République du Paraguay

Paraguay

República del Paraguay

   

Capitale: Asunción
Population: 6,7 millions (2022)
Langues officielles: castillan et guarani
Groupe majoritaire: guarani (env. 88 %)
Groupes minoritaires: une vingtaine de langues autochtones
Système politique: république
Articles constitutionnels (langue): art. 77 et 140 de la Constitution du 20 juin 1992
Lois linguistiques:  Loi n° 28 obligeant l'enseignement des langues nationales (1992); Loi générale sur l'éducation, n° 1264; Loi n° 2574 reconnaissant la formation des enseignants de l'«Athénée de langue et culture guarani», comme établissement d'enseignement supérieur (2005); Avant-projet de loi sur les langues (2006); Loi n° 946 sur la protection des biens culturels (2006); Loi no 3231 créant la Direction générale de l'éducation scolaire indigène (2007); Projet de loi sur les langues de 2009; Loi sur les langues (2010).

1 Situation géographique

Carte : Paraguay Le Paraguay (superficie: 406 752 km²), soit un peu moins grand que la France, est une république d'Amérique du Sud située entre la Bolivie au nord, le Brésil à l'est, l'Argentine au sud et à l'ouest (voir la carte détaillée). En raison de l'absence de façade maritime, son activité économique reste sous la dépendance étroite de son grand voisin, le Brésil. Le mot «Paraguay» se prononce en français [pa-ra-gwé].

Le Paraguay est structuré en 17 départements, en plus de celui de la capitale, Asunción: Central, Alto Parana (Haut-Parana), Caaguazu, Itapua, San Pedro, Paraguari, Cordillera, Concepcion, Guaira, Caazapa, Canindiyu, Amambay, Misiones, Neembucu, Presidente Hayes, Boqueron et Alto Paraguay (Haut-Paraguay). Ces départements se divisent en districts, eux-mêmes subdivisés en municipalités et en districts ruraux. Les principales villes du pays sont Asunción, Encarnación, Concepción, Coronel Oviedo, Caaguazú et Ciudad del Este.  

Le pays est généralement assez plat, mais il est coupé en deux par le fleuve Paraguay. À l'ouest, se trouve le Gran Chaco, soit 247 000 km² sur les 406 000km² du territoire national (regroupant les départements de Chaco, Nueva Asunción, Haut-Paraguay, Boquerón, Présidentes Hayes, Concepción), une vaste plaine semi-aride constitués de pâturages où l'élevage domine. À l'est (Asunción, Central, Paraguari, etc.), ce sont des forêts et des plaines fertiles où vit 95 % de la population. 

2 Données démolinguistiques

Le Paraguay d'aujourd'hui est un État de 5,7 millions d'habitants (est. de 2002), dont l'homogénéité ethnique et linguistique est remarquable pour un pays d'Amérique du Sud.

2.1 La population

La population paraguayenne comporte quatre grandes catégories d'individus:

- les Métis, qui constituent environ 92 % des habitants;
- les Amérindiens ou indigènes (env. 3 %), essentiellement des Guarani;
- les Noirs (env. 2 %): les Afro-Paraguayens.
- les Blancs descendant des Espagnols (env. 2 %).

Il faut mentionner aussi les Asiatiques, auxquels il faut ajouter les immigrants en provenance des pays latino-américains voisins, ainsi que du Japon, d’Allemagne, d’Italie, du Portugal, de la Corée du Sud, du Canada, etc.

2.2 Les langues

En ce qui a trait aux langues parlées, on peut consulter les statistiques de la DGEEC (Direccion General de Estadistica, Encuestas y  Censos: «Direction générale de la statistique, des enquêtes et des recensements»), bien qu'elles datent de 1992 (dernier recensement disponible). On distingue deux grandes catégories de langues: d'une part, l'espagnol, appelé officiellement «castillan» au Paraguay, d'autre part, les langues indigènes. L'espagnol n'est la langue maternelle que de 260 000 Paraguayens, ce qui représente environ 6 % de la population totale. Il s'agit là d'une situation tout à fait exceptionnelle en Amérique du Sud. Par ailleurs, en raison de la proximité du Brésil, 3,2 % des Paraguayens parlent le portugais comme langue maternelle, ce qui correspond à peine la moitié des locuteurs de l'espagnol.

Les autochtones ou indigènes du Paraguay comptent une vingtaine de peuples différents répartis en quatre familles linguistiques :

1) la famille tupi-guarani (6) : aché, avá-guarani, mbyá, pai tavytera, guarani occidental, ñandeva;  
2) la famille maskoyane ou lengua-maskoi (7): entlhet du Nord, enxet du Sud, sanapaná, toba, angaité, guaná, maskoy;
3) la famille zamucoane : ayoreo, ybytoso et tomárahõ;
4) la famille mataco-gaicuru (3): maká, nivaclé et manjui.

- La famille tupi-guarani

Parmi ces quatre familles de langues, ce sont les langues guarani qui sont les plus importantes. En effet, selon les statistiques officielles, les locuteurs du guarani, unilingue ou bilingues, représenteraient 88,1 % de la population. En réalité, le nombre des locuteurs du guarani (avec ses nombreuses variantes locales) est plus élevé, car ces statistiques ne tiennent pas comptent des bilingues parlant le guarani et une autre langue que l'espagnol. Selon toute vraisemblance, la proportion des locuteurs du guarani s'élèverait à environ 95 %, ce qui a pour effet de rendre toute les autres langues indigènes numériquement moins importantes. Le tableau qui suit présente le nombre des ethnies guarani ainsi que la proportion des locuteurs utilisant l'une des six grandes variétés du guarani à la maison:

Variétés de guarani Nombre des membres de l'ethnie Pourcentage de la langue
employée à la maison
Aché

  1 190

97,0 %
Avá-guarani (ou chiripá) 13 430 59,6 %
Mbyá 14 324 89,5 %
Pãi-tavyterã 13 132 60,9 %
Guarani occidental (ou chiriguano)   2 155 31,1 %
Ñandeva (ou tapieté)   1 984 93,5 %

Chacune de ces six variétés de guarani est fragmenté en plusieurs dialectes locaux avec le résultat que le guarani porte au Paraguay quelque 35 dénominations différentes utilisées par les locuteurs de ces langues: guaraní común, guaraní culto, guaraní de la escuela, guaraní teeté, guaraní ymaguaré, guaranieté, guaraní-guaraní, ñe'ë indio, guarañol, etc.
 

Langue

Nombre %

Guaraní

1 614 105

39,2

Castillan et guaraní

2 010 853

48,9

Castillan

261 118

6,3

Portugais

134 639

3,2

Anglais

1 470

0,04

Allemand

35 874

0,87

Japonais

4 089

0,10

Chinois

1 852

0,05

Coréen

4 913

0,12

Italien

319

0,01

Français

411

0,01

Arabe

911

0,02

Langues indigènes

29 482

0,72

Autres idiomes

1 624

0,04

Sans objet

10 331

0,25

Total du pays (1992)

4 111 991

100 
Les statistiques officielles du gouvernement, lesquelles datent de 1992, révélaient que 39,2 % des locuteurs étaient unilingues guaranis et que 48,9 % étaient bilingues et parlaient le guarani et l'espagnol.

