Republica Moldova

Moldavie

4) Politique concernant les minorités nationales

PLAN DE L'ARTICLE

1 Les minorités nationales
1.1 La répartition géographique des minorités
1.2 La protection juridique des minorités

2 La représentation des minorités
2.1 La représentation dans les organismes gouvernementaux
2.2 Les services de traduction
2.3 La représentation dans les instances locales

3 La traduction dans les tribunaux
3.1 L'usage de la langue minoritaire
3.2 La langue maternelle dans les testaments
3.3 La sentence obligatoire en roumain
3.4 La disponibilité de traducteurs
 

4 L'administration publique et les langues minoritaires
4.1 Les langues de service
4.2 La langue officielle et le russe
4.3 La toponymie
4.4 L'emploi restrictif de la langue russe
4.5 L'Agence des relations interethniques

5 Les langues minoritaires en éducation
5.1 La législation scolaire traditionnelle
5.2 Les dispositions restrictives du Code de l'éducation
5.3 Les écoles minoritaires
5.4 L’enseignement supérieur

6 Les langues minoritaires dans les médias
6.1 La presse écrite
6.2 La presse électronique

1 Les minorités nationales

La Loi sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales et sur le statut juridique de leurs organismes (2001) tente une définition de ce que sont les «minorités nationales». L'article 1er de cette loi précise ce qui suit :

Article 1er

Dans la présente loi, les personnes appartenant à des minorités nationales comprennent celles qui, résidant sur le territoire de la république de Moldavie, ont la citoyenneté moldave, possèdent les particularités ethniques, culturelles et linguistiques qui diffèrent de celles de la majorité de la population (les Moldaves) et se considèrent d'une origine ethnique différente. 

Cette définition exclut la minorité roumaine dans la mesure où Moldaves et Roumains partagent peu de particularités ethniques, culturelles et linguistiques distinctes. Or, les Moldaves «de souche» et les Roumains forment 84,4% de la population. Il reste donc 15,6% pour les autres: Russes (2,7%), Ukrainiens (4,4%), Bulgares (1,2%), Gagaouzes (3%), Biélorusses (0,4%), Roms/Tsiganes (0,2%), Allemands (0,1%), Juifs, Tatars, Arméniens, etc. La loi de 2011 ne mentionne à l'article 6 que les langues suivantes: ukrainien, gagaouze, bulgare, hébreu et yiddish, les autres langues étant incluses dans le mot etc. (ucraineană, găgăuză, bulgară, ivrit, idiş etc.). En fait, les langues non nommées formellement sont le russe, le roumain, le polonais et l'allemand.

De plus, il y a la situation du bilinguisme roumain/moldave-russe et russe-roumain/moldave, étant donné que la langue russe, en vertu des traditions héritées de l’époque soviétique, a encore un rôle important dans la société moldave. Son statut de langue de communication interethnique, bien que fortement dilué ces dernières années, demeure soutenu avec ténacité par les minorités nationales, en particulier les Gagaouzes, les Ukrainiens et les Bulgares, qui utilisent le russe dans tous les domaines de la vie sociale, ce qui, en fait, remplace leurs propres langues nationales. Autrement dit, les minorités ont tendance à s'assimiler aux russophones plutôt qu'à la majorité roumanophone.

1.1 La répartition géographique des minorités

En général, les Russes, les Ukrainiens, les Gagaouzes et les Bulgares habitent des zones de peuplement relativement compactes (voir le tableau ci-contre), ce qui peut faciliter l'application de leurs droits linguistiques.

Les Russes habitent surtout dans les zones urbaines, dont la moitié d’entre eux résident à Chisinau, la capitale, une ville multiethnique, quoique les Moldaves y soient les plus nombreux. Seuls les Russes sont répartis dans la plupart des districts, bien qu'ils soient concentrés dans certains d'entre eux (Cahul, Chisinau, Basarabeasca, Aneii Noi, etc.).

Les Ukrainiens se retrouvent surtout dans tout le nord du pays, tandis que près de la moitié des habitants de Balti (une ville considérée comme «la capitale du Nord», est issue de minorités nationales, surtout des Ukrainiens et des Russes; ces deux groupes sont majoritaires en Transnistrie.

Quant aux Bulgares, ils sont concentrés essentiellement dans le district de Taraclia (au sud) où ils forment la majorité de la population (77%).

Les Gagaouzes turcophones, mais très russophiles, vivent pour la plupart dans l'Unité territoriale autonome (UTA) de Gagaouzie dans le Sud.

En même temps, bien que leurs origines ethniques soient diverses, les minorités sont majoritairement composées de russophones (langue seconde) ou de russophiles favorables à des liens plus étroits avec la Russie. On constate que la majorité des membres des minorités sont des Slaves (Russes, Ukrainiens, Bulgares, Biélorusses, y compris les Gagaouzes). Or, les Russes ainsi que la majorité des autres groupes ethniques non roumanophones sont largement pro-russes, du fait de leurs affinités culturelles et de leur «mémoire» historique.

La langue maternelle de la majorité de la population de Chisinau, de Balti, de Tiraspol, de Tighina, de Dubasari, d'Ungheni et de nombreuses autres localités est le russe ou l'ukrainien, le bulgare, le gagaouze. Dans de tels cas, la langue de communication ne peut être que le russe. Par conséquent, l'environnement linguistique reste inchangé, c'est toujours le russe.

Pour les roumanophones, les minorités nationales sont pratiquement synonymes de populations russophones, car la plupart des personnes concernées ne connaissent pas le roumain et préfèrent utiliser le russe dans leurs contacts intercommunautaires.

Langue habituellement parlée en République de Moldova, selon le recensement de 2014
Langue maternelle / première langue Moldave Roumain Russe Gagaouze Ukrainien Bulgare Romani Autre langue
Moldave 94,34% 1,67% 3,47% 0,02% 0,30% 0,04% 0,01% 0,16%
Roumain 1,41% 96,96% 1,29% 0,00% 0,02% 0,01% 0,00% 0,31%
Russe 3,78% 1,50% 92,83% 0,14% 1,32% 0,13% 0,01% 0,29%
Gagaouze 0,90% 0,20% 33,27% 63,84% 0,03% 0,42% 0,00% 0,10%
Ukrainien 5,76% 1,10% 30,93% 0,04% 61,02% 0,10% 0,00% 0,05%
Bulgare 4,88% 0,99% 32,60% 0,55% 0,13% 59,84% 0,01% 0,11%
Romani (tsigane) 7,43% 7,87% 9,27% 0,73% 0,51% 0,32% 73,71% 0,13%
Une autre langue 9,95% 7,44% 45,20% 0,91% 0,61% 0,24% 0,02% 33,86%
Total 1 486 570
54,65% 
652 394
23,98% 
394 133
14,49% 
74 167
2,73% 
73 802
2,71% 
26577
0,98% 
5 764
0,21% 
6 970
0,26% 

La plupart des groupes ethniques parlent leur langue maternelle dans la vie quotidienne (Moldaves, Roumains, Russes, Roms/Tsiganes), mais certaines minorités ont également recours au russe, notamment les Gagaouzes, les Ukrainiens et les Bulgares, mais c'est le cas aussi de 45,2% des petites minorités non incluses dans le tableau ci-dessus. Dans la vie quotidienne, le citoyen de langue étrangère parle le russe, car il ne connaît pas le roumain; le citoyen roumanophone ne peut pas parler sa langue maternelle partout, car les patrons, dans de nombreux cas, ne connaissent pas la langue officielle. On peut se demander aussi pourquoi le formulaire du recensement fait la distinction entre le moldave et le roumain. Il parait insolite de distinguer les Moldaves des Roumains puisqu'ils parlent la même langue, mais ethniquement parlant ils demeurent des communautés distinctes. Cependant, l'article 1er de la Loi pour la mise en œuvre des considérants de certains arrêts de la Cour constitutionnelle (2023) est venu clarifier le nom de la langue officielle en remplaçant les mots «langue moldave» par «langue roumaine» dans la Constitution. Cela vaut pour toutes les lois où apparaissent «langue moldave». Désormais, le terme «moldave» est un adjectif général désignant non pas une langue, mais tout ce qui se réfère à la Moldavie, y compris l'ensemble de ses citoyens, quelles que soient leurs langues. 

Il existe aussi une autre critère de la diversité: la confession religieuse partagée par les groupes ethniques. La plupart des Slaves sont des chrétiens orthodoxes, mais il y a des catholiques (Polonais), des musulmans (Azerbaïdjanais, Turcs, Tatars, etc.), des juifs, etc. Cette diversité a cependant permis la coexistence d'une certaine bonne harmonie.

1.2 La protection juridique des minorités

La législation concernant les minorités est plutôt élaborée. Dans certains cas, notamment en matière de justice, la loi accorde le droit d'employer sa langue maternelle par le biais de la traduction. Dans d'autres cas, la législation octroie des droits à la langue minoritaire, alors que plusieurs lois prévoient des dispositions particulières pour le russe.

- Les droits à la traduction: Code de juridiction constitutionnelle (1995); Loi sur le système judiciaire (1995); Code de procédure pénale (2003); Code civil (2002); Code de procédure civile (2003).

- Les droits à la langue: Constitution (1994); Loi sur les médiateurs parlementaires (1997); Loi sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales et sur le statut juridique de leurs organismes (2001); Code de l'audiovisuel (2006-2018); Loi sur l'éducation (1995-2006); Code de l'éducation (2014); Règlement sur l'établissement de l'enseignement préscolaire (2009).

- Les droits particuliers à la langue russe: Constitution (1994); Règlement du Parlement (1996), Ordonnance sur l’approbation des normes standards concernant les pages officielles des autorités de l’administration publique sur l'Internet (2007); Loi sur les actes d'état civil (2001); Loi sur les actes législatifs (2001); Loi sur la protection des consommateurs (2003); Loi sur l'approbation du concept de politique nationale (2003).

