Province de Québec

(4) L'enjeu de l'immigration
au Québec


 

1. Les règles d'immigration

1.1 Des compétences partagées
1.2 Ententes entre Québec et Ottawa
1.3 La procédure administrative actuelle
1.4 La législation québécoise

2. Les immigrants internationaux permanents

2.1 Les pays d'origine des immigrants
2.2 Les langues parlées par les immigrants
2.3 La répartition des immigrants dans les 17 régions administratives

3. Les immigrants temporaires

3.1 Les travailleurs étrangers
3.2 La situation des étudiants étrangers
3.3 Francisation Québec
3.4 Les difficultés de la francisation

4. Les migrations interprovinciales

4.1 La répartition par province
4.2 Un solde négatif pour le Québec

5. Les composantes de l'accroissement démographique

5.1 Un accroissement démographique
5.2 L'accroissement naturel

6. La difficile gestion de l'enjeu migratoire

6.1 Les erreurs évitables d'Ottawa
6.2 Les égarements de Québec
6.3 Les solutions possibles

 


La question de l'immigration touche en réalité différents types de mouvements migratoires, c'est-à-dire l'immigration internationale (les entrants de divers pays), l'émigration (les sortants), les migrations interprovinciales (entrants et sortants entre les provinces), l'immigration temporaire et les mesures de francisation.

1 Les règles d'immigration

La question démographique ne saurait être complète sans la faire suivre de certaines données fondamentales concernant l'enjeu de l'immigration au Québec. Depuis quelques décennies, le gouvernement du Québec espère compenser en partie les pertes dues à la dénatalité par une hausse de l'immigration. La question est de savoir si les soldes migratoires vont neutraliser les pertes dues à la dénatalité.

1.1 Des compétences partagées

De plus, il faut tenir compte que le Canada est une fédération, ce qui signifie que l'immigration est à la fois de compétence fédérale et provinciale. En vertu de l'article 95 de la Loi constitutionnelle de 1867, l'immigration est une compétence partagée entre le fédéral et les provinces:

Article 95

Pouvoir concurrent de décréter des lois au sujet de l’agriculture, etc.

Dans chaque province, la législature pourra faire des lois relatives à l’agriculture et à l’immigration dans cette province; et il est par la présente déclaré que le Parlement du Canada pourra de temps à autre faire des lois relatives à l’agriculture et à l’immigration dans toutes les provinces ou aucune d’elles en particulier; et toute loi de la législature d’une province relative à l’agriculture ou à l’immigration n’y aura d’effet qu’aussi longtemps et que tant qu’elle ne sera incompatible avec aucune des lois du parlement du Canada.

La politique d'immigration canadienne est mise en œuvre par le gouvernement fédéral, mais ce sont les provinces qui sont chargées d'appliquer cette politique en accord avec leurs priorités en tenant compte de leurs capacités d'accueil en matière de logement, d'éducation, de soins de santé, d'aide sociale, de langue, etc. Si le gouvernement fédéral doit collaborer avec les provinces, ce partage des pouvoirs n'est pas uniforme, puisque les rôles et les responsabilités diffèrent d'une province à l'autre. En même temps, le gouvernement fédéral peut émettre des instructions ministérielles pour gérer le traitement des demandes d'immigration, ainsi que pour instaurer des programmes divers, même si les mesures prises n'ont pas force de loi. En somme, le gouvernement fédéral a plus de pouvoirs que les provinces, mais le Québec dispose cependant de plus de pouvoirs en matière d'immigration que de toute autre province.

1.2 Ententes entre Québec et Ottawa

En 1965, l’Assemblée législative du Québec créait le Service d'immigration du Québec, précurseur du premier ministère de l’Immigration, qui n'a vu le jour qu'en novembre 1968. À cette époque, le Québec n'avait pas encore acquis les compétences constitutionnelles en matière d'immigration. L'entente Couture-Cullen (entre le ministre québécois Jacques Couture et le ministre fédéral George "Bud" Cullen) de 1978 déléguait au Québec la responsabilité de choisir ses immigrants économiques selon ses propres critères.

Par la suite, le ministère de l’Immigration du Québec fut créé à la suite d’un constat : alors que le taux de naissance au Québec connaissait un recul fulgurant, le nombre des immigrants issus des pays francophones baissait aussi. À ce rythme, le nombre des personnes ayant le français comme langue commune allait diminuer petit à petit, au point d’être menacé d’extinction. Étant donné que le Québec voulait à tout prix protéger l’avenir du français, trait fondamental de son identité comme peuple ou comme nation distincte au Canada, il fallait modifier la politique de l'immigration. Le ministère de l’Immigration du Québec est donc né de la volonté de l'État de préserver son identité francophone. Aujourd'hui, l’immigration permet au Québec de sélectionner les immigrants en fonction de critères économiques, sociaux et culturels.

De plus, à la suite de l'accord Canada-Québec du 5 février 1991 (accord Gagnon-Tremblay-McDougall), le Québec put contrôler l'arrivée des immigrants sur son territoire. Ainsi, le Québec pourrait «recevoir un nombre d'immigrants proportionnel à son poids démographique au sein du Canada, plus 5 % additionnel s'il le juge à propos». Afin de favoriser l'accueil et l'intégration des résidents permanents au Québec, il lui revient les droits suivants:

1. d'assurer l'accueil de tous les résidents permanents et de leur assurer un service de référence aux services compétents susceptibles de répondre à leurs besoins;
2. de conseiller les résidents permanents afin de faciliter et d'accélérer leur adaptation et leur intégration à la société québécoise;
3. d'aider les résidents permanents pour leur première installation sur le territoire du Québec;
4. d'aider les résidents permanents à intégrer le marché du travail québécois;
5. de fournir aux résidents permanents les moyens d'apprendre la langue française et de connaître les principales caractéristiques de la société québécoise;
6. de fournir aux résidents permanents dans le besoin une assistance financière temporaire.

Quant au Canada, il lui revenait les responsabilités suivantes:

1. d'informer le Québec des possibilités du marché du travail dans les différentes régions du Québec;
2. de fournir, dans le cadre de ses programmes existants qui n'ont pas été l'objet d'un retrait en conformité avec l'Accord, les services correspondant aux besoins identifiés, notamment en ce qui a trait aux programmes administrés par les centres d'emploi du Canada et offerts à l'ensemble de la population.

Il appert que ce genre d'entente est de nature quasi constitutionnelle, c’est-à-dire qu’elle ne peut être résiliée de façon unilatérale par l’une des deux parties. Il faudrait que les deux parties s’entendent pour la modifier. Depuis 2015, le Québec aurait reçu quelque 5,2 milliards de dollars. C'est un paiement qui ne peut pas diminuer, la méthode de calcul employant le montant de la dernière année comme plancher pour établir celui de l’année suivante. Ce genre de traitement attire les convoitises de plusieurs autres provinces qui voudraient bien avoir droit au même droit.

1.3 La procédure administrative actuelle

Les ressortissants étrangers qui désirent immigrer au Canada pour s’établir au Québec doivent suivre une procédure d’immigration en deux étapes. Ils doivent d'abord déposer une demande de sélection auprès du ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration, lequel est l’autorité d’immigration du Québec. Ensuite, les requérants doivent déposer une demande de sélection auprès du ministère de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, lequel est l’autorité d’immigration du Canada.

Pour immigrer au Canada et s'établir au Québec, il devient nécessaire de répondre aux exigences de chacun des gouvernements provincial et fédéral. Cela peut devenir un parcours du combattant. Actuellement, le Québec est la seule province responsable des programmes d'établissement des immigrants sur son territoire, mais c'est le gouvernement fédéral qui délivre les permis de résidence au Canada.

Pour devenir un travailleur qualifié sélectionné du Québec, il faut déclarer son intérêt à immigrer dans la province et répondre aux critères de sélection du Québec. Parmi ces critères, il faut mentionner celui de posséder une formation professionnelle et des compétences qui faciliteront la recherche d'emploi au Québec. Mais il y en a d'autres comme les connaissances linguistiques, dont la maîtrise du français, l'âge, la présence d'enfants à charge, la capacité d'autonomie financière, les séjours réalisés et la famille déjà établie au Québec, ainsi qu'une offre d'emploi validée, autant pour le demandeur que pour son conjoint ou conjointe.

Ce n'est pas tout. Après avoir reçu un certificat démontrant qu’on a été accepté par Québec en tant qu'immigrant, il faut soumettre la demande de résidence permanente au Canada au ministère fédéral de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Par la suite, avant de recevoir l'approbation de ce ministère fédéral, il faut passer un examen médical et un contrôle de sécurité et de criminalité. Et cela peut demander des délais parce que la main gauche ne voit pas nécessairement ce que fait la main droite! 

Il faut distinguer deux grandes catégories d'immigrants: ceux qui demandent une résidence permanente et les résidents temporaires.

