République des Philippines
Philippines

2. Données historiques

 

1 Les premiers habitants

Les premiers humains sont arrivés dans l'archipel des Philippines il y a fort longtemps. Une équipe scientifique internationale et interdisciplinaire a découvert d'anciennes traces de peuplement des Philippines par des hominidés, dans le site archéologique de Kalinga (Île de Luçon) daté de plus de 700 000 ans. Avant l’arrivée des Européens, plusieurs royaumes et sultanats ont existé aux Philippines: le royaume bouddhiste de Butuan, les royaumes de Tondo et de Maysapan (Xe siècle) ou les sultanats musulmans de Sulu, de Maynila, de Maguindanao et de Lanao. Ces royaumes ont atteint une organisation politique et sociale complexe; ils ont pratiqué le commerce avec la Chine, l’Inde, le Japon, la Thaïlande, le Vietnam et Java. Cependant, aucun de ces royaume n’est arrivé à étendre son influence sur l’ensemble de l’archipel actuel des Philippines. Par ailleurs, des populations dites "barangays" (ou petites localités) sont demeurées indépendantes dans l’archipel, tout en s'étant parfois alliées avec un ou plusieurs des grands royaumes avoisinants. Juste avant l’arrivée des Espagnols, la population de l’archipel était évaluée entre un à deux millions d’habitants repartis sur plusieurs îles dont la plupart étaient recouvertes de forêts denses.

Les historiens croient que les premiers Indonésiens sont venus aux Philippines par groupe il y a environ 5000 à 6000 ans et à nouveau vers 1500 ans avant notre ère. Les preuves linguistiques relient les langues parlées, tel le tagalog, au bahasa indonésien (ou indonésien) comme ayant des racines communes, de sorte que la racine principale des langues philippines modernes est probablement venue avec ces immigrants (même si d'autres groupes d'individus sont venus aux Philippines beaucoup plus tôt). De plus, les Malais ont déjà constitué la plus grande partie de la population des Philippines.

Les recherches des linguistes et des anthropologues montrent que la racine commune de toutes les langues parlées dans l’archipel est rattachée à la grande famille austronésienne. Cette famille de langues regroupe plus de 600 langues à partir de Madagascar sur les côtes africaines à l’ouest jusqu’à l’île de Pâques près des côtes sud-américaines vers l’est, ce qui comprend une grande partie des îles de l'océan Pacifique. Ainsi, la plupart de ces peuples sont des Austronésiens qui se sont fragmentés en de nombreuses nations insulaires au fil du temps.

Avant l'arrivée des Espagnols aux Philippines, les habitants vivaient dans de petites villes appelées barangay (prononcer [ba-rang-gaï]). Les habitants des Philippines n'étaient pas unis par un gouvernement commun, car ils étaient régis par de nombreux petits baranguays, chacun renfermant de nombreuses langues différentes et de nombreux variétés dialectales. Chaque barangay était gouverné par un chef qui s'appelait «datu», un titre qui désigne les dirigeants de nombreux peuples autochtones de l'archipel des Philippines. Ce mode de vie par petites communautés a certainement eu un rôle à jouer dans la fragmentation des langues philippines. Néanmoins, de nombreux barangays se sont regroupés afin d'assurer la sécurité et la protection. Certains barangays échangeaient ouvertement avec d'autres baranguays ou pratiquaient le commerce extérieur avec le Japon, la Chine, Bornéo, Sumatra, la Thaïlande, le Cambodge et d'autres îles de la région. C'est ainsi que plusieurs langues Philippines furent fortement influencées par le chinois et probablement par d'autres langues auxquelles elles étaient également exposées.

Ce n'est qu'au XIVe siècle que l'islam fut apporté aux Philippines. Celui-ci s'est répandu dans tout le Mindanao et a également atteint Manille et Tondo avant que les Espagnols ne viennent aux Philippines et cessent de propager cette religion. La diffusion de l'islam aurait également apporté de nouveaux mots et concepts aux langues locales parlées dan l'archipel. Les linguistes croient également que les influences sanskrites ont contribué à créer de nouveaux mots pour ces langues.

De plus, il existait un système d'écriture (un alphasyllabaire) dérivé du vieux-javanais qui servait à transcrire le tagalog appelé le baybayin. Cette écriture aurait aussi été utilisée pour noter l’ilocano, le bicol, le pangasinan et d'autres langues de l'archipel. On croit que le baybayin était utilisé au XIVe siècle. Son usage n’avait pas encore disparu lors de la colonisation des Philippines par les Espagnols.


2 La période espagnole (1565-1898)

C'est le navigateur portugais Ferdinand de Magellan (1480-1521) qui découvrit l'archipel des Philippines, alors qu'il était à la recherche d'une nouvelle route vers les Moluques et les Indes orientales. Après quelques mois de navigation dans le Pacifique, Magellan atteignit l'île de Samar en mars 1521; il s'établit dans l'île de Cebu où il convertit au catholicisme le chef local et plusieurs centaines d'indigènes. Ainsi, c'est un Portugais (Magellan) qui a «découvert» les Philippines et en a pris possession pour le compte de l'Espagne.

Par la suite, de nouvelles expéditions furent envoyées par l'Espagne vers les Philippines. Ruy López de Villalobos, un explorateur espagnol, atteignit en 1542 la côte orientale de Mindanao et nomma l'archipel du «Islas Filipinas» (ou «îles Philippines) en hommage au futur Philippe II d'Espagne. Puis les Espagnols en firent un important comptoir commercial, notamment entre Manille et Acapulco (Mexique).

En 1564, un autre explorateur, Miguel López de Legazpí, avec à son bord plusieurs moines augustins du Mexique, débarqua à Cebu, puis à Iloilo sur la côte de l'île de Panay. L'île de Luçon fut totalement occupée en 1571, année où fut fondée Manille. La conquête militaire allait immédiatement être suivie d'une conquête «spirituelle». Aux augustins se joignirent bientôt des franciscains, des jésuites et des dominicains dont la mission première était d'imposer le catholicisme aux populations locales.

- Le contrôle de la colonie

L'Empire colonial espagnol tenta d'apporter une certaine unité politique à cet archipel qui avait toujours été dirigé par plusieurs petits royaumes indépendants; l'Empire introduisit également des éléments de la civilisation occidentale, par exemple l'imprimerie et le calendrier romain. Les Philippines furent administrées gérées comme un territoire de la Nouvelle-Espagne et administrées entre 1565 et 1821 à partir de Mexico. Par la suite, les Philippines furent administrées directement par Madrid entre 1821 et jusqu'à la fin de la guerre hispano-américaine en 1898, avec une brève période d’administration britannique entre 1762 et 1764. Ce fut le premier contact des Philippins avec la langue anglaise, mais ce fut un bref épisode qui n’a eu aucune influence durable. Au cours du Régime espagnol, plusieurs villes furent fondées, des infrastructures furent construites, de nouvelles cultures et de nouveaux animaux d’élevage furent introduits. Pour leur part, les missionnaires espagnols convertirent la majorité de la population au christianisme et fondèrent des écoles, des universités et des hôpitaux dans les diverses îles de l’archipel.

Le territoire de la colonie des Philippines possédait le statut de «capitainerie général» (en espagnol: Capitanía General). Jusqu'en 1778, l’administration des provinces de l'archipel se faisait par des intendants (espagnol: Intendente) et l’administration locale se faisait par les corregidors, des fonctionnaires espagnols désignés par le roi. Ils étaient changés tous les trois ans et devaient rendre compte de leur gestion au roi. Ainsi, les corregidors ne pouvaient développer de réels sentiments de loyauté ou de fidélité envers les Philippins. La colonie des Philippines demeurait sous l’autorité de la Cour suprême de Madrid, mais un «Conseil des Indes» (Consejo de Indias) exerçait le contrôle de l'administration, de la justice et émettait des ordonnances, le tout se faisant en espagnol. Il existait également un système pyramidal de la population en fonction de certains critères. On distinguait les gachupinos (Espagnols nés en Espagne) qui avaient accès à tous les postes, puis les criollos (Espagnols nés aux Indes) qui, bien que démunis de pouvoirs, avaient accès à la richesse de l'élite espagnole. Quant aux Philippins, ils étaient considérés comme des «sujets de second rang» avec les metisos (Métis) qui étaient privés de tout statut reconnu. Enfin, chaque village avait son prêtre-curé qui était les yeux et les oreilles de l'administration locale. Ce système permettait aux Espagnols de conserver un contrôle sur la colonie, car il était nécessaire que les «sujets philippins» soient loyaux envers l’Espagne. 

- La langue espagnole

L'espagnol, généralement appelé à l'époque castillan, a servi officiellement comme langue du gouvernement pendant toute la période coloniale espagnole. Les Espagnols croyaient que, pour conserver la pureté du christianisme, il était nécessaire de passer par leur langue, le castillan. Ils étaient aussi convaincus qu’ils possédaient une supériorité en raison de l'utilisation de l'alphabet latin dans les écrits, car les langues autochtones philippines étaient en général strictement orales. Comme les prêtres, les moines et les membres de communautés religieuses instruisaient les Philippins dans leur langue maternelle et contrôlaient leur éducation, il s'ensuivait que seul l'espagnol restait possible pour l'écriture. Il existait bien de très nombreuses langues dans l'archipel, mais aucune ne possédait une écriture propre. Les individus qui voulaient écrire devaient forcément passer par l'espagnol. L'apprentissage de l'écriture dans les écoles était réservée à l’élite et aux enfants espagnols habitant les Philippines.

Malgré la longue présence espagnole dans l’archipel, la langue espagnole n'a jamais réussi à unifier linguistiquement la colonie des Philippines, et ce, malgré les nombreuses tentatives d’hispaniser les populations autochtones. En fait, si aucune unité politique n'a pu émerger, c'est en partie à cause de la forte diversité ethnique et linguistique. Avec d’un côté l’éclatement territorial des îlots et des vallées, et de l’autre plus d'une centaine de langues parlées dans l’archipel, sans compter les variantes les plus modestes, il faut comprendre les difficultés d’unifier véritablement le pays. Les Espagnols se contentèrent de restreindre l’hispanisation à l’élite philippine, laquelle pouvait ensuite gérer l’administration locale.

Durant la colonisation espagnole, les prêtres et les moines jouissaient d'un grand pouvoir en raison de leur fonction placée entre la couronne espagnole et le peuple philippin. Celui-ci dépendait des prêtres pour toute leur instruction religieuse et pour leur compréhension des lois et des ordonnances émanant de l'Espagne. Évidemment, le gouvernement espagnol avait besoin de ses prêtres pour gérer ses affaires aux Philippines, car les gens du peuple ne pouvaient pas parler l'espagnol; le seul moyen de communiquer avec eux était par le biais des prêtres qui parlaient leur langue. De leur côté, le clergé espagnol ne voulait pas que les Philippins apprennent l’espagnol parce qu’il se considérait comme une classe d’élite supérieure à l'ensemble de la population philippine. C'est pourquoi les membres du clergé catholique paraissaient souvent lents et hésitants, même devant les ordres du gouvernement espagnol à mettre en œuvre des programmes d'enseignement de l'espagnol dans les écoles philippines. 

Il fallut attendre 1863 pour qu'un arrêté royal réformant l'éducation vit le jour aux Philippines. Le Real Decreto de 3 de junio de 1863 avait pour objectif d’offrir une instruction de base aux autochtones. Il fut rédigé grâce à l’influence des illustrados, les Philippins instruits. Ce décret royal aurait dû avoir pour effet de procurer plus de loyauté envers l’Espagne, mais beaucoup de Philippins demeuraient méfiants à l'égard de l'Espagne. Afin d'encourager l’apprentissage de l’espagnol, des incitatifs positifs furent mis en place, mais le projet échoua faute d'appui de la part des populations locales.

- Le rôle de José Rizal

C'est surtout l’intolérance religieuse et la dureté de l’administration espagnole qui provoquèrent des conflits entre les Philippins et les colonisateurs. Cette situation trouble suscita un nationalisme exacerbé de la part des Philippins qui finirent par réclamer l’indépendance. Ces conflits, à la fois politiques et religieux, laissèrent une triste empreinte aux Philippines. C'est à cette époque que se développa un mouvement de libération dont la figure de proue fut l’écrivain-poète, mais aussi médecin-chirurgien, linguiste et révolutionnaire, José Rizal.

