L'Empire colonial espagnol

1492 - 1975

Source: d'après Wikipédia

1. L'Empire espagnol

En 1492, Christophe Colomb découvrit l'Amérique pour le compte de l'Espagne qui, cette même année, achevait son unité par la prise de Grenade occupée encore par les Maures. La puissance espagnole s'accrut considérablement lors de la première moitié du XVIe siècle. Les conquistadors tels Cortez, Pizarro et les autres s'emparèrent du Mexique, du Pérou, des Antilles, de la plus grande partie de l'Amérique du Sud. Quant au navigateur Fernand de Magellan, il fit le tour du monde avec ses compagnons et occupa les Philippines. Dès 1494, le pape Alexandre VI, par le traité de Tordesillas, partageait le Nouveau Monde connu entre les Espagnols et les Portugais. C'est alors exactement la moitié du globe.

L'Empire espagnol (en espagnol : Imperio Español) est aussi connu comme l'Empire colonial espagnol. Ce fut l'un des plus grands empires de l'histoire, car dès la fin du XVe siècle, et ce, jusqu'au début du XIXe siècle, l'Espagne contrôlait un immense territoire d'outre-mer dans le Nouveau Monde, en plus de plusieurs territoires en Asie, en Afrique et en Océanie. L'empire espagnol s'étendit sur 20 millions de kilomètres carrés.

Lors de la période de l'Espagne impériale, les forces armées, la marine marchande et les arts firent en sorte que l'Espagne était devenue une puissance mondiale incontestable. Cependant, la nature même de l'Empire espagnol le condamnait à des fluctuations économiques et militaires constantes. C'était une époque où l'Église et l'État fonctionnaient en symbiose.

2. L'apogée de l'Empire

L'Empire espagnol commença lorsque le roi Ferdinand d'Aragon (1452-1516) et la reine Isabelle de Castille (1451-1504) conquirent l'ensemble de la péninsule ibérique, ils durent mettre en œuvre des politiques pour maintenir le contrôle des régions nouvellement acquises: la Catalogne, les îles Baléares, Valence, les Asturies, l'Estrémadure, l'Andalousie, etc. Bien que les souverains n'imposèrent pas l'unité linguistique, l'unité recherchée était avant tout religieuse, la langue castillane s'introduisit partout. L'expression très courante à cette époque était "Hablar cristiano", littéralement «parler chrétien», ce qui signifiait «parler clairement» et non pas en «algarabía», en charabia, c'est-à-dire en arabe (l'Espagne a été colonisée sous l'Empire arabo-musulman), mais en castillan.

En 1492, au moment où Christophe Colomb, mandaté par l'Espagne, découvrait l’Amérique, inaugurant une ère d’hégémonie espagnole, le castillan occupait déjà la plus grande partie de l'actuelle Espagne. En Europe, Ferdinand V, roi de la Castille entre 1474 et 1504, étendit sa souveraineté sur le royaume de Naples aux dépens des rois de France, puis sur le royaume de Navarre (1504). En 1494, le traité de Tordesillas définit deux sphères d'influence qui comprenait audacieusement la terre entière. Presque toutes les Amériques revenaient à l'Espagne, à l'exception de ce qui allait être le Brésil, tandis que plusieurs territoires côtiers de l'Afrique, du Proche-Orient (Érythrée, Somalie), de l'Asie du Sud (Goa, Colombo, Malacca, Timor) étaient réclamés par le Portugal, à l'exception des Philippines déjà revendiquées par l'Espagne, ainsi que les Canaries (Atlantique).

L'Espagne s'implanta aussi dans le Sahara-Occidental entre 1509 et 1524, qui tomba ensuite sous la domination du Maroc. À la mort de Ferdinand V en 1516, l’Espagne contrôlait le sud de l’Italie, la Navarre et, plus au nord, la Cerdagne et le Roussillon. En 1659, le traité des Pyrénées allait faire perdre aux Catalans la Catalogne du Nord au profit du royaume de France.

Mais c'est sous le règne de Charles Quint que furent menées l’exploration et la conquête des Amériques : conquête de l’Empire aztèque au Mexique par Hernán Cortés, de 1519 à 1521, et conquête de l’Empire inca au Pérou par Francisco Pizarro, de 1531 à 1533. Les premières colonies étaient situées dans les Caraïbes, puis se sont ensuite étendues à l'Amérique centrale, la partie de l'Amérique du Sud ainsi que le Mexique et la Floride.