1.4 La législation québécoise

Le ministère de l’Immigration du Québec voulait attirer le maximum d’immigrants parlant français, mais cela devait se faire dans le respect de certaines règles. Pour ce faire, le gouvernement a fait adopter par l'Assemblée nationale deux lois importantes: la Loi sur l'immigration au Québec (2016) et la Loi sur le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l'Intégration (2005-2022).

Dans la Loi sur l'immigration, l'article 1er énonce que la loi a pour but de «favoriser l’intégration» des immigrants, «notamment par l’apprentissage du français»:

Article 1er

La présente loi a pour objets la sélection de ressortissants étrangers souhaitant séjourner au Québec à titre temporaire ou s’y établir à titre permanent, la réunification familiale des citoyens canadiens et des résidents permanents avec leurs proches parents ressortissants étrangers et l’accueil de réfugiés et d’autres personnes en situation particulière de détresse.

Elle a également pour but de favoriser l’intégration des personnes immigrantes et des membres de leur famille qui les accompagnent, notamment par l’apprentissage du français, des valeurs démocratiques et des valeurs québécoises exprimées par la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12).

Elle favorise, par un engagement partagé entre la société québécoise et les personnes immigrantes, la pleine participation, en français, de ces personnes à la vie collective, en toute égalité, en plus de concourir, par l’établissement de relations interculturelles harmonieuses, à son enrichissement culturel.

Enfin, cette loi vise à ce que les personnes immigrantes contribuent notamment à la prospérité du Québec, à la pérennité et à la vitalité du français, langue commune dont la connaissance est la clé d’une participation réussie, au dynamisme des régions ainsi qu’à son rayonnement international.

Article 3

Afin d’élaborer une planification pluriannuelle de l’immigration, le ministre, en tenant compte notamment de la politique québécoise en matière d’immigration, de la demande d’immigration, des besoins du Québec, dont ceux de ses régions, ainsi que de sa capacité d’accueil et d’intégration, propose des orientations pluriannuelles au gouvernement pour leur approbation.

Article 26

Le gouvernement peut déterminer, par règlement, que l’atteinte d’un pointage obtenu par l’application d’une grille de sélection constitue une condition de sélection visée à l’article 9. Cette grille peut comprendre des facteurs et critères de sélection tels que la formation, l’expérience professionnelle
et la connaissance du français.

Article 60

Le ministre élabore
des programmes d’accueil, de francisation et d’intégration des personnes immigrantes. Ces programmes visent notamment l’apprentissage du français, des valeurs démocratiques et des valeurs québécoises exprimées par la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12) ainsi que l’établissement de relations interculturelles harmonieuses.

Ces programmes contribuent, en offrant des services de soutien aux personnes immigrantes, à favoriser leur pleine participation, en français, à la vie collective, en toute égalité, ainsi qu’à leur établissement durable en région.

On notera que l'article 3 exige que dans l'établissement du seuil annuel d'immigration le ministre tienne compte «de sa capacité d’accueil et d’intégration».

Quant à l'article 4 de la Loi sur le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l'Intégration (2005-2022), il prévoit des dispositions concernant la connaissance de la langue française et son usage, ainsi que l'intégration linguistique, sociale et économique des immigrants à la société québécoise:

Article 4

Les fonctions du ministre en matière d’immigration, de diversité ethnoculturelle et d’inclusion consistent plus particulièrement à:

1° planifier le nombre de personnes immigrantes que le Québec souhaite accueillir et la composition de cette immigration;

2° assurer et coordonner, avec le soutien des ministères et organismes concernés, la promotion de l’immigration au Québec ainsi que la prospection et le recrutement des ressortissants étrangers dans les pays étrangers;

3° offrir un parcours d’accompagnement personnalisé aux personnes immigrantes, notamment en leur apportant un soutien dans leurs démarches d’immigration, de francisation et d’intégration ainsi qu’en les informant sur les valeurs démocratiques et les valeurs québécoises exprimées par la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12), l’importance de la langue française, la culture québécoise et le dynamisme des régions;

4° sélectionner, à titre temporaire ou permanent, des ressortissants étrangers en mesure de participer pleinement, en français, notamment par leur intégration au marché du travail, à la société québécoise;

5° contribuer, par la sélection à titre temporaire ou permanent de ressortissants étrangers, à l’occupation et au dynamisme des régions ainsi qu’à répondre aux besoins et aux choix du Québec, notamment aux besoins actuels du marché du travail, en fonction de la réalité économique, démographique, linguistique et socioculturelle;

6° veiller à la réunification familiale, participer aux efforts en matière de solidarité internationale et répondre à d’autres situations humanitaires;

7° coordonner, avec le soutien des ministères et organismes concernés, la mise en oeuvre de services d’accueil, de francisation et d’intégration des personnes immigrantes visant notamment l’apprentissage du français, des valeurs démocratiques et des valeurs québécoises exprimées par la Charte des droits et libertés de la personne;

8° susciter et coordonner l’engagement des ministères et organismes ainsi que des autres acteurs concernés de la société, notamment des municipalités, afin d’édifier des collectivités plus inclusives contribuant à l’établissement durable en région des personnes immigrantes, de favoriser la pleine participation, en français, de ces personnes et des minorités ethnoculturelles à la vie collective, en toute égalité et dans le respect des valeurs démocratiques et des valeurs québécoises exprimées par la Charte des droits et libertés de la personne, ainsi que de concourir, par l’établissement de relations interculturelles harmonieuses, à l’enrichissement culturel de la société québécoise;

9° évaluer l’apport de l’immigration au Québec en assurant un suivi du parcours des personnes immigrantes afin de connaître notamment leur niveau de connaissance du français et leur intégration au marché du travail, en vue d’assurer leur pleine participation à la société québécoise;

10° promouvoir l’apport de l’immigration à la prospérité du Québec, à la pérennité et à la vitalité du français, langue commune dont la connaissance est la clé d’une participation réussie à la vie collective, à l’occupation et au dynamisme des régions ainsi qu’au rayonnement international du Québec .

La lgislation québécoise a pour objets la sélection de ressortissants étrangers souhaitant séjourner au Québec à titre temporaire ou s’y établir à titre permanent. À cela s'ajoutent la réunification familiale des citoyens canadiens et des résidents permanents avec leurs proches parents ressortissants étrangers et l’accueil de réfugiés et d’autres personnes en situation particulière de détresse.

La loi a également pour but de favoriser la pleine participation, en français, à la vie collective, en plus de concourir, par l’établissement de relations culturelles harmonieuses, à son enrichissement culturel. De plus, cette loi vise à ce que les personnes immigrantes contribuent notamment à la prospérité du Québec, à la pérennité et à la vitalité du français, au dynamisme des régions ainsi qu’à son rayonnement international. Ce sont là de beaux principes qui demandent à être transposés dans la réalité.

2 Les immigrants internationaux permanents

En général, le gouvernement québécois approuve les demandes de résidence permanente de plus de 300 000 personnes, qui se sont inscrites au titre de l'une des trois grandes catégories d'immigration, soit l'immigration économique, le regroupement familial et les motifs d'ordre humanitaire. Le résident permanent est une personne qui correspond aux exigences suivantes:

1. elle a obtenu des autorités fédérales le droit de s’établir de façon permanente sur le territoire canadien;
2. elle n’a pas acquis la citoyenneté canadienne par naturalisation;
3. elle n'a pas perdu sa résidence permanente.

L'immigration économique comprend principalement les travailleurs qualifiés, les gens d'affaires (entrepreneurs, investisseurs, travailleurs autonomes, etc.) et les étudiants internationaux qui ont obtenu un diplôme d'un établissement post-secondaire au Québec. En plus des demandes concernant le regroupement familial, il y a aussi les réfugiés: ceux qui sont sélectionnés à l’étranger, ceux pris en charge par l’État, ceux qui sont parrainés par des associations ou des Québécois, et les réfugiés reconnus sur place. Au total, on peut considérer qu'il s'agit d'environ 50 000 personnes, voire davantage. De ce nombre, entre 60% à 70% maîtrisent le français.

S'il existe des demandeurs d'asile pour venir vivre de façon permanente au Canada et au Québec, il faut compter aussi sur des immigrants non permanents, c'est-à-dire ceux qui viennent ici pour une durée limitée, quelques mois ou quelques années. On y reviendra plus loin. 

2.1 Les pays d'origine des immigrants

Selon le Recensement du Canada de (2021), la population québécoise comptait 1,42 million d’immigrants non permanents (RNP). La France était le pays d’où provenait le plus grand nombre d’entre eux, soit plus de 135 000 personnes, mais c'était selon les données de 2021 basées sur l'année précédente.

On constate la France arrivait en premier suivie d'Haïti, de l'Algérie et du Maroc. Viennent ensuite la Chine, l'Inde, l'Italie, le Liban, la Colombie, les Philippines, les États-Unis, la Roumanie, la Syrie et le Vietnam.

Le tableau ci-contre indique aussi un certain nombre d'immigrants temporaires, dont le nombre le plus élevé vient encore de la France, avec une proportion assez importante en Inde.
 

