[Flag of Jersey]
Jersey

[Guernsey]
Guernesey

Îles Anglo-Normandes

(Channel Islands)

Baillages sous la dépendance de la Couronne britannique

 
Capitales:  
  - Saint-Hélier / St. Helier (Jersey)
  - Saint-Pierre-Port / St. Peter Port (Guernesey)
Population: 150 000 pour l'ensemble des îles Anglo-Normandes
Langues officielles:  
- anglais et français (Jersey)
- anglais (Guernesey)
Groupe majoritaire: anglais (98 %)
Groupes minoritaires: franco-normand (jersiais et guernesiais)
Régime politique: bailliages (celui de Jersey et celui de Guernesey) sous la dépendance de la Couronne britannique
Articles constitutionnels (langue): aucun
Lois linguistiques: Ordonnance de 1984 sur les îles Anglo-Normandes et l'Église d'Angleterre

1 Situation géographique

Dans la Manche, à quelque 20 km au large des côtes françaises du golfe de Saint-Malo, les îles Anglo-Normandes ou îles de la Manche (en angl.: Channel Islands) constituent un archipel relié au Royaume-Uni (mais n'en faisant juridiquement pas partie). Cet archipel comprend les îles de Jersey, de Guernsey (fr. Guernesey), d'Alderney (fr. Aurigny), de Herm, de Jethou et de Sark (fr. Sercq), ainsi que plusieurs îlots inhabités (Brechnour, les Casquets, Lihou, les Minquiers, les Roches Douvres). L'ensemble de l'archipel (voir la carte détaillée) couvre 194 km² pour une population d'environ 150 000 habitants répartis comme suit: 85 000 à Jersey (la plus grosse île), 60 000 à Guernsey, 2200 à Alderney, 600 à Sark et environ 200 à Herm et à Jethou.  Ces îles ne sont pas françaises, ne font pas partie du Royaume-Uni, mais demeurent liées historiquement à la Normandie et à la Couronne d'Angleterre. Mentionnons que l'archipel de Chausey est, lui, français et reste placé sous la juridiction de la ville de Granville (République française) dont il est séparé par moins de 10 kilomètres.

Ajoutons aussi que ces îles n'ont pas toujours eu l'apparence qu'elles ont aujourd'hui. À l'époque romaine, les îles de Guernesey, de Sercq et de Herm ne formaient qu'une seule et même île. Quant aux îles de Jersey, d'Aurigny, des Ecréhou et de Chausey, elles faisaient partie du continent (voir la carte reconstituée de l'époque). Des voies romaines furent même aménagées entre Jersey et Portbail, une autre entre Aurigny et Cherbourg, et entre Chausey et Avranches. 

Aujourd'hui, les îles Anglo-Normandes constituent une «dépendance de la Couronne britannique». C'est en tant qu'héritier du titre de «duc de Normandie» que le souverain britannique continue d'exercer sa souveraineté sur ces îles qui n'appartiennent pas au Royaume-Uni. Autrement dit, le souverain britannique gouverne ces îles comme s'il était encore duc de Normandie. Les îles Anglo-Normandes n'ont jamais été sous la dépendance du Parlement britannique ou du gouvernement de Sa Majesté et ne font donc pas partie de l'Union européenne. Juridiquement parlant, ce sont des baillages sous la dépendance de la Couronne britannique, sauf Sercq qui conserve son statut de seigneurie, laquelle est héritée du XVIe siècle. Les îles Anglo-Normandes ne sont pas des colonies britanniques comme le sont Gibraltar, les îles Vierges britanniques, Monserrat, Anguilla, les îles Malouines, les Bermudes, etc.

2 Les langues employées dans l'archipel

Le français a été longtemps la langue officielle des îles Anglo-Normandes, alors que la population parlait le franco-normand (appelé aussi anglo-normand ou Norman French en anglais), une langue locale teintée de vieux français, de dialectalismes normands (vieux norrois des Vikings) et de vieil anglais. Le franco-normand est de moins en moins parlé depuis la fin des années trente. Aujourd'hui, seuls quelques milliers de locuteurs (entre 5000 et 10 000, tout au plus), particulièrement à Jersey, à Guernesey et à Sark, parlent encore le franco-normand, la langue des descendants des conquérants normands. 