Le bilinguisme se vit autrement selon que les gens habitent la ville ou la campagne. Selon le recensement de 1992, les Paraguayens seraient bilingues (guarani-espagnol) dans une proportion de 49 % dans les centres urbains (surtout dans la ville d’Asunción) et unilingues guaranis dans une proportion de 52 % dans les campagnes. Les unilingues hispanophones ne représenteraient que 6 % de l'ensemble, ce qui, dans un continent massivement espagnol, constitue un cas unique. De plus, le guarani est non seulement parlé au Paraguay, mais également en Bolivie (20 000 locuteurs) en Argentine (au moins 230 000 locuteurs) et au Brésil (de quelque 5000 à 10 000 locuteurs). 

Évidemment, les unilingues guaranis peuvent comprendre des rudiments de la langue espagnole, mais les unilingues hispanophones qui veulent communiquer avec la population doivent posséder un peu de guarani, sinon il devient impossible de communiquer.

Socialement, le guarani occupe un rang inférieur à celui de l'espagnol, la langue de l'élite et la langue majoritaire sur tout le sous-continent. Bien que le Paraguay soit défini comme un pays multiculturel et bilingue, le bilinguisme social est clairement déséquilibré à l'avantage de l'espagnol.

- La famille maskoyane (ou lengua-maskoi)

Les langues de la famille maskoyane sont au nombre de sept: entlhet du Nord, enxet du Sud, sanapaná, toba, angaité, guaná, maskoy.

Les langues maskoyanes

Nombre des membres de l'ethnie

Pourcentage de la langue
employée à la maison

Entlhet du Nord 7 221 96,2 %
Entlhet du Sud 5 884 77,0 %
Sanapaná 2 271 50,6 %
Toba (ou toba-maskoy) 1 474 94,4 %
Angaité 3 694 33,8 %
Guaná   242 14,6 %

 - La famille zamucoane

Les langues de la petite famille zamucoane.

Les langues zamucoanes Nombre des membres de l'ethnie Pourcentage de la langue
employée à la maison
Ayoreo 2 016  99,0 %
Ybytoso 1 468  99,6 %
Tomárahõ   103 100,0 %

- La famille mataco-gaicuru

Il s'agit du nivaclé (ou chulupí), du maká et du manjui (ou chorote).

Les langues mataco-gaicuru Nombre des membres de l'ethnie Pourcentage de la langue
employée à la maison
Nivaclé 12 028  99,0 %
Maká 1 282  99,4 %
Manjui  452 96,3 %
Toba-qom 1 474 97,8 %

La plupart des indigènes du Paraguay vivent principalement dans les zones rurales, soit dans une proportion de 91,5 %. Toutefois, quelques ethnies résident dans des villes de façon significative: les Maká (77,4 %), les Maskoy (32.7%), les Guarani occidental (29,4 %), les Nivaclé (25,2 %) et les Enlhet du Nord (24,4 %). Cette distribution pourrait s'intensifier au cours des prochaines années.

- Les Germano-Paraguayens

Le cas des Germano-Paraguayens mérite d'être signalé. Les statistiques gouvernementales indiquent que 35 000 parleraient l'allemand au Paraguay, alors qu'en réalité ils comptent au moins 166 000 locuteurs. En fait, le nombre de 35 000 correspond aux germanophones mennonites parlant le bas-allemand ou le Plautdietsch. Fait à noter, les mennonites parlent le bas-allemand, mais écrivent en allemand. La plupart d'entre eux habitent les départements du Chaco et du Boquerón, où ils gèrent des fermes prospères, mais beaucoup vivent maintenant à Asunción. Dans beaucoup de villes de ces deux départements, le bilinguisme allemand-guarani a remplacé le bilinguisme espagnol-guarani. Les mennonites bénéficient d'une autonomie administrative qui leur permet de fonctionner en allemand (écrit) ou en Plautdietsch (oral).

3 Données historiques

Avant sa découverte par les Espagnols (XVIe siècle), le pays était peuplé d'Indiens tupi-guaranis connus collectivement sous le nom de Guaranis. Ils étaient venus avec les premières vagues migratrices, en provenance de la côte de l'actuel Brésil. Vers 1515, Díaz de Solís découvrit la région, suivi, en 1525, du Portugais Diego García. Quelques années plus tard, le navigateur italien Sebastien Cabot, alors au service de l'Espagne, explora en partie les principaux cours d'eau du pays. Avant la colonisation européenne, le guarani constituait la langue dominante sur de vastes territoires de la côte atlantique d’Amérique du Sud, de la mer des Caraïbes au Rio de la Plata.

3.2    Les missions des jésuites

À partir de 1585, les autorités espagnoles confièrent aux missionnaires jésuites le contrôle et l'encadrement des Guaranis insoumis. Les jésuites fondèrent alors des communautés théocratiques, sortes de petites républiques organisées – appelées les reducciones (ou «réductions») – contre les Portugais du Brésil, et autonomes sur les plans économique et politique. Même si les missionnaires jésuites imposaient l'usage de l'espagnol, ils avaient fait du guarani – famille tupi-guarani – la seule langue amérindienne écrite de tout le continent, et ce, dès 1624.

Bénéficiant d'une liberté quasi totale face aux autorités civiles et ecclésiastiques locales, les jésuites avec leurs «réductions» devinrent le pouvoir le plus important de la colonie. En effet, ces établissements, qui constituaient un véritable État dans l'État et où se développaient d'intenses activités commerciales, agricoles et manufacturières, suscitèrent la convoitise de colons espagnols qui désiraient employer la main-d'œuvre autochtone et s'approprier le monopole des jésuites sur le commerce.

Le Paraguay colonial et le territoire de l'Argentine actuelle furent gouvernés conjointement jusqu'en 1620, avant de devenir des dépendances séparées de la vice-royauté du Pérou. En 1750, lors du traité de Madrid, le roi Ferdinand VI d'Espagne céda sept «réductions» du Paraguay au Portugal, en échange de la colonie du Sacramento (l'actuel Uruguay); les jésuites décidèrent alors de soutenir les Guaranis dans leur révolte contre ce transfert. Les intrigues fomentées par les colons jusqu'à la cour d'Espagne aboutirent à l'expulsion des missionnaires jésuites, qui durent quitter la colonie en 1767. Leur départ marqua la fin des «réductions» et le début de la domination des grands propriétaires terriens sur les Guaranis. Néanmoins, les jésuites avaient contribué à l'implantation de l'espagnol, mais aussi au maintien de la langue des Guaranis (le guarani). En 1776, l'Espagne créa le vice-royaume de La Plata, qui comprenait l'Argentine, le Paraguay, l'Uruguay et la Bolivie actuels. Tout au cours de la domination espagnole, seul le castillan (espagnol) servit de langue administrative et de langue d'enseignement. Les Espagnols ne combattirent pas vraiment le guarani, mais ils n'en firent jamais la promotion.

