le kirghiz et le russe sont employés.

6.4 La religion

Selon la Loi sur la liberté de religion et les organisations religieuses (2008-2019), les organisations religieuses sont tenues de présenter les documents constitutifs de leur enregistrement auprès des autorités dans la langue d'État ou dans la langue officielle:
 

Article 11

Enregistrement des missions (représentations) des organisations religieuses étrangères en République kirghize

1)
Pour l'enregistrement de la mission, une personne autorisée par une organisation religieuse étrangère doit présenter une déclaration à l'organisme national chargé des affaires religieuses.

Les documents constitutifs de l'enregistrement de la mission en quatre exemplaires (
dans la langue d'État ou dans la langue officielle) sont joints à la demande:

3. une copie de la charte du centre étranger avec une traduction notariée dans la langue d'État ou dans la langue officielle;

4. un extrait du registre ou tout autre document certifiant que le centre religieux est une personne morale en vertu des lois de son pays, avec une traduction notariée
dans la langue d'État ou dans la langue officielle
;

2) Les chefs de mission d'organisations religieuses nommés par des centres religieux étrangers opérant sur le territoire de la République kirghize doivent présenter une demande de recommandation émanant d'une organisation mère indiquant la durée de leur séjour en République kirghize avec une traduction notariée dans la langue d'État ou dans la langue officielle.

En somme, la législation kirghize impose systématiquement l'emploi du kirghiz et/ou du russe, et si c'est nécessaire une langue étrangère est autorisée.

7 Les langues dans les médias

Selon la législation kirghize, les médias comprennent les journaux, les magazines, les almanachs, les livres, les bulletins, les éditions uniques pour la grande distribution, les stations de télévision et de radio, les studios de cinéma et de vidéo, les disques audiovisuels, les émissions produites par l’État, les agences d’information, les acteurs politiques et d'autres organismes ainsi que des entités privées. Les médias appartiennent à l'État et à des personnes morales.

La Loi sur les médias de 1992 précise qu'il est interdit aux médias de faire l'apologie de la guerre, de la violence ou de la cruauté, de l'exclusivité nationale ou religieuse et de l'intolérance à l'égard des autres peuples ou nations; d'offenser l'honneur national ou les sentiments religieux des croyants; de diffuser des contenus à caractère pornographique; d'entacher l'honneur ou la dignité d'une personne, etc.

Article 23

Liste des informations non soumises à la diffusion publique

Dans les médias sont interdits:

a) la divulgation des secrets d'État et des secrets commerciaux;
b) tout appel au renversement violent ou à la modification du système constitutionnel existant, à la violation de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la République kirghize et de tout autre État;
c) la propagande de guerre, la violence et la cruauté, l'exclusivité nationale, religieuse et l'intolérance envers les autres peuples et nations;
d) toute insulte à l'honneur civil des peuples;
e) toute insulte aux sentiments religieux des croyants et des fidèles; [...]
g) l'emploi d'expressions considérées comme obscènes;
h) la distribution de documents qui violent les normes d'éthique civile et nationale en insultant les attributs des symboles de l'État (armoiries, drapeau, hymne);
i) toute atteinte à l'honneur et la dignité de la personne;
j) la publication d'informations sciemment fausses.

Évidemment, il est aisé pour les autorités de prendre de se servir de l'intolérance envers les autres peuples et nations, des insultes à l'honneur civil des peuples, de l'emploi d'expressions considérées comme obscènes, de la publication d'informations sciemment fausses pour intervenir afin de censurer les médias, bien que ce soit interdit.

7.1 Les problèmes liés à l'enregistrement des médias au Ministère

Cependant, cette loi présente encore certains inconvénients. L'un d'entre eux réside dans l'exigence d'enregistrement obligatoire de tous les médias auprès du ministère de la Justice. Bien que les fonctionnaires du Ministère affirment que l'enregistrement obligatoire est de nature strictement déclarative et qu'il vise à collecter des données sur le nombre de médias existants dans le pays, il est en même temps de nature permissive, c'est-à-dire absent de toute interdiction. D'ailleurs, la législation actuelle prévoit des sanctions pénales ou administratives en cas d'infraction à ces dispositions. En effet, l'article 24 de la Loi sur les médias énonce qu'en cas d'infraction aux dispositions de cette loi, la responsabilité est engagée selon la manière prescrite par la législation de la République kirghize. Par exemple, l'article 127 du Code pénal prévoit des sanctions pénales pour diffamation, jusqu'à trois ans d'emprisonnement. Ces lois et plusieurs autres deviennent aisément un fardeau pour le travail des journalistes. De son côté, la Constitution reconnaît à quiconque dans son article 31 le droit d'exprimer et de diffuser librement ses pensées, ses idées et ses opinions.