José Rizal, de son nom complet José Protasio Rizal Mercado y Alonzo Realonda, est né en 1861; il fit ses études de médecine à Manille. Il fréquenta les meilleures universités européennes (Madrid, Paris, Berlin). Lors de ses nombreux voyages en Espagne, en France, en Allemagne, en Angleterre et aux États-Unis, il acquit une formation de chirurgien ophtalmologiste, obtint des diplômes en philosophie et apprit plusieurs langues. Il fut l'un des linguistes les plus importants de son époque et maîtrisa pas moins d'une vingtaine de langues, dont le tagalog, sa langue maternelle, puis le castillan, le français, l'italien, l'anglais, l'allemand, l'hébreu, l'arabe, le sanskrit, etc. En 1887, il publia un roman rédigé en espagnol: Noli me tangere (en français: «Ne me touchez pas»).

Ce roman a joué un rôle important dans la consolidation du nationalisme philippin en raison de ses idées anticléricales et libérales, une sorte de combinaison d'idées d'origine française et anglo-saxonne. En même temps, il suscita tellement la controverse qu'il fut interdit aux Philippines: les autorités ne pouvaient accepter cette image de corruption et d'abus de la part du gouvernement espagnol et du clergé du pays. Devant la pression exercée par l'Église catholique, le gouverneur dût exiler José Rizal dans l'île de Mindanao au sud du pays, à Dapitan. Pendant ses années d'exil, il fonda une école où il enseigna les langues et les techniques agricoles modernes.

Rizal joua un rôle important dans la lutte pour l'émancipation du peuple philippin pendant la colonisation espagnole, mais son combat prit fin abruptement lorsqu'il fut arrêté à Barcelone, puis renvoyé à Manille où il fut accusé de «crimes de rébellion» lors d'un conseil de guerre tenu en octobre 1896, puis sommairement exécuté (fusillé). Il deviendra par la suite un encombrant martyr national, ce qui amplifia le mouvement d’indépendance, lequel prit forme avec une virulence accrue. Aujourd'hui, Rizal est considéré aux Philippines comme un héros national. Bien que la situation paraisse paradoxal, l'espagnol devint la «langue de la révolution philippine», alors que l'ensemble de la population ne le parlait pas, cette langue étant, comme on le sait, réservée à l'élite instruite.

Malgré une présence de plus de 300 ans aux Philippines, l'espagnol n'est jamais devenu la langue principale du pays. Les raisons de cet «échec» pour un colonisateur sont nombreuses. La première vient sans doute du fait qu'il n'y eut jamais beaucoup de colons espagnols aux Philippines. Une autre raison vient de l'éloignement géographique de l'Espagne péninsulaire, ce qui explique que les Philippines n'ont jamais été au centre des intérêts espagnols. Ensuite, il y a toujours eu une pénurie de professeurs espagnols qualifiés, sans oublier que les missionnaires instruisait les Philippins dans leur propre langue et non en espagnol. Bref, l'exposition des autochtones à l'espagnol a toujours été minimale. Ce n'est qu'au XIXe siècle qu'on s'est efforcé de rendre l’enseignement de l’espagnol obligatoire, mais les résultats furent décevants. Quoi qu'il en soit, la guerre hispano-américaine allait mettre fin à toute autre tentative pour implanter durablement l'espagnol.

Il est quand même surprenant que, malgré tous les obstacles, l’espagnol soit demeuré la langue du gouvernement, de l’éducation et du commerce pendant toute la période coloniale espagnole, soit durant 300 ans. La langue espagnole a néanmoins influencé grandement la langue tagalog aux Philippines, ainsi que plusieurs des nombreuses autres langues austronésiennes parlées dans l'archipel. La période de la domination espagnole a apporté des centaines de mots empruntés à l'espagnol, que ce soit en tagalog ou en d'autres langues philippines. Beaucoup de ces mots comprennent l'adoption du système de numération espagnol dans de nombreux contextes, en particulier en ce qui concerne l'argent, la vie quotidienne et l'adoption de termes religieux reliés de près ou de loin à l'espagnol. Les Espagnols ont aussi apporté l'alphabet latin aux Philippines. Le nombre de lettres de l'alphabet, appelé l'abecedario, qui fut utilisé dans les îles comptait 32 lettres.

3 L'annexion américaine (1898-1946)

La guerre hispano-américaine tire son origine de la lutte pour l’indépendance de Cuba, alors une colonie espagnole. À la suite de la la destruction du navire de guerre américain le Maine, le président McKinley avait sommé l’Espagne d’évacuer Cuba. Devant le refus de l'Espagne, le Congrès américain accorda au président le pouvoir d'utiliser les forces terrestres et navales pour mener à bien la guerre contre l’Espagne. Le 1er mai 1898, les Américains coulèrent la flotte espagnole des Philippines dans la rade de Manille. Selon les termes du traité de paix de Paris du 10 décembre 1898, l’Espagne cédait non seulement Cuba, mais Porto Rico, les Philippines et l’île de Guam; elle recevait une indemnité de 20 millions de dollars pour la «vente» des Philippines qui devint aussitôt une colonie américaine. 

- La première république philippine
 

La République des Philippines (en espagnol : República Filipina); en tagalog : Repúbliká nang Filipinas), également connue sous le nom de «République de Malolos» (República de Malolos), constitue un bref régime politique (du 23 janvier 1899 au 23 mars 1901) qui fut animé par les indépendantistes durant la guerre hispano-américaine (devenue une guerre américano-philippine). Le nom de Malolos désignait alors la capitale de la Première République philippine dirigée par le général Emilio Aguinaldo; elle est liée à de nombreux patriotes et héros de l'histoire du pays.

Au commencement de la guerre hispano-américaine en 1898, Emilio Aguinaldo s'allia avec les militaires américains; il leur livra 15 000 prisonniers espagnols. Il constata rapidement que les États-Unis voulaient remplacer la domination espagnole par leur propre domination. En réaction, il déclara l'indépendance de l'archipel le 12 juin 1898. Il fut désigné comme président le 1er janvier 1899 et, un mois plus tard, il déclara la guerre aux États-Unis. C'était une guerre inévitable dans la mesure où les Philippins refusaient un nouveau maître étranger pendant que les Américains ne souhaitaient nullement renoncer à leur nouvelle colonie.

Le 22 janvier 1899, la Constitution de Mololos (rédigé en espagnol) était promulguée par le Congrès philippin. Il était déclaré que le castillan était reconnu temporairement comme la langue des actes des autorités publiques et des tribunaux:
 

Constitución de Malolos (1899)

Artículo 93.º

El empleo de las lenguas usadas en Filipinas es potestativo. No uede regularse sino por la ley y solamente para los actos de la autoridad pública y los asuntos judiciales. Para estos actos se usará por ahora la lengua castellana.

Constitution Malolos (1899)

Article 93

L'emploi des langues parlées aux Philippines est facultative. Il ne peut être réglementé que par la loi et uniquement pour les actes des autorités publiques et dans les affaires judiciaires. Pour ces actes, la langue castillane sera utilisée pour le moment.

Mais la Constitution de la Première République fut de courte durée. En avril 1899, les Américains entrèrent dans la capitale Mololos déjà entièrement détruite par les troupes du général philippin, Antonio Luna, dans une stratégie dite de la «terre brûlée». Emilio Aguinaldo s'enfuit à San Fernando (Pampanga), avant l'arrivée des forces américaines à Malolos. Le 23 mars 1901, le président Aguinaldo fut capturé par les forces américaines dirigées par le général Douglas MacArthur; il dut promettre sa loyauté aux États-Unis pour sauver sa vie. En fait, grâce à leur équipement militaire supérieur et à l'apport massif de plus de 100 000 soldats, les États-Unis ne pouvaient que remporter facilement la victoire.

- L'occupation américaine

Après la guerre des Philippines, les Américains nommèrent un administrateur pour mettre en œuvre la loi martiale en la personne de José Reyes Tiongson avec le titre de "presidente politico militar" (de 1901 à 1902). Plus d'un an après la chute de Malolos en 1899, le siège du pouvoir national fut officiellement transféré à la ville de Manille, Malolos devenant la capitale de la province de Bulacan. L’éducation et la santé publique furent identifiées comme les deux domaines les plus importants dans lesquels les Philippins devaient tirer profit du protectorat américain pour arriver vers la «modernité» et la «civilisation». Pendant le régime militaire, un système scolaire de type américain fut introduit avec des soldats comme enseignants; les juridictions civiles et pénales furent rétablies, y compris une cour suprême. Quant aux administrations locales, elles furent installées dans les villes et les provinces avec des instructions en anglais. Au lieu de leur accorder l'indépendance, les Américains, sous la présidence de William McKinley (1897-1901), avaient préféré les annexer purement et simplement sous prétexte de leur apporter les progrès de la civilisation.

Agissant en bons colonisateurs, les Américains ont vite fait d'oublier la culture et la volonté des populations locales qui réclamaient leur indépendance. Les nouveaux maîtres ont plutôt consolidé leur emprise et leur influence. En prenant «possession» des Philippines, les Américains ont misé sur la création d’un État apparemment démocratique mais très «ouvert» à l'idéologie américaine, la structure politique philippine étant calquée sur celle du Congrès américain. Seuls les membres des familles les plus riches furent promus à des postes administratifs afin de protéger les intérêts américains dans l'archipel.

Les autorités coloniales américaines en ont profité pour «dé-hispaniser» des noms de lieux. Voici quelques changements parmi des centaines d'autres: Calle Real > Pilar Street, Calle Nueva > Mabini Street, Calle Alejandro VI > De los Santos Street, Calle Bustillos > J. Figueras Street, etc. Par la suite, on a imposé un grand nombre d'appellations du nom du général MacArthur
 

Au cours de la seconde décennie de l’occupation américaine des Philippines, l'administration dans l'archipel connut d’importants changements avec l'élection de Woodrow Wilson (1913-1921), un président démocrate à la tête des États-Unis. Contrairement aux républicains, les démocrates s’opposaient à toute entreprise coloniale et certains croyaient que le fait de gouverner un peuple sans son consentement était anti-américain, alors que d'autres refusaient d’intégrer des «non-Blancs» au sein des États-Unis. Le gouverneur désigné par le président Wilson, Francis Burton Harrison (1873-1957), était un Philippin né aux États-Unis, qui possédait bien l'anglais et le tagalog. Il exerça ses fonctions de gouverneur général des Philippines de 1913 à 1921; il préconisait un processus de philippinisation, c'est-à-dire le transfert de l'autorité politique aux Philippins dans le gouvernement insulaire du territoire des États-Unis pour mieux préparer l'indépendance. Cette politique de philippinisation se voulait un moyen de prouver aux Philippins qu'ils pouvaient se gouverner eux-mêmes. Doté d'une assemblée législative constituée d'une majorité de députés philippins, celle-ci put instaurer ses propres priorités législatives tout en demeurant sous l'autorité du gouverneur général américain.

Évidemment, la philippinisation du gouvernement colonial fut âprement critiquée par un grand nombre d’Américains à Manille, ainsi que par les républicains aux États-Unis, bien que le Congrès américain se soit réservé, par l'entremise du gouverneur général, un droit de véto sur les lois philippines.

Les critiques s’accentuèrent après la Première Guerre mondiale, alors que l’économie tomba dans la récession et que la colonie devint le théâtre de plusieurs grèves de travailleurs. L'idéologie pro-philippine du gouverneur Francis Burton Harrison contribua à faire de lui une figure fort populaire aux Philippines tout en étant l'objet de sévères critiques de la part des Américains conservateurs qui considéraient sa gouvernance libérale comme n'étant pas suffisamment liée aux intérêts américains. En 1921, Harrison quitta les Philippines pour aller vivre en Écosse au Royaume-Uni où il vécut jusqu'à ce qu'il soit rappelé aux Philippines en 1934 au cours d'une période de transition entre «un territoire non incorporé des États-Unis» et le «Commonwealth des Philippines». La politique partisane fut l'une de ces institutions que les Américains ont transmises aux Philippines; ils ont également introduit le concept de l'instruction universelle en envoyant des enseignants pour aider à créer des écoles où les enfants philippins pouvaient recevoir une éducation gratuite. Un grand groupe de ces enseignants a été appelé «thomasite», du nom du bateau qu'ils ont appelé «Thomas». Évidemment, au cours de la période américaine, la langue anglaise a commencé à être imposée dans les écoles et est devenue la seule langue utilisée par les enseignants.