Ces dernières années, des mesures supplémentaires ont été prises pour promouvoir l'intégration des personnes appartenant à des minorités nationales. Ainsi, en décembre 2016, le gouvernement a adopté la Stratégie de renforcement des relations interethniques pour la période 2017-2027, saluée par les minorités ethniques. Un plan d'action sur la mise en œuvre de la stratégie est en cours d'élaboration. Pour ce qui est des relations entre les autorités centrales et l'Unité territoriale autonome gagaouze (UTA), un groupe de travail conjoint a été mis en place pour élaborer des initiatives législatives qui aborderont les problèmes structurels causés par le cadre juridique et constitutionnel peu clair.

De plus, la république de Moldavie a signé sept des neuf principaux traités internationaux relatifs aux droits de l'homme. La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l'Europe a été signée par la Moldova en 1995 et ratifiée en 1996. La république de Moldavie a signé, mais non ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

De plus, la Moldavie accorde aux municipalités et aux entreprises économiques ou commerciales le droit d'employer, outre le roumain, la langue officielle de l'État, une ou plusieurs langues minoritaires. Par exemple la Gagaouzie est bilingnue (roumain, gagaouze et russe), la Transnistrie est également trilingue (roumain dit «moldave», russe et ukrainien, le tout en cyrillique), tandis que les municipalités de Chisinau et de Balti sont officiellement bilingues (roumain-russe). Adossées à la Gagaouzie, des municipalités sont bilingues avec le bulgare.

Même les Chemins de fer moldaves sont bilingues roumain-russe, bien que les petites gares ou haltes ne l'appliquent pas et se contentent du roumain.

2 La représentation des minorités

En 2017, la Moldavie est passée à un système électoral mixte pour les élections parlementaires dans lequel la moitié du Parlement est élu par un système national proportionnel et le reste par un système majoritaire dans 50 circonscriptions à mandat unique. Ce nouveau système a été appliqué pour la première fois lors des élections législatives du 24 février 2019.

2.1 La représentation dans les organismes gouvernementaux

Les articles 23 et 24 de la Loi sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales et sur le statut juridique de leurs organismes (2001) prévoient une représentation ethnique au Parlement moldave :

Article 23

La représentation des membres appartenant aux minorités nationales au Parlement et aux conseils locaux est obtenue à la suite des élections, conformément à la législation en vigueur. 

Article 24

Les membres appartenant aux minorités nationales ont le droit à la représentation proportionnelle dans les structures des pouvoirs exécutif et judiciaire à tous les niveaux, dans l'armée et les agences concernées par la législation. 

Il existe des normes de représentation proportionnelle pour les partis politiques, mais pas pour la représentation ethnique. Les minorités ethniques de Moldavie restent sous-représentées dans les principaux partis politiques et au gouvernement, ce qui mine leur confiance dans le processus politique et les autorités gouvernementales. On compte des membres des minorités au Parlement, mais leur nombre fluctue au gré des élections, car il est dû au hasard en fonction de leur participation dans les partis politiques. Par exemple, sur 101 députés, on compte généralement une forte majorité de roumanophones (autour de 65), ainsi qu'une douzaine ou une quinzaine de députés tant pour les russophones que pour les ukrainophones, peut-être cinq ou six Gagaouzes et un ou deux Bulgares. En conséquence, la région autonome de Gagaouzie a eu deux circonscriptions et le district de Taraclia en a eu une.

Lors des élections législatives du 24 février 2019, il y a eu évidemment des députés moldaves, mais aussi des Ukrainiens, des Gagaouzes, des Russes et des Bulgares; il s'est trouvé aussi, pour la première fois, des membres appartenant à de petites minorités nationales, dont un Polonais, un Arménien et un Rom. La composition du Parlement reflète ainsi davantage la diversité ethnique de la société moldove, de même qu’un certain équilibre entre les sexes (25,7 % des 101 députés sont des femmes).

Parmi la douzaine de ministres du gouvernent figurent généralement un Russe et un Gagaouze (le gouverneur de l'Unité territoriale de Gagaouzie). Un travail supplémentaire reste à faire pour s'assurer que les voix des minorités soient correctement représentées dans l'élaboration des politiques afin d'améliorer la confiance entre les membres des communautés minoritaires.

En somme, la représentation des minorités semble insuffisante dans les organismes publics, ce qui est en contradiction directe avec la législation moldave, laquelle consacre leur droit à une représentation proportionnelle dans les organismes exécutifs, incluant les tribunaux, la police et l'armée. Les experts européens ont noté à plusieurs reprises que les représentants des minorités nationales ne sont pas impliqués dans les organismes exécutifs du plus haut niveau, y compris au gouvernement.

Par contre, l'article 47 du Règlement du Parlement (1996) impose que tous les projets de loi soient déposés en moldave avec une traduction obligatoire en russe:

Article 47

Les conditions d'exercice du droit d'initiative législative et les objets de ce droit:

8)
Tout projet de loi doit être présenté
dans la langue moldave avec sa traduction en russe.

9) Les projets de loi, de propositions législatives et de documents visés aux paragraphes 6 et 7 sont annexés sous forme électronique.

10) Les projets de loi et les propositions législatives soumis par les députés doivent être présentés
en moldave ou en russe
. Le secrétariat du Parlement assure leur traduction dans la langue appropriée.

Une telle disposition revient à rendre le Parlement officiellement bilingue. Toutefois, les versions russes ne sont pas toujours mises à jour, de sorte qu'il vaut mieux se référer à la version roumaine.

2.2 Les services de traduction

De plus, il existe un service de traduction simultanée lors des débats parlementaires. En général, entre 18 et 20 parlementaires utilisent les services de traduction du roumain vers le russe ou l'inverse. Cette traduction est assurée par deux spécialistes de la traduction simultanée et deux éditeurs, mais ni le règlement du Parlement, ni d'autres documents normatifs ne le prévoient. Le Règlement indique seulement que les projets de loi doivent être présentés en moldave ou en russe. Le secrétariat du Parlement assure leur traduction dans la langue appropriée. Dans les faits, de plus en plus de députés non roumanophones connaissent suffisamment le roumain pour se passer de la traduction simultanée.

Il n'existe pas de données précises pour connaître quelles ressources financières avaient été allouées aux fins de traduction, mais certains médias ont écrit que jusqu'à 40 000 lei sont dépensés chaque mois pour traduire des documents en russe, ce qui correspond à 1880 €/mois ou 2270 $US/mois.

2.3 La représentation dans les instances locales

Dans les élections locales, par exemple dans les municipalités, les membres des minorités peuvent être représentés aisément lorsqu'ils sont majoritaires, ce qui n'est le cas que dans quelques municipalités pour les russophones et les ukrainophones, les Bulgares à Taraclia et les Gagaouzes en Gagaouzie; la question ne se pose pas pour les russophones de Transnistrie. Bien que les minorités nationales représentent au moins 15 % de la population moldave, le système politique du pays n'a pas réussi à créer les conditions nécessaires pour leur participation au système politique.

3 La traduction dans les tribunaux

On parle de «justice sélective» en Moldavie dans la mesure où les juges semblent plus cléments ou plus rigides en fonction de certains actes ou de certaines catégories de personnes impliquées dans un procès. De plus, le pouvoir judiciaire demeure l'un des secteurs les moins réformés en Moldavie. Il est considéré comme très corrompu et servile envers les groupes politiques et commerciaux au pouvoir. Les principales institutions judiciaires seraient dans une large mesure subordonnées à quelques oligarques pro-russes, et ce, d'autant plus que les principaux postes du système judiciaire sont pourvus de manière non transparente par des fonctionnaires fidèles aux oligarques. En principe, les procès dans une langue minoritaire sont autorisés, mais ils demeurent rares.

De plus, la république de Moldavie a adhéré à 42 conventions du Conseil de l’Europe concernant les droits de l’homme et la protection des minorités nationales, dont 18 ont été ratifiées. Mentionnons particulièrement la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe (1996) qui a été signée le 13 juillet 1995, ratifiée par le Parlement moldave le 20 novembre 1996 et entrée en vigueur le 1er février 1998. Pour le moment, c’est le seul texte juridique en vigueur concernant les minorités nationales en Moldavie.

3.1 L'usage de la langue minoritaire

Dans la pratique, tous les membres des minorités nationales ont le droit d'utiliser leur langue maternelle, mais le juge n'est pas tenu de comprendre cette langue à moins que toutes les parties en cause se mettent d'accord. Généralement, le tribunal fait appel à des interprètes, comme c'est le cas à l'article 15 du Code de juridiction constitutionnelle (1995):

Article 15

Langue de la procédure de la compétence constitutionnelle

1)
La procédure de juridiction constitutionnelle doit se dérouler
en langue moldave.

2) Les justiciables qui ne connaissent pas la langue de la procédure ont le droit de s'exprimer devant le tribunal par l'intermédiaire d'un interprète.

Il en est ainsi à l'article 9 de la Loi sur le système judiciaire (1995):

Article 9

Langue de la procédure judiciaire et droit à l'interprète

1) La procédure judiciaire doit se dérouler en moldave.

2) Les personnes ne comprenant pas le moldave ou ne le parlant pas ont le droit de prendre connaissance de tous les documents et des documents du dossier et de s'exprimer devant la cour au moyen d'un interprète.

3) La procédure judiciaire peut se dérouler dans la langue acceptée par la majorité des individus participant au procès.

 Tel est également le cas dans le Code de procédure pénale (2003):

Article 16

Langue de la procédure pénale et droit à un interprète

1)
La langue officielle doit être employée dans la procédure pénale.

2) Le justiciable qui ne possède pas ou ne parle pas la langue officielle a le droit de prendre connaissance de tous les documents et éléments du dossier, de s'exprimer devant l'instance d'enquête pénale et devant le tribunal
par l'intermédiaire d'un interprète.

3) Un procès pénal peut également se dérouler
dans la langue acceptée par la majorité des personnes participant au procès. Dans ce cas, les décisions procédurales doivent également être rédigées
dans la langue officielle.

