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Croatie
(3) La politique linguistique
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Bien que la république de Croatie ait entrepris une politique linguistique de
croatisation relativement poussée, qui a exacerbé les tensions entre Croates et
Serbes, les protections à l'égard des minorités linguistiques sont nombreuses et
relativement généreuses.
Rappelons que les minorités les plus importantes (recensement de 2021) sont d’abord les Serbes (3,2
%), puis les Bosniaques (0,6 %), les Roms (0,5 %), les Albanais
(0,4 %), les Italiens (0,4 %), les
Hongrois (0,3 %), les Tchèques (0,2 %), les Slovènes (0,2 %), les
Roumains (0,1
%), les Ruthènes
(0,1 %) et les Ukrainiens (0,1 %). Il en existe d’autres, mais elles
n’ont pas le statut de «minorités nationales» telles que les Bulgares, les Juifs, les Russes,
etc.
Il faut mentionner une minorité particulière en Istrie, la péninsule située à l'extrémité occidentale de la Croatie. Les habitants de l'Istrie sont des Istriens, mais les locuteurs de la langue italienne sont des Istrio-Italiens ou des Istrio-Roumains. Au recensement de 2021, l'Istrie (175 600 habitants) comptait une majorité de Croates (142 152), des Istrio-Italiens (10 025), c'est-à-dire des locuteurs parlant un parler roman proche du vénitien, des Istrio-Italiens (9784), des Serbes (5778), des Bosniaques (4838), des Albanais (2055) et des Slovènes (1000). |
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Le tableau qui suit ci-dessous présente la liste des 15 minorités nationales selon leur importante numérique, mais comptant au moins 1000 membres. Ce sont les Serbes qui arrivent en tête; bien qu'ils soient répartis dans seulement six joupanies (Lika-Senj-9, Osijek-Baranja-14, Sizak-Moslavine-3, Vukovar-Srijem-16, Šibenik-Knin-15 et Karlovac-4); ils sont présents dans 54 municipalités; ils sont majoritaires dans 16 municipalités (Dvor, Gvozd, Krnjak, Donji Lapac, Vrhovine, Erdut, Jagodnjak, Šodolovci, Biskupija, Civljane, Ervenik, Kistanje, Borovo, Markušica, Negoslavci et Trpinja.); et le serbe est co-officiel dans les 20 municipalités suivantes: Dvor, Gvozd, Jagodnjak, Šodolovci, Borovo, Trpinja, Markušica, Negoslavci, Biskupija, Ervenik, Kistanje, Gračac, Udbina, Vrbovsko, Donji Kukuruzari, Erdut, Vukovar, Kneževi Vinogradi, Darda et Nijemci. Bref, les Serbes vivent concentrés autour de la Bosnie-Herzégovine ou de la Serbie |
On compte des minorités dans 17 joupanies, à
l'exception des quatre suivantes: Krapina-Zagorje, Varaždin, Virovitica-Podravine
et Zadar.
N | Groupe ethnique | Population | Joupanies | Langue |
1 | Serbes | 123 892 | Lika-Senj, Osijek-Baranja, Sizak-Moslavine, Vukovar-Syrmie, Šibenik-Knin et Karlovac | serbe + croate |
2 | Bosniaques | 24 131 | Zagreb (V), Istrie, Primorje-Gorski Kotar, Dubrovnik-Neretva, Vukovar-Syrmie, Sisak-Moslavina | bosniaque + croate |
3 | Roms | 17 980 | Zabreg (V), Međimurje, Osijek-Baranja, Sisak-Moslavina, Brod-Posavina, Primorje-Gorski Kotar, Koprivnica-Križevci, Istrie | romani + roumain + croate |
4 | Hongrois | 16 595 | Osijek-Baranja, Bjelovar-Bilogora | hongrois + croate |
5 | Albanais | 13 817 | Zabreb (V), Primorje-Gorski Kotar, Istrie, Split-Dalmatie, Zagreb | albanais + croate |
6 | Italiens | 13 763 | Istrie, Primorje-Gorski Kotar, Zabreg (V), | italien * croate |
7 | Slovènes | 10 517 | Zabreb (V), Primorje-Gorski Kotar, Istrie, Split-Dalmatie, | slovène + croate |
8 | Tchèques | 9 641 | Bjelovar-Bilogora, Zabreg (V), Požega-Slavonie, Sisak-Moslavina, Zabreg | tchèque + croate |
9 | Slovaques | 4 753 | Osijek-Baranja, Vukovar-Syrmie, Sisak-Moslavina, Zagreb (V), Istrie | slovaque + croate |
10 | Monténégrins | 3 127 | Zabreg (V), Primorje-Gorski Kotar, Split-Dalmatie, Osijek-Baranja, Dubrovnik-Neretva | monténégrin + croate |
11 | Macédoniens | 3 555 | Zabreg (V), Primorje-Gorski Kotar, Istrie, Osijek-Baranja, Split-Dalmatie | macédonien + croate |
12 | Allemands | 2 965 | Osijek-Baranja, Zabreb (V), Istrie, Primorje-Gorski Kotar | allemand + croate |
13 | Ruthènes | 2 337 | Vukovar-Srijem, Osijek-Baranja, Zabreg (V), Primorje-Gorski Kotar, Istrie, Požega-Slavonie, Split-Dalmatie, | ruthène + croate |
14 | Ukrainiens | 1 977 | Vukovar-Srijem, Zagreb (V), Brod-Posavina, Sisak-Moslavina, Primorje-Gorski Kotar | croate + ukrainien |
15 | Russes | 1 441 | Zabreb (V), Split-Dalmatie, Istrie, Primorje-Gorski Kotar, Međimurje, Zagreb | russe + croate |
Alors que la république de Croatie faisait partie de l’ancienne République fédérale socialiste de Yougoslavie (RFSY), les minorités nationales reconnues bénéficiaient de mesures juridiques importantes. Avant l'indépendance, dans certaines communes de la république de Croatie, les langues italienne, tchèque, hongroise, slovaque, ruthène et ukrainienne avaient été admises en usage officiel. De plus, durant cette même période, les membres des groupes minoritaires recevaient leur instruction dans leur langue maternelle ou suivaient des cours complémentaires de langue et de culture; de plus, l'autonomie culturelle était encouragée et attribuée largement.
Après son accession à l'indépendance en 1991, la république de Croatie a protégé ces droits acquis des minorités nationales. En effet, la Déclaration sur la création de la République souveraine et indépendante de Croatie ("Deklaracija o proglašenju suverene i samostalne Republike Hrvatske"), adoptée le 25 juin 1991 à la session du Parlement national croate, a garanti à toutes les minorités nationales résidant sur le territoire de la république de Croatie le respect de tous les droits fondamentaux et civils, et en particulier la liberté d'expression et le développement de leurs langue et culture nationales.
Republika Hrvatska jest
demokratska pravna i socijalna država, u kojoj su najviše vrednote
ustavnoga poretka: sloboda, jednakost, nacionalna ravnopravnost,
mirotvorstvo, socijalna pravda, poštivanje prava čovjeka, pluralizam
i nepovredivost vlasništva, očuvanje prirodna i čovjekova okoliša
vladavina prava i demokratski višestranački sustav. Republika
Hrvatska jamči Srbima u Hrvatskoj i svim nacionalnim manjinama koje
žive na njezinu tlu poštivanje svih ljudskih i građanskih prava, a
osobito slobodu izražavanja i njegovanja nacionalnog jezika i
kulture, kao i političkog organiziranja. Republika Hrvatska štiti
prava i interese svojih državljana bez obzira na vjersku, etničku i
rasnu pripadnost. Republika Hrvatska jamči, u skladu s pravilima međunarodnoga prava, drugim državama i međunarodnim organizacijama da će u cijelosti i savjesno izvršavati sva prava i obveze kao pravni sljednik dosadašnje SFRJ u dijelu koji se odnosi na Republiku Hrvatsku. |
La République
de Croatie est un État démocratique de droit et de société, dont les
valeurs fondamentales sont la liberté, l’égalité, l’égalité
nationale, le maintien de la paix, la justice sociale, le respect
des droits de la personne, le pluralisme et l’inviolabilité de la
propriété, la préservation de l’environnement naturel et humain,
l’État de droit et le multipartisme démocratique.
La République de
Croatie garantit aux Serbes de la Croatie et à toutes les minorités
nationales vivant sur son territoire le respect de tous les droits
civils et droits de la personne, et en particulier la liberté
d’exprimer et de cultiver la langue et la culture nationales, ainsi
que la liberté d’organisation politique. La République de Croatie
protège les droits et les intérêts de ses citoyens, indépendamment
de leur appartenance religieuse, ethnique ou raciale. La République de Croatie garantit, conformément aux règles du droit international, aux autres États et organisations internationales qu’elle exercera pleinement et consciencieusement tous ses droits et obligations en tant que successeur légal de l’ex-RFSY dans la partie qui la concerne. |
Ces principes devaient se retrouver dans les lois adoptées par le Parlement croate.
Les garanties constitutionnelles apparaissent dans trois textes:
- la Constitution de 2010;
- la Loi constitutionnelle sur les droits et libertés de la personne et sur les droits des communautés ou minorités ethniques et nationales de la république de Croatie de 1991 (modifiée).
- Loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales de 2002.
1.1 Les peuples
Soulignons d’abord que, dans le Préambule de la Constitution de 2010, on peut lire ce texte à propos du «peuple croate» et des 22 «minorités nationales» qui font partie de la Croatie:
Préambule (2010) [...] Sur la base des faits historiques présentés, des principes généralement admis dans le monde contemporain et de l'inaliénabilité, de l'indivisibilité, de l'inaliénabilité et du caractère inépuisable du droit à l'autodétermination et à la souveraineté nationale du peuple croate, y compris le droit intact à la sécession et à l'association, conditions fondamentales de la paix et de la stabilité de l'ordre international, la République de Croatie est instituée en tant qu'État national du peuple croate et État des membres des minorités nationales : Serbes, Tchèques, Slovaques, Italiens, Hongrois, Juifs, Allemands, Autrichiens, Ukrainiens, Ruthènes, Bosniaques, Slovènes, Monténégrins, Macédoniens, Russes, Bulgares, Polonais, Roms, Roumains, Turcs, Valaques, Albanais et autres, qui sont ses citoyens, auxquels l'égalité avec les citoyens de nationalité croate et l'exercice des droits nationaux sont garantis conformément aux normes démocratiques de l'ONU et des pays du monde libre. |
Dans la Constitution de 1990, le texte établissait une nette distinction entre deux catégories de citoyens: les Croates, d’une part; les minorités», d’autre part. L’État croate était d’abord celui de la seule nation croate.
Préambule (1990) La république de Croatie est par la présente reconnue comme l'État national du peuple croate et comme le pays des membres des autres peuples et minorités qui en sont ses citoyens: les Serbes, les Musulmans, les Slovènes, les Tchèques, les Slovaques, les Italiens, les Hongrois, les Juifs et autres, auxquels sont garantis l'égalité avec les citoyens de nationalité croate, ainsi que le respect de leurs droits ethniques, en conformité avec les normes démocratiques des Nations unies et des autres pays du monde libre. |
Afin de se conformer aux exigences de l'Union européenne, le Préambule de la Constitution de 2010 fut modifié et reconnaît l’égalité entre tous les citoyens, que ce soit le peuple croate ou les minorités nationales.
Évidemment, les Serbes ont été très déçus de se voir rétrogradé au rang de «minorité», alors que, dans la précédente Constitution yougoslave, ils étaient considérés comme un «peuple constitutif de la République», au même titre que les Croates. Il n'est pas surprenant que, dans ces conditions, certains Serbes se soient révoltés en 1991. Toutefois, le «droit au retour des Serbes de Croatie» fut reconnu et réaffirmé par le gouvernement en 2000 et en 2001. Une autre loi, la l'élection des membres des organismes représentatifs des collectivités locales et des administrations (régionales) locales (2007) a été adoptée, qui garantit aux minorités une meilleure représentation au Parlement.
1.2 Les peuples minoritaires
Même si le croate est proclamé langue officielle dans la république de Croatie, la Constitution de 2010 a quand même prévu des modalités particulières à l’égard des langues minoritaires. Ainsi, l’article 12 (par. 2) précise que, dans les collectivités locales, une autre langue (avec l’alphabet cyrillique ou non) peut, avec la langue croate, être introduite à des fins officielles:
Article 12 1) En république de Croatie, la langue croate et l’alphabet latin sont d'usage officiel. 2) Dans les collectivités locales, une autre langue et le cyrillique ou quelque autre alphabet peuvent, avec la langue croate et l’alphabet latin, être introduits à des fins officielles, selon les conditions prévues par la loi. |
L’article 14 de la
Constitution énumère l’un des grands principes de non-discrimination connus en ce qui a trait
à l’égalité de tous les citoyens habitant dans la république de Croatie:
Article 14 1) Les citoyens de la république de Croatie jouissent de tous les droits et libertés en ce qui a trait à la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques, l’origine nationale ou sociale, la propriété, la naissance, l’éducation, le statut social ou tout autre caractéristique. 2) Tous sont égaux devant la loi. |
L’article 15 de la Constitution garantit l'égalité de tous les membres appartenant aux minorités nationales, la désignation au suffrage universel à leurs représentants au parlement croate et à l'usage libre d'employer leur langue et leur alphabet:
Article 15 1) La République de Croatie garantit l'égalité de tous les membres des minorités nationales. 2) L'égalité et la protection des minorités nationales sont réglementées par une loi constitutionnelle adoptée selon la procédure de la loi organique 3) Par le suffrage universel, le droit des membres des minorités nationales d'élire leurs représentants au Parlement croate peut être prévu par la loi. 4) Les membres de toutes les minorités nationales sont assurés de la liberté d’exprimer leur appartenance nationale, d'utiliser librement leur langue, leur alphabet et leur autonomie culturelle. |
Il résulte de ces dispositions que les droits linguistiques sont, en principe, les mêmes pour les Croates que pour les Serbes, les Hongrois, les Slovaques, les Italiens, les Allemands, les Ruthènes et les Ukrainiens. Cela signifie aussi que les droits religieux sont également les mêmes pour les chrétiens et les musulmans.
