État d'Israël

2) Données historiques

REMARQUE:

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Plan de l'article

1. L'ancien royaume d’Israël
1.1 Les Cananéens
1.2 Les premiers envahisseurs
1.3 Les premiers Hébreux
1.4 La domination grecque
1.5 La Palestine romaine
1.6 La conquête arabe

2. La longue hibernation de l’hébreu
2.1 Le yiddish
2.2 Le judéo-espagnol
2.3 Les langues juives

3. La renaissance de l'hébreu
3.1 L'apport de Ben Yéhuda (1858-1922)
3.2. La langue hébraïque

4. La partition de la Palestine
4.1 Le Mandat britannique
4.2 Le plan de partage de 1947

5. La création de l'État d'Israël
5.1 Un État juif
5.2 L'instauration de la discrimination
5.3 Le nettoyage des frontières
5.4 La politique foncière
5.5 Les symboles nationaux
5.6 La question constitutionnelle

6. Les conflits israélo-palestiniens
6.1 La première guerre israélo-arabe
6.2 La seconde guerre israélo-arabe
6.3 La troisième guerre (guerre des Six Jours)

6.4 La quatrième guerre israélo-arabe
6.5 L'Intifada de 1987
6.6 La perpétuation des conflits

7. Les accords d'Oslo
7.1 L'autonomie provisoire de la Palestine
7.2 L'expansion des colonies juives
7.3 La poigne forte d'Ariel Sharon
7.4 L'effondrement du processus de paix

8. Les mesures de protection
8.1 Le mur de Sécurité
8.2 La montée de l'extrême-droite

9. Les points litigieux du conflit
9.1 L’entité palestinienne
9.2 Les frontières
9.3 Les colonies juives
9.4 Les réfugiés de 1948
9.5 Le statut de Jérusalem

10. La langue comme symbole identitaire
10.1 L'hébreu comme langue nationale
10.2 Le statut de l'hébreu et de l'arabe
10.3 Une loi d'apartheid

11. Le «plan de paix» américain de 2020
11.1 Les intérêts israéliens
11.2 Un État gruyère

12. L'attaque du Hamas d'octobre 2023
12.1 Les réactions
12.2 La crise humanitaire
12.3 Le verdict de la Cour internationale de Justice
12.4 Une pacification irréalisable

1 L’ancien royaume d’Israël

Dans la francophonie, le terme «Palestine» est employé depuis plusieurs siècles pour désigner le territoire situé géographiquement entre la mer Méditerranée et le fleuve Jourdain, y compris la bande de Gaza.

Dans l'Antiquité, à l'âge du fer, la Palestine historique avait une superficie beaucoup plus grande que celle d'aujourd'hui, car elle englobait non seulement la Palestine actuelle, mais également une grande partie de la Jordanie et de la Syrie contemporaines. Elle englobait donc la côte orientale de la Méditerranée (Samarie et Judée), sans la bande de Gaza occupée par les Philistins, un peuple ennemi des Israélites. Cette Palestine historique comprenait aussi de petits royaumes à l'est du Jourdain: Aram-Damas, Ammon, Moab et Édom), ce qui signifiait une portion du territoire de la péninsule Arabique.

Avant la conquête arabe de 638 par le calife Omar (634-644), la Palestine fut cananéenne, puis phénicienne, égyptienne, hébraïque, perse, grecque, romaine et byzantine. Autrement dit, l'histoire de cette époque ancienne est commune aux Palestiniens et aux Hébreux. Il convient d'ajouter une précision sur le mot «juif» écrit avec une minuscule initiale et «Juif» écrit avec une majuscule. Lorsque le mot désigne les adeptes du judaïsme, il s'écrit avec une minuscule (p.ex., les musulmans, les chrétiens et les juifs); lorsqu'il fait référence au peuple, il prend la majuscule (p.ex., les Arabes et les Juifs).  

1.1 Les Cananéens

Les premiers habitants connus de la Palestine historique sont les Cananéens, qui n'ont rien de commun avec les Palestiniens arabophones et musulmans actuels, ce qui est différent pour l'hébreu puisque cette langue dérive du cananéen, issue de la même branche sémitique. Le terme de Cananéen peut être considéré comme un synonyme du mot Phénicien. D'ailleurs, le terme Phénicie est la traduction grecque (< Phoenicia signifiant «pourpre») du mot Canaan.

Les deux peuples, les Phéniciens et les Cananéens, parlaient la même langue et avaient les mêmes dieux. Originaires d'Égypte, les Cananéens occupèrent la Palestine et l'actuel Liban au IIIe millénaire avant notre ère. Les fondateurs des cités telles que Tyr, Sidon, Byblos, Jéricho, etc., étaient des Cananéens. Ils y développèrent l'artisanat, notamment le travail du cuivre et celui de la fonte du bronze. Les Cananéens demeurèrent en relation avec les Égyptiens de l'Ancien Empire, mais ils multiplièrent aussi les contacts avec la Mésopotamie.

Parce qu'ils maîtrisaient l'écriture cunéiforme, les scribes cananéens transcrivirent aussi bien l'akkadien, la langue internationale de l'époque, que le sumérien ou leur propre langue sémitique, le cananéen. Afin de pallier les difficultés de l'écriture cunéiforme, les Cananéens mirent au point un système d'écriture hiéroglyphique comportant une centaine de signes. La langue sémitique des Cananéens était remarquablement proche de l'hébreu (voir la structure arborescente), comme d'ailleurs le babylonien, l'ougaritique, le moabite, le samaritain, le phénicien punique, l'araméen, l'assyrien, le chaldéen, l'édomite et l'amorrite.

1.2 Les premiers envahisseurs

Comme la Palestine était une voie de passage privilégiée entre Asie et Afrique orientale, sa situation en fit un carrefour des influences religieuses et culturelles de l’Égypte, de la Syrie, de la Mésopotamie et de l’Asie Mineure. La Palestine resta longtemps sous l'influence de l’Égypte des pharaons.

Les envahisseurs, notamment les Amorites, les Hittites et les Hourrites, furent progressivement battus par les Égyptiens et se fondirent finalement dans le peuple cananéen. Avec l’affaiblissement du pouvoir égyptien au XIVe siècle avant notre ère, les Hébreux et les Philistins apparurent comme de nouveaux envahisseurs en Palestine, où il n'y avait pas encore d'Arabes, et évidemment encore moins de musulmans!

Le mot Palestine provient de plusieurs transformations d'un mot servant à désigner les Philistins: Pereset de l'égyptien, Palastu de l'assyrien, Pelishtîm de l'hébreu. Au Ve siècle avant notre ère, l'historien grec Hérodote employait le mot Palaistinè (pour «Palestine»), une région qu'il situait entre la Phénicie (le Liban actuel) et l'Égypte. C'est ce qui explique qu'au IIe siècle de notre ère l'empereur Hadrien créera une région qu'il nommera Provincia Palestina, désignée du seul nom de Palestina à partir du IVe siècle jusqu'à nos jours. Bref, on ignore l'origine exacte de ce nom, mais on sait qu'il fait référence aux Philistins, d'abord sous sa forme assyrienne ou égyptienne, puis répandue par la suite par les Grecs, ensuite par les Romains.

1.3 Les premiers Hébreux

L’histoire d’Israël est relativement longue dans la mesure où son origine en tant qu’ancien État hébreu daterait du XVIIIe siècle avant notre ère, alors que l’État d’Israël qu’on connaît aujourd’hui a été fondé en 1948. Selon la Bible, le judaïsme naquit de «l'alliance de Dieu avec Abraham» dans l'Irak actuel. Jusque vers la fin du XXe siècle, les exégètes de la Bible estimaient encore cette date, soit à 1800 avant notre ère. Cependant, les recherches archéologiques ont fortement modifié cette vision biblique de l'histoire. De fait, les scientifiques ne trouvent pas de mention du judaïsme et des Israélites au Proche-Orient avant le XIIe siècle avant notre ère; on ne trouve même aucune trace écrite des Hébreux avant 800 avant notre ère et les rares données venant de leurs voisins n'évoquent pas de religion particulière.

- Les Israélites

Dans l'Antiquité, les ancêtres des Hébreux s'appelaient «Israélites». Dans l'Ancien et Nouveau Testament ainsi que dans le Coran, le terme «Israélite» désignait les Hébreux, descendants des douze fils de Jacob, chefs des douze tribus d'Israël, qui formaient la population de l'ancien Israël. Il semble que les premiers Israélites se soient installés dans la région de la Palestine vers 1200 avant notre ère, soit avant que Moïse ne libère son peuple de l’esclavage et ne le conduise hors d’Égypte. À l’époque du roi David, vers -1000, Jérusalem était encore un petit village entouré d’une population rurale très dispersée, soit environ 5000 habitants répartis sur une vingtaine de sites. La croissance de cette population fut assez lente et régulière, et elle se poursuivit sous le roi Salomon (970-931), mais Jérusalem resta une agglomération de taille modeste. À cette époque, les Israélites parlaient déjà l’hébreu, une langue de la famille afro-asiatique (groupe sémitique). On peut consulter une structure arborescente illustrant la plupart des langues afro-asiatiques en cliquant ici s.v.p.

- Les Philistins

Les Israélites durent combattre non seulement les Cananéens, mais aussi les Philistins et les Moabites. La bataille contre les Philistins fut particulièrement ardue. Les Philistins faisaient partie des «peuples de la mer». Venus de la Crète, leur langue était certainement apparentée aux langues grecques qu'on parlait alors en Grèce et à l'ouest de l'Asie Mineure. Les Philistins s'étaient installés sur la côte de la Méditerranée, vers 1200 avant notre ère, dans la région qui est aujourd'hui la bande de Gaza. Ils fondèrent même un État indépendant sur la côte est de la Palestine et contrôlèrent un certain nombre de villes dans le Nord et dans l’Est.

Le mot «Palestine» (dérivé de «Philistin») servait à désigner le «pays des Philistins». La menace constante des Philistins força les Israélites à s’unir et à fonder une monarchie. Au Xe siècle avant notre ère, une dynastie fut établie par David, roi d’Israël, qui réussit à vaincre les Philistins; par la suite, ceux-ci furent progressivement assimilés par les Cananéens. Puis les Israélites et les Cananéens se sont mélangés et ont adopté certaines de leurs coutumes.

On constate aussi que l’histoire de l’ancien Israël n’est qu’une suite d’exodes et de dominations du peuple hébreu par d’autres peuples plus puissants tels les Babyloniens, les  Perses, les Grecs d’Alexandre le Grand, les Syriens, les Romains, les Arabes, les Ottomans, etc.

- La Palestine assyrienne et babylonienne

Sous le règne du roi Salomon, le peuple d'Israël put jouir de la paix et de la prospérité. Cependant, à la mort du roi Salomon (en 931), le royaume fut divisé en deux États: les Israélites fondèrent Israël (appelée aussi «Palestine») au nord, tandis que les Judéens (les Juifs) fondèrent la Judée (royaume de Juda) au sud.

En 722-721, la Palestine (Israël) tomba aux mains des Assyriens conduits d'abord par Salmanazar V, ensuite par Sargon II, alors que la Judée fut conquise par les Babyloniens (Nabuchodonosor) en 586, lesquels détruisent Jérusalem et déportèrent vers l'Égypte toute l'élite économique et politique juive, environ 20 000 personnes. Le royaume de Juda fut rattaché à la Samarie et devint une province babylonienne.

C'est à cette époque que le nom de Juifs servira à désigner les anciens Israélites. D'un point de vue étymologique, un Juif est un Judéen (de la tribu de Juda), c'est-à-dire un Hébreu ou plutôt un converti vivant selon les lois, les coutumes et les croyances du royaume de Judée (dont la capitale était Jérusalem), du moins selon ce qui est rapporté dans la Bible hébraïque. Les Grecs employèrent Ιουδαίοι ("Ioudaioi") pour désigner les Juifs; les Romains les appelèrent Judaei. Plus tard, les Arabes diront Yahoûd. Mais tout ce monde faisait encore partie de la région qu'on continuait d'appeler la Palestine.

- Le royaume d'Israël

On sait que l’ancien royaume d’Israël, lors de son apogée sous le règne du roi David (au début du Xe siècle avant notre ère), englobait le territoire actuel d'Israël ainsi qu'une partie de la Jordanie et de la Syrie. À la mort du roi Salomon en 922 (avant notre ère), le pays fut divisé en deux parties. Le nom d'Israël fut conservé par le royaume du Nord, qui prit pour capitale Samarie. Ce royaume fut détruit par les Assyriens en 721. 

Le royaume du Sud, appelé «royaume de Juda», réussit à se maintenir jusqu'au VIe siècle (avant notre ère), époque à laquelle il fut conquis par Babylone. Le royaume d'Israël fut ensuite détruit et ses habitants déportés: ce furent les «tribus perdues» réfugiées à Babylone (587). À cette époque, l’hébreu subit une influence progressive de l’araméen — une autre langue afro-asiatique — au point où la plupart des Juifs perdirent leur langue au profit de l’araméen, la langue de l’Empire babylonien. En 538, le roi Cyrus le Grand conquit Babylone et fonda l'Empire perse; il autorisa les Juifs à retourner en Judée. Environ 42 000 Juifs de Babylone se préparèrent au retour dans leur pays d’origine et contribuèrent à répandre de plus en plus l’araméen dans la région.

1.4  La domination grecque

Après la Perse, ce fut la Grèce lorsque Alexandre le Grand conquit la région en 333 avant notre ère. La domination grecque prit fin seulement en 63 avant notre ère. Au cours de cette longue période, de nombreux Grecs vinrent s'installer en Phénicie (Palestine) à un point tel que les Juifs devinrent minoritaires. Ces derniers furent fortement influencés par la culture grecque, que ce soit au point de vue social, linguistique, philosophique ou même religieux.

De plus, beaucoup de Juifs quittèrent le pays pour aller habiter dans des cités grecques, notamment depuis la mer Noire jusqu'à la mer Égée, mais davantage dans la nouvelle capitale d'Égypte, Alexandrie (fondée par Alexandre le Grand en 331). Ces importants mouvements de population furent désignés par le mot diaspora (en grec: «dispersion»). Même la Bible commença à être traduite en grec; ces livres formeront la Septante, livre destiné aux Juifs d'Alexandrie hellénisés. 

Les successeurs d’Alexandre, les Ptolémée d’Égypte et les Séleucides de Syrie, continuèrent de contrôler le pays, mais la Palestine devint l'enjeu de conflits incessants entre l'Égypte et la Syrie. Les Séleucides, surtout le roi Antioche III de Syrie (242-187), tentèrent d’imposer la culture et la religion hellénistiques à la population locale; le roi voulut remplacer le judaïsme par l'hellénisme. En 167 avant notre ère, le roi Antioche IV de Syrie (215-164) interdit la religion juive et remplaça dans le Temple sacré l'autel de Yahvé par un autel consacré à Zeus. Sous la direction du prêtre Mattathias et de ses fils, les Maccabées, le soulèvement juif s'organisa. À la suite d'un dur conflit militaire, les Maccabées firent appel aux Romains, qui sortirent victorieux. En Palestine comme partout au Proche-Orient, le grec était devenu la langue internationale. Les manuscrits dits de la mer Morte datent de cette période. Ces manuscrits rédigés en hébreu sont près de mille ans antérieurs aux plus anciens textes connus jusqu’alors; ils présentent un intérêt certain pour la science biblique.

Éloignés de Jérusalem et de la Judée, la plupart des émigrants juifs adoptèrent le grec, la langue de communication commune à tout l'Empire hellénique. On traduisit même l’Ancien Testament en grec. Ainsi, tandis que la plupart des Juifs de la diaspora parlaient le grec, les Juifs de Judée utilisaient massivement l’araméen. L’hébreu était entré dans une sorte d’hibernation, sauf comme langue liturgique.

À la mort d'Alexandre en 323, l'Empire grec fut divisé. La Judée revint d'abord à l'Égypte qui fut écrasée en 198 par la Syrie, laquelle annexa ensuite la Judée à ses territoires; les Syriens parlaient, pour leur part, un idiome s’apparentant à l’araméen. En 167, le roi Antiochos IV interdit la religion juive.

1.5 La Palestine romaine

En 63, sous l'Empire romain, la Judée devint une province romaine et, au Ier siècle de l’ère chrétienne, les Juifs, dont Jésus (ou Yeochoua) de Nazareth (né à Nazareth, selon la tradition) faisait partie, vivaient généralement un certain bilinguisme hébreu-araméen. En fait, la plupart des Juifs parlaient couramment un araméen hébraïsé, puis l’hébreu, alors que les plus instruits parlaient aussi le grec, rarement le latin.

Sur le plan politique, les Juifs subirent plusieurs répressions qui aboutirent à une violente insurrection déclenchée par les zélotes, une faction politico-religieuse juive réputée pour sa résistance aux Romains en Judée. La révolte fut écrasée par les légions de Titus lors de la destruction du Second Temple de Jérusalem en 70 de notre ère. Ce fut le signal de la dispersion des Juifs et un coup fatal pour la langue hébraïque. La province romaine de Judée conserva quelque temps son nom, soit jusqu’en 135, alors que le nom de la province fut changé en Syrie-Palestine; Jérusalem devint une cité romaine interdite aux Juifs, sous peine de mort.

À cette époque, les Juifs de la Judée (Palestine) ne parlaient encore que l’araméen hébraïsé. L’hébreu perdit définitivement son caractère de langue parlée et ne subsista plus que chez une petite élite religieuse qui continua de lire et d’interpréter les textes de la Bible. Néanmoins, plusieurs parties des Saintes Écritures ne furent plus rédigées qu'en araméen. Cette période de l’histoire sonna la fin de l’ancien Israël. Bref, l’histoire de la langue hébraïque montre que le maintien de l’hébreu parlé fut lié au maintien de l’indépendance politique et que la disparition de cette langue coïncide avec la perte de leur État.