3.2 La langue maternelle dans les testaments

Le Code civil (2002) autorise l'emploi d'une autre langue dans la rédaction d'un testament:

Article 2229

Testament privilégié rédigé en cas d'urgence

3)
Si le testament est rédigé par déclaration orale en présence de trois témoins, ce fait doit être mentionné dans un document. Les dispositions légales sur l'authentification notariale s'appliquent en conséquence. Le document peut être rédigé
dans une autre langue que la langue officielle. Le testateur et les témoins doivent avoir une compréhension suffisante de la langue dans laquelle le document est rédigé, laquelle sera mentionnée dans le document si celui-ci est rédigé dans une autre langue que la langue officielle.

3.3 La sentence obligatoire en roumain

 Quoi qu'il en soit, selon le  Code de procédure civile (2003), si le procès a lieu dans une autre langue que la langue officielle, le juge doit rendre son jugement en moldave (roumain):

Article 24

Langue de la procédure et droit à un interprète

1)
Le procès des causes civiles devant les tribunaux doit se dérouler
dans la langue moldave.

2) Les justiciables intéressés à résoudre une cause qui ne maîtrisent pas ou ne parlent pas la langue moldave
ont le droit de se familiariser avec les documents, les travaux de la procédure et de prendre la parole devant le tribunal
par l'intermédiaire d'un interprète.

3) Par décision du tribunal, le procès peut se dérouler dans une langue acceptée par la majorité des participants au procès.

4) Si le procès se déroule dans une autre langue, le tribunal doit également rendre
sa décision dans la langue moldave.

Dans le contexte du respect des droits de l'homme, la situation des minorités nationales en Moldavie semble préoccupante. Expérimentant avec la population roumanophone les difficultés d'une situation économique difficile, les membres des minorités subissent certaines restrictions de leurs droits, malgré le fait que la législation moldave consacre des garanties quant au respect de ces droits: de nombreuses normes juridiques garantissant leurs droits ne sont pas appliquées.

3.4 La disponibilité de traducteurs

Les représentants des minorités nationales sont mécontents du fait que les plaignants se voient refuser d'accepter des requêtes en russe. Il arrive que, pendant un procès, le tribunal ne dispose pas d'interprète. Évidemment, cet état de fait est en contradiction avec la législation, en particulier l'article 16 de la Constitution qui énonce que «tous les citoyens de la république de Moldavie sont égaux devant la loi et les autorités publiques, indépendamment de leur race, de leur nationalité, de leur origine ethnique, de leur langue, de leur religion, de leur sexe, de leur opinion, de leur affiliation politique, de leur richesse ou de leur origine sociale».

Les autorités répliquent qu'un procès dans les causes civiles devant les tribunaux doit se dérouler dans la langue moldave (roumaine). Bref, en matière judiciaire, les minorités nationales ont droit à la traduction dans la mesure où les traducteurs sont disponibles. Toutefois, de nombreux citoyens constatent en même temps que les greffiers et les traducteurs reçoivent des salaires très bas et que peu de personnes ne veulent occuper ce genre de poste. Autrement dit, il y a une pénurie de traducteurs, tandis que de moins en moins de juges savent maîtriser le russe.

4 L'administration publique et les langues minoritaires

En vertu de l'article 8 de la Loi sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales et sur le statut juridique de leurs organismes (2001), l'État moldave doit offrir des services dans les langues minoritaires:

Article 7

Les membres appartenant aux minorités nationales ont le droit d'employer librement leur langue maternelle à l'écrite et à l'oral, et d'avoir accès à l'information dans cette langue, de diffuser et d'échanger cette information.

Article 8

1) L'État assure la publication des règlements, communiqués et autres informations officielles d'intérêt national
dans les langues moldave et russe.

2) Dans les localités qui, conformément à l'article 111 de la Constitution de la république de Moldavie, ont obtenu un statut spécial d'autonomie, les règlements d'intérêt local, les communiqués et autres informations officielles sont publiés également
dans d'autres langues officielles reconnues par des lois particulières.

3) Dans les territoires dans lesquels les membres appartenant aux minorités nationales constituent une partie considérable de la population, les actes de l'administration publique locale sont publiés, si cela est nécessaire, à la fois dans la langue de cette minorité et en moldave et en russe.

4.1 Les langues de service

D'après la législation, les membres des minorités nationales ont le droit de recevoir des services dans leur langue dans les localités où ils résident. De façon générale, on peut dire que le roumain et le russe sont les deux langues acceptées partout en Moldave, sauf en Gagaouzie et en Transnistrie où le roumain est quasi inexistant. Tout membre d'une minorité nationale est théoriquement assuré de recevoir de l'administration une réponse dans la langue dans laquelle il a formulé sa demande, tel qu'il est précisé à l'article 12 de la Loi sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales et sur le statut juridique de leurs organismes (2001) : 

Article 12

1) Les membres appartenant aux minorités nationales
ont le droit de faire appel aux établissements publics à l'écrit ou à l'oral en moldave ou en russe, d'obtenir une réponse dans la langue dans laquelle la demande a été formulée.

2) Dans les localités auxquelles on a accordé un statut spécial d'autonomie, la langue de communication avec les autorités publiques peut aussi être
l'une des langues officielles reconnues par des lois particulières.

3) Dans les territoires où les membres appartenant aux minorités nationales constituent une partie significative de la population, la langue de communication avec des autorités publiques peut aussi être
la langue de cette minorité nationale.

C’est donc le citoyen qui choisit, en principe, la langue de la communication ou de service avec l'administration locale. Dans les localités d'implantation substantielle des minorités ukrainiennes, russes, bulgares ou autres, la langue employée devrait être celle des administrés. Dans les faits, la langue de service est le roumain pour les roumanophones et le russe pour les autres.

4.2 La langue officielle et le russe

Dans la pratique, la situation n’est pas aussi égalitariste. Comme le russe a acquis des droits spécifiques dans la Constitution (art. 13: «L'État reconnaît et protège le droit à la préservation, au développement et au fonctionnement de la langue russe et des autres langues parlées sur le territoire du pays.»), cette langue n’est pas au même niveau que les autres langues minoritaires. En tant qu’ancienne langue coloniale ou langue interethnique dans l’ex-URSS, le russe bénéficie encore de prérogatives indéniables. Ce pays fonctionnait, jusqu'à récemment, sur le mode du bilinguisme officiel. Le russe était partout, dans tous les bureaux, sur les affiches, etc. Toute personne voyageant dans ce pays se laissait convaincre facilement qu’il s’agissait d’un pays bilingue. Les petites langues nationales, telles que le biélorusse, le polonais, le romani, l’allemand, l’arménien, le lituanien, l’azéri, l’ouzbek, etc., ne sont pas représentées dans les services publics. Généralement, elles demeurent invisibles, le russe accaparant la place des autres langues.

Les dispositions générales de la Loi sur l'approbation du concept de politique nationale (2003) signalent que la langue russe a le statut de langue de communication interethnique et que le bilinguisme russo-moldave doit devenir une réalité:

I. Dispositions générales

La langue moldave ayant le statut de langue officielle est employée dans toutes les sphères de la vie politique, économique, sociale et culturelle. L’une des priorités de la politique nationale de la république de Moldavie est d’assurer l’acquisition de la langue moldave.

La
langue russe
qui, conformément à la législation en vigueur, a le statut de langue de communication interethnique, est également appliquée dans divers domaines de la vie de l'État et de la société. Le bilinguisme moldove-russe est caractéristique de la Moldavie. Dans les conditions actuelles, il est nécessaire de créer de réelles possibilités pour que le bilinguisme russo-moldave devienne une réalité.

Dans son Arrêt n° 10 du 25 juillet 2013, la Cour constitutionnelle considère que cette loi n'est qu'un document politique n'impliquant aucune obligation et qu'elle n'a pas à se prononcer sur le contenu de ladite loi. Cependant, dans l'Arrêt de la Cour constitutionnelle n° 17 du 4 juin 2018, la Cour constitutionnelle considère que le roumain est la langue officielle et que l'obligation de conserver au russe le statut de «langue de communication interethnique» est abusive et inconstitutionnelle, car ce statut doit revenir à la langue officielle.  En somme, le statut accordé à la langue russe par rapport aux autres langues est contraire à l'article 13 de la Constitution et lui confère un statut quasi officiel au même titre que le roumain. Selon les juristes pro-russes, la Moldavie peut donner la priorité à la langue roumaine, mais pas en interdisant ou en désavantageant artificiellement d'autres langues, notamment le russe. Au contraire, la Moldavie est également tenue de protéger les langues minoritaires, ce qui n'est guère le cas puisque seul le russe bénéficie d'un traitement préférentiel.

L'article 43 de l'Ordonnance sur l’approbation des normes standards concernant les pages officielles des autorités de l’administration publique sur l'Internet (2007) impose l'usage du moldave et du russe dans les sites informatiques du gouvernement:

Article 43

Les informations sur les pages Web officielles doivent être publiées en moldave et en russe, et en cas de nécessité dans une autre langue, conformément à la législation en vigueur sur le fonctionnement des langues.

L'article 5 de la Loi sur les actes d'état civil (2001) prévoit que la préparation des documents d’état civil et l’enregistrement des entrées doivent être effectués dans les langues moldave et russe.

Article 5

La préparation des actes d'état civil

4)
La préparation des documents d’état civil et l’enregistrement des entrées
doivent être effectués dans les langues moldave et russe. Les certificats d’état civil déclarés inconstitutionnels sont remplis dans la langue moldave et, à la demande du demandeur, dans une autre langue, conformément à la loi n° 3465-XI du 1er septembre 1989 sur le fonctionnement des langues parlées sur le territoire de la république de Moldavie.