3.2 L'indépendance

À l'instar de l'Argentine, le Paraguay proclama son indépendance, le 14 mai 1811, ratifiée par le Congrès deux ans plus tard. Le pays connut ensuite une succession de régimes autoritaires, surtout sous Gaspar Rodriguez de Francia (1766-1840) et Carlos Antonio López (1790-1870).

Surnommé El Supremo par les indigènes, Francia exerça une longue dictature (1814-1840) xénophobe et terroriste, qui isola à peu près complètement le Paraguay: il supprima toutes les libertés, ferma les monastères et se proclama chef de l'Église catholique. Il mourut de sa belle mort à 74 ans. Carlos Antonio López (1840-1862) lui succéda. Apparemment plus libéral mais tout aussi autoritaire, il ouvrit les frontières au commerce international, dota le pays d'une industrie sidérurgique, abolit l'esclavage et favorisa l'instruction primaire. Son fils, Francisco Solano López, devient président en octobre 1862. Plus ambitieux, «López II» lança en 1865 le Paraguay dans une guerre contre l'Argentine, le Brésil et l'Uruguay: ce fut la guerre de la Triple-Alliance (Brésil, Argentine et Uruguay: de 1865 à 1870), qui provoqua la ruine du pays, décima la population –  celle-ci est passée de  525 000 habitants en 1865 à 221 000 en 1871, dont moins de 30 000 hommes –  et entraîna son occupation par l'armée brésilienne, et ce, jusqu'en 1876. Après la guerre, le Paraguay fut désigné comme «le pays des femmes» avec un ration d'un homme adulte pour quatre femmes. En outre, le Paraguay a dû céder 140 000 km² de son territoire, annexés par le Brésil et l'Argentine: le Brésil s'appropria la région de Misiones et le territoire situé au nord du río Apa, et l'Argentine, une partie du Chaco

Les documents de l'époque semblent indiquer un refus manifeste d'enseigner le guarani dans les écoles. De plus, on dispersa les habitants de nombreux villages guarani et on transforma les noms indiens en noms espagnols. La langue espagnole prit alors de l'expansion.

À partir de 1912, des périodes de stabilité politique et de révoltes se succédèrent. La guerre du Chaco (1932-1935) contre la Bolivie à cause de la découverte du pétrole mit un terme à l'expansionnisme croissant de la langue espagnole. Pour des raisons de stratégie militaire, les soldats paraguayens reçurent la consigne de ne parler qu’en guarani. C’est ainsi que la langue populaire devint un symbole de l'identité paraguayenne, même si son prestige est encore nul dans certains milieux des affaires publiques. Victorieux de la guerre du Chaco, le Paraguay s'agrandit du département du Chaco

À la suite de tractations de la part du président Manuel Gondra (1871-1927), le Congrès paraguayen adopta la loi no 514 du 26 juillet 1921 et intitulée Para inmigrantes alemanes de confesión menonita, torgándoles los privilegios solicitados sin restricciones (Loi relative aux immigrants allemands de confession mennonite leur accordant les privilèges sollicités sans restrictions). La loi de 1921 accordait des privilèges sans précédent aux futurs colons mennonites, dont l'exemption de la prestation de serment et du service militaire (ils sont contre le port des armes et du service militaire), l'utilisation sans restriction de l'allemand dans leurs écoles (ils sont contre l'imposition d'une autre langue), le droit de se doter de leur propre autonomie administrative en matière d'éducation, de santé et de prévention sociale, sans oublier une période de «grâce fiscale» de dix ans. Plusieurs milliers de mennonites allemands (originaires de l'Allemagne, du Canada et de la Russie) s'installèrent à partir de 1926 parmi les indigènes du Chaco comme colons agriculteurs; ils prospérèrent et réussirent à imposer leur langue (le bas-allemand), même chez les indigènes du Chaco et du Boquerón; ils fondèrent des villes qui portent aujourd'hui des noms allemands (Fernheim, Neuland, etc.). 

Après la guerre du Chaco, le Paraguay connut une alternance entre les libéraux (colorados) et les conservateurs (azules), à travers des régimes dictatoriaux et des juntes militaires. Le pays subit la dictature du colonel Rafael Franco (1936-1937), celle du général Estigarribia (1939-1941), puis celle du général Morinigo (1941-1948); pour la seule année 1948, quatre présidents se succédèrent. La dernière dictature – et la plus longue : trente-cinq ans – a été celle d'Alfredo Stroessner (1954-1989), un militaire qui a été finalement renversé au moyen d'un coup d'État, le 3 février 1989. Alfredo Stroessner avait noyauté à son profit le Parti Colorado (Association nationale républicaine) de droite — l'Asociación Nacional Republicana - Partido Colorado —, ainsi que tous les groupes de pression. Le Brésil a offert l'asile politique à l'ancien dictateur, jusqu'à sa mort survenue en 2006. 

Pendant toute cette période qui suivit l'indépendance, l'enseignement du guarani fut laissé pour compte, notamment parce que l'élite politique méprisait ouvertement cette langue. Les locuteurs du guarani ont dû subir diverses agressions verbales. Ils étaient traités de «paysans», d’«Indiens» ou de «juruky’a» ("bouche sale"). Des enfants furent victimes de sévices physiques dans les écoles; ils furent giflés ou contraints de circuler dans la cour de l’école en répétant en espagnol: «No voy a hablar guaraní» ("Je ne parlerai plus guarani"). Les enseignants obligeaient parfois les enfants à se tenir agenouillés par terre sur du gros sel. D'autres furent punis en se retrouvant dans une classe de niveau inférieur parce qu'ils avaient été surpris d'avoir parler guarani à l'école.

À partir des années 1990, le Paraguay put entrer dans l'ère démocratique, malgré d'énormes difficultés. Les premières élections libres eurent lieu en 1993. Mais, dans ce pays, la démocratie demeura fragile et les coups d'État militaires restèrent toujours à craindre, comme l'ont démontré la tentative de coup d'État avortée en avril 1996 et l'assassinat en 1999 du vice-président de la République. En 2003, des élections libres eurent lieu afin d'élire un nouveau président et de renouveler les deux chambres. Nicanor Duarte Frutos, du Parti Colorado, fut élu président. C'est sous son mandat que Mme Blanca Ovelar de Duarte, alors ministre de l'Éducation, remit en juillet 2006 au président Nicanor Duarte Frutos un avant-projet de loi sur les langues, projet soutenu par la Commission nationale sur le bilinguisme et l’Atelier de la société
civile. Le Congrès l'adopté, mais pas le Sénat.