On distingue deux variantes principales de cette langue: le jersiais ou jèrriais (angl. Jersey-French ou Norman French) et le guernesiais ou dgèrnésiais (angl. Guernsey-French ou Norman French). On peut obtenir des renseignements historiques supplémentaires sur le franco-normand et examiner quelques exemples de ces deux variantes franco-normandes que sont le jersiais et le guernesiais en cliquant ICI, s.v.p. Soulignons que les jersiais et le guernesiais sont des langues différentes, mais intercompréhensibles. À l'île de Sercq, il existe une autre forme de franco-normand, le sèrtchais, et à l'île d'Aurigny les insulaires ont parlé jusqu'au début du XXe siècle l'aurignais, une langue aujourd'hui éteinte. Pour les partisans continentaux de la «langue normande» unique, il n'y aurait qu'une langue normande que l'on parle, avec des variantes locales, que ce soit le haguais, le cauchois, le jersiais, le guernesiais, etc. 

L'anglais a remplacé le français comme langue officielle depuis 1966 à Guernesey, mais ce dernier est resté co-officiel avec l'anglais à Jersey. Étant donné que les îles Anglo-Normandes constituent une destination de vacances très populaire, tant pour les Français que pour les Anglais, et qu'elles offrent tous les types d'hébergement modernes ainsi que des activités récréatives de rêve, il reste encore très utile de connaître le français. On estime que les insulaires parlent couramment le français dans une proportion de 11%. 

La majorité des insulaires (entre 85 % et 89 %) sont nés dans les îles Anglo-Normandes, les autres sont originaires du Royaume-Uni ou d'autres pays d'Europe. L'apport de l'immigration anglophone ainsi que les liens politiques et économiques avec la Grande-Bretagne ont sans aucun doute contribué à répandre l'anglais partout dans les îles au point où la quasi-totalité de la population, soit 98 %, a maintenant l'anglais comme langue maternelle. Or, jusqu'au début du XXe siècle, les insulaires parlaient par tradition trois langues: le jersiais ou le guernesiais, le français et l'anglais. Aujourd'hui, ils sont devenus pour la plupart unilingues anglophones. Les 2 % de locuteurs du jersiais (en fait: 2764 locuteurs sur 87 000 habitants) ou guernesiais (peut-être 6000 locuteurs sur 60 000 habitants) sont bilingues ou trilingues, et connaissent bien l'anglais.

À l'heure actuelle, la transmission de la langue ancestrale ne se fait plus entre les vieilles générations et les plus jeunes, mais plusieurs habitants semblent déterminés à sauvegarder cette langue en voie d'extinction. L'un des problèmes vient du fait qu'il n'existe pas d'organisme linguistique veillant à l'introduction et la création de néologismes, tout étant laissé plus ou moins au hasard, sans intervention officielle. Mais le jersiais et le guernesiais ne sont jamais adaptés au changement et à la vie moderne. Ces langues ne feraient donc plus le poids devant l'anglais ou le français!

3 Données historiques et juridiques

À l'origine, des populations celtes occupaient les îles Anglo-Normandes. Puis les Celtes sont se fait repousser par les Normands un peuple d'origine germanique au IXe siècle, car en 933 les îles Anglo-Normandes ont été annexées par la Normandie afin d'accroître le duché de Guillaume Longue Épée, fils de Rollo. C'est à cette époque que les îles ont pris un caractère normand et que le système féodal à été établi. D'ailleurs, les noms de lieu tels que Guernesey, Jersey, Aurigny (Alderny), Burhou, Lihou, Jethou, Brecqhous, etc., sont d'origine germanique.  Les noms d'îles de pays germaniques se terminant par -ey tels que Grímsey, Heimaey et Papey en Islande, Anglesey (origine viking ou saxonne), Orkney (Orcades, d'origine très probablement viking) du Royaume-Uni, Nordeney en Allemagne (Basse-Saxe); Aurigny qui, par ailleurs s'appelle Alderney en anglais, a certainement dû avoir un nom finissant également en -ey à l'origine; le nom Aurigny est probablement un calque de langue d'oïl sur le nom d'Aurignac (du domaine d'oc). Quant aux finales en -hou dans les mots comme Burhou, Lihou, Jethou, Brecqhous, etc., ils sont eux aussi d'origine germanique.