Entre-temps, l'un des fondateurs de l'Akademya ng Wikang Pilipino («Académie de la langue pilipino»), Eusebio T. Daluz, avait publié en 1915 un ouvrage linguistique important : Filipino-English Vocabulary with Practical Examples of Filipino English Grammers. L'objectif de cette académie sur la langue était de proposer une langue philippine commune, d'où l'importance de rédiger un dictionnaire et un résumé de grammaire.  Dans l'introduction de son dictionnaire, Daluz déclarait:
 

The vocabulary] is a mixture of different Philippine dialects with the Tagalog as basis. Most of the words, of course, are Tagalog, but a large number are also taken from the Bisayan, Ilokano, Bikol, Pampangan and other native dialects, all of which are Tagalized. [Le vocabulaire] est un mélange de différents dialectes philippins avec le tagalog comme base. La plupart des mots, bien sûr, sont en tagalog, mais un grand nombre sont également tirés des dialectes bisayan, ilokano, bicol, pampangan et autres, qui sont tous tagalisés.

À cette époque, si l'on faisait exception des grandes langues de l'Asie ou de l'Europe, la plupart des langues étaient qualifiées de «dialectes», mais ces propos de la part de Eusebio T. Daluz décrivent assez bien ce que la langue officielle philippine, alors le tagalog, devait devenir. Il s'agissait d'un idéal à atteindre, c'est-à-dire celui de réunir dans une seule langue commune les différentes variétés linguistiques de l'archipel. Bien sûr, la langue philippine (pilipino ou filipino) décrite dans le dictionnaire de Daluz ne correspond pas à celle adoptée par la suite comme langue nationale officielle. Cette version de ce qu'on appelait alors le pilipino était moins «mélangée» avec les autres langues qu'elle ne l'est aujourd'hui et la grammaire était presque exclusivement basée sur le tagalog. C'est peut-être la raison pour laquelle certains non-tagalophones ont résisté à l'implantation de cette langue officielle du pilipino et qu'ils ont accusé les membres de l'Académie de la langue pilipino d'être des «puristes du tagalog».

- Le Commonwealth des Philippines (1935-1946)

À partir de 1935, une plus grande autonomie fut accordée à l'archipel qui devint le «Commonwealth des Philippines», mais l'archipel demeurait toujours une colonie américaine. Au cours de cette période coloniale, l'anglais est devenu une langue officielle additionnelle aux Philippines, parallèlement à l'espagnol. La section 3 de l'article XIII de la Constitution de 1935 correspond à cette réalité:
 

ARTICLE XIII — DISPOSITIONS GÉNÉRALES (1935)

Section 3

1) L’Assemblée nationale doit prendre des mesures pour développer et adopter une langue nationale commune basée sur l'une des langues autochtones existantes.

2) Jusqu'à ce que la loi en dispose autrement, l'anglais et l'espagnol demeurent les langues officielles.

Comme il fallait s'y attendre, la Constitution de 1935 était une vision américaine imposée aux Philippines en tant que colonie. Il suffit de lire certaines dispositions contenues dans l'annexe appelée "Ordinance appended to the Constitution" («Décret supplémentaire à la Constitution»). Non seulement, tous les citoyens philippins devaient prêter allégeance aux États-Unis, mais les fonctionnaires devaient aussi prêter et souscrire un serment d'office pour reconnaître l'autorité suprême des États-Unis. Les Affaires étrangères demeuraient sous le contrôle direct des États-Unis. Tous les actes adoptés par l'Assemblée nationale du Commonwealth des Philippines devaient être rapportés au Congrès des États-Unis, lequel, par l'entremise du gouverneur général, avait ainsi un droit de véto sur les lois adoptées par les Philippines. Il en était ainsi pour les décisions des tribunaux philippins qui pouvaient faire l'objet d'un réexamen par la Cour suprême des États-Unis. De plus, les États-Unis avaient le droit d'exproprier des biens à des fins publiques, afin de maintenir des garnisons militaires. Enfin, dans le domaine linguistique, le gouvernement du Commonwealth des Philippines devait établir et maintenir un système adéquat d’écoles publiques dont la langue d'enseignement devait être principalement l'anglais. Le Décret supplémentaire à la Constitution de 1935 est éloquent à ce sujet de la mainmise américaine sur les Philippines: 

Décret supplémentaire à la Constitution (1935)

Article 1er

Nonobstant les dispositions de la Constitution précédente, en attendant le retrait définitif et complet de la souveraineté des États-Unis sur les Philippines -

(1) Tous les citoyens des Philippines doivent prêter allégeance aux États-Unis.

(2) Tout fonctionnaire du gouvernement du Commonwealth des Philippines doit, auparavant:

s'engager dans l'accomplissement de ses obligations, prêter et souscrire un serment d'office, déclarant, entre autres, qu'il reconnaît et accepte l'autorité suprême des États-Unis et y maintiendra une véritable foi et allégeance.

(8) Le gouvernement du Commonwealth des Philippines doit établir et maintenir un système adéquat d’écoles publiques, principalement offert en anglais.

(10) Les Affaires étrangères seront sous la surveillance et le contrôle directs des États-Unis.

(11) Tous les actes adoptés par l'Assemblée nationale du Commonwealth des Philippines doivent être rapportés au Congrès des États-Unis.

(12) Les Philippines reconnaissent aux États-Unis le droit d'exproprier des biens à des fins publiques, afin de maintenir des garnisons militaires et autres, ainsi que des forces armées aux Philippines et, sur ordre du président des États-Unis, pour appeler au service de ces forces armées toutes les forces militaires organisées par le gouvernement du Commonwealth des Philippines.

(13) Les décisions des tribunaux des Philippines pourront faire l'objet d'un réexamen par la Cour suprême des États-Unis, comme le prévoit actuellement la loi, et cette révision s'étendra également à toutes les affaires concernant la Constitution des Philippines.

Malgré ces multiples contraintes, le Commonwealth des Philippines bénéficiait d'une Assemblée législative et d'un président élu en 1935.
 

Le premier président de ce nouveau Commonwealth fut Manuel L. Quezon, qui exerça ses fonctions de 1935 à 1944. Il fut élu avec 68 % des voix, alors qu'il avait comme opposant Emilio Aguinaldo, l'ancien président de la Première République.

En 1936, le président Quezon créa l'Institut de la langue nationale (en anglais: Institute of National Language; en tagalog: Surian ng Wikang Pambansa) en faisant adopter la Commonwealth Act No. 184, c'est-à-dire la Loi créant un institut de la langue nationale et définissant ses pouvoirs et ses obligations (1936). C'est à cette époque que la langue devint une question d'identité nationale, ce qui conduisit le président Quezon à s'adresser à l'Assemblée nationale pour former un comité (Institut de la langue nationale) qui devait évaluer les possibilités des différentes langues des Philippines afin de formuler une recommandation finale sur une langue commune. Les obligations et les responsabilités de l'Institut portaient sur les langues principales parlées par au moins un demi-million de locuteurs philippins; il devait faire une étude comparative du vocabulaire des langues majeures, enquêter et déterminer la phonétique et l'orthographe du futur philippin afin que l'Institut puisse choisir la langue maternelle devant servir de base à l'adoption de la langue nationale philippine.


L'article 5 de la loi n° 184 de 1936 est important:
 

Article 5

L’Institut de la langue nationale doit étudier les dialectes philippins en général dans le but d’évoluer et d’adopter une langue naturelle commune fondée sur l’une des langues autochtones existantes. À cette fin, l'Institut de la langue nationale a les obligations particulières suivantes:

(1) Faire une étude et observer chacune des langues principales des Philippines parlées actuellement par au moins un demi-million de locuteurs.

(2) Choisir parmi les langues autochtones et organiser en groupes distincts:

(a) Les mots et expressions utilisés en totalité ou dans la majorité des langues ayant des sons et des significations communes.
(b) Les mots utilisés dans tous ou dans la majorité des langues, ayant les mêmes sons, mais avec des significations différentes.
(c) Les mots utilisés en totalité ou dans la majorité des langues, ayant des sons similaires, mais avec des significations identiques ou différentes.

(3) Étudier et établir la phonétique et l'orthographe philippines.

(4) Faire une étude critique comparative de tous les préfixes, infixes et suffixes philippins.

(5) Choisir la langue maternelle devant servir de base à l'évolution et à l'adoption de la langue nationale philippine. En procédant à ce choix, l’Institut doit privilégier la langue la plus développée en matière de structure, de mécanisme et de littérature, laquelle est acceptée et utilisée à l’heure actuelle par le plus grand nombre de Philippins.

Malgré le fait que l'Institut ne soit pas bien équipé face à l'immense tâche à accomplir et qu'il n'aie pas à l'époque avoir pris conscience de l’ampleur de ses obligations, il adopta, le 9 novembre 1937, une résolution recommandant que le tagalog serve dorénavant de base à l'instauration d'une langue nationale commune aux Philippins. Le 30 décembre de la même année, le président Quezon signa le décret présidentiel n° 134 approuvant l'adoption du tagalog comme langue des Philippines et déclarant la langue nationale basée sur la variante tagalog comme langue nationale des Philippines. Le décret indiquait que cette mesure prendrait effet deux ans après sa promulgation.  

 

Le 30 décembre 1937, lors d’une radiocommunication au palais de Malacañan, Manuel L. Quezon lut le décret présidentiel n° 134 qui proclamait la langue nationale des Philippines sur la base du tagalog. C'était la première fois qu'un président parlait en ondes en utilisant le pilipino (avant d'être appelé filipino) déclaré langue nationale des Philippines en vertu du décret-loi n° 134. À cette occasion, Quezon déclara ce qui suit en tagalog:

 

"Nagdudulot sa akin ng di matingkalang kasiyahan na maipahayag ko sa inyo na ngayong ika-41 anibersaryo ng pagmamartir ng nagtatag at pinakadakilang tagapamansag ng nasyonalismong Pilipino, ay naging karangalan kong ilagda, bilang pag-alinsunod sa utos ng Konstitusyon at ng umiiral na batas, ang isang Kautusang Tagapagpaganap na nagtatalaga sa isa sa mga katutubong wika na maging batayan ng wikang pambansa ng bayang Pilipino." [Je suis heureux de pouvoir vous dire que ce 41e anniversaire du martyre du fondateur et du plus grand partisan du nationalisme philippin, c'est un honneur pour moi de signer, conformément à la Constitution et aux lois existantes, un décret désignant l'une des langues autochtones comme base de la langue nationale du peuple philippin.]

Cependant, le président Quezon, dont la langue maternelle était le tagalog, oubliait à ce moment-là que la plupart des Philippins ne parlaient pas cette langue. La loi en question devait entrer en vigueur deux ans plus tard, soit le 30 décembre 1939. Un an après son entrée en vigueur, les écoles publiques devaient commencer à enseigner la langue nationale, sans que cela ne porte atteinte à l'enseignement de l'anglais. Tout en faisant écho à la recommandation de l'Institut de la langue nationale d'adopter le tagalog comme base de la langue nationale du pays, le président Quezon ne pouvait supprimer les privilèges de l'anglais comme langue d'enseignement, car le pays demeurait encore assujetti au pouvoir et au veto des États-Unis sur les Philippines. Voici un extrait du Décret présidentiel n° 134 proclamant la langue nationale des philippines sur la base de la langue tagalog (1937):

Maintenant, par conséquent, moi, en tant que président des Philippines, Manuel L. Quezon, en vertu des pouvoirs qui me sont conférés par la loi, en vertu des dispositions de l'article 7 de la loi du Commonwealth n° 184 et sur la recommandation du l'Institut de langue nationale, énoncé dans la résolution transcrite ci-dessus, approuve par la présente l'adoption du tagalog comme base de la langue nationale des Philippines, déclare et proclame par la présente la langue nationale basée sur le dialecte tagalog comme la langue nationale des Philippines.

Les critères du président Quezon pour proclamer le tagalog comme base de la langue nationale la "Wikang Pambansâ" étaient les suivants:

1. Le tagalog est largement parlé et la langue la plus comprise dans toutes les régions des Philippines;
2. Il n'est pas fragmenté en «langues filles» plus petites, en dialectes, comme le visayan ou le bicol;
3. Sa tradition littéraire est la plus riche de toutes les langues autochtones des Philippines, la plus développée et la plus répandue;
4. Plus de livres sont écrits en tagalog que dans toute autre langue philippine, sauf en espagnol, mais cela est principalement dû à la loi et aux privilèges de l'histoire;
5. Le tagalog a toujours été la langue de Manille, le centre politique et économique des Philippines aux époques espagnole et américaine.

