[Governmental and Naval Flag]
République du Pérou
Pérou

República del Perú

 

Capitale: Lima
Population: 28,1 millions (2005)
Langue officielle: espagnol (tout le pays), quechua (régional) et aymara (régional)
Groupe majoritaire: espagnol (76 %) 
Groupes minoritaires: quechua (14,7 %), aymara (1,4 %) plus une centaine de langues autochtones
Système politique: république unitaire
Articles constitutionnels (langue): art. 17 et 48 de la Constitution de 1993

Lois linguistiques: Décret-loi no 21156 reconnaissant le quechua comme langue officielle de la République (1975); Loi no 23384 approuvant la Loi générale de l'éducation (1982); Loi générale sur les communautés paysannes (1987); Loi établissant le caractère obligatoire de l'enseignement des langues quechua et aymara pour les niveaux d'enseignement primaire, secondaire et supérieur (2001); Loi sur les langues (2002); Loi sur la reconnaissance, la préservation, la promotion et la diffusion des langues aborigènes (2003); Loi générale sur l'éducation (2005); Règlement sur la Loi sur l'éducation no 28044 (2005); Règlement sur l'enseignement primaire normal (2004); Règlement sur l'enseignement primaire alternatif (2004); Règlement sur la gestion du système d'éducation (2005).

1 Situation générale

Le Pérou (en espagnol: República del Perú) est limité à l’ouest par le Pacifique, au nord par l’Équateur et le Colombie, à l’est par le Brésil, au sud par la Bolivie et le Chili (voir la carte). La superficie totale du Pérou est de 1,2 million km² (environ deux fois la France), ce qui en fait le troisième plus grand pays d'Amérique du Sud, après le Brésil et l'Argentine. La ville de Lima est la capitale du pays et son principal centre économique.

Au plan administratif, le pays compte 24 départements («departamentos»), eux-mêmes divisés en 180 provinces («provincias»), en plus d'une province constitutionnelle, celle de El Callao. Les départements sont les suivants: Amazonas, Ancash, Apurímac, Arequipa, Ayacucho, Cajamarca, Ciudad de Lima, Cuzco, Huancavelica, Huánuco, Ica, Junín, La Libertad, Lambayeque, Lima, Loreto, Madre de Dios, Moquegua, Pasco, Piura, Puno, San Martín, Tacna, Tumbes et Ucayali.  Les provinces sont intégrées dans des districts («distritos») au nombre de 1747.

2 Données démolinguistiques

Ce pays compte plus de 28 millions d’habitants dont les langues sont au nombre d’une bonne centaine. Les indigènes, descendants des Incas, représentent environ 45 % de la population du Pérou; ce sont essentiellement des Quechuas et des Aymaras. Près de 37 % des habitants sont issus d'un métissage entre Amérindiens et descendants d'Européens. Environ 15 % des Péruviens sont d'origine européenne (surtout espagnole). Les 3 % restants sont issus de l'immigration (Japonais, Chinois, Norvégiens, Chiliens, etc.).

Chez les peuples indigènes, il existe plus d'une soixantaine de communautés différentes réparties à travers les montagnes ainsi que dans les régions côtières et amazoniennes. Les plus grands groupes indigènes sont les peuples des montagnes, les Quechua (dans les Andes) et les Aymara (dans le Sud). La région amazonienne est le foyer de nombreux peuples et groupes ethnolinguistiques, qui sont largement dispersés géographiquement et dont les populations sont beaucoup moins importantes.

En ce qui a trait aux langues, quelque 76 % de la population parle l'espagnol comme langue maternelle. À l'exception de certaines langues immigrantes (japonais, portugais, norvégien, etc.), les autres langues sont d'origine amérindienne. Cependant, le nombre des langues indigènes péruviennes est impressionnant avec près d'une centaine, 72 ethnies et 14 familles linguistiques (quechua, aru, arahuaca, jíbaro, pano, tupi-guaraní, cahuapana, peba-yagua, huitoto, harakmbet, tacana, tucano, zaparo et un groupe sans classification linguistique).

Le quechua, avec ses nombreuses variantes, est parlé par 3,7 millions de personnes: c'est le groupe linguistique indigène le plus important. Le quechua  ne constitue pas une communauté linguistique homogène, puisque cette langue est fragmentée en une vingtaine de variétés dialectales. Cette fragmentation rend plus difficile la promotion et la préservation de la culture indigène, et facilite plutôt son assimilation et son extinction.  Ensuite, c'est l’aymara (350 000 locuteurs, surtout dans les Andes) et ses variantes. Signalons qu'une soixantaine de langues sont parlées par un tout petit nombre de locuteurs, souvent par moins de 1000, parfois par moins de 100 ou de 20 individus. C’est donc dire qu'un grand nombre des langues indigènes péruviennes est en voie d’extinction.

Groupe ethnique

Population

Pourcentage

Langue maternelle

Affiliation linguistique

Péruviens hispanophones 21 267 000 75,5 % espagnol langue romane
Quechua Cuzco 1 900 000  6,7 % quechua cusco famille quechua
Quechua Ayacucho 1 000 000  3,5 % quechua ayacucho famille quechua
Quechua Puno 500 000   1,7 % quechua de Puno famille quechua
Aymara du Centre 442 000  1,5 % aymara du Centre famille aymara
Quechua Huaylas Ancash 336 330  1,1 % quechua de Huaylla Ancash famille quechua
Quechua Apurimac 280 000  0,0 % quechua apumirac ce l'Est famille quechua
Quechua, Ancash Conchucos du Sud 260 000   0,0 % quechua conchucos du Sud famille quechua
Quechua Ancash Conchucos du Nord 250 000   0,0 % quechua conchucos d'Ancash du Nord famille quechua
Quechua Jauja Huancayo 250 000   0,0 % quechua de Huaylla Wanca famille quechua
Aymara du Sud 213 000   0,0 % aymara du Sud famille aymara
Péruviens noirs 137 000   0,0 % espagnol langue romane
Japonais 131 000   0,0 % japonais famille japonaise
Chinois cantonais 120 000    0,0 % cantonais (yu) famille sino-tibétaine
Quechua, Ambo-Pasco 90 000   0,0 % quechua ambo-pasco famille quechua
Quechua Margos Chaulan 83 400   0,0 % quechua de Margos-Yarowilca-Lauricocha famille quechua
Chiliens 82 000   0,0 % espagnol langue romane
Quechua Huancayo du Sud 78 000   0,0 % quechua deHuaylla Wanca famille quechua
Quechua Huamalies 72 440   0,0 % quechua de Huamalies-Dos de Mayo Huánuco famille quechua
Quechua Junín  du Nord 60 000   0,0 % quechua du Junín  du Nord famille quechua
Afro-Péruviens 55 000

  0,0 %

espagnol langue romane
Quechua Pachitea 50 000   0,0 % quechua panao de Huanuco famille quechua
Aguaruna 41 000

  0,0 %

aguaruna famille jivaroane
Quechua Huallaga 40 000   0,0 % quechua huallaga huanuco famille quechua
Quechua Cajamarca 30 000   0,0 % quechua cajamarca famille quechua
Chinocholo (Afro-Hispaniques) 27 000   0,0 % espagnol langue romane
Zambo 27 000   0,0 % espagnol langue romane
Shipibol 26 000   0,0 % shipibo-conibo famille panoane
Quechua Pasco-Yanahuanca 21 000   0,0 % quechua yanahuanca de Pasco famille quechua
Quechua Lambayeque 20 000   0,0 % quechua de Lambayeque famille quechua
Quechua Arequipa 17 000   0,0 % quechua arequipa-La Unión famille quechua
Ashéninka Campa 16 000   0,0 % ashéninka pajonal famille arawak
Quechua Jungle 15 000   0,0 % quechua de San Martin famille quechua
Quechua Maranon 13 000  0,0 % quechua conchucos du Sud famille quechua
Ashéninka pajonal 12 100  0,0 % ashéninca pajonal famille arawak
Chayahuita 12 000   0,0 % chayahuita famille cahuapanan
Ashéninka Pichis 12 000   0,0 % ashéninka pichi famille arawak
Injerto 11 000   0,0 % espagnol langue romane
Machiguenga 10 000   0,0 % machiguenga famille arawak
Quechua Cerro de Pasco 10 000   0,0 % quechua Santa Ana de Tus famille quechua
Quechua Chiquian Ancash 10 000   0,0 % quechua chiquian ancash famille quechua
Amuesha 9 800