La colonisation espagnole de l'Amérique permit à la monarchie catholique espagnole de maîtriser une grande partie du continent. Sous Philippe II (1556 – 1598), l'Espagne constituait la nation la plus puissante du monde, éclipsant aisément la France et l'Angleterre.  Philippe II fut aussi «roi de Portugal» (1580-1598) sous le nom de Philippe Ier; sous son règne, les Philippines (nommées en son honneur) furent conquises et des colonies furent installées en Amérique du Nord (Floride). Son règne représente le sommet de la puissance de l'Espagne, pour laquelle on parle de Siècle d’or.

En 1763, le traité de Paris cédait toute la Louisiane française à l'Espagne, qui constituait un territoire alors considérable. La Louisiane restera espagnole jusqu'en 1800, alors qu'elle redeviendra française sous Napoléon Bonaparte. On peut lire l'histoire de la Louisiane espagnole en cliquant ici, s.v.p.  Pour les Espagnols qui héritaient de la Louisiane occidentale, le territoire constituait surtout une sorte de «bouclier» destiné à protéger (au sud) le cœur de la Nouvelle-Espagne (Mexique) des convoitises anglaise et américaine.

3. Les territoires de l'Empire espagnol

Voici en résumé les territoires et colonies de l'ancien Empire espagnol:

En Europe

En plus de l'Espagne elle-même comme métropole, il faut mentionner le Portugal (à partir de 1580 jusqu'en 1640), le Royaume de Naples (de 1442 à 1713: l'actuel sud de l'Italie, les îles de la Sicile, de la Sardaigne et de Malte), la Franche-Comté (de 1547 à 1598: la région du centre-est de la France), le duché de Milan (de 1559 à 1713:  dans le nord de l'Italie), les Pays-Bas espagnols (de 1549 à 1713 : Belgique, Luxembourg, Pays-Bas actuels et l'Artois en France), ainsi que le Roussillon actuel dans sud de la France.

En Afrique

Les îles Canaries (depuis 1478), de nombreux territoires en Algérie (1505 - 1555), au Maroc (1505 - 1958), en Lybie (1510 - 1551), le Sahara espagnol (1885 – 1975), en Tunisie (1535 - 1574), la Guinée équatoriale (1827 - 1968), ainsi que plusieurs îlots dans l'Atlantique.

En Asie

La Capitainerie générale des Philippines (de 1574 à 1898, comprenant les territoires actuels des Philippines, des îles Mariannes, des îles Carolines, dont Guam et Palaos, ainsi que certaines îles de Micronésie), l'île de Sabah en Malaisie (de 1521 à 1898), le protectorat du Cambodge (de 1597 à 1599) et la province de la Papouasie occidentale (Indonésie, de 1526 à 1663).

En Amérique

La vice-royauté de la Nouvelle-Espagne (1535-1821): Mexique, Californie, Nouveau-Mexique, Arizona, Texas, Nevada, Floride, Utah, Colorado, Wyoming, Kansas et Oklahoma.

La vice-royauté du Pérou (1542-1821): Pérou, Équateur, Chili, Colombie, Argentine, Bolivie, Paraguay, Uruguay, Brésil, Venezuela et Panama.

La vice-royauté de la Nouvelle-Grenade (1717-1819): Panama, Colombie, Équateur et Venezuela.

La vice-royauté du Río de la Plata (1776 - 1810) : Argentine, Paraguay, Uruguay et une partie du Brésil, les îles Malouines (jusqu'en 1810).

La Capitainerie générale du Guatemala (1540-1821): Guatemala, Salvador, Nicaragua, Honduras, Costa Rica et Chiapas (Mexique).

La Capitainerie générale du Chili (1540-1818): Chili et Pantagonie.

La Capitainerie générale de Cuba (1510-1898): les îles de Cuba et de Porto Rico, la Floride et Saint-Domingue, la Louisiane (constituée des territoires des États actuels suivants: Louisiane, Arkansas, Oklahoma, Kansas, Nebraska, Dakota du Sud, Dakota du Nord, Wyoming, Montana, Idaho, Minnesota et Iowa).

