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(5) La politique linguistique et la Charte de la langue française |
Remarque: cette page ne tient pas compte encore de l'adoption de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, adoptée par l'Assemblée nationale du Québec le 24 mai 2022 et sanctionnée le 1er juin 2022. Cette loi modifie considérablement la Charte de la langue française de 1977, mais ne l'abroge pas.
La victoire électorale du Parti québécois, au soir du 15 novembre 1976, a marqué un tournant décisif dans la politique linguistique du Québec. Héritier des réformes amorcées par la Révolution tranquille, le gouvernement de René Lévesque a poursuivi la politique de l'État interventionniste en l'appliquant au domaine de la langue. On a dû reprendre les conclusions du Rapport Gendron, mais en allant beaucoup plus loin que le gouvernement précédent. Les francophones ont salué comme un événement historique cette loi qui venait modifier complètement les règles du jeu entre l'anglais et le français. La Charte de la langue française, souvent plus connue sous son nom officieux de loi 101, a été adoptée en 1977, soit un an après l'arrivée au pouvoir du Parti québécois.
La stratégie linguistique de la Charte de la langue française reposait sur trois principes généraux visant à corriger les problèmes qui traînaient en longueur depuis plusieurs décennies:
a) endiguer le processus d'assimilation et de minorisation des francophones;
b) assurer la prédominance socio-économique de la majorité francophone;
c) réaliser l'affirmation du fait français.
Étant donné que la population québécoise était formée (en 1971) de 80,8 % de francophones, de 14,7 % d'anglophones et de 4,5 % d'allophones, il importait que le français, plutôt que l'anglais, devienne la langue commune de tous les Québécois. C'est pourquoi la majorité devait obtenir s'imposer devant les minorités. D'où le rejet du bilinguisme officiel ou généralisé dont l'expérience passée a démontré qu'il constituait la plus grande menace à la vitalité du français, parce qu'il entraînait la dégradation de la langue de la majorité, favorisait l'unilinguisme des anglophones et assurait la prédominance de l'anglais dans tous les secteurs.
En somme, la Charte de la langue française témoignait du fait que les Québécois francophones pouvaient se comporter comme une majorité et utiliser les pouvoirs politiques dont ils disposaient. Il faut bien se rendre compte qu'une simple loi provinciale, adoptée par un État non souverain, constitue un véritable exploit, probablement unique au monde, du moins, à ce moment-là. De façon générale, il n'est pas courant qu'un État non souverain protège «trop» sa langue régionale aux dépens de la langue majoritaire à l'échelle nationale.
Si le Québec a pu le faire, c'est parce que, d'une part, la Constitution canadienne ne prévoyait à peu près rien en ce qui concerne les pouvoirs des provinces en matière de langue (sauf l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867), d'autre part, parce le Québec constitue une minorité forte au sein de la fédération canadienne et qu'il a su tirer profit de la situation. Enfin, le gouvernement a pu agir parce quil tentait de renverser une situation jugée anormale en faisant porter le poids du bilinguisme dans la vie publique sur la minorité anglophone plutôt que sur la majorité francophone.
L'article 1er de la Charte de la langue française proclame que «le français est la langue officielle du Québec». Cette loi va beaucoup plus loin que la précédente loi 22 (Loi sur la langue officielle, 1974), tant par l'affirmation du français dans tous les domaines que par son caractère coercitif. Le français devient la langue de la législature et de la justice, de l'administration publique, des organismes parapublics et des ordres professionnels, du travail, du commerce, des affaires, de l'enseignement, de l'affichage; bref, c'est la langue pour tous, pour tout, partout.
Les articles 7 à 13 de la Charte de la langue française déclarent que le français est la langue de la législature et de la justice au Québec. À l'origine de la loi, le Parlement devait rédiger et sanctionner les lois uniquement dans la langue officielle tout en offrant une version anglaise. Dans les tribunaux provinciaux, les personnes morales devaient plaider dans la langue officielle et les jugements devaient être rendus en français; les personnes physiques pouvaient utiliser la langue de leur choix.
2.1. L'intervention de la Cour suprême
On connaît le sort fait par la Cour suprême du Canada à cette partie de la loi. En 1979, la Cour suprême décréta inconstitutionnelle les dispositions de la loi 101 touchant à la langue de la législation et des tribunaux (chapitre III) parce qu'elles étaient incompatibles avec l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui exige le bilinguisme dans ces institutions au Québec. Selon la Cour, le Québec n'avait pas le droit de déclarer que le français était la seule langue officielle de la législation et des tribunaux, même si, dans les faits, la loi permettait à tout anglophone de s'exprimer en anglais au Parlement ainsi que dans toutes les cours de justice québécoises. De par le Constitution canadienne de 1867, le français et l'anglais demeurent les deux langues officielles dans ces domaines. D'ailleurs, vingt ans plus tard, le «père de la loi 101», Camille Laurin (le ministre qui avait présenté à l'époque le projet de loi à l'Assemblée nationale), reconnaissait qu'il savait très bien que ces dispositions étaient inconstitutionnelles. Il affirmait alors aux médias: «On a fait exprès pour mettre ces articles. Ça nous a donné l'occasion de déchirer nos chemises en public, de démonter aux Québécois qu'ils constituent un peuple dominé et d'affirmer que seule l'accession à la souveraineté permettra de rétablir la loi dans son intégralité.» C'est clair, en effet!
2.2. Une loi réparatrice
C'est pourquoi le Québec se résolut à adopter une «loi réparatrice» dont le long titre est le suivant: Loi concernant un jugement rendu par la Cour suprême du Canada le 13 décembre 1979 sur la langue de la législation et de la justice au Québec. La loi déclare valide la version anglaise des lois adoptées seulement en français (art. 1). L'article 5 annonce toutefois que, en cas de divergence entre les textes français et anglais, le texte français prévaut. L'article 9 de la Charte de la langue française est plus précis: «Seul le texte français des lois et des règlements est officiel.»
L'article 11 de la Charte de la langue française prévoit que les personnes morales s'expriment en français dans les tribunaux, mais elles peuvent le faire en anglais si toutes les parties en cause consentent à utiliser l'anglais. Quant aux individus, ils peuvent utiliser la langue de leur choix; dans ce cas, les pièces de procédure sont écrites en français ou en anglais.