  0,0 %

yanesha famille arawak
Huambiza 9 300   0,0 % huambisa famille jivaroane
Quichua Napo 8 000   0,0 % quechua de Napo famille quechua
Ticuna 8 000   0,0 % ticuna isolat linguistique
Norvégiens 7 500   0,0 % norvégien (bokmål) langue germanique
Ucayali-Yurua Ashéninka 7 300   0,0 % ashéninka de Ucayali-Yurua famille arawak
Ashéninka Ucayali du Sud 7 000   0,0 % ashéninka ucayali du Sud famille arawak
Quechua de Lima du Nord 7 000   0,0 % quechua cajatambo du Nord famille quechua
Quechua Chachapoyas 7 000   0,0 % quechua chachapoyas famille quechua
Quechua Chincha 6 600   0,0 % quechua chincha famille quechua
Nomatsiguenga 6 500   0,0 % nomatsiguenga famille arawak
Quechua Sihuas Ancash 6 500   0,0 % quechua de Sihuas Ancash famille quechua
Quechua Yauyos 6 500   0,0 % quechua de Yauyos famille quechua
Yagua 5 700   0,0 % yagua famille peba-yaguan
Ashéninka Perené 5 500   0,0 % ashéninka Perene famille arawak
Apurucayali 5 200

  0,0 %

apurucayali famille arawak
Cashibo-Cacataibo 5 000   0,0 % cashibo-cacataibo famille panoane
Piro (Yine) 4 000   0,0 % yine famille arawak
Quechua Corongo Ancash 4 000   0,0 % quechua corongo Aancash famille quechua
Candoshi-Shapra 3 100   0,0 % candoshi-shapra isolat linguistique
Achuar Jivaro 3 100

  0,0 %

achuar-shiwiar famille jivaroane
Urarina 3 000   0,0 % urarina isolat linguistique
Espagnols de Loreto-Ucayali 2 700   0,0 % espagnol de Loreto-Ucayali langue romane
Jebero (Xebero) 2 400   0,0 % jebero famille cahuapanane
Bora 2 225    0,0 % bora famille witotoane
Kokama 2 000   0,0 % cocama-cocamilla famille cahuapanane
Matsés 2 000   0,0 % matsés (mayoruna) famille panoane
Cashinahua 1 600   0,0 % cashinahua famille panoane
Chitonajuas 1 400   0,0 % yaminahua famille panoane
Murui Huitoto 1 100   0,0 % murui huitoto famille witotoane
Quechua Pastaza du Sud 1 100   0,0 % quechua de Pastaza du Sud famille quechua
Muinane Huitoto 1 000   0,0 % murui huitoto famille witotoane
Yaminahua 750   0,0 % yaminahua famille panoane
Jaqaru 735   0,0 % jaqaru famille aymara
Amarakaire 500-1000

  0,0 %

amarakaeri famille harakmbet
Pisabo 500   0,0 % pisabo famille panoane
Ese Ejja 475   0,0 % ese ejja famille tacanoane
Culina 400   0,0 % culina famille arauane
Kapanawa 400   0,0 % kapanawa famille panoane
Yors 400   0,0 % yora famille panoane
Caquinte 300   0,0 % caquinte famille arawak
Huachipaire 300   0,0 % huachipaeri famille harakmbet
Quechua Pacaroas 250   0,0 % quechua de Pacaraos famille quechua
Orejon (Koto) 200   0,0 % orejón famille tacanoane
Secoya d'Angotero 150   0,0 % secoya famille tacanoane
Amahuaca 100-500

  0,0 %

amahuaca famille panoane
Cujareno 100   0,0 % mashco piro famille arawak
Nipode Huitoto 100   0,0 % nipode huitoto famille witotoan
Isconahua 80   0,0 % isconahua famille panoane
Arabela (Chiripunu) 50-300

  0,0 %

arabela famille zaparoane
Ocaina 50  0,0 % ocaina famille witotoane
Total  28 166 015 100,00 %    

3  Données historiques

Les archéologues croient que les premières traces humaines au Pérou dateraient d'il y a environ 20 000 ans avant notre ère. On sait de façon plus sûre que, vers 1250 avant notre ère, plusieurs civilisations venues du Nord, notamment les Chavíns, les Chimús, les Nazcas et les Tiahuanacos, s'établirent dans la région. Par exemple, la ville de Chanchan fut construite par les Chimús vers l'an 1000 de notre ère. 

Entre l'an 1100 et l'an 1300, les Incas, une tribu guerrière du sud de la Sierra, se déplacèrent peu à peu vers le nord de la région jusqu'à la vallée de Cuzco. Leur expansion commença en 1438, avec l'empereur Pacahuetec, qui entreprit de conquérir les terres voisines. Vers 1500, l'Empire inca s'étendait de la région sud de l'actuelle Colombie, jusqu'au fleuve Maule au Chili et à l'actuelle province de Tucumán en Argentine. Treize générations d'Incas se sont succédé à la tête de cet empire avant l'arrivée des Espagnols. C'était le plus grand empire autochtone du continent.

Machu Picchu demeure la cité inca la plus célèbre et l'emblème de toute cette civilisation. Inconnue des Espagnols, il fallut attendre le 24 juillet 1911 pour que l'explorateur américain Hiram Bingham, grâce à des informations recueillies auprès des indigènes, fasse connaître cette cité au monde entier. Il mit au jour des centaines de tombes, exhuma des jarres, des plats et des bijoux. Sa découverte parut d'autant plus retentissante que Bingham avait pris soin, en avril 1913, de la faire connaître grâce au magazine National Geographic.

3.1  La conquête espagnole

En 1531, le conquistador espagnol Francisco Pizarro débarqua au Pérou (en provenance de Panama) avec seulement 168 hommes et 37 chevaux. Il entra à Cajamarca, le 16 novembre 1532, et captura rapidement l'empereur Atahualpa dont il extorqua une énorme rançon. Lors de la bataille de Cajamarca, les 168 Espagnols écrasèrent une armée inca de quelque 80 000 hommes et en massacrèrent près de 40 000, sans essuyer une seule perte. Les armes en bois et les gourdins des Incas ne firent pas le poids contre les armes en acier et les fusils des Espagnols, sans oublier la cavalerie. Pizarro entra à Cuzco, la capitale de l'empire des Incas, le 15 novembre 1533. Comme les Incas étaient déjà divisés entre eux, les Espagnols profitèrent de la situation et réussirent, en quelques années (1531-1536) à faire de cet immense empire inca une possession espagnole. Le scénario fut toujours le même: quelques dizaines de cavaliers espagnols mettaient en déroute des milliers d'Incas dans un grand carnage.