Ainsi, le tagalog devenait la langue nationale des Philippines. Il fallait ensuite que le président donne des instructions au département de l'Instruction publique pour enseigner la langue nationale dans toutes les écoles publiques et privées à la date prévue. Le tagalog fut intégré dans les programmes scolaires en 1940 pour y être enseigné au même titre que l'anglais. Cependant, l'adoption du tagalog en 1937 pour servir de base comme langue nationale ne s'est pas faite sans controverses. C'est pourquoi au lieu de promouvoir le tagalog, on a préféré parler plutôt de «langue nationale» ("Wikang Pambansâ"). L'anglais était mieux accepté que le tagalog par les non-tagalophones!

De plus, les Philippines demeuraient toujours sous contrôle américain. La Constitution qui avait été adoptée au moment de la création du Commonwealth des Philippines en 1935 était imposée par les Américains et devait servir les intérêts américains. 

En 1939, Lope K. Santos (1879-1963), un écrivain philippin de langue tagalog et ancien sénateur des Philippines, publia une grammaire de la langue nationale : Ang Balarila ng Wikang Pambansa. En plus des règles de grammaire, l'ouvrage contenait l'alphabet de la langue nationale qu'on appellera l'abakada, nommé ainsi d'après ses trois premières lettres. Suivant les conseils d'anciens chercheurs, Santos n'a retenu qu'une seule lettre pour représenter un son significatif dans la langue tagalog. Le produit résultant de cette logique a réduit l'abecedario espagnol de 32 lettres à 20 lettres. De plus, les lettres devaient être lues selon les sons abakada, par opposition à la prononciation anglaise ou espagnole des lettres. L'abakada resta l'alphabet de la langue nationale de 1940 jusqu'en 1976. Au cours de cette période, des questions ont été soulevées quant à la validité du tagalog comme base de la langue nationale.

En somme, le gouvernement central philippin, sous l'influence des États-Unis, a choisi de privilégier une certaine ethnie ainsi que l’héritage colonial américain pour représenter la Nation, sans prendre en considération les populations minoritaires autres que les Tagalogs.

4 L'invasion japonaise (1942-1945)
 

À l'aube de la Seconde Guerre mondiale, le pays devait aussi relever plusieurs défis : l'économie à rénover, les relations diplomatiques tendues en Extrême-Orient, la préparation d'une armée autonome, etc. L'invasion japonaise de 1942 força le gouvernement de Manuel L. Quezon à se réfugier sur l'île de Corregidor aux côtés du général Douglas MacArthur. Il fut ensuite refouler vers l'Australie avant de se réfugier aux États-Unis, son gouvernement en exil ayant ses bureaux à Washington.

L'Empire japonais voulut justifier son occupation militaire aux Philippines en favorisant la formation d'un gouvernement philippin collaborateur dirigé par José P. Laurel (de son nom complet: José Paciano Laurel y García). Celui-ci demeura président de la Seconde République philippine durant la Seconde Guerre mondiale, de 1943 à 1945. Plus de 21 000 Japonais résidaient dans l'archipel au moment de l'occupation. Les Japonais instaurèrent un régime militaire avec un couvre-feu strict, introduisirent leur monnaie et modifièrent l'administration territoriale.

 Les troupes japonaises multiplièrent les exactions à un point tel que plus de 100 000 civils trouvèrent la mort. La résistance des Philippins demeura omniprésente et déterminée. Il y eut néanmoins de nombreux mariages mixtes, tandis que les enfants issus de ces unions parlèrent en général le tagalog plutôt que le japonais. Après une longue résistance philippine, des hommes politiques philippins finirent par accepter de collaborer avec les Japonais et ratifièrent une nouvelle constitution en 1943. Au plan linguistique, les Japonais encouragèrent l'usage de la langue nationale plutôt que l'anglais dans les écoles:
 

Article IX (1943)

Dispositions générales

Section 2

Le gouvernement doit prendre des mesures pour développer et diffuser le tagalog comme langue nationale.

En 1943, le président philippin, José P. Laurel, promulgua le décret présidentiel n° 10 portant réforme de l’enseignement, notamment l’enseignement de la langue nationale dans toutes les écoles primaires publiques et privées, et la formation à grande échelle des enseignants de la langue nationale. En voici un extrait portant sur l'enseignement de la langue nationale:

 

EXECUTIVE ORDER NO. 10, 1943

PRESCRIBING CERTAIN EDUCATIONAL REFORMS


By virtue of the powers vested in me by law and upon recommendation of the National Education Board created under Executive Order No. 5, dated October 23, 1943, I, JOSE P. LAUREL, President of the Republic of the Philippines, do hereby order that –

[...]

B. TEACHING OF THE NATIONAL LANGUAGE

5) Effective immediately the national language shall be taught in all public and private high schools, colleges, and universities.

6) Effective at the beginning of the school year 1944-1945, the national language shall be taught in all elementary schools, public and private, and the training of national language teachers on a large scale shall commence immediately.

7) All efforts shall be exerted to accelerate the diffusion the national language so that it may became the principal medium on instruction throughout the school and college courses as soon as practicable.

[...]

(SGD.) JOSE P. LAUREL
President of the Republic of the Philippines

DÉCRET PRÉSIDENTIEL N° 10, 1943

PRÉSENTATION DE CERTAINES RÉFORMES ÉDUCATIVES

En vertu des pouvoirs qui me sont conférés par la loi et sur recommandation du Bureau national de l'éducation créé en vertu du décret-loi n° 5 du 23 octobre 1943, moi, JOSÉ P. LAUREL, président de la république des Philippines, ordonne par la présente que:

[...]

B. ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE NATIONALE

5) Immédiatement en vigueur, la langue nationale doit être enseignée dans tous les lycées, collèges et universités, publics et privés.

6) À compter du début de l’année scolaire 1944-1945, la langue nationale doit être enseignée dans toutes les écoles primaires, publiques et privées, et la formation des enseignants dans la langue nationale doit commencer immédiatement à grande échelle.

7) Tous les efforts doivent être déployés pour accélérer la diffusion de la langue nationale afin qu'elle devienne le principal moyen d'instruction tout au long des cours dans les écoles et les collèges.

[...]

(Signé) JOSÉ P. LAUREL
Président de la république des Philippines

Le nom de la «langue nationale» n'est pas identifié, mais tous savaient alors qu'il s'agissait du tagalog. C'est donc sous le régime japonais que l'enseignement de cette langue nationale a été intégré plus officiellement au programme à tous les niveaux. Elle fut introduite comme discipline dans toutes les classes du primaire et du secondaire. En 1944, les enseignants des langues vernaculaires autres que le tagalog ont commencé à apprendre la langue nationale dans un "institut de tagalog" pour leur permettre d’enseigner et d’utiliser la langue. On peut dire que les Japonais ont contribué à implanter plus durablement le tagalog dans l'archipel de façon à concurrencer l'anglais, car ils percevaient l'anglais comme une langue «impérialiste». 

La langue nationale, basée sur le tagalog, fut non seulement largement implantée dans les écoles, mais aussi dans les médias et les communications officielles. Toutefois, le court laps de temps pendant lequel le Japon a occupé l'archipel ne fut pas suffisant pour que les Japonais établissent la base de leur culture et de leur langue chez les Philippins. Ceux-ci ont néanmoins emprunté une douzaine de mots au japonais: dorobo (< dorobo : «voleur»), jack-en-poy (< jankenpon: «jeu de pierre-papier-ciseaux»), kampay (< kanpai: «santé!»), karaoke (< karaoke: «karaoké»), tansan (< tansan : «eau gazeuse»), toto (< otōto: «frère cadet»). 

Au cours de la guerre du Pacifique, les victoires américaines permirent la reconquête progressive des îles philippines. Considérées comme des alliés, les Philippins furent à nouveau sous contrôle américain en 1945.

5 L'indépendance des Philippines et le filipino

Le 4 juillet 1946, le président américain Harry S. Truman déclara l'indépendance de la république des Philippines. Mais le jeune État philippin dut accepter des concessions aux Américains, notamment le maintien de bases militaires et le droit des citoyens américains installés aux Philippines d'exploiter les ressources naturelles du pays. Après l’indépendance, le gouvernement philippin est toujours demeuré sous l’influence économique, linguistique et politique des États-Unis. Toutefois, avec leurs réformes économiques et politiques, les Américains se sont trouvés à perpétuer les inégalités sociales et économiques déjà mises en place par la colonisation espagnole.

Ainsi, la décolonisation a eu pour effet de renforcer un État catholique unifié aux dépens des régions du Sud de confession musulmane, ce qui allait accentuer leur isolement politique et économique. Située au sud des Philippines, l’île de Mindanao se trouvait partagée entre trois communautés: musulmane (les Moros), chrétienne, et autochtone (les Lumads). Depuis quarante ans, une guerre allait opposer les indépendantistes musulmans et le gouvernement national à Manille.

- La proclamation du filipino comme l'une des langues officielles (1946)

Néanmoins, ayant retrouvé leur quasi-totale indépendance, les Philippins remirent en place la Constitution de 1935, ce qui signifiait que l'espagnol et l'anglais redevenaient les langues officielles du pays. Quoi qu'il en soit, précédemment, soit le 7 juin 1940, l’Assemblée nationale des Philippines avait adopté la loi du Commonwealth n° 570 déclarant que la langue filipino (et non pas pilipino) devait acquérir le statut de l'une des langues officielles à compter du 4 juillet 1946, ce qui allait coïncider plus ou moins avec la date d’indépendance du pays. Voici la loi du 7 juin 1940 à ce sujet, intitulé Loi proclamant la langue nationale filipino comme langue officielle à partir du 4 juillet 1946 :
 

Loi proclamant la langue nationale filipino
comme langue officielle à partir du 4 juillet 1946

Loi du Commonwealth n° 570
Assemblée nationale
Le 7 juin 1940

Il est décrété par l'Assemblée nationale des Philippines:

Article 1
er

La langue nationale filipino est déclarée l'une des langues officielles des Philippines, à compter du quatrième jour de juillet 1946.

Article 2

Aux fins de la présente loi, tous les manuels destinés aux écoles primaires rédigés dans la langue nationale ou nécessaires à leur propagation par le biais des écoles publiques et privées ainsi que par d’autres organismes et méthodes de vulgarisation, doivent être placés sous le contrôle de le Bureau de l'éducation, sous réserve de l'approbation de l'Institut de la langue nationale, dans la mesure où sa forme linguistique est apparentée.

Article 3

La présente loi entre en vigueur au moment de son approbation.

En 1957, une nouvelle politique linguistique fut adoptée dans les écoles philippines, et ce, après une période de recherches intensives et d’expérimentations sur la langue à utiliser comme moyen d’enseignement. Pour tenter de rendre le système scolaire plus adapté aux besoins de l’époque, le Bureau de l’éducation nationale ("Board of National Education"), l'organisme décisionnel en matière d’éducation, a décidé qu'il fallait enseigner dans les deux premières années de l'école primaire la langue vernaculaire locale, puis en même temps la langue nationale (qui n'est pas nommée) et l'anglais:
 

Board of Education (1957)

The medium of instruction in the first two grades of the elementary school shall be the local vernacular; that at the same time the national language shall be taught informally beginning in Grade I and given emphasis as a subject in the higher grades; that English shall be taught as a subject in Grades I and II and used as medium of instruction beginning in Grade III.

Bureau de l'éducation (1957)

La langue d'enseignement dans les deux premières années de l'école primaire doit être la langue vernaculaire locale; qu'en même temps, la langue nationale doit être enseignée de manière informelle en commençant en première année et en mettant l'accent en tant que matière dans les classes supérieures; que l'anglais soit enseigné comme matière en première et deuxième années et utilisé comme langue d'enseignement à partir de la troisième année.

Ce programme de 1957 en éducation fut vivement critiqué en raison de la politique multilingue qu’il préconisait. En effet, il fallait enseigner pas moins de quatre langues: la langue vernaculaire locale, la langue nationale, l'espagnol et l'anglais (les deux langues officielles). Beaucoup de pédagogues affirmaient que cette politique n'était pas très efficace pour instruire les enfants philippins.