3.1 Guillaume le Conquérant

Ensuite, le 14 octobre 1066, le duc de Normandie, Guillaume le Bâtard («William the Bastard»), vainquit les armées anglaises lors de la bataille de Hastings (au sud de l'Angleterre), au cours de laquelle le roi d'Angleterre, Harold II, fut tué. Le duc de Normandie devint alors Guillaume le Conquérant («William the Conqueror») et fut couronné roi d'Angleterre à l'abbaye de Westminster sous le nom de Guillaume Ier d'Angleterre. En jersiais, on disait: «Dgilliaume lé Contchéthant contchéthit l'Angliétèrre et d'vînt rouai d'Angliétèrre.»

Dès lors, la Normandie et les îles Anglo-Normandes furent liées à la Couronne d'Angleterre. Cependant, les Anglais n'acceptèrent pas facilement la domination normande et, de 1066 à 1070, le nouveau roi du pays dut mâter énergiquement les rébellions anglo-saxonnes avant de se faire reconnaître; il s'appliqua même à implanter ses barons normands dans tous les comtés de l'Angleterre au détriment des seigneurs locaux qui parlaient anglais. Graduellement, le franco-normand et le français ont remplacé l'anglais dans les actes publics et les cérémonies officielles parce qu'ils étaient les langues du Conquérant.

3.2 Un statut ambigu

Le fait que la Normandie soit assujettie à la Couronne d'Angleterre provoqua des conflits entre l'Angleterre et la France: le roi d'Angleterre ne pouvait qu'accepter difficilement d'être le vassal du roi de France en tant que duc de Normandie. En 1202, le roi de France, Philippe Auguste, déposséda le roi d'Angleterre, Jean sans Terre, de son duché de Normandie et commença la conquête de la région. Comme les barons anglo-normands avaient maintenant plus de terre en Angleterre qu’en Normandie, ils n'insistèrent pas pour conserver à tout prix leurs terres de Normandie.

Selon les historiens anglais, une partie des îles Anglo-Normandes resta fidèle à Jean sans Terre (îles Jersey, Guernesey, Sercq, Alderny / Aurigny), alors que les îles Chausey passèrent sous la domination française. Pour les historiens français, il semble que les îles Anglo-Normandes aient été simplement «oubliées» dans le traité que Philippe Auguste imposa à Jean sans Terre.

D'après les documents juridiques, la reconquête de la Normandie par le roi de France ne concernait que la partie continentale du duché; on n'a jamais trouvé de mention des îles Anglo-Normandes dans aucun des traités, que ce soit le traité de Paris de 1259, le traité de Calais de 1360 ou le traité de Troyes de 1420.

Devant cet état de fait, dès 1213, Jean sans Terre d'Angleterre s’empressa d'octroyer aux îles Anglo-Normandes un statut particulier connu sous le nom de «Constitution du roi Jean». La France a bien essayé de revendiquer la propriété de ces îles, mais avec le temps ses prétentions se sont faites de moins en moins moins véhémentes. Cette situation historique explique pourquoi les îles Anglo-Normandes ont toujours été liées au royaume d'Angleterre, même après que la Normandie fût officiellement revenue à la France en 1259, de façon définitive en 1450 après la guerre de Cent Ans, et pourquoi aussi plus de 85 % des habitants des îles Anglo-Normandes sont encore les descendants des Normands qui ont conquis l'Angleterre au XIe siècle. 