Progressivement, le christianisme ses répandit dans la majeure partie de la Palestine. L’empereur romain Constantin Ier légalisa cette religion en 313 par les édits de Milan. Les chrétiens devinrent de plus en plus puissants, puis majoritaires, dans la région devenue byzantine. Sous l'Empire byzantin, la Palestine connut un âge d’or économique, politique et culturel, alors l'Empire romain d'Occident disparaissait.

La population de la Palestine byzantine était composée de colons romains, de juifs convertis au christianisme, de divers peuples amenés par les Romains et de petites communautés arabes, ainsi que d'un petit groupe de Samaritains. Le grec médiéval constitue la phase de la langue grecque située entre la fin de l'Antiquité classique au Ve siècle de notre ère et la fin du Moyen Âge, qui est conventionnellement datée de la chute de Constantinople en 1453. À partir du VIIe siècle, le grec resta la seule langue d'administration et de gouvernement dans l'Empire byzantin. Cette période de la langue est désignée comme le «grec byzantin». Jusqu'à cette époque, les Arabes formaient de petites communautés minoritaires en Palestine, notamment des communautés de Bédouins. Les relations entre les juifs et les chrétiens de l'Empire byzantin étaient tendus, car les autorités les empêchaient de prier sur le mont du Temple, un lieu sacré pour les juifs.

1.6 La conquête arabe

À la fin du VIe siècle, une nouvelle religion monothéiste appelée «islam» fut fondée par Mahomet (570-632), dont les adeptes furent connus sous le nom de «musulmans». Mahomet réussit à unir les tribus d’Arabie en un régime religieux, un califat, dont lui et ses successeurs étendirent les domaines en un vaste empire sous le couvert de «guerres saintes» (djihad). Celui-ci ne manifestait aucune réticence devant l’usage des armes et la sacralisation de la guerre qui servait à libérer les «infidèles» de l'incroyance. Les affrontements militaires avec l’Empire byzantin commencèrent du vivant de Mahomet. La première offensive militaire opposant musulmans et Byzantins eut lieu en 629 près du village de Mu’tah, à l’est du Jourdain et de Karak dans le gouvernorat de Karak. Mahomet voulait ainsi conquérir les territoires des Arabes chrétiens, les Ghassanides, vassaux de l'Empire byzantin.

- La Palestine musulmane

Avant sa mort en 632, Mahomet et ses troupes avaient réussi à soumettre la plus grande partie de l'Arabie, de l'Iran et de l'Afghanistan, sans jamais arabiser ces deux pays. Les armées musulmanes finirent par vaincre les Byzantins à la bataille de Fahl, dans la vallée du Jourdain en Jordanie, le 23 janvier 635. Dès lors, presque toute la Palestine, la Jordanie et la Syrie méridionale, à l’exception de Jérusalem, furent aux mains des musulmans. En 638, le calife Omar (634-644) envahit le reste de la Palestine et prit Jérusalem. Il annexa les territoires de Syrie et de la Palestine. Des juifs et des chrétiens restèrent néanmoins à Jérusalem, et les premiers musulmans, des Arabes de la péninsule Arabique, commencèrent à s'y installer.

Avec la conquête arabe, commença une période de treize siècles de présence musulmane en Palestine. Les Arabes divisèrent la province d'ash-Sham («Syrie») en cinq districts (jund), dont l'un conserva le nom de Palestine (Filastīn) et s'étendit du Sinaï jusqu'à Akko (future Saint-Jean-d'Acre); la capitale locale fut d'abord Ludd, puis dès 717 ar-Ramlah (Ramallah) et, plus tard, Jérusalem qui devient la troisième ville sainte de l’islam.

Au cours du premier siècle à la suite de la conquête arabe, le calife et les gouverneurs de la «Syrie» régnèrent entièrement sur des habitants chrétiens et juifs. Les seuls Arabes à l'ouest du Jourdain étaient les Bédouins installés avant la conquête arabe, si l'on fait exception des soldats qui formaient les garnisons militaires. Les Palestiniens, juifs comme chrétiens, ne furent pas dans l'obligation de devenir musulmans. On peut croire qu'il s'agissait d'un acte de tolérance de la part des conquérants musulmans, mais en réalité cette «concession» correspondait à une conviction fondamentale de l'islam: les juifs et les chrétiens devaient être considérés comme des individus appartenant à une «classe inférieure» possédant un statut particulier de dhimmi («protégés»). Il n'était pas question qu'ils deviennent des égaux aux musulmans en les islamisant, mais il demeurait possible de les arabiser.

- La cohabitation

L'arrivée de l'islam dans la région de la Judée ne suscita pas de réelles difficultés, bien que, après la conquête arabo-musulmane de la Mésopotamie en 637, le calife Omar interdit aux juifs d'occuper une fonction politique, d'avoir des serviteurs musulmans, de porter des armes, de construire ou de réparer les synagogues, et de pratiquer le culte à haute voix. Le peuple juif put tout de même conserver une certaine autonomie. 

Cette époque suscita le développement d'une riche culture où se mêlèrent les enseignements en grec, en arabe et en araméen. Cependant, après la conquête arabe, beaucoup de Juifs en vinrent à abandonner progressivement l’usage de l’araméen qui fut de plus en plus supplanté par l’arabe. En Europe, les Juifs avaient non seulement délaissé leur langue ancestrale, mais s’étaient mis à employer d’autres langues, c’est-à-dire celles des pays d’accueil où ils s’étaient installés (anglais, français, allemande, russe, espagnol, etc.), mais de nombreuses communautés adaptèrent localement en recourant à des «judéo-langues», c'est-à-dire des langues juives.

- La survie de l'araméen sur l'hébreu

En réaction à la dispersion des membres du peuple hébreu, les rabbins en exil adaptèrent leur religion, le judaïsme. Ils fondèrent l'unité des juifs sur leur héritage littéraire biblique, l'organisation des communautés et l'éternel espoir messianique, puis ils fixèrent les règles de la pratique religieuse.

Durant six siècles, les chefs religieux codifièrent la loi orale dont ils rédigèrent l'essentiel dans la Mishnah et la Gemara, lesquelles formèrent le Talmud. Les textes religieux furent de plus en plus rédigés en araméen afin que le peuple puisse les comprendre. D’ailleurs, l’araméen était parlé, écrit et lu de l’Inde à l’Égypte, puis du Caucase jusqu’à l’Arabie. En fait, l’araméen régna sur de vastes territoires durant plusieurs siècles, soit jusqu’à la conquête arabe dont l’écriture elle-même dérive d’une forme de l’alphabet araméen.

2 La longue hibernation de l’hébreu

Au cours des siècles qui suivirent, les Juifs se distinguèrent des autres peuples non seulement en employant l’hébreu comme langue liturgique, mais surtout en créant de nouvelles langues qui contribuèrent à évincer l’hébreu encore davantage. Les «langues juives» ou judéo-langues les plus connues furent le yiddish et le judéo-espagnol. Il s'agit d’un phénomène d’hybridation linguistique, car toutes ces judéo-langues se sont constituées sur la base de la langue locale avec un apport lexical plus ou moins important de l’ancien hébreu.

Lors de la victoire des Turcs ottomans sur les Mamelouks égyptiens en 1517, la Palestine, où vivaient Juifs et Palestiniens, allait devenir turque et faire partie de l'Empire ottoman jusqu'à l'hiver... 1917-1918. Le pays fut divisé en quatre districts administrativement rattachés à la «province de Damas» et gouvernés depuis Istanbul. Le district de Jérusalem fut placé entre les mains de Palestiniens arabisés, descendant des Cananéens et des colonisateurs successifs. Le nom de Palestine («Filastin») perdit sa valeur officielle pour «province de Damas» (Dimashq al-Shâm), mais la population locale continua d'utiliser familièrement et officieusement Filastin. Le turc devint la langue officielle de l'administration, alors que l'arabe restait la langue de la majorité de la population locale.

2.1 Le yiddish

Le yiddish (du mot allemand Jüdisch qui signifie «juif») reste sans contredit la plus connue de ces nouvelles langues hybrides. Formé au début du Moyen Âge (vers le XIe siècle), le yiddish est la langue parlée par les juifs ashkénazes, c’est-à-dire les juifs établis en Allemagne et en France depuis l’époque de Charlemagne, puis en Bohème, en Pologne, en Lituanie et en Ukraine; cette langue s’étendit également, au cours du XVIe siècle, aux Pays-Bas et dans le nord de l’Italie.

Rappelons que le yiddish s’écrit avec l’alphabet hébreu (voir la figure). En raison de son influence à prédominance germanique, le yiddish est considéré comme un idiome appartenant au groupe des langues germaniques. Il semble qu’environ 70 % du vocabulaire du yiddish soit d’origine allemande, 15% d’origine slave et 5 % d’origine hébraïque.

Cette langue a fait l’objet de plusieurs appellations, dont le judéo-allemand, le taytsh (qui signifie «allemand») ou la langue d’Ashkénaz («langue d’Allemagne»). Le yiddish reste encore maintenant la langue juive qui a connu la plus grande extension géographique et celle qui a été parlée par le plus grand nombre de locuteurs. Bien que le yiddish ait amorcé un déclin certain comme langue maternelle au début du XVIIIe siècle, il continua d’être employé et se transforma dans certaines communautés en langue liturgique. Avant la Seconde Guerre mondiale, on estimait à 11 millions le nombre de juifs parlant encore cette langue. Mais le génocide nazi a anéanti plus de la moitié des locuteurs du yiddish. Plus de 80 % des juifs du monde entier appartiennent à la communauté des ashkénazes. De nos jours, le yiddish est surtout parlé dans les milieux de ultra-orthodoxes, essentiellement chez les Hassidim, en Israël, aux États-Unis et au Canada.

2.2 Le judéo-espagnol

Le judéo-espagnol est une autre langue parlée par les juifs de la diaspora. Cependant, les juifs appartenant à cette aire linguistique proviennent de la péninsule Ibérique, de l’Afrique du Nord, de la Turquie, de la Grèce et de l’Italie. On les appelle les juifs séfarades, ce qui signifie en hébreu: «Espagne». Appelé aussi ladino ou djudezmo, le judéo-espagnol correspond à la variété espagnole parlée à la cour du roi de Castille à la fin du XVe siècle. Le 31 mars 1492, le roi Ferdinand de Castille décida de chasser tous les juifs d’Espagne qui refusaient de se convertir au catholicisme.

Près de 200 000 juifs s’exilèrent au Portugal, en Afrique du Nord (surtout au Maroc), en Turquie et dans certains autres pays de la Méditerranée. Ces exilés conservèrent leur langue espagnole, mais elle évolua différemment du castillan d’Espagne, au point où, vers 1620, on pouvait déjà parler de nouvelles langues: espanyol, djudezmo, judyo, djidyo, spanyolith, ladino, etc.

2.3 Les langues juives

On parle aussi des judéo-langues, des langues juives tels le judéo-espagnol, judéo-français, le judéo-italien, le judéo-grec, le judéo-turc, etc. On emploie aujourd’hui le terme de judéo-espagnol pour désigner ces variétés linguistiques issues du castillan de 1492. Progressivement, les juifs installés autour des pays de la Méditerranée en vinrent à se reconnaître dans cette langue qui, malgré ses influences arabes, turques, italiennes, grecques, etc., constitue encore aujourd’hui un témoignage vivant de l’espagnol parlé aux XIVe et XVe siècles.

On estime que près de 400 000 juifs parlent cette langue, dont 300 000 en Israël. Le judéo-espagnol s’est écrit longtemps avec l’alphabet hébreu, mais au cours du XXe siècle les caractères latins ont fini par l’emporter. C’est une langue qui, en raison de la concurrence de l’hébreu, est éventuellement appelée à disparaître. Toutefois, la communauté séfarade continue de se distinguer de la communauté ashkénaze par ses rites religieux. On parle parfois de deux «religions juives»: les ashkénazes et les séfarades.

3 La renaissance de l'hébreu

On sait que l'hébreu a cessé d'être employé comme langue parlée vers l'an 200 de notre ère. Tombé en désuétude comme langue orale, il avait continué d’être employé comme langue écrite par certains juifs instruits jusqu'au XIIe siècle, époque où il a connu une certaine renaissance littéraire. En réalité, si l’hébreu parlé était une langue morte, il n’en était pas ainsi pour la langue écrite. C’est ce qui fait dire au linguiste Claude Hagège: «L’hébreu n’était plus vivant, mais il n’était pas mort.» Depuis le début du Moyen Âge jusqu’au XXe siècle, l’hébreu a continué à servir de langue véhiculaire écrite non seulement entre les rabbins, mais aussi entre les marchands parce qu’il était couramment employé pour la comptabilité. Or, durant plusieurs siècles, les usagers de l’hébreu écrit ont continué à créer de nouveaux mots afin de satisfaire les besoins de la communication.

3.1 L'apport de Ben Yéhuda (1858-1922)

À la fin du XVIIIe siècle, des intellectuels juifs tentèrent, en Allemagne, de refaire de l'hébreu une langue vernaculaire qui puisse rivaliser avec l'allemand; l'expérience s'est soldée par un échec. L'hébreu (lashon ha-kodesh) demeura une langue strictement écrite, comprise seulement par des initiés et dotée d'un vocabulaire restreint, archaïque, essentiellement à base biblique et généralement coupée des réalités contemporaines. Elle était lue dans les synagogues et les établissements d'enseignement spécialisés.

De jeunes juifs, considérés à l'époque comme idéalistes, commencèrent à s'installer en Palestine vers les années 1880. Parmi eux, un immigrant d'origine lituanienne, Eliezer Ben Yéhuda (1858-1922), de son vrai nom Perlman, entreprit de restaurer l'hébreu parlé. Pendant des années, en intellectuel isolé, puis avec une équipe, il se mit à moderniser cette langue liturgique inutilisée oralement depuis 1700 ans. Évidemment, Ben Yéhuda puisa dans l’hébreu biblique pour accomplir son œuvre, mais il emprunta également des milliers de mots à l’arabe, à l’araméen ainsi qu'aux «judéo-langues» ou «langues juives».

- L'hébreu et la Palestine

En 1880, afin de faire le point sur ses convictions, Ben Yéhuda écrivit une lettre ouverte à l’éditeur Smolenski, intitulée «La question brûlante», que ce dernier publia dans le mensuel juif viennois Ha-Shahar. Il voulait attirer l’attention sur le fait que des petits peuples cherchaient à se regrouper sur des terres qu’ils revendiquaient et que, ce qui était possible pour eux, devait l’être aussi pour les Juifs:

Pourquoi en êtes-vous arrivés à la conclusion que l'hébreu est une langue morte, qu'elle est inutilisable pour les arts et les sciences, qu'elle n'est valable que pour les «sujets qui touchent à l'existence d'Israël»? Si je ne croyais dans la rédemption du peuple juif, j'aurais écarté l'hébreu comme une inutile entrave. J'aurais admis que les maskilim [partisans de l’équivalant juif de l’époque des Lumières (Haskala)] de Berlin avaient raison de dire que l'hébreu n'avait d'intérêt que comme un pont vers les Lumières. Ayant perdu l'espoir dans la rédemption, ils ne peuvent voir d'autre utilité à cette langue. Car, Monsieur, permettez-moi de vous demander ce que peut bien signifier l'hébreu pour un homme qui cesse d'être hébreu. Que représente-t-il de plus pour lui que le latin ou le grec? Pourquoi apprendrait-il l'hébreu, ou pourquoi lirait-il sa littérature renaissante?

Il est insensé de clamer à grands cris: «Conservons l'hébreu, de peur que nous ne périssions!» L'hébreu ne peut être que si nous faisons revivre la nation et la ramenons au pays de ses ancêtres. C'est la seule voie pour réaliser cette rédemption qui n'en finit pas. Sans cette solution nous sommes perdus, perdus pour toujours.

[...] Il ne fait guère de doute que la religion juive sera capable de survivre, même en terre étrangère. Elle changera son visage selon l'esprit du moment et du lieu, et son destin sera celui des autres religions. Mais la nation? La nation ne pourra vivre que sur son sol, et c'est sur cette terre qu'elle renouvellera sa jeunesse et qu'elle produira de magnifiques fruits, comme dans le passé.

L’objectif de Ben Yéhuda est très clair: l’hébreu ne pouvait exister que s’il revivait au pays de ses ancêtres. En 1881, pour réaliser ses projets, il émigra en Palestine. Ben Yéhuda fut le premier juif à parler hébreu à la maison et à élever ses enfants dans cette langue. En plus de mettre ses idées en pratique, il entreprit des appels à la population locale afin d’encourager chacun à parler l’hébreu en famille. Mais il obtint peu de succès, car dix ans après son arrivée en Palestine il ne pouvait compter que sur quatre familles de Jérusalem. En 1890, il créa la Va'ad halashon, la Commission de la langue hébraïque, qui allait devenir, en 1948, l'Académie de la langue hébraïque. Entre 1881 et 1903, quelque 30 000 juifs arrivèrent en Palestine.

Cet artisan de la renaissance de l'hébreu qu’était Ben Yéhuda fonda alors, en 1898, un réseau d'écoles hébraïques destinées à enseigner l'hébreu aux nouveaux immigrants. Entre 1910 et 1920 naquirent les premiers enfants dont les parents ne parlaient que l'hébreu à la maison, c'est-à-dire les premiers enfants juifs à ne connaître que cette langue, après cet intervalle de 1700 ans. Mais les convictions de Ben Yéhuda ne lui attirèrent pas seulement des félicitations. Il dut subir les persécutions de la part des juifs ultra-orthodoxes de Jérusalem, qui s’opposaient au sionisme et à la renaissance de l'hébreu. Alors que la Palestine était sous le régime de l’Empire ottoman, les ultra-orthodoxes proclamèrent son «excommunication» et dénoncèrent Ben Yéhuda au gouverneur turc «comme révolutionnaire». Il fut arrêté et ne dut sa libération que grâce à l'intervention du puissant baron Edmond James de Rothschild (1845-1934), ce richissime financier qui mit sur pied une organisation (le Keren Kayemet Israel ou «Fonds national juif») intervenant dans l’achat de terres, leur mise et valeur et le peuplement de colonies juives.