Cependant, l’article 16 de la Constitution semble un peu inquiétant dans la mesure où il prévoit des restrictions possibles sur ces droits et libertés protégés précédemment:
Article 16 1) Les droits et les libertés ne peuvent être restreints que par la loi pour protéger les droits et les libertés d'autrui, l'ordre public, la moralité publique et le domaine de la santé. 2) Toute restriction aux droits et libertés doit être proportionnelle à la nature de la nécessité de le faire, dans chaque cas particulier. |
L'article 17 de la Constitution précise en quoi les droits et libertés peuvent être réduits en cas de guerre, de catastrophe naturelle ou de danger pour l'indépendance et l'unité de la république de Croatie:
Article 17
1) Les droits et libertés garantis par la Constitution peuvent être limités lors d'une situation de guerre, dans le cas d'une catastrophe naturelle ou s'il existe un danger imminent et présent pour l'indépendance et l'unité de la république de Croatie. Cette décision doit être prise par le Parlement croate par une majorité des deux tiers de tous les représentants ou, si le Parlement croate est empêché de se réunir, par le président de la République sur proposition du gouvernement et le contreseing du premier ministre. 2) La portée de ces restrictions doit être adaptée à la nature de la menace et elle ne peut donner lieu au traitement inégal des citoyens pour des motifs de race, de couleur de la peau, de sexe, de langue, de religion, d'origine sociale ou nationale. |
Conformément l’article 17 de la Constitution lorsque l’état de guerre est déclaré ou l’indépendance et l’intégrité territoriale de la Croatie sont menacées, ou dans l’éventualité d’une catastrophe naturelle, certaines limitations peuvent être apportées aux libertés et aux droits constitutionnels sur décision du Parlement croate la suite d’un vote la majorité des deux tiers ou, dans l’éventualité où le Parlement serait empêché de se réunir, ces pouvoirs sont transférés au président de la République. Les limitations apportées aux libertés et aux droits doivent être proportionnelles à la nature de la menace et ne doivent pas avoir pour effet d’introduire un traitement inégal des citoyens au motif de la race, de la couleur de peau, du sexe, de la langue, de la religion ou de l’origine ethnique ou sociale. Enfin, en vertu de l'article 141.d de la Constitution, les ressortissants de la Croatie, en tant que citoyens de l'Union européenne, ont le droit de s'adresser en croate auprès des institutions et organismes consultatifs de l'Union européenne:
Article 141.d Les ressortissants croates sont des citoyens de l'Union européenne et bénéficient des droits garantis par l'Union européenne, en particulier:
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Outre la Constitution de 1990, il faudrait mentionner également les articles 7 et 8 de la Loi constitutionnelle sur les droits et libertés de la personne et sur les droits des communautés ou minorités ethniques et nationales de la république de Croatie de 1991 (modifiée). En effet, cette loi constitutionnelle garantit aux minorités linguistiques le droit d’utiliser librement leur langue et leur écriture (alphabet):
Article 7 1) Les membres de toutes les communautés ou minorités ethniques ou nationales de la république de Croatie ont le droit d'utiliser librement leur langue et leur alphabet, en public et en privé. 2) Dans les municipalités où les membres d'une communauté ou d'une minorité nationale et ethnique représentent la majorité de la population, l'alphabet et la langue de cette communauté ou minorité nationale et ethnique seront officiellement utilisés de même que la langue croate et l'alphabet latin.Article 8 Les collectivités locales peuvent décider d'utiliser officiellement deux ou plusieurs langues et alphabets, en fonction du nombre de membres et des intérêts des communautés ou minorités nationales et ethniques. |
Bref, les minorités nationales de Croatie ont le droit, dans le cadre d'une autonomie locale, de pratiquer leur religion, d’utiliser leur langue et leur alphabet dans l’administration de l’État, la justice, les écoles et les médias. Les textes sont assez clairs à ce sujet.
1.3 La Loi constitutionnelle de 2002
Le 13 décembre 2002, le Sabor (Parlement) adoptait la Loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales. En croate, la loi porte le titre de Ustavni zakon o pravima nacionalnih manjina (mot à mot : constitutionnelle + loi + droits + nationales + minorités), mais elle est aussi simplement appelée appelée "Ustavni zakon", c'est-à-dire «Loi constitutionnelle». Ce texte reprend à son compte la plupart des textes fondamentaux en la matière : Charte de l’ONU, Déclaration universelle des droits de l’Homme, Acte final de l’OSCE, Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, etc. La Loi constitutionnelle croate a été adoptée à la majorité des deux tiers de tous les représentants et elle est entrée en vigueur à la date de sa publication, le 23 décembre 2002. La Loi constitutionnelle de 2002 réaffirme que la Croatie rejette (art. 2) et interdit (art. 4) toute forme de discrimination, et précise que la protection des minorités fait partie intégrante de l’ordre démocratique établi en Croatie (art. 3), ce que garantissent la Constitution et la Loi constitutionnelle (art. 4).
Selon les termes de l’article 1er de la Loi constitutionnelle, la Croatie réitère l’obligation que lui fait le droit international de respecter et de protéger les droits des minorités nationales et les autres droits de l’homme et libertés fondamentales qui doivent être reconnus à tous ses citoyens (drzavljani). L'article 4 de la Loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales (2002) offre les mêmes garanties que la loi de 1991:
Article 4 1) Tout citoyen de la république de Croatie a le droit d'exprimer librement son appartenance à une minorité nationale dans la république de Croatie; le droit d'exercer, seul ou collectivement avec d'autres membres des minorités nationales les autres libertés et droits prévus, en conformité avec les droits et libertés prévus en vertu de la présente loi constitutionnelle et autres droits et libertés des minorités prévus par des lois particulières.2) Les membres des minorités nationales, ainsi que d'autres citoyens de la république de Croatie, bénéficient des droits et libertés énoncés dans la Constitution croate, et les droits et libertés prévus par la présente loi constitutionnelle et les lois spéciales. 3) Les minorités nationales et leurs membres exercent les droits et libertés prévus par la présente loi constitutionnelle et les droits et libertés des membres des minorités nationales prévus par les lois particulières, selon la façon et les conditions établies par la présente loi constitutionnelle et les lois particulières. |
Cette obligation est réaffirmée par l’article 5 de la Loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales dans la définition qui y est donnée des «minorités nationales au sens où l’entend la présente loi constitutionnelle»:
Article 5 Une minorité nationale, au sens où l'entend la présente Loi constitutionnelle est un groupe de citoyens croates [drzavljani], dont les membres sont traditionnellement installés sur le territoire de la république de Croatie et qui ont leurs caractéristiques ethniques, linguistiques, culturelles et/ou religieuses, lesquelles sont différentes de celles des autres citoyens [gradjani] et qui sont guidés par le désir de conserver ces caractéristiques. |
Le seul problème, ce sont les personnes placées sous la juridiction croate, mais qui disent appartenir à une minorité nationale sans être citoyens croates. Dans ce cas, ces gens bénéficient de la protection assurée par les droits fondamentaux auxquels tout individu a droit, car il s'agit de droits garantis par la Constitution et d’autres dispositions du droit interne et du droit international.
L'article 7 de la même Loi constitutionnelle énumère brièvement une liste de droits spécifiques reconnus :
Article 7 La République de Croatie assure l'exercice de droits spéciaux et les libertés des membres des minorités nationales, qu'ils en bénéficient individuellement ou collectivement avec d'autres personnes appartenant à la même minorité nationale, et ensemble avec les membres des autres minorités nationales tel qu'il est stipulé dans la présente Loi constitutionnelle ou par une loi spéciale, notamment :
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1.4 La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
La Croatie a adhéré et ratifié, le 5 novembre 1997, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, charte à laquelle même la France et le Royaume-Uni n’ont pas encore adhéré (même s’ils l’avaient signée). En octobre 1997, le Parlement national croate a adopté la Loi portant ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, par laquelle la république de Croatie est devenue le cinquième État à ratifier la Charte, dont elle a assuré par-là l'entrée en vigueur.
Au moment de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, la république de Croatie déclarait qu’elle appliquera les dispositions de cette charte aux langues italienne, serbe, hongroise, tchèque, slovaque, ruthène et ukrainienne. La république de Croatie formulait des précisions au sujet de l'article 1, paragraphe b, de la Charte:
Article 1er b) par «territoire dans lequel une langue régionale ou minoritaire est pratiquée», on entend l'aire géographique dans laquelle cette langue est le mode d'expression d'un nombre de personnes justifiant l'adoption des différentes mesures de protection et de promotion prévues par la présente Charte; |
Conformément à la législation croate, l’expression territoire dans lequel une langue régionale ou minoritaire est pratiquée réfère aux régions dans lesquels l'usage officiel d'une langue minoritaire est introduit par arrêtés adoptés par les autorités locales, en application de l'article 12 de la Constitution de la république de Croatie et des articles 7 et 8 de la Loi constitutionnelle sur les droits et libertés de la personne et sur les droits des communautés ou minorités ethniques et nationales de la république de Croatie.
1.5 L'autonomie locale
La Loi constitutionnelle sur les droits et les libertés de la personne et sur les droits des communautés ou des minorités nationales et ethniques de la république de Croatie (1991-2000) a été adoptée par le Parlement de la république de Croatie à la séance du 4 décembre 1991. La Loi sur l'autonomie locale et régionale (2001-2020) a été adopté en 1992, puis modifiée en 2001 et en 2020; elle devait préciser les modalités techniques et financières de l’autonomie locale des minorités. Les dispositions de cette loi (art. 2) s’appliquent à la ville de Zagreb, la capitale de la république de Croatie, ainsi que dans les districts à statut d’autonomie spéciale. L’article 68 énumère les revenus admissibles aux collectivités locales ainsi que les contributions financières du gouvernement.
La législation croate accorde l’autonomie culturelle et des droits linguistiques aux minorités ethniques et nationales. Tel est l’objet de l’article 6 de la Loi constitutionnelle sur les droits et les libertés de la personne et sur les droits des communautés ou des minorités nationales et ethniques de la république de Croatie (1991-2000):
Article 6 1) La république de Croatie s'engage auprès des membres de toutes les communautés ou minorités ethniques et nationales à assurer:
2) Les principes énoncés au paragraphe 1 du présent article s'applique également en faveur des Croates dans les municipalités où ils constituent la majorité par rapport à une ou plusieurs autres communautés ou minorités ethniques et nationales. |
De plus, rappelons que la Loi constitutionnelle sur les droits et les libertés de la personne et sur les droits des communautés ou des minorités nationales et ethniques de la république de Croatie permet aux membres des communautés minorités d'organiser la publication de journaux et de livres dans leur langue et leur alphabet d'origine (art. 10), de fonder des associations culturelles autonomes (art. 11) et de disposer d’écoles dans leur langue (art. 13 et 14).
La république de Croatie s’est dotée d’une législation linguistique nationale relativement ambitieuse. Il faut d'abord mentionner la Charte des droits des Serbes et des autres nationalités en république de Croatie (1991) selon laquelle les Serbes de Croatie, ainsi que les autres nationalités, ont droit à une participation proportionnelle dans les organismes du gouvernement afin de préserver leur identité, mais aussi à une protection contre toute tentative d’assimilation. Dans un but de protection de leurs droits respectifs, chaque groupe national, et leurs membres, a le droit d’en appeler aux institutions internationales chargées de la protection des droits de la personne.
