République de Namibie

Namibie

Republic of Namibia

 
Capitales: Windhoek (hiver) et Swakopmund (été)
Population: 2,5 millions (est. 2018)
Langue officielle: anglais (de facto)
Groupe majoritaire: aucun
Groupes minoritaires: oshivambo (37 %), ndonga (21,7 %), khoekhoe (7,5 %), héréro (6,7 %), afrikaans (5,1 %), kwangali (5,1 %), kung du Nord-Ouest (2,9 %),  ju'hoansi (1,5 %), kwambi (1,5 %), lozi (1,2 %), kuhané (1,2 %), anglais (1,1 %), etc.
Langues coloniales: allemand et anglais
Système politique: république unitaire
Articles constitutionnels (langue): art. 3, 11, 19, 24 et 65 de la Constitution du 29 mars 1990

Lois linguistiques:
Loi sur la radiodiffusion namibienne (1991); Loi sur les collectivités locales (1992); Loi sur les conseils régionaux (1992); Loi sur la Fonction publique (1995); Loi sur les tribunaux communautaires (2003); Loi sur la formation des enseignants des collèges (2003).

1 Situation générale

La Namibie (off. république de Namibie; en anglais, Republic of Namibia) est un État de l’Afrique australe bordé à l’ouest par l’Atlantique, au sud par l’Afrique du Sud, à l’est par le Botswana et au nord par l’Angola (voir la carte). La Namibie est l'ancien Sud-Ouest africain allemand devenu Namibie en 1968, puis colonisée par l’Afrique du Sud avant d'accéder à l’indépendance en 1990. La Namibie, une immensité désertique (les deux tiers du pays), couvre une superficie de 823 144 km², soit l'équivalent de quatre fois la Grande-Bretagne et plus de deux fois l'Allemagne. La capitale est Windhoek (prononcé comme [vindouk]), une ville de plus de 368 000 habitants (en 2018), mais le gouvernement se déplace durant l'été à Swakopmund, une station balnéaire de la côte habité par quelque 42 000 habitants, en majorité blanche.

Le pays compte plusieurs grandes régions: le Nord (Northern region), le désert de Namib (Namib region), le Centre ou Plateau central (Central region), le Sud (Southern region). De plus, la Namibie est subdivisée en 14 régions administratives: Omusati, Oshana, Ohangwena, Oshikoto, Kavango-Ouest, Kavango-Est, Zambezi, Kunéné, Otjozondjupa, Érongo, Omaheké, Khomas, Hardap et Karas.

Les principaux fleuves sont au sud l'Orange et, au nord et au nord-est, Cunène, l'Okavango et le Zambèze (voir la carte); ils servent de frontières naturelles avec les pays voisins.

2 Données démolinguistiques

La population était estimée à 2,5 millions en 2018. La répartition de la population reste très inégale et déséquilibrée puisque 60 % de la population vit au nord, dans les régions administratives de Khomas, d'Ohangwena, de Kavango-Ouest, de Kavango-Est, d'Omusati et d'Oshana:
 

Rang Région Population 2011 Pourcentage Superficie Densité
1 Kunéné 86 856   4,1 % 115 260   0,8
2 Omusat 243 166 11,5 %    26 551   9,1
3 Oshana 176 674   8,3 %      8 647 20
4 Ohangwena 245 446 11,6 %    10 706 22
5 Oshikoto 181 973   8,6 %    38 685   4,7
6 Kavango-Ouest 107 905   5,1 %    23 166   4,7
7 Kavango-Est 115 447   5,4 %    25 576   4,5
8 Zambezi 90 596   4,2 %    14 785   6,1
9 Érongo 150 809   7,1 %    63 539   2,4
10 Otjozondjupa 143 903   6,8 % 105 460   1,4
11 Omaheké 71 233   3,3 %    84 981   0,8
12 Khomas 342 141 16,1    36 964   9,2
13 Hardap 79 507   3,7 % 109 781   0,7
14 Karas 77 421   3,6 % 161 514   0,5

Les Noirs forment la grande majorité de la population avec 87,5 %. Il sont suivis par les Blancs avec 6,6 % et les Métis avec 7,4 %. Au nombre de 70 000 personnes, les Métis appartiennent à deux sous-groupes bien distincts, dont le plus important se compose de ceux qui parlent l’afrikaans, issus du lointain croisement (en Afrique du Sud) entre des pionniers hollandais et des femmes khoïsanes.

2.1 Les groupes ethniques

On compte une trentaine de groupes ethniques répartis en trois catégories distinctes: les ethnies bantoues, les ethnies khoïsanes et les ethnies européennes.

Les Bantous constituent le premier grand groupe ethnique, lequel est divisé en cinq ethnies principales, elles-mêmes fragmentées en tribus et en clans. Les Ovambo (37 %) et les Ambo (21,7 %) constituent les deux plus grandes ethnies du pays, et ce, d'autant plus qu'ils parlent des langues très similaires: l'oshivambo et le ndonga. Ces deux langues bantoues représentent 60 % de la population namibienne. Suivent les Héréro, les Kwangali et les Kwambi, ainsi qu'une douzaine d'autres communautés plus petites.

Les Khoïsans sont représentés par les Nama (7,5 %), les Bochimans maligo (2,9 %), les Kung-Tsumkwe (1,5 %), les Bochimans sans (0,8 %), les Kung-Ékoka (0,3 %), les Kxoe (0,1 %), les Naro et les Nusan, pour un total d'environ 352 000 personnes, soit 13,6 % de la population namibienne. Les Namas (pop.: 195 000) sont aussi appelés les Khoi-Khoi; on les trouve essentiellement dans le Namaland (région de Karas). Ce sont des chasseurs-collecteurs originaires de la région du Cap où on les appelait «Hottentots».

Par Européens, on distingue, d'une part, les Afrikaners dont la population compte quelque 75 000 personnes, d'autre part, les Allemands, une communauté de 12 000 individus. Leur présence en Namibie remonte à 1884.

À ceux-là s'ajoutent les Basters avec une population de 57 000 personnes qui vivent essentiellement dans la ville de Rehoboth à 90 km au sud de Windhoek. On les désigne sous le nom de "Basters" (< anglais: "bastard", signifiant «bâtard») parce que ce sont des Métis issus des premiers colons néerlandaiseuropéens et des femmes khoïsanes. On les appelle aussi "Baasters", "Rehobothers" ou "Basters de Rehoboth". Ces termes dépréciatifs permettent de distinguer les Métis des Africains noirs auxquels ils ne veulent absolument pas être assimilés. Ils se considèrent plus néerlandais que les Néerlandais eux-mêmes, et parlent l'afrikaans comme langue maternelle. 

Au plan religieux, les chrétiens sont nettement les plus nombreux (entre 80 % et 90 %, dont 50 % de luthériens). Les religions indigènes animistes sont pratiquées par 10 % à 20 % de la population. Les Basters ont adopté la religion des colons néerlandais et demeurent souvent de fervents calvinistes.

2.2 Les langues

Ethnie Population Pourcentage Langue Filiation linguistique Religion
Ovambo 950,000 37,0 % oshivambo

langue bantoue

christianisme

Ambo 560,000 21,7 % ndonga langue bantoue christianisme
Nama 195,000 7,5 % khoekhoelangue khoé-kwadi (khoïsane) christianisme
Héréro 173,000 6,7 % héréro langue bantoue christianisme
Kwangali 133,000 5,1 % kwangali langue bantoue christianisme
Bochimans maligo 76,000 2,9 % kung du Nord-Ouest langue kx'a (khoïsane) religion ethnique
Afrikaner 75,000 2,9 % afrikaans langue germanique christianisme
Baster (ou Rehobother) 57,000 2,2 % afrikaans langue germanique christianisme
Kung-Tsumkwe 41,000 1,5 % ju'hoansi langue kx'a (khoïsane) religion ethnique
Kwambi 41,000 1,5 % kwambi langue bantoue christianisme
Lozi 35,000 1,3 % lozi langue bantoue christianisme
Chikwahane 33,000 1,2 % kuhané langue bantoue religion ethnique
Namibien 30,000 1,1 % anglais langue germanique christianisme
Boshiman san 23,000 0,8 % kaikom langue khoé-kwadi (khoïsane) religion ethnique
Nyemba 15,000 0,5 % nyemba langue bantoue christianisme
Fwé 14,000 0,5 % fwé langue bantoue christianisme
Gciriku 14,000 0,5 % diriku langue bantoue christianisme
Allemand 12,000 0,4 % allemand langue germanique christianisme
Kung-Ékoka 10,000 0,3 % kung-ékoka langue kx'a (khoïsane) religion ethnique
Mbukushu 8,600 0,3 % mbukushu langue bantoue christianisme
Chokwé 8,100 0,3 % cokwé langue bantoue christianisme
Dhimba 7,300 0,2 % dhimba langue bantoue christianisme
Yéyi 7,300 0,2 % yéyi

langue bantoue

religion ethnique

Tswana 5,800 0,2 % setswana

langue bantoue

christianisme

Umbundu 4,500 0,1 % umbundu

langue bantoue

christianisme

Kxoe 4,300 0,1 % khwédam

langue kx'a (khoïsane)

religion ethnique

Britannique 2,100 0,0 % anglais

langue germanique

christianisme

Naro 2,100 0,0 % naro

langue khoé-kwadi (khoïsane)

religion ethnique

Luchazi 1,300 0,0 % lucazi

langue bantoue

christianisme

Nusan 500 0,0 % !xóõ

langue tuu (khoïsane)

religion ethnique

Mbalanhu 300 0,0 % mbalanhu

langue bantoue

religion ethnique

Autres 30 0001,1 % -

-

-

Nombre total (2018) 2,569,200

 100,0 %

 -

 -

 -

 