En 2008, un nouvel équilibre politique de centre-gauche permit un changement historique au sein de la classe politique. En effet, un ancien évêque catholique, Fernando Armindo Lugo Méndez, candidat d'un regroupement de quelque 20 forces politiques, regroupant les démocrates chrétiens, les socio-libéraux, les écologistes et les socialistes, au sein de l'Alliance démocratique tricolore (mais aussi d'un regroupement plus large, l'Alliance patriotique pour le changement, allant du centre droite à la gauche radicale), remporta l'élection présidentielle paraguayenne, le 20 avril 2008. L'Alliance patriotique pour le changement (Alianza Patriótica para el Cambio) mettait fin à soixante et un ans de gouvernement de l'Association nationale républicaine (Parti Colorado). 

Malgré l'élection démocratique de Fernando Lugo, qui parle la langue guarani, le Paraguay est encore aux prises avec la corruption des administrations précédentes qui ont permis à de nombreuses mafias commerciales (blanchiment d'argent, trafic de drogues et trafic d'armes) d'étendre leur contrôle sur des régions entières du pays (surtout à l'est du pays). De nombreux responsables administratifs et économiques continuent de vivre de la corruption, de l'argent sale, du narcotrafic, de la fraude et de la contrebande. N'oublions pas que le niveau de corruption atteint par les institutions de ce pays est considéré comme l'un des plus élevés au monde, soit le 29e sur les 32 pays du continent américain, selon Transparency International. Fernando Lugo a du pain sur la planche, car l'élimination de l'influence du Parti Colorado sur l'appareil de l'État risque de prendre du temps et impliquera une bataille acharnée dans tous les rouages de l'État. Le 29 décembre 2010, la fameuse Loi sur les langues (Ley de lenguas) était promulguée par le président de la République, Fernando Lugo. Après de longues années d'attente, cette loi est considérée comme un instrument de revendication culturelle qui s'inscrit parmi les plus importantes des dernières décennies; elle coïncidait avec le début des célébrations du bicentenaire de l'Indépendance nationale.

4 Le statut du guarani et de l’espagnol

Dans un pays où 95 % de la population parle la même langue (malgré les variantes dialectales), il est difficile de ne pas tenir compte de la réalité linguistique. D'ailleurs, le Paraguay demeure le seul État de toute l'Amérique à avoir reconnu officiellement et à égalité une langue amérindienne dans sa constitution. L'article 5 de l'ancienne Constitution de 1967 (aujourd'hui abrogée) reconnaissait un statut au guarani: 

Artículo 5 (derogado)

1) Los idiomas nacionales de la Republica son el español y el guarani. 
2) Sera de uso oficial el español.

Article 5 (abrogé)

1) Les langues nationales de la République sont l'espagnol et le guarani. 
2) La langue officielle est l'espagnol.

Dans cet article, le guarani ne possédait pas, au plan constitutionnel, un statut équivalent à celui de l'espagnol: ce n'était pas une langue officielle, mais une langue nationale avec l'espagnol. Par le fait même, sa position s'en trouvait amoindrie par rapport à l’espagnol.

En réalité, l’article 5 de cette constitution correspondait à une disposition fondamentalement symbolique, qui ne trouvait pas d’application dans les faits. Toute la politique officielle du gouvernement était définie à l'article 92 de cette même constitution:

Artículo 92  (derogado)

El Estado fomentara la cultura en todas sus manifestaciones. Protegera la lengua guarani y promovera su enseñanza, evolucion y perfeccionamiento. Velara por la conservacion de los documentos, las obras, los objetos y monumentos de valor historico, arqueologico o artistico que se encuentren en el pais, y arbitrara los medios para que sirvan a los fines de la educacion.

Article 92 (abrogé)

L'État encourage la culture dans toutes ses manifestations. Il protège la langue guarani et fait la promotion de son enseignement, de son développement et de son perfectionnement. Il veille à la conservation des documents, oeuvres, objets et monuments à caractère historique, archéologique ou artistique, qui se trouvent dans le pays, et décide des mesures à prendre pour qu'ils servent à des fins pédagogiques.

Les éléments qui servaient à célébrer l'identité nationale et le caractère distinct du Paraguay étaient valorisés par l'État, particulièrement en matière archéologique, historique, folklorique ou artistique. Cependant, le statut de langue nationale reconnu au guarani laissait à désirer, car ce statut ne s'est jamais matérialisé dans les faits.

Puis, en 1992, la Constitution du Paraguay fut modifiée. La Constitution du 20 juin 1992, postérieure à la chute de la dictature d'Alfredo Strossner, réaffirme certains principes concernant les langues nationales du pays, mais l'article 140 intitulé «De los idiomas» / «Les langues» place les deux langues à égalité de statut:

Artículo 140 (en vigor)

De los idiomas

1) El Paraguay es un país pluricultural y bilingüe.

2) Son idiomas oficiales el castellano y el guaraní. La ley establecerá las modalidades de utilización de uno y otro.

3) Las lenguas indígenas, así como las de otras minorías, forman parte del patrimonio cultural de la Nación.

Article 140 (en vigueur)

Les langues

1) Le Paraguay est un pays multiculturel et bilingue.

2) Ses langues officielles sont le castillan et le guarani. La loi établira les modalités d'utilisation de l'une et de l'autre. 

3) Les langues indigènes, aussi bien que celles des autres minorités, font partie du patrimoine culturel de la nation.

L'article 140.2 stipule que les langues officielles sont le castillan (au lieu de l'espagnol) et le guarani. On sait bien que l'espagnol et le castillan sont synonymes, mais le choix du mot «castellano» dans le texte n'est pas anodin. Cliquer ICI, s.v.p. pour plus de distinctions entre castillan et espagnol.

L'article 18 des Dispositions finales et transitoires de la Constitution précise que le gouvernement devra disposer de 10 000 exemplaires de la Constitution dans les langues castillane et guarani. De plus, en cas de doute dans l'interprétation du texte constitutionnel, c'est à l'«idioma castellano» (la langue castillane) qui prévaudra. 

Artículo 18

1) El Poder Ejecutivo dispondra de inmediato la edición oficial de 10.000 ejemplares de esta Constitución en los idiomas castellano y guarání.

2) En caso de duda de interpretación, se estará al texto redactado en idioma castellano.

3) A traves del sistema educativo, se fomentará el estudio de la Constitución Nacional.

Article 18

1) Le pouvoir exécutif doit disposer immédiatement d'une édition officielle de 10 000 exemplaires de la présente Constitution dans les langues castillane et guarani.

2) En cas de doute dans l'interprétation, le texte rédigé en castillan prévaudra. 

3) Dans le système d'éducation, l'étude de la Constitution nationale sera valorisée.