Ben Yéhuda procéda à une opération linguistique inédite en fabriquant une langue parlée à partir d'une langue écrite, alors que la plupart des autres nations avaient fait l'inverse. Or, cette langue écrite ne comptait que 8000 mots parce que le vocabulaire de l'hébreu n'avait pas été enrichi depuis près de deux millénaires. Parce que cet hébreu-musée était devenu inapte à véhiculer les réalités modernes, il fallait créer un nombre considérable de néologismes.

- Le Grand Dictionnaire de l'hébreu

C'est pourquoi l’une des œuvres les plus remarquables de Ben Yéhuda fut sans nul doute la rédaction d’un grand dictionnaire de la langue hébraïque. Aidé d'une équipe, il réadapta l'hébreu au monde moderne et publia enfin le Grand Dictionnaire de la langue hébraïque ancienne et moderne, appelé à l’origine le Thesaurus Totius Hebraitatis. Après avoir parcouru quelque 40 000 ouvrages, il réussit à terminer, avant sa mort (en 1922) les cinq premiers tomes (sur un total de 16) de son dictionnaire; les onze autres volumes durent être complétés par une équipe d’amis fidèles à son esprit.

Fait remarquable, le Grand Dictionnaire contient, pour chacune des entrées, une traduction en allemand, en russe, en français et en anglais, ainsi qu’une indication de la racine arabe correspondante (Claude Hagège, 2000). À défaut de recourir à l'hébreu ancien, il fallut utiliser le procédé de la dérivation et à l'emprunt à plusieurs langues européennes qu'on adapta phonétiquement et grammaticalement. 

3.2. La langue hébraïque

Ainsi, peu avant sa mort, c’est-à-dire lors de la période du Mandat britannique qui commença en 1918, Ben Yéhuda avait réussi à faire en sorte que l'hébreu soit devenu l'une des trois langues officielles de la Palestine, avec l'anglais et l'arabe. Dès lors, l'hébreu acquit le statut d'une langue administrative et d'une langue du pouvoir politique, sans oublier la scolarisation des enfants dans un réseau éducatif totalement hébraïsé.  Nous savons aujourd’hui qu’il s’en est fallu de peu pour que l’allemand évince l’hébreu, car il était une langue de culture importante dans le monde juif. D'ailleurs, des juifs de Palestine l'utilisaient comme langue d'enseignement et, si ce n’avait été de l’issue de la Première Guerre mondiale et du discrédit qui couvrit l’Allemagne, l’allemand aurait constitué certainement l’une des trois langues officielles de la Palestine. En raison de tout ce qu'a accompli Ben Yéhuda, celui-ci est reconnu aujourd’hui comme le «père de la renaissance de l'hébreu» ou le «rénovateur de la langue hébraïque».  C’est en sa mémoire que de nombreux bâtiments et quantité de rues portent son nom en Israël. Il y eut aussi de nombreux timbres commémoratifs émis en son honneur, comme celui de la figure de gauche de l'État d'Israël.

Cela dit, la langue hébraïque ne s'est pas imposée sans difficulté, car, en plus de l'allemand, la concurrence fut également vive avec le yiddish tout le début du XXe siècle, du moins jusqu'en 1939. C'est que de nombreux locuteurs yiddishophones employaient déjà cette langue et disposaient d'écoles, de journaux et d'une littérature vivante. Néanmoins, le yiddish ne put résister devant le dynamisme qui servait à promouvoir l'hébreu comme la «vraie langue juive», d'origine sémitique, et non pas germanique.

Mais l'histoire n'a pas beaucoup retenu les fondements dans le choix de la langue entre les sionistes. Pour les orthodoxes, le choix de l'hébreu comme langue biblique paraissait un sacrilège; pour les nationalistes, seule la langue originelle du peuple pouvait être choisie (le yiddish?); pour les pragmatiques, il était préférable de trouver une langue qui réunissait tous les juifs de la diaspora (l'anglais?); pour les égalitaristes, le choix de l'hébreu avait l'avantage de devoir être appris par tous les juifs et d'éliminer la domination d'une langue sur les autres. Finalement, c'est l'hébreu qui fut choisi. 

Entre 1919 et 1947, la population juive tripla et passa à 1,9 million. À partir de 1948, l'immigration juive prit des proportions considérables. Plus de 1,6 million de juifs sont venus trouver refuge en Israël. Cet amalgame d'hommes et de femmes provenant de plus d’une centaine de pays parlait autant de langues diverses.

4 La partition de la Palestine

Le territoire actuel sur lequel s’est constitué l’État d’Israël avait deux appellations: l'une est Filastin (ou Palestine: فلسطين), nom donné par les Arabes, et Eretz Israël (ou «Terre d’Israël»: אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל) celui donné par les Juifs, car les deux peuples avaient les mêmes motifs historiques d'occuper le territoire. Chacun lui avait donné un nom différent.

Cependant, avant la Première Guerre mondiale, la Palestine était depuis 1517 entièrement sous domination de l'Empire ottoman  et comptait en 1910 quelque 590 000 habitants, dont 57 000 Juifs. Elle avait d'autres noms: le territoire comprenait le vilayet de Beyrouth (sous-divisé en sept sandjaks) et le sandjak (ou moutassarifat) de Jérusalem directement rattaché au pouvoir central de Constantinople, tandis que la Transjordanie était incorporée au vilayet de Damas (appelé aussi «Syrie»). Sous l'Empire ottoman, le vilayet désignait une province placée sous l'autorité d'un gouverneur général appelé "vali", tandis qu'un sandjak constituait une subdivision de second niveau d'un vilayet et dirigé par un "mütesarrif".

4.1 Le Mandat britannique

Le 16 mai 1916, la Grande-Bretagne et la France conclurent des accords secrets, appelés les accords Sykes-Picot, par lesquels elles se partageaient les terres arabes sous domination ottomane. Par le traité de Sèvres de 1920, l'Empire ottoman fut démantelé et perdit ses territoires arabes du Proche-Orient. La Société des Nations (SDN) plaça alors la Palestine (Jordanie et Israël actuels), la Syrie du Sud (Transjordanie) et l'Irak sous Mandat britannique, tandis que la France obtenait le contrôle du Liban et de la Syrie du Nord. Les Britanniques furent chargés de la défense et de la sécurité du territoire palestinien, de l'immigration, du service postal, des transports et des installations portuaires. 

Le mandataire britannique avait explicitement pour tâche de «placer le pays dans des conditions politiques, administratives et économiques qui permettront l'établissement d'un foyer national juif et le développement d'institutions d'auto-gouvernance. Il devait également «faciliter l'immigration juive et encourager l'installation compacte des juifs sur les terres». Les deux grandes puissances, la Grande-Bretagne et la France, croyaient que la Palestine constituait un cas particulier en raison de l’enjeu symbolique des lieux saints et que la région devait bénéficier d’un statut international. En 1917, les Britanniques s’emparèrent de Jérusalem et forcèrent l’Empire ottoman à la capitulation. Par le traité de Sèvres de 1920, l'Empire ottoman était démantelé et perdait ses territoires arabes du Proche-Orient.

La Société des Nations (SDN) plaça alors la Palestine (Jordanie et Israël actuels), la Syrie du Sud (Transjordanie) et l'Irak sous Mandat britannique, tandis que la France obtenait le contrôle du Liban et de la Syrie (Mandat français). Les Britanniques furent chargés de la défense et de la sécurité du territoire palestinien, de l'immigration, du service postal, des transports et des installations portuaires. Pendant que les Britanniques imposaient l'anglais dans l'administration des pays sous leur mandat, les Français implantait le français au Liban et en Syrie. Autrement dit, les populations locales, surtout arabes et hébraïques, changeaient d'empire.

Les Britanniques devaient composer avec les Arabes et les Juifs. Les obligations de l’administration britannique envers les Arabes étaient relativement simples: il s’agissait de «veiller à la préservation de leurs droits civils et religieux», tandis que pour les Juifs il s'agissait de créer un «foyer nationale juif».  Cette asymétrie du Mandat britannique ne fut pas acceptée par les leaders palestiniens. Dès le début, ceux-ci exigèrent de respecter les accords anglo-égyptiens qui prévoyaient la formation d’un royaume arabe indépendant recouvrant toute la région. Pendant que les Britanniques respectaient à la lettre leur engagement vis-à-vis du sionisme, les Arabes firent tout pour faire échec à cette entreprise, mais en vain.

En même temps, lors de la déclaration Balfour de 1917, la Grande-Bretagne promit aux Juifs, dont l’aide apportée à l’effort de guerre avait été précieuse, un «foyer national juif». Cette notion d'un «foyer nationale juif» demeurait extrêmement vague et n'impliquait pas nécessairement la création d'un État, mais elle laissait entendre au moins la possibilité pour les Juifs d'y trouver asile. Cette promesse fut par la suite ajoutée dans le mandat conféré à la Grande-Bretagne par la Société des Nations en 1922.

La déclaration Balfour

Cher Lord Rothschild,

 

J’ai le plaisir de vous adresser, au nom du gouvernement de Sa Majesté, la déclaration ci-dessous de sympathie avec les aspirations sionistes, soumise au cabinet et approuvée par lui.

 

Le gouvernement de Sa Majesté regarde favorablement l'établissement en  Palestine d'un foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant entendu que rien ne sera fait qui peut porter atteinte soit aux droits civils et religieux des communautés non juives existant en Palestine, soit aux droits et au statut politiques dont les Juifs disposent dans tout autre pays.

 

Je vous serais obligé de porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste.

Soutenues financièrement par la diaspora internationale, les implantations juives sur des terres rachetées à bas prix par le Fonds national juif continuèrent de se développer. Les colons juifs commencèrent à vouloir faire fructifier la «Terre promise des Hébreux».

Les affrontements avec les Arabes palestiniens s'aggravèrent à mesure qu'augmentait le niveau de vie des colons juifs et que s'accroissait leur nombre. En 1927 fut créée l'Agence juive chargée de l'émigration des juifs en Palestine et dont les fonds proviennent des contributions volontaires des juifs établis ailleurs dans le monde. À partir de 1929, la violence entre les Juifs et les Palestiniens devint systématique, notamment après l’accession au pouvoir d'Adolf Hitler en Allemagne (1933), car l'immigration des Juifs européens, qui fuyaient les persécutions nazies, s'accéléra. De ce fait, la population juive de Palestine décupla au cours des années trente. Dès lors, la révolte arabe contre les Juifs s’organisa et des actions terroristes furent même dirigées contre les fonctionnaires britanniques.

- Le foyer national juif

La promesse du «foyer national juif» fut par la suite ajoutée dans le mandat conféré à la Grande-Bretagne par la Société des Nations en 1922. Le terme de Palestine redevint alors en usage. L'article 22 du mandat traitait des trois langues officielles:

Article 22

L'anglais, l'arabe et l'hébreu seront les langues officielles de la Palestine. Toute déclaration ou inscription en arabe sur des timbres ou de la monnaie en Palestine doit être répétée en hébreu et toute déclaration ou inscription en hébreu doit être répétée en arabe.

- L'ordonnance de 1922

Le statut des langues fut défini par la Grande-Bretagne dans l'ordonnance prise en Conseil privé de la Palestine (Palestine Order in Council), promulguée le 10 octobre 1922, qui tenait lieu de Constitution. L'article 82 stipulait que l'anglais, l'arabe et l'hébreu seraient les trois langues officielles des actes d'autorité publique, de l'Assemblée législative, de l'administration, des cours de justice, etc.: 

Article 82

Toutes les ordonnances, tous les avis et actes officiels du gouvernement, de même que tous les avis officiels des autorités locales et municipales dans les zones prescrites en vertu d'un décret du Haut Commissaire, seront publiés en anglais, en arabe et en hébreu. Les trois langues peuvent être utilisées dans les débats et les discussions du Conseil législatif et peuvent être assujetties à tout règlement qui, à l'occasion, est adopté par les services gouvernementaux et les tribunaux.

Cet article de l'ordonnance de 1922 fut le seul texte juridique à portée linguistique jusqu'à la création de l'État d'Israël (1948). Durant toute la période du mandat britannique, l'anglais devint la principale langue utilisée par le gouvernement. Soulignons que l'anglais, l'arabe et l'hébreu avaient été mentionnés dans cet ordre hiérarchique comme les langues des documents officiels. Dans les écoles, chaque communauté disposait de son propre système et l'enseignement était offert soit en arabe, soit en hébreu, soit en anglais, pas les trois. Dans les écoles britanniques, seul l'anglais était enseigné; dans les écoles arabes privées, le français et l'italien pouvaient également l'être. Pendant les trois décennies qui ont suivi, il y a eu une augmentation considérable de l'usage et de la diffusion de l'anglais en Palestine.

- Les promesses contradictoires

Durant leur mandat, il s'avéra difficile pour les Britanniques de concilier leurs promesses contradictoires, tant à l'égard des Juifs que des Arabes.  Les Juifs voulaient leur «foyer national», tandis que les Palestiniens refusaient que les Britanniques puissent promettre à une troisième partie (les Juifs) des terres qui ne leur appartenaient pas ou plutôt, d'après les faits historiques, «qui ne leur appartenaient plus», puisque les Juifs avaient été chassés du terrtitoire par les empires précédents. Le mandataire britannique avait explicitement pour tâche de «placer le pays dans des conditions politiques, administratives et économiques qui permettront l'établissement d'un foyer national juif et le développement d'institutions d'autogouvernement».

Il devait également «faciliter l'immigration juive et encourager l'installation compacte des Juifs sur les terres». Autrement dit, les Britanniques devaient tout faire pour encourager les Juifs à s’installer en Palestine, car la consolidation du foyer national juif constituait l’assise même du mandat. Cependant, les devoirs de l’administration britannique envers les Arabes étaient beaucoup plus simples: il s’agissait simplement de «veiller à la préservation de leurs droits civils et religieux». Comme on pouvait s’y attendre, cette asymétrie du mandat britannique ne devait pas être acceptée par les leaders palestiniens. Dès le début, les Palestiniens exigèrent de respecter les accords anglo-égyptiens qui prévoyaient la formation d’un royaume arabe indépendant recouvrant toute la région. Toutefois, les «arrangements coloniaux» entre la France et la Grande-Bretagne en décidèrent autrement, notamment du fait que les Français déposèrent en 1920 le roi Fayçal de Syrie, mettant fin ainsi au projet de royaume arabe unifié. Pendant que les Britanniques respectaient à la lettre leur engagement vis-à-vis du sionisme, les Arabes firent tout pour faire échec à cette entreprise, mais en vain.

Après 1928, lorsque l’immigration juive augmenta à nouveau, la politique britannique oscilla entre les pressions arabes et juives. L’immigration juive fit un bond à partir de 1933, soit avec l’avènement du nazisme en Allemagne. En 1935, près de 62 000 Juifs arrivèrent en Palestine. La peur d’une domination juive fut la principale cause de la révolte arabe qui éclata en 1936 et continua par intermittence jusqu’en 1939. Afin de ménager et apaiser les Arabes, la Grande-Bretagne publia un «Livre blanc» qui restreignait l'immigration juive, interdisait l'achat des terres et prévoyait la création en Palestine d'un État fédéral ou binational regroupant Juifs et Arabes, avec une majorité arabe. Fidèles au non-compromis, les sionistes refusèrent cette proposition.

4.2 Le plan de partage de 1947

Le conflit israélo-palestinien s’atténua au cours de la Seconde Guerre mondiale, puis reprit en 1945. Les horreurs de l’holocauste en Europe provoquèrent la sympathie du monde entier pour la «cause des Juifs européens». Même si la Grande-Bretagne refusait toujours d’accepter 100 000 rescapés juifs en Palestine, de nombreux survivants des camps nazis purent entrer illégalement sur le territoire. La «question palestinienne» continua à se poser.

En 1947, la Grande-Bretagne décida de renoncer à son mandat en Palestine et de remettre le problème (familièrement la «patate chaude») aux Nations unies. Juifs et Palestiniens se préparèrent alors à la confrontation. Pourtant, Arabes et Juifs avaient tous deux d'excellentes raisons de revendiquer la Palestine, sauf qu'ils voulaient le même territoire pour les mêmes motifs, sans vouloir partager quoi que ce soit, d'où une confrontation sans issue.

Tandis que les Juifs ne voulaient rien entendre d'un État palestinien, les Palestiniens refusaient d'accepter un État juif. En novembre 1947, sous la pression des États-Unis et de l'Union soviétique, les Nations unies proposèrent la division de la Palestine en deux États: un État arabe et un État juif. L'État juif proposé regroupait une majorité de Juifs, soit 558 000 et 405 000 Arabes palestiniens. Quelque 10 000 Juifs se trouvaient alors dans l'éventuel État arabe qui comptait 99 % d'Arabes pour une communauté de 804 000 habitants. Quant à la zone internationale de Jérusalem, elle devait compter environ 100 000 Juifs et 105 000 Arabes. De plus, environ 10 000 personnes (2 %) ne se retrouvaient ni dans l'État juif ni dans la zone internationale de Jérusalem, tandis que 31 % des Arabes (soit 405 000) n'étaient ni dans l'État arabe ni à Jérusalem.

Le «plan de partage» de 1947 fut accepté par les Juifs, qui croyaient avoir tout à gagner, mais il fut refusé par les Palestiniens qui croyaient avoir tout à perdre. Les positions radicales se développèrent des deux côtés, et le monde arabe se mobilisa avec les Palestiniens dans une guerre contre les Israéliens qui, armés par l'Union soviétique et les États-Unis, finirent par gagner la guerre. Pendant ce temps, les Juifs en profitèrent pour accaparer de nouveaux territoires.

Finalement, à l'issue des conflits, au lieu des 50% du territoire attribués par l'ONU, les Palestiniens n'avaient obtenu que 25% du territoire, car les Israéliens avaient pu profiter de leurs victoires pour refaire le partage des frontières en fonction de leurs intérêts.