La Loi sur la protection des consommateurs (2003) dans son article 20 semble moins coercitive, car elle mentionne l'emploi de «la langue moldave» OU des «langues moldave et russe», cette dernière n'étant pas obligatoire:

Article 20

Obligations des agents économiques en matière d'information des consommateurs

1)
L'information des consommateurs sur les produits et les services proposés doit se faire par des éléments d'identification et en indiquant leurs caractéristiques, visibles et explicites sur le produit, l'étiquette, l'emballage ou dans une carte technique, dans le mode d'emploi ou dans toute autre documentation accompagnant le produit, le service et le cas échéant, en fonction de leur destination.

2) Il est interdit d'importer et de mettre des produits sur le marché, de fournir des services en l'absence d'informations complètes, véridiques et correctes
dans la langue moldave ou dans les langues moldave et russe.

 L'article 3 de la Loi sur les documents d'identité dans le système national de passeport (1994) impose l'emploi du roumain, du russe et de l'anglais sur les cartes d'identité:

Article 3

Les cartes d'identité

6)
Les cartes d'identité doivent être inscrites dans la langue officielle, dans les langues russe et anglaise, à l'exception de la carte d'identité des réfugiés et de la carte d'identité des bénéficiaires de la protection humanitaire, qui ne doivent être complétées que dans la langue officielle.

7) Lors de l'établissement des cartes d'identité
en russe, à la demande de la personne appartenant à une minorité nationale, le patronyme est indiqué conformément aux normes de sa langue maternelle.

8) Dans la langue maternelle du titulaire de la carte d'identité, si un alphabet différent du latin est employé, au moment de la translittération des nom et prénom en moldave et en anglais,
leur orthographe doit être conforme aux normes grammaticales de la langue moldave
pour la translittération des noms.

Les dispositions prévues dans cette loi sur les documents du système de passeport montrent que la carte d'identité n'est plus inscrite automatiquement en moldave et en russe, mais aussi en anglais; de plus, le patronyme du titulaire qui prévaut est celui de sa langue maternelle, pas nécessairement en russe comme auparavant. De plus, l'orthographe des patronymes doit être conforme aux normes grammaticales de la langue moldave pour la translittération des noms, ce qui peut constituer une violation du droit d'une personne à son propre nom et une ingérence dans sa vie privée. Ces dispositions affectent directement les intérêts des membres des minorités et pourraient indiquer un désir d'assimilation de la part du gouvernement.

Néanmoins, la Moldavie, bien qu'elle soit le pays le plus pauvre de l'Europe, doit assumer de lourdes dépenses pour les traducteurs dans les institutions et organismes de l'État, dans l'administration, les entreprises, etc. Si la plupart des organismes de l'État ne tiennent généralement pas compte des documents publiés dans les langues minoritaires, ils gèrent en principe ceux rédigés en russe.

Une inquiétude raisonnable parmi les représentants des minorités nationales est causée par la tendance évidente des autorités actuelles à réviser les normes juridiques régissant le fonctionnement des langues sur le territoire de la République. Le but des changements proposés dans la législation est évident : l'éradication du bilinguisme moldavo-russe et l'éviction de la langue russe qui a perdu son statut de langue de communication interethnique, de diverses sphères de l'État et de la société.

4.3 La toponymie

En matière de toponymie, l'article 24 de la Loi sur le fonctionnement des langues parlées sur le territoire de la RSS de Moldavie de 1989 (loi aujourd'hui abolie) autorisait l'usage d'une appellation unique soit dans la langue officielle (le moldave), soit en ukrainien, en russe ou en bulgare, sinon en gagaouze:

Article 24 [aboli]

1) Les localités et autres entités géographiques sur le territoire de la RSS moldave
ont un seul nom officiel — dans sa forme initiale moldave et, selon le cas, en gagaouze (sans traduction ni adaptation) en tenant compte des traditions historiques d'une localité donnée. L'écriture correcte des noms des localités et des autres entités géographiques est fixée en conformité avec les ouvrages spécialisés de référence.

2) Les noms des places, rues, ruelles et lieux urbains sont formés
dans la langue officielle sans traduction
(dans les territoires habités par la population de nationalité gagaouze — en langue gagaouze), mais dans les zones rurales où la majorité de la population est d'appartenance ukrainienne, russe ou bulgare — dans une langue acceptée.

Cette loi prévoyait que les localités et autres lieux géographiques de la Moldavie possèdent une seule dénomination officielle, c’est-à-dire en moldave ou en gagaouze (sans traduction ni adaptation) afin de tenir compte des traditions historiques de la localité concernée.

La loi précédente ayant été abolie par la Cour constitutionnelle, il faut se rabattre sur l'article 10 de la Loi sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales et sur le statut juridique de leurs organismes (modifiée en 2006), qui prévoit ce qui suit:
 

Article 10

Les noms des localités, des rues et des places doivent être indiqués dans la langue moldave, mais le cas échéant, sur décision des autorités de l'administration publique locale, également dans une autre langue, conformément à la législation en vigueur. Les noms des institutions publiques et des lieux d'usage public doivent être indiqués en moldave et en russe. Dans les localités qui ont obtenu un statut spécial d'autonomie, ces noms sont également indiqués dans d'autres langues officielles établies par les lois respectives. (2006)

4.4 L'emploi restrictif de la langue russe

Il est bien écrit que les noms des localités, des rues, des établissements et des places publiques doivent être indiqués en moldave, mais sur décision des autorités de l'administration publique locale, également dans une autre langue. Il faut croire que les autorités de l'administration publique locale ne prennent pas souvent de décisions à ce sujet, car les inscriptions bilingues en russe et en roumain sont rarissimes, sauf dans les lieux touristiques où l'anglais peut aussi être présent.

Dans la figure ci-contre, on peut lire quelques inscriptions en russe, mais elles demeurent très rares. Dans les endroits touristiques, on trouve des inscriptions à la fois en roumain, en russe et en anglais.
 
Procuratura Generala
Генеральная прокуратура
General Prosecutor's Office
Ministerul Afacerilor Interne
Міністерство внутрішніх справ
Ministery of Interior Affairs
Guvernul Republicii Moldova
Правительство Республики Молдова
Government of the Republic of Moldova

Agentia Nationala Pentru Reglementare in Energetica
Национальное агентство по регулированию в энергетие

Pentru a traversa pe trecerea de pietoni coborâți de pe bicicletă
«Pour traverser sur le passage piéton descendre du vélo»

Inspectoratul de Poliție Bălți
«Inspectorat de la police de Balti»

De façon générale, les inscriptions sont uniquement en roumain, même pour la police, l'hôpital, les passages piétonniers, etc. Cependant, l'affiche pour l'aéroport de Chisinau est uniquement en anglais.

L'article 24 de l'ancienne Loi sur le fonctionnement des langues parlées sur le territoire de la République soviétique socialiste moldave de 1989 (aujourd'hui abrogée), obligeait l'emploi de la langue officielle, mais dans les localités à majorité ukrainienne, russe ou bulgare, l'appellation dans ces langues devenait obligatoire:  

Article 24 [abrogé]

1) Les localités et autres entités géographiques sur le territoire de la RSS moldave
ont un seul nom officiel — dans sa forme initiale moldave et, selon le cas, en gagaouze (sans traduction ni adaptation) en tenant compte des traditions historiques d'une localité donnée. L'écriture correcte des noms des localités et des autres entités géographiques est fixée en conformité avec les ouvrages spécialisés de référence.

2) Les noms des places, rues, routes et lieux urbains sont formés dans la langue officielle sans traduction (dans les territoires habités par la population de nationalité gagaouze — en langue gagaouze), mais dans les zones rurales où la majorité de la population est d'appartenance ukrainienne, russe ou bulgare — dans une langue acceptée.

En 1995, le Parlement, par un acte législatif, a prescrit comment les villes et villages de la Moldavie devaient être désignés en russe. Mais la loi n° 764-XV/2001 sur l'organisation administrative et territoriale est venu modifier cette pratique en imposant une appellation roumaine: Chișinău, Bălți, Strănesi, Tighina, Rîbniţa, Ungheni, Cahul, Soroca, Orhei, Comrat, Căușeni, Codru, Edineț, Drochia, Slobozia, Ialoveni, Hâncești, Sângerei, Taraclia, Vulcănești, Făleşti, Florești, Cimișlia, Rezina, Anenii Noi, Călărași, etc.

Cela signifie qu'on ne peut écrire Кишинев ou Kishinev (Chinisau), Бэлць ou Beltsy (Balti), Странес ou  Stranes (Stanesi), etc. En d'autres termes, on ne peut pas employer les règles d'orthographe des noms des villes et des localités moldaves en appliquant les règles de la langue russe. Il faut respecter les normes orthographiques, orthoépiques, morphologiques et syntaxiques de la langue officielle. Bien sûr, l'utilisation de toponymes roumains ne va pas de soi pour les locuteurs de la langue russe.

C'est d'ailleurs ce qu'on trouve comme principe à l'article 11 du Code de l'audiovisuel (2006-2018):

Article 11

Protéger le patrimoine linguistique et culturel national

10) Les diffuseurs sont tenus de respecter les normes orthographiques, orthoépiques, morphologiques et syntaxiques de la langue officielle.

Des députés socialistes ont souvent présenté au Parlement des projets de loi afin d'autoriser l'alphabet et l'orthographe russe, mais le gouvernement a toujours émis un avis négatif sur ces propositions. Dans ces conditions, le Conseil de coordination de la radiotélévision a adopté une décision selon laquelle les médias devraient utiliser les toponymes prévus par la loi sur la structure administrative et territoriale de la république de Moldavie.

De plus, la Loi sur la protection des indications géographiques, des appellations d'origine et des spécialités traditionnelles garanties (2008) exige que les demandes d'enregistrement pour une indication géographique

Article 14

Dépôt de la demande d'enregistrement

1)
La demande d'enregistrement d'une appellation d'origine, d'une indication géographique ou d'une spécialité traditionnelle garantie, ci-après dénommée demande, est soumise à l'AGEPI par un groupement répondant aux dispositions du paragraphe 2 de l'article 9.

2) La demande est soumise au moyen d'un formulaire standard approuvé par l'AGEPI. La demande et les documents qui y sont joints doivent être présentés
en langue moldave. Si les documents joints sont complétés dans une autre langue, leur traduction en moldave doit être soumise dans un délai de deux mois à compter de la date de dépôt de la demande.