Si l'espagnol et le guarani sont des langues à égalité au point de vue juridique, il n'est est pas ainsi dans la vie sociale. L'espagnol est associé aux situations de prestige, le guarani dans les communications informelles. D'ailleurs, la classe politique, dominée durant plus de soixante-ans par le Parti Colorado, a toujours méprisé le guarani. Il a fallu le 29 décembre 2010 pour que le gouvernement du président Fernando Lugo fasse adopter la Loi sur les langues (Ley de lenguas). Après de longues années d'attente, cette loi est considérée comme un instrument de revendication culturelle qui s'inscrit parmi les plus importantes des dernières décennies; elle coïncidait avec le début des célébrations du bicentenaire de l'Indépendance nationale.

La promulgation de la Loi sur les langues (Ley de lenguas) a donné lieu à la création du Secrétariat national aux politiques linguistiques (Secretaría Nacional de Políticas Lingüísticas), qui compte trois directions générales: la Direction générale de la politique linguistique (Dirección General de Planificación Lingüística), la Direction générale de la recherche linguistique (Dirección General de Investigación Lingüística) et la Direction générale de la documentation et de la promotion des langues indigènes (Dirección General de Documentación y Promoción de las Lenguas Indígenas). La loi prévoit également la création de l'Académie de la langue guarani (Academia de la Lengua Guaraní), qui est responsable de la normalisation de la langue, de l'établissement de l'alphabet et de la grammaire officielle, ainsi que de divers mécanismes pour la standardisation de la langue à tous les niveaux de la société.

Dans le contexte actuel, il n'est guère surprenant que l'espagnol puisse prédominer dans la vie urbaine (41% des citadins d'Asunción feraient habituellement usage de l'espagnol au foyer, contre 49 % pour les deux langues. En contrepartie, le guarani reste la langue la plus utilisée dans les zones rurales (74 % des personnes y feraient habituellement usage du guarani, contre 23 % pour les deux langues). Mais il est encore plus significatif de constater que l'espagnol exerce une attraction et un dominance quasi exclusive dans l'Administration, les établissements scolaires, les médias écrits, etc., soit tous les aspects importants de la vie publique. En somme, l'égalité juridique dissimule en fait une situation inégalitaire qui tendrait même à s'accentuer avec le temps. Il est possible que la Loi sur les langues réussisse à stopper cette tendance, voire à l'inverser. Mais il faudra du temps et lutter contre les magouilles qui rongent le pays.

5 La politique linguistique du Paraguay

Malgré les bonnes intentions des dirigeants politiques, le guarani conserve un statut pratiquement symbolique. En ce qui a trait aux symboles officiels de l'État, on constate que le guarani n'est utilisé ni sur les timbres ni dans les passeports, mais seulement sur les billets de banque. Toutefois, la carte d’identité est bel et bien bilingue: elle est en effet en espagnol et en anglais. Au Parlement et à l'Exécutif (Conseil des ministres), seul l'espagnol est employé; aucune loi n'est promulguée ou rédigée en guarani. Ce rôle est exercé uniquement par la «première» langue officielle: l'espagnol qu'on appelle «castillan» dans la Constitution. Bref, l’État paraguayen semble fonctionner en fonction de la minorité unilingue espagnole (7 %) aux dépens des unilingues guarani (27 %), les autres étant bilingues ou parlent des langues indigènes.

5.1 Les services gouvernementaux

Dans les services gouvernementaux, l'espagnol reste la langue des communications institutionnalisées; on peut toutefois utiliser le guarani dans les communications verbales avec les fonctionnaires au niveau le plus bas de la hiérarchie administrative. Il en est de même dans les cours de justice où le guarani est admis au plan des communications orales, mais le juge ne doit plus rendre sa sentence en espagnol, il peut le faire aussi en guarani.

Mais la Loi sur les langues de 2010 prévoit des droits linguistiques individuels précis en matière d'emploi du guarani dans l'administration, la justice, les médias, l'enseignement et dans le monde du travail:  

Article 9

Les droits linguistiques individuels

Tous les citoyens de la République ont le droit :

1. De connaître et d'utiliser les deux langues officielles, tant à l'oral qu'à l'écrit, et de communiquer avec les fonctionnaires en général dans l'une d'elles. Les citoyens indigènes ont également le droit de connaître et d'utiliser leur propre langue.

2. De recevoir des informations dans leur langue de la part des employeurs privés dans les matières de travail et d'administration d'intérêt général.

3. De recevoir des informations officielles en guarani et en castillan dans les médias de l'État ou les médias privés qui émanent d'une information officielle de l'État.

4. De ne pas subir de discrimination pour des motifs linguistiques.

5. D'utiliser l'une ou l'autre des deux langues officielles dans l'administration de la justice et que leurs déclarations soient transcrites dans la langue choisie, sans l'intermédiaire d'une traduction quelconque. La personne qui utilise une autre langue est en droit d'être assistée en justice par des personnes qui connaissent sa langue.

6.
De recevoir depuis les débuts du processus scolaire une instruction formelle dans sa langue maternelle, pourvu que celle-ci soit l'une des langues officielles du pays ou une langue indigène.

7. D'apprendre d'autres langues nationales et étrangères.

Il resta à faire appliquer ces mesures qui risquent de déranger de vieilles habitudes dans le pays. De plus, l'article 10 de la Loi sur les langues énonce des droits linguistiques collectifs, ce qui signifie que des services seront offerts sans avoir à les demander, notamment en éducati9on (bilinguisme), dans les services gouvernementaux, les médias et la signalisation.

Article 10

Les droits linguistiques collectifs nationaux

Les droits linguistiques de la communauté nationale sont les suivants:

1.
Disposer d'un programme d'instruction bilingue guarani-castillan dans tout le système d'éducation nationale de l'enseignement primaire à l'enseignement supérieur ainsi que des programmes distincts pour les peuples indigènes.

2. Bénéficier de services disponibles de l'État dans les deux langues officielles.

3. Bénéficier de la présence équitable des langues guarani et castillan dans les médias et dans les programmes officiels émanant des médias de communication privés.

4. Disposer de services d'information et de signalisation dans les deux langues officielles. 

Tout le chapitre III de la Loi sur les langues est consacré à l'«usage des langues officielles dans le domaine public». L'article prévoit que les lois de la République continueront d'être promulguées en castillan (espagnol), mais que les institutions de l'État doivent disposer de textes dans les deux langues officielles. La même procédure doit être utilisée dans les arrêtés municipaux, une fois établis l'alphabet et la grammaire officielle de la langue guarani. L'article 15 prescrit l'emploi des deux langues officielles indistinctement dans l'administration de la justice, y compris les sentences des juges. Le bilinguisme doit aussi s'appliquer dans les avis, les formulaires et les imprimés officiels (art. 16), dont la carte d'identité (art. 18). Il en est ainsi pour les étiquettes des produits alimentaires et des médicaments (art. 22), les toponymes (art. 21), les écriteaux et les avis oraux dans les transports publics (art. 24), les panonceaux des rues, la signalisation, les affiches commerciales, la dénomination des établissements d'enseignement et des centres culturels, récréatifs, sociaux, sportifs, religieux et autres (art. 25). Quant à l'article 17, il prescrit que, pour accéder à des postes de fonctionnaire dans les organismes publics nationaux, départementaux et municipaux, la préférence sera accordée aux personnes possédant une meilleure maîtrise dans les deux langues officielles. Les fonctionnaires qui doivent avoir des contacts directs avec la population disposent de cinq ans pour acquérir la maîtrise orale dans les deux langues officielles. Il s'agit là d'un véritable bouleversement de toute la politique linguistique pratiquée depuis l'indépendance il y a deux cents ans.