La Capitainerie générale du Venezuela (1777-1821)  le Venezuela et l'île de Trinité (Trinitad).

La Capitainerie générale du Yucatan  (1617-1786): États mexicains du Yucatán, de Campeche, de Quintana Roo et de Tabasco, le Belize.

Divers territoires insulaires (1492-1821, selon le cas) : la République Dominicaine, les Bahamas, Antigua-et-Barbuda, Trinité-et-Tobago, La Grenade, la Jamaïque, Saint-Christophe-et-Niévès, la Dominique, la Barbade et Sainte-Lucie.

En Océanie (Pacifique)

À partir de 1525 jusqu'à la fin du XIXe siècle, il s'agit de l'île de Pâques, des îles Mariannes (incluant Guam, les îles Marshall et le Kiribati ou île Gilbert), ainsi que quelques îles de la Nouvelle-Guinée.

4. Une tradition d'impérialisme linguistique

L'Espagne avait une tradition d'impérialisme linguistique avant même de créer leur empire en Amérique. Le besoin d'unifier culturellement la nation fut fortement ressenti par les souverains d'Espagne. La Couronne de Castille considérait la diversité des langues et des religions comme une menace à la stabilité politique de l'État. En réunissant tous les différents groupes linguistiques (catalan, aragonais, basque, andalou, arabe, etc.) sous une seule langue, le castillan, et une seule religion, le catholicisme, Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille espéraient créer une nation stable. Ainsi, les monarques espagnols instituèrent une politique d'impérialisme linguistique dans laquelle le castillan devenait la langue dominante. Après avoir réuni les Couronnes de Castille et d'Aragon, ils ont réussi à réduire presque à néant les langues aragonaise et catalane employées par la Couronne d'Aragon.

En Amérique, un impérialisme linguistique similaire était déjà à l'œuvre dans les empires aztèque et inca avant l'arrivée des Espagnols. Le nahuatl, la langue de la nation dominante, les Nahua, fut la langue officielle de l'Empire aztèque et servit de langue véhiculaire entre les innombrables langues parlées. L'Empire inca, lui aussi, maintenait une politique de domination linguistique dans laquelle tous les sujets de l'empire étaient obligés de connaître le quechua, sous peine de punition. Lorsque les deux empires amérindiens sont entrés en collision avec l'Empire espagnol, les politiques autochtones se sont effondrées, mais leurs langues ne sont pas disparues, elles ont été reléguées aux communications informelles et aux rituels religieux.

Au cours de leur histoire, les Espagnols furent de formidables opportunistes dans l'administration de leur empire. Ils ont su réagir aux différentes situations et appliquer des politiques linguistiques efficaces et pratiques, à la condition que celles-ci correspondent à la réalisation de deux principaux objectifs: la sécurisation des pouvoirs politique et économique, ainsi que la conversion des «païens». Ainsi, dans certains cas, l'espagnol fut employé comme moyen de contrôle, mais dans d'autres les Espagnols utilisèrent les langues autochtones pour exercer leur pouvoir. Cependant, dans les deux cas, la maîtrise et l'usage de la langue espagnole (appelée «castillan» à cette époque) étaient essentiels à la conquête.

Dans un empire qui compte de nombreuses langues et des cultures différentes, qui sont traitées de manière inégale, la langue peut facilement devenir un point de ralliement pour la guerre. Les Espagnols ont veillé, tout au long de la période de conquête, à ne pas perdre le contrôle de la langue, craignant que cela ne signifie perdre le contrôle de l'Empire.  En effet, dès les premiers contacts entre les Espagnols et les peuples indigènes des Amériques, la langue espagnole fut un outil d'empire. Elle fut le moyen d'établir l'autorité dans la conquête militaire, de justifier la conquête et de mettre en œuvre une conquête religieuse. Le contrôle de la langue parut essentiel pour consolider l'Empire, qu'il s'agisse de contrôler l'espagnol ou les langues indigènes, les politiques linguistiques reflétant une prise de conscience du pouvoir de la langue.

5 Le contrôle de la langue par l'interprétariat

Dès leur arrivée, les Espagnols nommèrent dans leur langue tous les lieux qu'ils apercevaient en insinuant qu'ils n'avaient pas de nom auparavant ou que ceux-ci étaient incorrects dans les langues «païennes».

