Empire allemand

De 1871 à 1918

1. Le Deuxième Reich

L'Empire allemand (en allemand : Deutsches Reich ou Deutsches Kaiserreich) est également appelé Deuxième Reich, le premier étant le Saint-Empire romain germanique. Ce second empire fut fondé par Guillaume Ier d'Allemagne, le 18 janvier 1871 et s'est terminé le 9 novembre 1918 au moment de l'abdication de Guillaume II après la Seconde Guerre mondiale; l'Allemagne nazie d'Adolf Hitler sera le Troisième Reich.

L'Empire allemand était composé majoritairement de l'ancienne Confédération de l'Allemagne du Nord, de quatre royaumes (Prusse, Bavière, Wurtemberg et Saxe), de six grands-duchés et cinq duchés, de sept principautés, de trois villes libres (Brême, Hambourg, Lubeck) et d'un territoire, l'Alsace-Lorraine, conquise aux Français lors de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. C'était une monarchie constitutionnelle fédérale autoritaire, dont Berlin était la capitale. Les personnages les plus importants furent Guillaume Ier (empereur de 1871 à 1888) et Guillaume II (empereur de 1888 à 1918), ainsi que le chancelier Otto von Bismarck (de 1871 à 1890).

Ce nouvel empire germanique se composait du royaume de Prusse dans une proportion de 65%, alors que 62% de la population étaient des sujets sous sa couronne. De plus, 12% de tous les Prussiens n'étaient pas des Allemands de nationalité, car beaucoup d'entre eux ne connaissaient pas l'allemand. Ils furent les principales victimes d'une politique linguistique en pleine mutation, autrefois généreuse.

2. Les colonies d'Afrique

Durant la conférence de Berlin en 1884, les dirigeants européens se divisèrent l’Afrique. L’Allemagne obtint le Togo (Togoland), le Cameroun (Kamerun), l'Afrique orientale (la Deutsch-Ostafrika : le Rwanda, le Burundi et le Tanganyika devenu la Tanzanie) ainsi que le Sud-Ouest africain (la Deutsch-Südwestafrika, l'actuelle Namibie). Dans tous les territoires allemands se mit en place une colonisation économique de marchands soutenus par l'État allemand.

En quelques mois de 1884 et 1885, l'Allemagne se retrouva ainsi à la tête d'un empire colonial cinq fois plus grand que son territoire métropolitain, mais très peu peuplé. Bien que l'Empire allemand ait utilisé l'allemand comme langue officielle, les habitants des colonies continuèrent de parler leur langue africaine (swahili, kirundi, kinyarwanda, oshivambo, ndonga, etc.).

3. Les îles du Pacifique

L'Allemagne étendit également son empire colonial dans des îles du Pacifique. Elle occupa à cette époque les îles Samoa (puis abandonnées) pour coloniser les îles Marshall en 1885 et Nauru en 1888, ainsi que les Mariannes, Belau (Pelau) et les Carolines (aujourd'hui en Papouasie-Nouvelle-Guinée). Le IIe Reich avait occupé aussi en 1885 le nord de l'archipel des îles Salomon; le traité de 1899 les rattachera au protectorat britannique des Salomon méridionales créé en 1893, l'Allemagne conservant toutefois les deux principales îles du nord, l'île Bougainville et l'île Buka (archipel Bismarck).

La Nouvelle-Guinée allemande (en allemand : Deutsch-Neuguinea) fut un protectorat de l'Empire allemand; constitué à la suite des pressions des marchands allemands à partir de 1884, il se développa jusqu'en 1899 par annexions et rachats successifs, jusqu'à regrouper presque tous les archipels micronésiens, Nauru, le nord-est de la Nouvelle-Guinée et les îles environnantes. C'était avec les Samoa allemandes l'une des deux composantes de l'empire colonial allemand dans le Pacifique.

L'Empire allemand obtint aussi des «concessions» en Chine, louées par la dynastie Qing : concession de la baie de Kiautschou (1898), concession à Tientsin (1895) et Chefoo (1901).

4. La langue allemande

Avec la création de l'État-nation, une nouvelle conscience nationale apparut, intolérante à tout ce qui n'était pas allemand. Le Kulturkampf (ou «combat pour la civilisation») germano-polonais s'est enflammé notamment sur la question linguistique. Il s'agissait d'une politique religieuse menée par le chancelier de l'Empire allemand, Otto von Bismarck, destinée à rompre les liens entre Rome et l’Église catholique d'Allemagne et à placer celle-ci, perçue comme une menace à l'unité nationale, sous la tutelle de l'État; commencée en 1871 et poursuivie jusqu'en 1878, elle fut définitivement abandonnée en 1887.