Article IV Toutes les nationalités en Croatie sont protégées par la loi de toute activité qui pourrait menacer leur existence, et elles ont droit au respect, à la préservation de leur identité et à l'autonomie culturelle. Article V Les Serbes qui vivent en Croatie et toutes les autres nationalités ont le droit de participer de manière proportionnelle à l'administration locale et aux organismes des autorités publiques compétentes; leur développement économique et social est garanti afin de préserver leur identité et de se prémunir contre toute tentative d'assimilation; l'exercice de ces droits doit être réglementé par des lois appropriées, tenir compte des modalités relatives à l'organisation territoriale et à l'autonomie locale et s'accompagner de la mise en place d'organismes et de mécanismes parlementaires qui auront pour tâche de promouvoir les relations interethniques. Tout organisme qui est en conformité avec les objectifs énoncés dans la présente loi concernant la protection et le développement des diverses nationalités et en raison de leurs activités ethniques représentatives, a le droit de les représenter dans son ensemble et pour chacun de ses membres, tant au sein de l'État que sur la scène internationale. Les différentes nationalités et leurs membres seront habilités à s'adresser aux organisations internationales chargées de veiller à la protection des droits de l'homme pour les questions concernant le respect de leurs droits. |
2.1 Le Parlement
En ce qui a trait au Parlement national (le Sabor), la seule langue utilisée est le croate. Néanmoins, les minorités nationales doivent être représentées au Parlement. L'article 19 de la Loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales (2002) garantit ce droit avec un minimum de cinq représentants et un maximum de huit :
Article 19 1) La république de Croatie garantit aux minorités nationales le droit à leurs membres d'être représentés au Parlement croate. 2) Les membres des minorités nationales élisent un minimum de cinq députés et un maximum de huit dans des circonscriptions électorales particulières, en conformité avec la législation régissant l'élection des députés au Parlement croate, par laquelle les droits acquis des minorités nationales ne peuvent pas être réduits. 3) Les membres des minorités nationales qui constituent plus de 1,5 % de la population totale de la république de Croatie ont la garantie d'être représentés par au moins un et au plus trois députés pour les membres de cette minorité nationale, le tout en conformité avec la législation régissant l'élection des députés au Parlement croate. 4) Les membres des minorités nationales qui constituent moins de 1,5 % de la population totale de la république de Croatie ont le droit d'élire séparément un minimum de quatre députés en tant que membres des minorités nationales, le tout en conformité avec la législation régissant l'élection des députés au Parlement croate. |
On compte 140 sièges permanents représentant les Croates et huit sont réservés aux minorités nationales. Voici ce qui est énoncé à ce sujet à l'article 15 de la Loi sur l'élection des représentants au Parlement croate (2003-2010):
Article 15 1) La république de Croatie garantit aux membres des minorités nationales de la république de Croatie d'exercice leur droit de représentation au Parlement. 2) Les membres des minorités nationales de la république de Croatie ont le droit d'élire huit représentants au Parlement, qui sont élus dans une circonscription spéciale située sur le territoire de la république de Croatie. |
Les huit sièges sont répartis de la façon suivante entre les minorités nationales, soit un député pour les Serbes, un pour la minorité italienne, un pour la minorité hongroise, un pour les Tchèques et les Slovaques, et un représentant pour l'ensemble des autres minorités (art. 16 de la même loi):
Article 16 1) Les membres de la minorité nationale serbe élisent trois représentants au Parlement, conformément à la Loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales. 2) Les membres de la minorité nationale hongroise élisent un représentant au Parlement. 3) Les membres de la minorité nationale italienne élisent un représentant au Parlement. 4) Les membres des minorités nationales tchèque et slovaque élisent conjointement un représentant au Parlement. 5) Les membres des minorités nationales autrichienne, bulgare, allemande, polonaise, rom, roumaine, ruthène, russe, turque, ukrainienne, valaque et juive élisent conjointement un représentant au Parlement. 6) Les membres des minorités nationales albanaise, bosniaque, monténégrine, macédonienne et slovène élisent conjointement un représentant au Parlement. |
Dans les faits, les minorités
nationales ont droit à une seule circonscription nationale de huit
sièges, couvrant toute l'étendue du territoire de la république de Croatie.
Les minorités nationales élisent donc leurs députés dans des
circonscriptions électorales spécifiques, conformément aux droits garantis
aux minorités nationales.
En cas de vacance de sièges en cours de législature, il est fait appel aux
suppléants élus en même temps que les titulaires. Pour suppléer un
parlementaire élu sur une liste de circonscription, il est fait appel au
candidat suivant de la même liste. Les parlementaire élus dans la
circonscription réservée aux minorités ethniques sont remplacés par d'autres
parlementaires élus dans cette même circonscription
Le problème n'est pas résolu pour les petites minorités qui ne pourront jamais atteindre le minimum requis. C’est pourquoi beaucoup de représentants des associations minoritaires de Croatie, la Constitution correspondrait simplement à «du papier», c’est-à-dire des «formules vides de sens». Il n’empêche que dans d’autres pays les minorités linguistiques aimeraient bien jouir de droits similaires de représentation.
C'est pourquoi le gouvernement croate a accordé certaines prérogatives aux «petites minorités», par exemple, le droit pour ces minorités de voter deux fois; ce droit est garanti aux minorités représentant moins de 1,5 % de la population. Les minorités nationales qui constituent plus de 1,5 % de la population (ce qui signifie en l'occurrence seulement la minorité serbe) sont représentées par au moins un et au plus trois députés, étant entendu que les minorités nationales qui constituent séparément moins de 1,5% de la population (soit toutes les autres minorités) doivent être représentées par au moins quatre députés.
2.2 Les pouvoirs locaux
De plus, l’article 21 de la Loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales de 2002 prévoit que les statuts des pouvoirs locaux et régionaux autonomes peuvent déroger à la stricte proportionnalité en faveur des minorités nationales.
Article 21 Les collectivités locales et régionales autonomes, dans lesquelles les minorités nationales ne constituent pas la majorité de la population, peuvent déterminer selon leur réglementation que les membres des minorités nationales, ou qu'un plus grand nombre de membres des minorités nationales, soient élus à l'instance représentative d'une collectivité locale autonome ou à l'instance d'une collectivité régionale autonome, sans que cela ne provienne de leur part dans la population totale de la collectivité autonome. |
Pour obtenir tous les droits prévus dans la Constitution et dans la loi, par exemple être représentés dans l’administration gouvernementale, former une police, contrôler ses écoles, etc., les Serbes et les autres minorités doivent former 50 % de la population d’une municipalité (ou commune), ce qui réduit considérablement les droits réels.
Tout cela ne signifie pas que les membres des minorités peuvent employer leur langue dans la plupart des instances de représentation. À l'exception de quelques municipalités contrôlées très majoritairement par des minorités, la plupart des représentants doivent s'exprimer dans la langue officielle, le croate.
3 Les droits en matière de justice
Précisons que toute décision prise par les autorités locales concernant l'introduction d'une langue minoritaire dans l'usage officiel ne s'applique pas aux délibérations introduites par les organismes administratifs et les tribunaux de l'État. Dans l’état actuel des choses, les tribunaux de première instance, tels que les tribunaux municipaux et les tribunaux de comté, peuvent employer une langue minoritaire dans les limites des communes (ou municipalités) où l’une de ces langues est officiellement reconnue. De fait, les lois régissant les procédures civile et pénale prévoient la protection du droit de toute personne appartenant à une minorité d'employer sa langue dans ces tribunaux locaux. Ces questions sont régies par les dispositions juridiques contenues dans la Loi sur la procédure civile (2023) et la Loi sur la procédure pénale (2008-2013).
3.1 Les autres langues que le croate
L’article 6 de la Loi sur la procédure civile (2023) prévoit ce qui suit à propos d’une «autre langue» que le croate:
Article 6 La procédure civile doit se dérouler en croate et avec l'alphabet latin, à moins que pour certains tribunaux la loi ne prévoie l'usage d'une autre langue ou d'un autre alphabet. |
L’article 103 de la Loi sur la procédure civile prescrit que les documents écrits sont normalement «en croate et avec l'alphabet latin»:
Article 103 Les assignations, les décisions et les communications de la cour sont envoyés aux parties et aux participants à la procédure en croate et avec l'alphabet latin. Article 105 1) L'emploi des langues et des alphabet des minorités nationales dans la procédure civile est réglementé par une loi distinctes. 2) Les frais de traduction dans à la langue nationale de la minorité, qui découlent de l'application des dispositions de la Constitution de la république de Croatie, la présente loi ou de la législation sur les droits des membres des minorités nationales à employer leur propre langue, doivent être assumés par la caisse de la cour. |
3.2 L'interprétariat
Étant donné le faible nombre des minorités, il n'est pas possible de prévoir des procès bilingues. D'où le recours à des interprètes judicaires. Pour ce qui est de l’article 102 de la Loi sur la procédure civile (2023), il est prévu des services de traduction:
Article 102 4) Les dépenses de traduction sont payées par la partie ou le participant auxquelles elles se rapportent. |
La Loi sur la procédure administrative générale (2009) autorise une personne qui ne connaît pas la langue de la procédure de recourir à un interprète:
Article 64 Audition des témoins 3) Si un témoin ne connaît pas la langue de la procédure, il doit être entendu par l'intermédiaire d'un interprète. Si un témoin est malentendant, les questions doivent lui être posées par écrit et, s'il est muet, il doit répondre par écrit. Lorsque le témoin ne peut pas être interrogé de la même manière, une personne capable de communiquer avec ce dernier doit être assignée comme interprète. Article 74 |
Par ailleurs, la Loi sur les tribunaux (2013-2024) prévoit la présence d'interprètes judiciaires dans les tribunaux:
Article 123 Les interprètes judiciaires permanents traduisent, à la demande d'un tribunal, d'un organisme public, d'une personne morale ou d'un citoyen, un texte parlé ou écrit du croate vers une langue étrangère, d'une langue étrangère vers le croate ou d'une langue étrangère vers une autre langue étrangère. |
Quant à l'article 29 de la
Constitution de 2010, il permet à tout accusé ou inculpé d'être
informé en détail et dans une langue qu'il comprend, dans le plus
court délai possible, de la nature et des motifs des accusations
portées contre lui et des éléments de preuve l'incriminant:
Article 29 2) En cas de suspicion ou d'accusation lors d'une infraction pénale, tout suspect, accusé ou inculpé a le droit:
|
3.4 La transmission des débats et les coûts de la traduction
Toutefois, si une autre langue ou un autre alphabet est aussi en usage officiel, «le tribunal présente ses documents dans cette langue ou cet alphabet aux parties et aux participants qui en font usage dans les débats». Les parties et autres participants aux débats peuvent demander que les écrits du tribunal leur soient soumis dans la langue dans laquelle les débats sont conduits. Selon l’article 105, les coûts de l'interprétation dans une langue minoritaire résultant de l'application de la Constitution de la Croatie, ainsi que de toute autre loi régissant le droit des membres des groupes minoritaires à user de leur langue, sont assumés par le tribunal. L'article 106 du Code pénal (2011) prévoit une disposition similaire en matière de justice:
Article 126
2) La peine visée au paragraphe 1 du présent article est infligée à quiconque, contrairement aux réglementations sur l'emploi de la langue et de l'écriture, refuse ou restreint le droit d'une personne d'utiliser sa propre langue et son propre alphabet. |
Selon le Premier rapport périodique présenté au secrétaire général du Conseil de l’Europe conformément à l’article 15 de la Charte de février 1999, l’italien et le hongrois ont été employés dans un certain nombre de tribunaux locaux. Dans le comté d’Istrie par exemple, on a dénombré quelque 38 procès en italien. Dans les comtés d’Istrie et d’Osijek, au moins un juge est membre de la minorité italienne et un autre membre de la minorité hongroise. Dans le recrutement du personnel, la connaissance de la langue minoritaire co-officielle est prise en considération. L’interprète judiciaire doit donc posséder une bonne connaissance de la culture, du système juridique et de la terminologie associée à la langue qu’il traduit.
3.5 Les restrictions
En somme, les membres des minorités nationales peuvent en principe bénéficier de représentants dans les tribunaux croates: les tribunaux municipaux (5,5%), les tribunaux de comté ou des joupanies (8,2%), les tribunaux de commerce (0,35%). Au sein de la Cour suprême, du tribunal administratif et du Haut Tribunal de commerce, les membres de la minorité nationale serbe représentent 2,6 % des juges et les autres minorités nationales, 3%.
Néanmoins, de nombreux représentants des minorités se plaignent que certains tribunaux obligent les justiciables à payer les frais de traduction et d'interprétation, notamment en Istrie. De plus, le fusion de plusieurs tribunaux aurait eu pour effet de limiter la possibilité d’employer des langues minoritaires. Les informations contenues dans les rapports indiquent que, dans les faits, les fusions ont réduit la possibilité pour les Serbes d’utiliser l’alphabet cyrillique.
4 Les langues dans l'administration publique
La langue officielle de l'administration publique est le croate, conformément à l'article 12 de la Constitution qui déclare qu'en république de Croatie «la langue croate et l’alphabet latin sont d'usage officiel». Cependant, le même article énonce aussi que «dans les collectivités locales, une autre langue et le cyrillique ou quelque autre alphabet peuvent, avec la langue croate et l’alphabet latin, être introduits à des fins officielles». D'ailleurs, l'article 14 de la Loi sur la procédure administrative générale de 2009 reprend les mêmes dispositions, ce qui signifie que toute procédure administrative doit être «en croate et avec l'alphabet latin», mais que celle-ci «peut se dérouler dans une autre langue ou un autre alphabet d'usage officiel dans les organismes gouvernementaux»:
Article 14 Usage officiel de la langue et de l'alphabet 1) Toute procédure administrative doit être formulée en croate et avec l'alphabet latin. 2) La procédure peut se dérouler dans une autre langue ou un autre alphabet d'usage officiel dans les organismes gouvernementaux, là où les travaux sont menés en conformité avec les conditions fixées par les règlements adoptés en vertu de l'usage officiel de la langue et l'écriture. |
Il faut signaler que les coûts liés à l'usage d'une langue minoritaire doivent être assumés par l'autorité devant laquelle les communications sont introduites dans cette langue minoritaire. Les dispositions de la loi prévoient la pleine application des droits linguistiques lorsqu’un membre d'une minorité comparaît en tant que partie devant toute instance d'une commune ou d'une ville ayant introduit une langue minoritaire reconnue officiellement.