On entre ici dans un domaine plus sûr puisqu'il s'agit de la langue du gouvernement, de ses ministères et autres organismes d'État. Les articles 14 à 29.1 de la Charte de la langue française décrètent l'unilinguisme officiel dans les cas suivants: «Le gouvernement, ses ministères et les autres organismes de l'Administration utilisent uniquement la langue officielle, dans leurs communications écrites entre eux» (art. 17).
La loi prévoit cependant des exceptions (art. 15): les personnes physiques peuvent s'adresser à l'administration dans une autre langue, et les organismes municipaux ou scolaires, les services de santé ainsi que les services sociaux ont le droit d'utiliser une autre langue s'ils fournissent leurs services à des personnes en majorité autres que françaises. Dans les cas prévus par le Règlement, l'affichage des organismes municipaux et des services de santé peut être bilingue mais avec prédominance du français. Mais, dans la signalisation routière, seule la langue officielle devait être permise (art. 29), cet article ayant été abrogé en 1993.
3.1 Les municipalités bilingues
En 1983, le gouvernement du Québec adoptait des modifications importantes à la Charte de la langue française en élargissant les droits linguistiques de la communauté anglophone: bilinguisme institutionnel pour les organismes de langue anglaise, droit des municipalités majoritairement anglaises de conserver une désignation bilingue, droit des organismes publics officiellement anglophones d'utiliser l'anglais dans les communications internes (art. 26 à 28).
L'article 29.1 reconnaît qu'une municipalité est bilingue
lorsque plus de la moitié des résidents de son territoire sont de langue
maternelle anglaise:
Article 29.1 L’Office doit reconnaître, à sa demande :
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Cette règle du 50 % apparaît relativement sévère, car en règle générale les États admettent un seuil moins élevé. Par exemple, selon l’article 5 de la Loi sur les langues de 2004, la Finlande applique la règle des 6 % et 8 %, selon laquelle si la minorité constitue 8 % et plus de la population d'une municipalité, le bilinguisme officiel est obligatoire pour tout ce concerne les services administratifs, gouvernementaux ou municipaux. Si la minorité constitue 6 % et moins de la population, la municipalité perd son statut bilingue; en conséquence, la minorité ne conserve aucune reconnaissance, sauf au gouvernement central.
En vertu de la loi, le français est la langue officielle des municipalités au Québec. Toutefois, les municipalités ou organismes publics «reconnus» ont le droit d'offrir des services dans une autre langue que le français, mais cette reconnaissance ne procure en elle-même aucune garantie de services en anglais aux administrés. De fait, les documents officiels (avis de convocation, procès-verbaux, résolutions) doivent quand même être établis en français, ou à la fois en français et dans l'autre langue, et les salariés de ces organismes ont droit à des directives et communications écrites en français, ou à la fois en français et dans l'autre langue. Cette forme de bilinguisme s'applique aussi à l'affichage des noms de rues (odonymes) dans les municipalités et arrondissements reconnus.
Dans les faits, beaucoup de municipalités offrent des services bilingues, et ce, même si la proportion des anglophones est située en-deçà de 30 % ou même à moins de 20 %. Il s'agit là d'une des «subtilités» de la Charte de la langue française. Ainsi, la Ville de Montréal, bien qu'elle n'est pas dans l’obligation de rédiger ses règlements en anglais, elle rend plusieurs d'entre eux disponibles en anglais, en plus de la version originale française. Un citoyen peut même employer l’anglais devant un tribunal municipal.
3.2 La signalisation routière
Au point de vue administratif, le Québec a maintenu l'unilinguisme dans la signalisation routière (sauf dans des cas très exceptionnels pour des questions de sécurité).
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En 1982, un décret faisait obligation d'employer uniquement le mot ARRÊT sur tous les panneaux de signalisation routière au Québec afin d'indiquer l'obligation d'arrêter à une intersection. Au point de vue administratif, il s'agit du «panneau P-10» indiquant le «panneau d'arrêt obligatoire» de forme octogonale sur fond rouge. Le mot STOP est considéré comme un mot «anglais». L'emploi de STOP ou ARRÊT a suscité la controverse jusqu'à l'Assemblée nationale après l'adoption de la loi 101 en 1977. Le mot STOP a été jugé à ce moment-là comme inacceptable au Québec parce que ce terme est employé dans toute l'Amérique du Nord. Afin de faire plus «français», ou plus «québécois», et d'exprimer l'identité particulière de la province, le mot ARRÊT fut considéré préférable. Les politiciens ont aussi décidé que les Québécois n'avaient pas à imiter les Français qui, eux, utiliseraient beaucoup trop d'anglicismes. Par contre, on trouve partout le panneau CONSTRUCTION (sens ambigu) au lieu de TRAVAUX sur toutes les routes du Québec, ainsi que DÉTOUR au lieu de DÉVIATION. |
Puis le décret du 15 décembre 1992 du ministre des Transports du gouvernement du Québec renversa le décret de 1982, puisque le mot STOP était tout aussi français, Depuis ce dernier décret, l'utilisation des termes ARRÊT ou STOP au Québec est conforme à la réglementation à la condition que les deux termes ne figurent pas sur le même panneau, le Québec n'étant pas bilingue. Depuis lors, des villes de la région montréalaise comptant une forte présence d'anglophones (Ville Mont-Royal, Côte-Saint-Luc, Dollard-des-Ormeaux, Westmount, etc.) ont remplacé leurs panneaux ARRÊT par STOP. Le panneau ARRÊT constitue pour certains anglophones «un symbole infâme d'un Québec rigide dans une politique du tout-français» (''infamous symbol of Quebec's rigid French only policy''), car même en France on emploie le mot STOP.
Par ailleurs, les Inuits et les Amérindiens du Québec ont le droit d'afficher dans leurs municipalités des panneaux unilingues ou bilingues (avec le français, ce qui n'exclut pas STOP) en inuktitut, en cri, en innu, en huron, etc. Au Nouveau-Brunswick, on utilise des panneaux bilingues avec STOP au-dessus du mot ARRÊT; on fait de même dans certaines régions de l'Ontario et à Ottawa. Ainsi, au Canada, le mot STOP est anglais, le mot ARRÊT, français.