De fait, le Kirghizistan bénéficie de médias plus libres que ceux des pays voisins de l'Asie centrale, selon des groupes de défense de la presse. Selon Reporters sans frontières, le pluralisme des médias kirghizes serait exceptionnel en Asie centrale, bien que la polarisation de la société kirghize se reflète dans les médias. L'autocensure demeure un problème; l'organisme RSF préconise des limites aux dommages qui doivent être payés par les médias critiques qui sont ciblés par des poursuites en diffamation.

7.2 La presse écrite

Les journaux demeurent une source importante d'information au Kirghizistan, du moins à Bichkek (Tchouï) et à Och (Och). Pour la plupart des habitants du pays, la télévision est la source la plus importante d 'information, mais 95 % des citoyens affirment lire un journal au moins une fois par semaine, une statistique qui reflète le taux d'alphabétisation relativement élevé dans le pays (plus de 60 %).

Les médias écrits du Kirghizistan offrent une image différente selon qu'on se trouve à Bichkek ou dans les régions. Dans la capitale, la plupart des journaux sont en russe: Delo No, Komsomolskaia Pravda, Moya Stolitsa Novosti, Obshchestvennyy Reyting, Slovo Kyrgystana, Vecherny Bishkek, etc., mais le Times of Central Asia, le Bishkek Observer et le Kyrgyzstan Chronicle sont en anglais, tandis que le Zaman Kyrgyzstan est en kirghiz. Les deux plus grands journaux, le Slovo Kirgizstana et le Kirgiz Tuusu, servent de support pour l'État en information; leur tirage est de cinq à six mille exemplaires.

Les journaux régionaux sont plus généralement publiés en kirghiz, surtout dans le Sud: Agym, Alibi, De facto, Erkin Too, Fabula, Kerben, Kyrgyz tuusu, Litsa, Mankurt Zholu, Maydan, Respublika, Uchur, etc. Il y a aussi des journaux locaux en ouzbek dans le Sud : Djalal-Abad Tangi, Demos Times, DDD et Dostlik. Il y en a un aussi en doungane, le Huiming bo (Автоматический перевод). La circulation de ces journaux varie de 1000 à 5000 exemplaires. L'Och Sadosi (3000 exemplaires) est un journal d’État qui publie également en ouzbek, tandis que les deux autres journaux du Sud, l'Echo Osha et l'Och Zhanyrygi, sont également publiés en russe et en kirghiz.

Compte tenu des faits, on peut dire que les autorités n'ont pas encore réussi à imposer le kirghiz comme langue des médias, puisque les journaux russes restent les plus populaires. Pourtant, l'article 31 de la Loi sur la langue d'État prétend favoriser la «langue d'État», le kirghiz, dans le domaine des technologies de l'information et de la communication:

Article 31

1) En République kirghize, toutes les conditions nécessaires doivent être réunies pour l'usage et le rayonnement de la
langue d'État dans le domaine des technologies de l'information et de la communication.

2) En République kirghize, le gouvernement de la République kirghize est responsable des logiciels, des équipements techniques et des fournitures de matériel d'écriture pour la conduite des affaires dans la langue d'État.

Les journaux publiés en russe demeurent très populaires au Kirghizistan. De plus, les journaux en provenance de la Russie sont nombreux au Kirghizistan et ils sont facilement accessibles.

7.3 La radio

En 2018, on comptait 23 stations de radio FM et 13 stations AM. Les médias publics sont omniprésents, car les tentatives de privatisation par l'opposition ont été bloquées par le président Kurmanbek Bakiev (de 2005 à 2010) en raison du climat politique dans le pays. De plus, la couverture demeure limitée, en particulier dans le sud du pays. La plupart des réseaux privés sont basés dans la capitale, Bichkek. Les médias d'information sont limités dans ce qu'ils peuvent rapporter, ce qui les incite à critiquer le gouvernement le moins possible. La diffamation est une infraction répréhensible, bien qu'elle soit appliquée de manière inégale. Dans le passé, des journalistes ont été harcelés et intimidés, qu'ils aient été à la fois progouvernementaux ou antigouvernementaux, et ils ont protesté lorsqu'un président s'est approprié le poste de directeur adjoint de la société publique de radiodiffusion de la République kirghize. Il existe un mélange d'agences publiques et privées, en kirghiz, en russe et en anglais.