Les maladies infectieuses (variole, rougeole, grippe, typhus, peste bubonique, etc.) amenées par les Européens décimèrent près de 95 % de la population indigène restante. En 1535, Pizarro fonda sur les bords de la rivière Rímac une ville dont il fit sa capitale, Ciudad de los Reyes (la «cité des Rois»), aujourd'hui Lima. Ensuite, les Espagnols se répartirent les indigènes asservis, notamment pour l'exploitation des mines de Potosí.  Mais les conflits d'autorité qui opposèrent bientôt les conquistadores entre eux débouchèrent sur l'assassinat de Pizarro

En 1542, afin de rétablir l'ordre, Charles Quint, en tant que roi d'Espagne, créa la vice-royauté du Pérou, qui comprenait toutes les possessions espagnoles d'Amérique du Sud, à l'exception de l'actuel Venezuela. Des lois furent promulguées, afin de tenter de protéger les indigènes des violences et de l'exploitation des conquistadores. Mais le premier vice-roi espagnol, Nunez de Vela, arrivé au Pérou en 1544, suscita une vive hostilité de la part des colons qui se rebellèrent et l'assassinèrent : les «nouvelles lois» ne furent jamais appliquées. Le système colonial se mit en place avec l'arrivée, en 1569, du vice-roi Francisco de Toledo (1515-1582). Celui-ci entreprit l'intégration des populations indigènes, groupées en communautés agricoles et placées sous la tutelle d'un particulier ou de l'État, tout en favorisant leur christianisation.  Pendant les trois siècles de domination espagnole, la population aborigène est passée de douze millions d'habitants à seulement deux millions.

Le Pérou devint une riche colonie espagnole, mais elle déclina rapidement à la suite de l'épuisement des mines d'or et des révoltes des indigènes. À partir de 1630, la phase de déclin provoqua une longue dépression économique. Puis, la vice-royauté du Pérou fut considérablement réduite par la création des vice-royautés de la Nouvelle-Grenade (1739), du Río de la Plata (1776) et de la Capitainerie générale du Chili (1742). Le marasme économique se prolongeant, des aspirations autonomistes virent le jour. 

En 1780, quelque 60 000 indigènes, sous la conduite de José Gabriel Condorcanqui (qui avait adopté le nom de son ancêtre inca, Tupac Amaru), se révoltèrent contre l'autorité espagnole. L'insurrection fut rapidement écrasée en 1781 et Tupac Amaru fut exécuté, de même que des milliers de ses camarades révolutionnaires; une autre révolte fut à son tour réprimée en 1814. Pendant ce temps, l'opposition à l'autorité espagnole gagnait toute l'Amérique du Sud hispanique. 

Mais l'indépendance vint de l'extérieur du Pérou. En septembre 1820, le général José de San Martín, un Argentin qui avait battu les forces espagnoles au Chili, débarqua avec ses troupes au Pérou et mit en déroute l'armée espagnole. Le 15 juillet 1821, il entra dans la ville de Lima, insurgée; il réunit le Conseil municipal pour rédiger l'Acte d'indépendance.

3.2    L'indépendance


 José de San Martín lors de la proclamation de l'Indépendance

Le 28 juin 1821, sur la Grand-Place de Lima, le général José de San Martín proclama officiellement l'indépendance par ces mots: «Le Pérou est, dès ce moment, libre et indépendant par la volonté générale des peuples et par la justice de sa cause que Dieu défend. Vive la patrie! Vive la liberté! Vive l'indépendance!» San Martín reçut le titre de Libertador du Pérou. Il abandonna ses pouvoirs et laissa le champ libre à un autre héros: Simón Bolívar (1783-1830). Toutefois, l'émancipation définitive des territoires péruviens ne survint qu'en décembre 1824, lors de la victoire d'Ayacucho, avec l'aide du général Antonio José de Sucre (1795-1830), lieutenant en chef de Simón Bolívar.  

Simón Bolívar partit pour la Grande-Colombie en 1826 dont il devint le premier président. La fédération de Colombie (ou Grande-Colombie) incluait le Venezuela, le Panama et la Colombie. Mais les années qui suivirent furent extrêmement chaotiques pour le Pérou.

Pendant tout le XIXe siècle, le pays passa sous le joug de riches propriétaires fonciers et de dictateurs militaires. La guerre du Pacifique (1879-1883), qui opposa la Bolivie, le Chili et le Pérou, se termina par la victoire chilienne et l'abandon de la province de Tarapaca. Battu et amputé d'une partie de son territoire, ruiné par des années de guerre et les dissensions internes, le Pérou tenta bien de se réorganiser.

3.3  La lente reconstruction

La reconstruction fut lente et se fit grâce à des capitaux étrangers. Après avoir été président de la République entre 1908 et 1912, Augusto Leguía y Salcedo reprit le pouvoir en 1919 à la faveur d'un coup d'État militaire et exerça ensuite une autorité quasi dictatoriale. En 1924, alors qu'il était au pouvoir, des intellectuels péruviens exilés fondèrent l'Alianza Popular Revolucionaria Americana (Alliance populaire révolutionnaire américaine) ou APRA, un mouvement de tendance marxiste, influencé par la révolution mexicaine. Comme l'Alliance exigeait des réformes fondamentales contre l'oligarchie conservatrice, elle fut rapidement interdite par le président Augusto B. Leguía y Salcedo, ce qui ne l'empêcha pas de devenir un parti politique extrêmement influent. Mais l'oligarchie foncière se maintint en place grâce à des dictatures et à des régimes plus libéraux. À cette époque, plusieurs instituteurs tentèrent de dispenser un enseignement aux enfants indigènes dans leur langue maternelle, mais ils durent le faire clandestinement, car nombreux furent ceux qui ont été assassinés par les grands propriétaires terriens. Ces derniers refusaient que «leurs Indiens» puissent apprendre à lire ou à écrire.

Après une nouvelle tentative des militaires pour s'emparer du pouvoir, l'élection de 1963 permit le retour à la démocratie, avec la victoire de Fernando Belaúnde Terry. Celui-ci fut cependant évincé en octobre 1968, la Constitution fut suspendue et une junte militaire s'installa au pouvoir, sous la direction du général Juan Velasco Alvarado (1910-1977). Au début des années soixante-dix, le gouvernement de Velasco entreprit à son tour une réforme radicale du système économique et social: ce furent la saisie des terrains d'élevage appartenant à des intérêts étrangers, le contrôle des prix sur les biens et services fondamentaux et la réforme agraire, puis l'industrie de la pêche d'anchois fut nationalisée en 1973. Après une série de grèves et de manifestations organisées pour exprimer l'insatisfaction populaire vis-à-vis du président Velasco, un nouveau coup d'État militaire renversa le gouvernement péruvien, le 29 août 1975. Le régime du général Francisco Morales Bermúdez (1975-1980), qui suivit, annonça que le pays retournerait à la démocratie en 1980. Cependant, et en réponse à l'agitation sociale qui se développait à cause de l'augmentation vertigineuse du coût de la vie, l'état d'urgence fut proclamé. En 1975, il avait fait adopter une loi souvent appelée Ley  de la Oficialización del Quechua, c'est-à-dire «Loi sur l'officialisation du quechua».

3.4 Le retour à la démocratie

En 1980, une élection présidentielle fut organisée. Le vainqueur de l'élection, l'ancien président Belaúnde Terry, ne parvint pas à redresser la situation économique. Pendant les cinq années qui suivirent, le revenu par habitant diminua et la dette extérieure du pays augmenta. Par ailleurs, les guérilleros maoïstes du Sentier lumineux (Sendero luminoso) intensifièrent leurs actions. La guérilla fut probablement responsable de la mort d'au moins 18 000 personnes, dans les années quatre-vingt. La victoire, pour la première fois dans l'histoire du pays, du candidat de l'APRA, Alan García Pérez, lors de l'élection présidentielle de 1985, ne parvint pas à inverser la tendance, et le déclin économique du pays se poursuivit.