L'AGEPI est l'Agenția pentru Proprietatea Intelectuală a Republicii Moldova (Agence nationale de la propriété intellectuelle de la république de Moldavie). L'AGEPI est une autorité administrative subordonnée au gouvernement, et chargée de promouvoir et de mener des activités dans le domaine de la protection juridique de la propriété intellectuelle sur les droits de propriété industrielle, le droit d'auteur et les droits voisins. L'AGEPI a le statut de personne morale basée à Chisinau, avec un nom officiel, un nom abrégé dans la langue officielle.

4.5 L'Agence des relations interethniques

L'Agence des relations interethniques (en roumain: "Agenția Relații Interetnice") a comme objectif prioritaire depuis un quart de siècle de renforcer les relations interethniques, le dialogue continu entre les dirigeants de l'État, la société civile, les organismes internationaux et les organisations ethnoculturelles en respectant les principes de la démocratie et des droits de l'homme.

En matière de langue, la mission de l'Agence est d'assurer la mise en œuvre des politiques de l'État dans le domaine des relations interethniques et le fonctionnement des langues parlées sur le territoire de la république de Moldavie;  contribuer à l'organisation et à la célébration d'événements destinés à promouvoir les traditions, les coutumes, la langue et la culture des minorités nationales; contribuer à la création des conditions d'acquisition de la langue officielle par les représentants des minorités nationales afin de les intégrer dans la société; surveiller la situation linguistique conformément aux normes internationales et favoriser le multilinguisme et la diversité dans la société à travers les médias.

Le Conseil de coordination des minorités nationales fonctionne comme un organisme consultatif de l'Agence des relations interethniques, avec des dirigeants d'organisations minoritaires en tant que membres. Cependant, les mécanismes de consultation avec le Conseil de coordination sont faibles et les organisations minoritaires sont souvent laissées à l'écart des consultations significatives sur les questions concernant les minorités.

5 Les langues minoritaires en éducation

Rappelons que le système d'éducation est organisé en niveaux, en étapes et en cycles. Il comprend notamment l'enseignement préscolaire, l’enseignement primaire, l’enseignement «gymnasial», l’enseignement secondaire, l'enseignement secondaire professionnel et l’enseignement supérieur. Sous le régime soviétique, il y avait trois réseaux: l'un en moldave distinct du roumain avec l'alphabet cyrillique, un autre en russe et un dernier bilingue (moldave-russe). Évidemment, le russe s'est imposé comme langue prédominante à tous les niveaux de l'organisation sociale, y compris dans l'enseignement. Ce système n'était pas spécifique à la Moldavie, car il faisait partie de la soviétisation beaucoup plus large qui se déroulait dans toute l'Union soviétique; la Moldavie n'a pas fait exception. Toutefois, le moldave (roumain) est devenu la langue officielle depuis 1990, ce qui a modifié l'ordre établi traditionnellement.

5.1 La législation scolaire traditionnelle

Du côté de la législation, les droits linguistiques des minorités nationales sont explicites. L'article 35 de la Constitution du 29 juillet 1994 stipule que l'État garantit le droit de choisir la langue d'enseignement et de formation des individus, ce qui inclut les membres des minorités:

Article 35

Le droit à l'éducation

1) Le droit à l'éducation est assuré par l'enseignement général obligatoire, par l'enseignement secondaire et professionnel, par l’enseignement supérieur, ainsi que par d’autres formes d’instruction et de perfectionnement.

2) L'État garantit, conformément à la loi,
le droit de choisir la langue d'enseignement et de formation des individus.

3) L'
étude de la langue officielle
est assurée dans les établissements d'enseignement à tous les niveaux.

Cela signifie que les membres des minorités ont le droit de choisir la langue d'instruction de leurs enfants, que ce soit le roumain, le russe, l'ukrainien, le bulgare, etc. L'article 6 de la Loi sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales et sur le statut juridique de leurs organismes (2001) garantit que les membres appartenant aux minorités nationales puissent recevoir leur éducation préscolaire, primaire, secondaire en moldave et en russe, ou dans leur langue maternelle, et, ce, à tous les niveaux :

Article 6

1) L'État garantit la mise en œuvre des droits des membres appartenant aux minorités nationales
de recevoir leur éducation préscolaire, primaire, secondaire (terminal et professionnel), leur formation supérieure et postuniversitaire en moldave et en russe, et réunit les conditions pour la réalisation de ces droits à l'éducation et à l'enseignement dans leur langue maternelle (ukrainien, gagaouze, bulgare, yiddish, etc.).

2) En vue d'assurer le processus scolaire dans les établissements d'enseignement dans lesquels l'enseignement est fait partiellement ou intégralement dans les langues des minorités nationales, l'État contribuer au développement de programmes d'études et de matériel pédagogique, ainsi qu'à la formation du personnel enseignant et à la coopération avec d'autres pays dans ce domaine.

3) Les membres appartenant aux minorités nationales ont le droit de recevoir leur formation supérieure et postuniversitaire dans leur pays d'origine, ainsi que dans d'autres pays sur la base des accords et des traités internationaux.

4) Les membres appartenant aux minorités nationales ont le droit de créer leurs organismes conformément à la législation sur les établissements privés préscolaires et les écoles à tous les niveaux.
L'enseignement de la littérature de la langue moldave, ainsi que de l'histoire de la Moldavie est obligatoire
dans tous les établissements d'enseignement.

Étant donné les difficultés à recevoir leur formation supérieure dans leur langue maternelle, les membres des minorités sont autorisés à poursuivre cette formation dans leur pays d'origine (Russie, Ukraine, Bulgarie, etc.).  Quoi qu'il en soit, l'enseignement de la langue moldave (roumain) demeure obligatoire comme langue seconde.

L'article 8 de la Loi sur l'éducation (1995-2006) reprend les mêmes dispositions :

Article 8

Langue d'enseignement

1)
L'État garantit, conformément à la Constitution et aux articles 18, 19 et 20 de la
Loi sur le fonctionnement des langues sur le territoire de la république de Moldavie, le droit de choisir la langue d'enseignement et de formation à tous les niveaux et étapes de l'éducation.

2) Le droit des citoyens à l'éducation et à la formation
dans leur langue maternelle est garanti par la création du nombre nécessaire d'établissements d'enseignement, de classes, de groupes, ainsi que des conditions de leur fonctionnement.

De plus, l'article 4 du Règlement sur l'établissement de l'enseignement préscolaire (2009) prévoit un enseignement dans la langue maternelle des enfants à la demande des parents, mais avec un enseignement obligatoire du roumain:

Article 4

L'éducation et la formation des enfants sont offertes dans la langue maternelle. Les langues des minorités en cohabitation seront étudiées à la demande des parents. En même temps, l'enfant peut être reçu dans un établissement préscolaire où le processus pédagogique est organisé dans une autre langue. L'étude de la langue roumaine sera obligatoire pour les établissements préscolaires où l'enseignement est offert dans une autre langue.

Il reste à voir comment sont appliquées ces dispositions.

5.2 Les dispositions restrictives du Code de l'éducation

L'adoption du Code de l'éducation (2014) vient changer le principe des dispositions précédentes. Durant trois ans, certains universitaires membres du gouvernement ont tout fait pour empêcher l'adoption du projet de Code de l'éducation en blâmant toute l'équipe des auteurs, en leur accolant des qualifications désobligeantes. L'article 9 parle plutôt de la langue roumaine (et non moldave), mais il ajoute, le cas échéant, deux langues de circulation internationale sur trois (l'anglais, le français et le russe):

Article 9

Conditions d'accès

1) Les citoyens de la république de Moldavie ont des droits égaux d'accès à l'enseignement et à la formation professionnels, dès le début et de façon continue, par l'intermédiaire du système d'éducation nationale, dans les conditions du présent code.

7) L'État garantit la formation et le développement des compétences efficaces en communication dans la langue roumaine, dans les langues des minorités nationales, le cas échéant, et dans au moins deux langues de circulation internationale.

8) L'État garantit les conditions de formation et de développement des compétences en communication en anglais, en français et en russe dans tous les établissements publics d'enseignement général.

Mais la disposition la plus importante du Code de l'éducation est au paragraphe 2 de l'article 10 où la loi énonce des restrictions pour avoir accès à l'instruction dans une langue minoritaire. Il faut qu'il y ait «une demande suffisante» et que ce soit «dans les limites des possibilités du système d'éducation»:

Article 10

Langue d'enseignement

1) Dans le système d'éducation, la procédure pédagogique doit se dérouler en roumain et, dans les limites des capacités du système d'éducation, dans l'une des langues de circulation internationale ou, en vertu des conditions du paragraphe 2, dans les langues des minorités nationales.

2) Dans les zones traditionnellement habitées ou en nombre substantiel de personnes appartenant à des minorités nationales, s'il y a une demande suffisante, l'État veille, dans les limites des possibilités du système d'éducation, à ce que les membres appartenant à ces minorités bénéficient de conditions d'apprentissage appropriées pour leur langue minoritaire ou pour recevoir un enseignement dans cette langue dans le cadre de l'enseignement obligatoire.

3) L'étude de la langue roumaine est obligatoire dans tous les établissements d'enseignement de tous niveaux et est régie par les normes pédagogiques de l'État.

4) L'État garantit les conditions nécessaires à l'étude de la langue roumaine dans tous les établissements d'enseignement, y compris en augmentant la part des matières étudiées en roumain dans les établissements d'enseignement général ayant une autre langue d'enseignement.

- Les contraintes

Les représentants des différentes communautés linguistiques ont exprimé leurs inquiétudes quant aux conséquences de l'application du code. Ils ont estimé que la nouvelle loi changeait radicalement le système d'éducation multilingue qui s'est développé pendant des décennies dans le pays. Ces représentants ont demandé au médiateur d'envoyer une requête à la Cour constitutionnelle pour qu'elle révise la constitutionnalité de l'article 10, étant donné que les dispositions du code, qui garantissent la mise en œuvre du processus scolaire uniquement en roumain, contredisent le paragraphe 2 de l'article 35 de la Constitution, qui garantit le droit d'une personne de choisir la langue d'enseignement et de formation.