4.1 Les régions et les collectivités territoriales
Dans les régions («joupanies») où une minorité nationale dépasse le seuil de 5 % de la population, la loi électorale prévoit, si la condition n'est pas remplie après les élections, à ce qu'il entre à l'assemblée régionale autant de représentants que nécessaire pour chacune des minorités concernées jusqu'à ce soit reflété leur poids respectif dans la population de la région. Le dernier recensement de la population étant le document de référence (art. 20 de la Loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales de 2002).
Article 20 1) La république de Croatie garantit aux membres des minorités nationales le droit à la représentation dans les instances représentatives des collectivités locales autonomes et dans les instances représentatives des collectivités régionales autonomes. 2) Si un membre d'une minorité nationale, qui représente entre 5 % et 15 % de la population d'une collectivité locale autonome, n'est pas élu à l'instance représentative de la collectivité autonome sur la base du suffrage universel, le nombre des membres de l'entité représentative de la collectivité autonome sera augmenté d'un membre; et le membre d'une minorité nationale, qui n'a pas d'abord été élu selon la représentation proportionnelle de chaque liste de candidatures lors des élections, sera considéré élu, à moins qu'il n'en soit prévu autrement par la législation régissant l'élection des membres de l'instance représentative d'une collectivité locale autonome. |
Dans les collectivités territoriales où les minorités nationales bénéficient d'une représentation proportionnelle dans les conseils municipaux ou assemblées régionales, ce droit s'étend également aux instances exécutives. La Loi sur l'emploi de la langue et de l'alphabet des minorités nationales (2000) prévoit comment se concrétisent le bilinguisme et le multilinguisme avec la même taille d'alphabet dans les municipalités et les districts concernés (voir l'article 8):
Article 8 1) Dans les municipalités, les villes et les régions où il existe un emploi officiel à égalité de traitement de la langue et de l'alphabet d'une minorité nationale, les communications des conseils des municipalités et des villes, ainsi que les assemblées des conseils des administrations publiques et des régions doivent être effectuées à la fois en croate et en alphabet latin et dans la langue et l'alphabet de la minorité nationale, qui sont d'emploi officiel à égalité de traitement. 2) Dans les municipalités, villes et régions mentionnées au paragraphe précédent, doivent être bilingues ou multilingues:
3) Un conseiller, un membre du gouvernement ou un citoyen des municipalités, villes et régions, conformément au paragraphe 1 du présent article a le droit de recevoir en format bilingue ou multilingue:
|
Dans les municipalités où les minorités nationales représentent plus de 1,5 % de la population ou plus de 200 personnes, ainsi que dans les régions où elles représentent plus de 500 personnes, il est institué un Comité de la minorité nationale. Dans les collectivités territoriales où résident au moins 100 membres de minorités nationales, il est procédé à l'élection d'un représentant de la minorité nationale. Le Comité ou le représentant représentent la minorité nationale auprès des instances locales et peuvent leur soumettre leurs avis, propositions ou doléances.
Au plan national, il est prévu qu'une représentation adéquate des minorités nationales dans l'administration et les instances judiciaires, ainsi que dans les services déconcentrés et décentralisés. À compétences égales, la priorité est donnée aux membres des minorités nationales (art. 23 de la Loi constitutionnelle). Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales (2002), les personnes qui appartiennent à des minorités nationales ont la priorité dans l’attribution des postes à pourvoir au sein des instances administratives et judiciaires de l’État, et ce, «dans le respect de l’égalité» au sein des structures administratives des pouvoirs locaux et régionaux autonomes.
Article 22 1) Dans une collectivité locale et régionale autonome (ci-après : «la collectivité autonome»), dans lesquelles, conformément aux dispositions de la présente loi constitutionnelle, la représentation proportionnelle des membres de leur instance représentative doit être assurée parmi les rangs des membres des minorités nationales, la représentation des membres d'une minorité nationale est assurée à l'instance exécutive. 2) Les membres des minorités nationales ont une représentation assurée après des instances administratives et judiciaires de l'État en conformité avec les dispositions d'une loi particulière, en tenant compte de la proportion des membres des minorités nationales dans la population totale au niveau auquel les instances administratives et judiciaires de l'État ont été établies et les droits, acquis. 3) Les membres des minorités nationales ont une représentation assurée auprès des instances administratives des collectivités autonomes en conformité avec les dispositions de la loi particulière régissant les collectivités locales et régionales autonomes, en conformité avec les droits acquis. 4) Les membres des minorités nationales ont la priorité dans l'attribution des postes à pourvoir en vertu des paragraphes 2 et 3 du présent article, à des conditions égales. |
Cependant, le type d’«égalité» dont il s’agit n’est pas clairement défini, pas plus que ne le sont les critères et les procédures qu’il conviendrait d’appliquer pour parvenir à cette égalité.
Enfin, il est créé au niveau national un Conseil des minorités nationales, dont la mission consiste à promouvoir le rôle des minorités nationales dans la vie publique de la Croatie. Le Conseil, composé de 12 membres (sept proposés par les Comités des minorités et cinq personnalités éminentes représentatives de ces minorités), peut soumettre ses avis, propositions ou doléances au gouvernement. Il gère et distribue les fonds publics alloués aux minorités nationales. Les Comités, les représentants des minorités nationales ainsi que Conseil des minorités nationales peut saisir le Conseil constitutionnel s'il le juge nécessaire.
4.2 Les municipalités protégées
Rappelons que l'organisation territoriale de la Croatie comprend au total 576 unités d'autonomie locale et régionale réparties comme suit :
- 428 communes (komuna) ou municipalités (općina - općine);
- 127 villes (grad - gradovi);
- 20 unités d'autonomie régionale ou joupanies (županija - županije);
- la capitale, Zagreb, constitue à elle seule une županija.
- Les prescriptions juridiques
En vertu de l’article 10 de la Loi sur l'emploi de la langue et de l'alphabet des minorités nationales (2000), les toponymes des municipalités bilingues doivent être rédigés en deux langues et alphabets (si nécessaire):
Article 10 1) Dans les municipalités et les villes où la langue et l'alphabet d'une minorité nationale sont officiellement employées sur un pied d'égalité, en format bilingue ou multilingue, les éléments suivants doivent être imprimés dans la même taille de police :
2) La réglementation d'une municipalité ou d'une ville où la langue et l'alphabet d'une minorité nationale sont officiellement employés sur un pied d'égalité doit préciser si l'obtention des droits visés au paragraphe 1 du présent article s'exerce sur l'ensemble du territoire ou seulement dans certains lieux, là où existe un usage des toponymes traditionnels des lieux et sites. 3) La réglementation d'une municipalité ou d'une ville peut prévoir, sur le territoire où existe l'emploi officiel à égalité de traitement de la langue et de l'alphabet d'une minorité nationale, que les personnes physiques et morales exerçant des activités publiques peuvent exprimer leurs noms en format bilingue ou multilingue. |
Pour les petites minorités (ukrainiennes, ruthènes, etc.), toutes les mesures précédentes s’appliquent rarement, mais la Loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales (2002) élargit l’application des droits minoritaires au-delà des 5 % de la population.
Article 20
4) Si, sur la base du suffrage universel, une minorité
nationale représentant
plus de 5 % de la population d'une
collectivité régionale autonome
n'est pas représentée à
l'instance représentative de la collectivité autonome par le
nombre des membres proportionnels à sa part dans la
population de cette collectivité régionale autonome, le
nombre des membres de l'entité représentative sera augmenté
jusqu'au nombre nécessaire pour exercer la représentation;
et les membres d'une minorité donnée, qui n'ont pas été
élus, selon la représentation proportionnelle de chaque
liste de candidature lors des élections, seront considérés
élus, à moins qu'il n'en soit prévu autrement par la
législation régissant l'élection des membres de l'instance
représentative d'une collectivité régionale autonome. |
Dans les municipalités où une minorité nationale au moins représente entre 5 % et 15 % de la population, la loi électorale prévoit, si la condition n'est pas remplie après les élections, à ce qu'au minimum un représentant de l'une de ces minorités entre au conseil municipal. Dans les municipalités où une minorité nationale dépasse le seuil de 15 % de la population, la loi électorale prévoit, si la condition n'est pas remplie après les élections, à ce qu'il entre au conseil municipal autant de représentants que nécessaire pour chacune des minorités concernées jusqu'à ce soit reflété leur poids respectif dans la population municipale.
- La question des majorités
En fait, il faut distinguer la majorité relative ou majorité simple et la majorité absolue. Par exemple, si les Serbes constituent 47 % de la population d'une municipalité, alors que les Croate n'en forment que 33%, il s'agit d'une majorité relative, leur nombre étant supérieur à celui du plus proche groupe. S'les Serbes atteignent 50% ou plus, c'est la majorité absolue. En Croatie, la majorité désigne les deux types.
- Les municipalités à majorité serbe
|
Les Serbes sont majoritaires dans les 16 municipalités
suivantes:
Les 20 municipalités suivantes bénéficient du statut bilingue, souvent en vertu d'anciennes municipalités bilingues: Dvor, Gvozd, Jagodnjak, Šodolovci, Borovo, Trpinja, Markušica, Negoslavci, Biskupija, Ervenik, Kistanje, Donji Lapac, Gračac, Udbina, Vrbovsko, Donji Kukuruzari, Erdut, Vukovar, Kneževi Vinogradi, Darda et Nijemci. Dans les municipalités croates où les Serbes représentent au moins un tiers de la population, la langue serbe et l'écriture cyrillique sont co-officielles, ce qui signifie qu'ils ont un statut juridique égal à côté du croate. Ce statut garantit le respect des droits linguistiques des minorités dans les régions où les Serbes représentent une part importante de la population. Il s'agit d'examiner quels sont ces droits, car l'emploi de la langue serbe et de l'écriture cyrillique dans les municipalités peut changer en fonction des données du dernier recensement puisque le seuil d'un tiers sert à déterminer le statut de co-officialité. |
- La municipalité à majorité italienne
Les italophones représentent 0,4 % de la population avec plus de 13 700 personnes. Près des trois quarts des italophones vivent dans la joupanie de l'Istrie, où ils représentent 5,0% de la population et ont le droit d'utiliser leur langue et leur drapeau dans certaines municipalités; en tant que l'une des minorités nationales autochtones, ils ont le droit d'élire un député minoritaire au Parlement croate. La seule municipalité où ils obtiennent une majorité relative de près de 40%, c'est la petite municipalité de Groznjan, dont la population au recensement de 2021 était de 656 habitants.
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De plus, la composition ethnique de la municipalité de Groznjan est répartie en 11 villages, ce qui fragmente la prépondérance relative de l'italien. |
Par ailleurs, en Istrie, le terme «italien» peut tout aussi bien désigner les locuteurs de l'italien standard que la langue vénitienne, la langue istriote, la plus ancienne langue parlée en Istrie, remontant aux Romains et aujourd'hui parlée dans le sud-ouest de l'Istrie dans les municipalités suivantes: Rovigno, Valle, Dignano, Gallesano, Fasana, Valbandon, Sissano et dans les environs de Pola.
- La municipalité à majorité hongroise
Les Hongrois comptent 10 315 magyarophones, soit 0,3 % de la population de la Croatie. La municipalité de Kneževi Vinogradi est la seule en du pays à porter une appellation hongroise, Hercegszölös, qui signifie «vignoble du prince».
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Les magyarophones ne bénéficient que d'une majorité relative avec 42,9% de la population, ce qui n'empêche nullement les croatophones d'exercer une force d'attraction avec la langue officielle. |
- La municipalité à majorité tchèque
Les Tchèques ne constituent qu'une très petite minorité reconnue en Croatie avec 7862 membres représentant 0,2 % de la population du pays. Il n'y a probablement plus de municipalité à majorité tchèque en Croatie au moment du recensement de 2021.
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En 2001, la population était de 3516, puis de 2360 en 2011 et de 1805 en 2021. En 2011 pour laquelle les statistiques sont disponibles, les Tchèques représentaient 47% de la population; ils étaient minoritaires en nombre absolu, mais majoritaires en nombre relatif. |
Mais une décennie plus, tard, il est fort probable que la communauté croate soit devenue nettement majoritaire. La municipalité de Končanice a introduit la langue tchèque comme langue co-officielle à part entière avec le croate.