- La protection linguistique

Dans le texte officiel du partage de la Palestine (résolution 181), adopté le 29 novembre 1947 par l'Assemblée générale des Nations unies, le chapitre II prévoyait des dispositions linguistiques. Il s'agit des points 2, 6 et 7 :

Chapitre II

Droits religieux et droits des minorités

1. La liberté, de conscience et le libre exercice de toutes les formes de culte compatibles avec 1’ordre public et les bonnes mœurs seront garantis à tous.

2. Il ne sera fait aucune discrimination, quelle qu’elle soit, entre les habitants, du fait des différences de race, de religion, de langue ou de sexe

3. Toutes les personnes relevant de la juridiction de l’État auront également droit à la protection de la loi.

4. Le droit familial traditionnel et le statut personnel des diverses minorités ainsi que leurs intérêts religieux, y compris les fondations, seront respectés.

5. Sous réserve des nécessités du maintien de l’ordre public et de la bonne administration, on ne prendra aucune mesure qui mettrait obstacle à l’activité des institutions religieuses ou confessions ou constituerait une intervention dans cette activité et on ne pourra faire aucune discrimination à l’égard des représentants ou des membres de ces institutions du fait de leur religion ou de leur nationalité.

6. L’État assurera à la minorité, arabe ou juive, l’enseignement primaire et secondaire, dans sa langue, et conformément à ses traditions culturelles.

Il ne sera porté aucune atteinte aux droits des communautés de conserver leurs propres écoles en vue de l’instruction et de l’éducation de leurs membres dans leur propre langue, à condition que ces communautés se conforment aux prescriptions générales sur l’instruction publique que pourra édicter l’État. Les établissements éducatifs étrangers poursuivront leur activité sur la base des droits existants.

7. Aucune restriction ne sera apportée à l’emploi, par tout citoyen de l’État, de n’importe quelle langue, dans ses relations personnelles, dans le commerce, la religion, la presse, les publications de toutes sortes ou les réunions publiques.

8. Aucune expropriation d’un terrain possédé par un Arabe dans l’État juif (par un Juif dans l’État arabe) ne sera autorisée, sauf pour cause d’utilité publique. Dans tous les cas d’expropriation, le propriétaire sera entièrement et préalablement indemnisé, au taux fixé par la Cour suprême.

Évidemment, c'est l'article 7 portant sur l'éducation, qui semble le plus important. Quoi qu'il en soit, le traité n'ayant pas été accepté, cette disposition n'a donc jamais été appliquée. Il aurait fallu que chacun des futurs États ait accepté l'Autre, y compris sa minorité juive ou arabe (selon le cas).

5 La création de l'État d'Israël

L’État d’Israël fut proclamé unilatéralement le 14 mai 1948, au moment même où la Grande-Bretagne remettait officiellement ses pouvoirs à l’Onu. La Déclaration d'indépendance fut prononcée par David Ben Gourion, président de l'Agence juive, qui devint le premier premier ministre du pays. En voici un petit extrait de la Déclaration de l'État israélien:
 
L'ÉTAT D'ISRAËL sera ouvert à l'immigration juive et aux Juifs venant de tous les pays de leur Dispersion; il veillera au développement du pays au bénéfice de tous ses habitants; il sera fondé sur la liberté, la justice et la paix selon l'idéal des prophètes d'Israël; il assurera la plus complète égalité sociale et politique à tous ses habitants sans distinction de religion, de race ou de sexe; il garantira la liberté de culte, de conscience, de langue, d'éducation et de culture; il assurera la protection des Lieux saints de toutes les religions et sera fidèle aux principes de la Charte des Nations unies.

L'ÉTAT D'ISRAËL se montrera prêt à coopérer avec les institutions et les représentants des Nations unies pour l'exécution de la résolution du 29 novembre 1947 et s'efforcera de réaliser l'union économique dans tout le pays d'Israël. NOUS DEMANDONS aux Nations unies d'aider le peuple juif à édifier son État et de recevoir l'État d'Israël dans la famille des Nations.

L'appellation «État d'Israël» permettait d'éviter de mentionner l'expression «République d'Israël» parce que les sionistes religieux ne voulaient pas en entendre parler, c'était trop «laïc». La déclaration affirmait assurer la plus complète égalité à tous ses habitants sans distinction de religion, de race ou de langue, mais devait être ouverte à l'immigration juive et aux Juifs venant de tous les pays de leur «Dispersion».

5.1 Un État juif

Les représentants sionistes avaient voulu créer avant tout un État juif, c’est-à-dire un État fondé sur l’appartenance au judaïsme, ce qui signifiait un État «religieux». Or, le fait que les Arabes musulmans constituaient la majorité de la population en 1948 contrecarrait ce projet de communauté politique fondée sur la religion. Pour parvenir à leurs fins, les dirigeants juifs devaient bouleverser l’ordre démographique de la région. La première guerre arabo-israélienne de 1948, qui entraîna l’exode de 750 000 Palestiniens hors d’Israël, permit au pays non seulement d’élargir ses frontières, mais aussi de «réduire» sa population arabe à environ 160 000 personnes.

Bref, tout cela ressemble à la création des États islamiques, mais avec le mot «république».

5.2 L'instauration de la discrimination

Évidemment, ce statut d’«État juif» devait forcément entraîner des problèmes de discrimination (juridique, politique, sociale et économique), dans la mesure où l’État d’Israël se définissait aussi comme un «État libéral et démocratique» à l’occidentale. Le problème, c'est qu'une véritable société démocratique ne peut être que laïque. Par exemple, en Israël, les mariages civils n'existent pas; seuls les mariages religieux sont reconnus. Cela signifie qu'aucun athée ne peut se marier ni les non-pratiquants, qu'ils soient juifs, chrétiens ou musulmans. Un État juif est aussi exclusif et répulsif qu'un État musulman pour toute autre communauté.

À long terme, le problème risquait de devenir explosif, surtout si la croissance démographique des Arabes israéliens dépassait l’apport juif dû à l’immigration. Bref, l’État d’Israël constitue l’exemple le plus flagrant d’une «démocratie ethnique». Claude Klein, juriste et ancien doyen de la faculté de droit de l'Université hébraïque de Jérusalem, citait ainsi le président de la Cour suprême d'Israël (Aharon Barak) dans son livre La démocratie d’Israël (1997): 

L’État juif est un État dont l’histoire est imbriquée dans celle du peuple juif. C’est un État dont la langue est l’hébreu et dont les fêtes reflètent la renaissance nationale. [...] L’État juif est celui qui développe la culture juive, l’éducation juive et l’amour du peuple juif. [...] L’État juif  est celui qui puise ses valeurs dans celles de la tradition religieuse, dont la Bible est le livre le plus fondamental et les Prophètes la base de sa morale: l’État juif est cet État dans lequel le droit hébraïque joue une rôle important et où ce qui relève des mariages et des divorces des juifs est réglé par le droit de la Torah.

Dans un tel État, même si l’égalité de citoyens est garantie, l’État lui-même appartient au «peuple principal» et non à l’ensemble des citoyens. Ainsi, l’État ne peut être neutre, car il y a deux catégories de citoyens: les juifs et les «autres».

5.3 Le nettoyage des frontières

Le premier président de l'État d'Israël, Chaïm Weizmann (1874-1952), avait déclaré à l’époque que «le monde jugerait l'État juif à la façon dont il traiterait les Arabes». Or, l'administration militaire fut imposée aux Arabes dès octobre 1948 «pour raison de sécurité»; ce gouvernement militaire ne fut définitivement supprimé qu'en 1966. L’administration militaire instaura un système de contrôle général qui limitait considérablement l'exercice des libertés publiques de tous les Arabes, et non pas seulement de ceux soupçonnés d'activités hostiles.

De plus, toujours pour les besoins de la sécurité nationale, l’armée israélienne décidait, entre 1949 et 1951, de nettoyer systématiquement les frontières et d’expulser manu militari de 20 000 à 30 000 Arabes habitant les zones frontalières vers la Syrie, la Jordanie et la bande de Gaza (voir la carte). 

5.4 La politique foncière

Dans le domaine foncier, les Arabes palestiniens furent soumis à toute une série de lois qui conduisirent à un transfert massif de leurs propriétés aux seuls Juifs. En tant qu'État successeur, Israël prit possession de toutes les terres publiques et de celles considérées comme «sans maîtres»; néanmoins, un tiers des terres restait légalement la propriété privée d'Arabes. Une législation appropriée y mit rapidement un terme: non seulement toutes les terres et tous les immeubles des Palestiniens réfugiés dans les pays arabes voisins furent progressivement transférés à l'État hébreu, mais il en alla de même pour la moitié des terres appartenant à des Arabes israéliens qui furent considérés, pour la moitié d'entre eux, comme «présents-absents» en vertu de la Loi sur les absents de 1950.

Ces dispositions signifiaient que, même s’ils étaient présents physiquement sur le territoire israélien, ces Arabes étaient considérés comme «des propriétaires absents» parce qu'ils s'étaient trouvés à un moment ou à un autre, après le 29 novembre 1947 (date de la résolution de l'ONU sur le partage de la Palestine mandataire), dans «une zone contrôlée par des forces hostiles à Israël». Cette législation d'exception conduisit à la réduction draconienne de la propriété arabe qui ne couvre plus aujourd'hui que 3,5% de la surface du pays, alors que l'État hébreu en contrôle désormais 93% (le reste appartenant à des particuliers juifs).

Pour l’État juif, les Arabes ne furent alors pas considérés comme des citoyens israéliens dont il fallait avant tout respecter les droits, mais plutôt comme des Arabes palestiniens, membres d'un groupe ethnique qu'il convenait de transformer en «minorité dominée». En réalité, il s’agit d’une politique foncière qui, en s’appuyant sur l’apartheid, consiste à empêcher l'achat de terres par les non-Juifs. En somme, le caractère démocratique de l'État d'Israël montre des failles.

5.5 Les symboles nationaux

Ce caractère juif de l’État d’Israël est manifeste dans la symbolique nationale (p. ex., le drapeau marqué de l’étoile de David, le candélabre à sept branches, la kippa portée par les hommes), le rôle officiel de la religion en sein de l’État, le droit à la citoyenneté, les subventions gouvernementales, etc.

En effet, les institutions officielles du pays, les jours fériés, les symboles et les héros sont exclusivement juifs. La langue hébraïque est nettement dominante, bien que, en vertu de la législation alors en vigueur, l'arabe fût aussi une langue officielle; on devait plutôt parler de «deuxième langue officielle», car elle n'était pas sur le même pied. En 2021, la Loi fondamentale allait rétrograder l'arabe à un «statut spécial dans l’État».

Mais dans les années 1950, plusieurs des lois prévoyaient des institutions culturelles juives, mais aucune ne créait des organismes similaires pour les citoyens arabes. En outre, depuis la création de l’État d’Israël, le gouvernement n'a jamais consacré toutes les ressources disponibles pour créer ou enrichir les institutions arabes éducatives ou culturelles (par exemple, une université arabe). On comprendra que, du point de vue des Juifs d’Israël, l’intégration d’une minorité non juive — celle des Palestiniens arabophones — constitue un problème sérieux sur la nature même de l’État juif, car tout État religieux, qu'il soit islamique, chrétien, juif, etc., entraîne forcément l'exclusion et la discrimination.

5.6 La question constitutionnelle

Bien que la Déclaration d’indépendance du 14 mai 1948 annonçait «une constitution qui sera adoptée par l'Assemblée constituante convoquée d’ici le 1er octobre 1948», les conflits entre les représentants religieux et les représentants laïcs ont empêché la rédaction d’un texte constitutionnel:

NOUS DÉCLARONS que dès l’expiration du mandat, en cette veille de Chabbat, 6 Iyar 5708 (15 mai 1948), et jusqu’à l’installation des autorités régulières de l’État, dûment élues, conformément à la Constitution qui sera adoptée par l’Assemblée constituante convoquée avant le 1er octobre 1948, le Conseil remplira les fonctions de Conseil provisoire de l’État et son organisme exécutif, le Directoire du Peuple, fera fonction de gouvernement provisoire de l’État juif qui sera appelé «Israël».

Le premier ministre de l'époque, David Ben Gourion avait exhorté l’Assemblée à ne pas achever ses travaux constitutionnels «avant le retour des juifs du monde entier dans leur patrie». À ce moment, beaucoup de juifs très religieux (ultra-orthodoxes) rejetaient l’idée d’un texte juridique non religieux qui aurait pour l’État une autorité supérieure aux textes religieux comme la Torah (enseignement divin transmis par Moïse), le Tanakh (Ancien Testament et Bible hébraïque) ou le Choulhan Aroukh (Code de la loi juive). C'est comme si la Charia pour les musulmans et la Bible pour les chrétiens devait avoir la primauté sur la Constitution d'un pays. En juin 1950, les députés de la Knesset en arrivèrent à un compromis: au lieu de rédiger une constitution, ils donnèrent le mandat à leur comité constitutionnel et judiciaire d’adopter un document similaire chapitre par chapitre. De cette façon, chacun des chapitres pouvait entrer en vigueur avec le statut de «loi fondamentale» (חוק יסוד) qu'il serait possible de rassembler pour en faire une éventuelle constitution. C'est ce qui explique que, soixante-dix ans après sa création, l'État d’Israël n’a pas encore de constitution formelle.

6 Les conflits israélo-palestiniens

Toute l'idéologie politique d’Israël est conditionnée par le caractère ethnico-religieux d'un État qui se veut juif, donc de religion juive, c'est-à-dire un État religieux à l'exemple d'un État islamique. En effet, c’est essentiellement un «État juif» qui a pour mission de rassembler ses membres dispersés de par le monde et de promouvoir la culture et la religion des juifs. Dans un tel contexte, il ne fallait pas se surprendre de voir l'irruption de conflits entre Israéliens et Arabes musulmans. 

6.1 La première guerre israélo-arabe

Le nouvel État d'Israël fut immédiatement attaqué par sept armées arabes venues en principe secourir les Palestiniens, mais il y avait aussi d'autres motifs probablement plus importants tels l'antisémitisme, le désir de contrer l'influence américaine et de rallier leur propres populations autour de leur régime respectif. Le 23 mai 1948, les forces jordaniennes s'emparèrent de la ville de Jérusalem-Est, en plus d'envahir la Samarie et une partie de la Judée. Le 24 avril, le nouveau Parlement de Jordanie approuva officiellement l'union des deux rives du Jourdain en un seul État, le Royaume hachémite de Jordanie, celui-ci ayant annexé la Cisjordanie.

Par le fait même, les Jordaniens avaient pris pied dans les zones dévolues à un futur État arabe en vertu du plan de partage de l'Organisation des Nations unies de 1947. Le 20 juillet 1951, le roi Abdallah, désapprouvé pour son annexion de la Cisjordanie et les accords d'armistice avec Israël, fut assassiné à Jérusalem. Son fils Talal lui succéda, mais il dut abdiquer pour raison de santé en faveur de son fils Hussein (le 11 août 1952).

Le reste des forces arabes subirent la défaite, ce qui permit à Israël de conserver un territoire au-delà des limites fixées par l’Onu. La guerre israélo-arabe mit sur les routes quelque 780 000 réfugiés palestiniens, dont la moitié environ s’enfuirent dans la panique. La seconde moitié fut évacuée de force par les Israéliens pour laisser la place aux immigrants juifs. Les Palestiniens furent dans l'obligation de s'établir dans des pays voisins, dans des camps de réfugiés, surtout au Liban, en Syrie et en Égypte. En octobre 1956 eut lieu la seconde guerre israélo-arabe, provoquée cette fois-ci par la nationalisation par l’Égypte du canal de Suez. Contraint par les Américains et les Soviétiques, Israël finit par évacuer les territoires occupés.

Plus tard, les frontières allaient rapetisser davantage pour passer à 19% (en 1967) et à 10% (en 2003, avec le plan Sharon). S'ils avaient su ce que leur réservait le prochain demi-siècle, les Palestiniens auraient sans doute accepté le plan de partage de l'ONU de 1947; on aurait aujourd'hui deux États séparés qui se détesteraient probablement, mais qui ne se feraient pas la guerre.

Dès 1949, les dirigeants du nouvel État d'Israël provoquèrent de profonds changements. Au nom du «droit du retour», ils ouvrirent largement leurs portes aux immigrants juifs du monde entier et accordèrent la priorité à la sécurité nationale ainsi qu’au développement d'une armée moderne. La part importante du budget consacrée à la défense et l'arrivée massive des immigrants juifs engendrèrent rapidement de sérieuses difficultés économiques, mais l’aide économique et militaire des États-Unis permit au pays de se développer rapidement. Graduellement et militairement, Israël grignotait le territoire palestinien!

6.2 La seconde guerre israélo-arabe

En octobre 1956 eut lieu la seconde guerre israélo-arabe, provoquée cette fois-ci par la nationalisation par l’Égypte du canal de Suez. Le conflit opposa l’Égypte et Israël soutenu par la Grande-Bretagne et la France. Encore une fois, Israël triompha et, en quelques jours, s'empara de la bande de Gaza et de la péninsule du Sinaï. Contraint par les Américains et les Soviétiques, Israël finit par évacuer les territoires occupés.

Après le conflit, le nationalisme arabe s'accentua et les appels à la revanche se multiplièrent de plus en plus. En 1964, l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) fut créée et, depuis 1969 jusqu'à sa mort en novembre 2004, dirigée par Yasser Arafat — de son vrai patronyme Abou Amar, Arafat étant le nom du mont où Mohamed (dans le Coran), après avoir conclu une trêve avec son ennemi, réunit ses troupes pour fondre sur lui. Les accrochages devinrent ensuite plus fréquents entre les forces israéliennes et les forces arabes.

6.3 La troisième guerre (guerre des Six Jours)

Après la fermeture du détroit de Tiran par le président Nasser d’Égypte, ce qui coupait alors la navigation israélienne à la mer Rouge, Israël déclara, cette fois-ci, la guerre à ses voisins et lança une offensive simultanée contre l'Égypte, la Jordanie et la Syrie.