La justification du gouvernement de l'État allemand pour un projet de loi sur la langue en 1873 s'exprime de la façon suivante:
 

Zu den Erscheinungen, in welchen sich das eigenthümliche Leben einer Nation kund giebt, gehört in erster Reihe ihre Sprache. Ein Staat, welcher auf das nationale Gepräge Gewicht legt, muß daher die Nationalsprache, als ein Wahrzeichen seiner Einheit im gesamten öffentlichen Leben zur Anwendung bringen. Umschließt er in seinen Grenzen eine anders redende Bevölkerung, so darf die Rücksicht auf die Freiheit der letzteren in der Ausbildung und Benutzung ihres Idioms doch niemals dahin führen, diese andere Sprache als eine gleichberechtigte Staatssprache anzuerkennen. Parmi les phénomènes où se manifeste la vie particulière d'une nation, il y a, en premier lieu, sa langue. Un État qui met l'accent sur le caractère national doit donc employer la langue nationale dans toute la vie publique comme symbole de son unité. Si elle comprend à l'intérieur de ses frontières une population qui parle différemment, la considération de la liberté de celle-ci dans l'apprentissage et l'usage de son idiome ne doit jamais conduire à reconnaître cette autre langue comme une langue nationale avec des droits égaux.

L'allemand demeurait la seule langue officielle de l'Empire, bien qu'il puisse exister un grand nombre de minorités linguistiques non reconnues, sans compter les variétés dialectales de l'allemand: le polonais, le danois, le français, le wallon, l'alsacien, le sorabe, le frison, le cachoube, le néerlandais, le flamand, le tchèque, le lituanien, l'italien, etc. En 1872, le ministre prussien de l’Intérieur, Friedrich Albrecht zu Eulenburg, faisait la remarque suivante:
 

Wir müssen dahin wirken, daß die Polen erst preußisch und dann deutsch werden, aber preußisch und deutsch müssen sie werden. Nous devons travailler pour que les Polonais deviennent d’abord des Prussiens, puis des Allemands, mais ils doivent devenir des Prussiens et des Allemands.

En 1876, la Prusse a adopté une loi sur la langue des affaires (Geschäftssprache) pour son territoire national, qui prévoyait l'usage exclusif de la langue allemande dans l'appareil administratif prussien. Ce n'était pas une loi impériale, car elle était initialement limitée au royaume de Prusse. Cependant, en raison de la vaste étendue du territoire et de sa situation de puissance hégémonique, la loi a eu un effet juridique quasi impérial. Cela s'applique en particulier à l'effet d'entraînement sur d'autres lois. La langue des affaires est comprise comme la langue dans laquelle les transactions officielles de toutes les autorités de l'État doivent être accordées. Par l'usage exclusif de l'allemand dans les relations internes et externes de tout l'appareil administratif de la Prusse, la Loi sur la langue des affaires a réalisé une première et large expansion dans les situations d'action publique à caractère harcelant, car exclusive. L'allemand était utilisé de manière asymétriquement dominante, mais sans devenir "lingua franca" au sens propre.

La Loi constitutionnelle sur les tribunaux de 1877 créa des conditions claires pour le pouvoir judiciaire, puisque l'article 186 énonçait que «la langue du tribunal est l'allemand».

Gerichtsverfassungsgesetz 1877

Fünfzehnter Titel. Gerichtssprache.

Artikel 186.

Die Gerichtssprache ist die deutsche.

Artikel 187.

Wird unter Betheiligung von Personen verhandelt, welche der deutschen Sprache nicht mächtig sind, so ist ein Dolmetscher zuzuziehen. Die Führung eines Nebenprotokolls in der fremden Sprache findet nicht statt; jedoch sollen Aussagen und Erklärungen in fremder Sprache, wenn und soweit der Richter dies mit Rücksicht auf die Wichtigkeit der Sache für erforderlich erachtet, auch in der fremden Sprache in das Protokoll oder in eine Anlage niedergeschrieben werden. In den dazu geeigneten Fällen soll dem Protokolle eine durch den Dolmetscher zu beglaubigende Uebersetzung beigefügt werden.

Die Zuziehung eines Dolmetschers kann unterbleiben, wenn die betheiligten Personen sämmtlich der fremden Sprache mächtig sind.

Artikel 188.

Zur Verhandlung mit tauben oder stummen Personen ist, sofern nicht eine schriftliche Verständigung erfolgt, eine Person als Dolmetscher zuzuziehen, mit deren Hülfe die Verständigung in anderer Weise erfolgen kann.

Artikel 189.

Ob einer Partei, welche taub ist, bei der mündlichen Verhandlung der Vortrag zu gestatten sei, bleibt dem Ermessen des Gerichts überlassen.

Dasselbe gilt in Anwaltsprozessen von einer Partei, die der deutschen Sprache nicht mächtig ist.

Artikel 190.

Personen, welche der deutschen Sprache nicht mächtig sind, leisten Eide in der ihnen geläufigen Sprache.

Artikel 191.

Der Dolmetscher hat einen Eid dahin zu leisten:  daß er treu und gewissenhaft übertragen werde.

Ist der Dolmetscher für Uebertragungen der betreffenden Art im allgemeinen beeidigt, so genügt die Berufung auf den geleisteten Eid.

Artikel 192.

Der Dienst des Dolmetschers kann von dem Gerichtsschreiber wahrgenommen werden. Einer besonderen Beeidigung bedarf es nicht.

Artikel 193.