La radio d'État (Kırgız Respublikasının Koomduk teleradioberüü korporatsiyası ou KTRK: Société de radiodiffusion publique de la République kirghize) émet surtout en kirghiz et en russe, mais plusieurs émissions sont en anglais, en ukrainien, en ouzbek, en allemand, en ouïgour, en dungane, en azéri, en kurde, en tatar et en coréen. La KTRK comprend six chaînes de télévision, cinq chaînes de radio et de nombreux studios. La Société emploie plus de 1000 employés. Chaque chaîne de télévision et de radio possède sa propre direction. La KTRK a une chaîne d'information "Ala-Too 24", la chaîne sportive "KTRK Sport", une chaîne de divertissement "Musique" et une chaîne éducative pour enfants "Balastan", une radio d'information "Birinchi" et "Kyrgyz radiosu", une radio divertissante "Min Kiyal FM ", la radio de maintien de la paix" Dostuk "et la radio pour enfants" Baldar FM ". Les radios privées telles que Ekho Bishkeka (Bichkek), Almaz (Bichkek), Europa Plus (Bichkek et Och) diffusent surtout en russe et parfois en kirghiz, mais Mezo (Och) émet en kirghiz et en ouzbek, Almaz en ouzbek, et d'autres en turc (Manas), en kazakh ou en ouïgour.  Pour sa part, la Société ukrainienne nationale Bereginya diffuse annuellement 32 émissions de trente minutes en ukrainien, 13 en russe et 12 en kirghiz.

Il existe actuellement au Kirghizistan trois stations de radio communautaires et 21 centres multimédias communautaires. Les dirigeants des centres multimédias communautaires expriment la nécessité de transformer les centres des médias en stations de radio communautaire à part entière. Ces stations diffusent en kirghiz, en russe, en ouzbek et en tadjik.

7.3 La télévision

Le Kirghizistan n'a pas les ressources financières ou humaines pour soutenir une programmation diversifiée et abondante en matière de télévision. La télévision d'État diffuse environ 60 % de sa programmation en kirghiz et 40 % en russe, mais elle diffuse des émissions d'information au moins en six langues (kirghiz, russe, ouzbek, tadjik, ouïgour et doungane). Cette programmation variée en plusieurs langues s'inscrit dans le cadre de l'ordonnance sur la radiodiffusion.

Les télévisions privées retransmettent des programmes de canaux russes dans des proportions variant de 16 à 21 heures par jour. Autrement dit, les stations privées émettent plus en russe qu'en kirghiz. Les stations privées sont Piramida (en russe), TV Vosst (en russe), TV KOORT (station éducative russe), TV EYTV (en russe), Bichkek TV (kirghiz et russe), OCH TV (en kirghiz, en russe et en ouzbek). Les émissions en kirghiz couvrent environ 17 heures par semaine. Plusieurs stations étrangères émettent depuis la Russie, l'Ouzbékistan, le Kazakhstan et la Turquie. Dans la province d'Och, la population peut recevoir la télévision ouzbèke en provenance de Tachkent, la capitale de l'Ouzbékistan; cette télévision est très populaire pour la grande minorité ouzbèke du Kirghizistan.

L'article 8 de la Loi sur la radiodiffusion télévisuelle et radiophonique (2008-2017) autorise les organismes de radiotélévision à diffuser «dans la langue d'État ou dans la langue officielle ainsi que dans d'autres langues». La seule réserve consiste à réserver au moins 50 % pour cent des émissions doivent être diffusées dans la langue d'État, y compris de 7h00 à 10h00 et de 18h00 à 23h00. Dans le cas de films diffusés à la télé, si la langue originale n'est pas le kirghiz ou le russe, il doit y avoir une duplication dans l'une de ces deux langues: 

Article 8

Activités d'information des organismes de radiotélévision

1)
Les organismes de radiotélévision diffusent des chaînes de radio et de télévision
dans la langue d'État ou dans la langue officielle ainsi que dans d'autres langues.