La langue officielle est l’anglais, mais les populations africaines parlent des langues bantoues et khoïsanes, ainsi que des langues kx'a et tuu. Seul 0,5 % des Namibiens ont l'anglais pour langue maternelle (env. 10 000 locuteurs), ce qui oblige toutes les communautés blanches à l'utiliser comme langue véhiculaire. La Namibie compte deux fois plus de germanophones (20 000) que d'anglophones et huit fois plus de locuteurs parlant l'afrikaans. Avant que le pays obtienne son indépendance, l'anglais et l'afrikaans étaient les langues officielles, alors que l'allemand avait le statut semi-officiel dans l'administration des Blancs. Depuis l'indépendance, seul l'anglais a obtenu le statut de langue officielle. Bien que souvent rejeté comme la langue de l'apartheid, l'afrikaans est aujourd'hui la langue maternelle de plus de 78 000 Namibiens (dont beaucoup de Métis), et l'allemand est encore couramment utilisé par certains Blancs. En fait, environ 60 % des Blancs parlent l'afrikaans, 30 % l'allemand et 10 % l'anglais. 

Parmi les langues autochtones du pays, le ndonga est la langue la plus connue. C'est une langue bantoue comme plusieurs autres: le kwanyama (12,1 %), le luyana (8,8 %), le héréro (10,1 %), le kwambi (1,6 %), le lozi (1,4 %), le subiya (1,3 %), le tswana (0,6 %), le diriku (0,5 %), le fwé (0,5 %), le mbukushu (0,3 %), le zemba (0,2 %), le yéyi (0,2 %), le luchazi (0,0 %), le kwandu du Nord (0,0 %) et le mbalanhu (0,0 %).

Les langues khoïsanes les plus répandues sont d'abord le nama parlé par 9,8 % de la population botswanaise. Suivent le  bochiman vasekela (3 %), le ju'oasi (1,4 %), le sans haikom (0,9 %), l'auen (0,2 %), le kxoe (0,2 %), le !xóõ (0,0 %), le xiri (0,0 %); comme on le sait, ces langues sont dites «à clic» (voir  les symboles utilisés: [/], [=], [!], [//], [@]). Quelques-unes sont en voie d'extinction.

La plupart des langues bantoue sont parlées dans le nord du pays (Omusati, Oshana, Ohangwena, Oshikoto, Okavango, Liambezi, Kunene, Otjozondjupa), alors que les langues khoïsanes sont parlées dans les régions d'Erongo, d'Otjozondjupa et d'Omaheke, mais aussi dans le Hardap et le Karas. Quant aux langues indo-européennes comme l'anglais, l'afrikaans et l'allemand, leurs locuteurs résident dans la région de Khomas, c'est-à-dire la périphérie et le sud de Windhoek. L'afrikaans, l'allemand, le héréro, le nama (damara), l'oshiwambo, le lozi, le kwangali et le twana ont été reconnus comme des langues nationales.

3 Données historiques

Des peintures rupestres attestent de la présence humaine dans le désert du Namib depuis au moins 25 000 ans. Les premiers habitants identifiés sont les ancêtres des Bochimans, qui vivaient traditionnellement de cueillette et de chasse, et qui se sont réfugiés dans la région au début de notre ère. Les éleveurs hottentots firent leur apparition vers le IXe siècle, alors qu'ils venaient d’Afrique orientale, peu avant l’arrivée des Bantous. Parmi ces derniers, certains sont agriculteurs, comme les Ovambo, et d’autres pasteurs, comme les Héréro. Ceux-ci entrèrent en conflit permanent avec les Hottentots.

3.1 La colonisation européenne

Le navigateur portugais Bartolomeu Dias contourna le cap de Bonne-Espérance en 1488, ce qui ouvrit la voie aux nombreux explorateurs, missionnaires et autres marchands européens en Afrique australe. En 1680, des colons néerlandais s'installèrent, mais ils furent plutôt portés à préférer davantage le Sud et la région du Cap, ce qui allait devenir l'Afrique du Sud. À partir de 1793, les Néerlandais furent repoussés graduellement par les troupes britanniques tout en laissant sur place les colons d'Afrikaners. Vers la fin des années 1820, des missionnaires luthériens allemands fondèrent les premiers postes de la région, dont la Mission rhénane dans le village de Wupperthal en 1829. Des missionnaires et colons allemands fondèrent en 1860 la ville de Keetmanshoop.

- L'enclave britannique de Walvis Bay

Pendant ce temps, la Grande-Bretagne annexait en 1840 le site portuaire de Walvis Bay (en allemand, Walfischbucht; en afrikaans Walvisbaai, ce qui signifie «baie des baleines»), sur la côte atlantique dans le but de contrer les ambitions allemandes dans la région. Cette enclave, abritant également un comptoir britannique, devint en 1910 un territoire (1124 km², soit 7,7 fois plus petit que la Corse) rattaché administrativement à la colonie du Cap, puis à l'Union sud-africaine. L'enclave britannique fut envahie par les Allemands lors de la campagne du Sud-Ouest africain au début de la Première Guerre mondiale, mais les forces sud-africaines réussirent à chasser les Allemands en 1915.

Même après l'indépendance de la Namibie en 1990, l'enclave de Walvis Bay resta sous administration sud-africaine jusqu'en février 1994, alors que l'enclave fut rétrocédée à la Namibie après quatre années de difficiles négociations avec le gouvernement sud-africain. La plupart des habitants du territoire parlent l'anglais, sinon l'afrikaans.

- La colonie allemande

En 1884, la baie d'Angra Pequeña (aujourd'hui: Lüderitz Bay) fut placée sous la protection de l'Empire allemand, ainsi que tout le territoire entre le fleuve Kunéné et le fleuve Orange. C'est un commerçant allemand, Adolf Lüderitz (1834-1886), qui avait signé un traité avec les indigènes dans le but d'exploiter les fonds miniers de la région. En 1885, Heinrich Göring (1838-1913) fut nommé commissaire impérial du Reich au Sud-Ouest africain; il était chargé de représenter les autorités prussiennes. Lüderitz mourut noyé dans le fleuve Orange en octobre 1886; la baie d'Angra Pequeña fut alors renommée Lüderitzbucht en son honneur, puis changée en Lüderitz Bay par les Anglais. Le protectorat allemand (1884-1920) fut appelé Sud-Ouest africain : en allemand, Süd West Afrika. Il correspondait à l'actuelle Namibie (n° 3 sur la carte de gauche).

Dès la fin du XIXe siècle, l'Empire allemand décida de développer sa colonie de peuplement au moyen de l’appropriation, de gré ou de force, des terres par les compagnies concessionnaires et les colons. Parallèlement, les populations indigènes se virent reléguées dans des zones arides majoritairement impropres à l’agriculture, ce qu'on appellera plus tard des "homelands" en anglais. Le modèle de développement urbain choisi par l’administration coloniale allemande était celui d'une ville dite «duale» avec, d’une part, des quartiers réservés aux Allemands et, d'autre part, des «locations» enclavées abritant la main-d'œuvre africaine noire.