Quant au Règlement sur l'affichage de l'Administration, il permet l'affichage dans une autre langue avec nette prédominance du français dans deux cas, soit celui des avertissements destinés aux automobilistes qui arrivent au Québec (par exemple : «détecteurs de radar interdits», «radar detectors prohibited»), et celui des messages publicitaires d'organismes à vocation commerciale, comme la SAQ (Société des alcools du Québec) ou Loto-Québec. Ce même règlement autorise enfin le bilinguisme dans les messages affichés sur les sites touristiques, dans les musées et expositions, etc., pourvu que la présentation du français soit au moins équivalente à celle de l'autre langue.
Les 11 articles (art. 30 à 40) du chapitre V portant sur la langue des organismes parapublics s'adressent essentiellement aux «ordres professionnels»: médecins, dentistes, optométristes, infirmiers et infirmières, ingénieurs, etc. En vertu de l'article 35 de la Charte de la langue française: «Les ordres professionnels ne peuvent délivrer de permis au Québec qu'à des personnes qui ont de la langue officielle une connaissance appropriée à l'exercice de leurs fonctions.» Toutefois, tout personne résidant au Québec de façon temporaire peut se faire attribuer un permis «pour une période d'au plus un an» et l'Office de la langue française (depuis le 13 juin 2002: l'Office québécois de la langue française) peut autoriser les renouvellements.
Il est très rare qu'une loi linguistique aborde des domaines tels que la langue du travail, la langue du commerce et des affaires, la langue de l'affichage. On en voit des exemples aujourdhui dans des États comme la Lituanie, lEstonie, la Lettonie et la Croatie.
De telles dispositions en la matière témoignent du souci du législateur d'intervenir dans ces domaines pour favoriser la promotion socio-économique du groupe majoritaire. Il en est ainsi lorsque la langue majoritaire (Québec, Lituanie, Estonie, Lettonie, Croatie) a jadis perdu ses droits de majoritaire. Le chapitre VI (art. 41 à 50) de la Charte de la langue française fixe des conditions et des normes de francisation poussée en matière de communications, d'offres d'emploi, de conventions collectives, de sentences arbitrales, le tout accompagné de sanctions destinées à décourager les contrevenants aux dispositions du chapitre VI.
Par exemple, non seulement un employeur ne peut refuser d'embaucher une personne sous prétexte qu'elle ne connaît que la langue officielle, mais dans le cas où la connaissance d'une autre langue est nécessaire «il incombe à l’employeur de démontrer au commissaire du travail ou à l’arbitre que l’accomplissement de la tâche nécessite la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que le français» (art. 46). Ici, l'intention du législateur est sans équivoque; elle se conforme à l'article 4 des droits fondamentaux selon lequel les travailleurs québécois ont le droit de travailler en français.
Le chapitre VII (art. 51 à 71) de la Charte de la langue française est la suite logique de celui portant sur la langue du travail en fixant le cadre linguistique dans lequel s'effectuent les activités commerciales. Il s'agit de 21 articles détaillés couvrant toutes les informations écrites offertes aux consommateurs de biens et services: inscriptions sur les produits, catalogues, brochures, dépliants, contrats d'adhésion, bons de commande, certificats de garantie, modes d'emploi, formulaires de demande d'emploi, menus de restaurants, cartes des vins, etc. La loi oblige de fournir tous ces renseignements en français.
6.1 La législation d'origine et l'affichage commercial
En ce qui a trait à l'affichage,
la Charte de la langue française stipulait, jusqu'en décembre
1988, que la publicité commerciale et l'affichage public se faisaient
uniquement dans la langue officielle: le français. Cela signifiait
que tous les domaines de l'affichage étaient touchés: propriétés
et édifices gouvernementaux, administrations municipales, signalisation
routière, toponymie, raisons sociales, publicité commerciale,
etc. À l'origine, l'article 58 a été modifié à plusieurs reprises (1983, 1988 et
1993) se lisait
comme suit en 1977 :
Article 58
(original 1977) L'affichage public et la publicité commerciale se font uniquement dans la langue officielle. Sous réserve des exceptions prévues par la loi ou par les règlements de l'Office de la langue française, l'affichage public et la publicité commerciale se font uniquement dans la langue officielle. |
Article 58 (en vigueur) L'affichage public et la publicité commerciale doivent se faire en français. Ils peuvent également être faits à la fois en français et dans une autre langue pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante. Toutefois, le gouvernement peut déterminer, par règlement, les lieux, les cas, les conditions ou les circonstances où l'affichage public et la publicité commerciale doivent se faire uniquement en français ou peuvent se faire sans prédominance du français ou uniquement dans une autre langue. |
La loi 101 prévoyait, en effet, de nombreux accommodements à l'intention des minorités. L'affichage bilingue ou multilingue (avec toute autre langue que le français) était en effet permis à l'intérieur des édifices publics ou commerciaux dans certaines conditions. Il s'agit principalement des organismes municipaux à majorité anglophone, des institutions scolaires, des services de santé, des services sociaux, des petites entreprises de moins de quatre employés, ainsi que de toute affiche destinée à des fins culturelles ou ethniques. De plus, l'unilinguisme autre que français était également permis pour des messages à caractère religieux, politique, humanitaire ou idéologique, c'est-à-dire pour des informations transmises par tout organisme sans but lucratif. On peut lire un extrait de la lettre que René Lévesque, alors premier ministre du Québec, adressait au président dAlliance Québec, un puissant lobby anglophone à cette époque. Quoi qu'il en soit, les articles 58, 59 et 60 ont fait l'objet d'une longue bataille judiciaire.