Le 13 août 1959, le département de l'Éducation, dans un décret ministériel (Department Order No. 7), ordonna à chaque Philippin d’observer chaque année la Semaine nationale de la langue (du 13 au 19 août). Le document, signé par le secrétaire à l'Éducation, José Romero, désignait aussi que dorénavant la langue nationale serait appelée pilipino pour faire comprendre avait ainsi une connotation plus nationale — les Philippins — plutôt que régionale ou ethnique (les Tagalogs). Ce changement de nom n'a pas convaincu tous les non-Tagalogs du bien-fondé de cette appellation, notamment chez les Cebuanos. Cela n'empêchait pas le pilipino d'être linguistiquement relié au tagalog, mais l'appellation était élargie à l'ensemble de la nation philippine. En fait, si le tagalog était au départ la langue parlée par l'ethnie tagalog, les partisans de l'appellation pilipino voulaient démontrer que le pilipino (plus tard le filipino) provenait des nombreuses langues des Philippines, y compris l'espagnol et l'anglais, contrairement au tagalog qui serait issu de ses seuls locuteurs. Cette prétention n'est pas tout à fait vraie, puisque le tagalog puise aussi dans des sources malaises, espagnoles, tamoules, anglaises, etc. En 1961, le Bureau du secrétaire à l’Éducation imposait de manière définitive le terme pilipino en référence à la langue nationale. Rappelons qu'en tagalog le son [f] n'existait pas, d'où les mots Pilipinas (Philippines en français) et pilipino (la langue), mais il existait en anglais, ce qui explique que les appellations officielles avaient la lettre [f] en anglais, mais [p] en tagalog.

 
C'est sous la présidence de Carlos Polecticos García (le 8ᵉ président des Philippines, de 1957 à 1961) que s'est développée la "Filipino First Policy" (Pilipino Muna en tagalog), c'est-à-dire la «Première politique philippine» qu'on devrait plutôt traduire par «Première politique pro-philippine». Celle-ci fait référence à une politique introduite et mise en œuvre pour la première fois par l'administration d'un président philippin. Dans le cadre de cette politique, les entreprises appartenant à des Philippins on t été considérées comme prioritaires par rapport aux entreprises étrangères, notamment les chinoises et les américaines. Cette politique du président García se voulait une réponse à l'impact du libre-échange et surtout à la domination économique américaine aux Philippines après la Seconde Guerre mondiale.
 
Évidemment, la politique fut bien accueillie par les hommes d'affaires philippins; des appels ont été lancés pour élargir la portée de cette politique afin d'inclure d'autres domaines de la société, par exemple en éducation. Par contre, cette politique ne pouvait qu'être fort mal accueillie par les hommes d'affaires étrangers, en particulier les Américains, les Chinois et leurs homologues sino-philippins. Pour le président García, il ne s'agissait pas de fermer la porte aux capitaux étrangers, ni de pratiquer une politique anti-étrangère, mais de donner aux Philippins la priorité en ce qui concerne le contrôle des industries du pays et leur développement.

En plus de ses programmes, l'administration du président Carlos P. García mit aussi l'accent sur la revitalisation de la culture philippine. C'est pourquoi le Prix culturel de la République a été créé et décerné à des artistes, des scientifiques, des historiens et des écrivains philippins. Sur la question linguistique, Garcia prônait l'usage des langues régionales et de la langue nationale dans les établissements d'enseignement.
 
En même temps, la présidence de Carlos P. García a favorisé au cours des années 1960 la montée des mouvements puristes de la part des spécialistes de la langue, notamment ceux de l'Institut national de la langue (SWP: appelé plus tard Surián ng Wikang Pambansâ). De nouveaux mots furent créés pour remplacer les mots empruntés aux langues étrangères. Cette ère de «purisme» du SWP suscita de nombreuses critiques de la part des Philippins. Deux mouvements ont émergé au cours de cette période dite de purisme: l'un s'éleva contre le tagalog pour défendre les langues vernaculaires chez les non-Tagalogs, pendant que l'autre prônait plus d'intégration de mots étrangers dans la langue nationale. En 1963, un membre du Congrès du Negros Occidental, l'une des provinces centrales des Philippines, le député Innocencio V. Ferrer (1914-1984), alla jusqu'à interpeller la Cour suprême des Philippines afin de remettre en question la constitutionnalité du choix du tagalog comme base de la langue nationale. Ce fut l'époque où les puristes créèrent de nouveaux mots (par exemple salumpuwit pour désigner une chaise) et des suffixes tels anak et apo pour les noms, au lieu de "Junior" et "III".
 
Finalement, d'autres députés préférèrent encourager un mouvement de modernisation linguistique appelé MOLAM ("Modernizing the Language Approach Movement"). Ce mouvement fut dirigé par un autre membre du Congrès, Geruncio Lacuesta, qui tenta de promouvoir une nouvelle langue véhiculaire appelée "Manila Lingua Franca" en intégrant des mots de différentes langues philippines et internationales. Mais ce mouvement déclina après le décès de Lacuesta.

6 Le régime autoritaire de Ferdinand Marcos (1965-1986) 

Ferdinand Marcos, alors chef du Parti nationaliste, fut élu président des Philippines le 19 novembre 1965. Il mit en œuvre une réforme agraire afin de moderniser le domaine agricole, mais il ne fit rien pour combattre les inégalités sociales et la pauvreté qui frappait les paysans. La Constitution de 1935 ne prévoyant pas de troisième mandat présidentiel, Marcos devait normalement quitter la scène politique en 1973, parce qu'il arrivait à la fin de son second mandat. À la suite d'une tentative d'assassinat contre le secrétaire à la Défense, Juan Ponce Enrile, à Manille, le président Marcos décréta la loi martiale le 23 septembre 1972. Dans un contexte de confusion généralisée aux Philippines, la déclaration de la loi martiale fut en général bien acceptée par la population. Marcos s'arrogea les pleins pouvoirs et fit arrêter plus d'une centaine d'opposants politiques.

Le 23 septembre 1973, Marcos dissout l'Assemblée nationale et annonça l'élaboration d'une nouvelle constitution ainsi que le changement du régime politique. En juillet 1975, un plébiscite reconnut la Constitution de 1973 et le prolongement de la loi martiale qui devait rester en vigueur jusqu'en janvier 1981, conférant ainsi tous les pouvoirs à Marcos.

 
6.1 La langue nationale
 
En réalité, le président avait formé en 1971 une convention constitutionnelle destinée à remplacer la Constitution de 1935. L'une des questions litigieuses de la convention était la définition de la langue nationale. Les défenseurs du tagalog restaient fermes sur «une langue nationale basée sur le tagalog», tandis qu'une grande majorité des délégués étaient en faveur de la suppression totale de la notion de «langue nationale». Devant l'impasse, les délégués décidèrent de conserver l'anglais comme compromis (pour les non-tagalophones) et le pilipino (pour les tagalophones) comme les deux langues officielles.
 
Finalement, le 29 novembre 1972, la Convention constitutionnelle approuva la nouvelle Constitution rédigée en anglais après un vote de 165 voix favorables (principalement des non-tagalophones) contre 101 non favorables (principalement des tagalophones), et 49 absents et 1 abstentionniste. Le projet de Constitution fut soumis à un vote lors du plébiscite constitutionnel de 1973. Le président Marcos allait continuer à gouverner en tant que dictateur jusqu’à son éviction par la révolution du pouvoir populaire en 1986.
 
Sur la question linguistique, la Constitution de 1973 prévoyait que le Batasang Pambansa (le Congrès des Philippines comprenant le Sénat et la Chambre des représentants) devait des mesures pour développer et adopter officiellement une langue nationale commune appelée filipino (avec [f]), et de conserver l'anglais et le pilipino (avec [p]) comme langues officielles jusqu'à ce que la loi en dispose autrement:  
 
ARTICLE XV (1973)

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

Article 3

1) La présente Constitution doit être officiellement promulguée en anglais et en pilipino, et traduite dans chaque dialecte parlé par plus de 50 000 locuteurs, ainsi qu'en espagnol et en arabe. En cas de conflit, le texte anglais prévaudra.

2) Le Batasang Pambansa doit prendre des mesures pour développer et adopter officiellement
une langue nationale commune appelée filipino.

3) Jusqu'à ce que la loi en dispose autrement, l'anglais et le pilipino sont les langues officielles.

La Constitution de 1973 déclarait l'anglais et le pilipino comme les langues officielles, mais l'espagnol n'était pas formellement exclu. Bien que le texte de la Constitution soit traduit et officiellement promulguée en pilipino, la version anglaise devait prévaloir sur la version pilipino. De plus, la Constitution introduisait un nouveau concept, à savoir qu'il existe deux langues, le pilipino, une langue officielle, et le filipino, une langue nationale officieuse, mais commune à développer et à adopter dans l'avenir. Enfin, le texte faisait la distinction entre la notion de «dialecte» et celle de «langue». Nous pouvons constater que les langues non nationales étaient appelées «dialectes», car le fait de les désigner par le mot «langues» impliquerait la pluralité des nations aux Philippines, alors que les Philippins étaient censés construire une seule nation avec une seule langue nationale, le filipino. Cette langue nationale commune dite «filipino» qui devait être développée conformément à la Constitution de 1973 pourrait être une fusion des différentes langues maternelles de l'archipel. Cette disposition, qui faisait l'objet d'une recommandation du Comité sur la langue nationale, suscita à l'époque beaucoup d'oppositions de la part de divers secteurs de la communauté philippine.

6.2 Le nationalisme philippin

Avec le président Marcos, l'emploi du pilipino devint un marqueur du nationalisme philippin, sinon dans certains cas une expression des sentiments anti-américains partagés par une bonne partie de la population. Pour les locuteurs dont la langue maternelle n'était pas le tagalog ou le pilipino, la langue dite «nationale» n'était rien d’autre qu’une langue impérialiste qu’on aurait imposée comme langue officielle dans le but d’institutionnaliser la domination de la capitale (où l’on parle le tagalog) sur le reste du territoire philippin. Bref, on le sait, la langue peut effectivement créer des tensions entre les différentes communautés linguistiques du pays. Il valait mieux en rester au bilinguisme anglais-pilipino.

La Constitution de 1973 eut pour effet de donner une nouvelle définition de la langue nationale en la renommant filipino tout en déclarant qu'il s'agissait d'une langue en voie de développement. Sur la base de cette définition, une révision de l'alphabet philippin parut nécessaire, car l'abakada demeurait un alphabet tagalog. Ce changement de l'alphabet correspondait à la réforme philippine de 1976 approuvée par l'Institut de la langue nationale. En vertu du décret ministériel n° 194 du département de l’Éducation, de la Culture et des Sports (DECS), onze lettres ont fait leur retour dans l’alphabet philippin révisé: c, ch, f, j, ll, ñ, q, rr, v, x et z. Ces lettres de l'alphabet reflètent autant les autres langues philippines qui utilisaient encore ces lettres. Avec les onze lettres incluses, l'alphabet de 1976 est devenu semblable à l'ancien abecedario avec ses 31 lettres. L’actuel alphabet philippin de 28 lettres a été créé après l'adoption de la Constitution de 1987. Cependant, l'alphabet philippin révisé a suscité des critiques en raison de l'ajout de lettres plus inutiles.

6.3 La rébellion des Moros musulmans

Le régime du président Marcos devait susciter un long conflit en 1968 avec les musulmans. de Mindanao. À cette époque, des soldats musulmans des forces armées philippines refusèrent de combattre face à d'autres musulmans lors d'une attaque contre la Malaisie voisine. Marcos ordonna de les fusiller. De leur côté, les Américains réussirent à arrêter dans le sang la résistance des Moros, la minorité musulmane de Mindanao, un événement qui semble aujourd'hui avoir été rayé de la mémoire collective des Philippins.

Cet événement aura pour effet de créer le Front moro de libération nationale (FMLN). Les pourparlers entre le FMLN et les autorités philippines débuteront presque dix ans plus tard, en 1976. C'est cette année que les représentants du FMLN rencontrèrent le président Marcos. Les accords qui y furent signés, appelés Accords de Tripoli (1976), permirent d'amener la population à se prononcer sur la question de l'indépendance de la région par voie référendaire. Lors du référendum de janvier 1977, les dissensions entre les différentes parties en présence ont fait échouer le traité qui n'a jamais été ratifié par la nation entière avec le résultat que le traité n'est pas entré en vigueur et que la violence a repris sur Mindanao. La pauvreté massive et les injustices économiques qui sont omniprésentes sur Mindanao favorisèrent un mouvement révolutionnaire armé : la New People's Army. La région de Mindanao obtiendra le statut de région autonome en 1977, mais la rébellion musulmane demeurera toujours très vigoureuse jusqu'en 2018.