Les représentants des russophones considèrent que le Code de l'éducation réduit les possibilités d'application de la langue russe dans le système d'éducation et viole le droit constitutionnel d'une personne de choisir la langue d'enseignement, ce qui à l'avenir pourrait entraîner la fermeture d'écoles dont la langue d'enseignement est le russe. Comme on pouvait le prévoir, les partis politiques ont fait part de leur opposition. Ainsi, le Parti démocrate a assuré qu'il soutiendra la politique de protection des intérêts légitimes des minorités ethniques pour préserver leur identité et leurs traditions. Le Parti communiste a prôné la diversité ethnique, culturelle et linguistique, jusqu'à «l'abolition des actes normatifs» qui, de son point de vue, restreignent les droits des peuples vivant sur le territoire de la République. Quant au Parti socialiste, il s'est également prononcé «pour la préservation de la diversité culturelle et ethnique du pays, qui fait sa richesse». Dans ces conditions, les opposants ont tout intérêt à soutenir le libre choix, la diversité, le multilinguisme et les droits linguistiques, même lorsqu'une communauté n'a qu'une faible population. 

- Les changements

Selon le Code de l'éducation, la procédure introduite dans le système d'éducation est prévue en roumain et,  dans les limites des capacités du système d'éducation, dans l'une des langues de communication internationale ou dans les langues des minorités nationales. Donc, l'enseignement dans une langue minoritaire n'est plus garanti de façon absolue. La loi prévoit que, en cas de besoin suffisant dans les zones de résidence traditionnelle ou compacte des minorités nationales, l'État s'engage à garantir dans la mesure du possible au sein du système d'éducation que les personnes appartenant à ces minorités aient des possibilités adéquates d'apprendre leur langue maternelle ou dans cette langue pour ce qui est de l'enseignement obligatoire.

Certains représentants des organismes ethnoculturels font aussi remarquer que le code ne règle pas la question de savoir quel organisme et selon quels critères seront fondées les «limites des capacités» mentionnées, ce qui permettra une instruction dans une langue ou une autre. Évidemment, ces restrictions sont différentes lorsqu'on consulte la Loi sur l'éducation de 1995, qui accorde non seulement aux citoyens «le droit de choisir la langue d'enseignement à tous les niveaux et à tous les stades de l'éducation. Cette loi garantit le droit à l'éducation dans la langue maternelle «par la création du nombre nécessaire d'établissements d'enseignement, de classes, de groupes, ainsi que des conditions de leur fonctionnement». La formule contenue dans le Code de l'éducation de 2014 permet uniquement à un groupe ethnique de choisir la langue d'enseignement, alors que, dans la pratique, la mise en œuvre de ce choix n'est pas garantie et est conditionnée par les «possibilités du système d'éducation».

Quant à l'enseignement du russe, il est devenu un objet d'enseignement en tant que langue étrangère dans les écoles offrant un enseignement dans la langue officielle et comme langue d'enseignement, mais uniquement pour les minorités nationales «en cas de besoin suffisant».

Le 24 juillet 2014, le ministère de l'Éducation annonçait que les écoles russes «poursuivraient leur travail comme avant» et que l'adoption du Code de l'éducation «ne change pas la situation actuelle des écoles enseignant en russe». Il faut néanmoins rappeler que l'État garantit l'instruction et la formation uniquement en roumain et que l'enseignement dans les autres langues est soumis à certaines conditions.

5.3 Les écoles minoritaires

Actuellement, il existe quatre types d'écoles minoritaires en Moldavie en ce qui concerne la situation des langues des minorités dans les écoles:

1. Les écoles dont la langue d'enseignement est entièrement le russe; ces écoles sont fréquentées non seulement par les russophones, mais aussi par les membres des différentes minorités linguistiques;

2. Les écoles dont la principale langue d'enseignement est le russe, mais où aussi la langue maternelle — en l'occurrence l'ukrainien, le gagaouze et le bulgare — est une matière scolaire obligatoire, qui étudiée à raison de trois heures par semaine dans les classes de la 1re à la 9e année; et deux heures par semaine de la 10e à la 11e année dans une école secondaire générale et de la 10e à 12e année au lycée;

3.  Les écoles et les classes d'enseignement en langue russe, où la langue maternelle est étudiée en tant que matière obligatoire ainsi que d'une à trois matières y sont enseignées;

4.  Les écoles et les classes dont la langue d'enseignement est la langue maternelle, soit l'ukrainien, le bulgare, le polonais ou l'allemand.

Dans tous ces types d'écoles ou de classes, la langue roumaine est obligatoire comme langue seconde à tous les niveaux. La majorité des enfants appartenant à des minorités nationales étudient dans des écoles où le russe est la langue d'enseignement.

Ainsi, sur 1489 établissements primaires et secondaires, 260 écoles (17,4%) ont le russe comme seule langue d'enseignement, mais 114 écoles (7,6%) ont des classes séparées en russe et en roumain.

Le nombre total d'enfants instruits par la langue roumaine représente 78,0%, mais 21,8% reçoivent un enseignement en roumain dans des écoles russes. Seuls 374 élèves (0,06%) reçoivent leur instruction en ukrainien et 171 élèves (0,02%) en bulgare (voir le tableau ci-contre). Il existe aussi deux écoles sur l'histoire et la culture juives, dans les langues suivantes: l'hébreu et le yiddish.

Actuellement, la plupart des enfants ukrainiens, gagaouzes et bulgares apprennent leur langue maternelle en tant que matière scolaire (voir le tableau ci-contre). Les faits sont les suivants:

- la langue ukrainienne est étudiée dans 34 écoles et 3 lycées (5984 élèves), la région de Transnistrie n'étant pas incluse;
- la langue gagaouze est étudiée dans 36 écoles et 16 lycées (29483 élèves);
- la langue bulgare est étudiée dans 27 écoles et 3 lycées (7925 élèves).

D'après le tableau ci-contre, on peut constater que, sauf pour les Gagaouzes, il y a moins d'Ukrainiens et de Bulgares qui fréquentent leurs écoles que leur nombre réel. 

Bien que l'enseignement en ukrainien soit disponible en Moldavie, la plupart des Ukrainiens apprennent l'ukrainien comme matière scolaire dans des écoles russes. Il en est ainsi pour le bulgare, mais uniquement dans les écoles situées dans les zones de peuplement bulgare compact. L'une des réalités de l'école minoritaire est la nécessité d'apprendre quatre langues: la langue maternelle, la langue officielle, la langue russe et une langue étrangère (l'anglais ou le français). En somme, selon les observateurs, la Moldavie est le seul État de l'ex-Union soviétique où les minorités ethniques, autrement appelées à tort «non-Russes», c’est-à-dire les Ukrainiens, les Gagaouzes, les Bulgares, les Juifs, en partie les Roms, sont soumises à un processus de russification en maintenant l’éducation publique pour eux uniquement en russe. Linguistiquement, les Ukrainiens, les Gagaouzes et les Bulgares ont été et restent une sorte d’appendice de la communauté ethnique russe.

- Les statistiques

En 2002, une étude de Linguapax International (Unesco) indiquait que, sur 634 691 élèves, 508 954 (80,2%) étaient d'origine ethnique moldave, mais 42 790 (6,74%) appartenaient à l'ethnie ukrainienne et 34 762 (5,47%) étaient d'origine russe. On comptait aussi 31 416 (4,95%) appartenant à la minorité gagaouze; 10 834 (1,7 %) au groupe ethnique bulgare; 1055 (0,16%) à la minorité juive. Les représentants de la population rom étaient 1755 (0,28%), alors que 3125 (0,49%) élèves appartenaient à d'autres communautés minoritaires.

Rappelons qu'en 2021 les Ukrainiens constituaient 4,4 % de la population, les Gagaouzes 3%, les Russes 2,7 %, les Bulgares 1,2 %, les Biélorusses 0,4%, les Roms/Tsiganes 0,2 %, etc. Si l'on consulte le tableau ci-dessous, on constate que les écoles russes représentent 19,2% des élèves du pays, alors que les russophones d'origine n'atteignent que 2,7% de la population totale.

Les langues d'enseignement de 2015 à 2021 2015-2016 2016-2017 2017-2018 2018-2019 2019-2020 2020-2021
Nombre total des élèves 334 509 333 729 335 621 334 159 333 144 334 375
Roumain 269 634 268 390 270 551 269 689 268 703 269 548
Russe 64 130 64 781 64 553 64 034 63 982 64 241
Autres 745 558 517 436 459 586
En pourcentage du nombre total d'élèves 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 %
Roumain 80,6 % 80,4 % 80,6 % 80,7 % 80,7 % 80,6 %
Russe 19,2 % 19,4 % 19,2 % 19,2 % 19,2 % 19,2 %
Autre 0,2 % 0,2 % 0,2 % 0,1 % 0,1 % 0,2 %

- Les écoles russes

Les offres de cours de langue russe sont disponibles dans toute la Moldavie, et ce, de la maternelle jusqu'au troisième cycle de l'université. Une telle pratique reflète sans nul doute l'influence historique du russe dans ce pays et son rôle en tant que support culturel pour la plupart des autres communautés aux côtés des Russes. Selon les divers rapports, le pourcentage d'élèves dans les écoles russes dépasse largement la proportion de la population d'origine russe dans l'ensemble de la population. Dans les faits, les écoles russophones servent à russifier les roumanophones et la plupart des groupes ethniques du pays, puisque les élèves des «autres» minorités (0,2%) devraient former au moins 12,9% afin de correspondre à leur proportion réelle. Les russophones craignent de perdre graduellement leur «clientèle scolaire» dans leurs écoles au profit des établissements roumanophones. Ils évoquent le libre choix de la langue d'enseignement et la garantie de recevoir un enseignement dans leur langue. Pourtant, les enfants et les jeunes russophones ne sont pas privés de recevoir leur instruction en russe. Ce qui peut changer, c'est le libre choix dont l'effet est de russifier les non-russophones, c'est-à-dire la plupart des minorités et une partie des roumanophones eux-mêmes. Il serait même normal que la politique linguistique en éducation conduise à une diminution au niveau de la connaissance de la langue russe au profit de la population roumanophone. Par le fait même, les russophones seraient amenés à réduire leurs privilèges qui consistent à vampiriser les autres communautés linguistiques à leur profit.