Mais à l’intérieur des terres, la résistance demeura, surtout de la part des Héréro. Il faut dire que ces derniers n'y sont pas allés de main morte: après avoir attaqué le poste d’Okahandja en 1904, ils massacrèrent 123 colons allemands; les hommes et les enfants furent dépecés; quant aux femmes, après avoir été violées, elles furent suspendues par les pieds, puis éviscérées. La répression allemande fut féroce et menée par le major général Lothar von Trotha (1848-1920), débarqué à Swakopmund, le 11 juin 1904, avec 3500 hommes de renfort. Son ordre d'extermination (Vernichtungsbefehl) était ainsi rédigé:
 
Innerhalb der deutschen Grenze wird jeder Herero mit oder ohne Gewehr, mit oder ohne Vieh erschossen, ich nehme keine Weiber und Kinder mehr auf, treibe sie zu ihrem Volk zurück, oder lasse auf sie schießen. Das sind meine Worte an das Volk der Herero. Der große General des mächtigen Deutschen Kaisers. À l’intérieur de la frontière allemande, tout Héréro, avec ou sans fusil, avec ou sans bétail, sera fusillé. Je n’accepte plus ni femme ni enfant, je les renvoie à leur peuple ou fais tirer sur eux. Telles sont mes paroles au peuple héréro. Le grand général du puissant empereur allemand.

Cette répression dura jusqu’en 1908 et prit l’aspect d’un véritable génocide. La population héréro, estimée à 80 000 âmes avant le début de la guerre fut réduite à 15 000 individus en 1911.

Quand les actions de Trotha furent connues dans l'opinion publique allemande, un mouvement de répulsion s'empara de la population, ce qui amena le chancelier Bernhard von Bülow à demander au Kaiser, Guillaume II, de démettre Trotha de son commandement. Celui-ci revint en Allemagne en 1905 et devint général d'infanterie en 1910, avant de décéder à Bonn en 1920.  En 1914, les colons allemands étaient au nombre de 13 000 individus; ils représentaient 83 % de la population blanche (total de 15 700 personnes). Près de 1000 fermiers possèdent à eux seuls 13 millions d'hectares.

Les Allemands avaient adopté dans leur colonie de la Südwestafrika, dès le début du XXe siècle, une Polizeizone, une zone de police correspondant aux deux tiers du Sud-Ouest africain, dans laquelle l'administration coloniale allemande fut en mesure d'établir un contrôle efficace de la police. Les Blancs n'avaient pas le droit d'entrer dans le Nord, c'est-à-dire les Heimatländer (les homelands), alors que les communautés autochtones du Nord n'étaient pas autorisées à pénétrer dans la Polizeizone («zone de la police»), sauf lorsqu'ils avaient été embauchés par un Blanc en tant qu'«unité de travail» sous contrat pour une période déterminée. La zone de police était une sorte de clôture d'exclusion pour contrôler les déplacements de la population autochtone dans le Sud-Ouest africain.

Pendant ce temps, les colons allemands qui résidaient dans la Polizeizone pouvaient s'approprier les meilleures terres et exploiter les mines de diamants dans le Sud-Ouest.

En 1914, la Première Guerre éclata et les Allemands du Sud-Ouest africain durent affronter les troupes sud-africaines appuyées par les Britanniques. Lors de la bataille de Gibeon, les 25 et 26 avril 1915, les troupes sud-africaines remportèrent une victoire décisive contre l'armée allemande qui perdit le quart de ses effectifs et toute son artillerie. Le 9 juillet 1915, les Allemands furent définitivement vaincus à Khorab par le corps expéditionnaire britannico-sud-africain.

Après la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles du 28 juin 1919 allait obliger l’Allemagne à abandonner ses colonies, dont évidemment la colonie du Sud-Ouest africain. Plus de 1500 civils allemands retournèrent en Allemagne, mais 6500 colons allemands furent autorisés à rester provisoirement dans l'ancienne colonie, pendant que l'immigration des Blancs d'Afrique du Sud s'intensifiait et s'installait dans la région du Sud-Ouest africain. Ceux-ci changèrent aussitôt le nom allemand de la capitale Windhuk en Windhoek, une appellation plus «afrikanerisée». Pendant toute la période allemande, l’allemand a bénéficié du statut de langue officielle, bien que les langues indigènes de la Namibie aient également été acceptées et utilisées dans la vie quotidienne et à l'école.

3.2 L’occupation sud-africaine

Le 17 décembre 1920, la SDN déclarait le Sud-Ouest africain sous mandat, confié à Sa Majesté britannique, mais exercé en son nom par le gouvernement de l'Union sud-africaine. L'article 2 du mandait déclarait: «Le mandataire aura tout pouvoir administratif et législatif sur le territoire comme partie intégrante de l'Union sud-africaine... Le mandataire aura pour devoir de favoriser au maximum le bien-être matériel et moral, et le progrès social des habitants du territoire... » Le mandat autorisait la nouvelle administration à rapatrier tous les ressortissants ennemis et à confisquer leurs biens.

Cependant, l'Afrique du Sud considérait l’ancienne colonie allemande comme faisant partie de son territoire national; elle estimait que l'annexion du territoire constituait un dédommagement pour son effort de guerre aux côtés des Alliés. Par la suite, elle imposa une administration autoritaire et répressive: le Sud-Ouest africain fut soumis à une colonisation afrikaner, qui commença à le transformer en «cinquième province» avec la province du Cap, le Transvaal, l'État libre d'Orange et le Natal.

En 1924, les colons allemands ne représentaient plus que 37 % de la population blanche, contre 83 % en 1913. En 1926, à la suite d’un accord entre le Portugal et l’Afrique du Sud, le territoire de l’ethnie ovambo fut coupé par la nouvelle frontière tracée entre l’Angola et le Sud-Ouest africain. En 1928, l'arrivée massive de Sud-Africains allait faire monter la population blanche à 28 000 personnes, c'est-à-dire 10 % de la population totale. Les fermiers afrikaners vivaient côte à côte avec les anciens propriétaires fonciers allemands.

- Les homelands

La récupération du territoire par l’Union sud-africaine à la suite de la défaite allemande de 1914 eut pour effet non seulement de maintenir l’ordre déjà établi par les Allemands, mais de le renforcer. À l’échelle du territoire, le régime d’apartheid sud-africain entreprit d’appliquer le même principe du «développement séparé» en distinguant les races et les ethnies et leur confinement au sein des «réserves» appelées "homelands", un terme signifiant «foyers nationaux»; le mot bantoustan fut également utilisé pour faire référence aux territoires des populations bantoues. Le régime de l’apartheid issu de l'Afrique du Sud mit en place un système territorial complexe où les homelands et les townships jouèrent le rôle d’enclaves à des échelles spatiales différentes, mais complémentaires. Il existait en effet deux catégories de «réserves» selon qu'il s'agissait d'enclaves rurales ("homelands") ou d'enclaves urbaines ("townships"). Les bantoustans étaient des terres communautaires gérées par des chefs coutumiers. À l'exception du «Gebiet de Rehoboth" et certaines portions des homelands septentrionaux, ces terres étaient arides, voire désertiques; elles pouvaient à peine à subvenir à une agriculture de subsistance, quand elles n'étaient pas carrément inexploitables.

Le régime de l'apartheid s'intensifia avec le rapport de la Commission Odendaal de 1962, intitulée "Enquiry into South-West Africa Affairs" («Commission d'enquête sur la situation du Sud-Ouest africain»). C'est Frans Hendrik Odendaal (1898–1966), gouverneur de la province du Transvaal qui a donné son nom à cette commission qu'il présida. La Commission Odendaal  termina ses travaux vers la fin de 1963 et ses conclusions furent connues en 1964. Le rapport Odendaal contenait une série de propositions concernant la mise en place de territoires destinés à un «développement séparé» des différents groupes ethniques du Sud-Ouest africain. Le rapport décrivait avec précision les différentes étapes devant conduire à la création de homelands, semblables aux bantoustans existant déjà en Afrique du Sud. Bien que ses conclusions furent aussitôt rejetées par les Nations unies, le gouvernement sud-africain entreprit l'instauration du régime des homelands. L'Afrique du Sud croyait qu'une Namibie unitaire conduirait à un conflit permanent provoqué par d'incessantes rivalités ethniques. C'est pourquoi la création de «patries» ethniques paraissait préférable tout en soutenant l'agriculture commerciale blanche. La Commission Odendaal recommandait aussi d'exclure tout campement indigène des zones réservées à l'agriculture blanche. De plus, une loi sur le vagabondage punissait les Noirs cherchant à quitter la région qui leur était officiellement assignée, sauf dans le cas d'une embauche par un Blanc. Puisque la maigre végétation ne leur permettait pas de nourrir leurs troupeaux, les autochtones furent nombreux à accepter de partir travailler sur les fermes des Blancs ou dans les mines.
 

La carte de gauche illustre la répartition des homelands ou bantoustans dans le Sud-Ouest africain en 1964. Le développement économique fut concentré dans les «zones de police» réservées pour les communautés blanches (afrikanophones, germanophones et anglophones) exploitant les meilleures terres et les mines diamantifères de l'époque coloniale allemande. À partir de 1964, les populations indigènes furent confinées par l'Afrique du Sud dans des homelands tribaux théoriquement autonomes. Les Blancs représentaient 7,5 % de la population, les indigènes, 92,5 %.