4.3 Les changements de prénom
L'article 9 de la Loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales (2002) autorise les membres des minorités nationales ont le droit d'employer leur nom de famille et leur prénom dans leur langue:
Article 9 1) Les membres des minorités nationales ont le droit d'employer leur nom de famille et leur prénom dans leur langue, et ont droit à leur identité officielle pour eux et leurs enfants grâce à leur inscription dans les registres et autres documents officiels, en conformité avec les règlements de la république de Croatie. 2) Les membres des minorités nationales ont le droit de lire leur carte d'identité personnelle imprimée et rédigées dans leur langue et leur alphabet. |
La Loi sur le prénom (1992-2017) prescrit une procédure particulière dans le choix des prénoms des citoyens croates. Normalement, un enfant porte le patronyme (nom de famille) de l’un ou l'autre des deux parents, sinon les deux noms. Ce sont les parents qui choisissent le nom complet et légal (prénom et patronyme) «par mutuel agrément», conformément aux dispositions de la loi. Cette même loi autorise aussi les citoyens croates à changer de prénom (art. 6):
Article 6 1) Toute personne a le droit de changer de prénom. 2) La demande de changement de prénom doit exposer les motifs pour lesquels le changement est demandé et proposer un nouveau prénom en justification de la demande. 3) L’autorité administrative compétente du lieu de résidence du requérant traite la demande de changement de prénom. |
L’article 8 de la Loi sur le prénom énonce que le changement de prénom est accordé dans l’éventualité où la demande se justifie pleinement, sur appréciation de l’autorité et que le nouveau prénom n’ira pas l’encontre des règles sociales et des coutumes de la région dans laquelle vit la personne:
Article 8 Le changement de prénom doit être accepté si la demande se justifie pleinement, sur appréciation de l’autorité, et si le nouveau prénom ne va pas à l'encontre des règles sociales et des coutumes de la région où vit la personne. |
Soulignons que cette loi ne définit pas spécifiquement l’exercice d’un droit de changer de prénom ou le choix d’un nom en ce qui a trait spécifiquement aux membres d’une minorité nationale; la loi concerne tous les Croates. Toutefois, dans la vie quotidienne, les demandes de changement de prénom proviennent bien souvent des membres des minorités nationales. Les demandes de modification du prénom sont normalement justifiées par le fait qu'un individu souhaite que son prénom ou celui de son enfant soit rédigé officiellement selon sa forme originale. Ainsi, un nom hongrois peut avoir subi dans le passé des changements : Stjepan > Istvan, Horvat > Horvath, Lasloù > Laszlo, Kovac > Kovats). Ce genre de modification semble plus fréquent chez les minorités hongroises, italiennes et allemandes.
Le ministère de l’Administration civile tranche en matière de plaintes des citoyens, mais par la suite une partie lésée peut engager une procédure auprès du tribunal administratif. Après épuisement de tous les recours juridiques, il est possible d’en appeler à la protection de ses droits en déposant une plainte qui devra être soumise la Cour constitutionnelle de la Croatie.
Il ne semble pas qu'un membre appartenant une minorité nationale se serait vu refuser une modification de prénom sur la base de son appartenance ethnique. Les archives concernant les prénoms des citoyens sont conservées au greffe de l’état civil relevant de l’autorité de l’administration centrale. Cela étant dit, certains représentants des minorités nationales considèrent que la Loi sur le prénom viole le droit à la vie privée, car elle exige de toutes les modifications soient publiées sur un tableau d'affichage.
4.4 Les cartes d'identité
Dans la
Loi sur les cartes d'identité (2002-2013), l'anglais et le croate avec l'alphabet
latin sont obligatoires sur les cartes d'identité; même la demande
d'émission pour cette carte doit être rédigée en croate. Cependant, la carte
d'identité
peut être rédigée non seulement en croate et en alphabet latin,
mais aussi dans
les langues et alphabets des minorités nationales:
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|
Sur le côté supérieur de la carte d'identité, la dénomination «République de Croatie» doit apparaître comme suit: REPUBLIKA HRVATSKA / REPUBLIC OF CROATIA, avec en-dessous les indications suivantes: OSOBNA ISKAZNICA / IDENTITY CARD. Dans le cas des minorités nationales, ladite carte sera en trois langues: en anglais, en croate et dans une langue minoritaire donnée.
Le Comité d’experts du Conseil de l'Europe a noté que, hormis la région de l'Istrie, les autorités régionales ne semblent avoir aucune connaissance de leurs obligations juridiques découlant de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. C’est pourquoi le Comité d’experts encourage les autorités croates à faire en sorte que les administrations régionales croates emploient les langues minoritaires, ainsi que l’exigent les engagements pris par la Cro atie.
5 Les droits scolaires
Le système scolaires comprend la maternelle, le primaire et le secondaire en deux cycles. La dernière année de la maternelle ("predškole") est obligatoire et se déroule dans les jardins d’enfants ou intégrée dans les écoles primaires. Le primaire (dès l'âge de sept ans) et le premier cycle du secondaire sont organisés dans un système à structure unique et pris en charge par les écoles primaires ("osnovna škola"). Le second cycle du secondaire commence à 15 ans et est d'une durée de trois à cinq ans. La voie professionnelle est fortement privilégiée à cette étape. La Croatie compte quelque 90 lycées généraux et plus de 300 écoles professionnelles. Le taux de participation aux programmes de formation professionnelle dans les études secondaires du second cycle est l'un des plus élevés d’Europe.
5.1 Le droit à l'éducation dans sa langue
La Loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales (2002) accorde aux membres des minorités nationales le droit à l'éducation dans leur langue et leur alphabet:
Article 11
1) Les membres des minorités nationales ont le droit à l'éducation
dans
leur langue
et leur alphabet.
3) Les établissements d'enseignement proposant une instruction dans la langue et l'alphabet d'une minorité nationale peuvent être créés et la formation et l'instruction peut être dispensée pour un nombre moindre d'élèves que le nombre prévu pour les établissements d'enseignement dont l'instruction est en croate et en alphabet latin. |
Mais c'est la Loi sur l'éducation et l'enseignement au primaire et au secondaire (2008-2021) qui régit l'enseignement dans les écoles publiques du primaire et du secondaire. Les activités d'enseignement dans les écoles primaires comprennent l'enseignement général et d'autres formes d'enseignement pour les enfants et les jeunes. Les activités d'enseignement dans les écoles secondaires comprennent l'enseignement général et les différents types et formes d'éducation et de formation, qui sont dispensés (art. 1). Si l'article 6 prescrit le croate et l'alphabet latin dans l'enseignement, l'article 7 de la Loi sur l'éducation et l'enseignement au primaire et au secondaire autorise l'emploi d'une autre langue et d'un autre alphabet pour les enfants appartenant à des minorités nationales:
Article 6 Enseignement en langue croate L'enseignement et les autres activités pédagogiques doivent être donnés dans les écoles en croate et avec l'alphabet latin. Article 7 Enseignement de la langue et de l'alphabet des minorités nationales L'enseignement primaire et secondaire des enfants appartenant à des minorités nationales est donné conformément à la Loi sur l'éducation dans les langues et alphabets des minorités nationales, ainsi qu'aux dispositions de la présente loi et autres règlements. |
Les membres des minorités nationales ont donc la possibilité de s'instruire dans leur langue maternelle à tous les niveaux de l'éducation, c'est-à-dire de la maternelle jusqu'à l'éducation post-secondaire.
En plus de cette loi de 2008 modifiée en 2021, la Loi constitutionnelle sur les droits et les libertés de la personne et sur les droits des communautés ou des minorités nationales et ethniques de la république de Croatie(1991-2000) régit aussi les langues d'enseignement, notamment les articles 13 et 14.
Article 13 1) L'éducation des communautés ou minorités ethniques et nationales en Croatie est effectuée dans les écoles maternelles et les écoles primaires dans leur propre langue et leur alphabet, alors que les programmes, le cas échéant, comprennent leur histoire, leur culture et leurs sciences, s'ils le souhaitent. 2) En vertu du paragraphe précédent, l'éducation qui n'est pas liée à l'origine ethnique des élèves s'effectue dans le cadre et les contenus prescrits par les autorités de la république de Croatie dans le domaine de l'éducation. 3) Les programmes des écoles dont l'étude est liée à l'appartenance ethnique des participants sont déterminés par les autorités viés au paragraphe précédent sur la proposition du gouvernement de la république de Croatie pour les relations internationales. Article 14 1) Les collectivités d'autonomie et d'administration locales dans lesquelles les communautés ou minorités ethniques et nationales forment la majorité relative de la population, si le nombre de participants le permet, doivent mettre en place un établissement d'enseignement séparé ou des classes séparées pour enseigner la langue et l'alphabet de la communauté ou de la minorité ethnique et nationale, s'ils le souhaitent. |
Ces lois réglementent en détail les éléments suivants: droits à l'instruction, création d'écoles et de classes où l'enseignement est donné dans une langue minoritaire, et droits à d'autres composantes concernant les minorités dans les programmes d'enseignement. De plus, la république de Croatie applique la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui autorise l'usage des langues minoritaires ou régionales. L'article 1er de la Loi sur l'éducation dans les langues et alphabets des minorités nationales de 2000 reconnaît le droit aux minorités nationales de recevoir leur instruction dans leur langue et écriture (alphabet):
Article 1er 1) Les minorités nationales de la république de Croatie ont le droit à l'éducation dans leur langue et leur alphabet (ci-après: éducation dans les langues et alphabets des minorités nationales) en vertu de la Constitution et des dispositions de la présente loi. 2) La présente loi n'a aucun effet sur les droits en éducation des minorités nationales acquises selon les règlements précédents et sur la base des accords internationaux signés par la République de Croatie. |
Voici les éléments que nous pouvons retenir:
1) Une langue minoritaire est, dans tous les contextes scolaires où elle
est utilisée, considérée comme une expression de richesse culturelle et un
atout pour le progrès collectif. 2) L'homogénéité du secteur géographique d'une langue régionale ou minoritaire ne constitue pas un obstacle; bien que presque tous les secteurs géographiques comptent une majorité croate, cela n'empêche pas les établissements scolaires de faire en sorte que tous les enfants intéressés puissent recevoir un enseignements dans une langue minoritaire. 3) Les langues minoritaires sont encouragées dans le système scolaire en tant que phénomène linguistique et culturel. 4) L'enseignement et l'instruction dans les langues minoritaires sont organisés à tous les niveaux du système éducatif (préscolaire, primaire et secondaire) quand certaines exigences de base sont satisfaites; la plus importante est qu'il y ait un nombre suffisant de personnes intéressées et un personnel compétent assez nombreux. |
Par ailleurs, l'article 6 de la Loi sur l'éducation dans les langues et alphabets des minorités nationales de 2000 précise le contenu des programmes destinés aux membres des minorités nationales:
Article 6 1) Le plan et le programme d'éducation pour les minorités nationales consistent en partie générale avec un contenu étroitement lié à la minorité nationale (langue, littérature, histoire, géographie et culture de la minorité nationale). 2) Une partie du plan et du programme d'éducation relève du paragraphe 1 du présent article, dont le contenu est étroitement associé à la minorité nationale, lequel est défini et approuvé par le ministère de l'Éducation nationale et des Sports, tout en considérant les avis des instances des minorité nationales. |
Quant à l'article 8 de la même loi, il précise que les élèves bénéficiant de ces «facilités scolaires» sont également dans l'obligation d'apprendre, outre leur langue maternelle et leur alphabet, le croate et l'alphabet latin, conformément à la législation sur l'éducation. En vertu de l'article 10 de la Loi sur l'éducation dans les langues et alphabets des minorités nationales (2000), les élèves des minorités nationales reçoivent leur enseignement de la part d'enseignants appartenant à la minorité nationale concernée ou dont la langue maternelle est celle de la minorité ou dont la compétence linguistique est excellente:
Article 10
Dans un service scolaire offrant un enseignement dans la langue et l'alphabet d'une minorité nationale, l'instruction est tenue par des enseignants appartenant à la minorité nationale concernée ou dont la langue de la minorité nationale est la langue maternelle ou des enseignants maîtrisant entièrement la langue et l'alphabet de la minorité nationale. |
De même, la majorité des membres des instances administratives doivent appartenir à la minorité nationale concernée (art. 12). Enfin, les équipements scolaires et les manuels destinés aux enfants des minorités nationales peuvent employer des manuels fabriqués dans les pays d'origine de ces minorités moyennant l'approbation du ministère de l'Éducation nationale et des Sports.
5.2 Les matières d'enseignement
Ce long article 11 de la Loi constitutionnelle relative aux droits des minorités nationales (2002) résume assez bien les conditions d'enseignement chez les membres des minorités nationales:
Article 11 1) Les membres des minorités nationales ont le droit à l'éducation dans leur langue et leur alphabet. 2) L'éducation des membres d'une minorité nationale est offerte dans des établissements préscolaires, des écoles primaires et secondaires et d'autres établissements scolaires (ci-après: l'établissement scolaire), avec l'enseignement dans leur langue et leur alphabet, dans les conditions et la manière prévue par une loi spéciale sur l'éducation dans la langue et l'alphabet des minorités nationales. 3) Les établissements d'enseignement proposant une instruction dans la langue et l'alphabet d'une minorité nationale peuvent être créés et la formation et l'instruction peut être données pour un nombre moindre d'élèves que le nombre prévu pour les établissements d'enseignement dont l'instruction est en croate et en alphabet latin. 4) Le programme d'études dans la langue et l'alphabet d'une minorité nationale doit, à l'exception de la partie générale, obligatoirement contenir une partie, dont le contenu est rapproché d'une qualité spécifique d'une minorité nationale (langue maternelle, littérature, histoire, géographie et œuvre culturelle d'une minorité nationale). 5) Les droits et obligations des élèves instruits dans la langue et l'alphabet des minorités nationales sont tenus d'apprendre, outre leurs propres langue et alphabet, la langue croate et l'alphabet latin en conformité avec leur programme d'études spécifique. 6) Les activités pédagogiques dans un établissement scolaire dont l'enseignement est dans la langue et l'alphabet d'une minorité nationale sont donnés par des enseignants choisis des rangs d'une minorité nationale dont la maîtrise de la langue et de l'alphabet de la minorité nationale est excellent, ou par des enseignants qui ne font pas partie des membres de la minorité nationale, mais dont la maîtrise de la langue et de l'alphabet de la minorité nationales est excellente. |
Quoi qu'il en soit, les élèves doivent apprendre aussi la langue croate et l'alphabet latin en conformité avec leur programme d'études spécifique (art. 11.5).