Les colonies espagnoles furent administrées par des vice-royautés, où le roi d'Espagne déléguait une partie de ses pouvoirs à un vice-roi local. Ainsi fut créée en 1535 la vice-royauté de la Nouvelle-Espagne (le Grand Mexique); en 1542, la vice-royauté du Pérou; en 1717, la vice-royauté de Nouvelle-Grenade (pratiquement la Colombie actuelle) et en 1776 la vice-royauté du Río de la Plata (plus ou moins l'Argentine). Il existait également des colonies moins vastes érigées en capitaineries:  Guatemala, Venezuela, Cuba, Chili, etc. En sa qualité de représentant personnel du roi d'Espagne, le vice-roi était accueilli en Amérique avec tous les honneurs.

Dans ces colonies, il y avait deux sortes d'administrateurs: d'une part, ceux nés en Espagne, les peninsulares (les «péninsulaires»), d'autre part, ceux nés en Amérique, les criollos (les «Créoles»). De façon générale, les autorités espagnoles accordaient davantage de pouvoir politique et militaire aux «péninsulaires», dont les postes de vice-roi et de commandant, qu'aux «Créoles blancs» limités aux postes de fonctionnaires.

Les conquistadors pratiquèrent l'enlèvement d'indigènes pour servir d'interprètes qui constituaient alors un instrument indispensable dans la conquête militaire des Amériques. Il n'y eut peu de cas d'Espagnols ayant appris une langue indienne dans la première vague de la conquête, car dans les relations coloniales traditionnelles, c'étaient les vaincus qui devaient en principe apprendre la langue du conquérant.

En ce qui concerne les interprètes, les besoins étaient si grands qu'il paraissait normal d'enlever un Indien ou deux pour servir de traducteurs chaque fois que les Espagnols pénétraient dans un nouveau territoire. Cette pratique fut codifiée dans la loi en 1573 par les Ordenanzas de descubrimientos, nueva población y pacificación de las Indias («Ordonnances sur les découvertes, les nouvelles populations et la pacification des Indiens»).

Les Espagnols étaient convaincus qu'avoir des interprètes à leur disposition était essentiel à la conquête militaire: ils ne se sont pas trompés. Tout au long de la première partie de la conquête, les interprètes indigènes servirent de guides, de moyen de communication et, plus important encore, de sources d'informations irremplaçables. En effet, ces interprètes fournirent des informations militaires indispensables, qui aidaient à planifier les attaques. C'est ainsi qu'au moyen de la langue les Espagnols obtinrent une partie de leur avantage militaire, puisque le contrôle des interprètes impliquait le contrôle de l'information, et le contrôle de l'information était impératif dans la conquête militaire. 

Une bonne partie des autochtones de toutes les régions de l'Amérique ne put survivre à l'arrivée massive des conquistadors européens. Les populations autochtones succombèrent aux maladies infectieuses, aux conflits militaires, au travail forcé ou à l'esclavage. On estime que plus de 80%, voire 90%, des Amérindiens périrent à la suite de leur rencontre avec les Espagnols. Quant aux groupes survivants, ils durent voir les colons espagnols imposer leur culture et leur mode de vie. La langue, les traditions et les croyances des premiers occupants disparurent pratiquement au cours de la colonisation. Les Espagnols, comme les Portugais, forcèrent les peuples à se convertir au christianisme. Pendant de nombreuses décennies, les autochtones furent considérés comme inférieurs aux Espagnols.

La longue période coloniale en Amérique espagnole entraîna un mélange de peuples autochtones et européens, qui furent classés par race et classés hiérarchiquement, bien que la colonisation ait pu entraîner une société de race mixte dans l'Amérique espagnole, par comparaison avec les colonies des Britanniques et des Français, dont les colons étaient nettement séparés des autochtones.