En juin 1990, Alberto Fujimori, un fils d'immigrés japonais, succéda à García Pérez. Le nouveau président de la République imposa un programme d'austérité afin de combattre l'hyperinflation (1000 % en 1988-1989) qui avait totalement discrédité le régime précédent. La crise économique provoqua une nouvelle escalade des actions de la part du Mouvement Tupac Amaru (MRTA) et du Sentier lumineux, lesquels commencèrent à viser les infrastructures administratives de Lima. Invoquant le terrorisme et la corruption dans les milieux gouvernementaux, le président Fujimori suspendit la Constitution en avril 1992 et prononça la dissolution du Congrès. Alberto Fujimori fut réélu en 1995 (9 avril), mais la situation continua de se détériorer. En dépit de la Constitution, le président Fujimori brigua un troisième mandat à l’élection présidentielle de 2000. Malgré 1,5 million de signatures, la tenue d’un référendum visant à empêcher sa candidature a été rejetée par le Congrès. Alberto Fujimori a été élu, mais ce fut une élection contestée dans le pays comme à l’étranger. En novembre 2000, à la suite d’un scandale politico-financier impliquant le chef des services de renseignement, l'un de ses proches conseillers, Alberto Fujimori s’est réfugié au Japon à l'occasion d'un voyage officiel et a annoncé sa démission. Le Congrès péruvien l’a refusée et a prononcé sa déchéance politique pour «incapacité morale permanente». Fujimori sera finalement condamné le 7 avril 2009 à 25 ans de prison par le tribunal de Lima, notamment pour violations des droits de l'homme.

L’élection présidentielle destinée à désigner le successeur d’Alberto Fujimori s'est déroulée en juin 2001. L’économiste Alejandro Toledo, candidat de «Pérou possible», un Indien d’origine quechua qui ne parle pas la langue ancestrale, recueillit 53 % des suffrages. Il devint président le 28 juillet 2001. Puis la popularité du nouveau président chuta rapidement. L’instabilité et les scandales liés à la corruption continuèrent de miner la vie politique péruvienne. L'ancien président Alan García du Parti apriste devint président le 28 juillet 2006. García fut vite confronté notamment aux mouvements indigénistes luttant contre des firmes pétrolières. De nouveaux conflits eurent lieu et occasionnèrent des massacres. La politique actuelle tend même à diminuer les droits aux indigènes, plutôt que de les améliorer. Il ne reste plus aux autochtones qu'un vague statut de co-officialité du quechua et de l'aymara dans certaines régions. Dans une étude menée par le professeur Federico Dejo de l'Université Agraire, 81 % des autochtones vivant à Lima affirment avoir subi ou avoir été témoin de discrimination raciale. Pour finir, les langues indigènes du Pérou continuent de disparaître à un rythme affolant. 

4 Le statut juridique des langues

Au début de la décennie de 1970, le Pérou avait officialisé le quechua au même titre que l'espagnol. La politique linguistique ayant échoué, la nouvelle Constitution de 1979 est venue diminuer le statut du quechua. Ainsi, à l'article 83 (aujourd'hui abrogé), on lisait:
 
Artículo 83 [1979]

1) El castellano es el idioma oficial de la República.
2) También son de uso oficial el quechua y el aymara en las zonas y la forma que la ley establece.
3) Las demás lenguas aborígenes integran asimismo el patrimonio cultural de la nación.

Article 83 [1979]

1) Le castillan est la langue officielle de la République. 
2) Le quechua et l'aymara sont aussi officiels dans les zones et de la manière que précise la loi. 
3) Les autres langues aborigènes font aussi partie du patrimoine culturel de la nation.

Par conséquent, le quechua et l'aymara sont devenus des langues co-officielles à l'échelle régionale. Seul l'espagnol, appelé castillan, est la langue officielle de tout le pays. Mais la Constitution du 31 octobre 1993, adoptée par référendum, précise à l'article 2.19 que «tout individu a droit [...] à son identité ethnique et culturelle».

Artículo 2

Toda persona tiene derecho:

19) A su identidad étnica y cultural. El Estado reconoce y protege la pluralidad étnica y cultural de la Nación.

Article 2

Tout individu a droit :

19) À son identité ethnique et culturelle. L'État reconnaît et protège la pluralité ethnique et culturelle de la nation.

L'article 48 de la Constitution de 1993 mentionne spécifiquement le caractère officiel de deux langues, en plus de celui de l'espagnol (le quechua et l'aymara), dans les régions où elles prédominent (antérieurement, le décret 21 de 1975 accordait au quechua ce statut). Les autres langues autochtones qui prédominent sur une partie du territoire national sont également considérées comme des langues officielles dans ces régions: 

Artículo 48 [1993]

Son idiomas oficiales el castellano y, en las zonas donde predominen, también lo son el quechua, el aimara y las demás lenguas aborígenes, según la ley.

Article 48 [1993]

Le castillan et, dans les régions où ces idiomes prédominent, le quechua, l'aymara et les autres langues aborigènes sont aussi des langues officielles, conformément à la loi.

L'article 89 de la Constitution de 1993 exige le respect envers les cultures des communautés indigènes et donne à tout citoyen le droit d'utiliser sa propre langue pour communiquer avec n'importe quel organisme public. L'article 35 de la Constitution de 1979, bien qu'il ne reconnaissait le statut de langue officielle à aucune langue autochtone, stipulait que l'État devait encourager «l'étude et la connaissance des langues aborigènes» et offrir aux communautés quechua et aymara, entre autres, «un enseignement primaire» dans ces langues.

Artículo 35

1) El Estado promueve el estudio y conocimiento de las lenguas aborígenes.

2) Garantiza el derecho de las comunidades quechuas, aymara y demás comunidades nativas a recibir educación primaria también en su propio idioma o lengua.

Article 35 [abrogé]

1)
L'État encourage l'étude et la connaissance des langues aborigènes.

2) Il garantit le droit des communautés quechua, aymara et autres communautés indigènes de recevoir un enseignement primaire également dans leur idiome ou langue propre.

Les articles 161 à 163 de 1979 reconnaissaient aussi les droits économiques et sociaux des peuples autochtones.

Artículo 161 [1979]

1) La Comunidades Campesinas y Nativas tienen existencia legal y personería jurídica. Son autónomas en su organización, trabajo comunal y uso de la tierra, así como en lo económico y administrativo dentro del marco que la ley establece.

2)
El Estado respeta y protege las tradiciones de las Comunidades Campesinas y Nativas. Propicia las superación cultural de sus integrantes.

Artículo 162

El Estado promueve el desarrollo integral de las Comunidades Campesinas y Nativas. Fomentan las empresas comunales y cooperativas.

Artículo 163

1) Las tierras de las Comunidades Campesinas y Nativas son inembargables e imprescriptibles. También son inalienables, salvo ley fundada en el interés de la Comunidad, y solicitada por una mayoría de los dos tercios de los miembros calificados de esta, o en caso de expropiación por necesidad y utilidad públicas. En ambos casos con pago previo en dinero.

2)
Queda prohibido el acaparamiento de tierras dentro de la Comunidad.

Article 161 [1979]

1) Les communautés indigènes et paysannes ont une existence légale et une personnalité juridique. Elles sont autonomes dans leur organisation, le travail communal et l'usage de la terre, ainsi que dans l'économie et l'administration dans le cadre établi par la loi.

2)
L'État respecte et protège les traditions des communautés indigènes et paysannes. Il favorise le renforcement culturel de ses membres.

Article 162

L'État promeut le développement intégral des communautés indigènes et paysannes. Il favorise les entreprises communales et coopératives.

Article 163

1) Les terres des communautés indigènes et paysannes sont insaisissables et imprescriptibles. Elles sont aussi inaliénables, sauf par une loi fondée sur l'intérêt de la communauté et sollicitée par une majorité des deux tiers des membres qualifiés de celle-ci ou, en cas d'expropriation, par la nécessité et l'utilité publiques. Dans les deux cas, avec paiement préalable en argent.