Ce fut la guerre des Six Jours (du lundi 5 au samedi 10 juin 1967). En moins d'une semaine, l'État hébreu tripla son emprise territoriale; il permit à Israël de reconquérir la bande de Gaza et de s’emparer de la péninsule égyptienne du Sinaï, de la partie arabe de Jérusalem (Jérusalem-Est) et de la Cisjordanie, sans oublier le plateau du Golan. Environ 350 000 Palestiniens durent fuir ces territoires dont l'occupation fut aussitôt condamnée par les Nations unies.

Les territoires occupés devinrent un enjeu politique non seulement pour Israël, mais également pour les Palestiniens qui multiplièrent les attentats contre Israël. Les représailles israéliennes, marquées par la destruction de très nombreux villages arabes dans les territoires occupés, accrurent en même temps l'isolement d'Israël et un certain respect par la communauté internationale. Puis, le 6 octobre 1973 (jour du Yom Kippour ou «fête du Grand Pardon»), l'Égypte et la Syrie déclenchèrent une attaque-surprise contre Israël afin de récupérer les territoires perdus en 1967.

6.4 La quatrième guerre israélo-arabe

Puis, le 6 octobre 1973 (jour du Yom Kippour ou «fête du Grand Pardon»), l'Égypte et la Syrie déclenchèrent une attaque-surprise contre Israël afin de récupérer les territoires perdus en 1967. Après quelques semaines de combats, l’armée israélienne parvint à refouler ses adversaires, non sans avoir subi de lourdes pertes. En représailles, les pays arabes producteurs de pétrole suspendirent leurs exportations vers les États-Unis et certains pays européens afin de protester contre l'aide apportée à Israël. En 1974, Israël conclut deux accords de désengagement, d’abord avec l’Égypte, puis avec la Syrie, puis en arriva aux accords de Camp David (septembre 1978), ce qui permit à l’Égypte de récupérer la totalité du Sinaï (ce qui fut fait en avril 1982).

Toutefois, la question de la souveraineté sur les territoires palestiniens occupés, où s'étendaient les colonies juives, demeura en suspens. Condamnant l'initiative égyptienne, les pays arabes ne désarmèrent pas contre Israël. Les forces israéliennes ripostèrent en détruisant en 1981 un réacteur nucléaire irakien près de Bagdad, alléguant que l'Irak voulait produire des armes destinées à être utilisées contre l'État hébreu. En décembre de la même année, le plateau du Golan fut annexé.

En juin 1982, les troupes israéliennes envahirent le Liban pour mettre un terme à la présence de l'OLP dans ce pays. Vers la mi-août, après deux mois de combats intensifs dans Beyrouth-Ouest, l'OLP, assiégée, accepta d'évacuer ses combattants de la capitale libanaise. Les troupes israéliennes demeurèrent toutefois stationnées au Sud-Liban, où fut instaurée une «zone tampon» à la frontière.

6.5 L'Intifada de 1987

En décembre 1987, une révolte générale embrasa les territoires palestiniens occupés par Israël. La répression par l'armée de l'Intifada (en arabe: «soulèvement») accrut le clivage entre les partisans de la paix et les défenseurs d'Israël, notamment les mouvements religieux et nationalistes sionistes. Mais les images télévisées diffusées dans le monde entier montrant des soldats israéliens brutalisant des enfants palestiniens popularisèrent la cause palestinienne défendue par Yasser Arafat.

En novembre 1988, l'OLP reconnut explicitement le droit à l'existence de l'État d'Israël et adopta la «déclaration d’indépendance de l’État de la Palestine». Le choix de cette initiative diplomatique facilita la mise en œuvre de négociations israélo-arabes et aboutit à la reconnaissance mutuelle entre Israël et l’OLP (septembre 1993) ainsi que la mise en place d’une Autorité nationale palestinienne (mai 1994-septembre 1995) dirigée par Yasser Arafat.

Mais la politique du premier ministre israélien d’alors, Benyamin Netanyahou, et l’expansion considérable de la présence des colons juifs en milieu palestinien, notamment en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, entraînèrent l’interruption des négociations. Celles-ci reprirent à Camp David II (en juillet 2000) entre le président américain (Bill Clinton), le président palestinien (Yasser Arafat) et le premier ministre israélien (Ehoud Barak), mais elles aboutirent également à un échec. L’un après l’autre, les signes d’une prochaine reprise des négociations de paix israélo-palestiniennes se firent plus apparents, mais n’aboutirent jamais. C'est toujours l'éternelle impasse!

6.6 La perpétuation des conflits

Pour réussir à obtenir la paix avec les Palestiniens, le premier ministre Ehoud Barak (1998-2000), un ancien chef d'état-major de l'armée israélienne, devait éviter de suivre les deux conseils que lui avait donnés son prédécesseur Benyamin Netanyahou (1996-1998) avant de quitter son bureau: «Tenez Arafat et Assad à la gorge» et «Ne faites pas de concessions aux Arabes; il faut créer des conflits avec eux.» C'était claire comme message! Par ailleurs, de nombreux Arabes des États voisins en sont venus à croire que la paix est tout simplement impossible, car Israël ne voudra jamais en payer le prix, par exemple revenir aux frontières de 1948. C’est pour cette raison que Walid Joumblatt, alors ministre libanais, affirmait même: «La paix est impossible et l’État hébreu est appelé un jour à disparaître.» Sauf que l'État hébreu ne disparaîtra pas, ni les réclamations des Palestiniens.

Évidemment, il faudrait qu’Israël comprenne que les Palestiniens ne renonceront pas à leurs revendications s’ils n’obtiennent pas un véritable État doté de pouvoirs souverains et d’une infrastructure viable au plan économique. Ou bien on créera deux États souverains (Israël et Palestine) ou bien un État binational (avec Juifs et Palestiniens). Dans ce dernier cas, ce serait la fin de l’«État juif» fondé sur l'ethnie et la religion. On peut penser que Juifs et Palestiniens nourrissent le même rêve, c'est-à-dire la disparition de l'Autre, mais il faut le répéter : les deux peuples ont les mêmes bonnes raisons historiques de revendiquer le même territoire qu'ils ne veulent pas partager.  

7 Les accords d'Oslo

Le 13 septembre 1993, à Washington, sur le perron de la Maison-Blanche à Washington, Yasser Arafat, le président de l’Organisation de libération de la Palestine, et Yitzhak Rabin (entre 1992-1995), alors premier ministre israélien, se donnèrent une poignée de main devant le président américain Bill Clinton. Tous deux venaient de signer des accords de paix, un premier pas vers le règlement du conflit israélo-palestinien. Comme d'habitude, ces accords resteront lettre morte.

Depuis, plusieurs traités ont été conclus entre les deux parties. Ces traités sont connus sous le terme d’accords d’Oslo. La plupart des rencontres, qui ont eu lieu en dehors des négociations de paix officielles, se sont déroulées à Oslo, grâce à M. Johan Joerger Holst, ministre des Affaires étrangères de Norvège, qui en était le médiateur.

7.1 L'autonomie provisoire de la Palestine

La Déclaration de principes sur les aménagements de l'autonomie provisoire du 13 septembre 1993 (Washington) donne les grandes lignes des accords entérinés pour les cinq années intérimaires de l'autonomie palestinienne. D'après cette Déclaration de principes, les négociations sur le statut permanent de la bande de Gaza et de la Cisjordanie devaient commencer la troisième année de la période intérimaire. Le statut permanent des territoires devait être effectif après cette période intérimaire de cinq ans. Depuis la signature de la Déclaration de principes, Israéliens et Palestiniens ont signé les accords et les documents suivants :

- l'Accord Gaza-Jéricho (le 4 mai 1994);
- l'Accord sur le transfert préalable de pouvoir et de responsabilités (le 29 août 1995);
- l'Accord intérimaire israélo-palestinien sur la Cisjordanie et la bande de Gaza (le 28 septembre 1995);
- l'Accord de Hébron (le 21 janvier 1996);
le mémorandum de Wye Plantation (le 23 octobre 1998);
- l'Accord intérimaire de Sharm-el Sheikh (le 4 septembre 1999);
- le Protocole sur le passage direct entre la Cisjordanie et la bande de Gaza (le 5 octobre 1999).

En résumé, les accords d'Oslo représentaient l'ensemble des accords conclus entre Israël et les Palestiniens pour fixer le calendrier et les règles de la mise en place progressive de l'autonomie en Cisjordanie et à Gaza, ainsi que les conditions des négociations finales sur les questions restées en suspens. Les Palestiniens demandaient qu’on applique le droit international et qu’en conséquence Israël se retire des territoires occupés depuis 1967. En échange de cette promesse (non tenue), les Palestiniens acceptaient un compromis historique: la reconnaissance de la légitimité du contrôle israélien sur 78 % de la Palestine traditionnelle, c’est-à-dire l’État d’Israël dans ses frontières de l’armistice de1948.

Cependant, les opposants aux accords d'Oslo étaient nombreux. Non seulement le Hamas était contre parce qu'il voulait libérer toute la Palestine de la Méditerranée au Jourdain, mais les ultranationalistes israéliens ne voulaient rien savoir d'un partage du territoire. En même temps, la stratégie de la plupart des responsables israéliens étaient de s'assurer la division des Palestiniens, en l'occurrence entre le Hamas à Gaza et l'Autorité palestinienne en Cisjordanie. Bref, la stratégie de la guerre permanente du Hamas convenait très bien à beaucoup d'Israéliens qui considéraient le Hamas comme leur meilleur ennemi. Qu'a fait, de son côté, le Hamas après les accords d'Oslo? Il a envoyé des jeunes gens se faire exploser dans les cafés!  

7.2 L'expansion des colonies juives

De fait, depuis la fin des accords de paix d’Oslo, le contrôle israélien sur le territoire palestinien s’est renforcé et le nombre de colons juifs a augmenté de 54 % malgré la promesse d'Israël de «geler» la colonisation des terres conquises depuis 1967; en Cisjordanie seulement, le nombre de colons a bondi de 100 500 à plus de 190 000, une augmentation de 90 %. En 2008, le nombre des colons s'élevait à 285 000 répartis dans 140 colonies juives. Bref, cette politique de colonisation est en violation de l’article 49 (Déportations, transferts, évacuations) de la IVe Convention de Genève, qui se lit comme suit:

Les transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance occupante ou dans celui de tout autre État, occupé ou non, sont interdits, quel qu'en soit le motif.

Toutefois, la Puissance occupante pourra procéder à l'évacuation totale ou partielle d'une région occupée déterminée, si la sécurité de la population ou d'impérieuses raisons militaires l'exigent. Les évacuations ne pourront entraîner le déplacement de personnes protégées qu'à l'intérieur du territoire occupé, sauf en cas d'impossibilité matérielle. La population ainsi évacuée sera ramenée dans ses foyers aussitôt que les hostilités dans ce secteur auront pris fin.

La Puissance occupante, en procédant à ces transferts ou à ces évacuations, devra faire en sorte, dans toute la mesure du possible, que les personnes protégées soient accueillies dans des installations convenables, que les déplacements soient effectués dans des conditions satisfaisantes de salubrité, d'hygiène, de sécurité et d'alimentation et que les membres d'une même famille ne soient pas séparés les uns des autres.

La Puissance protectrice sera informée des transferts et évacuations dès qu'ils auront eu lieu.

La Puissance occupante ne pourra retenir les personnes protégées dans une région particulièrement exposée aux dangers de la guerre, sauf si la sécurité de la population ou d'impérieuses raisons militaires l'exigent.

La Puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d'une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle.

Ce non-respect des dispositions de la Convention de Genève s’est toujours fait avec l’appui inconditionnel des États-Unis. C'est pourquoi les Palestiniens soupçonnent les États-Unis de ne pas être des «courtiers honnêtes» parce qu’ils se sont révélés «trop favorables» à l'égard d’Israël. En effet, la politique israélienne a toujours été systématiquement et aveuglément adoptée par les Américains, sans considération suffisante des positions et des besoins des Palestiniens.

7.3 La poigne forte d'Ariel Sharon

De plus, l’élection d’Ariel Sharon au poste de premier ministre — le «faucon» qui a entraîné Israël dans une guerre interminable avec le Liban, qui a été mêlé au massacre de 800 réfugiés dans les camps de Saba et Chatila, qui a fait construire des villes juives en Cisjordanie —  ne pouvait que radicaliser Juifs et Palestiniens. En Israël, il existe une théorie de la «poigne forte», selon laquelle les gouvernements de droite, avec leur discours musclé et intransigeant, sont les plus aptes à pouvoir apporter la paix dans ce pays. Cependant, le principe de «la sécurité d’abord, la paix ensuite» peut avoir pour effet de modifier profondément les règles du jeu, de telle sorte que les risques d’explosion deviennent plus élevés que les chances de paix.

En effet, l'ancien premier ministre Ariel Sharon a refusé de reprendre les négociations là où elles s’étaient arrêtées avec le gouvernement d’Ehoud Barak (1998-2000). Il croyait que sa mission était de garantir la sécurité de l'État d'Israël et de liquider les terroristes (arabes). Mais dès qu'il liquidait un réseau, il en apparaissait un autre. Selon beaucoup d'observateurs, Sharon était convaincu qu'il possédait la vérité et il n'écoutait personne. Arafat faisait de même! Le Hamas également!

De leur côté, les Américains, qui connaissent bien l’histoire de l’État d’Israël — dont l’expansion des colonies juives et la sauvagerie des colons — et l’ont toujours appuyé aveuglément depuis cinquante ans, préfèrent ignorer les faits, car ils n’ont, sauf erreur, jamais fait quelque effort que ce soit pour défendre les droits de la personne chez les Palestiniens. La raison paraît évidente: toute intervention effective des États-Unis signifie non seulement des pressions exercées sur Israël, mais surtout aller à l’encontre du puissant lobby juif dont l'influence est prépondérante au Congrès américain.

7.4 L'effondrement du processus de paix

Depuis le 29 septembre 2000, les relations israélo-palestiniennes sont entrées dans une phase d'effondrement du processus de paix. La deuxième Intifada palestinienne a éclaté en laissant les deux parties profondément ébranlées et en menant à la débâcle toute négociation sur le statut permanent de la Palestine. La répression israélienne a atteint des sommets avec des attaques aériennes et terrestres, utilisant missiles, chars et avions de combat. Le premier ministre Sharon avait même traité le leader Yasser Arafat «d'assassin, de chef terroriste et d'ennemi farouche», pendant que les ministres extrémistes appelaient ouvertement à la «liquidation» du président palestinien. L’objectif d’Israël semblait évident; il s’agissait d’abord d’affaiblir le président palestinien et ensuite de lui imposer (ou à son éventuel successeur) un accord de longue durée rêvée: non pas la paix, mais une situation temporaire destinée à durer indéfiniment, parce que les Palestiniens «n’auront pas d’autres choix», selon Ariel Sharon.

Cet ancien premier ministre d'Israël espérait ainsi, après s'être débarrassé de l'Autorité palestinienne et de Yasser Arafat, faire accepter sa «solution à long terme» qu'il préconisait depuis 1998: quelques «bantoustans» palestiniens autogérés, enserrés dans un carcan de colonies juives, dont le réseau n'a cessé de s'étendre depuis la signature des accords d'Oslo de 1993. Ces colonies juives sont le «cancer de la Palestine» et elles sont au cœur du conflit israélo-palestinien. Les Nations unies les considèrent comme illégales, alors que les Palestiniens ragent de voir leur futur État indépendant se rétrécir à mesure que s'élèvent de nouvelles implantations occupées par des «extrémistes juifs». C'est exactement ce que veut Israël, c'est-à-dire s'organiser pour que les Palestiniens gèrent éventuellement leurs propres affaires, sans aucune forme de souveraineté. On peut se demander pourquoi un Israélien accepte d'habiter au cœur d'un territoire arabe et musulman, dans une enclave protégée par des soldats, des barbelés et des murs de béton. Ce sont des motifs à la fois religieux, politiques et expansionnistes, où le fanatisme religieux n'est jamais très loin.   

Sur le terrain, l'armée israélienne utilisait tous les moyens de répression, tels que blindés, hélicoptères et même des F-16, ainsi qu'un blocus sévère, pour écraser les Palestiniens. Comme le soulignait l'historien israélien Zeev Sternhell: «Seul un esprit malade peut espérer que l'occupation des territoires entraîne la fin de la guérilla et de la terreur.» Comment stopper ce cycle infernal? Les Palestiniens comme les Israéliens ont regardé du côté des États-Unis, mais le président américain (alors George W. Bush) ne semblait pas trop s’émouvoir. L'un des proches conseillers du président aurait même déclaré: «Laissez-les saigner ("Let them bleed"), au bout d'un moment, ils deviendront plus raisonnables.» Puis George W. Bush a trouvé le moyen de qualifier Ariel Sharon d'«homme de paix».

Pour les Arabes du monde entier, Sharon était considéré comme un «criminel de guerre» au même titre que Slobodan Milosevic au Kosovo. Ils se sont demandé pourquoi l'ex-président de la Yougoslavie avait été traduit devant le Tribunal international, et pas Sharon! L’échec des accords d’Oslo pour le monde arabe semble avoir été ressenti comme une catastrophe bien plus apocalyptique que la destruction, le 11 septembre 2001, des tours jumelles du World Trade Center pour les Américains et le reste du monde.

8 Les mesures de protection

Les nombreux attentats des Palestiniens révoltés exercèrent à long terme une action déstabilisante sur la population israélienne, tout en braquant les dirigeants israéliens dans une politique consistant à taxer tous les Arabes et les musulmans de «terroristes».

8.1 Le mur de Sécurité

Comme si la situation n'était pas encore assez sombre, les autorités israéliennes érigèrent en 2004 le «mur de Sécurité» destiné à «protéger l’État hébreu et les colonies juives de Cisjordanie», ce qui a eu pour effet d'annexer une zone de 975 kilomètres carrés, grignotant encore le territoire palestinien. L'ONU condamna le geste d'Israël, de même que la Cour internationale de justice de La Haye.