6.4 L'enseignement bilingue

Aux Philippines, l’enseignement bilingue est défini au plan pratique comme une répartition distincte selon qu'on utilise le pilipino ou l'anglais comme langue d’enseignement dans les différentes disciplines. Conformément au décret ministériel n° 25 de 1974, le pilipino (changé en filipino en 1987) doit être utilisé comme langue d’instruction dans les disciplines suivantes: les sciences sociales, la musique, les arts, l’éducation physique. Quant à l'anglais, il est consacré aux matières scientifiques, aux mathématiques et aux technologiques.

Les objectifs de la politique d’enseignement bilingue sont les suivants:

1. un apprentissage amélioré en deux langues pour parvenir à une instruction de qualité;
2. la promotion du pilipino comme langue d'alphabétisation;
3. le développement du pilipino en tant que symbole de l'unité linguistique et de l'identité nationale;
4. la culture et l’élaboration du pilipino en tant que langue des textes savants;
5. le maintien de l'anglais en tant que langue internationale pour les Philippines et en tant que langue non exclusive de la science et de la technologie.

Pour ce qui est des langues régionales, elles devaient être utilisées comme support d’instruction auxiliaire et comme langue initiale pour l’alphabétisation.

Department Order No. 25, s. 1974

To develop a bilingual nation competent in the use of both English and Pilipino, Pilipino and English are to be used separately as media of instruction in definite areas, beginning in Grade I, with the vernacular in the locality as the auxiliary medium of instruction in Grades I and 11.

The division according to subject areas is:

Pilipino : Social Studies/Social Science, Work Education, Character Education, Health Education and Physical Education

English: Mathematics and Science, Music and Art.

This separation of subjects by medium of instruction follows a pattern which has parallels in the Republic of Singapore policy, although our media are two rather than four, as they are in Singapore (English, Mandarin, Malay, and Tamil).

Décret  ministériel n° 25 de 1974

Pour développer une nation bilingue compétente dans l'usage de l’anglais et du pilipino, le pilipino et l’anglais doivent être utilisés séparément comme supports d’enseignement dans des zones déterminées, à partir de la première année, la langue vernaculaire étant la langue auxiliaire de l’enseignement dans les années I et 11.

La division selon les disciplines est la suivante:

Pilipino: Études sociales/ Sciences sociales, Éducation au travail, Éducation du caractère, Éducation à la santé et Éducation physique

Anglais: Mathématiques et sciences, musique et arts.

Cette séparation des disciplines par milieu d'enseignement suit un modèle parallèle à la politique de la république de Singapour, bien que nos moyens de diffusion soient deux plutôt que quatre, comme à Singapour (anglais, mandarin, malais et tamoul).

En vertu du décret ministériel n° 25, le régime d'enseignement bilingue allouait 80% des matières du programme d’études au filipino et les 20% restants à l’anglais. Les langues régionales devaient continuer à fonctionner comme des «langues auxiliaires». Cette politique de bilinguisme, mise en œuvre par le décret n° 25 intitulé Implementing Guidelines for the Policy on Bilingual Education («Mise en œuvre des directives pour la politique d’éducation bilingue»), fut définie sur le plan opérationnel comme l’emploi séparé de l’anglais et du pilipino en tant que langues d’enseignement dans certaines matières, de la première à la quatrième année du secondaire. Certaines disciplines devaient être enseignées en anglais (mathématiques, sciences, etc.), d'autres en pilipino.

Bref, ce programme d'enseignement bilingue (Bilingual Education Program : BEP) aux Philippines, où l'anglais est la langue d'enseignement des sciences et des mathématiques a été institutionnalisé en 1974. Depuis lors, il constitue le cadre général du système d'éducation du pays, comme en fait foi le Décret ministériel n° 52-1987 sur la politique d'enseignement bilingue (1987). Avant 1974, l'anglais était pratiquement la seule langue d'enseignement aux Philippines, c'est-à-dire depuis 1901, date à laquelle le système d'éducation public fut mis en place par les Américains.

Au cours des années de pouvoir du président Marcos, le régime sombra dans la corruption et le détournement de fonds. Sa présidence devint de plus en plus controversée jusqu'à ce que l'assassinat en 1983 de l'un des chefs de l'opposition, Benigno Aquino, serve d'élément déclencheur dans la chute de Marcos. Celui-ci se présenta à l'élection présidentielle de février 1986, mais c'est sa rivale, la veuve d'Aquino, Cory Aquino, qui fut investie présidente du pays. Marcos fut poussé en catastrophe à l'exil à Hawaï où il fut accusé de détournement de fonds par les États-Unis, puis l'ancien président décéda en septembre 1989 à Honolulu.

Encore aujourd'hui, la population des Philippines demeure divisée sur la présidence de Ferdinand Marcos. Certains le considèrent comme un vrai héros philippin à cause de ses exploits durant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que de son ascension surprenante en politique et les lois qui sont encore en vigueur aujourd'hui. D'autres ne considèrent dans ce personnage que le dictateur corrompu qui a vidé les coffres de l'État, sans oublier sa piètre performance dans l'effondrement de l'économie philippine au milieu des années 1980.

7 La Constitution de 1987

Le 26 février 1986, Cory Aquino accéda à la présidence de la République, mais elle dut affronter sept tentatives de coup d'État militaires, qui échouèrent tous grâce à la vigilance du général Ramos resté fidèle au pouvoir. Cory Aquino allait demeurer présidente des Philippines jusqu'au 30 juin 1992, date de l'élection présidentielle qui amènera le général Fidèle Ramos à sa succession.

En matière de langue, la présidence de Mme Aquino fut quelque peu agitée par l'adoption d'une nouvelle Constitution, la disparition de l'Institut de la langue nationale et la naissance de l'Institut des langues philippines (1987) et de la Commission sur la langue filipino (1991), la promulgation du Décret présidentiel n° 335 et en 1987 au moins deux décrets du département de l'Éducation, de la Culture et des Sports concernant l'alphabet et l'orthographe dans la langue filipino (n° 81), ainsi que la «Politique d'enseignement bilingue».


7.1 La question minoritaire

À la suite de la promulgation de la Constitution de 1987, laquelle marquait la fin du régime autoritaire du président Marcos, de nouvelles mesures furent mises en place afin, entre autres, de mieux protéger les minorités linguistiques, ce qui est prévu dans les sections 7 et 9 de l'article 14:

Article 14

Section 7

1) Aux fins des communications et de l'enseignement, les langues officielles des Philippines sont le filipino et, jusqu'à ce qu'il en soit décidé autrement par une loi, l'anglais.

2) Les langues régionales sont les langues officielles auxiliaires des régions et doivent y servir de véhicule auxiliaire de l'enseignement.

3) La promotion de l'espagnol et de l'arabe se fait sur une base volontaire et facultative.

Section 9

Le Congrès doit mettre sur pied une Commission sur la langue nationale composée de représentants de différentes régions et de plusieurs disciplines, qui doit coordonner et encourager les recherches pour le développement, la diffusion et la préservation du filipino et d'autres langues.

Cependant, il a fallu plus de vingt ans avant que le département de l'Éducation puisse mettre en pratique ces dispositions constitutionnelles concernant les langues régionales.

La section 9 prévoit que le Congrès doit mettre sur pied une Commission nationale de la langue ("National Language Commission") composée de représentants de différentes régions et de plusieurs disciplines, qui doit coordonner et encourager les recherches pour le développement, la diffusion et la préservation du filipino et d'autres langues. Cette commission est composée de onze membres, d'un président et d'un représentant de chacune des 10 plus importantes communautés linguistiques : le tagalog, le cebuano, l’ilocano, l’hiligaynon et les langues importantes des communautés musulmanes de l'île Mindanao. Mais c'est la section 6 du même article qui semble important:

Article 14

Section 6

La langue nationale des Philippines est le filipino. À mesure qu'elle évoluera, elle se développera davantage et s'enrichira à partir des langues existant aux Philippines et des autres langues.

Sous réserve des dispositions de la loi et, si le Congrès le juge approprié, le gouvernement doit prendre des mesures pour promouvoir et maintenir l'usage du filipino comme véhicule de communication officielle et comme langue d'enseignement dans le système d'éducation.

Bien que le gouvernement se soit donné comme mission de représenter plus fidèlement la diversité linguistique du pays, le filipino demeure toujours la langue nationale et, par le fait même, la seule langue philippine qui doit être obligatoirement enseignée partout sur le territoire, ce qui n'exclue pas d'autres langues, mais leur enseignement n'est pas obligatoire.

7.2 La politique d'enseignement bilingue de 1987

Le Décret ministériel n° 52-1987 sur la politique d'enseignement bilingue de 1987 reprend les grandes lignes du programme d'enseignement bilingue (Bilingual Education Program: BEP) aux Philippines élaboré en 1974 dans le Décret ministériel n° 25. Les objectifs de la politique d'enseignement bilingue sont présentés à l'article 2.2 du décret de 1987:
 

Article 2.1

La politique en matière d'enseignement bilingue vise à acquérir des compétences en filipino et en anglais au niveau national, grâce à l'enseignement des deux langues et à leur emploi comme support de l'instruction à tous les niveaux. Les langues régionales doivent être utilisées comme langues auxiliaires en première et deuxième années. L'aspiration des Philippins à leur permettre d'exercer leurs fonctions et leurs obligations de citoyens en filipino et en anglais est de répondre aux besoins du pays dans la communauté des nations.

Article 2.2

Les objectifs de la politique d'enseignement bilingue sont les suivants:

1. un apprentissage amélioré au moyen de deux langues pour parvenir à une éducation de qualité, conformément à la Constitution de 1987;
2. la
propagation du filipino comme langue d'alphabétisation;
3. le développement du filipino comme symbole linguistique de l'unité et de l'identité nationales;
4. la culture et l’élaboration du filipino en tant que langue du discours scientifique, c’est-à-dire de son intellectualisation continue; et
5. le
maintien de l'anglais en tant que langue internationale pour les Philippines
et en tant que langue scientifique et technologique non exclusive.

Quant au filipino et à l'anglais, ils doivent être considérés comme un support dans l’enseignement :
 

Article 2.3

Le filipino et l’anglais doivent être utilisés comme support d’enseignement, son emploi étant attribuée à des matières spécifiques du programme, tel qu'il est prescrit dans le décret ministériel n° 25 de 1974.

Article 2.4

Les langues régionales doivent être utilisées comme support d’enseignement auxiliaire et comme langue initiale pour l’alphabétisation, le cas échéant.

Article 2.5

L'anglais et le filipino doivent être enseignés comme des disciplines linguistiques à tous les niveaux pour atteindre les objectifs d'une compétence bilingue.

Dans ce système d'enseignement bilingue, 19 langues ont été désignées comme langues possibles pour l'enseignement dans les écoles. Il s'agit de huit «langues principales» et/ou «majeures» définies par le nombre relativement élevé de leurs locuteurs (plus d'un million). Ce sont les suivantes: le bikol, l'ilokano, le hiligaynon, le pampanggo, le pangasinan, le sebwano, le tagalog et le waray. Trois autres langues parlées par les Philippins musulmans sont également incluses comme langues «majeures»: le maranaw, le tausug et le magindanaw. De plus, huit autres langues sont également reconnues pour le programme basé sur la langue maternelle: l'ibanag, l'ivatan, le zambal, le chabacano, l'akeanon, le yakan, le kiniray-a et le surigaonon.

Ce nombre de 19 langues peut sembler énorme et déroutant, mais il ne faut pas oublier que plus de 170 langues sont parlées aux Philippines. Notons aussi que ces 19 langues maternelles ne comprennent pas l'anglais, qui est en fait considéré comme une langue maternelle pour certains enfants philippins de la classe supérieure. Ainsi, dans plusieurs écoles privées, des élèves se sentaient plus à l'aise en anglais et finissaient par apprendre le filipino comme langue seconde ou, dans les zones non-tagalog, en tant que troisième langue.