Immigration 2022 au Québec
  Pays Langues parlées principales Nombre Pourcentage
1 France français 11 055 16,1 %
2 Chine chinois (mandarin ou cantonais) 6 817 9,9 %
3 Algérie arabe et français 3 776 5,5 %
4 Haïti créole et français 3 715 5,4 %
5 Tunisie arabe et français 3 459 5,0 %
6 Maroc arabe et français 3 291 4,8 %
7 Cameroun langue africaine et français 3 036 4,4 %
8 Brésil portugais 2 115 3,1 %
9 Iran iranien 1 890 2,8 %
10 Côte d'Ivoire langue africaine et français 1 822 2,7 %
11 Inde langue indienne et anglais 1 714 2,5 %
12 Colombie espagnol 1 523 2,2 %
13 États-Unis anglais 1 297 1,9 %
14 Congo-Kinshasa langue africaine et français 1 114 1,6 %
15 Liban arabe et français 1 047 1,5 %
  Autres pays langues diverses 21 033 30,6  %
Nombre total d'immigrants : 68 704
L'Institut de la statistique du Québec publiait en 2023 le tableau ci-contre. Il s'agit des immigrants permanents. En pourcentage, la France représentait 16,1% des immigrants devant la Chine (9,9%), l’Algérie (5,5%), Haïti (5,4%) et la Tunisie (5,0%).

Les pays qui suivent contribuent à amener également un nombre appréciable d'immigrants: le Maroc (4,8%), le Cameroun (4,4%), le Brésil (3,1%), l'Iran (2,8%), la Côte d'Ivoire (2,7%), l'Inde (2,5%), la Colombie (2,7%), les États-Unis (1,9%), le Congo-Kinshasa (1,6%) et le Liban (1,5%).

De plus, une proportion importante de 30% n'est pas identifiée. En fonction des années antérieures, il s'agit des Philippines, du Burundi, du Mexique, du Venezuela, la Turquie, l'Irak, l'Ukraine, etc. 

 

2.2 Les langues parlées par les immigrants

Année Français Anglais Autre langue total
2010 8 314 1 339 44 329 53 982
2011 7 178 1 638 42 862 51 738
2012 11 095 3 026 40 923 55 044
2013 9 812 1 731 40 433 5 976
2014 8 314 1 580 40 341 50 235
2015 9 476 1 333 38 157 48 966
2016 9 596 1 376 42 275 53 247
2017 9 090 1 474 41 836 52 400
2018 8 684 1 604 40 835 51 123
2019 7 128 1 104 32 333 40 565
2020 5 795 829 18 603 25 228
2021 14 468 1 746 34 061 50 275
2022 1 898 1 777 48 629 68 704
Le tableau ci-contre, publié par l'Institut de la statistique du Québec, indique la langue maternelle des immigrants permanents entre les années 2020 et 2022.

On peut constater qu'une minorité des ressortissants étrangers ont le français comme langue maternelle, les années où il y en a eu davantage furent 2012 et 2021. En 2022, ce fut un très petit nombre (1898 pour le français et 1777 pour l'anglais).

En pourcentage, on suppose que plus de 70% des immigrants n'ont pas le français ni l'anglais comme langue maternelle. Pourtant, la France contribue à la hauteur de 16% dans l'apport des immigrants, alors que le tableau indique qu'en 2022 seuls 2,7% parlent le français comme langue maternelle (1898).

Le tableau suivant est plus éclairant. Il indique le nombre d'immigrants selon la connaissance du français et de l'anglais au Québec, entre 2010 et 2022:

Année Français (seulement) Français et anglais Connaissant le français (*) Anglais
(seulement)
Ni français ni anglais Non déclaré Total
2010 14 337 20 814 35 151 7 831 11 000 0 53 982
2011 13 895 18 926 32 821 8 659 10 258 0 51 738
2012 14 248 19 669 33 917 8 793 12 334 0 55 044
2013 13 090 16 718 29 808 7 376 14 792 0 51 976
2014 14 103 17 224 31 327 8 719 10 189 0 50 235
2015 13 596 14 847 28 443 9 970 10 482 71 48 966
2016 13 876 15 138 29 014 11 592 11 889 752 53 247
2017 12 184 13 864 26 048 14 124 10 885 1 343 52 400
2018 11 624 12 818 24 442 14 710 10 224 1 747 51 123
2019 10 026 9 845 19 871 11 818 8 223 653 40 565
2020 7 186 7 909 15 095 6 052 3 854 226 25 227
2021 14 194 20 257 34 451 9 825 5 478 521 84 726

(*) La catégorie «Connaissant le français» regroupe les personnes pouvant communiquer en français ou en français et en anglais. Ce tableau indique qu'en 2022 ceux qui connaissent le français (46 094) atteignent 67% des nouveaux arrivants, contre 33 % qui parleraient anglais ou une autre langue. En fait, les démographes ont trouvé un terme pour identifier les immigrants qui n'ont pas le français comme langue maternelle, mais qui sont issus d’une culture ou d’une région ayant des affinités avec cette langue: les «francotropes». En général, il s'agit de personnes d'origine latine (espagnol, catalan, italien, portugais, roumain, etc.) ou originaires du Maghreb.

2.3 La répartition des immigrants dans les 17 régions administratives

Rappelons qu'il existe 17 régions administratives au Québec (voir la carte).

Région administrative Entrants Pourcentage
Montérégie 35 508 17,1 %
Montréal 29 146 14,1 %
Laurentides 25 362 12,2 %
Lanaudière 21 935 10,6 %
Laval 17 089 8,2 %
Capitale-Nationale 15 948 7,7 %
Estrie 14 769 7,1 %
Chaudière-Appalaches 10 629 5,1 %
Mauricie 8 094 3,9 %
Centre-du-Québec 7 717 3,7 %
Bas-Saint-Laurent 4 564 2,2 %
Outaouais 4 750 2,2 %
Saguenay-Lac-Saint-Jean 4 304 2,0 %
Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine 2 398 1,1 %
Abitibi-Témiscamingue 1 879 0,9 %
Côte-Nord 1 802 0,8 %
Nord-du-Québec 787 0,2 %
Institut de la statistique du Québec, 2023206 681 100 %
Le tableau ci-contre indique le nombre des immigrants qui s'installent dans les régions administratives. IL s'agit dans ce cas-ci de tous les immigrants, internationaux et interprovinciaux, permanents et non permanents. Selon l'Institut de la statistique du Québec, près des deux tiers (62,2 %) des immigrants s'installent dans la grande agglomération montréalaise: Montérégie (17,1%), Montréal (14,1%), Laurentides (12,2%), Lanaudière (10,6%) et Laval (8,2). La Montérégie au sud de Montréal compte des villes importantes comme Longueuil, Saint-Jean-sur-Richelieu, Brossard, Saint-Hyacinthe, etc. Pour les Laurentides (au nord de Laval), ce Saint-Jérôme, Blainville, Sainte-Thérèse, Mirabel, etc. Enfin, dans Lanaudière (à l'est de Montréal), ce sont Repentigny, Charlemagne, L'Assomption et Joliette. Cependant, en même temps, Montréal avait perdu 34 469 citoyens et Laval 815.

Les autres immigrants sont allés dans la Capitale-Nationale ou Québec (7,7%), l'Estrie (7,1%), Chaudière-Appalaches (5,1%), la Mauricie (3,9%), le Centre-du-Québec (3,7%). Les immigrants ne semblent pas attirés vers les régions plus excentriques que sont le  Saguenay-Lac-Saint-Jean, le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie, l'Outaouais, l'Abitibi, la Côte-Nord et le Nord-du-Québec. Néanmoins, au cours de l'année 2023, ces régions, sauf le Nord-du-Québec, ont atteint des sommets en ce qui concerne l'arrivée des immigrants internationaux.

3 Les immigrants temporaires

Un résident temporaire est un ressortissant étranger qui est autorisé à être présent sur le territoire pour une période limitée et qui quittera le territoire à l’expiration de son statut, à moins que ce statut soit prolongé ou qu’il acquière un autre statut. Qui sont ces personnes? l'éventail est large:

- un travailleur désigné à un employeur déterminé;
- un étudiant étranger, dont le but principal du séjour est d’étudier et qui est autorisé à le faire;
- un visiteur ou un touriste qui, à titre temporaire, se trouve légalement au Canada, mais sauf exception ce statut ne confère pas le droit de travailler ou d’étudier;
- un titulaire de permis de séjour temporaire qui ne satisfait pas à toutes les exigences fédérales, mais qui est autorisé à entrer et séjourner sur le territoire.

En 2022, Statistique Canada dénombrait 360 936 immigrants temporaires au Québec, qu’on appelle aussi des «résidents non permanents». Ce nombre atteignait en 2023 plus de 525 000, soit une hausse de 46 % en un an; et la tendance semble se maintenir. Les gouvernements fixent des seuils annuels d’immigrants permanents, mais dans le cas des temporaires il n’existe aucun seuil, donc aucune limite, ce qui explique l’explosion révélée par les données de Statistique Canada. Durant l'année 2022, il y a eu au moins trois fois plus de permis délivrés ou renouvelés pour les temporaires que pour les résidents permanents.

