[Syrian flag]
République arabe syrienne

Syrie

Al Jumhuriyah al'Arabiyah as Suriyah

Capitale: Damas
Population: 23,5 millions (2014)
Langue officielle: arabe
Groupe majoritaire:  arabe levantin du Nord (57,2 %)
Groupes minoritaires: arabe syrien du Nord (11,7 %), kurde (6,3 %), arabe najdi (3,2 %), arménien (2,8 %), arabe mésopotamien du Nord (2 %), assyrien néo-syriaque (0,2 %), azerbaïdjanais (0,2 %), adyguéen (0,1 %), néo-araméen de l'Ouest (0,1 %)
Système politique: système présidentiel dominé par le clan alaouite et le Parti Baas
Articles constitutionnels (langue):  art. 4 de la Constitution du 26 février 2012
Lois à portée linguistique: Décret législatif n° 55 de 2004 sur l’organisation de l’enseignement public et privé; Loi n° 6 sur l’organisation des universités syriennes (2006); Loi sur la protection des consommateurs (2008).

1 Situation générale

La Syrie, en forme longue officiellement appelée République arabe syrienne (en arabe: Al Jumhuriyah al' Arabiyah as Suriyah; en anglais: Syrian Arab Republic), est un État du Proche-Orient bordé au nord par la Turquie, à l’est par l’Irak, au sud par la Jordanie et Israël et à l’ouest par le Liban et la mer Méditerranée. Sa superficie est de 185 180 km² (France: 547 030 km²); le pays possède un accès à la mer Méditerranée par 183 km de côtes.

La Syrie compte 14 «provinces» (muhafazat; singulier: muhafazah) administratives appelées gouvernorats: Alep, Damas, Dara, Deir ez-Zor, Al Haseke, Hama, Homs, Idlib, Al Quneitra, Lattakié, Al Raqqa, Rif Dimashq, Al Suwayda et Tartous (voir la carte détaillée des gouvernorats syriens). 

La capitale de la Syrie est Damas (1,8 million en 2010, mails l'agglomération compterait plus de quatre millions d'habitants. Les autres grandes villes sont Alep (1,7 million) au nord du pays, Homs (1,0 million) au centre, Lattaquié ou Lattakié (700  000) au nord-ouest et Hama (530 900). Au sud-est du pays, aux confins de la Syrie, de la Jordanie et de l'Irak, se trouve le désert de Syrie qui couvre une zone d'environ 520 000 km², soit plus que la superficie de l'Espagne entière (504 782 km²). On peut consulter une carte géomorphologique de la Syrie.

Les gouvernorats les plus importants numériquement (plus d'un million d'habitants) sont ceux d'Alep, de Rif Dimashq, de Homs, de Damas, de Hama, de Tartous, d'Idlib, de Hasaka (ou Haseké), de Deir ez-Zor et de Dara:

Gouvernorat Capitale Superficie Population
(2011)
Alep Halab 18 500 km² 4 868 000
Rif Dimashq Dimashq 18 032 km² 2 836 000
Homs Hims 42 223 km² 1 803 000
Damas Dimashq     105 km² 1 711 000
Hama Hamâh   8 883 km² 1 628 000
Tartous Tartûs  1 892 km² 1 550 000
Idlib Idlib   6 097 km² 1 501 000
Al Hasaka (Hassaké) Al Hasakah 23 334 km² 1 275 000
Deir ez-Zor Dayr az Zawr 33 060 km²  1 239 000
Dara Dar'â   3 730 km²  1 027 000
Al Raqqa Ar Raqqah 19 616 km²    944 000
Lattakié Al Lâdhiqîyah   2 297 km²    879 500
Al Suwayda As Suwaydâ'   5 550 km²    770 000
Al Quneitra Al Qunatirah   1 861 km²     90 000
TOTAL - pays (2011)

-

185180 km²

22 121 500

2 Données démolinguistiques

Il n'existe pas de recensement fiable de la population en Syrie, notamment en ce qui concerne l'ethnie, la religion et la langue. Les proportions exactes de chaque communauté restant incertaines, il faut se rabattre sur des hypothèses fréquemment retenues. En fait, les chiffres actuels reposent sur des projections démographiques réalisées à partir de données anciennes, sur des évaluations effectuées par des spécialistes du milieu syrien ou sur des hypothèses à partir de données régionales. Il n'existe donc aucune donnée irréfutable à 100% comme auraient pu l'être des recensements officiels portant sur la confession religieuse ou la langue maternelle.