Par la suite, le régime politique des îles Anglo-Normandes a été confirmé par des chartes royales anglaises qui ont eu pour effet, d'une part, de fixer l'indépendance des systèmes judiciaires des îles par rapport aux cours britanniques et, d'autre part, de leur accorder des privilèges importants, notamment le droit de commercer librement avec l'Angleterre et le droit d'être exemptées des impôts britanniques. En 1898, une résolution des États de Guernesey autorisa l'usage de l’anglais dans les débats suite aux requêtes de certains députés de Saint-Pierre-Port, puis en 1926 tout Guernesey adopta l’anglais comme sa deuxième langue officielle.

3.3 L'héritage du duc de Normandie

Le statut actuel des îles Anglo-Normandes perpétue l'ancien système juridique s'appliquant au territoire. Répétons-le, c'est en tant qu'héritier au titre de «duc de Normandie» que le souverain britannique continue aujourd'hui d'exercer sa souveraineté sur ces îles qui n'appartiennent pas au Royaume-Uni. Autrement dit, le souverain britannique gouverne ces îles comme s'il était encore duc de Normandie. Les îles Anglo-Normandes n'ont donc jamais été sous la dépendance du Parlement britannique ou du gouvernement de Sa Majesté. Bien qu'elles soient indépendantes du régime politique britannique depuis 1204 et possèdent leur propre constitution et leur propre législature, les îles Anglo-Normandes ne constituent ni un État souverain ni une colonie britannique. Ce sont bel et bien des possessions de la Couronne britannique avec des législatures indépendantes, des cours de justice et des gouvernements autonomes.

Cela signifie qu'aucune loi du Parlement britannique ne s'applique aux îles Anglo-Normandes, sauf si le nom de Jersey ou de Guernesey est expressément nommé — à partir d'une requête officielle des gouvernements locaux — dans un texte juridique anglais. En fait, la situation juridique actuelle des îles Anglo-Normandes perpétue la conquête de Guillaume de Normandie:  les Anglais n'ont jamais conquis ces îles. Ce sont les Normands qui ont conquis les Anglais en 1066 quand le duc Guillaume le Conquérant est devenu roi d'Angleterre. Pour les insulaires, la reine Elizabeth II est toujours «duc de Normandie» et non pas la duchesse, et les Anglais sont considérés comme des «étrangers».

En 1998, les États de Jersey ont eu l'occasion de réaffirmer leur situation constitutionnelle par rapport au Royaume-Uni. Dans un document présenté le 17 novembre 1998 devant le Groupe d'études du Code des impôts de l'Union européenne (présidé alors par le ministre des Finances britannique), le gouvernement britannique a présenté les dépositions suivantes concernant les relations constitutionnelles de l'île et du Royaume-Uni:

Le gouvernement britannique est responsable de la défense et des relations internationales de Jersey, et la Couronne est, en dernier ressort, responsable de son gouvernement. Toutefois, le peuple de Jersey ne peut pas participer à l'élection des membres du Parlement britannique et ce serait une chose sans précédent que de voir le gouvernement britannique légiférer à la place du gouvernement de Jersey en matière d'imposition ou en d'autres affaires intérieures sans l'accord des autorités de Jersey. La législation en matière d'imposition a toujours pris la forme de lois promulguées par le corps législatif de l'île.

- Les bailliages

En fait, les îles Anglo-Normandes sont divisées en deux bailliages: le bailliage de Jersey et le bailliage de Guernesey, ce dernier incluant aussi sous sa juridiction les îles d'Alderny/Aurigny et de Sark/Sercq, ainsi que les dépendances que sont les îles de Herm et de Jethou. Les assemblées législatives de Guernesey (ou États de Guernesey) et de Jersey (ou États de Jersey) ont le droit exclusif de légiférer sur les affaires intérieures — y compris le prélèvement des impôts et des taxes — aux îles, mais le Home Office de Londres est responsable de la défense du territoire et des Affaires extérieures; dans la pratique, le gouvernement de chacune des îles est consulté avant tout accord international qui les impliquerait, notamment dans les traités concernant l'Union européenne. Il n’y a pas de parti politique dans les îles: les parlementaires sont élus à titre strictement personnel.