3.1 Les travailleurs étrangers

Ce sont les travailleurs étrangers qui forment le plus gros contingent de résidents non permanents au Québec. Ils sont 225 684, si l’on inclut les membres de leur famille. Cela représente 43 % du total des immigrants temporaires. Seulement au 3e trimestre de 2023, la répartition était la suivante:

Permis de travail 200 522 42,57 %
Demandeurs d'asile 146 723 31,15 %
Permis d'études 102 657 21,79 %
Autres  21 074   4,47 %
Total 470 976 100 %

Les travailleurs étrangers temporaires en sol québécois sont surreprésentés dans certaines industries, telles que la restauration et l’hébergement, mais se retrouvent sous-représentés dans des secteurs où les besoins de main-d’œuvre sont pourtant tout aussi criants, comme dans le réseau de la santé ou dans le secteur de la construction. La sous-représentation des immigrants temporaires en santé s'explique, entre autres, par les qualifications nécessaires et la reconnaissance des compétences. En construction, la réglementation plus complexe et contraignante au Québec que dans les autres provinces représente aussi un obstacle. Or, les immigrants temporaires qui ne connaissent pas le français s’expriment pour la vaste majorité (86 %) en anglais au travail.

3.2 La situation des étudiants étrangers

La catégorie des étudiants contribue à l’explosion du nombre de nouveaux arrivants au Canada. En 2021, la situation linguistique paraissait déjà préoccupante chez les titulaires d'un permis d'études. Non seulement 44 % d'entre eux employaient l'anglais de façon prédominante au travail. Dans la région métropolitaine de recensement de Montréal, près de 53 % des étudiants étrangers travaillaient principalement en anglais. De plus, en 2022, parmi les personnes qui ont obtenu un permis de travail post-diplôme, 48 % ne connaissaient pas le français.

De plus, dans tout le Canada, de 637 000 qu'ils étaient en 2019, le nombre est passé à 807 000 trois ans plus tard. Cependant, 19% de ces 800 000 n’étudient pas vraiment, ce qui représente plus de 150 000 faux étudiants. Le programme fédéral, qui s'applique aussi au Québec, leur permet de s'inscrire dans un établissement bidon en se faisant délivrer des visas d’étudiants. Donc, ce sont de faux étudiants et de faux collèges ou écoles qui permettent à des dizaines de milliers d'immigrants d'entrer au Canada. Par ailleurs, la France demeure le pays d’origine du contingent le plus gros année après année, mais plusieurs Français étudient dans des universités anglophones.

3.3 Francisation Québec

Francisation Québec est l’unique point d’accès gouvernemental pour les services d’apprentissage du français. Francisation Québec est instituée au sein du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration par la Charte de la langue française, Titre II.2, art. 156.23 à 156.26. Francisation Québec est responsable de conduire et de gérer l’action gouvernementale en matière de services d’apprentissage du français, pour les cas suivants:

- les personnes adultes domiciliées au Québec ;
- les personnes qui envisagent de s’établir au Québec ;
- les travailleurs et travailleuses au sein des entreprises.

La Charte de la langue française prévoit notamment que toute personne domiciliée au Québec a droit à des services d’apprentissage du français. L’offre de cours permet l’apprentissage du français pour les différents stades : débutant, intermédiaire ou avancé. Des ressources en ligne libre d’accès qui contribuent à l’apprentissage du français sont aussi offertes par Francisation Québec. La durée des cours est de 10 semaines de cours par session; ce qui implique un horaire de 25 à 30 heures de cours par semaine, du lundi au vendredi, entre 8 h 30 et 16 h 00. Les cours offerts aux adultes sont facultatifs et ils regroupés en quatre catégories : 1) Cours à temps complet; 2) Cours à temps partiel; 3) Cours spécialisés; 4) Cours en milieu de travail.

En ce qui concerne les enfants des immigrants, plus de 80 % d'entre eux sont scolarisés dans le système scolaire francophone. La grande majorité de ceux qui commencent leur scolarité à un âge jeune y réussit bien. Leur intégration linguistique en français se mesure aussi par leur degré de réussite dans l’intégration au monde du travail francophone.

3.4 Les difficultés de la francisation

Du fait que la majorité de la population du Québec parle le français comme langue maternelle, le gouvernement du Québec doit, contrairement aux autres provinces anglaises, faire en sorte d'intégrer les immigrants au sein d'une société francophone, ce qui constitue un défi supplémentaire, car la tendance en Amérique du Nord serait que les immigrants apprennent normalement l'anglais au lieu du français.  

Depuis 2023, on peut affirmer que le discours sur les immigrants temporaires émerge dans l’espace public, non seulement à cause de leur nombre en nette augmentation, mais aussi en raison de la langue qu’ils parlent ou plutôt qu’ils ne parlent pas. Voici quelques données factuelles:

- En 2021, 33,4 % de l'immigration temporaire était incapable de soutenir une conversation en français, soit 60 635 personnes de 15 ans et plus.

- De 2021 à 2023, la population non permanente qui ne connaissait pas le français aurait pratiquement triplé.

- La proportion de la population québécoise incapable de soutenir une conversation en français aurait atteint environ 7,2 % en 2023, comparativement à 5,6 % en 2016.

- En 2021, 35,5 % des immigrants temporaires travaillaient principalement en anglais. La proportion était la plus élevée chez les titulaires d'un permis d'études (44,1%), tout en étant très forte chez les titulaires d'un permis de travail (32,9%) et chez les personnes demandeuses d'asile (29,2%).

- En 2023, une minorité de personnes ne maîtrisant pas le français a participé aux cours offerts par le gouvernement du Québec, soit environ 39,5% des titulaires d'un permis de travail, 14,1% des titulaires d'un permis d'études et 5,2% des personnes demandeuses d'asile.

Ébranlé en 2017 par un rapport de la vérificatrice générale du Québec, le gouvernement a mis les bouchées doubles pour mieux franciser les immigrants : budgets additionnels, refonte des programmes, hausse de la clientèle admissible. Mais cinq ans plus tard, malgré un bilan amélioré, seulement 43,5 % des immigrants qui ne parlent pas français étaient inscrits à des cours de francisation.

En 2023, moins d’un immigrant sur deux était en cours de francisation. La proportion de la population québécoise incapable de soutenir une conversation en français aurait atteint 7,2%, cette année-là, comparativement à 5,6 % en 2016. En deux ans, de 2021 à 2023, l’augmentation de l’immigration temporaire aurait entraîné une hausse d’environ 1% de l’usage prédominant de l’anglais au travail; cette hausse s’ajouterait à celle d’environ 2,1% observée sur dix ans entre 2011 et 2021, selon les données du Commissaire à la langue française.

Du côté des titulaires d'un permis d'études, la situation linguistique était particulièrement préoccupante déjà en 2021. En effet, 44 % d'entre eux employaient l'anglais de manière prédominante au travail. Dans la région métropolitaine de recensement de Montréal, près de 53 % des étudiants étrangers travaillaient principalement en anglais. De plus, en 2022, parmi les personnes qui ont obtenu un permis de travail post-diplôme, 48 % ne connaissaient pas le français.

- Le rapport du Commissaire à la langue française

En février 2024, le Commissaire à la langue française du Québec déposait à l'Assemblée nationale son rapport «Immigration temporaire : choisir le français». Il y présentait un portrait détaillé et actuel de la connaissance et de l'usage du français par les immigrants non permanents, y compris les titulaires d'un permis de travail, les titulaires d'un permis d'études et les demandeurs d'asile.

Selon le Commissaire à la langue française, la plupart les immigrants temporaires qui auraient besoin d'apprendre le français ne se sont pas inscrits aux cours offerts par Francisation Québec. De plus, ceux qui y participent consacrent à leur apprentissage un temps insuffisant pour réussir à parler couramment le français. Le commissaire déclare: «Selon mes calculs, il faudrait dégager une somme entre 11 milliards et 13 milliards pour couvrir les coûts associés à l'apprentissage du français de tous les résidentes et résidents non permanents qui ne le maîtrisent pas.»  Ce sont des sommes considérables pour une province canadienne, l'équivalant de 7,5 à 8,4 milliards d'euros.

Évidemment, le Québec n'ira pas jusque là, bien qu'il ait augmenté ses dépenses des dépenses de 98 %, tandis que le nombre de participants aux cours n’a augmenté que de 40%. Il y a plusieurs facteurs, selon les spécialistes, mais les deux principaux sont la faiblesse des compensations financières accordées aux élèves et la lourdeur du système.