2) La spoliation des terres est interdit dans la Communauté.

Pour plusieurs (dont les juristes Ana Maria Tamayo du Pérou et Roque Roldan de la Colombie), la Constitution de 1993, que l'ancien président Alberto Fujimori avait personnellement prônée, constituerait un recul pour les droits des autochtones, notamment parce que le gouvernement a supprimé les mécanismes juridiques pour la protection des autochtones, croyant que leurs problèmes restaient une simple question d'ordre économique. Cette politique laisse présentement les territoires de ces populations ouverts à l'expansion des entreprises multinationales, sans stratégie juridique et politique pour les défendre. 

En mars 1975, le Pérou avait adopté le décret-loi no 21156 reconnaissant le quechua comme langue officielle de la République (encore en vigueur) qui faisait en sorte que le quechua était devenu une langue officielle à égalité avec le castillan:.

Article 1er

Le quechua est reconnu à égalité avec le castillan comme langue officielle de la République.

Selon cette loi, à partir d'avril 1976, l'enseignement du quechua est devenu obligatoire pour tous les niveaux de l'enseignement au Pérou; il a aussi fixé au 1er janvier 1977 le délai pour que le pouvoir judiciaire adopte le quechua lorsque les parties parlent seulement le quechua.
Au Pérou, l'officialisation du quechua fut un acte politique dont le but principal était l'intégration de tous les individus à la vie nationale et le renforcement de la conscience nationale.

En 2001, une autre loi, la Loi établissant le caractère obligatoire de l'enseignement des langues quechua et aymara pour les niveaux d'enseignement primaire, secondaire et supérieur (Ley que establece la obligatoriedad de la enseñanza de los idiomas Quechua y Aymara en los niveles de educacion primaria, secundaria y superior), reconnaissait que le quechua et l'aymara avaient le statut de «langues officielles» au même titre que le castillan, dans les zones où prédominent ces deux langues, ainsi que d'autres langues aborigènes (sans les nommer):

Article 1er

Le castillan, le quechua et l'aymara sont des langues officielles, dans les zones où prédominent ces dernières, ainsi que les autres langues aborigènes, selon la loi.

Autrement dit, l'espagnol est officiel dans tout le Pérou, mais le quechua et l'aymara sont aussi officiels dans certaines régions. Ce statut juridique a connu des répercussions dans la vie sociale des Péruviens, puisque la loi prévoyait des zones linguistiques pour les langues indigènes. Cependant, accorder un statut juridique est une chose, l'appliquer dans la réalité en est une autre. Donner des moyens aux citoyens de faire appliquer la loi constitue un autre tour de force. 

5 La langue de l'État

La langue officielle de l'État est l'espagnol (toujours appelé castellano ou castillan dans les textes officiels). C'est pourquoi le Parlement péruvien n'utilise que l'espagnol, que ce soit lors des débats, de la rédaction, de l'adoption ou de la promulgation des lois.

5.1 Les services gouvernementaux

Les services gouvernementaux sont tous assurés en espagnol, mais l'État prévoit, dans certaines régions, des services oraux non seulement en quechua ou en aymara, mais aussi en arawak et en penoan. Cela étant dit, aucun document officiel n'est disponible dans une langue indigène de la part du gouvernement. Cependant, plusieurs municipalités (en vertu des régions délimitées par l'État) offrent parfois des documents bilingues, voire seulement dans une langue indigène. Il n'existe guère de politique uniforme, tout se fait selon les disponibilités des municipalités.

5.2 Les tribunaux

En général, la langue de la justice demeure l'espagnol, mais, en cas de force majeure, par exemple lorsqu'un individu ignore l'espagnol, les tribunaux fournissent un interprète à l'accusé et/ou au témoin. La langue des sentences reste l'espagnol, mais l'accusé a le droit, le cas échéant, d'obtenir une traduction dans une langue vernaculaire. Il faut bien comprendre qu'au moins 20 % de la population ignore tout de l'espagnol. L'article 2 (paragraphe 19) de la Constitution autorise un individu à utiliser sa langue maternelle devant une autorité au moyen d'un interprète:
 

Artículo 2

Toda persona tiene derecho: [...]

19) A su identidad étnica y cultural.

El Estado reconoce y protege la pluralidad étnica y cultural de la Nación.

Todo Peruano tiene derecho a usar su propio idioma ante cualquier autoridad mediante un intérprete. 

Los extranjeros tienen este mismo derecho cuando son citados por cualquier autoridad.

Article 2

Toute personne a droit : [...]

19) À son identité ethnique et culturelle. 

L'État reconnaît et protège la pluralité ethnique et culturelle de la nation.

Tout Péruvien a le droit d'utiliser sa propre langue devant toute autorité au moyen d'un interprète. 

Les étrangers ont ce même droit quand ils seront cités par une autorité.

Cela ne signifie pas que la procédure va se dérouler en quechua, mais seulement qu'un interprète fera la traduction pour le juge et le justiciable. Pourtant, l'article 3 du décret-loi n° 21156 reconnaissant le quechua comme langue officielle de la République reconnaît que la procédure judiciaire doit être en quechua lorsque le justiciable ne parle que cette langue:
 

Article 3

Le pouvoir judiciaire doit prendre toutes les mesures nécessaires pour que, à partir du 1er janvier 1977, la procédure judiciaire pour les parties qui parlent seulement le quechua s'effectuent dans cette langue.

La loi ne précise pas que le juge doit comprendre le quechua, mais qu'il est permis d'utiliser cette langue lorsque l'accusé ou le témoin ne parle que cette langue. C'est la traduction qui est un droit, pas la langue elle-même. Il s'agit d'un droit lorsque le tribunal ne peut faire autrement, le principe étant de permettre le fonctionnement de la justice.

6 Les langues de l'enseignement

Le système d'éducation péruvien comprend quatre niveaux: la maternelle (le «nido»), le primaire, le secondaire et l'université. À la maternelle, les enfants sont instruits généralement dans leur langue maternelle. Au primaire, il faut distinguer trois sections de l'enseignement «de base» (Educación Básica): l'enseignement primaire alternatif (Educación Básica Alternativa), l'enseignement primaire spécial (Educación Básica Especial) et l'enseignement primaire normal (Educación Básica Regular).

6.1 L'enseignement des langues indigènes

En règle générale, le système est fait pour l'enseignement du castillan (espagnol) dans tous les établissements d'enseignement. Cependant, La Constitution de 1979 qui, rappelons-le, n'est plus en vigueur, prévoyait l'enseignement des «langues aborigènes». En effet, à l'article 35, on lisait le texte suivant:

Artículo 35 [derogado]

1) El Estado promueve el estudio y conocimiento de las lenguas aborígenes. 

2) Garantiza el derecho de las comunidades quechuas, aymara y demás comunidades nativas a recibir educación primaria también en su propio idioma o lengua.

Article 35 [abrogé]

1) L'État encourage l'étude et la connaissance des langues aborigènes.

2) Il garantit le droit des communautés quechua, aymara et autres communautés indigènes de recevoir un enseignement primaire également dans leur idiome ou langue propre.

Cette disposition constitutionnelle semblait claire: l'État garantissait à certaines communautés un enseignement au niveau primaire des langues indigènes. En réalité, cet enseignement ne fut possible qu'à quelques communautés linguistiques importantes, comme le quechua, l'aymara, l'arawak, le penoan, etc. On comprendra qu'il serait difficile d'enseigner à des enfants dont le nombre total des locuteurs n'atteint même pas la centaine.