2) Dans le volume total de la programmation journalière de 7h00 à 00h00 de chaque chaîne de télévision et de radio, les conditions et les proportions suivantes doivent être respectées en ce qui a trait aux émissions de radio et de télévision diffusées par les organismes de radio et de télévision (à l'exception de la publicité):

1. au moins 50 % des émissions de radio et de télévision doivent être constituées d’émissions de radio et de télévision de production nationale, y compris entre 7  heures et 10 heures et de 18 heures à 23 heures;

2. au moins 50 % pour cent des émissions doivent être diffusées dans la langue d'État, y compris de 7h00 à 10h00 et de 18h00 à 23h00.

3) Si la langue de l'original (ou de la duplication) du film et/ou des autres émissions de radio et de télévision et/ou des émissions de radio et de télévision  n'est pas la langue d'État ou la langue officielle, ces films et/ou émissions de radio et de télévision ainsi que les émissions de radio et de télévision doivent être diffusés sous réserve d'une duplication dans la langue d'État ou dans la langue officielle.

4) Si la diffusion est effectuée à l'aide de l'option multison, alors l'une des langues de radiodiffusion doit être
la langue d'État
.

7.5 Le cinéma

Quand on parle du «cinéma kirghiz», il s'agit de l'ensemble des activités de production et réalisation au Kirghizistan, d'abord comme composante du cinéma russe et soviétique, puis de façon indépendante à partir de 1991. La production kirghize des années qui précédèrent l'indépendance peut être distinguée de la production russe par la langue de tournage des films concernés ou par la nationalité de leurs réalisateurs.

Aujourd'hui, l'industrie cinématographique kirghiz continue de se développer avec un certain succès. Le plus grand studio de cinéma du pays et le plus équipé techniquement, Kyrgyzfilm, crée des longs métrages, des documentaires et des films d'animation. Le Musée du cinéma kirghize est ouvert à Bichkek et, afin de reconnaître les mérites et les réalisations des personnalités du cinéma national, ainsi que de stimuler la croissance du niveau artistique du cinéma dans le pays, le prix national du film, Ak Ilbirs, a été créé au Kirghizistan. Les lauréats des prix du cinéma dans chaque catégorie reçoivent des statuettes représentant un léopard des neiges ("ak ilbirs": ак илбирс), symbole d'agilité, de chance et de créativité, sculptées par l'artiste Sadyrbek Makeev.

L'État assure son soutien au cinéma national dans la mesure où les films sont tournés dans la langue d'État ou dans dans d'autres langues des peuples du Kirghizistan. Tel est l'objet de l'article 4 de la Loi sur le soutien de l'État à la cinématographie (2001-2018):

Article 4

Le film national

1) Le film est national:

- si le producteur du film est un citoyen de la République kirghize ou une personne morale enregistrée conformément aux normes établies sur le territoire de la République kirghize;

- si les auteurs du film sont citoyens de la République kirghize;

- si l'équipe de tournage (réalisateurs, directeurs de la photographie, cameramen, compositeurs, ingénieurs du son, scénographes, costumiers, monteurs, acteurs principaux) ne comprend pas plus de 30 % de personnes sans la citoyenneté de la République kirghize ;

- si le film est tourné
dans la langue d'État ou dans d'autres langues des peuples de la République kirghize;

2) Un film, dont la production est réalisée conjointement avec des organisations cinématographiques étrangères, dans les conditions définies par les traités internationaux pertinents, peut également être considéré comme un film national.

L'article 5 est encore plus précis, mais la liberté de création s'étend à la production d'un film dans n'importe quelle langue avec la participation étrangère à des productions cinématographiques conjointes, au doublage de films «dans la langue d'État» et dans d'autres langues des peuples vivant sur le territoire de la République kirghize:

Article 5

Liberté de créativité en cinématographie

Les créateurs qui conçoivent des œuvres audiovisuelles ont droit à la recherche artistique, à l'expression d'idées cinématographiques personnelles et d'idées sous toutes leurs formes, à la production d'un film dans n'importe quelle langue, à la participation avec des personnes physiques et morales étrangères à des productions cinématographiques conjointes, au doublage de films dans la langue d'État et dans d'autres langues des peuples sur le territoire de la République kirghize.

La censure des œuvres audiovisuelles n'est pas autorisée, à l'exception des cas prévus à l'article 6 de la présente loi.