- Les incitations financières

L'offre de francisation demeure intéressante pour tout immigrant. La personne qui suivait en 2023 des cours de français à temps complet touchait en 205 $ (140 €) par semaine. À temps partiel, l’allocation est de 26 $ (18 €) par jour de formation. À cela s’ajoutent des sommes pour le transport et les frais de garde. Un revenu de 205 $ ou de 140 € par semaine, ce n'est pas assez pour une personne, même seule, encore moins un couple ou un parent qui a des enfants, pour suivre des cours de francisation à long terme de manière décente. Cela correspond à un revenu de 5,85 $/heure (env. 4 €/heure). Le salaire horaire au Québec le 1er mai 2024 est de 15,75$, soit 10,7 €. Il est probable qu'à la première occasion, les personnes vont abandonner les cours pour aller travailler. Ce sont des adultes, ils ont des familles, des enfants, ils doivent subvenir à leurs besoins.

Quant au temps partiel, il semble tout aussi exigeant dans la mesure où les gens travaillent au moins 40 heures/semaine. S’ils ont un permis de résidence temporaire, ils sont dans l’obligation de travailler ou d’étudier à temps plein. Évidemment, s'il faut s'ajouter des cours de francisation, cela devient extrêmement épuisant. Est-ce l'impasse?

4 Les migrations interprovinciales

Il n'y a pas que l'immigration internationale dont il faut tenir compte, car l'immigration interprovinciale joue aussi un rôle important. Il suffit de consulter le tableau suivant qui indique, selon l'Institut de la statistique du Québec, les migrations entre le Québec et les autres provinces canadiennes (2022). 

4.1 La répartition par province

En 2022, la répartition des migrations interprovinciales se présentaient ainsi: 

Indicateur Terre-Neuve Île-du-Prince-
Édouard
Nouvelle-
Écosse
Nouveau-Brunswick Ontario Manitoba Saskatchewan Alberta Colombie-
Britannique
Yukon Territoires
du Nord-Ouest
Nunavut Total
2022
Entrants 294 111 726 1 706 15 550 559 352 2 749 2 808 7 154 136 25 152
Sortants 273 149 941 2 120 18 867 821 469 4 257 3 706 119 163 84 31 969
Solde 21 - 28 - 215 - 414 - 3 317 - 262 - 117 - 1508 - 898 - 112 -9 52 -6817

En 2022, le Québec a reçu 25 152 immigrants venus des autres provinces canadiennes, mais en a perdu 31 969, pour un solde négatif de 6817 citoyens. Il s'agit d'une seule année. Or, l'immigration interprovinciale est déficitaire pour le Québec depuis une quinzaine d'années, sinon davantage. Ainsi, l'immigration interprovinciale joue nettement contre le Québec qui perd plus de citoyens qu'il n'en gagne. Depuis 2012, le Québec a perdu annuellement en moyenne quelque 10 000 de ses citoyens, qui ont émigré dans les provinces anglaises, et a accueilli à peine plus de 21 000 migrants canadiens au total.

Cette situation reflète surtout les changements survenus au sein de la population anglophone. Le nombre d'anglophones qui ont quitté le Québec était particulièrement élevé avant les années 2000 et surtout durant les années 1960 et 1970; toutefois, il s’est maintenu à un niveau inférieur depuis une vingtaine d’années. Plus récemment, entre 2016 et 2021, c’est surtout le nombre d'anglophones entrant au Québec qui a augmenté, et il a presque atteint le nombre de sortants. La plupart des francophones hors Québec viennent du Manitoba ou de l'Alberta et s'établissent au Québec d'abord, puis dans la région d'Ottawa ou dans l'est de l'Ontario.

4.2 Un solde négatif pour le Québec

Cependant, si le solde interprovincial a toujours été négatif pour le Québec, la situation n’a quand même rien d’une catastrophe. S’il est vrai que, depuis 1990, le Québec a perdu quelque 60 000 citoyens au profit des autres provinces, l’Ontario en a perdu 58 000, le Manitoba, 137 000, la Saskatchewan, 183 000. Ce sont la Colombie-Britannique et l’Alberta qui sont les deux grandes gagnantes de ces mouvements interprovinciaux. En réalité, si le Québec avait perdu, par rapport à sa population de neuf millions, autant de citoyens que la Saskatchewan en vingt-cinq ans, ce n’est pas une perte de 440 000 qu’il lui faudrait encaisser, mais une perte de 1,4 million d’habitants! Cela dit, tous ces départs coûtent néanmoins très cher au Québec. Au plan économique, social, linguistique, culturel et démographique, il s'agit d'un énorme déficit dont le résultat est difficilement mesurable.

5 Les composantes de l'accroissement démographique

Selon l'Institut de la statistique du Québec, les composantes de l'accroissement démographique du Québec s'établissaient comme suit en 2022.

5.1 Un accroissement démographique

Selon l'Institut de la statistique du Québec (ISQ), la population québécoise a augmenté de 149 900 personnes en 2022. Cette croissance record repose essentiellement sur l’immigration, car l’accroissement naturel, soit la différence entre le nombre de naissances et le nombre de décès, n’est que de 2300 personnes.

Cette année-là, le Québec a connu en 2022 la plus forte croissance de sa population depuis 50 ans. Au 1er janvier dernier 2023, le nombre d’habitants s’élevait à 8,8 millions, en hausse de 1,7%. L’accroissement migratoire, c’est-à-dire le nombre d’entrées moins le nombre de sorties, a atteint 146 400 personnes en 2022. Cet apport provient d’un solde migratoire international de 149 500 personnes et d’un solde migratoire interprovincial négatif de 3100 personnes. En tout, 68 700 immigrants permanents et 86 700 résidents non permanents ont été admis au Québec, et 5900 personnes sont parties vers d’autres pays.
 

D'après l'ISQ: «Le Québec n’avait jamais connu un solde aussi élevé depuis que des données comparables sont disponibles (1972).»

5.2 L'accroissement naturel

En somme, si le Québec avait uniquement compté sur l’accroissement naturel de sa population, sa croissance démographique serait quasi nulle, avec un gain de 2300 personnes. Sans l'immigration, la population stagnerait. L'ISQ explique ce faible accroissement naturel par deux phénomènes: une fécondité en baisse et une mortalité en hausse. Donc, peu de naissances et plus de décès. Cette augmentation exceptionnelle des décès s’explique notamment par la pandémie et la circulation d’autres virus respiratoires.

Une surprise attendait les démographes: le Québec a atteint les neuf millions de résidants en 2024.

6. La difficile gestion de l'enjeu migratoire

Comme tout ce qui relève des actions humaines, l'immigration présente ses côtés positifs et ses côtés négatifs, selon la gestion que les gouvernements en font. Avec tout au plus 22% de la population du Canada, le Québec recevait en 2023 plus de 55% des immigrants temporaires. Dans l’ensemble du Canada, notamment en Ontario et en Colombie-Britannique, le nombre de résidents non permanents est aussi en explosion. Sur une population estimée de 40,5 millions, on compte plus de 2,5 millions de résidents temporaires. Un an auparavant, ces résidents comptaient pour 1,7 million de personnes. La tentation est grande d'accuser les immigrants de tous les maux, mais ce sont les gouvernements qui gèrent les programmes, qui ne prévoient guère ou qui planifient mal. Contrairement aux autres provinces canadiennes, le Québec doit aussi tenir compte de la francisation des nouveaux arrivants, ce qui ajoute des mesures et des coûts.

6.1 Les erreurs évitables d'Ottawa

C'est le gouvernement du Canada qui accepte le nombre des immigrants temporaires. C'est lui qui leur ouvre les bras sans compter, sans en limiter le nombre, peu importe les conséquences «sur le terrain». Ce n'est pas lui qui devra les intégrer et construire de nouveaux logements, de nouvelles écoles, de nouvelles cliniques, de nouveaux centres d'aide sociale, etc.

C'est le ministère de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada qui multiplie les obstacles aux immigrants lorsqu'ils font des erreurs prévisibles pour remplir un formulaire dont ils ne connaissent ni les tenants ni les aboutissements; ils peuvent le payer cher, comme l'expulsion du pays. 

Ce sont les fonctionnaires fédéraux qui, depuis 2021, refusent 51% des étudiants étrangers francophones, alors que ce pourcentage chute à 20 % pour les anglophones. En fait, les demandes de permis d’études qui sont rédigées en français sont refusées bien plus souvent que celles en anglais. Pour avoir un permis d'étudiant international, il faut être inscrit dans un établissement, déclarer sa situation financière et prouver à un agent que l'on va quitter le Canada après l'expiration du visa. Or, on refuse souvent des permis d'études de personnes de certains pays: en pratique, cela signifie que dans les pays africains francphones, le taux de refus atteint les 90%. Le motif de refus le plus souvent invoqué est que le requérant ou la requérante ne serait pas en mesure de démontrer à l’agent que cette personne pourra subvenir à ses besoins pendant son séjour au Canada ou qu'elle-même ou sa famille est en mesure de payer pour ses études. Des pays francophones comme le Congo-Kinshasa, l’Algérie et le Sénégal ont enregistré dans les dernières années des taux de refus entre 73% et 82%, sinon 90%. Ce nombre chute considérablement à 19 % pour l’Asie, 14 % pour les Amériques et 11 % pour l’Europe.