6.2 La bataille judiciaire
Le gouvernement imposait les restrictions relatives à l'affichage en anglais en raison du contexte nord-américain. Il semblait normal qu'au Québec tous prennent conscience du caractère distinct de la société québécoise. Une trop grande ouverture à l'usage de l'anglais pourrait ramener au Québec un bilinguisme généralisé, surtout à Montréal. Or, l'affichage unilingue fit l'objet d'une autre bataille judiciaire. Dans un premier jugement rendu le 28 décembre 1984, la Cour supérieure du Québec a invalidé les articles interdisant l'affichage unilingue en soutenant que la loi violait la liberté d'expression consacrée dans la Charte québécoise des droits. Dans un jugement rendu le 15 décembre 1988, la Cour suprême du Canada a confirmé le jugement. Selon la Cour suprême, le Québec a le droit d'imposer l'usage du français, mais ne peut interdire l'anglais: les chartes des droits, canadienne et québécoise, garantissent la liberté d'expression, et ce, même dans le discours commercial.
La loi québécoise a dû être modifiée pour se conformer au jugement rendu par la Cour suprême du Canada. Ce fut l’objet de la loi 1
78 (Loi modifiant la Charte de la langue française, 1988), adoptée par le gouvernement Bourassa, qui provoqua un immense mécontentement dans tout le Canada anglais. Selon les termes de la loi 178 (sanctionnée le 22 décembre 1988), l'unilinguisme français dans l'affichage public et dans la publicité commerciale continuait de prévaloir à l'extérieur des établissements. Même si la loi rendait obligatoire l'affichage en français à l'intérieur des établissements commerciaux (employant moins de 50 personnes mais plus de cinq), elle permettait l'utilisation de toute autre langue (pour les commerces comptant quatre personnes ou moins) pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante.Enfin, plusieurs autres accommodements ont été prévus dans la réglementation, car la loi 178 permettait au gouvernement de déterminer lui-même les modalités et conditions suivant lesquelles l'affichage commercial pouvait être fait à la fois en français et dans une autre langue. Ce fut l’objet du décret 1130-89 du 12 juillet 1989.
De plus, la loi 178 recourait à la clause dérogatoire de la Constitution canadienne. Grâce à cette clause de la Constitution canadienne, l'article 10 de la loi 178 comportait des dispositions visant à assurer la sécurité juridique des règles relatives aux langues de l'affichage. Ainsi, pouvait-on lire à l’article 10 de la loi québécoise:
Article 10 Les dispositions de l'article 58 et celles du premier alinéa de l'article 68, respectivement édictées par les articles 1 et 6 de la présente loi, ont effet indépendamment des dispositions du paragraphe b de l'article 2 et de l'article 15 de la Loi constitutionnelle de 1982 (annexe B de la Loi sur le Canada, chapitre XI du recueil des lois du parlement du Royaume-Uni pour l'année 1982) et s'appliquent malgré les articles 3 et 10 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., chapitre C-2). |
Toutefois, la loi 178 ou Loi modifiant la Charte de la langue française a été condamnée dans tout le Canada anglais parce que le Québec supprimait alors des libertés individuelles – la liberté d’expression – accordée aux anglophones. Un comité des Nations unies a même donné raison aux anglophones à ce sujet tout en précisant que la communauté anglo-québécoise ne pouvait être considérée comme une «minorité» puisqu’elle fait partie de la majorité canadienne. Le 18 juin 1993, la loi 178 était remplacée par la loi 86 (Loi modifiant la Charte de la langue française); quoi qu'il en soit, cette loi 178 serait devenue caduque le 22 décembre de la même année, sauf si elle avait été reconduite, ce qui n'a pas été le cas.
6.3 Une campagne de sensibilisation
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En décembre 2008, une nouvelle campagne visant à sensibiliser les commerçants ainsi que les consommateurs à l’utilisation du français comme langue de service au Québec a été lancée. Cette campagne a été développée autour du thème «ici», principalement dans la région de Montréal, mais aussi en Outaouais et en Estrie. Les consommateurs furent appelés à rechercher le logo aux couleurs de la campagne chez les détaillants avec lesquels ils traitent. Les commerçants qui souhaitaient s’engager à offrir aux consommateurs un service en français pouvaient se procurer le logo à apposer dans leur vitrine. |
C'est l’Office québécois de la langue française qui invitait les commerçants à s’engager à offrir aux consommateurs un service en français à se procurer le logo Ici, on commerce en français. En juillet 2008, le gouvernement de la Communauté autonome du Pays basque a inauguré une campagne similaire avec
la «vignette de compromis linguistique» (Sello de Compromiso Lingüístico). Ce genre d'intervention de la part de l'État québécois (ou basque) témoigne des difficultés à assurer la prédominance de la langue française lorsqu'il existe une importante population anglophone, comme à Montréal et dans l'Outaouais (Gatineau, près de la ville d'Ottawa). Contrairement au Pays basque, les commerçants québécois pouvaient se procurer la fameuse vignette sur une base strictement volontaire, sans aucune vérification. Ainsi, un commerçant anglophone pouvait se procurer le petit logo en question, en sachant très bien qu’il n’était pas en mesure d’offrir un service efficace en français, et l’apposer sur sa vitrine. Comme il n'y avait pas de mesures de réprimande ni d'amendes, il s'agissait d'une campagne de sensibilisation peu efficace, d'autant plus qu'elle devait se terminer le 2 janvier 2009, donc quelques semaines. Au Pays basque, la mesure est coercitive, comme en témoigne le Décret 123/2008 sur les droits linguistiques des consommateurs et usagers (Decreto 123/2008, de 1 de julio, sobre los derechos lingüísticos de las personas consumidoras y usuarias).Le chapitre VIII (art.
72 à 88) de la Charte de la langue française est consacré à la
langue de l'enseignement, domaine qui donna souvent lieu dans le passé aux réactions
les plus passionnées de la part de tous les groupes linguistiques au Québec.