Les autorités kirghizes veulent constamment ménager la chèvre et le chou, c'est-à-dire promouvoir la langue nationale sans nuire au russe qui lui tient tête, tout en tenant compte des autres langues des minorités nationales. C'est là une politique linguistique fort complexe dont l'issue risque de se faire aux dépens de la langue kirghize.   

Le Kirghizistan est encore tributaire de la politique linguistique héritée de l’époque soviétique avec son système diglossique, où la langue russe était en position dominante, la langue titulaire (la langue de l'ethnie principale d'une république) en état de subordination. Après l'indépendance, la nécessité de renforcer l’identité nationale fit du kirghiz le symbole de la nation du Kirghizistan, une langue qu’il fallait défendre et protéger. Toutefois, les liens historiques, politiques et économiques avec la Russie ont incité les dirigeants à maintenir un statut privilégié à la langue russe. C’est ainsi que le Kirghizistan s'est retrouvé avec deux langues officielles au statut néanmoins différent. Le kirghiz est la «langue d'État», le russe la «langue officielle». Pour simplifier, on peut dire que le kirghiz est la «première langue officielle», alors que le russe serait la «seconde langue officielle», ce qui suppose que la première est hiérarchiquement supérieure à la seconde. De tous les pays de l'Asie centrale, le Kirghizistan est le seul État a avoir conservé formellement le russe comme langue co-officielle, le Kazakhstan l'a gardé de facto (dans les faits). Il faut comprendre que, de peur de perdre les positions acquises avec autant de difficultés, le gouvernement kirghiz a fait un maximum d’efforts pour entreprendre une politique protectionniste envers la langue nationale, le kirghiz, tout en essayant de garder une position libérale par rapport au russe et aux autres langues des minorités nationales. Bien que le gouvernement fasse des efforts pour affirmer la prédominance de la langue kirghize, cette tendance est souvent contrecarrée par les russophones en colère, qui se plaignent que ces efforts de promotion du kirghiz se fassent au détriment de leurs droits constitutionnels. Ils sont contre les tests linguistiques imposés aux fonctionnaires concernant la maîtrise de la «langue d'État» parce qu'ils considèrent qu'une telle mesure est inconstitutionnelle, car la Constitution (art. 16) interdit toute discrimination, y compris en ce qui concerne la connaissance ou le manque de connaissance de la langue kirghize.

Toutefois, l'analyse objective des faits et des actes normatifs révèle que le kirghiz et le russe n’ont pas de rapports égalitaires. Juridiquement, le russe est en position subalterne par rapport au kirghiz, car celui-ci fonctionne de façon obligatoire dans tous les domaines de l'activité de l'État et des collectivités locales. Dans les faits, le russe exerce une position dominante dans presque tous les domaines, surtout si l'on tient compte qu'il est parlé par 6,1 % de la population comme langue maternelle, ce qui lui confère un statut privilégié et nettement survalorisé, voire injustifié, alors que ce statut particulier devrait même revenir à l'ouzbek parlé par 14,1% de la population. De tout cela, il en résulte des rapports diglossiques qui existent évidemment depuis toujours et qui se perpétuent indéfiniment. Le russe pour les affaires sérieuses, le kirghiz pour la famille et les amis!

Dans un tel contexte, le besoin linguistique identitaire est laissé pour compte pour un nouvel État-nation comme le Kirghizistan. La réalité démontre aussi que la promotion de la langue nationale, le kirghiz, semble d'autant plus difficile que l'État manque de moyens financiers, alors qu'il doit faire face à un fort attachement, pour ne par dire une forte servitude, au monde russophone. De fait, la langue nationale qu'on appelle la «langue d'État» joue un rôle symbolique, tandis que le russe reste le moyen de communication et des relations économiques, politiques et culturelles avec la Russie et avec tout l’espace postsoviétique. La République kirghize perpétue une culture de l'époque soviétique dans laquelle toutes les langues vivent et évoluent dans une bonne convivialité, chacune dans sa sphère d’impact secondaire, pendant que la langue russe exerce son hégémonie dont le résultat est celui d'une lente intégration assimilatrice.