En 2014, la population syrienne était estimée à 25,3 millions d'habitants inégalement répartis et concentrés surtout dans l’ouest du pays, sur la plaine côtière et dans le Nord-Ouest. Ce sont les gouvernorats de Damas, d'Alep, de Lattakié et de Tartous qui ont la densité de population la plus élevée (100-500 pers./mk²). Suivent Idlib, Hama, Rif Dimashq et Dara. Les gouvernorats de Suwayda et de Haseke ont entre 25 et 50 pers./km²). Quant aux gouvernorats de Raqqa, de Homs et de Deir ez-Zor, ils ont une densité de population très faible, se situant entre 0 et 25 pers./mk². La densité de la population est en relation avec la configuration des sols ou la géomorphologie, selon qu'ils sont des déserts, des terres cultivables, des terres incultes, des forêts (voir la carte). 

La grande majorité des Syriens sont des Arabes dont la diversité ethnique est étonnante, car elle comprend des Syriens (68,0 %), des Saoudiens (7,1 %), des Alaouites (6,1 %), des Palestiniens(2,8 %), des Druzes (2,2 %), des Libanais (0,4%), des Bédouins (0,4 %), des Égyptiens (0,4 %), des Irakiens(0,2%), des Jordaniens(0,1 %), etc. Si l'on réunit tous les Arabes et arabophones en un seul grand groupe, ils formeraient 88,2 % de la population totale, soit 20,7 millions de personnes sur un total de 23,5 millions. Depuis le début de la guerre civile syrienne de 2011, la Syrie a connu une baisse démographique en raison des décès et des mouvements migratoires. Par exemple, plus de 200 000 personnes seraient décédées entre le 15 mars 2011 et le 1er décembre 2014.

Le tableau ci-dessous présente les ethnies et les langues parlées en Syrie: 

Ethnie Population

Pourcentage

Langue maternelle

Affiliation linguistique Religion
Arabes syriens 16 031 000 68,0 %

arabe leventin du Nord

islam sunnite
Kurdes du Nord 1 888 000 8,0 %

kurde krumanji

islam sunnite
Arabes saoudiens 1 687 000 7,1 %

arabe nadji

islam sunnite
Alaouites 1 455 000 6,1 %

arabe leventin du Nord

islam alaouite
Arabes palestiniens 661 000 2,8 % arabe leventin du Nord islam sunnite
Druzes 539 000 2,2 % arabe leventin du Nord islam druze
Assyriens 227 000 0,9 %

assyrien néo-araméen

chamito-sémitique  chrétienne
Turkmènes 150 000 0,6 %

turkmène

altaïque islam sunnite
Arabes libanais 114 000 0,4 %

arabe leventin du Nord

chamito-sémitique islam sunnite
Bédouins du Levantin 98 000 0,4 %

arabe égyptien oriental

chamito-sémitique islam sunnite
Arabes égyptiens 97 000 0,4 % arabe égyptien chamito-sémitique islam sunnite
Arméniens 83 000 0,3 % arménien isolat indo-européen chrétienne orthodoxe
Ossètes 69 000 0,2 %

ossète

 indo-iranien chrétienne orthodoxe
Arabes irakiens du Nord 68 000 0,2 %

arabe irakien (mésopotamien)

chamito-sémitique islam sunnite
Iraniens 65 000 0,2 %

iranien (farsi)

indo-iranien  islam chiite
Circassiens (Kabardiens) 48 000 0,2 %

circassien (kabardien)

caucasien islam sunnite
Gitans domari 46 000 0,1 %

domari

 indo-iranien  islam sunnite
Arabes jordaniens 46 000 0,1 %

arabe leventin du Sud

chamito-sémitique islam sunnite
Azerbaïdjanais du Sud 44 000 0,1 %

azéri

altaïque islam sunnite
Circassiens (Adighéens) 35 000 0,1 %

circassien (adiguéen)

caucasien islam sunnite
Syriens araméens de Turoyo 32 000 0,1 %

turoyo (araméen)

chamito-sémitique

chrétienne 
Araméens de l'Ouest 24 000 0,1 %

néo-araméen

chamito-sémitique

chrétienne orthodoxe
Yézidis 15 000 0,0 %

kurde kumanji

indo-iranien

yézidisme 
Français 14 000 0,0 %

français

langue romane catholique
Chaldéen 7 500 0,0 %

chaldéen néo-araméen

chamito-sémitique chrétienne
Tchétchènes 6 100 0,0 %

tchétchène

caucasien islam sunnite
Autres 21 900 0,9 %

-

-  
Nombre total  (2014) 23 571 500  100 %  - - -

2.1 Les Arabes syriens

La carte de gauche illustre la répartition géographique des langues en Syrie. Il est facile de constater que c'est la langue arabe qui domine dans une grande partie du territoire syrien. L'arabe est surtout parlé dans les grandes villes (Damas, Homs, Hama, Idlib et Alep), ainsi que dans l'ouest, le Nord et le long de l'Euphrate. Toute la partie centre-sud du pays est couverte du désert de Syrie, une zone d'environ 520 000 km².