Dès lors, les habitants de Cisjordanie et de Gaza furent enfermés derrière des clôtures, des miradors et des caméras de surveillance, et devinrent les «citoyens de l’Autorité palestinienne». La carte de gauche reproduit approximativement le «mur de Sécurité» (en bleu); les zones en vert montrent la partie de la Cisjordanie qui reste sous occupation militaire israélienne. Les zones en jaune (Cisjordanie palestinienne) demeurent toujours haute surveillance de l'armée israélienne.

Le mur suit des lignes sinueuses afin d'enclaver le plus possible de colonies juives en Cisjordanie: la plupart des colonies doivent rester du côté occidental du Mur de façon à ce qu'elles soient éventuellement annexées à Israël. C'est aujourd'hui la plus grande prison à ciel ouvert de la planète! On en est rendu à croire qu'Israël veut rendre la vie des Palestiniens tellement insupportable qu'ils finiront pas vouloir d'eux-mêmes quitter leur terre ancestrale. Les Palestiniens parlent de cette «clôture» comme du «mur de séparation raciale» ("jidar al-fasl al-'unsuri"), un «mur de la Honte». En construisant ce mur, le gouvernement israélien étend encore davantage ses colonies sur la base du principe selon lequel «ce qui est construit aujourd'hui, nous le garderons demain».

Bien qu'elles soient contraires à la loi internationale, y compris à des dizaines de résolutions des Nations unies, il n'existe aucun mécanisme pour empêcher ce genre d'entreprise. Si pour les Israéliens, l'unique objectif du mur est la sécurité des citoyens israéliens, il n'en est pas ainsi pour les Palestiniens: c'est une stratégie manifeste pour annexer une partie de la Cisjordanie, celle contenant la quasi-totalité des colons juifs, ce qui ferait encore reculer les frontières d'un hypothétique État palestinien.

8.2 La montée de l'extrême droite

Les élections israéliennes de février 2009 virent la montée d'un parti d'extrême-droite, d'idéologie néonazie, le Parti Israel Beitenou («Israël notre maison») dirigé par l'ultranationaliste d'origine russo-moldave Avigdor Lieberman. Celui-ci prônait la suppression des droits civils des Arabes israéliens, l'expulsion des Palestiniens de Galilée et le nettoyage ethnique des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, afin de favoriser les colonies juives, tout en confinant les Palestiniens dans les «réserves», sortes de «bantoustans» qu'on trouvait du temps de l'apartheid en Afrique du Sud. Liberman se considérait comme le représentant politique des Israéliens d'origine russe. Il suscitait constamment la controverse en raison de son vocabulaire violent et de ses positions anti-arabes. Il fut ministre des Transports, puis ministre des Affaires étrangères, ministre de la Défense, puis ministre des Finances.

Le 14 novembre 2018, sous le gouvernement de Benyamin Netanyahou, il démissionna de son poste de ministre après la conclusion d'un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas. Pour l’historien israélien Zeev Sternell (1935-2020), spécialiste du fascisme européen: «Lieberman est le plus dangereux politicien de notre histoire.» Or, il y en a des dizaines du même acabit!

- L'incitation à la violence

Mais ce n'était pas suffisant, entre 2009 et 2012, Avigdor Lieberman devint ministre des Affaires étrangères et vice-premier ministre de son pays, sous la gouverne du premier ministre Benyamin Netanyahou. En tant que ministre des Affaires étrangères, il déclara: «Je veux sauver Israël. Cet État a besoin d'un propriétaire et d'un patron, car nous sommes dans la situation shakespearienne de "to be or not to be".» Lieberman a déclaré à propos des citoyens arabes :

Ceux qui nous soutiennent devraient tout obtenir, mais pour ceux qui sont contre nous, il n’y a pas d’autre option devant nous – nous devons lever la hache et leur couper la tête.

De telles déclarations constituent une incitation à la violence contre tous les citoyens arabes d'Israël et empoisonnent encore davantage l'atmosphère qui prévaut au sein de la société israélienne. Toutefois, cette idéologie est fortement acceptée en Israël, notamment par les ultra-orthodoxes. Par exemple, le 5 novembre 2023, dans une entrevue avec une radio ultra-orthodoxe, le ministre du Patrimoine d'Israël affirmait qu’envoyer une bombe nucléaire sur la bande de Gaza était «une option». Ce ministre croyait qu’il n’y avait pas de civils «non combattants» à Gaza; c'est pourquoi il s'opposait à l’envoi de toute aide humanitaire aux deux millions de Palestiniens de l’enclave. Quant au ministre de la Sécurité nationale, il a fait distribuer des fusils dans la population civile dans le but de créer des «escouades de sécurité», y compris dans les colonies juives de Cisjordanie. Ce n'est pas tout, le ministre des Finances, de son côté, affirmait que les Palestiniens avaient trois choix: vivre sous la domination d’Israël, partir ou mourir en martyrs. En somme, les ministres israéliens issus des courants ultranationalistes et d’extrême-droite peuvent propager tous les discours incendiaires qu'ils désirent parce qu'ils sont protégés par leur impunité, tandis que le premier ministre Benyamin Netanyahou a besoin d'eux pour conserver le pouvoir. Finalement, la société israélienne est une société qui a manifestement viré à droite!

- Un conflit religieux

Il s'agit d'une politique sournoise : ce n'est plus nécessaire d'entreprendre des actions violentes ni d'envoyer des chars dans les «territoires»; il suffit de poursuivre les «implantations» de colonies juives, sans tambour ni trompette, lesquelles colonies morcelleront de plus en plus l'espace vital palestinien. En 2013, il y avait quelque 350 000 colons en Cisjordanie. Le nombre de colons juifs en Cisjordanie devint si important qu'il est presque impossible d'envisager la création d'un État palestinien indépendant.

Pour les sionistes religieux orthodoxes, la Cisjordanie ne peut appartenir qu'aux juifs. Le conflit israélo-palestinien est devenu avant tout religieux, bien plus que territorial. Autant les sionistes religieux considèrent qu'il n'y a guère de place pour une Palestine indépendante en terre d'Israël, autant le Hamas estime qu'il n'y a pas de place en Palestine pour un État juif en terre d'Allah! Et personne des deux clans ne songerait à un État laïc, ce serait une apostasie collective! Pour les extrémistes religieux au pouvoir en Israël, la pacification passe par la colonisation des territoires palestiniens, voire des territoires voisins. Bref, c'est en réalité une logique de guerre entraînant d'autres guerres!

- Un endoctrinement efficace

L'idéologie politique des sionistes religieux reflète maintenant en grande partie la mentalité des jeunes du pays et, dans l'ensemble, elle reçoit l'approbation de la majorité de la population. On peut croire aussi qu'il s'agit là du résultat d'un endoctrinement efficace destiné à endormir les Israéliens. Au plan politique, Benyamin Netanyahou a polarisé la société entre conservateurs et libéraux, mais aussi entre Juifs et Arabes. À la veille du scrutin de mars 2015, il joua la peur auprès de l'électorat juif en brandissant l'épouvantail du «vote arabe» se précipitant sur les urnes. Le premier ministre Netanyahou rompit tous les liens avec les Palestiniens. En effet, il avait promis qu'il n'y aurait pas d'État palestinien sous sa gouverne, revenant ainsi sur sa position de 2009 où il avait accepté le principe de deux États indépendants vivant côte à côte.

Dans ce monde mouvant du Proche-Orient, Israël demeure l'une des sociétés les plus dynamiques, car son économie est en pleine expansion grâce aux nouvelles technologies et à une classe entrepreneuriale énergique. Toutefois, la société israélienne reste, après la société américaine, la plus inégalitaire des pays développés. La pauvreté a doublé en dix ans et frappe particulièrement les Arabes et les juifs ultra-orthodoxes. Le coût élevé de la vie et la corruption minent le pays, tandis qu'aucune amélioration ne se dessine sur la question palestinienne.

- Accepter l'inacceptable

Bref, tous ces événements n'annoncent rien de bon pour l'avenir immédiat de cette région du monde. C'est le terrorisme d'un côté (pour les Arabes), la sécurité de l'autre (pour Israël). On tourne en rond, comme un chat qui mord sa queue! Mais la guerre continue sûrement de profiter à certains groupes... depuis plus de soixante-dix ans qu'elle dure! C'est pourquoi peu de personnes dans ce pays souhaitent trouver une solution au conflit, car il leur faudrait accepter l'inacceptable: le partage.

De leur côté, les Américains, qui connaissent bien l’histoire de l’État d’Israël, dont l’expansion des colonies juives et la sauvagerie des colons, et l’ont toujours appuyé aveuglément depuis soixante-dix ans, préfèrent ignorer les faits, car ils n’ont, sauf erreur, jamais fait quelque effort que ce soit pour défendre les droits des Palestiniens. La raison paraît évidente: toute intervention effective des États-Unis signifie non seulement des pressions exercées sur Israël, mais surtout le fait d'aller à l’encontre du puissant lobby juif dont l'influence est prépondérante au Congrès américain. Tout président américain qui compatirait trop ouvertement aux revendications palestiniennes risquerait de faire l'objet d'une procédure d'impeachment («destitution») par le parti opposé.

9 Les points litigieux du conflit

Les enjeux demeurent considérables, tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens. Il y va de la survie des deux peuples. Or, les points litigieux sont importants et concernent l’entité palestinienne, les frontières politiques, le sort des colonies juives, le sort des réfugiés de 1948 et le statut de Jérusalem-Est.

9.1 L’entité palestinienne

Israël accepte théoriquement la création d’une entité palestinienne — et même un État — constituée de parcelles sans continuité territoriale à Gaza et en Cisjordanie, mais réclame sa «démilitarisation», un contrôle de son espace aérien et de la vallée du Jourdain, bref un mini-État (ou un semblant d'État) au pouvoir partiel dans les domaines de la défense, des affaires étrangères, de l'économie, de l'eau, etc. Autrement dit, le gouvernement veut imposer aux Palestiniens une sorte de «bantoustan» qui n’aura aucune légitimité à long terme.

9.2 Les frontières

Israël exclut un retour aux frontières politiques de juin 1967 qu’exigent les Palestiniens et veut annexer les zones de Cisjordanie où ont été construites les principales colonies juives de peuplement. Les Israéliens craignent que la Cisjordanie devienne comme Gaza et soient éventuellement sous l'emprise du Hamas. Pour la majorité des Israéliens, céder la Cisjordanie est devenu un trop gros risque.

9.3 Les colonies juives

Israël veut annexer les grands blocs de colonies où vivent près de 80 % des quelque 200 000 colons implantés en Cisjordanie, ce qui représente 20 % des terres saisies aux Palestiniens; seules les colonies isolées seraient évacuées. Les Palestiniens, pour leur part, demandent que toutes les colonies, au nombre d’environ 150, soient démantelées ou placées sous la souveraineté du futur État palestinien.

Or, Israël n'acceptera jamais de se retirer des territoires occupés, de démanteler ses colonies, en plus de recevoir des millions de réfugiés. Le but est de rendre non viable tout futur État palestinien.

9.4 Les réfugiés de 1948

Israël est opposé à tout retour en masse des réfugiés qui transformerait «l’État juif» en un «État binational». Il propose leur indemnisation par la communauté internationale et admet le retour en Israël de quelques milliers d’entre eux dans le cadre du «regroupement des familles». Bref, l’immense majorité des réfugiés palestiniens devrait définitivement rester dans les pays voisins. Pour Israël, c'est le futur État palestinien qui devrait accueillir les réfugiés désirant bénéficier d'un droit de retour.

9.5 Le statut de Jérusalem

Israël, qui a annexé la partie orientale de la ville (Jérusalem-Est) en 1967 et y a installé plus de 180 000 de ses ressortissants, refuse de façon catégorique que la Ville sainte soit coupée à nouveau en deux et prétend que «Jérusalem restera à jamais unifiée sous sa souveraineté et capitale éternelle de l’État hébreu», sur laquelle les Palestiniens n'auraient aucun droit de souveraineté. Quant aux Palestiniens, ils exigent que Jérusalem-Est devienne la capitale de leur futur État.

10 La langue comme symbole identitaire

À peine une quarantaine d’années après la publication de la première tranche du dictionnaire de Ben Yehouda, l’hébreu était devenu le véhicule linguistique dominant en Israël. Depuis cette époque, le mouvement ne s'est jamais arrêté, car il s'est poursuivi bien que, à la fin des années 1990, seulement 50 % des Juifs résidant en Israël parlaient cette langue dès leur naissance. En fait, l’hébreu est devenu le cœur de l’identité et de l’unité politique israéliennes; il est considéré à la fois comme une langue nationale, la première langue officielle et la langue de la majorité démographique.

10.1 L'hébreu comme langue nationale

Il est important de souligner que l'État a joué un rôle essentiel dans l’apparition et le développement du nationalisme israélien. L’idée d’une langue nationale à créer et à soutenir a constitué l'essentiel de la politique linguistique des dirigeants israéliens. L’État et ses institutions corollaires ont servi de levier à la promotion de la langue hébraïque qu'il a fallu créer de toutes pièces en puisant dans l’histoire une langue tombée en désuétude comme véhicule de communication quotidien. C'est pourquoi l'État d'Israël a pris en charge l'élaboration syntaxique et lexicale de la langue, tel qu’elle se présentait à la fin du XIXe siècle dans sa forme pré-étatique, mais en y ajoutant des moyens financiers et institutionnels appropriés, de sorte que l'hébreu a pu être utilisé au plus haut niveau d’une administration moderne.

Cette implication de l'État dans la confection de l'hébreu a entraîné en 1953 la fondation de l'Académie de la langue hébraïque ("ha akademia le-lashon ha-ivit"), aussi appelée en anglais "Supreme Institute for the Science of the Hebrew Language". L'objectif du législateur israélien était de confier à un organisme officiel la tâche de structurer le développement de l'hébreu sur le fondement d'une approche incluant à la fois des études historiques et une connaissance objective de ses composantes principales actuelles. De cette façon, l’État obligeait les agences gouvernementales, les établissements d'enseignement et les organismes scientifiques, notamment les universités et les médias électroniques, à se conformer aux décisions de l’Académie pour tout ce qui concerne la grammaire, l’orthographe et la translittération de l’hébreu. On lit à ce sujet la déclaration suivante de l'Académie:

Le secrétariat scientifique répond aux questions du public au sujet d’un grand nombre de thèmes à saveur linguistique, telles la prononciation, l’épellation et la pertinence de certains noms d’enfants en langue hébraïque. Il dirige aussi le travail de comités plus spécialisés chargés de développer une terminologie technique au sein de plusieurs domaines professionnels. Plus de 100 000 mots ont été créés par les comités terminologiques établis par l’Académie ainsi que par l’organisme qui l’avait précédé : le Comité sur la langue. Ces mots sont disponibles au grand public dans des dizaines de dictionnaires et de listes publiés par l’Académie.

De plus, l'Académie élabore depuis 1959 un dictionnaire historique s’intéressant à toutes les étapes de la littérature en hébreu, ce qui représente un ensemble lexical de plus de six millions de mots tirés de la période post-biblique et de près de neuf millions de mots additionnels employés dans des ouvrages publiés par la suite.

Comme beaucoup de sociétés fortement urbanisées et industrialisées, l'État d'Israël subit des pressions importantes de la part de l’anglais. En tant que langue véhiculaire internationale, l'anglais exerce nécessairement une influence sur l'hébreu et la société israélienne. Cette réalité fait peser sur la société la crainte que la langue anglaise et la culture populaire américaine occupent une place sans cesse croissante au détriment de l'hébreu, une langue nationale dont la position reste fragile dans le monde. Dans le pays, l’anglais demeure la langue seconde la plus étudiée dans le système scolaire; c'est aussi celle qui est enseignée le plus tôt, le plus souvent dès la fin du primaire. C'est d'ailleurs la langue, à part l'hébreu, qui est apprise par tous les étudiants israéliens, bien que la moitié d’entre eux complètent leur programme scolaire au secondaire par l'étude de l’arabe. Bien que l’anglais n’ait pas de statut officiel, il reste prépondérant par bien des aspects. En effet, il est souvent utilisé comme langue officielle de facto et demeure très présent à la fois dans les rues, les commerces et les bureaux du gouvernement. C'est de manière incontestable «la seconde langue de tous», bien avant l'arabe. Cette appropriation de l'anglais ne peut que concurrencer à la fois l'hébreu et l'arabe.

10.2 Le statut de l'hébreu et de l'arabe

Le statut des langues fut défini par la Grande-Bretagne avant l'instauration de l'État d'Israël. Dans dans l'Ordonnance en Conseil privé sur la Palestine (1922) (Palestine Order in Council), promulguée le 10 octobre 1922, qui tenait lieu de Constitution, l'article 82 stipulait que l'anglais, l'hébreu et l'arabe seraient les trois langues officielles des actes d'autorité publique, de l'Assemblée législative, de l'administration, des cours de justice, etc.: 

Article 82

Toutes les ordonnances, tous les avis et actes officiels du gouvernement, de même que tous les avis officiels des autorités locales et municipales dans les zones prescrites en vertu d'un décret du Haut Commissaire, doivent être publiés en anglais, en arabe et en hébreu. Les trois langues peuvent être utilisées dans les débats et les discussions du Conseil législatif et peuvent être assujetties à tout règlement qui, à l'occasion, est adopté par les services gouvernementaux et les tribunaux.

En cas de conflit entre la version anglaise d'une ordonnance, d'un avis officiel ou d'un formulaire officiel et sa version arabe ou hébraïque, la version anglaise prévaudra.

Cet article de l'ordonnance de 1922 a été le seul texte juridique à portée linguistique jusqu'à la création de l'État d'Israël. Jamais le Parlement, la Knesset, n'a adopté de loi définissant le statut de l'hébreu et de l'arabe. La législation israélienne repose donc sur une règle du Mandat britannique déclarant trois langues comme co-officielles sur le territoire qu'on appelait alors la «Palestine». Le statut des langues a continué d'être régi juridiquement par l'ordonnance britannique de 1922, à l'exception d'une modification importante sous la forme d'un article 15b de l'Ordonnance sur le droit et l'administration, n° 1, 5708 (1948), qui stipule ce qui suit:

Article 15

Autres adaptations de la loi

a) La "Palestine", partout où elle apparaît dans la loi, doit dorénavant être lue comme "Israël".

b)
Toute disposition juridique requérant l'usage de la langue anglaise est abrogée.