- le Kaokoland : territoire créé pour les Himba, des autochtones apparentés aux Héréro et chassés de leurs terres, qui se sont installés dans la région au cours du XVIe siècle. En 1964, le Kaokoland était peuplé d'environ 5000 habitants avec comme langue officielle le himba;

- l'Owamboland (angl.) ou Ovamboland (fr.): territoire regroupant de l'ethnie ovambo (env. 700 000), avec l'oshivambo comme langue officielle;

- le Kavangoland:  territoire regroupant les Africains de l'ethnie kavango (env. 100 000) avec le kwangali comme langue officielle; il y avait aussi d'autres langues bantoues telles le yéyi, le mbukushu, le diriku, le fwé, le totela et le subiya;

- East Caprivi : ou Caprivi Strip (angl.) ou Caprivi Zipfel (all.) ou bande de Caprivi (fr.), c'est une longue bande de 450 kilomètres et large de 30 kilomètres située au nord-est de la Namibie; c'était en partie la patrie autonome pour le peuple lozi et sa langue, le lozi.

- le Bushmanland: le pays des Bochimans (env. 27 000) abritait les San, une population non bantoue parlant le kaikom, une langue khoé-kwadi (khoïsane); techniquement parlant, le Bushmanland n'était pas un bantoustan, mais néanmoins un homeland;

- le Héréroland: la partie des Héréro comptait 44 000 personnes avec le héréro comme langue officielle;

- le Damaraland: cet homeland regroupait des Africains de l'ethnie damara (env. 44 000) et la langue officielle était le nama (aujourd'hui appelé le khoekhoe, une langue khoé-kwadi (khoïsane);

- le Namaland: un autre homeland regroupant les Nama (env. 35 000) avec le nama comme langue officielle (aujourd'hui appelé le khoekhoe, une langue khoé-kwadi (khoïsane);;

- le Tswabaland :  un bantoustan autonome regroupant les Tswana (env. 10 000) parlant le tswana.

- le Basterland ou Rehoboth : appelé aussi le «Gebiet de Rehoboth», était un bantoustan qui regroupait les Basters, populations métissées issues de descendants de liaisons matrimoniales entre femmes africaines et colons néerlandais de la colonie du Cap; les Basters étaient étroitement liés à la ville de Rehoboth qu'ils ont fondée et ont été identifiés en tant que "Rehoboth Basters" ou "Rehobothers"; les langues officielles étaient l'afrikaans et l'anglais; les Basters, fervents luthériens et afrikanophones, étaient mal considérés par les autorités britanniques du fait de leur origine métisse. Ils y fondèrent une ville qu’ils baptisèrent du nom biblique de Rehoboth.

À partir de 1964, les autorités de l'Afrique du Sud augmentèrent le nombre des réserves de 10 à 17 dans les années 1970.

- La longue décolonisation du Sud-Ouest africain

Puis, un peu plus tard, vers le milieu de la décennie, l'évolution géopolitique à l’échelle du sous-continent et la contestation de plus en plus forte de la mainmise sud-africaine sur la Namibie annoncèrent une période de transition qualifiée de «néo-apartheid» au cours de laquelle les mesures raciales discriminatoires furent progressivement démantelées. La quête pour l'indépendance débuta au cours des années 1950 avec la formation, par un groupe de travailleurs du Cap émigrés du Sud-Ouest africain, de l'Owamboland People's Organisation, laquelle constituera le noyau de la future SWAPO (Organisation du peuple du Sud-Ouest africain). La SWAPO, parmi d'autres partis d'opposition, fut reconnue par l'Organisation de l'unité africaine (OUA) dans les années 1960 comme représentant du peuple namibien. Le 27 octobre 1966, une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU mettait fin au mandat de la Société des Nations en déclarant : «L'Afrique du Sud n'a aucun droit sur l'administration du territoire (...) Le Sud-Ouest africain passe donc désormais sous la responsabilité directe de l'ONU.»

Tandis que les instances internationales tentaient de régler par des moyens juridiques le sort de la Namibie, la SWAPO, dirigée par Sam Nujoma, décida en 1966 de passer à la lutte armée. L'ONU demanda le retrait des forces d'occupation sud-africaines et déchut de son mandat l'Afrique du Sud. Ce fut le début d’une longue bataille juridique qui aboutit, en 1969, à un vote du Conseil de sécurité de l’ONU, exigeant le retrait immédiat de l’Afrique du Sud du territoire namibien. Depuis 1968, l'ONU avait remplacé l'appellation de «Sud-Ouest africain» par «Namibie» (signifiant «le pays où il n'y a rien»), un territoire devant être décolonisé. Enfin, en juin 1971, la Cour internationale de justice des Nations unies qualifia d’«illégale» l’occupation de la Namibie par l’Afrique du Sud, qui continua néanmoins à l’administrer. En 1977, la Proclamation des zones rurales ("Rural Areas Proclamation") révoqua la réglementation qui régissait auparavant le mouvement des Noirs africains; elle permettait en principe à tous les groupes ethniques de trouver un emploi et de résider où bon leur semblait.

En 1975, l'indépendance de l'Angola permit à la SWAPO de disposer d'une base arrière pour lancer des opérations dans la zone frontalière. Pour lutter contre la SWAPO soutenue par des contingents cubains et un encadrement soviétique, l’armée sud-africaine intervint à plusieurs reprises dans le sud de l’Angola où elle remporta d’incontestables succès. Au mois de mai 1978, le quartier général de la SWAPO fut même investi, et plusieurs centaines de guérilleros trouvèrent la mort. L’armée sud-africaine militarisa progressivement tout le nord du pays, l’Ovamboland (aujourd'hui l'Ohangwena) et la bande de Caprivi (aujourd'hui l'Okavango), où une guerre de guérilla, très meurtrière pour les populations, se déroula pendant près de vingt ans.

En septembre 1977, le Conseil de sécurité des Nations unies adopta la résolution 435 fixant les modalités de l’accession de la Namibie à l’indépendance. Ce texte prévoyait, outre un cessez-le-feu et le retrait des troupes sud-africaines - à l’exception de 1500 hommes, le déploiement d’un contingent de «Casques bleus» permettant l’organisation d’élections libres pour une Assemblée constituante. Mais l’Afrique du Sud, qui avait toujours refusé de renoncer à son mandat sur le territoire, continua à tergiverser et à multiplier les raids militaires contre les camps de l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain (SWAPO). 

Un cessez-le-feu fut signé au mois d’août 1988. Par la suite, l’Afrique du Sud accepta de signer les accords de Brazzaville, qui garantissaient l’indépendance de la Namibie en échange du retrait des troupes cubaines de l’Angola. En novembre 1989, une Assemblée constituante de 72 membres fut élue au suffrage universel au moyen d'un scrutin organisé sous l’égide de l’ONU. La SWAPO recueillit 57,5 % des voix. Enfin, la longue période de décolonisation sud-africaine allait prendre fin avec la proclamation de l’indépendance du pays.

3.3 Après l'indépendance

Le 21 mars 1990, la Namibie devenait un pays indépendant. L’Assemblée constituante promulgua une constitution inédite sur le continent africain, car elle combinait une représentation majoritaire et une représentation communautaire, et prévoyait pour toute révision constitutionnelle la nécessité de majorités qualifiées. Ainsi, malgré la domination politique de la SWAPO, donc des Ovambo, et en dépit d’une forte identification entre appartenance communautaire et appartenance partisane, la Namibie croyait dépasser les clivages communautaires qu’avaient accentués les politiques des colonisateurs. Avec l’accession à l’indépendance de la Namibie, le régime de l’apartheid fut aboli, ainsi que les frontières du dispositif territorial des homelands. En même temps, les zones de police disparurent. 

- Le choix de l'anglais

Au plan linguistique, l’afrikaans demeurait encore la principale langue du pays: c’était la langue des Blancs au pouvoir lorsqu'ils pratiquaient l’apartheid. Seules deux langues avaient droit de cité: l’afrikaans et l’anglais. Néanmoins, l'anglais fut choisi comme unique langue officielle, et l'afrikaans se retrouva apparemment sans statut reconnu. Les langues africaines furent considérées comme inutiles et impropres aux communications officielles, même dans les écoles. L'objectif des dirigeants de la SWAPO n'était pas d'établir une politique linguistique unilingue, puis de choisir une langue pour servir cette politique. Au contraire, le but de la SWAPO était dans l’ensemble de faire de l’anglais la langue officielle de la Namibie; par conséquent, la politique en est devenue une d'unilinguisme. Cet aspect de la politique linguistique résultait de la décision explicite d’établir un rôle dominant pour l’anglais en Namibie afin d'éliminer toute trace du passé allemand et de la langue afrikaans. Bref, si l'afrikaans était la langue de l'oppression, l'anglais serait la langue de la résistance et de la libération! Il paraissait de la plus haute importance d’unir la population namibienne en une seule nation, et c'est par l'anglais qu'il fallait le faire.