Auf den Dolmetscher finden die Bestimmungen über Ausschließung und Ablehnung der Sachverständigen entsprechende Anwendung. Die Entscheidung erfolgt durch das Gericht oder den Richter, von welchem der Dolmetscher zugezogen ist.

Loi constitutionnelle de 1877 sur les tribunaux

Titre quinzième. langue de cour.

Article 186

La langue du tribunal est l'allemand.

Article 187

Si des négociations sont menées avec la participation de personnes qui ne parlent pas allemand, un interprète doit être consulté. Les procès-verbaux annexes ne sont pas tenus dans la langue étrangère ; toutefois, les propos et déclarations en langue étrangère doivent également être consignés en langue étrangère dans le procès-verbal ou dans une annexe, si et dans la mesure où le juge l'estime nécessaire eu égard à l'importance de l'affaire. Dans les cas appropriés, une traduction à certifier par l'interprète doit être jointe au protocole.

Un interprète ne peut être appelé si les personnes impliquées parlent toutes couramment la langue étrangère.

Article 188

Pour les négociations avec des personnes sourdes ou muettes, à moins qu'un accord écrit ne soit conclu, une personne doit être appelée comme interprète, avec l'aide de laquelle l'accord peut être conclu d'une autre manière.

Article 189

La question de savoir si une partie sourde doit être autorisée à parler à l'audience est laissée à la discrétion du tribunal.

Il en va de même en cas de procédure judiciaire par une partie qui ne parle pas allemand.

Article 190

Les personnes qui ne maîtrisent pas la langue allemande prêtent serment dans la langue qui leur est familière.

Article 191

L’interprète doit prêter serment sur le fait que la traduction sera faite fidèlement et consciencieusement.

Si l'interprète est généralement assermenté pour les transmissions du type en question, il suffit de se référer au serment prêté.

Article 192

Le service de l'interprète peut être assuré par le greffier du tribunal. Un serment spécial n'est pas requis.

Article 193

Les dispositions relatives à l'exclusion et au rejet des experts s'appliquent en conséquence à l'interprète. La décision est prise par le tribunal ou le juge qui a mandaté l'interprète.

En ce qui concerne les variétés dialectales de l'allemand, l'Empire allemand favorisa toujours la Hochdeutsch, l'allemand standard, au détriment des autres variétés allemandes (francique, bas-allemand et moyen-allemand). La religion officielle était le protestantisme, mais beaucoup d'habitants pratiquaient le catholicisme ou la religion orthodoxe.

5. Le traité de Versailles et le dépeçage de l'Empire
 

Les bouleversements de la Première Guerre mondiale modifièrent le paysage géopolitique européen avec la disparition de l'Empire allemand, de l'Empire austro-hongrois, de l'Empire russe et de l'Empire ottoman. Les puissances centrales vaincues d'Allemagne et d'Autriche-Hongrie subirent des pertes territoriales importantes, qui marquèrent les ressortissants de ces anciens empires. Alors qu'avant 1914 les dominations impériales austro-hongroise, allemande et russe s'étaient étendues sur l'Europe centrale et orientale, la situation après 1918 apparut totalement différente (voir les cartes de 1914-1918 à cet effet).

Ainsi, l'Empire allemand fut remplacé par la république de Weimar, mais le traité de Versailles avait imposé à l'Allemagne un «couloir polonais», appelé officiellement «corridor de Dantzig», qui coupait la Prusse orientale du reste de l'Allemagne de Weimar, tandis que la Pologne obtenait l'accès à la mer Baltique pour des raisons de survie économique.

L'Allemagne de l'après-guerre, successeur d'un empire vaincu, fut confrontée au défi de faire face à une diminution significative de sa population et de son territoire, à la perte de sa puissance militaire et au sentiment d'injustice et d'humiliation qui en résultait. En 1919, le traité de Versailles entérina la fin de l'Empire colonial allemand, dont les vainqueurs se partagèrent les colonies sous mandat de la Société des Nations. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et le Japon, se partagèrent le Pacifique. Vaincue, l'Allemagne verra décroitre sa langue germanique pour se maintenir uniquement en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Cependant, le traité de Versailles de 1919 allait détourner l'expansion allemande vers d'autres objectifs.

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Actuellement, 75,5 millions de locuteurs parlent l'allemand comme langue maternelle et 56 millions comme langue seconde, pour un total de 131,6 millions de locuteurs. C'est la langue officielle en Allemagne, en Autriche et au Liechtenstein; il est aussi l'une des langues officielles en Suisse, au Luxembourg, en Belgique et dans la région italienne du Tyrol du Sud (Trentin-Haut-Adige) où il est même majoritaire dans la province autonome de Bolzano. Ailleurs, l'allemand standard est également parlé, sans toutefois avoir le statut de langue co-officielle, car ce sont des langues employées par des minorités nationales: au Danemark, en France (Alsace et Moselle germanophone), en République tchèque, en Slovaquie, en Pologne, en Roumanie et en Moldavie. Il ne reste plus rien de la langue allemande que l'Empire avait imposée dans ses colonies d'Afrique et du Pacifique.

Dernière mise à jour: 17 févr. 2024

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