C'est encore le gouvernement du Canada qui permet aux étudiants de prolonger leur séjour en leur accordant un permis de travail «post-diplôme». Dans les faits, le fédéral refuse davantage les demandes de permis déposées par les francophones et les étudiants africains. Immigration, Réfugiés, Citoyenneté Canada (IRCC) a reconnu que les décisions de ses agents pouvaient être «teintées par des préjugés raciaux» et s’est engagé à rectifier le tir. En 2021, 72 % des demandes effectuées par des étudiants africains au Québec ont été refusées. Le taux de refus était de 52 % en Ontario.

C'est le gouvernement canadien qui veut augmenter considérablement le nombre des immigrants dans le pays, sans se préoccuper de leur intégration qui devra être gérée par les provinces. C'est lui qui accuse d'alarmistes ceux qui dénoncent le trop grand nombre d'immigrants en raison des capacités d'accueil limitées. C'est lui qui recule ensuite lorsque c'est le temps de délier les cordons de sa bourse. Bref, l'administration fédérale n'est guère réputée pour son efficacité au Canada! C'est un paquebot très lourd incapable de changer de direction.   

C'est le gouvernement fédéral qui ne rate aucune occasion pour mettre des bâtons dans les roues à Québec en matière d'immigration. C'est presque de l'acharnement pour montrer à cette province qui est le patron dans ce domaine. Dès qu'une négociation s'annonce difficile, Ottawa décide unilatéralement ou rompt les pourparlers, c'est lui qui a le dernier mot! Plutôt que de faire la leçon au gouvernement du Québec, Ottawa devrait accélérer les traitements dans de nombreux dossiers dont il a la responsabilité et mieux répartir les demandeurs d'asile à travers le pays. Bref, le gouvernement Trudeau fait preuve de laxisme dans ces dossiers et démontre un attentisme méprisant face aux demandes du Québec.

Certains accusent Ottawa de miser sur l'immigration massive afin de minoriser à long terme la population francophone du Québec, une stratégie de «noyade démographique» ou de minorisation dans le but ultime d'en finir un jour avec cette province récalcitrante qui s'entête à être différente des autres. Les intérêts vitaux du Québec n'intéressent guère le gouvernement fédéral qui semble agir davantage en agent colonial plutôt qu'en défenseur de sa minorité canadienne. Pour lui, le Québec est une minorité qui irrite constamment la majorité anglaise du pays. Cette stratégie amène le gouvernement du Québec à une position précaire dont le pouvoir de négociation est quasi nul face à son vis-à-vis le fédéral. Les campagnes de relations publiques menée par les ministres québécois désarmés ne changeront rien à la stratégie fédérale d'accentuer la minorisation du Québec francophone dans un «Canada postnational». On peut m^me se demander si le Canada ne vise pas à augmenter le bassin d’appuis fédéralistes dans l’éventualité d’un référendum sur l’indépendance du Québec.

Bref, le gouvernement fédéral n'est pas un protecteur pour le Québec, au contraire. Durant toute l'histoire de la fédération canadienne, c'est seulement le gouvernement de Brian Mulroney (1984-1993) qui fut un allié du Québec plutôt qu'un adversaire. Le Canada anglais ne lui d'ailleurs a jamais pardonné en lui retirant son appui. Le gouvernement fédéral ne semble pas tenir compte que la société québécoise est une minorité sur ce continent avec en prime une langue à protéger. Pour le Canada anglais, ces préoccupations n'existent pas.  

6.2 Les égarements de Québec

C'est aussi le gouvernement du Québec qui veut attirer davantage d’étudiants étrangers francophones avec une promesse de «passerelle rapide» pour la résidence permanente. C'est le gouvernement du Québec qui n'ose pas investir davantage dans la francisation aux immigrants, qui n'a pas prévu la construction de logements, d'écoles, de cliniques, etc. C'est le gouvernement du Québec qui, devant la hausse considérable du nombre d’étudiants étrangers, ne se dote pas d'un programme d’accès rapide à la résidence permanente pour les diplômés étrangers, et ce, d'autant plus qu'ils constituent des candidats de choix à l’immigration; il faudrait éliminer l’exigence de l’expérience de travail post-diplôme pour les étudiants étrangers. C'est le gouvernement du Québec qui croule sous les demandes en retard et, comme à Ottawa, sans prendre les moyens de simplifier les exigences administratives.

En vertu des ententes conclues avec Ottawa, le Québec a le pouvoir d’autoriser ou de refuser l’entrée de travailleurs étrangers temporaires ou d’étudiants en séjour temporaire. Il a aussi la possibilité d’en limiter le nombre en établissant un plafond annuel, un pouvoir qu’il n’a jamais exercé.

- La bilinguisation de la fonction publique

L'État québécois n'a pas toujours été un modèle linguistique exemplaire en matière de francisation des immigrants. En effet, depuis quelques décennies, le bilinguisme institutionnel s’est grandement développé dans le secteur public québécois qui misait sur l'«approche client». L'État québécois a bilinguisé ses institutions dans le but de desservir ses citoyens d'expression anglaise, ce qui en soi démontre une grande ouverture à l'égard de sa minorité anglophone, mais cette bilinguisation a servi également aux membres des communautés allophones qui ignoraient le français ou qui préféraient recourir à l'anglais. Tous les immigrants qui, pour une raison ou une autre, emploient plutôt l'anglais ont souvent été considérés comme faisant partie de la «minorité anglophone».

Pour quelles raisons un immigrant apprendrait-il le français quand tout est bilingue, y compris au gouvernement du Québec? À l'exemple des entreprises privées, de plus en plus de postes dans le secteur public québécois exigent désormais la maîtrise de l’anglais. Ainsi, au lieu d’obliger les immigrants à se franciser, l’État québécois investit dans la bilinguisation institutionnelle pour les 5 % de la population active ignorant le français. L'État québécois, lors des négociations collectives, propose subtilement une certaine «prime du bilinguisme» en faisant pression pour «bilinguiser» la fonction publique. Les ministères et les sociétés les plus bilinguisés sont l’Éducation, l’Emploi et de la Solidarité sociale, le Développement durable, l’Environnement, Hydro-Québec, la Société des alcools, la Régie des courses et des jeux, la Société des loteries vidéo du Québec, la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ), la Commission des transports du Québec, la Régie du logement, le Directeur de l'État civil, etc. Le message envoyé par l’État paraît évident : il n'est pas nécessaire de connaître le français au Québec. Quand un immigrant utilise l'anglais avec le gouvernement, un «code de langue» est inscrit à son dossier, avec le résultat qu'il recevra sa correspondance en anglais pour le restant de ses jours. On revient au libre choix tant décrié pour la fréquentation scolaire.

Dans l'état actuel, le but d'offrir des services en anglais aux citoyens anglophones a pour conséquence d'exiger la «bilinguisation» de la fonction publique tout entière. Cela ne paraît pas normal, car le bilinguisme ne devrait être obligatoire que pour un petit nombre de fonctionnaires. Cette politique de bilinguisation a des effets pervers: elle favorise la réduction du bilinguisme chez les non-anglophones et les anglophones, ce qui a pour conséquence d'augmenter le bilinguisme de la majorité francophone.

- La non-reconnaissance des diplômes

Le Québec reconnaît rarement les diplômes de l'étranger. Les ordres professionnels veillent au grain et exercent un contrôle constant sur la formation acquise dans un autre pays. La reconnaissance des diplômes demeure un irritant pour les immigrants diplômés à l’étranger qui décident de s’établir au Québec. En 2002, sur les 3661 demandes de diplômés hors Québec pour l’intégration d’un ordre professionnel, seulement 34 % ont reçu une reconnaissance complète de leurs diplômes, 3% ont essuyé un refus et la grande majorité, soit 63 %, a dû subir des restrictions liées à une reconnaissance partielle ou une situation étudiée. De ce dernier groupe, 66 % finissent par avoir leur reconnaissance complète, alors que 34 % échouent ou abandonnent carrément le processus. Pourtant, un sondage de la firme de sondage Léger démontrait que près de la moitié de ces personnes s’installaient au Québec pour améliorer leurs perspectives professionnelles.

La vaste majorité des immigrants doit faire face à des problèmes d’intégration qui ont, il faut l'avouer, peu à voir avec la question linguistique. Pendant que le gouvernement du Québec classe les immigrants selon leur niveau de scolarité et la connaissance du français, le gouvernement du Canada, de son côté, produit une «évaluation des diplômes d’études» des immigrants, laquelle ne sera jamais reconnue par les ordres professionnels québécois.