5.2 L’enseignement

Le système d'éducation du Paraguay compte trois niveaux : le primaire, le secondaire (deux cycles) et l'universitaire. L'école primaire est gratuite et, en principe, obligatoire pour les enfants âgés de 6 à 14 ans. Le taux d’alphabétisation officiel des Paraguayens atteint 94 %. Le pays possède plusieurs universités, telles que l’Université nationale d’Asunción (1890) et l’Université catholique de Notre-Dame d’Asunción (1960).

- Les droits à l'enseignement des langues nationales

En matière d'enseignement, l'article 77 de la Constitution de 1992 déclare ce qui suit:

Artículo 77

De la enseñanza en lengua materna

1) La enseñanza en los comienzos del proceso escolar se realizará en la lengua oficial materna del educando. Se instruirá asimismo en el conocimiento y en el empleo de ambos idiomas oficiales de la República

2) En el caso de las minorías étnicas cuya lengua materna no sea el guaraní, se podrá elegir uno de los dos idiomas oficiales.

Article 77

L'enseignement dans la langue maternelle

1) L'enseignement du premier cycle scolaire sera dispensé dans la langue maternelle officielle de l'élève. Il sera appris aux élèves de comprendre et d'employer ainsi les deux langues officielles de la République.

2) Les minorités ethniques dont la langue maternelle n'est pas le guarani peuvent choisir l'un des deux langues officielles.

Au Paraguay, la loi n° 68 du 17 octobre 1990 rendait obligatoire l'introduction des langues nationales, l'espagnol et le guarani, dans le système éducatif.  Cette loi a été  modifiée par la loi no 28 du 10 septembre 1992. L'article 1er de la loi n° 28 rend obligatoire l'enseignement des langues nationales dans le système d'éducation des niveaux primaire, secondaire et universitaire:

Artículo 1

Declárase obligatoria la enseñanza de los idiomas nacionales, el español y el guaraní, en el curriculum educativo del nivel Primario, Secundario, Universitario.

Article 1er

L'enseignement des langues nationales, l'espagnol et le guarani, est déclaré obligatoire dans les programme d'études aux niveaux primaire, secondaire et universitaire.

Il est prévu que le ministre de l'Éducation et de la Culture formulera des programmes d'enseignement en fonction de l'usage correct de la langue guarani dans toutes les situations de communication. Selon l'article 31 de Loi générale de l’éducation n° 1264 (Ley General de Educación) du 26 mai 1998, la langue d'enseignement du premier cycle primaire doit être la langue maternelle officielle de l'élève («en la lengua oficial materna del educando»; l'autre langue officielle sera enseigné comme langue seconde.  

Artículo 31

1) La enseñanza se realizará en la lengua oficial materna del educando desde los comienzos del proceso escolar o desde el primer grado. 

2) La otra lengua oficial se enseñará también desde el inicio de la educación escolar con el tratamiento didáctico propio de una segunda lengua.

Article 31

1) L'enseignement est dispensé dans la langue officielle maternelle de l'élève à partir du début du cursus scolaire ou depuis le premier cycle. 

2) L'autre langue officielle est aussi enseignée depuis le début de l'enseignement scolaire selon la méthode pédagogique propre à une langue seconde.

Depuis quelques années seulement, le guarani est enseigné dans les écoles primaires. Mais la langue d'enseignement continue généralement d'être l'espagnol, même dans les zones rurales et les districts populaires urbains. Dans les faits, le guarani sert simplement d'auxiliaire pour l'apprentissage de l'espagnol durant les trois premières années du primaire, même si, en haut lieu, on parle officiellement d'«enseignement bilingue». Bien que le Congrès national ait adopté la loi n° 28 du 10 septembre 1992, qui garantit l’enseignement de l’espagnol et du guarani dans les écoles du pays, l'État n'a vraiment jamais mis en œuvre ces dispositions, car seulement huit écoles sur un total de 20 000 appliquaient en 2008 la règle de l’enseignement en guarani. Or, ladite règle devait être appliquée dans au moins 10 000 écoles, compte tenu du nombre d’enfants locuteurs du guarani qui vivent dans le système d'éducation.

Plus précisément, il est stipulé dans le «Programme d'enseignement bilingue» du gouvernement que l'espagnol et le guarani sont utilisés pour la communication orale, alors que l'espagnol est la seule langue autorisée pour l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Selon la définition officielle, l'enseignant bilingue est «une personne qui parle l'espagnol et le guarani, et qui alphabétise en espagnol» (Grazziella CORVALÁN). Ce processus ne dure que trois ans, le temps de passer ensuite uniquement à l'espagnol.

- Les problèmes

Cette situation inégalitaire du bilinguisme paraguayen n'est pas sans soulever de nombreux problèmes d'ordre social et pédagogique. Il est vrai que la majorité de la population est en faveur du guarani comme l'une des deux langues d'enseignement, mais celles-ci n'ont guère le même statut. En réalité, le guarani joue un rôle simplement «auxiliaire» («papel auxiliar») dans l'apprentissage de l'espagnol. Rien ne semble être fait pour améliorer la situation de diglossie dont souffrent les locuteurs du guarani. Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que seulement 55 % des élèves terminent leurs études primaires. 

Les spécialistes paraguayens croient que le système d'éducation du pays est «aliénant et expulsif» ("enajenante y expulsivo")», qui «déparagayise» ("desparaguayiza") la culture les enfants et des jeunes, et qu'il les prépare à l'émigration vers la ville et de la ville à l'extérieur du pays. Ce serait un système dont le contenu pédagogique ne renforce aucunement l'identité culturelle des individus et ne les prépare pas à vivre au Paraguay. Pour conter ce phénomène, il faudrait avoir comme objectif la maîtrise efficace de la langue guarani. Au Paraguay, il s'agit de deux langues officielles l'espagnol et le guarani et d'une troisième langue à portée internationale (l'anglais).