6. L'enseignement dans les langues indigènes

À partir de 1503, la Couronne ordonna que les Indiens soient relocalisés dans les villes où une église et une école devaient être construites côte à côte, pour le salut de l’âme des Indiens et pour leur enseigner l'espagnol. Cependant, les indigènes restèrent attachés à leur langue ancestrale. Il est apparu impossible aux Espagnols d'imposer le  castillan comme langue officielle, alors que seule une faible minorité de la population pouvait l'employer. Il aurait fallu une abondante main-d'œuvre coûteuse qui n'était pas disponible. De plus, le clergé local s'opposa à l'enseignement du castillan aux Indiens, tout simplement parce qu'il craignait de perdre le contrôle sur ceux-ci, car tant qu'ils ne connaissaient pas la langue les autorités civiles avaient besoin des prêtres pour la traduction. Bref, la langue espagnole pouvait menacer le rôle traditionnel de médiateur du clergé entre le gouvernement et les Indiens.

C'est ainsi que les missionnaires commencèrent à évangéliser les Indiens dans leur langue maternelle, l'objectif principal de l'éducation par l'Église étant de convertir les Indiens à la religion catholique, non de propager le castillan. Il se produisit ainsi une scission entre la religion et la langue de la part des autorités religieuses, l'idéologie traditionnelle de la prépondérance du castillan ayant été abandonnée. Les membres du clergé se mirent donc à apprendre les langues indigènes dans le but de les évangéliser de façon plus efficace, bien que la Couronne résistât à changer sa politique linguistique. Par exemple, en 1550, Charles Quint insistait encore pour que tous les Indiens soient instruits en castillan. Quinze ans plus tard, en 1565, la politique linguistique officielle de la Couronne avait subi un changement radical en obligeant les missionnaires à apprendre les langues indiennes.

Toutefois, un problème de taille apparut à l'évidence. La diversité linguistique de l'Amérique était telle que par exemple, dans une seule ville où les Indiens avaient été déplacés, il était possible de compter de nombreuses langues mutuellement inintelligibles.

C'était un problème que les Aztèques avaient connu dans l'administration de leur empire, un problème auquel avait été confronté l'usage du nahuatl comme lange véhiculaire parmi les populations locales. La perspective d'exiger que les prêtres apprennent toutes les langues maternelles de la population qu'ils évangélisaient semblait presque aussi irréaliste que celle d'enseigner l'espagnol à tous les Indiens.

Futés, les Espagnols s'approprièrent le système déjà existant de la prédominance du nahuatl et de l'utiliser à leur propre avantage. Il apparaissait en effet beaucoup plus facile de contrôler une seule langue qu'une multitude de langues. C'est ainsi qu'en 1570 le nahuatl devint la langue officielle des Indiens de la Nouvelle-Espagne. Des politiques linguistiques similaires furent instituées dans d'autres régions de l'Empire avec le quechua au Pérou, l'aymara dans les régions andines, le tupi-guarani dans la région amazonienne, la côte brésilienne et le nord de la vice-royauté du Río de la Plata, puis le cakchikel dans la région centre-américaine.

Ainsi, dans l'Empire espagnol, ce n'était pas la langue espagnole qui fut utilisée comme instrument de communication ou de contrôle dans les premières années de l'empire. Il est apparu plus important et plus efficace de contrôler les langues maternelles des Indiens que de leur imposer l'espagnol. De toute façon, il n'y eut jamais suffisamment de missionnaires polyglottes pour évangéliser les autochtones. De plus, le nahuatl, le quechua ou l'aymara n'étaient pas assez répandus pour communiquer avec tous les Indiens.

En somme, l'enseignement dans les langues indigènes fut retenu comme solution de remplacement malgré le fait que de nombreuses critiques aient affirmé que les langues locales manquaient de concepts adéquats pour pouvoir expliquer l'Évangile et la doctrine avec suffisamment de clarté. Par ailleurs, l'usage de l'espagnol par les missionnaires ne fut jamais complètement abandonné.

Vers la fin du XVIIIe siècle, des Espagnols venus d'Espagne prirent l'initiative d'entreprendre des réformes en Amérique latine. Aussitôt, des leaders créoles (Espagnols blancs nés en Amérique) prirent part aux insurrections qui allaient aboutir aux indépendances: Agustín de Iturbide (Mexique), Simón Bolivar et  Francisco de Miranda (Venezuela), Antonio José de Sucre (Pérou), José de San Martín (Argentine), etc. Ces "libertadores", très au courant des débats des idées des Lumières et de la Révolution française, conçurent des projets révolutionnaires. Au début du XIXe siècle, les colonies espagnoles en Amérique entamèrent leur processus d'indépendance qui se termina autour de 1825. Quant aux colonies restantes de Cuba et de Porto Rico, elles furent finalement perdues à l'issue de la guerre hispano-américaine en 1898, en même temps que les Philippines et les îles du Pacifique.