7.3 Le décret n° 335 de 1988

Dès 1988, la présidente des Philippines, Cory Aquino, a promulgué le Décret présidentiel n° 335. Cherchant à promouvoir l'usage du filipino dans les transactions et les communications officielles, la présidente Aquino a ordonné à tous les ministères, les bureaux, les agences et les organismes gouvernementaux de prendre des mesures pour employer la langue filipino dans les transactions, les communications et la correspondance. Ce décret présidentiel assignait également du personnel dans chaque bureau qui était responsable de toute communication et correspondance écrite en filipino. Il obligeait aussi les entités gouvernementales à traduire en filipino les noms des bureaux, des immeubles, des services publics et des enseignes de tous les services, les divisions ou les organismes et, s'il est souhaitable, inscrire ci-dessous en caractères plus petits le texte anglais; il fallait également filipiniser le «serment professionnel» pour les fonctionnaires et le personnel du gouvernement.

On peut consulter le texte complet du Décret présidentiel n° 335, mais on peut aussi s'en tenir au texte reproduit ci-dessous:
 

À PRÉSENT, PAR CONSÉQUENT, MOI, CORAZON C. AQUINO, président des Philippines, j'ordonne à tous les départements, bureaux, offices, agences et instruments du gouvernement d'entreprendre ce qui suit:

1. Prendre des mesures pour améliorer l'emploi du filipino dans toutes les communications officielles, les transactions et la correspondance dans leurs bureaux respectifs, qu'ils soient de juridiction nationale ou locale ;

2. Affecter un ou plusieurs membres du personnel, selon les besoins, à chaque bureau pour prendre en charge toutes les communications et correspondances écrites
en filipino;

3.
Traduire en filipino les noms des bureaux, des immeubles, des services publics et des enseignes de tous les services, les divisions ou les organismes et, s'il est souhaitable, inscrire ci-dessous en caractères plus petits le texte anglais;

4.
Filipiniser le «serment professionnel» pour les fonctionnaires et le personnel du gouvernement;

5. S'assurer, dans le cadre des programmes de formation du personnel, le développement de chaque compétence dans
l’emploi du filipino dans les communications officielles et la correspondance.

Une étude menée en 1989 par l’Université Ateneo de Manille révélait que 92% des Philippins comprenaient le «tagalog», que 88% pouvaient le lire et 81% écrire dans cette langue.

- La Région autonome de Mindanao

En 1989, le Parlement de Manille adopta la Loi organique pour la Région autonome en Mindanao musulmane ("Organic Act of the Autonomous Region of Muslim Mindanao"), donnant ainsi naissance à la Région autonome en Mindanao musulmane (RAMM) en 1990. Sur les 13 provinces consultées du Mindanao, quatre répondirent OUI au référendum et formèrent la région : Lanao del Sur, Maguindanao, Sulu et Tawi-Tawi. Le nouveau gouvernement autonome se vit donner les pouvoirs complets au niveau de l’éducation, de l’agriculture, du tourisme, de l’industrie, etc. Cependant, l'autonomie accordée n'a pas atteint les résultats souhaités avec comme conséquence qu'une longue guerre allait se poursuivre durant quatre décennies entre le gouvernement central et les rebelles sécessionnistes. 

7.4 Les organismes linguistiques

Rappelons que, depuis 1937, il existait un organisme linguistique appelé Institut de la langue nationale ("Institute of National Language") créé par la loi du Commonwealth n° 184: Loi créant un institut de la langue nationale et définissant ses pouvoirs et ses obligations (1936). En 1987, cet institut fut remplacé par l'Institut des langues philippines ("Institute of Philippine Languages") par le Décret présidentiel n° 117 (1987):

Article 3

Déclaration de politique

En tant que politique fondamentale de l’État, il est déclaré que le système d'éducation doit apporter une contribution maximale à la réalisation des objectifs nationaux de développement; que l'État favorise et maintienne l'égalité d'accès à l'éducation et le bénéfice de ses avantages par tous les citoyens; et que l'État utilise l'éducation comme instrument de développement des communautés culturelles de la nation et des communautés démunies pour enrichir leur participation à la vie communautaire et nationale, et pour unifier tous les Philippins en une nation libre et juste.

Article 17

Agences rattachées

Les organismes suivants sont rattachés au Ministère:

a) le Musée national;
b) la Bibliothèque nationale;
c) l'Institut historique national;
d) l'
Institut de langue nationale, renommée par la suite comme l'Institut des langues philippines.

Mais en 1991, la Loi sur la Commission sur la langue filipino, n° 7104 (1991) remplaçait l’Institut des langues philippines (IPL) qui avait elle-même remplacé l’Institut de la langue nationale (1936). Conformément à la section 9 de l'article 14 de la Constitution, la Commission sur la langue filipino (Komisyon ng Wikang Filipino ou KWF) a été créée afin de mener, de coordonner et de promouvoir la recherche, le développement, la propagation et la préservation des langues philippines et des autres langues autochtones des Philippines. Nous présentons ici des extraits de cet article 14:

Article 14

Pouvoirs, fonctions et obligations de la Commission

La Commission, conformément aux dispositions pertinentes de la Constitution, jouit des pouvoirs, fonctions et obligations suivants :

a) Élaborer des politiques, plans et programmes pour assurer davantage de développement, d'enrichissement, de propagation et de préservation du filipino et des autres langues philippines;

b) Édicter des règles, règlements et directives pour mettre en œuvre ses politiques, plans et programmes;

c) Entreprendre ou recevoir des recherches et autres études pour promouvoir l'évolution, le développement, l'enrichissement et la normalisation éventuelle du filipino et des autres langues philippines.

Ceci comprend la collecte des travaux pour une incorporation éventuelle dans un dictionnaire multilingue de mots, expressions, idiomes, dictons, énonciations et autres expressions incluant des mots et expressions des autres langues maintenant employées couramment ou incluses dans la langue véhiculaire;

d) Proposer des lignes directrices, des normes linguistiques et des expressions dans toutes les communications officielles, publications, manuels et autres lectures et documents pédagogiques;

e) Encourager et promouvoir, grâce à un système de primes, des subventions et des bourses, l'écriture et la publication, en filipino et en d'autres langues philippines, d'œuvres originales, y compris des manuels et documents de référence dans diverses disciplines; [...]

La Commission sur la langue filipino compte cinq services administratifs appelés en anglais «divisions»): 

1) La "Division linguistique": ses fonctions principales consistent à entreprendre des recherches continues sur la phonologie, la morphologie, la syntaxe et la sémantique du filipino; il lui faut aussi rédiger une grammaire de référence officielle et une grammaire pédagogique; et étudier les applications possibles de la théorie linguistique moderne et des éléments grammaticaux à l'analyse de la structure du filipino;

2) La "Division lexicographique": elle est chargée d'entreprendre des études sur les problèmes de lexicographie aux Philippines et d’étudier les théories lexicographiques modernes applicables aux dictionnaires philippins; réviser périodiquement les dictionnaires existants et en élaborer des nouveaux afin de répondre aux besoins de communication du gouvernement, des écoles et des autres secteurs de la société; et documenter les changements actuels dans la sémantique et la prononciation;

3) La "Division de la traduction": elle est chargée d’étudier en permanence les problèmes théoriques et pratiques de la traduction liée au filipino et aux autres langues des Philippines; traduire en filipino (et dans d'autres langues philippines si nécessaire) les documents, lois, procédures, manuels et autres documents connexes importants du gouvernement; et traduire en filipino des ouvrages majeurs en littérature et dans les différents domaines de la connaissance;

4) La "Division de l’information et des publications": ses principales fonctions consistent à tenir des registres exacts de toutes les lois, décrets, circulaires administratives et autres textes officiels sur la langue nationale; organiser des formations, des conférences, des séminaires, des ateliers et des forums sur la langue nationale, et coordonner des activités de promotion avec des organismes linguistiques et des associations d'enseignants philippins; et préparer des informations et des associations d'enseignants philippins; et préparer des brochures d'information sur tous les aspects de la langue nationale; 

5) La "Division des autres langues et de la littérature": elle est chargée de recueillir des informations bibliographiques sur les divers groupes ethnolinguistiques, en mettant l'accent sur la langue et la communication interethnique, la littérature orale et écrite, les arts populaires et la culture; la collecte, la réalisation d'études et la préservation des documents disponibles, des reliques et des artefacts de la culture locale.

Dans les faits, la commission semble avoir donné peu de résultat en raison d'un manque de fonds et des allégations de corruption. Bref, le filipino est toujours considéré comme une langue peu adaptée au point de vue des lexiques techniques et scientifiques.

La Commission sur la langue filipino (ou KWF: Komisyon sa Wikang Filipino) a adopté en 1992 une résolution qui définissait la langue nationale, le filipino, comme la langue parlée dans la région métropolitaine de Manille et d'autres centres d'affaires du pays; elle est aussi employée comme langue de communication entre les groupes ethniques.

Resolusyon Blg. 92-1

NAGLALAHAD NG BATAYANG DESKRIPSYON NG FILIPINO


[...]

Ito ay ang katutubong wika, pasalita at pasulat, sa Metro Manila, ang Pambansang Punong Rehiyon, at sa iba pang sentrong urban sa arkipelago, na ginagamit bilang wika ng komunikasyon ng mga etnikong grupo. Katulad ng alinmang wikang buhay, ang Filipino ay dumaraan sa proseso ng paglinang sa pamamagitan ng mga panghihiram sa mga wika ng Pilipinas at mga di-katutubong wika at sa ebolusyon ng iba’t ibang baryedad ng wika para sa iba-ibang sitwasyong sosyal, sa mga nagsasalita nito na may iba’t ibang sanligang sosyal, at para sa mga paksa ng talakayan at matalisik na pagpapahayag.

Pinagtibay ngayon ika-13 araw ng Mayo, 1992.

Résolution n° 92-1

DESCRIPTION DE BASE DE DE LA LANGUE FILIPINO


[...]

C'est la langue maternelle, orale et écrite, dans la région métropolitaine de Manille, la région de la capitale nationale, et dans d'autres centres urbains de l'archipel, qui est utilisée comme langue de communication entre les groupes ethniques. Comme avec n’importe quel langage de la vie, le filipino traverse le processus de développement au moyen des emprunts aux langues Philippines et aux langues autochtones et par l’évolution des groupes linguistiques différents pour diverses situations sociales, avec leurs locuteurs possédant des compétences sociales et pour des sujets de discussion et des expressions subtiles.

Adoptée en ce jour du 13 mai 1992.

- Le premier dictionnaire monolingue en filipino

En 2001, le SWF («Centre pour la langue filipino»; anglais: "Center for the Filipino Language") ou Sentro ng Wikang Filipino en filipino, a créé un dictionnaire filipino monolingue: le UP Diksiyonaryong Filipino. Ce dictionnaire constitue l''un des premiers ouvrages philippins du genre rédigés entièrement en filipino, sans définitions en anglais ni référence à cette langue. Bien que le dictionnaire contienne de nombreux mots anglais et espagnols couramment utilisés, il accueille aussi de nombreux mots du vieux tagalog et des milliers de mots provenant de toutes les langues des Philippines. Bref, il rassemble la richesse lexicale de tout le pays. La deuxième édition de plus de 200 000 entrées fut publiée le 29 juillet 2010, ce qui coïncidait avec le centenaire de l’Université des Philippines qui administre, rappelons-le, le Centre pour la langue filipino. Il est probable que les générations futures qui fréquenteront le système d'éducation philippin découvriront ce trésor et l’utiliseront pour former une langue philippine véritablement nationale.

Aujourd'hui, c'est l'Université des Philippines qui joue le rôle le plus important pour la promotion du filipino dans le pays. Le gouvernement des Philippines n'est plus le véritable pouvoir concernant la promotion du filipino. Suivant le modèle de l'Université d'Oxford (Royaume-Uni) en tant qu'autorité pour l'anglais, l'Université des Philippines a maintenant assumé ce rôle pour le filipino. D'ailleurs, le Centre pour la langue filipino a mené de nombreux projets visant à développer une langue nationale cohérente et inclusive.

L'Université des Philippines Diliman est la plus grande université autonome des établissements universitaires des Philippines. L'université et son campus sont situés à Diliman, Quezon City. 

En 2013, la Commission sur la langue filipino (Komisyon sa Wikang Filipino) a publié l'Orthographe nationale ("Ortograpiyang Pambansa"), un ensemble de lignes directrices qui apportaient une solution aux problèmes de représentation phonémique soulevés dans l'écriture de certaines langues des Philippines.