Le premier paragraphe de l'article 72 énonce le principe fondamental de la langue
d'enseignement: «L'enseignement se donne en français dans les classes maternelles,
dans les écoles primaires et secondaires sous réserve des exceptions prévues
au présent chapitre.» L'article 73 prévoit plusieurs exceptions à ce principe:
Article 73
Peuvent recevoir l'enseignement en anglais, à la demande de
l'un de leurs parents, 1o les enfants dont le père ou la mère est citoyen
canadien et a reçu un enseignement primaire en anglais au Canada, pourvu que cet
enseignement constitue la majeure partie de l'enseignement primaire reçu au
Canada; 2o les enfants dont le père ou la mère est citoyen
canadien et qui ont reçu ou reçoivent un enseignement primaire ou secondaire en
anglais au Canada, de même que leurs frères et sœurs, pourvu que cet
enseignement constitue la majeure partie de l'enseignement primaire ou
secondaire reçu au Canada; 3o les enfants dont le père et la mère ne sont pas
citoyens canadiens mais dont l'un d'eux a reçu un enseignement primaire en
anglais au Québec, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de
l'enseignement primaire reçu au Québec; 4o les enfants qui, lors de leur dernière année de
scolarité au Québec avant le 26 août 1977, recevaient l'enseignement en anglais
dans une classe maternelle publique ou à l'école primaire ou secondaire, de même
que leurs frères et sœurs; 5o les enfants dont le père ou la mère résidait au
Québec le 26 août 1977, et avait reçu un enseignement primaire en anglais hors
du Québec, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de
l'enseignement primaire reçu hors du Québec. Il n'est toutefois pas tenu compte de l'enseignement en
anglais reçu au Québec dans un établissement d'enseignement privé non agréé aux
fins de subventions par l'enfant pour qui la demande est faite ou par l'un de
ses frères et soeurs. Il en est de même de l'enseignement en anglais reçu au
Québec dans un tel établissement, après le 1er octobre 2002, par le
père ou la mère de l'enfant. Il n'est pas tenu compte non plus de l'enseignement en anglais
reçu en application d'une autorisation particulière accordée en vertu des
articles 81, 85 ou 85.1. 1977, c. 5, a. 73; 1983, c. 56, a. 15; 1993, c. 40, a. 24;
2002, c. 28, a. 3. |
À l'origine, la loi énonçait qu'il s'agissait des «enfants dont le père ou la mère a reçu un enseignement primaire en anglais au Québec» (et non au Canada). On précisait aussi que la loi concernait «les enfants qui recevaient légalement l'enseignement en anglais dans une école publique du au Québec avant l'adoption de la loi». Rappelons le sort réservé par la Cour suprême, le 26 juillet 1984, à la «clause Québec». En effet, la Cour a déclaré cette clause (l'école anglaise uniquement pour les enfants de ceux qui ont étudié en anglais au Québec) rétroactivement inconstitutionnelle, parce qu'elle était contraire à la Charte canadienne des droits et libertés enchâssée dans la Loi constitutionnelle de 1982.
Depuis cet autre jugement, c'est la «clause Canada» qui s'applique au Québec, tel qu'il est précisé maintenant dans la Charte de la langue française. Dès lors, l'école anglaise est également ouverte aux enfants de ceux qui ont fréquenté une école primaire au Canada.
7.1 Les établissements publics primaires et secondaires
Pour récapituler, tous les enfants doivent fréquenter l'école française au Québec, sauf pour les anglophones dont l'un des parents a reçu un enseignement primaire en anglais au Canada. Cette obligation ne vaut que pour les établissements d'enseignement publics à la maternelle, au primaire et au secondaire (art. 72).
Ajoutons aussi que la loi québécoise prévoit une série d’autres exceptions, notamment pour les enfants dont les parents viennent travailler au Québec pour un temps limité (deux ans et moins). À ce sujet, il existe les règlements suivants:
1. Règlement concernant la demande de recevoir l'enseignement en anglais
Ce règlement prévoit les mesures acceptées pour être admis à l'école anglaise: il faut prouver que l'un des parents a fréquenté l'école primaire anglaise au Québec ou au Canada.
2. Règlement sur l'exemption de l'application du premier alinéa de l'article 72 de la Charte de la langue française qui peut être accordée aux enfants présentant des difficultés graves d'apprentissage
Ce sont principalement les enfants présentant des difficultés graves d'apprentissage qui se manifestent par un retard scolaire généralisé de deux ans ou plus; ou ceux présentant des difficultés d'apprentissage de la communication écrite ou des mathématiques, celles-ci devant être causées par la dyslexie, la dyscalculie ou la dysorthographie caractérisées qui persistent malgré l'intervention corrective d'un enseignant spécialisé; ou encore ceux qui manifestent des difficultés de langage, de perception et de psychomotricité, etc.
3. Règlement sur l'exemption de l'application du premier alinéa de l'article 72 de la Charte de la langue française qui peut être accordée aux enfants séjournant au Québec de façon temporaire
Il s'agit d'un enfant qui n'est pas citoyen canadien et qui séjourne au Québec de façon temporaire parce qu'il est un enfant à charge d'une personne qui n'est pas un citoyen canadien et qui est affectée de façon temporaire au Québec à titre de représentant ou de fonctionnaire d'un pays autre que le Canada ou d'une organisation internationale.
7.2 Les établissements postsecondaires
Il n'existe aucune obligation en ce qui a trait aux établissements postsecondaires, que ce soit les collèges (appelés CEGEP ou cégep: collège d'enseignement général et professionnel), les instituts supérieurs ou les universités. C'est le libre choix qui prévaut en matière de langue. Cela signifie qu'un francophone a le droit de s'inscrire dans un collège ou une université anglophone, comme un anglophone ou un allophone a aussi le droit de fréquenter un établissement francophone.
- Le cégep
Les étudiants ont donc le choix de fréquenter un établissement francophone ou
anglophone. La question d’étendre au cégep l’obligation de fréquenter un
établissement de langue française est revenue régulièrement au cœur
de nombreux militants pour le français au Québec. À ce sujet, plusieurs
arguments ont été véhiculés dans les médias. Ainsi, les jeunes immigrants
allophones qui fréquentent un cégep anglophone auraient davantage tendance à
faire un transfert linguistique vers l’anglais, c’est-à-dire à adopter
l’anglais comme nouvelle langue d’usage
à la maison. La fréquentation d’un cégep anglophone favoriserait également
l’insertion des immigrants dans les sphères anglophones du travail et de la
vie publique.
Au moment de l’adoption de la Charte de la
langue française en 1977, on n’avait pas cru nécessaire de réglementer
l’inscription au cégep anglais, puisqu’on faisait l’hypothèse que les
habitudes linguistiques prises dans le réseau scolaire primaire et
secondaire perdureraient dans la vie publique, peu importe le choix
de l’institution postsecondaire.