5.3 Les types d'écoles
L’article 14 de la Loi constitutionnelle sur les droits et les libertés de la personne et sur les droits des communautés ou des minorités nationales et ethniques de la république de Croatie de 1991 (modifiée) précise dans quelles conditions les écoles linguistiquement séparées sont possibles:
Article 14 1) Les collectivités d'autonomie et d'administration locales dans lesquelles les communautés ou minorités ethniques et nationales forment la majorité relative de la population, si le nombre de participants le permet, doivent mettre en place un établissement d'enseignement séparé ou des classes séparées pour enseigner la langue et l'alphabet de la communauté ou de la minorité ethnique et nationale, s'ils le souhaitent. 2) Dans le cas où c'est impossible, en raison du faible nombre de participants, de prévoir des écoles ou des classes en fonction des critères énoncés au paragraphe précédent, l'enseignement des matières dont le programme est liée à l'appartenance ethnique des participants (langue et littérature, histoire, etc.) doit être organisé dans le cadre d'un service d'une école séparée par des professeurs de la même appartenance ethnique que les participants, si les parents des élèves le souhaitent. |
Dans le système d'éducation, le principe de l'égalité de tous est respecté et appliqué, indépendamment de la langue (majoritaire ou minoritaire) dans laquelle l'enseignement est dispensé: équivalence des certificats-diplômes scolaires, facilité du transfert dans d'autres écoles, représentativité du personnel en fonction de la nationalité, relations entre élèves, inscriptions bilingues quand la loi l'exige, etc.
Toutefois, si les écoles minoritaires ne peuvent être créées en raison d'un nombre trop faible d'élèves, l'enseignement des matières dont le programme est relié aux affiliations nationales des élèves (langue, littérature, histoire, etc.) sera dispensé dans un service d'enseignement distinct par des professeurs de la même affiliation nationale. Il faut également préciser que les lois et règlements croates précisent le nombre minimal d'élèves dans une classe minoritaire. Cependant, pour la formation de classes destinées à des élèves appartenant à des petites minorités, le gouvernement a décidé de fixer un nombre minimal très inférieur à celui précisé par les règlements. Cette décision vise sans doute à protéger l'intérêt des membres des groupes minoritaires, mais a surtout pour effet de calmer les revendications de ces groupes, même si la réglementation rend l'éducation minoritaire beaucoup plus coûteuse. Dans les «municipalités à statut spécial» (où les minorités forment au moins 50 % de la population), l'enseignement aux Croates est dispensé en langue croate et en alphabet latin dans des maternelles et des écoles séparées ou dans des services d'enseignement séparés des écoles et des maternelles. Dans toutes les écoles minoritaires, il est obligatoire d’enseigner le croate comme langue seconde de façon à ce que tous les élèves sachent parler et écrire le croate.
Les membres des minorités nationales peuvent exercer leur droit constitutionnel et recevoir leur instruction dans leur langue maternelle et leur alphabet au moyen de trois modèles de base :
MODÈLE A : cours dans la langue et l'alphabet de la minorité nationale;
MODÈLE B : cours bilingues en croate et la langue maternelle minoritaire;
MODÈLE C : la langue et la culture d'origine.
Le programme des classes selon les modèles A, B et C est adopté par le ministère compétent des Sciences, de l’Éducation et des Sports après avoir recueilli l’avis des associations des minorités, conformément à la Loi sur l'éducation dans les langues et alphabets des minorités nationales (2000). Les parents peuvent choisir l'un des trois modèles d'enseignement pour leurs enfants, en fonction des écoles disponibles dans leur municipalité ou leur localité. Plus le nombre d'une minorité reconnue est grand, plus il est possible de faire un choix, mais parfois il ne subsiste qu'une seule possibilité: le modèle C.
Modèle A | Modèle B | Modèle C |
Tous les cours sont offerts dans la langue et l'alphabet de la minorité nationale, avec un apprentissage obligatoire de la langue croate pendant le même nombre d'heures que celui de la langue minoritaire. Ce modèle d'enseignement est mis en œuvre dans des établissements scolaires où tous les cours sont donnés dans la langue des membres des minorités nationales ou dans des départements spécialisés d'établissements scolaires proposant des cours en langue croate. | C'est l'enseignement bilingue : les matières de sciences naturelles sont enseignées en croate et les matières sociales dans la langue des membres des minorités nationales. Ce modèle est mis en œuvre dans des départements spécialisés d'établissements scolaires proposant des cours en langue croate. | C'est un enseignement plus restreint de la langue et de la culture minoritaires. En plus des cours réguliers en croate, des cours de langue et de culture minoritaires sont offerts dans la langue minoritaire à raison de deux à cinq heures par semaine et comprennent l'apprentissage de la langue et de la littérature de la minorité nationale, de la géographie, de l'histoire, de la musique et des arts visuels et culturels. |
À la fin de l’année scolaire 2022/2023, il y avait 888 écoles primaires (à domicile et indépendantes) sur le territoire de la République de Croatie. Nous présentons ici la liste (fournie par l'Ured za ljudska prava i prava nacionalnih manjina: le "Bureau des droits de l'homme et des minorités nationales", 2025) du nombre des établissements d'enseignement destinés aux minorités nationales pour l'année 2022-2023:
MODÈLE A
Minorité nationale | Écoles primaires | Écoles secondaires |
Tchèque |
1 |
0 |
Hongroise | 8 | 1 |
Serbe | 25 | 6 |
Italienne | 17 | 4 |
Total | 51 | 11 |
Ce modèle d’enseignement très recherché est offert dans un établissement spécialisé pour les minorités nationales, mais il peut aussi être offert dans des établissements où l’enseignement est donné en langue croate; ce type d'enseignement est surtout possible pour les minorités nationales traditionnellement bien organisées, telles que les minorités tchèques, hongroises, serbes et italiennes.
MODÈLE B
Minorité nationale | Écoles primaires | Écoles secondaires |
Tchèque | 0 | 1 |
Hongroise | 3 | 0 |
Serbe | 2 | 0 |
Total | 5 | 1 |
Le modèle B, selon lequel l’enseignement est donné dans deux langues n'est généralement possible que pour les minorités traditionnellement bien organisées, mais il est peu fréquent.
MODÈLE C
Minorité nationale | Écoles primaires | Écoles secondaires |
Albanaise | 15 | 1 |
Allemande-autrichienne | 3 | 0 |
Bosniaque | 7 | 2 |
Tchèque | 23 | 5 |
Rom | 3 | 0 |
Hongroise | 36 | 2 |
Macédonienne | 7 | 3 |
Polonaise | 1 | 0 |
Ruthène | 4 | 0 |
Russe | 7 | 1 |
Slovaque | 15 | 1 |
Slovène | 10 | 4 |
Serbe | 48 | 5 |
Italienne | 0 | 1 |
Ukrainienne | 5 | 0 |
Juive (hébraïque) | 1 | 0 |
Total | 185 | 25 |
Le modèle C, selon lequel l’enseignement est offert en langue croate, avec deux à cinq heures de classe supplémentaires destinées à l’apprentissage de la langue et de la culture de la minorité nationale, est le modèle le plus accessible pour toutes les minorités reconnues parce qu'il n'est que peu limité par le nombre d'enfants inscrits dans une école.
5.4 Les manuels scolaires
Au sujet des manuels scolaires, le ministère de l'Éducation et des Sports a fait traduire dans la langue de la minorité concernée la plupart de ceux-ci. Cependant, le gouvernement a commencé avec les matières «comportant un aspect national», mais l'impression des manuels relatifs aux autres matières est en cours. Les élèves des écoles primaires reçoivent les manuels scolaires gratuitement, en fonction des critères fixés par le ministère de l'Éducation et des Sports. Le problème reste entier dans les écoles secondaires, car près de 70 % des élèves assisteraient aux cours avec des manuels inappropriés ou même ils s’en passeraient tout simplement. Il semble que la proportion des enseignants qualifiés dans les langues régionales ou minoritaires soit relativement satisfaisant dans les écoles, tant au primaire qu’au secondaire.
En outre, des progrès ont été accomplis en ce qui concerne l’introduction de manuels d’enseignement dans quelques langues minoritaires, même si la traduction de certains manuels continue de poser des problèmes de délai. L’efficacité du modèle d’enseignement peut être atténuée par le fait que cet enseignement est souvent offert principalement en dehors des horaires ordinaires.
5.5. Le non-respect de la loi
Évidemment, les services offerts ne sont pas égaux, les minorités hongroise, tchèque, serbe et italienne étant les mieux pourvues en écoles maternelles, primaires et secondaires, alors que les minorités ruthène, slovènes, ukrainienne et juive semblent les moins bien pourvues (en raison de leur faible nombre), car la plupart de celles-ci ne disposent guère d’école secondaire, ni d'écoles professionnelles.
En principe, les langues minoritaires et le croate constituent des matières obligatoires aux épreuves du certificat de fin d’études secondaires. Toutefois, le certificat obtenu dans une langue minoritaire n’est pas nécessairement pris en compte comme critère d’admission aux études universitaires.
Si, pour diverses raisons pratiques, le gouvernement de la Croatie n'a pas la possibilité de fournir des locaux permettant à ceux qui ne parlent que le croate de fréquenter des écoles enseignant dans certaines langues minoritaires, ces personnes ont la possibilité d'étudier l’une de celles-ci à l'école en tant que matière facultative.
Les contenus pédagogiques sur les Serbes et leur contribution historique à la Croatie semblent sont rarement présents dans les programmes et les manuels ou supports pédagogiques. Malheureusement, le silence ou la représentation négative et stéréotypée de leur rôle dans la politique, la science, l’art et la culture croates sont beaucoup plus présents. Les droits à l’éducation des Serbes en tant que minorité nationale sont exercés de façon minimale. Le nombre d’élèves fréquentant des écoles proposant un enseignement en langue serbe et en alphabet cyrillique est en baisse, au lieu d’augmenter. Cela vaut également pour la qualité de l’enseignement, en particulier l’enseignement selon le modèle C (la langue et la culture d'origine) qui devrait inclure la plus grande partie des élèves de nationalité serbe en Croatie.
Enfin, le gouvernement de la république de Croatie entend proposer un nouveau texte réglementaire relatif à l'éducation des personnes appartenant aux minorités nationales et affirme poursuivre ses efforts dans le domaine de la réglementation bilatérale à l’égard des membres de minorités. Il est prévu que la future loi sur l'usage officiel des langues minoritaires sera bientôt adoptée et, avec cette adoption, un nouveau système de protection des langues minoritaires sera entièrement en place.
6 Les médias minoritaires
En général, la Croatie est bien pourvue en médias, mais les critiques font valoir que, si la radiotélévision publique rend compte de manière opportune et réaliste la présence des minorités nationales dans les émissions de service public, les rapports montrent aussi que les minorités sont sous-représentées dans les émissions, car le pourcentage de celles-ci ne dépasse pas 1,6%. On reproche aussi à la HTV [Hrvatska Televizija] d'attribuer des espaces de la télévision publique aux promoteurs du révisionnisme historique et des croyances d'extrême droite. On met en garde contre les problèmes liés à la presse écrite, tant majoritaire que minoritaire, en mettant l’accent sur l’impact négatif de certaines plateformes Internet qui propagent l’intolérance et les discours de haine liés non seulement aux minorités nationales mais aussi à tous les autres groupes minoritaires de la société.
6.1 Les médias écrits
La Croatie compte plus de 800 publications imprimées enregistrées, presque toutes en croate, à l'exception de celles destinées aux minorité nationales. En ce qui concerne les médias écrits, aucune information ne semble pour le moment disponible, mais l'article 10 de la Loi constitutionnelle sur les droits et les libertés de la personne et sur les droits des communautés ou des minorités nationales et ethniques de la république de Croatie (1991-2000) prévoit que les minorités nationales peuvent créer leurs propres journaux, surtout des périodiques.
Article 10 1) Les membres des communautés ou minorités nationales et ethniques sont libres d'organiser la publication de journaux et de livres dans leur langue et leur alphabet d'origine. 2) La république de Croatie et les autorités locales fournissent de l'aide financière pour la réalisation des des droits visés au paragraphe 1 du présent article, en fonction des ressources financières dont ils disposent. |
En raison du petit nombre des minorités, il n'existe que certains périodiques en serbe, en italien et en bosniaque. Ainsi, depuis 1999, le Conseil national serbe publie l’hebdomadaire Novosti, mais les hebdomadaires Identitet, Izvor, Bijela pčela, Prosvjeta et Forum sont aussi distribués au sein de la communauté. En italien, on trouve La Voce del Popolo à Rijeci et Il Popolo Istriano à Pule. Il existe aussi un hebdomadaire en hongrois, le Képes Újság («Journal illustré») publié par la Communauté démocratique des Hongrois de Croatie à 1200 exemplaires par semaine, avec le soutien financier du budget de l'État de la République de Croatie.