C'était une façon pour les Juifs de s'affranchir de la prépondérance de l'anglais, sans l'interdire. Aux yeux des dirigeants politiques de 1948, seul l’hébreu se trouvait digne d’être la langue nationale de tous les Juifs, tout particulièrement dans la fondation d’un État national sur le territoire même où cette tradition linguistique plusieurs fois millénaire était d’abord apparue. En même temps, de nouvelles migrations issues des pays arabes renforcèrent l’idée que le yiddish ne pouvait être une langue fédératrice pour les Juifs de souche séfarade ou orientale et il apparaissait prématuré d'éliminer l'arabe parlé par une bonne partie de la population musulmane. Cette période de ressentiment envers l'anglais était perçue comme une réminiscence du Mandat britannique peut aussi s’expliquer par le fait qu'il fallait défense l’hébreu en réduisant la concurrence d'une langue trop forte.

Ainsi, depuis 1948 jusqu'à aujourd'hui, l'hébreu et l'arabe étaient les deux seules langues officielles. Dans les décennies qui ont suivi, peu de lois israéliennes ont fait référence à l'une ou l'autre des langues officielles, jusqu'à l'adoption d'une nouvelle loi fondamentale adoptée par la Knesset en juillet 2018. Il s'agit de la Loi fondamentale: Israël en tant qu'État national du peuple juif. À l'article 4 de cette loi, on peut lire que «la langue nationale est l'hébreu» et que «la langue arabe bénéficie d'un statut spécial au sein de l'État»:

Article 4

Langue

a) La langue nationale est l'hébreu.

b) La langue arabe bénéficie d'un statut spécial au sein de l'État; toute réglementation concernant l'utilisation de l'arabe dans les institutions nationales ou par celles-ci doit être déterminée par une loi.

c) Cette disposition ne doit pas porter atteinte au statut accordé à la langue arabe avant l'entrée en vigueur de la présente loi.

De plus, ces dispositions ne doivent pas porter atteinte au statut accordé à la langue arabe avant l'entrée en vigueur de la présente loi. Comme statut ambigu, il est difficile de faire mieux. Cette loi fondamentale a été adoptée par 62 voix contre 55 à la Knesset. Elle fait de l'hébreu la seule langue officielle (nationale) du pays, alors que l'arabe avait auparavant un statut identique, sur moins sur papier. La loi déclare aussi à l'article 7 que l'établissement de «localités juives» (sur le territoire israélien) est considéré «comme une valeur nationale» et proclame à l'article 3 que «Jérusalem, entière et unifiée» est la capitale d'Israël, ce qui inclut la partie orientale de la ville annexée et occupée. Enfin, la loi désigne à l'article 1er que «l'État d'Israël est le foyer national du peuple juif» dans lequel celui-ci «exerce son droit naturel, culturel, religieux et historique à l'autodétermination», en précisant que ce droit à «l'autodétermination nationale au sein de l'État d'Israël est exclusif au peuple juif».

D'une part, la Loi fondamentale du 19 juillet 2018 se trouve à ratifier constitutionnellement le caractère juif de l’État hébreu; d'autre part, elle fait passer la langue arabe de langue co-officielle à langue «à statut spécial», ce qui ne pouvait qu'inquiéter la minorité arabophone qui constitue près de 20% de la population. En fait, la loi entérine un processus enclenché il y a plus d'une vingtaine d'années, qui consiste à réduire progressivement la présence de la langue arabe dans l’espace public. Alors que l'État semblait avoir compris l'importance de cette langue au Proche-Orient en rendant obligatoires les cours d'arabe (langue seconde) aux Juifs pour la rentrée scolaire de 2011 en sixième année du primaire, l'Éducation nationale a décidé que l’arabe ne figurait plus dans les programmes du second degré, sauf en option. Cette langue, considérée comme langue de la religion ou «du petit peuple», a été abandonnée au profit de l’hébreu et de l’anglais. L’arabe officiel, et non pas l'arabe palestinien, est devenu progressivement la langue de la littérature, de l’administration et de la religion musulmane. La communauté arabo-palestinienne a compris que l’ascension sociale passe maintenant par les études universitaires qui ne sont offertes qu’en hébreu et en anglais. La nécessité de maîtriser l’anglais et l’hébreu est devenue impérative pour convaincre les investisseurs, et ce, au détriment de la langue arabe réduite aux conversations familiales. Pour la population arabe, sa langue est devenue synonyme de régression ou d’anachronisme dans un monde moderne occidentalisé utilisant massivement l'hébreu et l'anglais.

10.3  Une loi d'apartheid

Évidemment, cette situation juridico-linguistique ne pouvait qu'inquiéter les députés arabes de la Knesset. Ils ont aussitôt accusé le gouvernement d'avoir adopté une «loi d’apartheid» et une «loi raciste». Ils craignent que la loi encourage non seulement la discrimination et le racisme, mais qu'elle puisse perpétuer le statut d'infériorité des Arabes en Israël. De son côté, l'Union européenne s'est dite «préoccupée» par l'adoption de cette loi qui risque de «compliquer» toute solution dans le conflit israélo-palestinien.

Dans les faits, cette loi fondamentale ne va pas changer grand-chose, car elle ne fait que mettre des mots sur une réalité. Cependant, elle va contraindre dorénavant les tribunaux à prendre en compte le caractère juif de l'État d'Israël, ce qui pourrait aboutir à une interprétation plus restrictive des droits des arabophones. Le problème que pose un «État juif», c’est qu’il divise les citoyens en deux nations distinctes. Israël n'est pas l’État de tous ses citoyens, mais uniquement l’État de ses citoyens juifs, puisqu’il ne se reconnaît qu’en tant que «patrie historique du peuple juif». Il existe donc une discrimination par rapport aux arabophones musulmans, qui ne sont pas reconnus comme étant des citoyens de la même catégorie que les Juifs. Cette loi peut donc à long terme entériner la possibilité concrète et juridique de permettre des distinctions, voire des discriminations, en toute légalité. En effet, la loi peut déboucher sur des décisions législatives qui entraîneraient une véritable ségrégation. En ce sens, la minorité arabe a raison de s'inquiéter. Les juristes croient que les juges de la Cour suprême d'Israël auront dorénavant la responsabilité d’interpréter, au cas par cas, dans les affaires de discrimination collectives ou individuelles, les articles controversés de cette loi fondamentale.

11 Le «plan de paix» américain de 2020

Israël voulut non seulement éviter tout partage de son sol, mais aussi éliminer toute trace de Palestiniens. De leur côté, beaucoup de Palestiniens étaient convaincus que les Juifs étaient des étrangers imposés par l'Occident en terre arabe et qu'ils devaient être chassés du Proche-Orient. Si les Palestiniens avaient accepté de liquider leurs terroristes, en échange d'un État, l'ancien leader Arafat aurait risqué la guerre civile chez lui. Si Israël avait accepté un État palestinien et avait rendu les territoires occupés, l'ancien premier ministre Ariel Sharon aurait également dû affronter une guerre civile. Cela dit, les interventions militaires israéliennes n'ont jamais mis un terme au terrorisme palestinien!

Dans l'immédiat, il ne resterait que trois solutions:

1) continuer à occuper le territoire palestinien, et les pires violences continueront des deux côtés;
2) négocier pour permettre l’existence de deux États indépendants et libres;
3) créer un État unitaire géré entièrement par un nouvel État d'Israël en sacrifiant son caractère juif.

11.1 Les intérêts israéliens

Or, le 29 janvier 2020, les États-Unis, sous la présidence de Donald Trump, présentèrent un «plan de paix» s'inscrivant dans le cadre de la solution à «deux États» préconisés par les Nations unies, c'est-à-dire la création d’une Palestine au côté d’Israël. Cependant, la version américaine de ce «plan de paix» s’alignait exclusivement sur les intérêts israéliens. Les Palestiniens devaient savoir qu'ils n'avaient rien à attendre d'un président américain pourfendeur des minorités, raciste et anti-arabe.   

Pour résumer ce «plan de paix» décidé de façon unilatérale, celui-ci donnait à Israël tout ce qu’il voulait et concédait aux Palestiniens ce qu'Israël ne voulait pas, et tentait d'acheter ces derniers avec la promesse d’une aide de 50 milliards de dollars, une aide qui ne verrait vraisemblablement jamais le jour. Parmi les nombreux points sensibles de ce plan figurait la reconnaissance de l’annexion par Israël à son territoire des colonies qu’il avait implantées en Cisjordanie occupée, en particulier dans la vallée du Jourdain, ainsi que la perte de Jérusalem pour les Palestiniens.

11.2 Un État gruyère

Dans ces conditions, les Palestiniens continueraient de vivre dans un État gruyère entièrement enclavé par les Israéliens. Pour relier Gaza à l'État palestinien, il y aurait un tunnel. 

Un futur État palestinien sur ces tracés de 2020 apparaissait évidemment nettement en deçà de ce à quoi aspiraient les Palestiniens, c'est-à-dire la totalité des Territoires occupés depuis 1967 par Israël. Du côté palestinien, ce fut un refus en bloc! Comment un président américain pouvait penser, ne serait-ce qu'une seule seconde, qu'une telle proposition pouvait être acceptée par les Palestiniens? Il savait certainement qu'elle serait refusée, mais il bluffait!

Évidemment, ce «plan de paix» faisait l'affaire du gouvernement israélien, car c'était un «plan de reddition» palestinien, tandis que les Palestiniens n'avaient jamais été consultés. Ce n’est donc pas une surprise que l’Autorité palestinienne ait repoussé le tout d’un revers de la main.

Comble d'ironie, le président Trump avait lancé une mise en garde à Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne, afin de l’exhorter à saisir «une chance historique», et peut-être «la dernière», s'il voulait obtenir un État indépendant, ce qui signifiait dans les fait un État gruyère «à prendre ou à laisser»!

12 L'attaque du Hamas d'octobre 2023

Le 7 octobre 2023, le Hamas lança de violentes attaques près de la bande de Gaza. Des roquettes furent tirées par centaines vers des villes israéliennes afin de faire diversion sur ce qui devait se jouer au sol. Puis plus de 1200 commandos lourdement armés massacrèrent dans de nombreux villages des centaines de personnes, sans aucune discrimination, que ce soit des femmes, des enfants, des bébés, des jeunes, des gens âgés. Lors de ces attaques, inédites par leur violence et leur ampleur, plus de 1400 personnes ont perdu la vie, en majorité des civils israéliens tués le premier jour des attaques. Comment le gouvernement israélien pouvait-il être surpris que le Hamas emploie la violence armée, même si c'est une solution suicidaire?

12.1 Les réactions

Il ne fallait pas s'attendre à ce qu’un groupe de commandos fanatisés puisse massacrer des centaines de citoyens, par un beau matin d’octobre, et penser s’en tirer avec une tape sur les doigts! Le Hamas savait ce qu'il faisait!

- La riposte militaire

Israël a répliqué très violemment en bombardant sans relâche la bande de Gaza pendant des semaines et des mois, la réduisant en un amas de cendres, avec en prime une population totalement piégée et vulnérable. Il est évident que cette opération militaire était un acte de vengeance guidée par les extrémistes religieux ultra-orthodoxes. Pourtant, plusieurs généraux de l'armée israélienne s'opposent aux politiques de colonisation des extrémistes religieux.

Évidemment Israël prétend qu'il a le droit de se défendre, ce qui est légitime, même au prix de tout détruire et de tuer des milliers de gens pris dans une souricière, plus de 40 000 personnes en date de septembre 2024. La vengeance apparaît disproportionnée pour les résultats attendus: éradiquer le Hamas, d'abord militairement, puis politiquement. En même temps, l'État d'Israël ne voit rien de choquant ni immoral de poursuive ses bombardements.

Cependant, si le droit à la défense est légitime de la part des Israéliens, y compris le recours aux armes, il est en principe limité par les règles du droit international, notamment le droit de ne pas prendre les civils pour cible. L’article 51 de la Charte des Nations unies encadre le droit à la légitime défense et énonce ce qui suit :

Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des Membres dans l'exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n'affectent en rien le pouvoir et le devoir qu'a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d'agir à tout moment de la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.

De fait, étant donné les attaques meurtrières qu’elle a subies et qui ont coûté la vie à près de 1200 Israéliens, Israël a le droit de prendre des mesures sur son propre territoire, afin de repousser l’attaque et de neutraliser les assaillants; c’est ce qu’elle a fait le 7 octobre 2024. Mais Israël interprète à sa façon le droit à la légitime défense; et sa position est partagée par des États occidentaux, dont les États-Unis et la France. Même s’il existe un droit à la légitime défense pour Israël, cela n'autorise pas une opération militaire sans règle et sans limites. Autrement dit, le droit de tuer ou de cibler des civils sans discernement n'est pas permis! Sinon, cela devient du terrorisme! Ce principe s'applique aussi aux combattants du Hamas! Celui-ci ne s'aide pas: il bombarde de roquettes de manière continue, depuis Gaza, des villes et villages israéliens, ce qui justifie Israël de poursuivre ses bombardements. L'ONU affirme qu'Israël commet des «crimes de guerre» en infligeant une «punition collective» aux habitants de la bande de Gaza, où un filet d'aide est entré dans le territoire.

- Le grignotage continuel des frontières

À peine deux semaines après l’attaque contre des civils israéliens vivant près de la bande de Gaza, le mouvement des colons juifs profitait de la situation en multipliant les attaques contre des communautés palestiniennes en Cisjordanie, dans le but déclaré de «vider» les villages de leurs habitants. Cet attentat du Hamas contre Israël donne à ce dernier une occasion unique de s’approprier de nouveaux territoires pendant que tous les regards sont tournés vers Gaza. Loin de réprimer ces agressions, l’armée israélienne est allée jusqu’à escorter les colons à envoyer les Palestiniens en exil. Bref, tous les moyens sont permis pour empêcher la création d’un État palestinien, dont l'objectif est de chasser la population palestinienne pour la remplacer par de bons Juifs. Dans les deux camps, on n’hésite pas à prendre la population en otage pour finaliser un projet consistant à anéantir l’Autre et prendre possession de tout le territoire compris entre la Méditerranée et le Jourdain. Au final, il semble que les fanatiques ultra-orthodoxes du gouvernement israélien ont besoin des fanatiques du Hamas pour perpétuer le carnage dans l'espoir d'en finir avec l'Autre!

D'ailleurs, le président israélien, Isaac Herzog, a donné le ton en attribuant la responsabilité de la guerre contre le Hamas à tous les Palestiniens:

C'est toute une nation qui est responsable. Cette rhétorique selon laquelle les civils ne sont pas au courant et ne sont pas impliqués, c'est absolument faux. Ils auraient pu se soulever, ils auraient pu lutter contre ce régime maléfique.

Autrement dit, étant donné que les Palestiniens seraient collectivement responsables des actions du Hamas, ils méritent simplement ce qui leur arrive. L'État d'Israël ne serait responsable de rien! Il ne fait que se défendre... bien que ce soit de façon disproportionnée! Le premier ministre Benyamin Netanyahou a soutenu que l'armée israélienne arrêterait les bombardements lorsque le Hamas libérerait les otages. Cette forme de chantage autorise l'armée de poursuivre ses «objectifs» avec une raison toute noble. Comme la Russie avec l'Ukraine, Israël poursuit une «mission», synonyme de «massacrer le plus de civils possible» en détruisant un pays! 

En réalité, c'était le plan prévu par l'extrême droit israélienne dès le 7 octobre 2023: rendre la bande de Gaza inhabitable et espérer qu’une bonne partie de la population partirait vers l’Égypte. Vincent Lemire, historien de Université Gustave-Eiffel de Paris et spécialiste de Jérusalem, a fait remarquer dans une entrevue avec un journal canadien (La Presse du 17 mai 2024) que certains ministres du gouvernement de Benyamin Netanyahou l’ont déclaré de façon explicite, en janvier 2024, pendant un rassemblement à Jérusalem. Par exemple, Itamar Ben-Gvir, homme politique israélien dirigeant le Parti Force juive, considéré comme un symbole de l'extrême droite radicale, a affirmé au micro que la seule solution était la déportation massive des habitants de Gaza. Bezalel Smotrich, homme politique israélien d'extrême droite dirigeant de Mafdal - Sionisme religieux, a affirmé de son côté que l’idéal serait d’arriver entre 100 000 et 200 000 habitants à Gaza, contre deux millions avant l'invasion. Dans une entrevue à la radio le 4 novembre 2023, le ministre israélien du Patrimoine, Amihai Eliyahu, déclarait qu’il n’y avait «pas de non-combattants» à Gaza avant d’ajouter que fournir une aide médicale à l’enclave équivaudrait à un «échec». Larguer une bombe nucléaire sur la bande de Gaza serait «l’une des options» pour traiter avec le Hamas. Eliyahu est membre du parti suprémaciste religieux Otzma Yehudit («Pouvoir juif»), qui fait partie de la coalition au pouvoir en Israël.

De telles déclarations sont symptomatiques d’une culture de surenchère parmi les politiciens d’extrême droite israélienne; elles rivalisent de déclarations de plus en plus farfelues depuis les attaques meurtrières du Hamas en Israël le 7 octobre. Évidemment, le choc généralisé face à la brutalité de l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre a fait le jeu de la frange la plus radicale du gouvernement israélien; faire des déclarations exagérées est devenu un risque politique calculé. De son côté, Benyamin Netanyahou ne voudrait pas passer à l’histoire comme le premier ministre qui a ordonné le massacre des Palestiniens, il préfère qu’on se souvienne de lui comme du dirigeant qui a triomphé des grands ennemis d’Israël. Une belle récupération politique!