Selon une étude réalisée par le Conseil supérieur de la langue française (2011),
les élèves issus du secondaire français et qui poursuivent des études
collégiales s’inscrivent au cégep français dans une proportion qui varie de 93,1
% en 1998 à 92 % en 2007, sans qu'on puisse déceler une tendance. Par ailleurs,
c'est dans une proportion de plus de 95 % en 2007 que les élèves du secondaire
anglais qui entreprennent leurs études collégiales le font en anglais. On
constaterait cependant une légère tendance à la baisse, la proportion étant de
97,5 % en 1998 et de 95,6 % en 2007. Il n'y aurait donc pas lieu de l'alarmer.
Le Conseil faisait la recommandation suivante: Le Conseil supérieur de la langue française est
d’avis que le réseau collégial actuel, avec la présence de cégeps de
langue française et de langue anglaise, doit être maintenu, de même
que le libre choix de la langue d’enseignement.
Pour sa part, le démographe Charles Castonguay ne remet pas en cause ces résultats, mais il les trouve incomplet, car ils ne tiennent pas compte des déplacements linguistiques qui surviennent lorsque la langue maternelle de l'étudiant diffère de la langue du cégep où il a choisi de s'inscrire.
Déplacements linguistiques
parmi les nouveaux inscrits au cégep, 1981-2010
1981-1990 | 1991-2000 | 2001-2010 | Total | |
Francophones au cégep anglais | 13 895 | 18 120 | 22 411 | 54 426 |
Anglophones au cégep français | 4 187 | 2 651 | 3 067 | 9 905 |
Allophones au cégep anglais | 24 324 | 23 557 | 27 143 | 75 024 |
Allophones au cégep français | 11 315 | 18 839 | 24 467 | 54 621 |
Gain net pour le cégep anglais | 34 032 | 39 026 | 46 487 | 119 545 |
Gain net pour le cégep français | 1 607 | 3 370 | 5 123 | 10 100 |
Selon Charles Castonguay (Le français langue commune : Projet inachevé. Montréal, Les Éditions du Renouveau québécois, 2013), de 1981 à 2010, le cégep anglais a attiré au total 54 426 nouveaux inscrits francophones en plus 75 024 nouveaux inscrits allophones. En retranchant les 9905 nouveaux inscrits anglophones, qui ont choisi le cégep français, le bénéfice net est de 119 545 nouveaux inscrits pour le cégep anglais. Quant au bénéfice correspondant pour le cégep français, il est de 10 100. Bref, le régime de libre choix a profité au cégep anglais pour un nombre de 120 000 nouveaux inscrits, contre 10 000 au cégep français. Autrement dit, le libre choix au cégep revient ainsi à financer l'anglicisation d'une partie importante de la future élite québécoise.
- L'université
Le Québec compte approximativement quelque 200 000 étudiants
universitaires dans les établissements francophones et 65 000 dans les
établissements anglophones. Au total, trois étudiants québécois sur quatre
fréquentent une université de langue française. Dans tout le réseau scolaire
québécois, il existe 70 % de francophones, 15 % d'anglophones et 15%
d'allophones (langue tierce). En examinant la fréquentation universitaire, nous
pouvons nous apercevoir qu'il existe un déséquilibre manifeste entre les
établissements francophones et anglophones. De fait, les Anglo-Québécois,
ceux qui ont l'anglais comme langue maternelle, représentent près de 8 % de
la population, mais ils représentaient, selon les données du ministère de
l'Éducation de 2011, quelque 25 % des étudiants
fréquentant les universités de langue anglaise au Québec et 18 % suivant une
formation collégiale en anglais. Ainsi, un certain nombre de Québécois
francophones choisissent de faire leurs études universitaires en anglais, ce
qui correspond à 5,8 % de l'ensemble (9498 étudiants), alors que leur
présence compte pour 14,6 % des 65 000 étudiants du réseau universitaire
anglophone. Par conséquent, les francophone sont numériquement plus
nombreux dans les universités anglophones que les allophones résidents
québécois (au nombre de 5616). Rappelons qu'en 2011 le Québec comptait 7,8
millions d’habitants dont 78 % de langue maternelle française, 7,6 % de
langue maternelle anglaise, 12,3 % de langue maternelle autre que l'anglais
et le français (allophones et autochtones):
Population totale
Anglais
Français
Autre langue
Province 2011
(en
milliers)
Québec
(7,6 %)
(78,0 %)
(12,3 %)
Aujourd'hui, les deux plus importantes universités anglophones, l'Université McGill et l'Université Concordia, sont situées à Montréal, là où le déclin des francophones se fait le plus sentir. Ces établissements de haut calibre constituent des facteurs de développement économique, social et culturel; en vertu du libre choix, ils attirent un nombre important de francophones et d'allophones, qui apprennent non seulement à pratiquer leur future profession en anglais.
En 2010, l'Institut
de recherche sur le français en Amérique a révélé les taux de rétention des
diplômés des différents programmes et universités du Québec. Or, il faut
constater que les diplômés issus des universités anglophones quittent le
Québec dans une proportion cinq fois plus grande que les étudiants formés
dans les universités francophones. Bref, les universités anglophones forment
donc une main-d'oeuvre plus portée à travailler à l'extérieur du Québec. Au
final, les dépenses occasionnées pour instruire les anglophones ne feraient
que consacrer les privilèges considérable dont jouit la minorité anglophone
du Québec. La timidité des moyens de
contrôle ainsi que l'absence de sanctions appropriées avaient
rendu les lois 63 et 22 presque inopérantes. Le législateur
de 1977 en a tiré un leçon, puisque la Charte de la langue française
prescrit et impose des sanctions. Au moment de l'adoption de la Charte, on a prévu la création
de trois organismes chargés de l'application de la politique linguistique:
l'Office de la langue française, la
Commission de protection de
la langue française, le Conseil de la langue française.
Depuis la loi 104 qui a modifié la Charte de la langue française en juin 2002,
les fonctions originellement dévolues à l'Office de la langue
française et à la Commission de protection de la langue française ont été
regroupées au sein d'un nouvel organisme appelé
Office québécois de la langue française.