Dans cette perspective, les langues autochtones furent jugées inaptes parce que le choix d'une langue plutôt qu'une autre pourrait être perçu comme étant fondé sur les préférences tribales; cela pourrait même conduire à davantage de divisions linguistiques et ethniques plutôt qu’à l’unité. Les opposants à ces langues ont aussi invoqué qu'elles étaient sous-développées au point de vue de la terminologie scientifique et technologique et qu'elles n'étaient pas utilisées dans ces domaines, bien qu'il n’existe aucune preuve scientifique suggérant que ces langues pourraient ne pas être développées pour devenir utiles dans ces domaines. On aurait pu choisir l'afrikaans et/ou l'allemand, mais en raison de l'idéologie de la SWAPO ces langues ont été systématiquement écartées en vue de promouvoir l'unité nationale. Le français pouvait être considéré comme satisfaisant comme critère de l'unité, mais il fut aussi éliminé parce que l'anglais était déjà utilisé par les membres du Conseil des Nations Unies pour la Namibie depuis 1976 (UNIN: United Nations Institute for Namibia ou Institut des Nations unies pour la Namibie). C'est ainsi que l’anglais, parlé par une partie infime de la population namibienne, est devenu la langue officielle du pays.

Ce choix de l'anglais était d'ailleurs déjà décidé en 1975, soit bien avant l'indépendance, dans un projet de Constitution proposé par la SWAPO en ces termes : "Namibia should be a republic; English should be its official language" («La Namibie devrait être une république; l'anglais devrait être sa langue officielle.») Un peu plus tard en 1981, la SWAPO publiait un document intitulé Toward a language policy for Namibia: English as the official language («Vers une politique linguistique en Namibie: l'anglais en tant que langue officielle»). Il faut mentionner, dans tout ce processus, outre l'absence de consultation, le manque de rigueur et de fondement scientifique, puisque les faits, les études et les avis d’experts ou de chercheurs n'ont jamais eu lieu, n'ont jamais été envisagés et n'ont jamais compté. Quelques individus ont fait ce choix, sans en avoir démontré l’utilité et le bénéfice pour la collectivité namibienne.

Puis le ministère de l’Éducation et de la Culture jugea nécessaire d'élaborer une nouvelle politique linguistique pour l'enseignement. Cette politique fut présentée en 1993 dans un document intitulé "The language policy for schools: 1992-1996 and beyond" («La politique linguistique pour les écoles: de 1992 à 1996 et au-delà»). Cette politique énonçait que les élèves devaient recevoir leur instruction principalement dans leur langue maternelle de la 1re à la 3e année, avec un enseignement supplémentaire dans ces langues tout au long de leur éducation. De plus, l'anglais devait être une matière obligatoire dès la 1re année et devenir ensuite le principal moyen d’enseignement à partir de la 4e année. Les objectifs de cette politique étaient d’utiliser l’éducation en tant qu’outil en vue de renforcer la langue et l’identité culturelle des élèves et de les aider à devenir linguistiquement compétents en anglais à la fin de leurs sept années d’enseignement primaire.

- La perpétuation des inégalités

L'ancien leader de la SWAPO, Sam Nujoma, fut élu président de la République.  Il fut réélu démocratiquement en 1994, mais le pouvoir de la SWAPO se renforça, alors que la domination de l'État par les Ovambo réactiva les velléités sécessionnistes. Le pays a voulu s'engager dans une politique de réconciliation nationale, mais les questions vitales de la redistribution des terres et de la réduction des inégalités raciales (70 % des Namibiens vivaient sous le seuil de pauvreté) sont demeurées  en suspens. En 1994, l'enclave sud-africaine de Walvis Bay (principal port du pays) fut cédée à la Namibie. 

Malgré les protestations de l'opposition et d'une partie de la SWAPO, le président Nujoma fit voter une réforme constitutionnelle qui lui permit de briguer un troisième mandat en décembre 1999; très populaire dans son pays, il fut réélu pour un troisième mandat le 21 mars 2000. En mars 2005, Hifikepunye Pohamba (SWAPO), dauphin de Sam Nujoma, lui succéda officiellement à la présidence de la République. En 2015, Hage Geingob est devenu le président de la République.

Cependant, la Namibie n'est pas encore guérie de l'apartheid: le pays reste partagé par une Afrique blanche 20 000 Allemands et 65 000 Afrikaners et une Afrique noire 1,7 million de personnes séparées par une «barrière vétérinaire» préservant les bovins «blancs» des maladies «noires»! En fait, la Namibie doit trouver des solutions pour redresser les torts infligés aux populations autochtones par les colons blancs. Rappelons que les Allemands, puis les Sud-Africains (dont les Afrikaners) ont en effet, au début du siècle, dépossédé les Namibiens, notamment les Héréro, des seules terres fertiles de ce pays très aride. Aujourd’hui, plus de 30 millions d’hectares sont occupés par des fermiers blancs et seulement 2,2 millions par des fermiers noirs. Près de 243 000 paysans attendent qu’on leur attribue un lopin de terre, alors que certains propriétaires blancs laissent 2,9 millions d’hectares en friche. Jusqu'ici, la collaboration de ces grands propriétaires blancs est quasi nulle, car ils font systématiquement obstruction. On craint qu'une telle situation ne dégénère comme au Zimbabwe où les fermiers blancs ont été expropriés par la force.

Notons particulièrement le sort des San, une minorité bochimane: le gouvernement du président Sam Nujoma avait refusé d’accorder une reconnaissance formelle à cette ethnie de Bochimans vivant en dehors de leurs terres traditionnelles de l’actuel Botswana voisin (désert du Kalahari). Les San ne semblent pas constituer une priorité dans le processus de redistribution de la terre engagé par le gouvernement de Windhoek. De plus, la Namibie souffre de l’excessive dépendance économique à l’égard de l’Afrique du Sud, pour laquelle elle reste un marché captif. Le gouvernement namibien s'est engagé dans un effort de diversification économique et de partenariat, d’où le grandiose projet hydroélectrique d’Epupa, prévoyant la construction d’un deuxième barrage sur le fleuve Kunéné à la frontière de l’Angola.

4 La politique linguistique

Depuis la proclamation de la nouvelle Constitution du 20 mars 1990, certains faits ont changé: l’afrikaans a perdu sa reconnaissance officielle, car il était perçu comme la langue de l'apartheid et de l'oppresseur, et c’est l’anglais qui paraît avoir pris la relève parce qu'il paraissait plus «neutre» par les nouveaux dirigeants noirs. En effet, l’article 3 (par. 1) de la Constitution proclame que l’anglais est la langue officielle de la Namibie:

Article 3

(1) La langue officielle de la Namibie est l'anglais.

Ce paragraphe laisse croire que l’anglais est la seule langue officielle et que, en conséquence, les autres langues ne sont pas admises. Or, il faut lire le paragraphe 1 de l’article 3 en relation avec le paragraphe 3 de ce même article de la Constitution :
 

Article 3

(3) Aucune des dispositions du paragraphe 1 ci-dessus n'aura préséance sur une loi du Parlement qui permet l'usage d'une autre langue que l'anglais à des fins législatives, administratives et judiciaires, dans les régions ou les secteurs où une telle autre langue est parlée par une partie importante de la population.

Une telle disposition permet d’utiliser toute autre langue que l’anglais avec l’accord du Parlement, et ce, même si l’anglais est la seule langue officielle. D'après certains observateurs, ce serait là une façon qu’ont trouvée les Blancs pour conserver à l’afrikaans certaines de ses prérogatives, tout en faisant semblant de faire disparaître cette langue derrière l’anglais.

4.1 La législation

Nonobstant cette déclaration d’officialité à l’égard de l’anglais, on doit constater que l’afrikaans est utilisé à parité avec l’anglais au Parlement, avec une fréquence tout aussi grande. D’ailleurs, les lois ont toujours été rédigées à la fois en anglais et en afrikaans. Il existe un système de traduction simultanée, mais il faut qu’une personne demande les services d’un traducteur. Depuis 1990, seule la version anglaise des lois demeure toutefois officielle, l'afrikaans demeurant une simple traduction. L'article 65 de la Constitution précise à cet effet:
 

Article 65
Signature et inscription des lois

(1)
Lorsqu'un projet de loi devient une loi du Parlement suite à son adoption par le Parlement, il est signé par le président et publié dans la Gazette; le secrétaire de l'Assemblée nationale produira immédiatement deux exemplaires de ladite loi en langue anglaise pour être inscrite au bureau du Registraire de la Cour suprême et ces exemplaires serviront de preuve formelle des dispositions de la loi.