Précisons que les deux bailliages, celui de Guernesey et celui de Jersey, constituent des entités politiques distinctes qui, en principe, n'ont pas de liens formels entre elles. Enfin, Guernesey et Jersey disposent de leur propre monnaie et de leur propre poste, mais acceptent au pair la livre anglaise.

La Couronne britannique est représentée par un lieutenant-gouverneur et par un bailli tant à Jersey qu'à Guernesey. Le secteur financier et bancaire constitue la principale activité économique grâce au statut fiscal avantageux qu'ont adopté ces îles, souvent qualifiées de «paradis fiscal».

4 Les politiques linguistiques

Dans les îles Anglo-Normandes, le français a été, à partir du XIIIe siècle, une langue co-officielle avec l'anglais.

4.1 Les législatures

Dans les premières décennies du XXe siècle, les débats dans les assemblées législatives de Guernesey et de Jersey se déroulaient encore en français, parfois en franco-normand — selon le cas, en jersiais ou en guernesiais —, même si les lois étaient rédigées en anglais. Depuis 1938, l'usage du français a pratiquement disparu de tout usage officiel, excepté dans certains actes notariés et certains textes de loi. En 1966, une ordonnance des États de Guernesey abandonnait le statut de langue co-officielle du français en faveur de l'anglais, mais les deux langues sont restées théoriquement co-officielles dans les États de Jersey. C'est pourquoi, à Jersey, au début de la séance du Parlement, le doyen de Jersey récite les prières en français en tant que chapelain, puis le bailli (huissier) ouvre la séance en français en déclarant que les États sont dûment constitués. La séance se poursuit en anglais, mais chacun des membres de l'Assemblée a le droit de s'exprimer en français.

Dans les faits, les assemblée législatives de Guernesey et de Jersey n'utilisent plus aujourd'hui que l'anglais, tant dans les débats que dans la rédaction des lois, car trop de membres des États ne comprendraient pas un exposé prononcé en français. Néanmoins, les votes se font en français, les députés, sénateurs et connétables continuant toujours de voter avec les mots «pour» ou «contre».

4.2 Les tribunaux

Dans les cours de justice des États de Jersey, le français est demeuré la langue officielle, mais l'emploi de l'anglais est autorisé et courant. À Guernesey, l'anglais et le français sont tous deux officiels en ce qui a trait aux anciens textes de lois demeurés en vigueur. Dans les deux bailliages, les documents juridiques ne sont plus rédigés qu'en anglais, mais les anciens textes juridiques écrits en français, voire en franco-normand, doivent être compris par les juristes.

4.3 L'éducation

Dans les écoles, les élèves n’apprennent plus que l’anglais comme langue maternelle et le français est enseigné comme langue seconde dans tous les établissements d’enseignement. À Jersey, depuis 1991, un cours de langue française intitulé Salut Jersey est enseigné dans toutes les écoles primaires à partir de huit ans. L'étude du français se poursuit au lycée à raison de 10 % de l'horaire scolaire. À l'âge de 16 ans, la plupart des élèves passent et réussissent le «certificat général de l'Éducation secondaire» en français; quelque 16 % des élèves qui suivent un cours plus approfondi jusqu'à 18 ans étudient le français. Depuis quelques années, il est possible d'enseigner, sur une base facultative, le jersiais dans les école primaires de l'île, même dans les écoles secondaires (au total, quelque 200 enfants).

4.4 Les médias

Du côté des médias, tous les journaux paraissent en langue anglaise, sauf deux périodiques en franco-normand jersiais, le Jersey Evening Post et Les Chroniques de Don Balleine. Précisons que le Jersey Evening Post paraît en anglais avec une page en jersiais en raison d'une fois par semaine, parfois toutes les deux semaines ou moins encore. Il n'y a pas de page quotidienne en jersiais. La télévision locale diffuse 30 minutes par semaine une émission dans cette langue, mais Radio Jersey diffuse plusieurs émissions hebdomadaires à la radio. 