Présentons néanmoins les trois organismes tels qu'ils ont été prévus: 8.1 L'Office de la langue française
L'Office de la langue française
(aujourd'hui l'Office québécois de la langue française ou OQLF) était celui des trois organismes qui disposait des ressources les plus importantes.
Il a été institué «pour définir et conduire
la politique québécoise en matière de recherche linguistique
et de terminologie et pour veiller à ce que le français devienne,
le plus tôt possible, la langue des communications, du travail, du
commerce et des affaires dans l'administration et les entreprises» (art.
100). Cet organisme était en réalité le maître d' Le premier devoir de l'Office était
de «normaliser et diffuser les termes et expressions qu'il approuve» (art.
113). Cette fonction de normalisation correspond à celle qu'exerce
en France l'Académie française lorsqu'elle impose des termes
ou des expressions aux employés de l'État. Au Québec,
l'Office de la langue française peut rendre obligatoire l'utilisation
des termes et expressions normalisés dans l'administration, dans
l'affichage et dans certains documents utilisés par les industries;
depuis 1983, cette disposition s'applique à l'administration et
à l'enseignement (article 118).
Le travail de l'Office a suscité parfois
des controverses au sujet de certains termes normalisés; p. ex. centre commercial,
boeuf mariné (smoked meat), racinette (root
beer), soda mousse (cream soda), mazout (huile
à chauffage), parc de stationnement (parking),
etc. Depuis 1974, l'Office a créé de nombreuses commissions
de terminologie, qui ont accompli un travail gigantesque: publication de
125 lexiques spécialisés et constitution d'une banque de
terminologie traitant aujourd'hui plus de trois millions de termes français-anglais
et anglais-français, ce qui en fait la plus grande banque de données
terminologiques de toute la francophonie. Ces travaux sont d'une extrême
importance parce qu'ils facilitent la francisation des entreprises, dont
plus de 300 sont reliées par Internet à la Banque de terminologie
du Québec (BTQ) sous le nom de Le Grand Dictionnaire terminologique.
Une autre des fonctions de l'Office consistait à définir la procédure
de délivrance, de suspension ou d'annulation des certificats de francisation
dans les entreprises (art. 113). Selon la Charte de la langue française,
toutes les entreprises employant 50 personnes ou plus doivent posséder un certificat
de francisation. Une entreprise qui ne possède pas un tel certificat est passible
d'une amende allant «de 125 $ à 2300 $ pour chaque jour où elle poursuit
ses activités sans certificat» (art. 206). L'Office de la langue française
accorde ou annule un certificat de francisation après avoir évalué le programme
de francisation de l'entreprise, programme normalement destiné à généraliser
l'utilisation du français au travail, à tous les échelons de l'entreprise.
Les
articles en vigueur concernant le présent Office québécois de la langue française sont les
suivants: 157 à 184.
8.2 La Commission de protection
de la langue française
(supprimée) Les anciens articles 157
à 184 de la Charte de la langue française prévoyaient la création
d'une Commission de protection de la langue française pour traiter des questions
se rapportant au défaut de respect de la loi. La loi 86 de 1993 a supprimé la
Commission de protection, mais la loi 40 de 1996 a réintroduit ladite commission.
La principale fonction de la Commission était de procéder aux
enquêtes prévues par la loi (art. 169 et 171). En cas de contravention à la
loi, les commissaires-enquêteurs pouvaient mettre un contrevenant présumé en demeure
de se conformer dans un délai donné (art. 182) et, le cas échéant, transmettre
le dossier au procureur général pour que celui-ci intente les poursuites pénales
appropriées. Au cours des cinq années qui ont suivi l'adoption de la loi,
quelque 11
950 entreprises ont fait l'objet de plaintes. La réalité montre que seulement
10 d'entre elles ont effectivement été condamnées, les autres s'étant rapidement
conformées à la loi. De ces 10 entreprises, une a été condamnée à deux amendes
de 500 $ et les neuf autres, qui ont toutes plaidé coupables, se sont vu imposer
des amendes de 25 $ ou de 50 $. Plus de 90 % des plaintes traitées concernent
l'affichage et la raison sociale des entreprises. Comparativement à d'autres
pays comme le Mexique,
les peines sont donc assez légères.
Aujourd'hui, la Commission de protection de la langue
française a été supprimée et ses fonctions dévolues à l'Office québécois de la
langue française. Il s'agit des
articles 166 à 177. 8.3 Le Conseil de la langue française
(aujourd'hui aboli) Le Conseil de la langue française (art.
185 à 204), aujourd'hui aboli, avait été institué «pour conseiller le ministre sur la politique
québécoise de la langue française et sur toute question relative à l'interprétation
et à l'application de la présente loi» (art. 186). Malgré le caractère
consultatif de cet organisme, son influence et son action n'avaient cessé de croître
depuis sa création. Le Conseil revendiquait à son actif une liste impressionnante
de publications et d'avis résultant de sondages, d'analyses, d'études scientifiques
et de consultations diverses auprès de tous les milieux. On ne pouvait sous-estimer
l'influence d'un tel organisme dont le mandat était de «conseiller le ministre
sur la politique québécoise de la langue française», de «surveiller
l'évolution de la situation linguistique au Québec», d'attirer l'attention
du gouvernement sur les points névralgiques et d'«informer le public».
Avec la création de ces trois
organismes, le législateur avait doté l'État québécois
de moyens réels pour mettre en Le Conseil de la langue française étant aboli,
mais la Charte de la langue française a prévu la création du Conseil supérieur de
la langue française, dont la mission est de conseiller le ministre
responsable de l'application de la Charte de la langue française sur toute
question relative à la langue française au Québec. On peut consulter les
articles 185 à 204 à ce sujet. 8.4 Les modifications apportées par
la loi 104 La
loi 104 ou Loi
modifiant la Charte de la langue française du 13 juin 2002 a voulu
moderniser les mandats et les structures des trois organismes de la Charte de
la langue française. Rappelons que les fonctions originellement
dévolues à l'Office de la langue française et à la Commission de protection de
la langue française ont été regroupées au sein d'un nouvel organisme appelé
Office québécois de la langue française. En
tant que principal organisme linguistique, l'Office a également un mandat de
promotion du français. Il est également responsable d'effectuer le suivi de la
situation linguistique au Québec et il devra en faire rapport périodiquement au
moins tous les cinq ans. Pour ce faire, l'Office sera secondé par un comité
scientifique formé de cinq membres nommés par l'Office, dont des spécialistes en
démographie ou en sociolinguistique.