6.2 Les médias électroniques
La
Loi sur la radiotélévision
croate de 2017 fait obligation à la HR (Hrvatska
Radio) et la HTV (Hrvatska Televizija) d'employer le croate et l'alphabet latin dans
leurs émissions, à moins
qu'il n'en soit prévu autrement en vertu d'une loi, sauf
dans certains cas, par exemple pour les émissions destines aux minorités
nationales:
Article 8 2) La HRT est tenue de promouvoir la créativité dans les variantes de la langue croate. 3) L'usage de la langue croate n'est pas obligatoire :
4) L’usage de la langue croate n’est pas obligatoire dans les émissions destinées à informer les membres des minorités nationales, conformément à la Loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales. |
Selon les renseignements obtenus par la gouvernement croate, la radiotélévision publique produit des émissions destinées à fournir des informations aux minorités nationales, lesquelles sont diffusées principalement sur la première et la deuxième chaîne de la radiotélévision croate sous forme de spectacles spéciaux et de nouvelles d'actualité. Normalement, toutes les émissions de la télévision croate, même si elles ont une orientation spécifique, couvrent des sujets intéressant les minorités quand ces sujets viennent à l’attention du public.
Par exemple, un programme spécial destiné aux minorités nationales est diffusé par le magazine multinational d'actualités Prizma («Prisme»). Ce programme a une durée de 50 minutes et, 40 émissions étaient prévues, ce qui représentait 2000 minutes d’émissions. Les langues les plus diffusées sont le tchèque, le hongrois, le ruthène, le slovaque, le slovène, l'italien et l'ukrainien.
De plus, 32 interviews en studio avec des membres de minorités nationales ont été diffusées. Chaque émission dure cinquante minutes et, durant la période considérée, 45 émissions ont été diffusées au total. Par ailleurs, des nouvelles brèves, ainsi que des nouvelles plus particulières sur les minorités nationales sont diffusées dans Dnevnik («Nouvelles du jour»), Motrišta («Point de vue»), Vijesti («Nouvelles») et Hrvatska danas («La Croatie aujourd'hui»), chaque fois qu'elles figurent dans les émissions d'information et les émissions quotidiennes. Un programme régional est diffusé dans l'émission Zupanijska panorama («Panorama du comté») à partir de Zagreb, Bjelovar, Varazdin, Rijeka, Osijek et Split. Tout au long de l'année, cette émission fournit des informations d'intérêt régional, sur des sujets variés, pour un total d'environ 53 160 minutes de programme. À la fin de 1997, Televizija Dunav («Danube Télévision») a commencé, à partir des centres de télévision de Vukovar et Beli Manastir, à diffuser en langue serbe des programmes d'une heure le samedi et le dimanche et des programmes d'information d'une demi-heure les cinq autres jours de la semaine.
En examinant les offres qui lui sont soumises pour attribuer des concessions de radio et télévision concernant un programme donné, le Conseil des télécommunications n'a pas à considérer si des émissions dans les langues des minorités nationales seront représentées et n'a pas à exiger de données à ce sujet dans ses annonces. C'est la raison pour laquelle il n’existe pas de données statistiques sur la représentation des langues des minorités nationales dans les émissions de radio et télévision; le Conseil des télécommunications n'est pas autorisé à demander ce genre de données.
Les capacités médiatiques actuelles des Serbes, aussi importantes soient-elles, ne sont guère suffisantes: un hebdomadaire, un bi-hebdomadaire, quelques magazines mensuels qui sont distribués publiquement en tant que «sous-journaux» ne suffisent pas. Il en va de même pour trois stations de radio locales dans l’est de la Croatie. La communauté serbe affirme avoir besoin d’une société de production nationale qui pourrait, en plus des sujets culturels, éducatifs et politiques, produire des nouvelles quotidiennes, qui pourraient être diffusées sur les chaînes nationales et éventuellement devenir des télévisions minoritaires.
Comme pour l'éducation, le contenu culturel (musical, dramatique, littéraire, cinématographique, etc.) est important pour la créativité et l’identité des minorités nationales, mais ces contenus ont été considérablement réduits ou exclus des programmes culturels et de l’offre culturelle en Croatie, c’est pourquoi ils sont difficiles d’accès pour les Serbes et les autres communautés qui vivent pour la plupart sans presque aucun contenu culturel disponible localement. C’est la raison pour laquelle les membres de ces communautés développent leurs propres centres culturels et leurs bibliothèques, poursuivent le travail sur la participation des maisons d’édition. Il faudrait faire en sorte que chaque environnement dans lequel vivent les communautés minoritaires dispose d’un certain nombre de contenus culturels au cours de l’année pour les adultes et les enfants.
7 Le statut particulier de l'Istrie
Ce ne sont pas seulement la Croatie qui se partage l'Istrie, mais également la Slovénie et l'Italie.
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En Croatie, c'est l'Istrie proprement dite qui
correspond à la péninsule presque en entier, alors qu'en
Slovénie l'Istrie est une région du sud-ouest de ce pays,
comprenant la partie septentrionale de la péninsule, qui
fait partie de la région géographique et historique plus
large connue sous le nom de «littoral slovène». En Italie,
il s'agit de petits territoires des provinces
d'Udine, de Gorizia et de Trieste, qui font partie de la
Région autonome du Frioul-Vénétie Julienne.
Cette répartition de l'Istrie est le résultat de nombreuses guerres entre les grandes puissances que furent le Saint-Empire romain germanique, la République de Venise, la France, l'empire d'Autriche le Royaume d'Italie, ainsi que du partage après la Seconde Guerre mondiale entre l'Italie et la Yougoslavie. La Slovénie et la Croatie, deux composantes de l'ex-Yougoslavie communiste fédérale, devinrent indépendantes dans les années 1991-1992 en conservant les frontières yougoslaves internes de 1954 de l’Istrie, l'Italie ne conservant que Trieste). La Slovénie dispose depuis 1952 d'un débouché sur la mer Adriatique, mais tout le reste (90 %) appartient à la Croatie. |
7.1 L'évolution des populations
Selon les recensements, à partir du moment où l’Autriche a effectué le premier recensement en 1846, les Croates ont toujours été la majorité de la population de l’Istrie.
|
L’Istrie est une région multiethnique, car les Italiens
et les Slovènes vivent à la fois dans les parties italienne
et slovène, tandis que dans la partie croate (90 % de la
région) il y a des Croates, des Italiens, des Istrio-Roumains
et des Istriotophones, ainsi que quelques minorités non
autochtones. Pourtant, l'Istrie est dotée d'un statut particulier. Il faut comprendre que cette péninsule a fait partie de la République de Venise pendant 500 ans et a passé le XIXe siècle sous un régime autrichien, donc avec des influences vénitiennes et germaniques. En même temps, l'Istrie n'a jamais connu l'occupation ottomane, donc ni l'orthodoxie slave ni l'islam. De plus, c'est la seule région traditionnellement bilingue (italien-croate) qui a développé un sentiment d'identité istrienne anti-fasciste et anti-yougoslave. |
7.2 Le traité de Rapallo (1920-1922
Le second traité de Rapallo de 1922 entre l'Italie et la Yougoslavie monarchiste accordait à l'Italie d'importants territoires croates et slovènes, soit quelque 10 000 km². Les articles du traité accordait à l'Italie les villes de Trieste et de Gorizia, toute l'Istrie, plusieurs îles dalmates (Cres, Veglia/Krk, Zadar, etc., ainsi que la ville de Fiume (ou Rijeka en croate), qui devenait une «ville libre». Aussitôt, l'Italie imposa l'italien comme langue officielle sur les territoires annexés.
7.3 Le traité d'Osimo de 1975
Le 10 novembre 1975, un traité fut signé à Osimo en Italie (province d'Ancône) entre l'Italie et la Yougoslavie titiste afin de fixer à nouveau la frontière entre les deux pays. Le traité d'Osimo prévoyait aux articles 3 et 8 des mesures de protection pour les populations slovènes d'Italie et italiennes de Yougoslavie.
Après la dissolution de la Yougoslavie en 1991, la Slovénie et la Croatie se sont retrouvées avec les d ispositions du traité d'Osimo. La Slovénie s'est engagée aussitôt à respecter ces accords concernant les minorités linguistiques, mais il fallut attendre en 2001, soit un quart de siècle plus tard, pour que l'Italie adopte la Loi nationale du 23 février 2001, n° 38 (Règles en matière de protection de la minorité linguistique slovène de la Région du Frioul-Vénétie Julienne), que la Slovénie adopte la Loi sur les droits particuliers des communautés nationales italienne et hongroise dans le domaine de l'éducation (2001) et que la Croatie approuve le Statut de la région istrienne (2001).
7.4 Le statut d'autonomie de l'Istrie
En avril 2001, le ministère croate de la Justice, de l’Administration et des Collectivités locales a décidé, face aux pétitions nationalistes venues du reste de la Croatie, de suspendre 10 dispositions du nouveau Statut de la région istrienne. Ce sont les suivantes:
- celles qui consistent à ajouter des noms italiens aux noms croates des villes et des communes en Istrie ;
- celles qui sont relatives à l’utilisation de la langue italienne ;
- celles qui introduisent le terme « istriotisme » comme expression de l’appartenance régionale promue par l’IDS-DDI.
L'IDS c'est le Parti démocrate d’Istrie, en croate Istarski Demokratski Sabor; en italien, c'est le Dieta democratica istriana) qui réclame la régionalisation de la joupanie ou au moins un statut spécial pour l’Istrie. Le débat concerne également la ville de Rijeka/Fiume et ses environs.
Les membres des minorités en Istrie peuvent exercer ces droits dans les régions de l’Istrie (pour l’italien). D'ailleurs, l'article 6 du Statut de la région istrienne (2021) garantit l'usage officiel à égalité de traitement du croate et de l'italien dans les municipalités reconnues, soit une trentaine (cf. art. 2):
Article 6 1) Dans la Région istrienne, les langues croate et italienne doivent être d'usage officiel à égalité de traitement en ce qui concerne le travail des organismes régionaux dans le cadre de l'autonomie locale. 2) Les modalités d'application du bilinguisme sont établies par le présent statut et par d'autres règlements. 3) Les caractéristiques ethniques et culturelles autochtones et d'autres caractéristiques de l'Istrie sont protégées conformément aux dispositions du présent statut et autres règlements. |
Dans la pratique, on compte une trentaine de municipalités ou de villes officiellement bilingues (ou trilingues). Généralement, les règlements, avis publics, annonces et formulaires sont rédigés en croate et en une autre langue; les tampons officiels et les plaques topographiques (et odonymiques pour les rues) sont normalement bilingues.
Après avoir fait un survol rapide des dispositions juridiques dont bénéficient les minorités nationales de la Croatie, il faut admettre qu'elles sont impressionnantes à plus d’un titre. La ratification des traités internationaux peut même en étonner plusieurs quand on connaît l’antagonisme séculaire des Croates envers les Serbes. Comme toujours, le problème réside dans la façon et les possibilités réelles d’appliquer les dispositions d’ordre juridique. Or, en Croatie, les difficultés de ce genre sont importantes. Un rapport gouvernemental révèle qu'un nombre important de femmes (de toute nationalité) de plus de 65 ans sont analphabètes et que ce nombre est nettement plus élevé que chez les hommes de la même tranche d’âge.
Il est vrai que la Constitution croate de 1990, la Loi constitutionnelle sur les droits et les libertés de la personne et sur les droits des communautés ou des minorités nationales et ethniques de la république de Croatie (1991-2000), la Loi sur l'emploi de la langue et de l'alphabet des minorités nationales (2000) et la Loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales (2002) accordent en principe beaucoup de droits aux 22 minorités reconnues. Toutefois, pour la plupart des minorités de la Croatie, ces instruments juridiques peuvent être perçues comme simplement «du papier» et «des formules vides de sens». Or, ces lois ne sont pas de nature locale, mais nationale; elles doivent être appliquées dans toutes les collectivités locales où les conditions sont réunies. Dans les faits, les autorités locales peuvent interpréter les instruments juridiques selon lesquels le bilinguisme dépendrait de la volonté des collectivités locales d'adapter leurs statuts.
8.1 La minorité nationale serbe
La minorité nationale la plus importante en Croatie est celle des Serbes. Le développement progressif du système de protection et d'intégration de la minorité serbe en Croatie depuis la fin des années 1990 a été long et difficile. Au cours de la première phase, de 1998 à 2000, les normes juridiques ayant des effets directement discriminatoires sur la minorité serbe ont été progressivement abolies. Au cours de la deuxième phase, de 2000 à 2003, des lois spéciales ont été adoptées pour garantir juridiquement la protection du statut et des droits des minorités nationales. Ces lois ont également exprimé un changement symbolique dans le discours des nouveaux gouvernements par rapport à la rhétorique nationaliste de la décennie précédente. Cependant, la mise en œuvre de ces lois au niveau local a pris du retard ou a été rendue plus difficile. Enfin, au cours de la troisième phase, qui a débuté après les élections de 2003, la mise en œuvre des lois au niveau local s'est progressivement améliorée.