7.5 L'usage du philippin

En décembre 2007, la présidente des Philippines Gloria Macapagal Arroyo (2001-2010), annonça que l'espagnol deviendrait une matière obligatoire dans toutes les écoles publiques à partir de 2008. Par la suite, le sous-secrétaire du département de l’Éducation, Vilma L. Labrador, émit une circulaire, le mémorandum n° 17-XII- 2007 sur la «restauration de la langue espagnole dans l'éducation philippine». Mais cette directive ne s'est jamais concrétisée. Rappelons que la Constitution exige que «la promotion de l'espagnol et de l'arabe se fait sur une base volontaire et facultative». Suite à tout cela, quelques écoles privées, principalement destinées à l'élite, ont inclus l'espagnol dans leur programme. Quant à l''arabe, il est enseigné dans les écoles islamiques.

En 2010, Gloria Macapagal Arroyo devint membre de l'Académie philippine de langue espagnole (esp.: Academia Filipina de la Lengua Española; filipino: Akademyang Pilipino ng Wikang Kastila). Cette académie est reconnue comme pouvant jouer à nouveau un rôle-clé dans la revitalisation de la langue espagnole et la promotion de la culture espagnole aux Philippines. Polyglotte, Gloria Macapagal Arroyo pouvait s'exprimer couramment non seulement en anglais, en filipino et en espagnol, mais aussi en français et en plusieurs langues philippines (kapampangan, ilokano, hiligaynon, pangasinense, bikol et cebuano. Elle fut emprisonnée de 2011 à 2016 pour s’être appropriée des fonds publics destinés à des programmes caritatifs lorsqu'elle était présidente.
 

Le 30 juin 2010, Benigno Aquino III, dit Noynoy, fils de l'ex-présidente Corazon Aquino (1933-2009) et de l'ancien sénateur Benigno Aquino (1932-1983), devenait le 15e président des Philippines (mandat de 2010 à 2016). Le principal accomplissement d'Aquino III fut la conclusion d'un accord de paix avec le Front moro islamique de libération, (FMIL) en octobre 2012. L'accord prévoyait une nouvelle région autonome sur les bases de la précédente, le Bangsamoro, qui devait conclure quatre décennies de conflit meurtrier. Cependant, le FMIL avait accepté de rendre ses armes, mais le FMLN (le Front moro de libération nationale) promettait de continuer à lutter pour l’indépendance si le gouvernement ne reniait pas le nouvel accord avec le FMIL. Même si la reprise des combats ne paraissait pas imminente, le vœu renouvelé d’indépendance de la part du FMLN rendait toute paix incertaine.

Tout au cours de son mandat, le président Aquino III fut préoccupé par le sort de la langue filipino, sa langue maternelle. Le 26 juillet 2010 marqua une première dans l'histoire des Philippines du fait qu'un président utilisait la langue filipino dans son Discours sur l'état de la nation (en anglais: State of the Nation Address souvent  abrégé en SONA; en filipino: Talumpatì sa Kalagayan ng Bansâ).

Dans son premier Discours sur l'état de la nation, le président exhorta les citoyens de son pays à être fier d'utiliser la langue filipino comme patrimoine historique et comme moyen d'unité de la nation. Voici un court passage d'une allocution du 19 août 2013 devant le Commission sur la langue filipino (KWF) lors de l’ouverture du premier Congrès national sur la langue:
 

Ang isang bagay na dapat ay nagbubuklod sa atin, nagiging mitsa pa ng di-pagkakasunduan. Ang wikang dapat ay bumubuo at tumatahi sa libu-libo nating mga kapuluan, ay siya pang pumupunit sa mga prinsipyong naghuhulma sa ating kasaysayan.

Trabaho kong iulat sa kanila kung ano ang totoo, sa paraang simple at pinakanauunawaan ng madla.Higit sa lahat, Filipino ang gamit ko sa tuwing kaharap ang aking mga Boss, dahil alam kong ito ang wikang pinakamalapit sa kanilang puso.

[La chose qui devrait nous unir réveille nos désaccords. La langue qui devrait parachever et réunir nos milliers d'îles est la même langue qui détruit les principes façonnant notre histoire.

Il est de mon devoir de rapporter la vérité de la manière la plus simple et la plus compréhensible pour le public. Plus important encore, j'utilise le filipino chaque fois que je me présente devant mes patrons, car je sais que c'est la langue la plus proche de leur cœur]

Ses «patrons», ce sont les citoyens philippins. Depuis 1935, tous les présidents des Philippines avaient utilisé l'anglais pour s'adresser aux citoyens en public. Le premier président philippin, Emilio Aguinaldo (1897-1901), avait, lui, employé surtout l’espagnol dans ses déclarations officielles. Le président Joseph Estrada (1998-2001) a également utilisé de façon occasionnelle le filipino dans ses discours, mais c'est Aquino III qui fut le plus cohérent, car il ne s'est jamais détourné de cette règle de recourir au filipino tout au long de son mandat. Certains observateurs ont salué la décision d’Aquino d’utiliser le filipino, ce qui l’aurait apparemment rapproché de la population. Cependant, les non-Tagalogs lui ont reproché de recourir à une langue qui n'est pas parlée par tous. Paradoxalement, personne ne reprochait aux autres présidents d'utiliser l'anglais, alors ce n'était la langue maternelle que d'une infime minorité de Philippins. Dans les faits, le filipino est la langue maternelle ou la première langue (L1) pour environ 30% de la population du pays, mais c'est la langue seconde (L2) pour plus de 80 % de la population, contre seulement 40% pour l'anglais (L2).

7.6 Le changement de nom du pays

En 1978, un membre du Congrès avait déposé un projet de loi (n° 195) destiné à changer le nom de Pilipinas (Philippines en français et en anglais) en Maharlika, ce qui signifie «noblesse royale». Le président de l'époque, Ferdinand Marcos, aurait accepté ce nouveau nom, mais il n'y aurait jamais donné suite.  

En 2013, alors qu'un débat avait lieu à la suite d'une résolution de la Commission sur la langue filipino (KWF) visant à remplacer le nom de "Pilipinas" (provenant de l'espagnol) par "Philippines" (nom officiel en anglais), le président Benigno Aquino III déplorait que la politique linguistique de son pays en vienne à susciter la discorde plutôt que l'unité. 

En juin 2017, un député de la Chambre des représentants, Gary Alejano, a présenté un projet de loi (House Bill 5867) appelé Act Constituting a Geographic Renaming Commission to Rename our Country dans le but de changer le nom des Philippines afin de supprimer tout lien avec le colonialisme espagnol et de devenir «véritablement indépendant», près de cinq siècles après que les colonisateurs espagnols aient nommé le pays en l'honneur du roi Philippe II, une simple traduction du nom espagnol original "Felipe" en "Filipinas".

Pour ce faire, le député a proposé la création d'une "Geographic Renaming Commission" (un «commission de changement de nom de lieu») dans le but d'étudier la possibilité de changer le nom des Philippines. Le député Alejano a déclaré: «Si nous voulons être vraiment indépendants, nous devons écarter les liens du colonialisme en établissant notre propre identité nationale. Pour que notre pays progresse, nous devons avoir un nom qui reflète véritablement nos aspirations nationales, nos valeurs et notre autodétermination.» Alejano a déploré que les Philippines aient choisi de conserver une appellation imposée par les colonisateurs espagnols. Finalement, le projet de loi n° 5867 de 2017 a été rejeté par la majorité parlementaire acquise au président Rodrigo Duterte. Les députés ont considéré que le pays devrait régler des problèmes plus urgents. Rappelons que le député Gary Alejano faisait partie de l'opposition dont les membres étaient minoritaires à l'Assemblée.

Celui qui a succédé à Benigno Aquino III à la présidence ces Philippines, Rodrigo Ducerte, a le cebuano comme langue maternelle, et non pas le filipino. Outre le cebuano, il parle l'anglais et le filipino. Pour lui, la question linguistique n'est pas véritablement importante; il n'est pas prêt à se battre pour la promotion du filipino. Ducerte est très populaire auprès des Philippins, car son populisme plaît aux gens qui peuvent s'identifier à lui. Son expression préférée semble être «fils de pute» (en anglais: "son of a whore"), un qualificatif qui est décerné à beaucoup de monde, y compris le pape de l'Église catholique. En filipino, le qualificatif se dit ainsi: "anak ng isang kalapating mababa ang lipad". Le président philippin dit qu'il est plus urgent de s'attaquer aux problèmes de main-d'œuvre, notamment les bas salaires, le chômage et la répression syndicale, sans oublier la drogue.  

7.7 La Région autonome de Bangsamoro (2018)

En 2012, un accord de paix préliminaire a été signé dans le palais de Malacañan entre le Front de libération islamique Moro et le gouvernement des Philippines. Il s’agit de l’Accord-cadre sur le Bangsamoro, qui prévoyait la création d’une entité politique autonome appelée «Bangsamoro» et devant remplacer la Région autonome en Mindanao musulmane (ARMM). Or, de nombreux groupes autochtones de la région de Bangsamoro n'adhèrent ni au catholicisme ni à l’islam, ce qui les rend vulnérables à l’exploitation d’un projet de gouvernement régional contrôlé par les musulmans. En 2015, divers groupes de populations autochtones ont rejeté la formation du Bangsamoro en raison du manque de consultation de toutes les parties prenantes, en particulier des populations autochtones non musulmanes qui constituent une énorme minorité dans la région proposée.

Finalement, en juillet 2018, la loi instituant une région autonome pour les communautés musulmanes du sud des Philippines a été signée le 26 juillet par le président Rodrigo Duterte. Il s'agit de la Loi organique de Bangsamoro (loi de la République n° 11054), également connue sous le nom de Loi fondamentale de Bangsamoro (Bangsamoro Basic Law). Elle crée ainsi une nouvelle région autonome sur les bases de la précédente. Cette nouvelle entité sera connue sous le nom de Région autonome de Bangsamoro, qui comprend six provinces: Basilan, Lanao del Sur, Maguindanao, Sulu et Tawi-Tawi. L'autonomie accordée doit être progressive jusqu’en 2022 et vise à mettre fin à plus de quatre décennies de conflit armé et meurtrier à Mindanao entre forces gouvernementales et groupes rebelles musulmans sécessionnistes. Un futur référendum est prévu pour ratifier la loi et créer effectivement la Région autonome de Bangsamoro.

En ce qui concerne les langues, le gouvernement philippin déploie aujourd'hui très peu d'efforts pour promouvoir la langue nationale, le filipino. Au contraire, il insiste pour faire la place à plus d’enseignement de l’anglais dans les écoles sous prétexte que c'est nécessaire pour satisfaire les demandes des entreprises étrangères opérant aux Philippines. Dans le même temps, l'organisme de réglementation officiel de la langue nationale, la Commission sur la langue filipino, est généralement considéré comme inefficace. Bref, le gouvernement des Philippines est voué à la promotion de l'anglais comme si c'était un pays anglophone. Après les États-Unis et le Royaume-Uni, les Philippines seraient devenus le pays le plus anglophone et le plus anglophile de la planète. Cela signifie que ce pays ne s'est jamais affranchi du colonialisme et qu'il est demeuré assujetti à la fois de la religion des Espagnols (le catholicisme) et de la langue des Américains (l'anglais).

Cette situation peut s'expliquer par la mainmise américaine en éducation et par l'appui de l’élite philippine à constituer une mémoire collective favorable à l'omniprésence américaine. Dès l'indépendance des Philippines, l’enseignement de l’histoire a toujours idéalisé l'aide des États-Unis dans la guerre contre les Espagnols en omettant toute confrontation avec les Américains, alors que cette conquête ne s'est pourtant pas réalisée sans violence et sans pertes humaines. Toute la culture collective des Philippins les a amenés à croire que le «petit frère philippin» ne serait rien sans l'aide du «grand frère américain». Or, peu de Philippins sont conscients que leur pays pratique une véritable politique de sujétion.

Une telle politique s'apparente au néocolonialisme dans la mesure où un pays industrialisé et puissant rend un autre pays assujetti et dépendant du capital étranger. Cela peut être considéré comme une nouvelle forme d’exploitation des peuples, laquelle ne repose plus directement sur le contrôle politique, mais sur des mécanismes économiques plus insidieux exercés par des firmes multinationales, essentiellement américaines. Pour les divers mouvements nationalistes philippins, cette relation néocoloniale demeure une subordination économique et culturelle aux intérêts d'une grande puissance. Le rôle de la langue anglaise aux Philippines reflète bien cette situation aux dépens de la langue nationale. Le fait que les Philippins semblent lentement délaisser le filipino pour parler le taglish, un mélange d’anglais et de tagalog, accentue ce phénomène de dépendance.

Dernière révision: 30 déc. 2023
 

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