Par ailleurs, afin d'assurer une certaine décentralisation de sa Fonction publique, la Namibie a engagé une réforme administrative et territoriale par la création de conseils régionaux et de collectivités locales. Ce sont la Loi sur les collectivités locales de 1992 (Local Authorities Act), la Loi sur les conseils régionaux de 1992 et, dans une moindre mesure, la Loi sur la Fonction publique de 1995, qui entérinent en quelque sorte le programme de décentralisation adopté par l’Assemblée nationale.

Ainsi, en vertu de la Loi sur les collectivités locales de 1992 (Local Authorities Act), un conseil d'une collectivité locale peut prévoir une autre langue que l'anglais lors des discussions de ses assemblées:
 

Article 14

6)
(a) Un conseil d'une collectivité locale peut prévoir des règlements en rapport avec la convocation et l'ordre du jour, la procédure, les assemblées du conseil de la collectivité locale ou de tout comité fixé par le conseil de la collectivité locale, ce qui comprend les conditions sur lequel une autre langue que la langue officielle peut être employée par un membre au cours des discussions lors des assemblées du conseil de la collectivité locale.

Article 15

1) Le président général ou, s'il est absent d'une assemblée du conseil de la collectivité locale, le président de l'assemblée doit produire le procès-verbal pour être consigné dans la langue officielle pour toutes les procédures aux assemblées du conseil de la collectivité locale; et le président général produira ce procès-verbal pour être consigné dans l'un ou divers livres tenus par ce dernier à cette fin.

La Loi sur les conseils régionaux de 1992 (Régional Councils Act) énonce qu'un conseil régional peut prévoir des règlements sur les conditions dans lesquelles une autre langue que la langue officielle peut être employée par un membre au cours des assemblées du Conseil régional:

Article 11

Les assemblées des conseils régionaux

6)
(a) Un conseil régional peut prévoir des règlements en rapport avec la convocation et l'ordre du jour, la procédure des assemblées du Conseil régional ou à un comité créé par celui-ci, y compris les conditions dans lesquelles une autre langue que la langue officielle peut être employée par un membre au cours des assemblées du Conseil régional.

Dans la Loi sur la Fonction publique de 1995 (Public Service Act), l'article 5 mentionne «les langues» (''languages'') comme faisant partie des responsabilités qui relèvent du premier ministre de la Namibie:
 

Article 5

Fonctions du premier ministre

2)
Le premier ministre dirige la Fonction publique et ses responsabilités comprendront en particulier ce qui suit :

(f) la limitation de l'âge, de l'éducation, de la langue et autres qualifications, y compris la formation et l'expérience devant être acquises par une personne à des fins de nomination, de promotion ou de transfert dans la Fonction publique, où ces qualifications ne sont pas prescrites par ou en vertu de la présente loi ou de toute autre loi;

(k) les dispositions sur la formation, y compris la conduite des examens ou des tests, sur ces sujets, y compris les langues, tel qu'il peut être exigé pour toute nomination, promotion ou tout transfert dans la Fonction publique;

Dans tous les cas, il est possible d'utiliser une autre langue que l'anglais, notamment l'afrikaans, mais aucune langue n'est mentionnée.

4.2 La justice

En matière de justice, l’afrikaans et l’anglais sont les deux langues admises dans les tribunaux. En cas de force majeure, il est possible de recourir aux langues africaines avec l’aide d’un interprète (voir l'article 11 de la Constitution). Quoi qu’il en soit, le juge rendra sa sentence en anglais (partout), sinon en afrikaans (dans la région de la capitale). Les dispositions constitutionnelles ne vont pas aussi loin dans le bilinguisme, mais il est clair qu'une personne arrêtée et détenue a le droit, d'après l'article 11 de la Constitution du 29 mars 1990, d'être informée dans une langue qu'elle comprend des motifs de son arrestation:
 

Article 11

Arrestation et détention

(2) Nul ne sera arrêté et retenu en détention préventive sans être informé immédiatement
dans une langue qu'il comprend des raisons de son arrestation.

L'article 24 de la Constitution reprend des dispositions similaires:
 

Article 24

Dérogation

2)
Pour toute personne détenue en vertu de l'autorisation mentionnée au paragraphe 1, les dispositions suivantes s'appliqueront :

a) aussitôt qu'il sera raisonnable de le faire et en tout cas pas plus de cinq jours après le commencement de sa détention, une déclaration écrite sera disponible, dans une langue qu'elle comprend et en détail, des raisons pour lesquelles cette personne est détenue.

b) Pas plus de 14 jours après le commencement de sa détention, une déclaration écrite sera disponible, dans une langue qu'elle comprend et en détail, des raisons de sa détention et, à sa demande, cette déclaration lui sera lue;

Quant à l'article 15 de la Loi sur les tribunaux communautaires de 2003, il énonce qu'un tribunal communautaire peut décider de la langue à utiliser lors de la procédure: la langue officielle (l'anglais), toute autre langue, y compris la langue des signes. Il est aussi possible de recourir à la traduction si l'une des parties ne comprend pas la langue utilisée.
 

Article 15

Langue utilisée dans les tribunaux communautaires

1) La langue officielle ou toute autre langue, y compris la langue des signes, pour laquelle un tribunal communautaire a juridiction peut être choisie d'être utilisée au cours d'une procédure devant ce même tribunal.

2) Si la procédure est menée dans une langue avec laquelle une partie à la procédure devant le tribunal communautaire:

a) prétend ne pas être familier; ou

b) de l'avis du tribunal, la partie ne semble ne pas être suffisamment familière, un interprète qualifié doit être appelé par le tribunal communautaire pour traduire un témoignage dans une langue avec laquelle une partie prétend ou semble suffisamment familière à la cour.

4.3 L'Administration

Dans l’administration publique, tous les services auprès des citoyens ne devraient être assurés qu'en anglais, puisque c'est la langue officielle. La Namibie n'avait aucune raison d'employer l'anglais, mais le gouvernement de Sam Nujoma a craint, après l'indépendance, l'officialisation de l'afrikaans et a cru que la promotion des langues nationales africaines encourage les conflits ethniques. L'imposition de l'anglais comme «langue neutre» fut une décision politique destinée à «unifier tous les Namibiens», sans les inconvénients historiques de l'afrikaans. 

D'ailleurs, le gouvernement namibien a envoyé une circulaire afin d'interdire aux fonctionnaires publics l'usage d'une langue autre que l'anglais dans leurs communications officielles avec les administrés, même au téléphone. Toutefois, des Namibiens ont protesté, notamment ceux qui parlent l'afrikaans. L'article 19 de la Constitution prévoit que tout individu a le droit de pratiquer et de promouvoir sa langue propre: 
 

Article 19
Culture

Tout individu a le droit de jouir, pratiquer, professer, maintenir et promouvoir sa culture, sa langue, ses traditions ou sa religion tel qu'il est prévu en vertu des dispositions de la présente Constitution, mais à la condition que les droits protégés par le présent article n'empiètent pas sur les droits des autres ou ne nuisent pas à l'intérêt national.

Finalement, l'affaire a abouti aux tribunaux en septembre 2000, car un comité des Nations unies était d'avis que l'interdiction d'une autre langue que l'anglais constituait une discrimination contraire à l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques :
  

International Covenant on Civil and Political Rights

Article 26

All persons are equal before the law and are entitled without any discrimination to the equal protection of the law. In this respect, the law shall prohibit any discrimination and guarantee to all persons equal and effective protection against discrimination on any ground such as race, colour, sex, language, religion, political or other opinion, national or social origin, property, birth or other status.

Article 27

In those States in which ethnic, religious or linguistic minorities exist, persons belonging to such minorities shall not be denied the right, in community with the other members of their group, to enjoy their own culture, to profess and practise their own religion, or to use their own language.

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Article 26

Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. À cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique et de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

Article 27

Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion ou d'employer leur propre langue.

Le Comité a souligné que l'interdiction visait non seulement les communications écrites, mais également les communications orales, que l'État de la Namibie n'a tenté d'apporter aucune justification de la mesure incriminée et que, en l'absence d'une telle justification, le Comité est porté à croire les requérants lorsqu'ils alléguaient que la circulaire visait intentionnellement à prohiber de façon particulière l'afrikaans, plutôt que toutes les langues n'ayant pas de statut officiel. En conséquence, les requérants ont été jugés comme «victimes de discrimination». Cependant, les avocats du gouvernement ont fait valoir que l'État a le droit de choisir une langue officielle et d'exiger que les communications se fassent uniquement dans cette langue.