Dans la situation actuelle, beaucoup de jeunes arrivent à l'université sans savoir lire et écrire suffisamment l'espagnol, et sans pouvoir exprimer leurs pensées, parfois sans pouvoir parler cette langue. Avec la Loi sur les langues (2010), on croyait possible de corriger une bonne partie de ces inconvénients parce qu'une telle loi obligerait le système d'éducation à assumer le multiculturalisme, le bilinguisme et les expressions dialectales paraguayennes en distinguant le castillan (espagnol) du guarani. Une telle loi, qui a été adopté en décembre 2010, devrait forcer aussi le ministère de l'Éducation et de la Culture à adapter la pédagogie et la didactique des langues. Il en résulterait un enseignement du «guarani paraguayen» et d'un «castillan paraguayen» en lieu et place d'un «guarani de laboratoire» ("guarani recreado en laboratorio") et d'un «castillan pur», ces deux variétés ne correspondant guère à l'identité paraguayenne.  

- La Loi sur les langues de 2010

Le chapitre V de la Loi sur les langues de 2010 est entièrement consacré aux langues dans l'enseignement. L'article 26 déclare que les enfants paraguayens ont le droit de recevoir une instruction primaire dans leur langue maternelle, pourvu que celle-ci soit l'une des langues officielles de l'État. Les langues officielles doivent être dispensées dans les établissements d'enseignement publics et privés, qui composent le système d'éducation nationale (art. 28). Ces langues officielles doivent être utilisées comme véhicule d'enseignement à tous les niveaux du système d'éducation: maternelle, primaire, secondaire et supérieur (art. 29). Selon l'article 30, les centres de formation destinés aux enseignants doivent préparer des éducateurs bilingues en guarani et en castillan. Selon les circonstances, dans l'exercice de leur fonction, les enseignants utilisent les deux langues officielles comme moyen d'enseignement. Dans le territoire d'une langue indigène, les enseignants doivent également être formés dans cette langue, qui est aussi utilisé comme véhicule d'enseignement.

- L'enseignement des langues étrangères

L'enseignement des langues étrangères est prévu à l'article 75 de la Loi générale de l’éducation (no 1264) du 26 mai 1998:

Article 75

Les institutions publiques ou privées spécialisées dans l'étude et la diffusion des langues étrangères ou les langues des autres groupes ethniques dans notre pays reçoivent une reconnaissance officielle, sous réserve de la conformité avec les règlements établis à cet effet par le ministère de l'Éducation et de la Culture.

Pour ce qui est des langues étrangères, elles sont enseignés au secondaire. La palme va à l'anglais, suivi du portugais et du guarani. Le guarani est enseigné comme langue seconde aux élèves hispanophones qui ont généralement le choix entre cette langue et l'anglais ou le portugais, parfois l'allemand ou le français.  L'étude du français ne concerne que 0,5 % des élèves du secondaire. Il s'agit d'un succès bien modeste, mais il faut savoir que le français ne s'inscrit dans aucune tradition dans  ce pays, contrairement au portugais, à l'anglais et à l'allemand. 

- Les mennonites

Quant aux mennonites, en raison de leur autonomie administrative, ils dispensent l'enseignement à leurs enfants en allemand standard. Le programme élaboré par leur Conseil général de l'éducation prévoit que l'espagnol sert de langue seconde, afin que les élèves puissent, plus tard, accéder aux établissements universitaires du pays. De cette manière, ils ont rendu possible ce qui sans doute constitue un pas de plus pour tenter de s'intégrer dans la société paraguayenne. Les Germano-Paraguayens disposent également de leurs propres réseaux de radio et de télévision.

5.3 L’affichage et les activités économiques

Au Paraguay, l'emploi du guarani, d'ailleurs assez rare dans l'affichage, est considéré par certains comme du «pur exhibitionnisme». Il reste plutôt confiné chez les groupes nationalistes et les partis politiques lors des élections. Pourtant, le guarani n'est pas interdit. Sans prestige, il reste simplement confiné aux relations familiales et interpersonnelles. Il arrive cependant que des municipalités rurales apposent des affiches bilingues sur les édifices publics, mais il s'agit alors d'initiatives locales, non de pratiques résultant d'une directive ministérielle. L'espagnol règne sans partage dans le paysage paraguayen.

Dans le domaine des médias, l'espagnol exerce sa suprématie, mais les radios locales surtout celles appartenant aux communautés religieuses  ont recours à la langue guaranie. La télévision ne présente généralement pas d’émission en guarani, sauf lors de circonstances spéciales, mais la radio présente plusieurs émissions. La grande presse du pays est en espagnol et seule la presse écrite à caractère religieux s'adresse aux habitants en guarani. Après plus d'un siècle d'absence de périodiques en guarani, la publication Ára a débuté en avril 2006, qui pour l'instant est mensuel, mais il est prévu d'en augmenter la fréquence.

La monnaie nationale semble un cas d'exception. Le Paraguay (Banco Central del Paraguay) a pris le guarani comme unité monétaire nationale. Ce nom, on le sait, désigne l’ethnie majoritaire du pays, ainsi que la langue de ce groupe. On sait moins cependant que le mot signifie aussi «guerrier» et que, en nommant la monnaie avec ce mot, c'était une façon pour le Paraguay de s'identifier comme pays distinct et indépendant de l'Espagne. 

7  La Convention relative aux peuples indigènes et tribaux

Le gouvernement du Costa Rica a signé la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux no 169 (ou Convención sobre pueblos indígenas y tribales) de l’Organisation internationale du travail (OIT); le Parlement costaricien l’a ratifiée le 2 avril 1993. Ce document d’une grande importante implique 14 États, dont en Amérique centrale le Guatemala, le Costa Rica, le Honduras et l’Équateur.

La Convention reconnaît aux peuples indigènes le droit de jouir pleinement des libertés fondamentales, sans entrave ni discrimination (art. 3). Les dispositions de cette convention doivent être appliquées sans discrimination aux femmes et aux hommes de ces peuples. Les gouvernements des États signataires doivent mettre en place des moyens par lesquels les peuples autochtones pourront, à égalité avec le reste de citoyens de leur pays, participer librement et à tous les niveaux à la prise de décisions dans les institutions électives et les organismes administratifs et autres qui sont responsables des politiques et des programmes qui les concernent (art. 6). L’article 7 reconnaît aux populations concernées le droit de contrôler leur développement économique, social et culturel propre. Les États doivent aussi tenir compte des coutumes et du droit coutumier de ces populations (art. 8). L’article 20 de la Convention oblige les gouvernements à «prendre des mesures spéciales pour assurer aux travailleurs appartenant à ces peuples une protection efficace en ce qui concerne le recrutement et les conditions d'emploi». Les gouvernements doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter toute discrimination entre les travailleurs appartenant aux peuples intéressés.

La partie VI de la Convention est consacrée à l’éducation, donc indirectement à la langue. L’article 26 est très clair sur la possibilité des autochtones d’acquérir leur instruction à tous les niveaux:

Article 26

Des mesures doivent être prises pour assurer aux membres des peuples intéressés la possibilité d'acquérir une éducation à tous les niveaux au moins sur un pied d'égalité avec le reste de la communauté nationale.