Plusieurs facteurs ont contribué à l'amélioration des relations entre Croates et Serbes. Premièrement, l'échec des politiques du HDZ dans les années 1990; le "Hrvatska Demokratska Zajednica" (Union démocratique croate), le principal parti politique croate de droite, conservateur et nationaliste, a progressivement perdu de son influence dans l'opinion publique. Avec les changements démocratiques de 2000, la société civile s'est également renforcée et la coopération avec le Tribunal de La Haye pour les crimes commis lors des guerres en ex-Yougoslavie s'est intensifiée. Dans ce nouveau contexte, l'opinion publique croate s'est familiarisée progressivement avec d'autres interprétations du rôle de la Croatie dans les guerres des années 1990, notamment la possibilité d'admettre que des Serbes de Croatie aient pu également être victimes de la guerre.
Puis la Croatie s'est rapprochée de l'Union européenne, alors que l'une des conditions importantes pour en faire partie était la protection juridique des droits des minorités nationales, l'encouragement au retour des Serbes et la mise en œuvre d'une politique de réintégration de leurs réfugiés. Sans l'adhésion à l'Union européenne comme nouvelle priorité nationale, il est peu probable qu'une option politique soit disposée à encourager une nouvelle approche de la question serbe sans craindre une perte massive de soutien politique.
Sous la pression de l'opinion publique internationale, le gouvernement croate a accordé de nombreux droits au peuple serbe, la plus importante minorité nationale du pays. Néanmoins, ces mesures suscitent encore la résistance et le mécontentement d'une grande partie de la société croate. Le ressentiment mutuel entre les deux nations est pleinement visible à Vukovar, ville située près de la frontière serbe.
Il n'en demeure pas moins que les régions dans lesquelles les Serbes ont toujours vécu semblent les moins développées de la Croatie. Non seulement les pannes d'électricité sont nombreuses, mais une partie importante de la population demeure sans approvisionnement en eau et sans routes entretenues et rénovées. Les 10 municipalités les moins développées de Croatie restent des municipalités où les Serbes sont majoritaires.
8.2 La minorité nationale bosniaque
Quant aux quelque 24 000 Croates musulmans, ils forment une petite communauté majoritairement de rite sunnite. En réalité, il est très difficile de connaître leur nombre réel: les musulmans ne sont pas recensés pour leur appartenance religieuse. Selon le Centre islamique de Zagreb, ils seraient environ 60 000. Cependant, la plupart des musulmans vivent parmi les catholiques, sans revendiquer leur appartenance religieuse et communautaire, et éviteraient de se distinguer par crainte des représailles ou de discrimination de la part des Croates. Considérés comme une communauté religieuse, les musulmans voudraient se constituer en minorité nationale. Ils pourraient, par exemple, être représentés au Parlement. Le fait de parler la même langue que les Croates — le bosniaque — ne contribue guère à revendiquer leurs droits linguistiques.
8.3 Les autres minorités nationales
En vertu de la Loi constitutionnelle sur les droits et les libertés de la personne et sur les droits des communautés ou des minorités nationales et ethniques de la république de Croatie (1991-2000) et de la Loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales (2002), de nombreuses municipalités et villes sont tenues d'employer officiellement la langue et l'alphabet d'une minorité nationale sur un pied d'égalité, en format bilingue ou multilingue, les éléments suivants qui doivent être imprimés dans la même taille de police:
1. les panneaux routiers et autres panneaux de signalisation ;
2. les noms de rues et de places publiques ;
3. les toponymes et les zones géographiques.
La législation croate accorde aux 22 minorités reconnues le droit d'installer des panneaux topographiques bilingues. En principe, la signalisation bilingue des lieux et des panneaux de signalisation est plutôt assurée dans les municipalités où une minorité donnée forme une majorité. Là, les bâtiments officiels ont une signalisation généralement bilingue, tout comme les panneaux de rue. Les personnes morales et physiques résidant ou opérant dans ces localités sont tenues de respecter le bilinguisme. Dans la réalité, en 2023, la plupart des exigences juridiques pour le respect des normes bilingues ne sont que partiellement respectées dans les municipalités où le nombre des membres des minorités est réduit à quelques centaines de personnes. La langue minoritaire employée sur certains documents officiels, mais pas sur d'autres. Il n'existe que fort peu d'employés municipaux maîtrisant une langue minoritaire, sauf pour les Serbes et les Bosniaques, parce que leur langue est très proche du croate. Souvent, le bilinguisme est compris comme l'obligation d'afficher un panneau bilingue à l'entrée et à la sortie d'une localité.
Quant au bilinguisme et à l'usage officiel égal de l'alphabet cyrillique, il n'a été assuré jusqu'à présent que dans un très petit nombre de municipalités, principalement dans celles où les Serbes représentent plus de 50% de la population, mais exclusivement au niveau des règlements municipaux et des inscriptions bilingues sur les bâtiments municipaux, et non sur les plaques signalétiques des rues et des localités. À Vukovar, la question des noms de rues bilingues est un sujet sensible qui a été au centre de nombreuses discussions et tensions. Le gouvernement croate a tenté d'imposer des noms de rues bilingues en croate et en serbe, mais cette initiative a été vivement contestée, notamment par l'opposition politique et certains habitants; les panneaux bilingue sont souvent maculés afin de faire disparaître les inscriptions en cyrillique.
Bien que le nombre des membres de la minorité nationale italienne ne l'oblige pas à être bilingue, la joupanie de l'Istrie et certaines municipalités et villes istriennes ont mis en place des inscriptions bilingues en croate et en italien pour des raisons traditionnelles. Les drapeaux italiens flottent à de nombreux endroits en Istrie, où il existe des panneaux bilingues, même uniquement en italien. Le bilinguisme est appliquée dans certaines villes (Pula, Poreč, Rovinj, Novigrad, Umag, Vodnjan et Buje) et municipalités (Bale, Brtonigla, Fažana, Funtana, Kaštelir-Labinci, Ližnjan, Motovun, Oprtalj, Tar-Vabriga, Višnjan, Vižinada, Grožnjan et Vrsar).
Le bilinguisme doit également être assuré à Vukovar et dans certaines municipalités environnantes, où, outre le croate, le tchèque est également en usage officiel, et le hongrois est en usage officiel égal dans la municipalité de Kneževi Vinogradi dans la joupanie d'Osijek-Baranja.
Au final, le bilinguisme croate est une notion assez élastique. Son application varie énormément d'une municipalité à l'autre. Certains documents municipaux peuvent être accessibles partiellement en format bilingue, mais pas du tout dans une autre.
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Du côté des inscriptions dans les
municipalités bilingues, on aura au mieux une inscription
bilingue comme à Umag/Umago
(n° 8), une municipalité de l'Istrie, ou à Rijeka/KrK
(n° 5), une municipalité sur la côte
dalmate. Dans la plupart des municipalités, les inscriptions
sont uniquement en croate (n° 1 Borovo, n° 2 Negoslavci, no°
3 Donji Lapac, n° 6 Trpinja, n° Evernik), etc. Or, ces
municipalités comptent 90,6 % de Serbes à Borovo, 96,8 % à
Negoslavci, 79,9 % à Donji Lapac, 87,8 % à Trpinja, 96,9 % à
Ervenik. Le panneau bilingue Буковар / Vukovar (n° 4) est
une ancienne inscription dans cette ville aux porte de la
Serbie; Par contre, l'affiche n° 11 relève du gouvernement
croate, elle est en alphabet latin et en cyrillique. Plusieurs panneaux sont maculés de sorte qu'on ne peut voir les inscriptions en italien, sauf pour Umag / Umago. Pourtant, ces municipalités sont stué.es dans la joupanie de l'Istrie, l'un des rares endroits où les bilinguisme peut être très fréquent. Quant au panneau n° 5, il s'agit d'une inscription sur la côte dalmate, là où la tradition du bilinguisme croate-italien est implantée depuis fort longtemps. |
Pourtant, l'attitude des autorités croates mérite d'être soulignée, car elles ont déployé de nombreux efforts pour respecter les droits des minorités nationales dans le pays. On peut présumer qu'il est encore possible de changer l'attitude de nombreux croatophones à l'égard de leurs minorités.
8.4 La force parlementaire des minorités
Les changements institutionnels et politiques en passant d'un système semi-présidentiel à un système parlementaire et en instaurant un système proportionnel d'élections au Parlement, les représentants des minorités ont acquis un certain pouvoir qu'ils n'auraient pas eue si un système semi-présidentiel et un système électoral majoritaire ou semi-majoritaire avaient été en vigueur. Avec au moins huit sièges, les représentants des minorités ont de facto acquis une force importante dans le système parlementaire croate. Lors de plusieurs cycles d'élections parlementaires, les représentants des minorités ont participé à la formation de plusieurs gouvernements, de sorte que que la survie d'un gouvernement peut dépendre largement de leur soutien.
C'est vrai, leurs interventions doivent se faire dans la langue officielle, mais les représentants peuvent néanmoins agir en faveur de leur communauté respective. Les élites politiques serbes s'efforcent aujourd'hui d'assurer la protection du statut et des droits de leur communauté par le biais de l'ordre institutionnel croate, mais aussi en promouvant la coopération culturelle, politique et sociale avec la Serbie en tant que patrie extérieure. Or, ces pratiques se transportent chez les autres minorités nationales.
8.5 Les écoles minoritaires
La question des écoles fonctionne relativement bien en Croatie, même si la plupart des parents d'enfants des groupes minoritaires préféreraient tous que leur progéniture fréquent des écoles selon le modèle A. Néanmoins, on enseigne en partie dans une langue minoritaire dans 241 écoles primaires et 37 écoles secondaires. Ce ne sont pas nécessairement des écoles séparées, sauf exception, mais des minorités dans d'autres pays aimeraient avoir ces mêmes possibilités.
En Croatie, l'éducation des membres de la communauté serbe dans leur langue et leur alphabet est souvent perçue par le public croate comme une forme de ségrégation et de ghettoïsation, laquelle ne contribuerait pas à l’intégration des Serbes dans la société croate. Par exemple, dans les écoles primaires, même si le catéchisme catholique n'est pas obligatoire pour les enfants serbes ou musulmans, certains d’entre eux se gardaient bien de rater les cours, car ils veulent avant tout «avoir la paix». Mais de nombreux Serbes demeurent inquiets, à tort ou à raison.
Au lendemain de l'indépendance en 1991, la Croatie s’est dotée d’un régime autoritaire qui, s’il avait été appliqué à la lettre, aurait nié pour longtemps les droits de la personne et les libertés individuelles au nom de la nécessaire croatisation de la société. D'ailleurs, les atteintes aux droits de la personne ont été fréquentes et les minorités, surtout la minorité serbe, se sont senties généralement opprimées. Les Serbes ne se sont pas gênés pour prétendre que le gouvernement croate faisait tout «pour berner le Conseil de l’Europe et les organismes internationaux». De plus, la situation économique est demeurée difficile, les salaires faibles et les biens de consommation étant alignés sur les prix européens. Ce fut une situation précaire pour de nombreux membres des minoritaires qui craignaient le discrimination dans les emplois, les services publics et la survie de leur langue.
Il est vrai que la Constitution de 2010, la Loi constitutionnelle sur les droits et les libertés de la personne et sur les droits des communautés ou des minorités nationales et ethniques de la république de Croatie (1991-2000), la Loi sur l'emploi de la langue et de l'alphabet des minorités nationales (2000) et la Loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales (2002) accordent beaucoup de droits linguistiques aux minorités nationales. Toutefois, pour plusieurs des minorités de la Croatie, la Constitution et la législation croates est souvent perçue comme «du papier» et «des formules vides de sens».
Néanmoins, la situation a bien changé depuis que la Croatie fait partie de l'Union européenne. À partir des élections législatives de 2000, la Croatie s'est résolument engagée vers la voie de la démocratisation et de la protection de ses minorités nationales. Les croatophones forment maintenant 91 % de la population et ils n'ont plus à avoir peur de leurs minorités nationales, y compris des Serbes. Dans le passé, il est vrai que les Croates ont vécu dans des États et avec des peuples qui avaient le véritable désir de les faire disparaître. C’est une crainte d’un autre temps!
C'est pourquoi il subsiste encore des discours d’intolérance et de haine, ainsi que les manifestations ouvertes d’hostilité à l’égard de l’Église orthodoxe serbe, des représentants politiques des Serbes, de l’alphabet cyrillique et de l'exil des Serbes lors de la «guerre de la patrie». Le gouvernement et les représentants des Serbes et ceux d’autres minorités ont visiblement contribué à réduire l’intensité de ce type de discours et à créer des bases juridiques pour une certaine forme de sanction. Cependant, il est tout à fait certain que les politiques éducatives et médiatiques de la Croatie n’ont pas suffisamment contribué à changer cela jusqu’à présent.
Bien que les récentes lois assurant une protection réelle aux minorités nationales aient modifié fondamentalement la situation en Croatie, il existe encore des doutes sur certaines dispositions législatives. Il n'en demeure pas moins que les minorités nationales disposent de nombreux instruments juridiques qui feraient l'envie de la plupart des minorités du monde, ce qui témoigne de l'ouverture de l'État à l'égard des minorités nationales. Évidemment, il sera toujours plus facile de proclamer l’égalité que de la transposer dans la réalité, car pour Amnistie Internationale la ségrégation et la discrimination restent toujours d'actualité en Croatie.
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4) Politique des minorités nationales |