De fait, la reconnaissance des diplômes demeure l'un des principaux obstacles que doivent affronter les immigrants. Parmi les immigrants, on trouve des ingénieurs, des architectes, des ophtalmologistes, des médecins, des infirmières, des informaticiens, des ouvriers spécialisés de la construction, etc. Cependant, tous sauf exception n'ont aucune chance de pratiquer à nouveau leur métier. Or, ils ont justement été acceptés au Québec pour cette formation recherchée, précisément parce qu’ils étaient éduqués et spécialisés dans des champs de compétence en demande dans lesquelles ils rêvaient de continuer à travailler.

Il n'est pas normal qu'on demande, par exemple, à un médecin reconnu à l'étranger de devoir recommencer cinq années d'études universitaires. On peut comprendre qu'il soit nécessaire d'exiger une réévaluation et, au besoin, un retour partiel aux études, mais ne rien lui reconnaître peut se transformer en parcours du combattant.  C'est ainsi que des médecins doivent devenir des chauffeurs de taxi, que des dentistes lavent la vaisselle dans les restaurants, que des infirmières doivent se transformer en coiffeuses, que des ouvriers de la construction doivent œuvrer dans un autre domaine. Au Québec, le corporatisme des ordres professionnels et des métiers a atteint des niveaux très élevés. Ce n'est rien pour attirer les immigrants.    

On peut se demander pourquoi les politiciens canadiens et québécois demandent et acceptent des immigrants scolarisés, si c’est ensuite pour refuser de reconnaître leur expertise. Il n'y a pas que les autorités politiques sen cause, il y a aussi le corporatisme des ordres professionnels qui y ajoutent des difficultés insurmontables. Comme si ce n'était pas suffisant, après avoir mis beaucoup d’efforts pour apprendre le français, les immigrants se voient souvent refuser des emplois parce qu’ils ne parlent pas... l'anglais.

- L'acceptation tacite de la dualité linguistique dans l'emploi

Alors que l’immigration se concentre à plus ou moins 80% dans la région de Montréal, 40 % des petites entreprises de la métropole exigent l’anglais pour tous leurs postes affichés et 31 % pour plusieurs de leurs postes. Le gouvernement du Québec a souvent préféré ne pas intervenir.

Dans le contexte nord-américain, la capacité d'attraction de la langue anglaise est plus forte que celle de la langue française. C'est pourquoi la défense de l'identité linguistique au Québec apparaît comme un combat normal pour la préservation des générations futures. La défense de la langue française devrait être une question préoccupante non seulement pour les Québécois, mais aussi pour tous les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral. Les Québécois ont peur de disparaître ou de perdre leur identité avec des immigrants anglophiles. On peut donc comprendre que les Québécois puissent être frustrés de constater que beaucoup d'immigrants allophones ou anglophiles n'adoptent pas le français, alors qu'ils ne sont pas nécessairement les grands coupables de leur anglicisation.

Nombreux sont les témoignages d’immigrants à qui l’on demande de parler anglais au travail, alors qu’on leur avait dit avant d’arriver au Québec qu’il fallait maîtriser le français. Le lien entre la langue et l’emploi demeure sans nul doute au cœur du processus d’intégration des immigrants. On se trouve donc dans une perspective économique en concurrence avec une vision identitaire, mais les deux peuvent être conciliables avec une bonne politique à ce sujet. Il faudrait notamment mesurer si la connaissance de l’anglais est justifiée dans toutes les offres d’emploi.

Beaucoup d'immigrants unilingues francophones sont outrés de ne pas trouver un emploi à cause de la bilinguisation à outrance des postes d’emploi, alors qu'ils subissent déjà des taux de chômage très élevés, soit 11,7 % pour les immigrants, contre 7,8 % pour la population non immigrante. Dans l'état actuel des choses, le Québec perd annuellement de 20 % à 25 % des immigrants au profit des autres provinces canadiennes. Au lieu de retenir ce précieux capital humain, le gouvernement québécois se trouve à financer le bilinguisme pour les provinces anglaises en leur refilant des immigrants formés et souvent francisés aux frais des contribuables.

- Une gestion administrative inadéquate

On peut avancer que la gestion de l'immigration n'est pas nécessairement aisée à planifier, tant elle implique de nombreuses adaptations tant dans les domaines du logement que du système de santé et de l'aide sociale, ainsi qu'en éducation, dans le monde du travail, entre autres, dans les ordres professionnels jaloux de leurs prérogatives, sans oublier la question linguistique. Le Québec se fixe des seuils en matière de réunification familiale, mais ceux-ci ne veulent pas dire grand-chose. Pourquoi 10 000 immigrants et non pas davantage ou moins? En même temps, plus de 40 000 personnes sont en attente d'une réunification familiale, tandis qu'une bonne portion de celles-ci vivent déjà sur le territoire! 

À défaut d’arrêter le flot d’immigrants, le Canada fédéral devrait aider le Québec à se doter d’instruments d’évaluation des coûts et des bénéfices de l’immigration dans tous les secteurs importants de la société, tant économiques que sociaux. Lorsqu'un gouvernement, comme c'est le cas dans plusieurs pays d'accueil, y compris au Canada et au Québec, gère cette question de façon improvisées ou inadéquate, des tensions vont inévitablement survenir entre les ressortissants étrangers et les résidents locaux. Le Canada n'est pas à l'abri de ces réactions, encore moins le Québec.  Le gouvernement fédéral ne réalise certainement pas que le ressac vis-à-vis l'immigration au Québec et de plus en plus en Ontario est en grande partie de sa faute.

6.3 Des solutions possibles

Le Québec doit recourir à des moyens efficaces pour favoriser davantage la francisation des immigrants. Il peut agir sur plusieurs fronts.

- Pour l'immigration temporaire

Dans le contexte où l’immigration temporaire a connu une explosion au Québec au cours des dernières années, le Commissaire à la langue française recommandait au gouvernement à la fin de 2023 d’ajouter des exigences linguistiques en français pour les travailleurs étrangers temporaires et les étudiants internationaux qui s’installent dans la province.

- Les titulaires d’un permis de travail du Programme des travailleurs étrangers temporaires, à l’exception du volet agricole, devraient prouver qu’ils ont une connaissance du français de niveau 3 à l’oral avant d’obtenir leur premier permis. Il s’agit d’un niveau débutant où la personne «comprend des propos brefs concernant des activités ou des services liés à la vie quotidienne», par exemple «comprendre des renseignements donnés par la caissière concernant le service de livraison dans un supermarché».

- Pour renouveler un permis de travail, le Commissaire suggère qu’un travailleur étranger temporaire démontre qu’il maîtrise à l’oral un niveau 5, c’est-à-dire d’avoir la capacité de comprendre «l’essentiel de conversations portant sur des sujets courants» ou de «comprendre l’essentiel de la description d’un poste à pourvoir dans l’entreprise où travaille un ami».

- Pour les étudiants étrangers, le Commissaire à la langue française suggère de négocier avec le gouvernement fédéral pour limiter le travail hors campus aux personnes ayant prouvé qu’il maîtrise des connaissances en français oral au Niveau 3, puis de délivrer des permis de travail post-diplômes qu’aux étudiants ayant atteint un Niveau 7 à l’oral («[comprendre] des propos concrets et parfois implicites formulés dans des constructions syntaxiques parfois complexes») et un Niveau 5 à l’écrit («comprendre l’essentiel des informations contenues dans le bail de son futur logement»).

- Pour faciliter l’apprentissage du français auprès des immigrants temporaires, le Commissaire propose de mettre en œuvre des mécanismes afin que le recrutement à l’étranger se fasse auprès d’une main-d’œuvre principalement francophone; il suggère également que le gouvernement accorde une aide financière supplémentaire pour l’apprentissage du français à l’étranger.

- La collaboration obligée du fédéral

Face à la montée du nombre de demandeurs d’asile, le Commissaire demande d'exiger d’Ottawa une meilleure répartition de leur nombre à travers le pays; il souhaite aussi que le gouvernement fédéral documente leur niveau de connaissance du français et de l’anglais dès leur arrivée sur le territoire canadien et québécois. À ses yeux, il revient aussi au gouvernement fédéral de mettre en place une «aide financière supplémentaire pour appuyer la formation linguistique des demandeurs d’asile ne parlant ni anglais ni français».

Québec et Ottawa se renvoient la balle dans le dossier, s’accusant mutuellement d’être à la source des retards dans le traitement des demandes. Les solutions passent par la collaboration entre les deux paliers de gouvernement plutôt que de se faire la petite guerre pour savoir qui a raison.

- Le recours aux immigrants «francotropes» ou francophonisables

Il est démontré que les immigrants de langue maternelle romane (espagnol, portugais, italien, catalan ou roumain) et les immigrants originaires du  Maghreb, quelle que soit leur langue maternelle, sont enclins à adopter le français, alors que c’est l’inverse pour les immigrants de langue maternelle non latine. Autrement dit, les immigrants parlant une langue romane et les immigrants issus des anciennes colonies françaises, surtout en Afrique, sont les plus «francophonisables».