Une circulaire administrative datée du 14 juillet 2008, en provenance du Bureau du premier ministre (Department Public Service Management), précise ainsi les exigences concernant un poste à la gestion des ressources:
 

DIRECTORATE MANAGEMENT SERVICES DIVISION RESOURCE MANAGEMENT

Candidates for the post must be Namibian citizens, have a valid driver's license and be prepared to travel throughout Namibian. A high standard of written and spoken English is required. Computer literacy is a must. Candidates must have the ability to work on his/her own and as part of a team to prioritize, plan and co-ordinate work. Skills in objective setting and evaluation of performance are important.

DIRECTION DE L'AMÉNAGEMENT DES RESSOURCE
DU SERVICE DE GESTION

Les candidats au poste doivent être des citoyens namibiens, détenir un permis de conduire valide et être préparés pour voyager partout en Namibie. Un niveau élevé de l'anglais écrit et parlé est exigé. L'initiation à l'informatique est une nécessité. Les candidats doivent avoir la capacité de travailler de façon autonome et dans le cadre d'une équipe afin de hiérarchiser, planifier et coordonner le travail. Les habiletés de fixation d'objectifs et d'évaluation des performances sont importantes.

Dans toutes les offres d'emploi, on peut lire des messages comme suit: «Applicants should have the ability to read and write English», autrement dit les candidats doivent avoir la capacité de lire et écrire l'anglais. En Namibie, c'est une donnée incontournable pour tout candidat(e) à un poste administratif.

Cela étant dit, les administrations municipales, les conseils régionaux et les collectivités locales peuvent recourir aux langues nationales dans la plupart des communications orales, mais ce n’est pas un droit: c'est plutôt lorsqu'on ne peut pas faire autrement. Les documents administratifs sont généralement bilingues (afrikaans-anglais), mais pas toujours, l'anglais étant toujours présent. Enfin, on peut dire que l’anglais est devenu aujourd'hui la première langue de l’administration gouvernementale en Namibie, aux dépens de l'afrikaans et, évidemment, aux dépens des langues nationales africaines.

4.4 L'éducation

Lorsque la Namibie a acquis son indépendance en 1990, elle a hérité d’une société caractérisée par la ségrégation, une grande pauvreté urbaine et rurale, une répartition très inégale de la richesse, un accès inégal aux terres et aux ressources naturelles, ainsi que des inégalités dramatiques dans la qualité des services en éducation et en santé. Le multilinguisme qui caractérisait la Namibie fut perçu négativement par le gouvernement comme un obstacle important à la réalisation de l'unité nationale. Le gouvernement a donc voulu uniformiser le système d'éducation. Pour ce faire, il a choisi l'anglais qui a été introduit comme matière obligatoire en début de scolarité et comme langue d’enseignement de la 4e année du primaire jusqu’à l’université. Ce choix consistait donc, comme un peu partout dans toute l'Afrique, à perpétuer la politique linguistique coloniale. Toutefois, alors que dans de nombreux autres pays africains, la langue officielle est celle de l'ancien colonisateur du pays, ce n'est pas le cas en Namibie.

En éducation, les écoles primaires et secondaires offrent un enseignement en anglais et en afrikaans, et plusieurs écoles privées dispensent un enseignement en allemand. Autrement dit, les parents blancs choisissent entre trois écoles possibles: en afrikaans, en anglais et en allemand. Pour les Noirs, les écoles primaires offrent un enseignement en héréro, en nama, en fwe, en subia, en tswana, etc. Au total, quelque 13 langues en plus de l'anglais sont autorisées comme langue d'enseignement dans les écoles primaires. Ces pratiques sont conformes au paragraphe 2 de l’article 3 de la Constitution :
 

Article 3

(2) Aucune des dispositions de la présente Constitution n'empêchera l'usage d'une autre langue comme véhicule d'enseignement dans les écoles privées, de même que dans les écoles financées ou subventionnées par l'État, sous réserve du respect des exigences qui pourraient être imposées par la loi, dans le but d'assurer la connaissance de la langue officielle ou pour des raisons pédagogiques.

Bien que ce soit difficile et coûteux d'enseigner un si grand nombre de langues, il semble tout de même important que les Namibiens puissent conserver leur diversité culturelle; l'instruction des citoyens namibiens constitue l'investissement le plus important que le gouvernement puisse faire.

Le Programme national d'action, prévu pour de 2002 jusqu'en 2015, recommandait l'usage de la langue maternelle comme moyen d'enseignement de la première année à la troisième; l'anglais est employé comme langue d'enseignement de la quatrième année à la douzième; les langues locales sont aussi enseignées comme matière à partir de la quatrième année.
 

National Plan of Action 2002 - 2015

1.2.1 The structure of the education system

The language policy in education recommends the use of mother tongue as the medium of instruction from Grade 1 to 3. English is used as the medium of instruction from grade 4 to 12. Local languages as taught as subjects from Grade 4 onwards. Only, San languages are not yet fully developed to be used in schools in all the grades.

Programme national d'action 2002 - 2015

1.2.1 La structure du système d'éducation

La politique linguistique en éducation recommande l'usage de la langue maternelle comme moyen d'enseignement pour les années 1 à 3. L'anglais est employé comme langue d'enseignement pour les années 4 à 12. Les langues locales sont aussi enseignées comme matière à partir de la 4e année. Seules les langues khoïsanes ne sont pas encore entièrement développées pour être employé dans les écoles dans toutes les années.

De fait, dans toutes les écoles du pays, l'enseignement est donné en anglais à partir de la 4e année de primaire, ce qui n'est pas toujours facile pour des élèves qui parlent une langue africaine à la maison. Dans certaines écoles, les langues nationales sont remplacées systématiquement par l'anglais, ce qui contrevient à la politique gouvernementale officielle selon laquelle l'alphabétisation doit se faire dans la langue maternelle. L’apprentissage de l’anglais demeure obligatoire partout et se poursuit progressivement pour devenir l'unique langue d'enseignement au secondaire. Il n'en demeura pas moins que l'enseignement de l'anglais connaît certaines difficultés puisque beaucoup d'enseignants dans les régions rurales ont une piètre connaissance de l'anglais; le gouvernement namibien a dû à plusieurs reprises faire appel à des enseignants anglophones dans les autres pays d'Afrique. Bref, l'enseignement des langues africaines sert avant tout à alphabétiser les enfants dans leur langue maternelle, avant de leur inculquer l'anglais à partir de la 4e année.

Cependant, si les parents ou un école souhaitent utiliser l’anglais comme langue d’enseignement dans le premier cycle du primaire, l'autorisation doit être accordée; il en résulte que progressivement l'anglais tend à remplacer les langues namibiennes. Ainsi, en 2008, on comptait 243 écoles dans le pays, qui avaient reçu l'autorisation du ministère de l'Éducation d'offrir un enseignement uniquement en anglais à partir de la 1re année du primaire. Depuis lors, de nombreuses écoles ont adopté une politique du tout-anglais. De toute façon, tous les emplois les moindrement rémunérés en Namibie vont exiger la maîtrise de l'anglais. L'enseignement dans les langues nationales n'est que temporaire et limité à des fins identitaires. Les options dans les langues premières disponibles sont les suivantes: l'afrikaans, l'anglais, l'allemand, le juifano, le khoekhoegowab, l'oshikwanyama, l'oshindonga, l'otjihéréro, le rukwangali rumanyo, le setswana, le silozi, le thimbukushu, tandis que les options de niveau de langue seconde sont l'anglais et l'afrikaans. Une partie du problème vient du fait que les enseignants ne sont pas suffisamment formés pour enseigner les langues africaines, principalement en raison de la perception négative par laquelle la société en est venue à considérer ces langues.

Par ailleurs, le président Nujoma a publiquement annoncé que l'afrikaans devait être réduit dans l'enseignement. Plusieurs collèges et universités ont décidé de promouvoir l'enseignement de l'anglais aux adultes qui ont besoin de cette langue pour leur travail. Un nouveau programme appelé «Practical English» (l'anglais pratique) a été offert depuis 1998 et semble connaître un succès «incroyablement populaire», d'après Mme Laetitia Willemse, la responsable du programme de langue anglaise du NAMCOL (Namibian College for Open Learning), un établissement d'enseignement reconnu par une loi du Parlement en 1994 et comptant plus de 80 centres disséminés dans tout le pays.

Quant à la formation des professeurs, la Loi sur la formation des enseignants des collèges de 2003 précise que la langue d'enseignement dans la formation des professeurs doit être l'anglais:
 

Article 29

Langue d'enseignement 


L'anglais doit être employé comme langue d'enseignement à tous les enseignants des collèges, sauf dans l'enseignement d'une autre langue comme matière dans la formation des enseignants, auquel cas d'autres langues peuvent être employées comme langue d'enseignement.