- Les autres écoles minoritaires

Selon les représentants des minorités non russophones, l’apprentissage par les enfants issus des minorités nationales de leur langue maternelle est insuffisant, et ce, d'autant plus que la plupart des enfants des minorités fréquentent des écoles russes où l'on enseigne partiellement leur langue. Pour d’autres minorités nationales, les autorités ont mis en place un système d’écoles du dimanche, qui permet aux élèves concernés d’assister à des cours équivalents, mais seulement dans le cadre d’activités extrascolaires. Dans ces «écoles du dimanche» organisées par certaines sociétés ethnoculturelles, les enfants étudient de façon informelle dans leur langue maternelle, surtout l’allemand, le polonais, le lituanien, le grec ou l'hébreu, mais également le biélorusse, le lituanien, l'azéri.

Pendant ce temps, la minorité rom de Moldavie vit dans une pauvreté presque totale, alors que plus des trois quarts des enfants roms ne sont pas scolarisés et les soins de santé sont presque inexistants. Les dirigeants roms affirment que le gouvernement moldave, qu'il soit communiste ou socialiste, est largement indifférent à la situation critique de leur communauté. Ils affirment que seule la moitié des enfants roms commence son instruction primaire pour abandonner l'école beaucoup plus tôt que les autres enfants.

Quant à la minorité juive, elle compte environ 3500 membres, mais des sources américaines estiment qu'elle compterait 15 000. La plupart des Juifs parlent le russe comme première langue et vivent dans des zones urbaines; parfois, il est possible que certaines écoles offrent des cours de yiddish ou d'hébreu comme cours facultatifs de langue seconde.  

La langue reste une source de division en Moldavie entre la majorité de langue roumaine/moldave et les autres segments de la population, y compris, mais sans s'y limiter, les Russes de souche, qui parlent russe. Cependant, la prédominance non diminuée du russe dans les institutions politiques et les médias, ainsi que le respect apparent de cette situation au sein de la majorité moldave, limite les perceptions de discrimination contre les Russes.

5.4 L’enseignement supérieur

Selon les dernières statistiques, il existe 31 établissements d'enseignement supérieur accrédités par le ministère de l'Éducation en Moldavie, dont 19 établissements publics et 12 établissements privés. Les deux tiers (78,4%) de tous les étudiants des établissements d’enseignements supérieurs étudient en principe dans la langue officielle, mais 31% font toutes leurs études en russe; la majorité suit des cours à la fois en roumain et en russe. Dans toutes les universités du pays, les cours sont offerts en moldave et/ou en russe. La composition des étudiants, en fonction de leur origine ethnique, est la suivante: Moldaves (72%), Russes (13 %), Ukrainiens (9 %), Gagaouzes (4 %), Bulgares (2 %); on compte quelques centaines d’élèves pour les minorités juives, tsiganes et autres.

En 2001, la Moldavie signait un Protocole de collaboration dans le domaine de l'éducation entre le ministère de l'Éducation de la république de Moldavie et le ministère de l'Éducation de la fédération de Russie. Ce protocole signé sous l'initiative du président moldave pro-russe Vladimir Voronin voulait avantager l'enseignement du russe en Moldavie en échange d'une réciprocité semblable en Russie avec la langue moldave: 

1) Les Parties offrent aux citoyens des possibilités de formation, des stages scientifiques et une formation continue dans les établissements d'enseignement supérieur des parties, conformément à la législation en vigueur de la partie d'accueil.

2) La Partie moldave contribuera au fonctionnement et au développement continu du nombre nécessaire d'établissements d'enseignement de tous les niveaux
avec un enseignement en russe, conformément aux besoins éducatifs de la population de la république de Moldavie.

La Partie russe contribuera à la mise en place en Fédération de Russie, dans les localités compactes peuplées de Moldaves, de classes, de groupes, de cercles, de cours optionnels pour l'étude de la langue moldave ou avec un enseignement en langue moldave.

4) La Partie moldave, dans la mesure du possible, contribuera à la fourniture de classes, de groupes, de cercles, de cours facultatifs établis dans les localités compactes de Moldaves dans la Fédération de Russie avec de la littérature didactique méthodique et artistique pour étudier la langue moldave ou l'enseigner.

Dans la mesure du possible, la Partie russe contribuera
à fournir aux écoles moldaves un enseignement en russe
avec des manuels, de la littérature méthodique et artistique.

De plus, la Partie moldave garantissait l'admission annuelle jusqu'à 100 diplômés de la Fédération de Russie, y compris des citoyens russes, qui résidaient en permanence sur le territoire de la république de Moldavie, dans des groupes recevant un enseignement en russe dans les établissements d'enseignement supérieur en Moldavie dans les études doctorales et les stages scientifiques.

Bien sûr, il fallait une bonne dose de naïveté de la part du président moldave de l'époque, Vladimir Voronin, pour croire qu'un tel protocole avantagerait l'apprentissage du moldave en Russie. À moins que ce soit du cynisme dans le but de recevoir des subventions russes pour favoriser l'apprentissage du russe en Moldavie. Il existe aujourd'hui cinq universités dans lesquelles les cours sont donnés uniquement en russe, alors qu'il n'y a pas d'université où les études ne peuvent se faire qu'en roumain. Actuellement, près de 14 500 membres des minorités nationales étudient dans les universités au premier cycle, des études de premier cycle. Environ 4200 mille étudiants qui font leurs études en russe bénéficient d'études financées par le budget national.

Dans le but de respecter les droits de la minorité linguistique russophone ou russophile, ce qui inclut non seulement les Russes, mais aussi les Ukrainiens, les Gagaouzes, les Bulgares, les Juifs, etc., l'État moldave a offert un enseignement en russe du primaire à l'université, y compris le doctorat. Le libre choix de la langue d'enseignement a entraîné une surreprésentation de la langue russe dans les établissements d'enseignement, mais également un effet pervers: l'unilinguisme russe chez les diplômés des universités a fait augmenter l'armée des chômeurs ou, dans le meilleur des cas, a conduit nombre de russophones dans des entreprises familiales privées, lesquelles ne se soucient guère du respect de la langue roumaine et offrent des services unilingues russes avec des employés incapables de formuler quelques phrases rudimentaires dans la langue officielle de leur pays. Le libre choix de la langue d'enseignement réduit par le fait même l'enseignement de la langue officielle et celui des autres langues minoritaires réduites à de simples matières scolaires.

6 Les langues minoritaires dans les médias

La Loi sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales et sur le statut juridique de leurs organismes (2001) ne traite pas particulièrement des médias pour les minorités, mais certains articles autorisent la transmission d'informations dans la langue des minorités nationales: 

Article 7

Les membres appartenant aux minorités nationales ont le droit d'employer librement leur langue maternelle à l'écrite et à l'oral, et d'avoir accès à l'information dans cette langue, de diffuser et d'échanger cette information.

Article 11

1) L'information à caractère public qui se réfère directement à la protection de la santé, de l'ordre public et de la sécurité des citoyens, ainsi que l'information visuelle dans les établissements du ministère de l'Intérieur, du ministère de la Justice, du Ministère public, dans les établissements de santé des municipalités et des villes, dans les moyens de transport, dans les gares routières, ferroviaires et fluviales, dans les aéroports et sur les autoroutes, doit être en moldave, mais le cas échéant, sur décision des autorités de l'administration publique locale, aussi dans une autre langue, conformément avec la législation en vigueur. (2006)

2) Dans les localités auxquelles on a accordé un statut spécial d'autonomie, l'information prévue au paragraphe 1 peut aussi être publiée en d'autres langues officielles reconnues par des lois particulières.

3) Dans les territoires dans lesquels les membres appartenant à une minorité nationale constituent une partie significative de la population, l'information prévue au paragraphe 1 peut également être publiée, si cela est nécessaire,
dans la langue de cette minorité
.

Cependant, l'article 11 du Code de l'audiovisuel (2006-2018) prévoit que dans les localités où les représentants d'une minorité nationale constituent la majorité de la population, les radiodiffuseurs locaux et régionaux doivent assurer la diffusion de certaines émissions dans la langue officielle à hauteur d'au moins 20% du service des programmes:

Article 11

Protéger le patrimoine linguistique et culturel national

5) Les extraits d'émissions diffusés dans d'autres langues doivent être accompagnés d'une traduction dans la langue officielle (doublage, son ou sous-titrage). Cette disposition ne s'applique pas aux émissions d'études linguistiques et à l'usage de vidéoclips.

6) Si le diffuseur présente le programme
dans une autre langue que la langue officielle
, la langue de l'émission doit être indiquée dans l'émission diffusée.

9) Dans les localités où les représentants d'une minorité nationale constituent la majorité de la population, les radiodiffuseurs locaux et régionaux doivent assurer la diffusion de certaines émissions dans la langue officielle à hauteur d'au moins 20% du service des programmes. L'activité linguistique de la société "Teleradio Gagauzia" sera également réglementée par les autorités compétentes de l'UTA de Gagauzie.

C'est aussi l'objet de l'article 29:

Article 29

Conditions de retransmission des services des programmes

4)
Dans les localités où les représentants d'une nationalité ou d'une ethnie représentent un poids supérieur à 20%, les distributeurs de services, titulaires de l'autorisation de retransmission, doivent également assurer la retransmission des services des programmes
dans la langue minoritaire concernée.