- Le soutien américain

Comme d'habitude, les Américains ont soutenu aveuglément Israël, bien que ce dernier ait tout fait depuis des années pour faire échouer les processus de paix. Non seulement Israël a toujours refusé de céder la Cisjordanie aux Palestiniens, mais a installé illégalement des colonies juives de peuplement. Le résultat est le suivant: les implantations juives grignotent le territoire palestinien et repoussent tout espoir de la «politique des deux États». Mais c'est que désirent les extrémistes religieux ultra-orthodoxes au pouvoir avec qui appuyaient Benyamin Netanyahou afin de faire disparaître toute trace d'Arabes en Cisjordanie, ce qui n'exclut pas Gaza.

Aux États-Unis, le sénateur de la Caroline du Sud et membre du Parti républicain, Lindsey Graham a abondé dans le même sens en demandant de «niveler l'endroit». Lors de la campagne présidentielle américaine, en octobre 2024, Donald Trump a profité du premier anniversaire de l’attaque sanglante du Hamas en Israël pour donner son analyse sur la situation au Proche-Orient. À cette occasion, le candidat à la présidentielle a estimé que la bande de Gaza avait le potentiel d’être «encore mieux que Monaco» au moment de sa reconstruction. Ce territoire, bombardé depuis un an par l’armée israélienne, «pourrait être le plus bel endroit, avec sa météo, l’eau, tout, le climat, pourrait être magnifique». Ce genre d'attitude démontre un déni flagrant de la crise humanitaire dans le territoire ou le bilan de victimes civiles palestiniennes.

12.2 La crise humanitaire

Toute stratégie militaire israélienne qui ignorerait les coûts humains pourrait finir par se retourner contre le gouvernement israélien. Dans un article intitulé "Thoughts on Israel and Gaza" («Réflexions sur Israël et Gaza») publié le 23 octobre 2023 dans les journaux américains, l'ancien président américain Barak Obama écrivait:
 

Already, thousands of Palestinians have been killed in the bombing of Gaza, many of them children. Hundreds of thousands have been forced from their homes. The Israeli government’s decision to cut off food, water and electricity to a captive civilian population threatens not only to worsen a growing humanitarian crisis; it could further harden Palestinian attitudes for generations, erode global support for Israel, play into the hands of Israel’s enemies, and undermine long term efforts to achieve peace and stability in the region. Déjà, des milliers de Palestiniens ont été tués dans les bombardements de Gaza, dont beaucoup d’enfants. Des centaines de milliers de personnes ont été contraintes de quitter leurs foyers. La décision du gouvernement israélien de couper la nourriture, l'eau et l'électricité à une population civile captive menace non seulement d'aggraver une crise humanitaire croissante; cela pourrait durcir davantage les attitudes palestiniennes pendant des générations, éroder le soutien mondial à Israël, faire le jeu des ennemis d'Israël et saper les efforts à long terme visant à instaurer la paix et la stabilité dans la région.

Cependant, pour Israël, reconnaître les souffrances des civils palestiniens équivaut à un acte d'antisémitisme, voire de haute trahison. En voulant éradiquer le Hamas, l'armée israélienne a dû «sacrifier» des milliers de civils palestiniens qui risquaient de mourir de faim et de soif dans les semaines suivantes, ce qui entraînait des souffrances intenables pour cette population totalement démunie, sans compter le choléra qui pourrait bien se pointer. Le roi de Jordanie, Abdallah II, a de façon réaliste résumé le sentiment populaire dans le monde arabe:

Les vies des Palestiniens comptent moins que celles des Israéliens. Nos vies comptent moins que d’autres vies. L’application du droit international est optionnelle. Et les droits de la personne ont des limites. Ils s’arrêtent devant des frontières, ils s’arrêtent devant des races et ils s’arrêtent devant des religions.

Ces paroles du roi de Jordanie (rapportées par un journal canadien) méritent d’être citées parce qu’elles expriment un sentiment qui est peu diffusé aux États-Unis et en général dans le monde occidental. Par contre, en Israël, de nombreux juifs sont convaincus de leur supériorité. Dans ce pays, on accuse non sans raison le Hamas de commettre des crimes de guerre en ciblant intentionnellement des civils, mais on oublie qu'Israël en commet chaque jour depuis des années. Finalement, il semble bien que les fanatiques ultra-orthodoxes du gouvernement israélien aient besoin des fanatiques islamistes du Hamas pour perpétuer le carnage dans l'espoir d'en finir avec l'Autre! Au milieu de l'année 2024, on comptait plus de 41 000 morts du côté palestinien (donc plus de 150 000 blessés), la majorité étant des civils. Finalement ce n'est plus une guerre contre le Hamas qu'a entrepris Israël, mais plutôt une guerre contre la population palestinienne elle-même; la bande de Gaza ne suffit pas, l'armée israélienne a lancé en août 2024 une série de raids coordonnés dans quatre villes de Cisjordanie: Jénine, Naplouse, Tubas et Tulkarem.  La violence monte encore en flèche et risque «d’aggraver une situation déjà catastrophique», dans le territoire palestinien, ont averti les Nations unies. C'est là qu'on peut parler de génocide!

12.3 Le verdict de la Cour internationale de Justice

Le 26 janvier 2024, la Cour internationale de Justice (CIJ), la plus haute juridiction des Nations unies, a considéré que le risque de génocide par l’armée israélienne est plausible dans la bande de Gaza. La présidente de l'organisme judiciaire a déclaré: «Au moins certains actes semblent susceptibles de tomber sous le coup de la Convention sur le génocide.» Elle a ordonné à Israël de «prévenir et punir» l’incitation au génocide, car la réponse armée doit se diriger contre des objectifs militaires, pas contre les civils.

Cette décision fait suite à la plainte de 84 pages déposée le 29 décembre 2023 par l’Afrique du Sud, qui accusait Israël d’avoir violé la Convention des Nations unies sur le génocide de 1948, établie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et de l’Holocauste. Devant un panel de 17 juges, des avocats sud-africains avaient demandé au tribunal, mi-janvier, de prendre neuf mesures d’urgence, dont la suspension des opérations militaires israéliennes, la facilitation de l’aide humanitaire et la fin de la destruction de la vie des Palestiniens à Gaza.

Finalement, le tribunal a estimé que des ordonnances d’urgence étaient nécessaires pour préserver les droits de la population palestinienne. Ainsi, la CIJ a demandé à Israël de prendre «des mesures immédiates» pour faciliter l’entrée de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza, où les besoins sont les plus importants. Cependant, le 24 mai 2024, la Cour a ordonné à Israël de cesser ses attaques contre Gaza.

Comme il fallait s'y attendre, ce fut une fin de non-recevoir de la part d'Israël qui a rejeté l'accusation de génocide et a demandé à la Cour de rejeter les accusations. D'ailleurs, durant les audiences, Israël a toujours soutenu qu'il agissait en état de légitime défense après l'attaque du Hamas du 7 octobre et qu'il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour protéger les civils. Comme il y en a eu près de 35 000 avec cette «protection», on peut imaginer ce qui serait arriver si Israël n'avait pas pris autant de «précaution»! De toute façon, qui va contraindre Israël à se conformer aux décisions des juges? Il n'existe pas de force policière internationale au-dessus des États pour arrêter Israël! On ne jette pas un pays en prison! La Cour internationale de justice n'a aucun moyen de faire appliquer ses décisions. Benyamin Netanyahou a laissé entendre qu’il ne se sentirait pas obligé de suivre une ordonnance de ce tribunal.

De son côté, Israël n'accepte aucune responsabilité dans ce conflit, y compris dans l'escalade des colonies de peuplement en Cisjordanie. Pour les Israéliens orthodoxes, il n'existe aucun lien entre le traitement réservé par leur pays aux Palestiniens au fil des années et les attaques du Hamas; le fait que Gaza soit une marmite sous pression relève de nombreuses causes, mais la politique israélienne n'en ferait certainement pas partie. Tous les torts sont du côté des Palestiniens, car c'est la loi du plus fort qui prime! Même les protestations mondiales massives n’ont affecté jusqu’à présent ni la violence vengeresse des Israéliens à Gaza ni la fourniture d’armes américaines pour la soutenir. De toute façon, les crimes commis par les grandes puissances, que ce soit les États-Unis, la Russie, la Chine, etc., ne sont jamais punis.  En mars 2022, par exemple, la Cour internationale de Justice (CIJ) avait ordonné à la Russie de mettre fin à son invasion de l'Ukraine, mais la Russie n'en a pas tenu compte. Que peut bien faire la CIJ, à part émettre des «opinions» sans lendemain? Finalement, plus un État est puissant, moins il est soumis à la justice internationale.

12.4 Une pacification irréalisable

Israël pense gagner cette guerre en oubliant qu'il y aura deux véritables gagnants dans cette histoire sans issue: d'une part, le Hamas qui est assuré d'avoir des recrues pour les quinze prochaines années, d'autre part, Vladimir Poutine, le président de la Russie, qui réussit ainsi à détourner l'attention sur sa sale guerre en Ukraine, ce qui lui permet de poursuivre ses crimes de guerre en toute impunité.

Pourtant, il suffirait que les États-Unis cessent de fournir Israël en armes et en argent pour que la guerre cesse en trois semaines; les États arabes voisins d'Israël interviendraient militairement pour l'attaquer avec des chances de gagner!  Pour Gaza, le gouvernement israélien prône une solution sans le Hamas, mais sans présence civile israélienne, tout en précisant que l'armée y garderait «sa liberté d'action». Mais un problème se dresse déjà à l'horizon: Gaza est devenue «inhabitable» depuis les bombardements, selon  un rapporteur de l'ONU. Et les dirigeants israéliens n’ont carrément pas de plans quant à l’avenir de Gaza!

- La colonisation de la Cisjordanie

Les extrémistes religieux au pouvoir estiment que toute pacification des territoires palestiniens implique la colonisation de ceux-ci et même des territoires voisins. En effet, le premier ministre Benyamin Netanyahou a rejeté en février 2024 tous les «diktats internationaux» visant à créer un État palestinien. Quoi qu'il arrive, Israël maintiendra un contrôle total en matière de sécurité sur tous les territoires situés à l'ouest du Jourdain, ce qui inclut la Cisjordanie et Gaza. Déjà en 2011, dans un discours au Congrès américain, Netanyahou avait réitéré qu'Israël avait annexé la partie arabe de Jérusalem «pour l'éternité». Si l'on tient compte seulement de la transformation démographique des territoires occupés par Israël depuis 1967, la solution «à deux États» est devenue impossible.

- La mission impossible

C'est relativement simple à comprendre.

1° Il est impensable de créer deux États dont les populations sont imbriquées dans un enchevêtrement d'enclaves aux statuts différents et aux juridictions floues, des populations qui se détestent et se méprisent.

2° Pour régler le problème des enclaves, il faudrait entreprendre des transferts de population considérables. Jamais les colons juifs accepteraient d'eux-mêmes de quitter la Cisjordanie pour laisser la place aux Arabes; il leur faudrait une guerre civile perdue qui les chasserait de force. 

3° Les tensions communautaires risquent de s'accentuer après la guerre. Les communautés vont encore plus se détester, ce qui limite les possibilités de paix durable..

En réalité, il s'agit là d'une logique impérialiste qui ne mène qu'à d'autres guerres. Pourtant, Israël aurait besoin de la paix, et non pas d'une guerre totale visant à exterminer les Palestiniens, une guerre qui menace d'ailleurs les intérêts commerciaux des États-Unis et de leurs alliés, exception faite de l'armement. En général, les États-Unis et leurs alliés ont toujours maintenu, depuis des décennies, des relations cordiales avec Israël. Toutefois, la guerre à Gaza est en train de modifier la donne diplomatique. Les États se désolidarisent de plus en plus d'Israël avec les États-Unis comme seul soutien indéfectible. Le monde entier demande à Israël d'accepter la formation d'un État palestinien. Le moment où les États-Unis ne pourront plus soutenir Israël approche. Bref, le président des États-Unis, Joe Biden, donne des armes à Israël et demande en même temps de ne pas les utiliser. D'une part, il dénonce la mort des innocents, d'autre part, il continue à fournir des armes qui perpétuent l'hécatombe. Il y aurait un moyen de faire arrêter cette guerre, ce serait de ne plus fournir d'armes, car Israël ne tiendrait pas plus de trois semaines sans les approvisionnements américains.   

Une fois que ce triste épisode sera terminé, Israël sera plus éloigné que jamais dans un effort qui serait nécessaire pour aboutir à une paix viable. Mais c'est justement ce que désirent les extrémistes religieux des deux camps, qui appuient sans réserve leur gouvernement militariste. Leur objectif de faux dévots ce sont tous des religieux est d'accentuer les divisions entre les deux peuples. Au Proche-Orient, ce n'est pas la langue qui est en cause, mais la religion qui est devenue un facteur de guerre. Aujourd'hui plus que jamais, la religion sert de principal facteur d'identification politique. De plus, Israël, une minuscule terre désertique, est devenue en quelques décennies une réelle puissance économique, militaire, politique, technologique, etc., pratiquement le seul pays du Proche-Orient qui fonctionne en dépit de tous ses problèmes.

La solution du conflit israélo-palestinien exige plus que des mesures antiterroristes et des bombardements destructeurs! Dans l'état actuel des choses et compte tenu des piètres résultats depuis plus de soixante-quinze ans, l'éternelle impasse israélo-palestinienne laisse croire que tous les intervenants impliqués sont ou ont été de formidables incompétents, voire des individus complètement stupides et corrompus. Ces aspects-là sont sûrement présents, mais on peut également croire qu'on a affaire à des gens qui sont passablement intelligents ayant surtout de très grands intérêts communautaires et personnels à perpétuer le conflit, ces intérêts étant impérialistes et financiers. 

D'un côté, on a affaire à une force occupante qui bafoue en toute impunité le droit international depuis très longtemps : l'État d'Israël se contrefiche des civils parce qu'il «se défend». De l'autre côté, on trouve des leaders palestiniens corrompus et/ou fanatisés par des actions autodestructrices. Résultat: près des trois quarts de siècle d'immobilisme! La situation est continuellement bloquée par un dialogue de sourds, qui entraîne des attentats suivis de répressions, tandis que la religion des uns et des autres sert de prétexte pour exercer la loi du talion, les deux peuples vénérant le même dieu. On tue au nom de Dieu ou d'Allah! Des deux côtés, c'est la guerre sainte!

On sait, depuis l'Antiquité, que la guerre profite toujours à quelqu'un! Plus le Hamas persiste à vouloir détruire Israël, plus les Israéliens sont sur le pied de guerre. Plus les Israéliens tuent des Palestiniens, plus ceux-ci se radicalisent. En conséquence, les citoyens israéliens ont tendance à donner le pouvoir aux représentants de la droite intégriste et ultra-orthodoxe, alors que les Palestiniens vont resserrer les rangs autour de leurs leaders les plus radicaux. En réalité, tout dans ce conflit est une question de pouvoir entre divers roitelets : celui des dirigeants israéliens et celui des dirigeants palestiniens. C'est un pouvoir de caciques sur des populations muselées, tant israéliennes que palestiniennes, bien que ces dernières soient beaucoup plus vulnérables.

Par ailleurs, la communauté internationale, lasse de voir un conflit s'éterniser, s'est peu à peu laissée convaincre que le statu quo était préférable à un conflit sans issue. Pourtant, l'absence de solution risque d'être plus douloureuse encore. Avant d'en arriver là, les petits caciques en profitent! C'est tout ce qui compte dans des pays ingouvernables et obnubilés par une religion-prétexte, parce que tout parti politique au pouvoir doit composer avec une foule de «particules» d'extrême-droite.

Dans la situation actuelle, Israël fait face à un dilemme. S'il persiste à demeurerun État juif, c'est-à-dire religieux, il devrait imposer sa volonté à des Israéliens musulmans, éventuellement majoritaires sur l'ensemble de son territoire en raison de la démographie arabe galopante qui minoriserait un jour la population juive. Ce serait alors la fin de la démocratie israélienne. Par contre, s'il veut demeurer démocratique, Israël serait dans l'obligation d'abandonner son caractère juif et devenir multiethnique, multiconfessionnel et formellement bilingue. Tous les États religieux, quels qu'ils soient, sont voués à l'exclusion et au fanatisme; l'histoire du monde, de l'Antiquité à aujourd'hui est là pour le prouver. Le dualisme langue-religion, qu'il soit hébreu et arabe ou le judaïsme et l'islam, est toujours explosif!

De nombreux Juifs et de plus nombreux Palestiniens sont convaincus que la structure de l’État sioniste, qui s’apparente à un apartheid et qui a vécu par les armes depuis sa création, doit changer. Dans un monde idéal, il resterait deux situations envisageables: d'une part, un seul État laïc bilingue et multiethnique, d'autre part, la «solution à deux États» vivant côte à côte, chacun étant unilingue.

Dans un monde ignorant totalement la "realpolitik", il ne faut pas s'attendre à une solution acceptable pour les parties, leurs intérêts se révélant inconciliables depuis plus de soixante-quinze ans. De toute façon, depuis le 7 octobre 2023, il n'existe plus de pacifistes en Israël : toutes les illusions et les solutions se sont évaporées d’un coup des deux côtés, tant à Gaza qu’en Israël et, bien sûr, dans les autres territoires palestiniens. En réalité, l'État Israël et la Palestine, c’est l’histoire de deux extrémismes religieux hostiles à tout compromis et voués à la destruction de l’Autre au nom d'Allah ou de Yahvé, parce que les deux peuples ont d'excellentes raisons de revendiquer le même territoire! À long terme et en toute logique, ce serait la liquidation des Palestiniens, un plan machiavélique dont les humains sont fort capables.

Cependant, d'après les services de sécurité américains, il faudrait davantage entrevoir des décennies de menaces terroristes inspirées par le sort lamentable réservé à la population palestinienne. Un beau programme en perspective pour les années à venir!  L'Europe a bien connu la guerre de Cent Ans, le Proche-Orient n'en est rendu qu'à 75, il reste encore un peu de temps pour perpétuer les massacres!  En réalité, Israël n'arrêtera pas tant qu'on n'arrêtera pas Israël! Qui pourrait le faire à part les États-Unis?

Dernière mise à jour: 24 oct. 2024
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