4.5 Toponymie et raisons sociales

Le français est encore très présent dans la toponymie des îles ainsi que dans les raisons sociales des entreprises locales, surtout celles à vocation touristique (hôtels, auberges, restaurants). Aussi bien à Guernesey qu'à Jersey, on trouve des toponymes français (Piémont, St-Brelade, St-Ouen, Grouville, St-Clément, etc.) et des noms de rue (rue du Hocq, route de Noirmont, Grande Route de la Côte, rue de Jambart, rue du Câtel, route de Grosnez, rue de la Falaise, rue des Frères, Pollet Street, Le Marchant Street, Lefebvre Street, etc.). Pour ce qui est des raisons sociales, même le franco-normand cohabite avec le français (et l'anglais): La Maison hors d'Etcherre, La Bercheuse, Le Castel Mont-Orgueil, Les Cinq Chênes, Café Renoir, Havre des Pas, La Retraite Hotel, La Collinette Hotel, Hôtel de la Plage, La Grande Mare, Beau Sejour Centre, La Petite Pomme, Le Mont-Cochon, Victor Hugo Restaurant, etc. Pour le reste, seul l'anglais est utilisé pour toutes les fins officielles, commerciales, publicitaires et... bancaires. Par ailleurs, la signalisation routière est généralement en anglais et en français, mais elle inclut parfois une version en guernesiais. À Jersey, seul l'aéroport porte une affiche en jersiais: «Welcome - Seyiz les beinv'nus à Jèrri.»

4.6 La religion

Dans les cérémonies religieuses, le français peut être utilisé. Fait rarissime, le Parlement britannique a même adopté en 1984 une ordonnance spécifique (appelée "Measure") pour autoriser l'emploi de la langue française dans les îles Anglo-Normandes par l'Église d'Angleterre. Il est déclaré «légal de procéder à des services en français dans une église dans des circonstances telles que, de l'avis du titulaire, il est devenu traditionnel de le faire».

Ordonnance de 1984 sur les îles Anglo-Normandes
Projet de loi sur l'Église d'Angleterre (Culte et doctrine) de 1974

ANNEXE

PRÉAMBULE

Attendu qu'à l'article 7.3 du projet de loi de 1974 sur l'Église d'Angleterre (culte et la doctrine) il est prévu que les présentes mesures puissent être appliquées aux îles Anglo-Normandes tel qu'il est prévu dans les lois sur les îles Anglo-Normandes (législation sur l'Église) de 1931 et de 1957 en conformité avec les dispositions des présentes mesures:

Et attendu que l'évêque de Winchester en est venu à la conclusion que la Loi de 1974 sur l'Église d'Angleterre (Culte et doctrine) doit être appliquée avec certaines variantes dans les îles Anglo-Normandes et, conformément aux dispositions des paragraphes 1, 2 et 3 de l'annexe de la loi de 1931 sur les îles Anglo-Normandes (législation sur l'Église), il a préparé la convention qui suit à cet effet:

CONVENTION

Toute mention dans le cadre de la présente convention pour les îles doit avoir la même signification que celle contenue dans la loi de 1931 sur les îles Anglo-Normandes (législation sur l'Église).

La loi de 1974 sur l'Église d'Angleterre (Culte et doctrine) s'applique aux îles sous réserve des variantes suivantes, c'est-à-dire:

(1) Nonobstant toute disposition faite par ou en vertu de la présente loi,
il est légal de procéder à des services en français dans une église dans des circonstances telles que, de l'avis du titulaire, il est devenu traditionnel de le faire.

(2) Dans l'alinéa (a) du paragraphe 3 de l'article 1 de la loi, il est substitué au paragraphe suivant:

"(a) que les décisions dont les formules de service autorisé ou approuvé dans le Canon qui sont utilisées dans toute église doivent être prises par le titulaire du poste en collaboration avec les marguilliers et les autres dirigeants également désignés."