7 La prédominance de l'espagnol après les indépendances

L'invasion de l'Espagne par Napoléon et la destitution du roi d'Espagne précipitèrent les choses. Les vice-royautés s'administrèrent elles-mêmes de manière indépendante les unes des autres. Lorsque la défaite de Napoléon en 1815 permit le retour du souverain légitime sur le trône d'Espagne, les leaders espagnols locaux, généralement des Créoles blancs, avaient pris goût à s'administrer eux-mêmes et il n'apparaissait pas de bon augure de se soumettre encore à l'absolutisme royal symbolisé par le vice-roi. La plupart des Créoles blancs prirent parti pour l’indépendance des territoires où ils étaient nés, contre les «péninsulaires  qui souhaitaient les voir rester loyaux à la Couronne d'Espagne. Très au courant des débats des idées des Lumières et de la Révolution française, les libertadores («libérateurs») conçurent des projets révolutionnaires. Les révolutions menées notamment par Simon Bolivar (Venezuela), José de San Martin (Argentine), Agustín de Iturbide (Mexique) et Antonio José de Sucre (Pérou) mirent fin à la domination de l'Espagne, qui n'avait plus les ressources pour s'opposer aux indépendances des colonies. Dès 1826, l’Empire espagnol d’Amérique n’existait plus, à l’exception de Cuba et de Porto Rico.

À l’issue de la guerre hispano-américaine (1898) et de la victoire des Américains, l'Espagne dut céder l'île de Cuba, l'île de Porto Rico, ainsi que l'île de Guam et les Philippines contre une «compensation» de 20 millions de dollars versée par les Américains aux Espagnols. La victoire de l'Amérique sur l'Espagne revêtait un caractère hautement symbolique: c'était la victoire du Nouveau Monde sur l'Ancien Monde, la fin de l'épopée coloniale de l'Espagne et le début de la puissance coloniale américaine (voir la carte des Anciennes possessions et colonies de l'Empire espagnol). Les Espagnols pouvaient ainsi constater les faiblesses et les retards de leur pays sur le reste de l'Europe occidentale. Désormais, la politique coloniale espagnole allait s’orienter vers l’Afrique (en Guinée espagnole, aujourd'hui Guinée équatoriale), alors que l’Espagne n'allait plus jouer qu’un rôle secondaire dans les affaires internationales.

8. Le sort de la langue espagnole

Avec le temps, l'Espagne impériale perdit ses territoires dans le reste de l'Europe, dans presque toute l'Afrique à l'exception des Canaries, de la Guinée équatoriale et des cités autonomes de Ceuta et Melilla, et elle n'a rien conservé des territoires en Asie et dans les îles du Pacifique. 

Cependant, l'Espagne a légué sa langue à une grande partie de l'humanité. Aujourd'hui, l'espagnol est la deuxième langue du monde avec 436 millions de locuteurs, tout de suite après le chinois (897 millions), mais avant l'anglais (371 millions), l'arabe (290 millions) ou le russe (153 millions). Étant donné que l'espagnol n'est pas fortement enraciné dans l'ensemble de l'Europe, contrairement à l'Amérique du Sud où il est omniprésent, sauf au Brésil, et qu'il n'est que symboliquement représenté en Afrique (en Guinée équatoriale où il est langue officielle avec le français), il apparaît comme une langue essentiellement américaine.

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C'est pourquoi son impact au plan international, quoique non négligeable, reste probablement sous-utilisé. De plus, aucun pays hispanophone ne constitue présentement une grande puissance industrielle au plan mondial; aucun, même pas le Mexique, ne peut espérer pour le moment acquérir un poids équivalant à celui de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de la France ou de l'Italie. Il n'en demeure pas moins que c'est grâce à l'Empire espagnol que cette langue doit sa renommée. Aujourd'hui, l'espagnol est parlé comme langue maternelle par plus de 537 millions de locuteurs et plus de 74 millions comme langue seconde.

Dernière mise à jour: 17 févr. 2024

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