Pourtant, l'article 2 du décret-loi no 21156 reconnaissant le quechua comme langue officielle de la République prévoyait l'enseignement obligatoire de cette langue «à tous les niveaux de l'éducation», de la maternelle à l'université:
 

Article 2

À partir du début de l'année scolaire de 1976, l'enseignement du quechua est obligatoire à tous les niveaux de l'éducation de la République. Les ministères de la Guerre, de la Marine, de l'Aéronautique, de l'Intérieur et de l'Éducation sont chargés de l'application de la présente disposition, en maintenant en vigueur  dans toutes ses parties les dispositions contenues dans le décret-loi no 19326.

Mieux encore, la loi de 2001, la Loi établissant le caractère obligatoire de l'enseignement des langues quechua et aymara pour les niveaux d'enseignement primaire, secondaire et supérieur rendait obligatoire l'enseignement du quechua et de l'aymara pour les niveaux d'enseignement primaire, secondaire et supérieur, dans les régions où ces langues prédominent:
 

Article 2

Il est institué à titre obligatoire l'enseignement des langues quechua et aymara pour les niveaux d'enseignement primaire, secondaire et supérieur, dans les zones où elles prédominent, leur inclusion devant être consignée dans les programmes concernés.

Cet enseignement n'a pas été rendu possible dans les faits, sauf pour les trois premières années du primaire. Les Péruviens de la classe moyenne instruite vivant dans les centres urbains parlent l'espagnol, et la plupart d'entre eux ne sont pas bilingues. Il est difficile pour le quechua et ses variétés locales de se substituer à l'espagnol, car son orthographe n'est pas normalisée. De plus, le quechua ne dispose que de peu de modèles littéraires.

Pour la majorité des Péruviens, le quechua ou l'aymara représente un symbole de l'histoire passée du pays. Les parents des élèves sont unanimement favorables à l'apprentissage de l'espagnol, mais ils demeurent divisés quant à celui de leur langue maternelle. Certains pensent que les enfants connaissent déjà leur langue maternelle et qu'il vaudrait mieux tout miser sur l'espagnol en pensant que son usage exclusif à l'école favoriserait davantage la mobilité sociale. Les élèves d’école primaire éprouvent des difficultés pour apprendre à lire et à communiquer, et ceux qui arrivent en fin de primaire n’ont en général pas acquis les compétences de base pour la compréhension écrite, la rédaction de textes, et le raisonnement logique mathématique. Deux fillettes sur dix seulement arrivent à écrire. Les populations vivant dans les zones rurales sont les plus vulnérables et concentrent le plus grand nombre de déficits, notamment en terme d’éducation. La faible qualité de l’éducation est alarmante.  Un pourcentage important de la population, aussi bien des zones urbaines que rurales, ont pour langue maternelle le quechua ou l'aymara, mais l'apprentissage s’effectue généralement en castillan. De ce fait, une barrière discriminatoire se crée entre les élèves au sein même de l’école. On note également l'absence de matériel pour l'apprentissage du castillan en tant que langue seconde. D'ailleurs, l'enseignement des langues indigènes n'est permis qu'au niveau primaire. Il n'est pas autorisé au secondaire et à l'université.

6.2 L'éducation bilingue interculturelle

Comme ailleurs en Amérique latine, ce qu'on appelle «l'éducation interculturelle» concerne principalement les peuples indigènes. L'objectif général implique que les indigènes puissent continuer d'exister en affirmant leurs cultures et leurs langues. La méthode est axée sur le bilinguisme espagnol/langue indigène afin que les langues autochtones puissent s'intégrer dans l'enseignement scolaire. Plus précisément, cet enseignement est normalement désigné par l'expression Educación Bilingüe Intercultural («éducation bilingue interculturelle»). Il s'agit d'une méthode destinée à remplacer l'enseignement dispensé uniquement en espagnol afin de tenir compte de la diversité et du potentiel linguistique et culturel qui existent dans certaines régions du continent. Il faut donc comprendre que l'enseignement des langues indigènes ne constituent pas une fin en soi, mais une étape visant l'acquisition de l'écriture et de la lecture avant de passer à l'espagnol.   

La Constitution péruvienne de 1993 prévoit à l'article 17 un enseignement bilingue et interculturel :
 

Artículo 17

El Estado garantiza la erradicación del analfabetismo. Asimismo fomenta la educación bilingüe e intercultural, según las características de cada zona. Preserva las diversas manifestaciones culturales y lingüísticas del país. Promueve la integración nacional.

Article 17

L'État garantit l'éradication de l'analphabétisme. Il encourage aussi l'éducation bilingue et interculturelle, selon les caractéristiques individuelles de chaque région. Il préserve les diverses manifestations culturelles et linguistiques du pays. Il favorise l'intégration nationale.

L'article 20 de la Loi générale sur l'éducation n° 28044 (2005) définit en ces termes l'éducation bilingue interculturelle:
 

Article 20

Éducation bilingue interculturelle

L'éducation bilingue interculturelle est offerte dans tout le système d'éducation pour :

a) Favoriser l'évaluation et l'enrichissement de la culture propre, le respect de la diversité culturelle, le dialogue interculturel et la prise de conscience des droits des peuples indigènes et des autres communautés nationales et étrangères. Cette éducation incorpore l'histoire des peuples, leurs connaissances et leurs technologies, leurs systèmes de valeurs et leurs aspirations sociales et économiques.

b) Garantir l'apprentissage dans la langue maternelle des apprenants et du castillan comme langue seconde, ainsi que l'apprentissage ultérieur des langues étrangères.

c) Fixer l'obligation chez les enseignants de maîtriser à la fois la langue originaire de la région où ils travaillent comme pour le castillan.

d) Assurer la participation des membres des peuples indigènes dans la formulation et la mise en place des programmes en éducation afin de former des équipes capables d'assumer progressivement la gestion de ces programmes.

e) Préserver les langues des peuples indigènes et favoriser leur développement et leur emploi.

L'article 72 du Règlement sur l'enseignement primaire normal (2004) décrit ainsi l'éducation bilingue interculturelle pour l'enseignement primaire comme un enseignement prévu pour les contextes bilingues et assurant le développement de la maîtrise orale de la langue d'origine, l'apprentissage de la lecture et de l'écriture dans cette langue et l'apprentissage du castillan avec la méthodologie de langue seconde :
 

Article 72

Éducation bilingue interculturelle

1)
Dans l'enseignement primaire, l'éducation bilingue interculturelle garantit, dans des contextes bilingues de langue indigène et du castillan, le développement de la maîtrise orale de la langue d'origine, l'apprentissage de la lecture et de l'écriture dans cette langue et l'apprentissage du castillan avec la méthodologie de langue seconde dans le cadre de la culture locale et régionale et de concert avec d'autres cultures et d'autres langues du pays et du monde. Dans ce but, il convient de travailler en consultation avec la Commission intersectorielle de l'éducation les enfants et des adolescents dans les campagnes et avec les organisations représentatives des peuples et communautés indigènes pour l'élaboration conjointe de leurs projets pédagogiques.

2) Les professeurs des établissements d'enseignement en contexte bilingue interculturel doivent satisfaire aux conditions suivantes :

a) Maîtriser la langue indigène de la communauté où est placé l'établissement d'enseignement ainsi que le castillan.

b) Connaître la culture locale et lui donner un traitement pédagogique avec une approche interculturelle.

C'est pour promouvoir les langues autochtones que, le 29 juillet 2001, le président du Pérou, Alejandro Toledo (un Quechua), a annoncé l'introduction à titre «optionnel» de l'enseignement des deux langues de l'ancien empire inca, le quechua et l'aymara, dans le système d'éducation de son pays. Cependant, il n'a jamais précisé ni la date d'entrée en vigueur de cette mesure ni ses modalités. Mais voici sa déclaration rapportée par l'Agence France-Presse:

Pourquoi avons-nous la seule possibilité d'apprendre comme langue étrangère l'anglais et pas celle des habitants du Pérou profond, qui sont l'âme et la culture de nos peuples? Pourquoi ceux-ci n'ont pas la possibilité de s'exprimer dans leur propre langue, dans leur culture, avec leurs racines, leurs croyances dans les Apus (les dieux des forces telluriques de montagnes dans la religion de l'ex-empire inca)?