En vertu de la loi (104), l'Office
8 Les moyens de contrôle
- de définir et de conduire la politique québécoise en matière d'officialisation linguistique, de terminologie ainsi que de francisation de l'Administration et des entreprises;
- de veiller à ce que le français soit la langue habituelle et normale du travail, des communications, du commerce et des affaires dans l'Administration et les entreprises;
- d'aider à définir et à élaborer les programmes de francisation prévus par la loi et en suivre l'application;
- de surveiller l'évolution de la situation linguistique au Québec et d'en faire rapport tous les cinq ans au ministre;
- d'assurer le respect de la Charte de la langue française, agissant d'office ou à la suite de la réception de plaintes;
- d'établir les programmes de recherche nécessaires à l'application de la loi et d'effectuer ou de faire effectuer les études prévues par ces programmes.
Parmi ses pouvoirs, l'Office québécois de la langue française peut:
- prendre les mesures appropriées pour assurer la promotion du français;
- assister et informer l'Administration, les entreprises, les individus et les groupes en ce qui concerne la correction et l'enrichissement de la langue française;
- recevoir leurs observations et leurs suggestions sur la qualité de la langue ainsi que sur les difficultés d'application de la présente loi, et en faire rapport au ministre.
L'Office
québécois de la langue française est
maintenant assisté dans ses fonctions d'ordre linguistique et terminologique par
le Comité
d'officialisation linguistique qui comptera
des spécialistes en linguistique. De plus, la loi prévoit la création du Conseil supérieur de
la langue française, dont la mission
spécifique est de conseiller le (la) ministre responsable de la
Charte de la langue française
sur toute question relative à la langue française au Québec. Pour alimenter sa
réflexion, le Conseil supérieur peut effectuer ou faire effectuer les études
et recherches qu'il juge nécessaires. On peut consulter le texte de la Loi
modifiant la Charte de la langue française du 13 juin 2002 (la loi 104),
laquelle compte 53 articles, en
cliquant ICI,
s.v.p.
La législation québécoise sapparente à une politique
de réhabilitation de la langue officielle longtemps privée de son statut de
langue majoritaire. On en a aujourdhui des exemples similaires avec les
pays baltes (Lituanie, Estonie, Lettonie), mais aussi la Croatie, la Catalogne,
le Pays basque et la Galice. Une telle législation peut paraître restrictive
pour la minorité, ce qui ne lui enlève pas pour autant son caractère légitime.
Tout dépend comment, par la suite, la majorité aménage les droits de la minorité.
N'oublions pas cependant que, si la Charte de la langue
française fait du français
la seule langue officielle au Québec, elle ne supprime pas le bilinguisme
traditionnellement établi en faveur de l'anglais. Ce statut de seule langue
officielle du français est principalement d'ordre symbolique puisque, en vertu
d’une disposition de la Constitution canadienne qui prévaut sur les lois
québécoises, l’anglais est au Québec sur un pied d’égalité avec le français en
tant que langue des lois, des règlements, des tribunaux et des travaux
parlementaires. Pour le reste, le Québec conserve certaines marges de manoeuvre.
Par ailleurs, il est malaisé de vouloir comparer, comme on le fait souvent, la
France et le Québec. Sauf pour l’objet linguistique, la langue française
elle-même, tout semble différent entre la France et le Québec. Dans le premier
cas, on
a affaire à un État souverain qui pratique une politique linguistique
hégémonique depuis des siècles et dispose de puissants moyens financiers. De
plus, la législation française impose non seulement l’usage d’une langue, le
français, mais également le recours à une terminologie «officielle», ce qui
signifie l’interdiction de mots étrangers pour lesquels il existe un équivalent
validé par les commissions de terminologie. La loi française a surtout été
adoptée pour contrer l'intrusion de la langue anglaise sur le territoire
national et donner au gouvernement des moyens juridiques pour intervenir
efficacement; la loi n'a jamais eu pour objectif de limiter l'usage des langues
régionales de France. Enfin, les lois françaises,
contrairement aux lois québécoises (catalanes et tessinoises), ne peuvent être
contestées devant les tribunaux puisque la constitutionnalité des lois est
toujours validée avant l’entrée en vigueur du texte. À l'opposé, la loi
québécoise de 1977 a été maintes fois contestée avec succès dans les tribunaux
par des opposants, généralement des anglophones. Contrairement à la loi
française, la loi québécoise visait avant tout à réparer les injustices
économiques et sociales que la majorité francophone se devait de corriger, tout
en préservant l'héritage propre à la minorité anglophone. Alors que la loi française demeure une loi
ordinaire, la loi québécoise a accédé au rang d'un «mythe» et s'est transformée
en véritable cheval de bataille, tant pour beaucoup de francophones que
d'anglophones. Le slogan «Ne touchez pas à la loi 101» est devenu un outil
puissant pour rallier les francophones à se positionner devant ceux qu'ils
considèrent comme «la minorité la mieux traitée au monde», mais ce n'est
peut-être pas une raison pour rejeter toutes les revendications des anglophones.
N'oublions pas que les injustices passées subies par les francophones, qui ont
entraîné avec raison l'élaboration des lois linguistiques, ont aujourd'hui à peu
près complètement disparu. C'est pourquoi, même si la Charte est encore perçue,
par les francophones, comme une «vache sacrée» et, par les anglophones, comme
une «bête noire», elle fait néanmoins l'objet d'un assez large consensus au sein
de la société toute entière.
On peut consulter le texte complet de la Charte
de la langue française (à jour au 9 novembre 2004), avec notes explicatives et jurisprudence.
N.B.: On peut
aussi lire un article de Louis McComber sur la situation des langues au
Nunavik et intitulé «Le Nunavik québécois, une percée
francophone dans l'Arctique»,
en cliquant ICI
s.v.p.
Histoire du français au Québec