NOTE EXPLICATIVE

La présente ordonnance s'applique à la loi de 1974 sur les îles Anglo-Normandes de l'Église d'Angleterre (Culte et la doctrine), sous réserve des variantes contenues dans la convention et décidée par l'évêque de Winchester, laquelle est énoncée à l'annexe de l'ordonnance.

5 Des politiques de non-intervention

Les deux bailliages (ou gouvernements) des îles Anglo-Normandes ont conservé jalousement leurs coutumes et privilèges hérités de la conquête normande: système politique autonome, lois internes, exclusivité de l'impôt et de la taxation , etc. Dans le domaine linguistique, les bailliages de Jersey et de Guernesey continuent de promouvoir sans enthousiasme le franco-normand (jersiais ou guernesiais), qui est en régression constante face à l'anglais. De façon générale, la langue parlée demeure l'anglais, sauf l'île de Sercq où le franco-normand reste encore la langue usuelle des quelque 600 insulaires. Dans l'ensemble de l'archipel, seuls 2 % des locuteurs continuent d'utiliser régulièrement la langue traditionnelle des îles. 

Quant à la langue française, elle est surtout employée, comme nous l'avons déjà souligné, dans certaines cours de justice, dans les toponymes et les odonymes (noms de rue), dans les raisons sociales locales et dans les activités touristiques. En réalité, les gouvernements des îles Anglo-Normandes n'ont pas de politique linguistique autre que la non-intervention.

C'est pourquoi des associations de citoyens se sont formées dans l'espoir de promouvoir leur langue ancestrale. Dans l'île de Jersey, mentionnons la Société Jersiaise, fondée en 1873, qui est toujours demeurée très dynamique dans la promotion du jersiais dans les médias et dans les écoles. À Guernesey, en 1957, L'Assembllaïe D'Guernesiais a été fondée pour assurer, cette fois, la promotion et la conservation du guernesiais. Puis, en 1995, ce fut Les Ravigotteurs, une association dont le but est d'encourager les insulaires à parler le guernesiais; ce groupe veut sensibiliser la population à l'utilisation de cette langue dans les médias et les écoles, puis au maintien des liens avec l'île de Jersey et les Français de Normandie. Pour plusieurs Jersiais et Guernesiais, il faut éviter de perdre pour toujours l'idiome ancestral qui survit encore, afin de conserver une partie intégrante de leur héritage. 

Il leur faudra toutefois vaincre l'apathie générale et surmonter cette «mer d'indifférence» qui semble être devenue une donnée incontournable dans les îles. Malgré toutes ces bonnes intentions, il y a fort à parier que le sort du franco-normand est désormais scellé par sa non-utilisation de la part des organismes officiels des îles. Le fait que le franco-normand est scindé en deux variantes assez distinctes, le jersiais et le guernesiais, ne facilite pas non plus la tâche des militants.

De plus, en raison du statut politique de l'archipel qui en fait un «paradis fiscal» important, de nombreuses sociétés britanniques et européennes y ont domicilié leur siège social. Or, dans les domaines de la finance et des banques, l'anglais constitue la seule langue de communication et ce n'est certainement pas grâce à l'élevage laitier pratiqué à Guernesey que le franco-normand — le guernesiais en l'occurrence — va pouvoir rivaliser avec l'anglais. Enfin, il ne faut surtout pas compter sur la Grande-Bretagne pour raviver une quelconque langue ancestrale, l'expérience du passé étant là pour démontrer que le gouvernement de Sa Majesté a toujours tout fait pour assimiler les minorités linguistiques. Il faut ajouter aussi que, de toute façon, ce gouvernement n'a aucune juridiction sur le territoire des îles Anglo-Normandes. Le sort de cette langue ancestrale dépend donc essentiellement de ses locuteurs dont le tout petit nombre constitue un très sérieux handicap.

Dernière mise à jour: 21 févr. 2024

 


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