L'article 41 du Code de l'audiovisuel prescrit que le Conseil de coordination de l'audiovisuel (en roumain: Consiliul Coordonator al Audiovizualului) est tenu d'assurer la protection de l'espace de l'information, du patrimoine linguistique et culturel, y compris la culture et les langues des minorités nationales:

Article 41

Obligations du Conseil de coordination de l'audiovisuel

1)
En sa qualité de garant de la défense de l'intérêt public dans le domaine de la communication audiovisuelle sur les principes démocratiques et des droits du consommateur de programmes, le Conseil de coordination de l'audiovisuel est tenu d'assurer:

a) la supervision du respect de l'expression pluraliste des idées et des opinions dans les émissions diffusées par les radiodiffuseurs sous la juridiction de la république de Moldavie;

e) la protection de l'espace de l'information, du patrimoine linguistique et culturel-national, y compris la culture et les langues des minorités nationales et en n'admettant pas l'usage d'un langage sexiste;

6.1 La presse écrite

La presse écrite est traditionnellement divisée en fonction de la langue, soit en roumain soit en russe. Toutefois, d'autres minorités, notamment les Ukrainiens, les Gagaouzes, les Bulgares et les Juifs ont également leurs propres publications, bien que celles-ci soient massivement rédigées en russe: Кишинёвские новости (Kishinovskiye novosti > «Actualités de Chinisau»), Кодры (Kodry > «Codru» région), Русское Слово (Russkoye Slovo> «Le mot russe») sont des périodiques de langue russe. Parmi les autres périodiques en langue minoritaire figurent Просвіта (Provista > «Autorisation») et Гомін (Homin > «Le Bruit») en ukrainien, Ana sözu et Cîrlangaci en gagaouze, Rodno slovo en bulgare et Undzer kol / Nash golos en yiddish et en russe. Il existe aussi de nombreux mensuels dans d'autres langues.

6.2 La presse électronique

Dans le passé, le Parti démocrate contrôlait strictement la diffusion des médias russes en Moldavie. Après l’arrivée au pouvoir du Parti socialiste pro-russe (PSRM) du président Igor Dodon en juin 2019, les règles du jeu ont rapidement changé. Un recalibrage de l'influence russe dans les médias audiovisuels est commencé. En octobre 2019, Accent TV, une chaîne de télévision proche du président Dodon et du PSRM, a obtenu les droits de rediffusion du russe Perviy Kanal, ou Channel One, en Moldavie. La radiodiffusion reste le média le plus consommé et le plus influent; le média qui détient les chaînes de télévision du pays contrôle les perceptions des Moldaves. Environ les deux tiers de leur nombre total sont entre les mains des politiciens locaux les plus puissants qui ont divers liens avec Moscou.

Dans la presse électronique, l’État accorde des budgets pour la diffusion d’émissions radiotélévisées dans les langues des minorités nationales. Le moldave et le russe sont omniprésents, mais d’autres langues sont présentes: l’ukrainien, le bulgare, le yiddish, l’anglais et le français. Des émissions à caractère instructif en langue française sont diffusées à la radio nationale, dont Dis-moi tout, et à la télévision (Bienvenue en France). De façon générale, les chaînes de télévision russes sont plus présentes auprès de la population que les roumaines. La plupart des salles de cinéma diffusent des films étrangers (américains, français, roumains, japonais) sous-titrés ou sonorisés en russe.

Selon les enquêtes régulières, les Moldaves préféreraient les émissions de divertissement diffusées par les chaînes russes en Moldavie: Primul détenait la plus grande part d'audience avec 31% des cotes d'écoute. Cependant, RTR Moldova, une succursale de Russia-1 (Россия-1) basée à Moscou, la première chaîne de la télévision publique russe, a la plus grande audience pour une chaîne de télévision en Moldavie avec un score de 1,72 % sur 10,91 %. La presse russe est largement financée par la Russie et de manière visible. Ces médias sont proches de la politique des politiciens pro-russes.

Les deux principaux groupes linguistiques, les roumanophones et les russophones (incluant les minorités russophiles), habitent deux sphères sociales distinctes, avec chacune ses organisations culturelles, ses institutions scolaires, ses médias, ses loisirs, etc. Pendnat que les roumanophones poursuivent leur quête pour assurer leur identité collective, les russophones, qui n'ont encore jamais accepté leur nouveau statut de minoritaires, se comportent comme s'ils étaient sous le régime soviétique, alors qu'ils faisaient la pluie et le beau temps. Quant aux minorités non russophones, elles ont pris fait et cause pour les russophones. On peut donc croire que, depuis l’éclatement de l’URSS, les minorités russes et non russes ont eu beaucoup à gagner en s’appuyant constamment sur Moscou, même de façon souvent provocatrice et arrogante, parce qu'elles ne trouvaient ainsi aucun inconvénient à ne pas se montrer loyales envers leur nation titulaire moldave.

L'État moldave se trouve devant un dilemme: il doit trouver une politique équilibrée entre le maintien légitime d'une langue officielle, qui est celle de la grande majorité, et les droits des minorités linguistiques, droits qui ne devraient pas entrer en concurrence avec ceux de la majorité. Dans les circonstances actuelles, l'État moldave ne semble pas avoir réussi à se servir de sa langue officielle pour intégrer ses minorités nationales. Au contraire, celles-ci sont demeurées inébranlables dans leur unilinguisme russe ou leur bilinguisme langue maternelle/langue russe, ignorant massivement la langue officielle. La Moldavie doit encore affronter, après trente ans d'indépendance, le séparatisme social, le suprématisme russe, voire la discrimination linguistique à l'égard de la langue officielle.

Dans la pratique, la politique linguistique de la Moldavie ne concorde pas avec le statut politique de ce pays qui ne fait plus partie de l'URSS. C'est un pays souverain reconnu par les instances internationales et qui est membre du Conseil de l'Europe et de plusieurs autres organismes européens. Dans un pays où 84% des citoyens parlent la même langue, le roumain, il est pour le moins inconvenant de surprotéger une minorité qui livrent une solide concurrence à la langue de la majorité. Après trois décennies d'indépendance, tous les citoyens habitant la Moldavie auraient dû connaître la langue officielle, ce qui n'est pourtant pas le cas. Les partis politiques au pouvoir ou au contre-pouvoir au Parlement ont souvent désavantagé la majorité moldave en imposant le russe comme s'ils étaient à l'époque soviétique, ce qui a eu comme résultat de prolonger l'unilinguisme des russophones et des autres minorités, et de forcer la majorité roumanophone à devenir bilingue. Une telle situation, anormale, ne peut que créer un déséquilibre social conduisant à conforter deux solitudes dans un conflit perpétuel. 

La politique linguistique actuelle a pour effet d'insécuriser la majorité roumanophone et de préserver des privilèges à une petite minorité suprémaciste de 2,7 %, qui entraîne avec elle par mimétisme toutes les autres minorités. L'État doit intervenir pour protéger les droits des minorités linguistiques, ce qui n'est pas vraiment le cas, puisque la politique en vigueur consiste à russifier les minorités non russophones et non pas à les aider à préserver leur langue. La seule communauté linguistique à sortir gagnante de la politique actuelle est la minorité russophone dont la langue continue de servir pour les communications interethniques, privant ainsi le droit légitime du roumain d'occuper cette fonction fondamentale. Or, l’État devrait intervenir non seulement pour assurer la présence de la langue majoritaire sur son territoire, mais aussi pour protéger les langues minoritaires conformément au pourcentage démographique des populations concernées. Or, dès que l'État moldave tente d'intervenir en faveur de la langue officielle, les opposants, généralement des politiciens et des représentants russophones et russophiles, s'unissent pour freiner ou pou bloquer toute initiative en ce sens, avec l'appui manifeste de la puissante Russie. Le rejet d'une telle politique à l'égard de la langue officielle entraîne une augmentation des tensions dans la société et favorise l'émergence d'un motif suffisant pour inciter les Moldaves à fuir leur pays.

Ce n'est pas tout, car la langue officielle fait elle-même l'objet de conflits idéologiques où s'affrontent les moldavisants» et les «roumanisants». De plus, cette langue officielle, qu'on l'appelle «moldave» ou «roumain», doit concurrencer le russe comme sous le régime soviétique. Étant donné que la plupart des citoyens de ce pays privilégient encore comme politique linguistique celle du libre choix, ils favorisent ainsi la langue russe au détriment de toutes les autres langues, la langue officielle comme les autres langues minoritaires. Même la politique de l'État imposant le roumain comme langue seconde à tous les citoyens suscite une réprobation générale chez tous les russophones et russophiles. En somme, le passage de l'URSS à l'État-nation moldave est sans doute perçu comme particulièrement «dégradant» par une majorité de la population russophone ou russophile.

À la diversité linguistique s'ajoutent des divisions ethniques, des divisions religieuses (entre orthodoxes rattachés aux patriarcats d’Athènes, de Moscou ou de Bulgarie) et des divisions territoriales (avec l’indépendance de fait de la Transnistrie). Dans le domaine politique, toutes ces fractures nourrissent une polarisation entre adversaires et partisans d’un rattachement avec l’Union européenne et de la Roumanie ou d'un rapprochement avec la Russie. Le conservatisme, l'inertie, le corporatisme et le suprématisme russe sont si ancrés dans toutes les couches de la population que les citoyens les plus actifs préfèrent émigrer à la recherche d'un meilleur sort plutôt que d'essayer de changer les choses dans leur pays. Bref, la Moldavie, le pays le plus pauvre de l'Europe, se porte mal, tandis que la suprématie de la langue russe a des racines tellement profondes que rien ne change dans le pays avec comme résultat les foyers de conflits politico-linguistiques couvent toujours et éclatent régulièrement.

Dernière révision: 19 février, 2024

Moldavie


1)
Situation générale
 

2)
Données historiques
 

3)
Politique de la langue officielle
 

4)
Politique des minorités nationales
 

5)
Bibliographie
 

Gagaouzie    -    Transnistrie
 

L'Europe

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