La politique linguistique du Kirghizistan a connu des hauts et des bas; elle semble fonctionner de façon plus ou moins incohérente, c'est-à-dire comme des montagnes russes. La situation concernant la langue nationale paraît toujours incertaine, surtout depuis la réintroduction du russe à côté du kirghiz comme langue co-officielle. C'est une politique complexe qui repose sur une majorité linguistique kirghize de 72 %, qui se révèle suffisamment faible pour accepter de s'imposer une langue coloniale qui lui fait ouvertement concurrence. Ce n'est certainement pas un hasard si le Kirghizistan reste l'une des deux anciennes républiques soviétiques de l'Asie centrale avec le Kazakhstan (Ouzbékistan, Turkménistan et Tadjikistan) à avoir encore le russe comme langue co-officielle. Le Turkménistan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan ont tous abandonné le russe dans leur politique linguistique. Aujourd'hui, le kirghiz est la première langue officielle (appelée en russe «langue d'État»), alors que le russe est la «seconde langue officielle» (proprement appelé «langue officielle»). Non seulement la politique linguistique du Kirghizistan accorde un statut très particulier au russe, mais elle tient compte aussi de la plupart des plus importantes langues minoritaires. De tous les États de l'Asie centrale, le Kirghizistan est celui qui pratique la politique linguistique la plus libérale et la plus ouverte à l'égard de ses minorités nationales, ce qui inclut le russe. 

En dépit de cette politique linguistique très libérale, un rapport du Département d'État des États-Unis indique qu'on a enregistré des plaintes de discrimination dont les minorités ignorant le kirghiz seraient les victimes. Pourtant, selon d'autres sources comme l'OSCE, rien n'indique que les groupes minoritaires feraient l'objet de discrimination de la part des autorités. Il n'en demeure pas moins que, si la politique linguistique crée des conditions favorables au kirghiz tout en tenant compte des autres langues, elle crée également des tensions entre les kirghizophones et les non-kirghizophones. Par exemple, les représentants russophones et ouzbékophones affirment que la législation ne corrige pas leur sous-représentation ethnique dans la vie politique, administrative et commerciale. Les membres de la minorité ouzbèke ne sont pas représentés dans l'administration régionale, ni dans les commerces ni dans les médias; ils doivent faire face à certaines suspicions de la part des Kirghiz qui, depuis l'indépendance, se méfient des Ouzbeks. Se sentant exclus de la vie politique et subissant des pressions dans le domaine économique, certains Ouzbeks trouvent un débouché dans le fondamentalisme islamique. D'ailleurs, de nombreuses minorités se plaignent que le gouvernement ne leur donne aucun moyen d'étudier le kirghiz, malgré les promesses de programmes financés par l'État.

Un projet de loi sur la protection des minorités nationales a déjà été présenté pour étude au Parlement, mais l'adoption de la Loi sur la langue officielle (2000) a eu pour effet d'arrêter net  toute entreprise du genre. Il faut admettre que, même si le Kirghizistan protège ses minorités mieux que la plupart des États voisins, il reste encore des progrès à faire, notamment sur la nécessité d'assurer l'équilibre dans la composition des minorités au Parlement, dans l'appareil judiciaire et dans le vaste secteur de l'économie de marché. La politique linguistique du Kirghizistan en est une de multilinguisme dont l'accent est d'abord mis sur la «première langue officielle» (le kirghiz) qui est fortement concurrencée par la «seconde langue officielle» (le russe), le tout s'appuyant sur un délicat mélange avec quelques autres langues minoritaires. Le problème, c'est que l'une des langues minoritaires, le russe, en sort nettement avantagée au détriment d'une autre langue minoritaire, l'ouzbek, dont le nombre de locuteurs est deux à trois fois plus élevé. Le Kirghizistan n'a pas encore été capable de s'affranchir de sa langue coloniale et de redonner à sa langue nationale les prérogatives auxquelles elle aurait droit. Les autorités kirghizes ont sans doute voulu améliorer leurs relations avec la Russie, car le Kirghizstan a besoin de l'appui économique de ce pays et de maintenir ainsi de bons liens au chapitre de la sécurité régionale et de la défense. En même temps, les autorités soulignent que les représentants de toutes les communautés ethniques vivant au Kirghizstan doivent avoir le droit de communiquer et d'étudier dans leur langue maternelle. À force de vouloir résoudre la quadrature du cercle, la question linguistique risque de préoccuper encore longtemps les citoyens du Kirghizistan.

Kirghizistan


1) Situation générale
 

2) Données historiques
 

3) La politique linguistique
 
Loi sur la langue officielle (2000)
4) Bibliographie
 


Loi sur la langue d'État (2004)
 

Dernière mise à jour: 19 mai 2024
 

 
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