Il s'agissait d'un discours de clôture des festivités organisées à Cusco (sud-est du pays), ancienne capitale inca, pour célébrer l'accession au pouvoir du nouveau président. Ce texte ne constitue pas un document juridique. D'ailleurs, les résultats de cette promesse se font encore attendre parce que la dure réalité, sans parler de l'inertie des fonctionnaires, empêchera le réseau bilingue de se généraliser à toute la population concernée.

- L'interculturalité pour les indigènes et les riches

Il faut bien comprendre que l'«éducation bilingue et interculturelle» dont il est question ici ne concerne que les indigènes, pas ceux qui parlent l'espagnol comme langue maternelle. Autrement dit, l'État ne favorise le bilinguisme comme vertu que pour les seuls autochtones. Lorsqu'il est bilingue, le système d'éducation péruvien fait en sorte que les enfants commencent leur instruction dans la «langue aborigène» pour apprendre graduellement l'espagnol, de telle sorte que, en quatrième année du primaire et dans tout le secondaire, ils puissent s'exprimer à l'école en espagnol. Bref, l'enseignement n'est pas destiné à conserver les langues autochtones, mais à mieux alphabétiser les enfants pour les faire passer plus rapidement à l'espagnol. Il s'agit d'un bilinguisme de transition, non d'un bilinguisme de conservation. De plus, les parents ne disposent d'aucun choix, sauf s'il s'agit d'écoles privées (pour les riches) dans lesquelles le bilinguisme concerne l'espagnol et l'anglais, ou l'espagnol et le français, l'espagnol et le portugais, etc.

En réalité, le véritable bilinguisme interculturel ne vaut que pour les enfants de riches fréquentant les écoles privées ou les écoles internationales qui dispensent un enseignement bilingue en espagnol et en anglais, parfois en français. Chez les enfants de riches, il est possible de rester en contact permanent avec la culture anglo-américaine grâce au cinéma, la musique, la radio, la télévision, le câble, etc. Généralement, ces enfants ont aussi la possibilité de voyager aux États-Unis afin de faire du «shopping», visiter Miami ou courir quelques musées. Ce genre d'activités est inimaginable pour les autochtones. Sauf pour des cas d'exception, les unilingues hispanophones ne veulent pas apprendre une langue indigène, pas même le quechua, la langue la plus importante du Pérou après l'espagnol. Pour eux, c'est «une perte de temps». Cependant, le fait d'apprendre une ou deux langues étrangères et de devenir plurilingues signifie pour les élites s'ouvrir au monde occidental, avoir la possibilité de faire des études universitaires à l’étranger et, au final, obtenir un succès garanti dans leur vie professionnelle.

- Un constat décevant

En ce qui a trait à l'éducation bilingue interculturelle destinée aux indigènes, l'article 17 de la Constitution demeure souvent peu appliqué ou pas du tout, car l'enseignement est dispensé principalement en espagnol. De nombreux groupes autochtones n'ont jamais reçu et ne reçoivent pas d'enseignement dans leur langue, notamment en raison de la pénurie d'enseignants ou de manuels scolaires à peu près inexistants. Comme certaines communautés linguistiques ne comptent que quelques centaines de locuteurs, il apparaît pratiquement impossible de garantir une instruction dans la plupart des langues d'ailleurs peu répandue et pratiquement en voie d'extinction. Les instituteurs n'ont pas généralement d'expérience professionnelle adéquate et ne bénéficient pas de formation continue pour exercer une éducation interculturelle et bilingue come l'exige la réalité péruvienne. Par ailleurs, les enseignants qui ont été formés pour les programmes d'éducation bilingue et interculturelle ont tendance à être déconsidérés par leurs collègues qui dispensent uniquement un enseignement en espagnol. Bref, si l'éducation interculturelle vise à faciliter le dialogue entre les cultures et à les considérer de manière égalitaire, sa mise en pratique demeure néanmoins difficile. De plus, bien que la population de Lima puisse compter aussi des locuteurs du quechua ou de l’aymara, l’éducation bilingue interculturelle n’existe pas dans la capitale où la langue principale demeure l’espagnol. Il faut aussi considérer que d'autres intérêts linguistiques entrent en ligne de compte dans la capitale, par exemple l’apprentissage des langues étrangères et en particulier l’anglais. C'est pourquoi, dans l'état actuel des choses, l'enseignement en langue indigène demeure plus une exception qu'une réalité nationale. 

6.3 L'alphabet du quechua et de l'aymara

En 1985, le gouvernement péruvien a décidé d'officialiser, par la Resolución Ministerial du 18 novembre 1985, no121-85-ED, l'alphabet  du quechua et de l'aymara, le tout conformément aux normes de l'orthographe et de la ponctuation de ces langues. La Résolution ministérielle comprenait trois aspects: 

1) Officialiser l'alphabet quechua et aymara, ainsi que les normes d'orthographe et de ponctuation, afin que les écritures quechua et aymara soient approuvées comme modèles pour le quechua et l'aymara.
2) Incorporer comme partie intégrante de la présente résolution le document de travail en ce qui a trait aux alphabets quechua et aymara, ainsi qu'aux règles d'orthographe et de ponctuation.  
3) Charger l'Institut national de la culture (Instituto Nacional de Cultura) de l'édition et de la diffusion dudit document de travail. 

6.4 L'enseignement supérieur

Quant à l'enseignement universitaire, c'est comme d’ailleurs dans les autres pays d’Amérique latine, dans la mesure où ces établissements d'enseignement supérieur ne répondent pas aux besoins des autochtones. Très peu d’entre eux fréquentent les universités où ils sont généralement sous-représentés. Les universités ne dispensent pas d'enseignement en langue autochtone, ignorent les connaissances concernant les droits des autochtones et les droits de l'homme. Les programmes et les méthodes d'enseignement ne reflètent pas la conception de l'éducation que se font les autochtones, notamment au sujet de la place de la spiritualité, du respect dû aux anciens et à leurs connaissances, et au bien-être physique. La plupart de ces établissements ne proposent pas de cours favorisant une amélioration des conditions sociales et économiques des autochtones.

Pour beaucoup de leaders autochtones, l'enseignement universitaire, tel qu’il s’est appliqué au Pérou, contribue à l'aliénation des autochtones au sein de leur propre peuple et entraîne une fuite des cerveaux de leurs communautés respectives. Les peuples autochtones souhaiteraient qu'un équilibre soit établi dans l'enseignement des connaissances autochtones et celles des non-autochtones.

6 La vie économique

Évidemment, toute la vie économique des Péruviens se déroulent exclusivement en espagnol, car les populations autochtones vivent dans la marginalité; les langues autochtones ne sont guère employées à l'extérieur du foyer, encore moins hors des communautés autochtones. Tous les produits manufacturés ne sont accompagnés que de textes en espagnol, sauf pour certains produits étrangers (américains) qui sont en anglais. Le fait demeure rare, mais certaines raisons sociales peuvent même apparaître en anglais.