L'Université des sciences et technologies de Namibie et l’Université de Namibie (UNAM) constituent les deux seules institutions universitaires dans le pays. Dans ces établissements, les cours se donnent en afrikaans ou en anglais, parfois plus souvent en afrikaans qu’en anglais, étant donné que la majorité des étudiants ont généralement une connaissance plus limitée de l'anglais. La Loi sur l'enseignement supérieur (Highter Education Act, 2003) de 2003 ne traite pas de la langue. Même dans l'enseignement supérieur, la question des langues, à l'exception de l'anglais, est perçue comme un domaine de peu d'importance, ce qui a pour effet de limiter le nombre d’étudiants qui semblent plus motivés à choisir des matières comme l'économie, les communications, la comptabilité, les sciences, etc. Par voie de conséquence, l'apprentissage des langues étrangères ne constitue nullement une priorité en Namibie, notamment en ce qui concerne le français et le portugais, des langues pourtant importantes en Afrique.

4.5 Les médias

Dans la vie économique, l’afrikaans et surtout l’anglais demeurent les premières langues du pays. Dans l’affichage tant public que commercial, le bilinguisme afrikaans-anglais est assez répandu dans la région de la capitale. Les langues africaines sont relativement peu employées, sauf à l’oral pour les Noirs où elles règnent en maître. Des Namibiens déplorent que l'ignorance de la langue anglaise entraîne une exclusion dans beaucoup d'emplois dans les domaines administratifs, judiciaires, scolaires, etc.  

D'ailleurs, l'article 3 de la Loi sur la radiodiffusion namibienne (1991) déclare sans ambiguïté que l'un des objectifs de la "Namibian Broadcasting Corporation" est de «promouvoir l'usage et la compréhension de la langue anglaise»:
 

Article 2

Établissement de la société

1) Il est créé par la présente une société de radiodiffusion dénommée "Namibian Broadcasting Corporation".

2) La Société doit être une personne morale.

Article 3

Objectifs de la société

Les objectifs de la société sont d'exploiter un service de radiodiffusion afin:

a) d'informer et de divertir le public namibien;
b) de contribuer à l'éducation et à l'unité de la nation ainsi qu'à la paix en Namibie;
c) de fournir et de diffuser des informations utiles pour le développement socio-économique de la Namibie;
(d)
de promouvoir l'usage et la compréhension de la langue anglaise.

Dans les médias, les journaux sont généralement publiés en anglais (The Namibian, Republic of Namibia, The Namibin Economist), mais aussi en afrikaans (Die Republikein) et en allemand (Allgemeine Zeitung). À la radio, la NBC (Namibian Broadcasting Corp.) diffuse surtout en anglais, mais donne des bulletins d'information en allemand et en afrikaans. La chaîne bilingue Kanaal 7 / Channel 7 diffuse ses émissions en deux langues, l'anglais et l'afrikaans. Quant à Radio Kudu, elle n'emploie généralement que la langue officielle, mais ne répugne pas à utiliser parfois l'afrikaans et l'allemand. En ce qui a trait à la télévision, la NBC diffuse en anglais, la MultiChoice Namibia offre plusieurs canaux en langue anglaise (M-NET,SuperSport, CNNi, Discovery et SABC Mix), alors que  la Deukom Television présente des canaux en allemand (RTL, Sat1, DW et ARD). En mai 2002, l'ouverture de Desert TV marqua un événement significatif dans l'industrie de télévision de la Namibie parce que c'était la première fois depuis l'indépendance du pays que l'afrikaans était de retour sur les ondes hertziennes namibiennes. 

Force est de constater que la Namibie est restée en partie tributaire des pratiques de l’apartheid: des langues pour les Blancs (anglais, afrikaans et allemand), d’autres pour les Noirs (les langues nationales africaines). Il reste beaucoup de chemin à parcourir pour ce pays avant de pratiquer une politique linguistique plus juste et plus équitable envers la majorité de la population. Dans les affaires, la connaissance de l’afrikaans est considérée comme nécessaire, au même titre que l’anglais et l’allemand. Les langues africaines ne sont utiles qu’en famille et dans les communications informelles de la vie quotidienne. La politique volontariste du gouvernement namibien depuis l'indépendance est de promouvoir l'anglais aux dépens de toutes les autres langues, que ce soit l'afrikaans, l'allemand ou les langues namibiennes. Il semble que cette politique soit appelée à réussir, malgré les défenseurs de l'afrikaans et des langues africaines. Dans le cas de celles-ci, on peut affirmer que le statut de ces langues s’est notoirement détérioré depuis l’indépendance de la Namibie.

L’absence d’une législation linguistique en Namibie a eu pour conséquence que l’usage de la langue maternelle des Namibiens dans l’administration, la justice, l’éducation et la vie publique a été dénié à la majorité de la population, ce qui correspond à une politique linguistique nettement discriminatoire. De plus, compte tenu de la faiblesse numérique des locuteurs pour la plupart des langues namibiennes, tout porte à croire que seulement quelques rares langues, en plus de l’afrikaans, auraient de réelles chances de survivre au rouleau compresseur de l'anglais. La politique linguistique de la Namibie démontre qu'il est possible pour un État de modifier complètement le rapport de force entre les langues en faisant la promotion d'une langue étrangère aux dépens des langues nationales, et ce, au nom de la légitimité du choix d’une langue officielle et du traitement préférentiel qui lui est accordé. Ce type de politique du tout-anglais a eu de profondes conséquences préjudiciables pour la Namibie, pour les citoyens et leur développement. De fait, l'anglais est devenu un objet de discrimination en politique, dans l'administration et dans l'enseignement pour toux ceux qui ne maîtrisent pas cette langue. La langue anglaise n'a pu promouvoir l'appréciation et la préservation des nombreuses cultures et des langues autochtones de la Namibie; au contraire l'anglais a non seulement empêché l’apprentissage des langues namibiennes, mais il a conduit à leur érosion, ce qui pose également le risque de l'érosion des cultures qu'elles soutiennent.

Par conséquent, il devrait être clair qu'une politique d'unilinguisme n'est pas satisfaisante pour la Namibie qui est pourtant dotée d’un grand nombre de ressources linguistiques. Celles-ci pourraient aider à résoudre plusieurs problèmes actuels et contribuer grandement à l'épanouissement des populations locales. En somme, le pays aurait besoin d’une politique stratégique multilingue qui attribuerait des rôles appropriés à ses nombreuses langues, sans exclure l'anglais.

 

Dernière mise à jour: 18 déc. 2023

Bibliographie

BADER, Christian. La Namibie, Paris, Karthala, 1997, 239 p.

BIESELE, Megan. «Creativity and Conservation: Ju/'hoan Language Education Projects» dans The Proceedings of the Khoisan Identities and Cultural Heritage Conference, Cape Town, Institute for Historical Research, University of the Western Cape and InfoSource, Andrew Bank Editions, 1998, p. 314-319.
 
DIENER, Ingolf. Namibie, une histoire, un devenir, Paris, Karthala, 2000, 382 p.
DUBRESSON, Alain. «Une géo-économie des collectivités locales urbaines», dans Pouvoirs locaux et gestion urbaine en Namibie, Rapport final du programme Campus Namibie, Géotropiques, Université Paris X, University of Namibia, 2001, p. 137-160.
ELLIS, Hugh. «Indigenous Languages Deserve More Respect» dans The Namibian, Windhoek, 19 juin 2003. 

ENCYCLOPÉDIE MICROSOFT ENCARTA, 2004, art. «Namibie», pour la partie historique.
 
FRITZ, Jean-Claude. La Namibie indépendante. Les coûts d’une décolonisation retardée, Paris, L’Harmattan, 1991, 284 p.
 
LECLERC, Jacques. Les droits linguistiques dans 129 États du monde, tome I: «Description schématique par pays», Montréal, rapport déposé à l'Office de la langue française, 1992, 392 p. 
LECLERC, Jacques. Les droits linguistiques dans 129 États du monde, tome II: «Description thématique», Montréal, rapport déposé à l'Office de la langue française, 1992, 402 p.
 
SIMON, David. "Desegregation in Namibia : the demise of urban apartheid?", dans Geoforum, vol. 17, n° 2, 1986, p. 289-307.
 
SOHN, Christophe. «L’enclavement ethnique en Namibie. Du cloisonnement territorial à la structuration des identités», dans Espace, populations, sociétés, Differdange/Paris, 2005, p. 31-44.

WOEHRLING, José. «Les trois dimensions de la protection des minorités en droit constitutionnel comparé» dans Rapport spécial de droit public interne aux Journées mexicaines de l'Association Henri Capitant, Mexico et Oxaca, 18-25 mai 2002.
 
 
Carte Afrique
L'Afrique
Accueil: aménagement linguistique dans le monde