Le paragraphe 3 de l’article 27 reconnaît «le droit de ces peuples de créer leurs propres institutions et moyens d'éducation» et que des ressources appropriées leur soient fournies à cette fin. C’est l’article 28 qui semble le plus important en cette matière:

Article 27

1) Lorsque cela est réalisable, un enseignement doit être donné aux enfants des peuples intéressés pour leur apprendre à lire et à écrire dans leur propre langue indigène ou dans la langue qui est le plus communément utilisée par le groupe auquel ils appartiennent. Lorsque cela n'est pas réalisable, les autorités compétentes doivent entreprendre des consultations avec ces peuples en vue de l'adoption de mesures permettant d'atteindre cet objectif.

2) Des mesures adéquates doivent être prises pour assurer que ces peuples aient la possibilité d'atteindre la maîtrise de la langue nationale ou de l'une des langues officielles du pays.

3) Des dispositions doivent être prises pour sauvegarder les langues indigènes des peuples intéressés et en promouvoir le développement et la pratique.

Les États appuieront l'élaboration de programmes scolaires correspondant à la réalité des peuples autochtones et mobiliseront les ressources techniques et financières nécessaires à leur bonne application. Quant à l’article 31, il précise que «mesures de caractère éducatif doivent être prises dans tous les secteurs de la communauté nationale, et particulièrement dans ceux qui sont le plus directement en contact avec les peuples intéressés, afin d'éliminer les préjugés qu'ils pourraient nourrir à l'égard de ces peuples». Dans ces perspectives, il est précisé que «des efforts doivent être faits pour assurer que les livres d'histoire et autres matériels pédagogiques fournissent une description équitable, exacte et documentée des sociétés et cultures des peuples intéressés».

Comme il se doit, les États signataires de la Convention reconnaîtront et établiront des mécanismes pour assurer l'exercice de tous les droits des peuples autochtones, en particulier en ce qui concerne l'éducation, la langue et la culture.

7  Vers une nouvelle politique linguistique

Il existe depuis quelques années au Paraguay différents mouvements prônant une modification ou une réorientation de la politique linguistique actuelle. Plus précisément, il s'agirait de promouvoir un bilinguisme institutionnel plus systématique. En général, il semble que l'espagnol et le guarani soient là pour rester, et que le guarani demeurera la langue normale de la majorité des citoyens du Paraguay. 

Toute nouvelle politique devra dorénavant prendre pour acquis que le guarani est la langue du Paraguay et que tous ont le droit de le connaître et le droit de l'utiliser; il en serait ainsi du «castillan» (ou espagnol). C'est donc en réalité une politique de bilinguisme qu'on veut développer au plan institutionnel.

Le guarani devrait, en plus de l'espagnol, devenir également la langue des relations officielles de la part des autorités publiques et il ne devrait y avoir aucune discrimination entre le guarani et l'espagnol. Cela signifie que les fonctionnaires devraient pouvoir utiliser les deux langues et que les tribunaux devraient faire une place au guarani au même titre que pour l'espagnol. De plus, les lois et les règlements devraient être diffusés autant en guarani qu'en espagnol. L'Administration publique devrait être capable de répondre dans la langue du citoyen, que celui-ci utilise l'espagnol ou le guarani. Dans les écoles, les deux langues nationales devraient être enseignées tout au long du cursus éducatif. Les établissements d'enseignement devraient considérer le guarani comme leur langue véhiculaire habituelle dans toutes leurs activités pédagogiques et administratives.

Enfin, toute politique linguistique devrait promouvoir la normalisation et l'emploi du guarani dans les domaines de l'orthographe, de la grammaire et du lexique. Dans ce dernier cas, la politique linguistique devrait tenir compte de la terminologie moderne, des néologismes, des hispanismes et des anglicismes.

La nouvelle politique linguistique doit aussi faire assumer la responsabilité de l'élaboration de cette politique par la Direction nationale de la politique linguistique (Dirección Nacional de Política Lingüística), qui dépend du ministère de l'Éducation et de la Culture (Ministerio de Educación y Cultura). Bref, des projets de loi ont été présentés en 2006 (voir le texte) et en 2009 (voir le texte), mais aucun n'a pu être adopté jusqu'à la promulgation de la Loi sur les langues de 2010. Il reste maintenant à mettre en œuvre cette nouvelle politique.

En vertu de la Constitution, le caractère officiel attribué à la langue espagnol et au guarani justifie l'emploi des deux langues dans tous les actes officiels et les communications institutionnalisées. Pour ce faire, il faut que guarani cesse d'être confiné aux rapports informels et personnels, alors que l'espagnol sert pour toutes les communications à caractère officiel: enseignement, administration publique, médias, affichage, etc. Le problème avec le guarani au Paraguay, c'est qu'il est massivement utilisé dans les régions rurales et dans la vie économique, mais qu'il ne constitue aucunement la langue des élites politiques, intellectuelles et commerciales.  L'emploi du guarani n'est ni interdit ni refusé, mais le guarani ne doit plus occuper un rang inférieur à l'espagnol, la langue de l'élite et du continent.

Force est de constater que, jusqu'à présent, la politique linguistique du Paraguay fut une une de non-intervention, puisqu'elle s'en tenait à un statut quasi symbolique. Depuis toujours, les divers gouvernements successifs, de toute évidence, ne se sont pas intéressés à la question et ont refusé d'intervenir. La langue guarani n'a jamais été menacée dans sa survie, mais son prestige en a été considérablement amoindri et sa position sociale, nettement dévalorisée. Ce ne sont pas les discours apologétiques sur l'identité paraguayenne qui pouvaient donner une apparente égalité au guarani, alors que la situation était proprement inégalitaire. Le bilinguisme du Paraguay est resté tout à fait déséquilibré au profit de l'espagnol. Il faut espérer que l'adoption de la Loi sur les langues de 2010 brise ce statut quasi symbolique du guarani. On affirme que le Paraguay est indubitablement le pays latino-américain qui reconnaît le plus de droits linguistiques à ses autochtones, mais il faut que ces droits se transposent dans la réalité. Il reste encore à normaliser l'orthographe, la grammaire et le lexique de la langue guarani. C'est maintenant la tâche des linguistes paraguayens. Demeure encore en suspens la question des autres petites langues amérindiennes du Paraguay. La plupart de celles-ci sont en voie d'extinction. Il faudrait élargir leurs fonctions sociales et les intégrer à des rôles publics et institutionnels non traditionnels. Ce n'est pas pour demain!  Il faut aussi espérer que l'élite politique et administrative du pays ne vienne pas saboter la politique linguistique élaborée par la Loi sur les langues de 2010.  

Dernière mise à jour: 03 janv. 2024

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