Il n'y a aucune législation ou réglementation dans le domaine de l'affichage, mais le libre choix ne donne pas automatiquement droit de cité au quechua ou à l'aymara. De fait, on ne trouve pratiquement jamais d'affiche en quechua provenant du gouvernement, d'une administration régionale ou même d'une administration municipale. Dans les domaines de l'affichage commercial et de la publicité, la visibilité du quechua est inexistante, car les autochtones sont exclus de la vie économique du pays. Cependant, pendant les campagnes électorales, il peut arriver que des partis politiques péruviens recourent à de l'affichage en quechua, mais, même là, cela n'est pas du tout généralisé. En somme, l'affichage en quechua (ou en aymara) ne paraît pas très utile pour les Péruviens, car ceux qui parlent cette langue et qui savent lire connaissent nécessairement l'espagnol. De plus, il semble inutile d'afficher en quechua, par exemple, parce que les locuteurs unilingues du quechua ne savent généralement pas lire. Il s'agirait donc d'une approche essentiellement pragmatique.

Du côté des médias, il n'existe pas de journaux en langue autochtone, sauf quelques rares périodiques destinés à des populations isolées. Des organismes humanitaires et l'Église catholique font fonctionner plusieurs stations radiophoniques rurales à l'intention des autochtones. Ces radios diffusent en langue autochtone (quechua, aymara), veillent à la préservation et à la promotion des populations concernées. Voces Indígenas Program Radio est un organisme diffusant en espagnol et aussi en quechua des émissions populaires en provenance du Pérou, mais aussi de l'Équateur et de la Bolivie, et distribuées à plus de 120 stations d'«émissions indigènes». Ces stations de radio couvrent des centaines de petites communautés autochtones, dont beaucoup de membres sont en grande partie illettrés. Ces programmes tiennent les peuples autochtones informés des nouvelles locales, nationales et internationales. Il existe aussi un réseau de stations diffusés par satellite appelés ALRED (produit par la Latinamerica Press) et voué à la préservation de la langue quechua en Bolivie, en Équateur et au Pérou. Cependant, l'État dispose depuis quelques années de stations officielles du gouvernement diffusant des émissions en «langue indienne». En effet, la Radio Nacional du Pérou diffuse des émissions en quechua et en aymara depuis 1987; le gouvernement a rebaptisé la Radio Nacional avec un nom quechua: Radio Pachicutec.

7 La Convention relative aux peuples indigènes et tribaux

Le gouvernement du Costa Rica a signé la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux (ou Convención sobre pueblos indígenas y tribales) de l’Organisation internationale du travail (OIT); le Parlement costaricien l’a ratifiée le 2 avril 1993. Ce document d’une grande importante implique 14 États, dont en Amérique centrale le Guatemala, le Costa Rica, le Honduras et l’Équateur.

La Convention reconnaît aux peuples indigènes le droit de jouir pleinement des libertés fondamentales, sans entrave ni discrimination (art. 3). Les dispositions de cette convention doivent être appliquées sans discrimination aux femmes et aux hommes de ces peuples. Les gouvernements des États signataires doivent mettre en place des moyens par lesquels les peuples autochtones pourront, à égalité avec le reste de citoyens de leur pays, participer librement et à tous les niveaux à la prise de décisions dans les institutions électives et les organismes administratifs et autres qui sont responsables des politiques et des programmes qui les concernent (art. 6). L’article 7 reconnaît aux populations concernées le droit de contrôler leur développement économique, social et culturel propre. Les États doivent aussi tenir compte des coutumes et du droit coutumier de ces populations (art. 8). L’article 20 de la Convention oblige les gouvernements à «prendre des mesures spéciales pour assurer aux travailleurs appartenant à ces peuples une protection efficace en ce qui concerne le recrutement et les conditions d'emploi». Les gouvernements doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter toute discrimination entre les travailleurs appartenant aux peuples intéressés.

La partie VI de la Convention est consacrée à l’éducation, donc indirectement à la langue. L’article 26 est très clair sur la possibilité des autochtones d’acquérir leur instruction à tous les niveaux:

Article 26

Des mesures doivent être prises pour assurer aux membres des peuples intéressés la possibilité d'acquérir une éducation à tous les niveaux au moins sur un pied d'égalité avec le reste de la communauté nationale.

Le paragraphe 3 de l’article 27 de la Convention reconnaît «le droit de ces peuples de créer leurs propres institutions et moyens d'éducation» et que des ressources appropriées leur soient fournies à cette fin. C’est l’article 28 qui semble le plus important en cette matière:

Article 27

1) Lorsque cela est réalisable, un enseignement doit être donné aux enfants des peuples intéressés pour leur apprendre à lire et à écrire dans leur propre langue indigène ou dans la langue qui est le plus communément utilisée par le groupe auquel ils appartiennent. Lorsque cela n'est pas réalisable, les autorités compétentes doivent entreprendre des consultations avec ces peuples en vue de l'adoption de mesures permettant d'atteindre cet objectif.

2) Des mesures adéquates doivent être prises pour assurer que ces peuples aient la possibilité d'atteindre la maîtrise de la langue nationale ou de l'une des langues officielles du pays.

3) Des dispositions doivent être prises pour sauvegarder les langues indigènes des peuples intéressés et en promouvoir le développement et la pratique.

Les États appuieront l'élaboration de programmes scolaires correspondant à la réalité des peuples autochtones et mobiliseront les ressources techniques et financières nécessaires à leur bonne application. Quant à l’article 31, il précise que «mesures de caractère éducatif doivent être prises dans tous les secteurs de la communauté nationale, et particulièrement dans ceux qui sont le plus directement en contact avec les peuples intéressés, afin d'éliminer les préjugés qu'ils pourraient nourrir à l'égard de ces peuples». Dans ces perspectives, il est précisé que «des efforts doivent être faits pour assurer que les livres d'histoire et autres matériels pédagogiques fournissent une description équitable, exacte et documentée des sociétés et cultures des peuples intéressés».

Comme il se doit, les États signataires de la Convention reconnaîtront et établiront des mécanismes pour assurer l'exercice de tous les droits des peuples autochtones, en particulier en ce qui concerne l'éducation, la langue et la culture.

La situation qu'on connaît au Pérou est commune à tous les pays d'Amérique du Sud, si ce n'est de tous les pays d'Amérique. En effet, de la Terre de Feu à la mer de Baffin, les langues amérindiennes ne jouissent d'aucune fonction officielle au sein de l'État, mais uniquement dans les «réserves» indiennes. De plus, la politique actuelle du Pérou tend à diminuer les droits des autochtones, plutôt que de les améliorer. Pourtant, dans les années trente, le Pérou a déjà été à l'avant-garde dans la protection des droits des indigènes. L'État leur reconnaissait des droits de propriété sur leurs terres, une certaine autonomie politique et un droit de regard sur toute décision les concernant. On est loin du compte aujourd'hui, car il ne leur reste plus qu'un vague statut de co-officialité dans certaines régions. La plupart des autochtones vivant à Lima affirment avoir subi ou avoir été témoin de discrimination raciale. Enfin, les langues autochtones péruviennes disparaissent à un rythme affolant. Alors, pour la co-officialité, il faudra patienter encore...

Ces droits linguistiques, que certains affirment pourtant être exemplaires, ne constitueraient même pas un minimum acceptable, par exemple, pour les germanophones de Bolzano, les anglophones du Québec ou les suédophones de Finlande. En fait, les dispositions constitutionnelles péruviennes demeurent symboliques et ne se transposent pas vraiment dans la réalité. De plus, pour éviter la disparition des langues amérindiennes au Pérou comme ailleurs, il faudrait en arriver en bout de ligne à élargir leurs fonctions sociales et les intégrer à des rôles publics et institutionnels non traditionnels. Et cela, ce n'est pas pour demain!

Dernière mise à jour: 03 janv. 2024
 

Bibliographie

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LECLERC, Jacques. La guerre des langues dans l'affichage, Montréal, VLB Éditeur & Jacques Leclerc, 1989, 420 p.

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et les Antilles

 
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