Depuis 1971, la proportion des immigrants de langue latine qui adoptent le français a augmenté à 87 %, tandis que le transfert vers le français des immigrants de langue non latine est resté le même en 30 ans, soit 15 %. Par exemple, 88 % des Latino-Américains et 90 % des Arabes installés au Québec connaissent le français, alors que plus de 40 % des Chinois et des Sud-Asiatiques ne connaissent pas le français. Dans le cas des Philippins, 58 % d’entre eux ne parlent pas français.

Par conséquent, si l'on veut préserver le caractère français du Québec, il importe non seulement de recruter une forte proportion d’immigrants qui connaissent le français, mais il faut choisir parmi les immigrants qui ne connaissent pas le français ceux qui sont les plus aptes à adopter cette langue. Bref, la plupart des personnes originaires de l'Afrique et du Maghreb sont des locuteurs francophones et constituent le plus grand réservoir francophone; par la suite, ce serait les ressortissants de l'Amérique du Sud, dont les locuteurs parlent l'espagnol ou le portugais, sans oublier l'Espagne, le Portugal, l'Italie et la Roumanie. La maîtrise, la connaissance intermédiaire de la langue française ou la francophilie de ces immigrants, avant leur arrivée au Québec, permet de ne pas fragiliser le statut linguistique québécois, c'est déjà énorme.

Pour assurer la vitalité du français, ainsi que l’intégration harmonieuse de nouveaux citoyens, le gouvernement du Québec doit faire plus: il doit consacrer les efforts nécessaires pour vérifier que le critère du français comme langue d’usage est respecté lors du recrutement et de la sélection des immigrants. Il ne faut pas oublier que la francisation et l'intégration des immigrants au Québec sont conditionnées par de nombreux facteurs économiques et culturels.

Évidemment, la pression de l'anglais en Amérique du Nord explique en partie les difficultés qu'éprouve le Québec dans l'intégration des immigrants ne parlant pas sa langue majoritaire qui est minoritaire dans le reste du continent. L’apprentissage de la langue du pays d’accueil est essentiel pour un individu afin qu’il puisse être fonctionnel et qu’il puisse prendre sa place dans la nouvelle société. Le Québec n'en a donc pas fini avec la francisation de ses immigrants.

- Freiner le départ des immigrants

En 2022, des fonctionnaires d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) avaient averti le gouvernement fédéral que le Canada pourrait perdre des immigrants, en raison du coût de la vie, du manque d’occasions et de la reconnaissance des titres de compétences étrangers. Selon ces fonctionnaires, 22 % des personnes interrogées (tous des immigrants devenus citoyens) ont indiqué qu’ils envisageaient de quitter le Canada dans les deux prochaines années. Beaucoup d'immigrants ont compris que la population de résidents temporaires grandit plus rapidement que celle des nouveaux résidents permanents admis, ce qui signifie que la probabilité de devenir résident permanent est plus basse. La plupart des personnes interrogées ont expliqué que le coût élevé de la vie et la concurrence pour les emplois et les logements abordables les ont poussées à chercher de meilleures perspectives au-delà des frontières du Canada. Ainsi, le statut de résidence permanente est devenu une sorte de loterie!

Par conséquent, ce phénomène touche aussi le Québec. À bout de patience avec les délais de traitement de leurs demandes, des immigrants francophones décident de quitter le Québec pour s’installer ailleurs au Canada. Certains profitent ainsi du début d’un nouveau programme rapide d’immigration lancé par Ottawa qui permettra à 90 000 travailleurs essentiels et étudiants internationaux canadiens d’obtenir leur résidence permanente dans une autre province que le Québec.

Dans les années 1990, une étude du démographe Marc Termote de l'Institut national de la recherche scientifique révélait que beaucoup d'immigrants quittaient le Québec dans les années qui suivaient leur arrivée. Selon ce démographe, la perte moyenne parmi l'ensemble des immigrants arrivés entre 1976 et 1986, c'est-à-dire après une durée moyenne de cinq ans de séjour, serait de 28 %. Cette perte s'élèverait à 30% pour les Libanais, les Marocains et les Belges, à 40% pour les Suisses, à 44% pour les Algériens et à 47% pour les Français. On imagine le taux des départs après dix, quinze ou vingt ans. Parmi les immigrants travailleurs qualifiés admis en 2011, quelque 23% avaient déjà quitté le Québec en 2014. Et chez les gens d'affaires admis la même année, c'est l'hécatombe: 78 % d'entre eux avaient quitté la province. Bref, depuis 1971, le Québec a perdu près de 600 000 citoyens. Ainsi, tous les ans, le Québec va chercher ses immigrants aux quatre coins du monde, en faisant des efforts pour privilégier les mieux qualifiés, les plus aptes à s’intégrer, à parler français et à trouver un emploi.

Heureusement, à partir des années 2020, le Québec a fait des progrès majeurs dans ce domaine. Le taux de départ des immigrants hors du Québec, après cinq ans, est plutôt autour de 16%, selon la base des données de Statistique Canada. Le taux de rétention est de 84% après cinq ans et il tombe à 82% après dix ans; il demeure pratiquement stable par la suite. En somme, le Québec ne s'écarte pas beaucoup de la moyenne canadienne avec un taux de départ de 16% après cinq ans contre 14% dans l'ensemble des provinces canadiennes.

Selon Statistique Canada, le taux de rétention au Québec est de seulement 76% après cinq ans pour les nouveaux arrivants qui ne parlent que l'anglais à leur arrivée. Cette situation n'est guère différente de celle des immigrants qui, en Ontario, ne parlent que le français comme langue officielle à leur arrivée, puisque le taux de rétention de ce groupe y est de 78%. Le Québec fait piètre figure dans la rétention des immigrants qui ne parlent ni l'anglais ni le français au moment de leur arrivée. En moyenne, la rétention pendant cinq ans de ce groupe linguistique est de 78%, loin derrière l'Ontario (92%) et de la moyenne des provinces canadiennes (86%). Par contre, le Québec y gagne dans sa capacité de retenir les immigrants parlant seulement le français (95%), une proportion supérieure à celle des Ontariens, des Albertains et des Britanno-Colombiens pour les immigrants «anglophones» (90% de rétention).

Cette situation démontre que le choix des immigrants parlant le français ou francophonisables (francotropes) est déterminant. En général, les immigrants perçoivent le Québec comme une bonne terre d'accueil, car ceux qui quittent la province pour l'Ontario, l'Alberta ou la Colombie-Britannique le font en grande partie en raison de la langue. La politique nécessaire est d'investir dans la francisation et l'intégration au marché du travail, et espérer que les emplois disponibles au Québec, sans oublier les protections sociales nettement plus élevées, inciteront les nouveaux arrivants à apprendre le français et à rester dans cette province canadienne particulière. Sinon, à quoi sert-il de faire venir des immigrants pour ensuite les laisser partir?

Dans la situation actuelle, le poids du Québec risque de régresser au Canada et, par voie de conséquence, son influence au sein de la francophonie canadienne. Étant donné que l'immigration ne compense que peu les pertes dues à la dénatalité et aux décès, la population du Québec risque de diminuer par rapport à celle du Canada anglais.

De plus, le Québec, contrairement aux autres provinces, doit relever le défi d'intégrer des immigrants dont la langue maternelle n'est pas le français. Depuis quelques années, le Québec a fait des progrès majeurs dans la francisation, mais ils demeurent encore insuffisants; il n'est pas un «département français d'outre-mer». Les Québécois sont des Nord-Américains francophones et non des Français ultra-marins. Beaucoup de francophones de l'extérieur découvrent les nombreuses différences culturelles, sociales et réglementaires existantes entre la Belle Province et leur pays, surtout dans le cas de la France. Mais malgré tout, les Québécois et beaucoup de francophones étrangers et de francotropes ont un attachement indéfectible à la langue française, ce qui rassemble des aspirations communes.

Cependant, Il y a encore un autre défi à surmonter. La politique d’immigration a toujours été essentiellement justifiée par les besoins du marché du travail. Ainsi, l’intégration économique est devenue un enjeu essentiel dans toute tentative de combler une pénurie de main d'œuvre. Cependant, il faudrait au préalable régler la question d'un paradoxe évident: comment concilier, d'une part, les besoins importants en main-d’œuvre avec une population immigrante scolarisée et souvent francophonisée et, d'autre part, avec un corporatisme excessif des ordres professionnels, qui a pour résultat de refuser aux immigrants des postes pour lesquels on les a choisis, sans oublier les traquenards administratifs imposés aux nouveaux arrivants par la réglementation tant fédérale que provinciale. Quoi qu'on en pense, l'enjeu de l'immigration repose aussi sur les actes que les gouvernements entreprennent ou non. Il sera toujours difficile pour le Québec d'agir adéquatement sur l'immigration parce qu'il ne peut la contrôler selon ses propres critères que partiellement et qu'il doit toujours composer avec ceux du gouvernement fédéral dont le poids pèse beaucoup plus lourd.       

Dernière mise à jour: 20 mars 2024
 
 

 

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