Les kurdophones (8 %) sont installés dans le Nord, le long de la frontière avec la Turquie et dans l'extrémité est, le long de la frontière avec l'Irak.

Les autres ethnies non arabophones et non kurdophones sont principalement les Assyriens (0,9%), les Turkmènes (0,6%), les Arméniens (0,3%), les Ossètes (0,2 %) et les Arméniens (0,1%).

La majorité des arabophones sont des Arabes syriens (68 %). Ils parlent l'arabe levantin du Nord, un arabe syro-libanais basé sur la langue parlée à Damas, ainsi qu'à la radio et la télévision syrienne.

Parmi les autres langues arabes, mentionnons l'arabe nadji (7,1 %) utilisé dans le désert syrien, l'arabe mésopotamien du Nord, l'arabe irakien (0,2 %), l'arabe égyptien (0,8 %), l'arabe jordanien, l'arabe libanais, etc.

Si plusieurs variétés d'arabes sont parlées en Syrie, l'intercompréhension est relativement aisée entre elles, mais de toute façon c'est l'arabe leventin du Nord qui sert de langue véhiculaire.

En observant la carte de gauche, on constate que l'arabe est parlée partout dans le pays, mais surtout dans l'Ouest et le Nord, ainsi que le long des rives de l'Euphrate.

Dans le Nord, le long de la frontière avec la Turquie, ce sont les Kurdes qui s'y sont installés, ainsi qu'à l'extrémité est, entre la Turquie et l'Irak.  

2.2 Les alaouites: une minorité religieuse politiquement dominante

Les membres de la communauté alaouite sont répartis entre leur berceau historique, c'est-à-dire la région montagneuse qui longe le littoral méditerranéen (gouvernorats de Lattakié et de Tartous) et des villes comme Damas ou Homs, où s'est installé un grand nombre d'alaouites. Leur doctrine est rattachée au chiisme, mais celui-ci en fait un groupe distinct considéré par les autres musulmans comme éloignés de l'islam. Beaucoup d'alaouites se sont urbanisés et ont «islamisé» leur pratique religieuse, alors que d’autres ont conservé leur mode de vie rural et leurs croyances ancestrales. Les Syriens des autres confessions religieuses ont affublé les alaouites du nom de «Allemands», en raison de la similitude des deux mots en arabe : alawiyyin et almaniyyin.

Les Syriens alaouites compteraient pour 6,1 % de la population, soit 1,4 million de personnes, et parlent en général l'arabe leventin du Nord.  Si les alaouites font partie de la majorité linguistique (18,7 millions ou 80 % de la population syrienne), ils constituent sans aucun doute une minorité religieuse. Les alaouites se distinguent des autres musulmans du pays par leur présence dans l'appareil du pouvoir et des forces armées.  

- La sur-représentation des alaouites

Pendant le Mandat français, les alaouites furent recrutés massivement dans les bataillons du Levant, hors de toute représentation proportionnelle avec leur population. Cette sur-représentation se perpétua après l’indépendance de la Syrie. De 1963 à 1970, le pouvoir en place conserva les privilèges des alaouites au sein de l’État et de l’armée. Par le fait même, leur représentation dans l’armée, dans les services de sécurité, dans la fonction publique, dans les entreprises de l'État, voire dans le secteur privé, leur ont assuré un pouvoir considérable non seulement à Damas, mais aussi à Homs et à Hama. Par conséquent, l’accès privilégié des alaouites au milieu urbain, à l’administration publique et à l’enseignement supérieur a donné un formidable coup de pouce à leur mobilité dans l’échelle sociale du pays.

- Une population urbanisée

C'est pourquoi le niveau de vie des alaouites apparaît nettement plus élevé que chez les autres communautés. Ce n'est pas un hasard si l'État syrien a même favorisé les gouvernorats côtiers en électricité, en eau potable, en réseaux d’égouts, etc. Alors que les alaouites représentent 6,1 % de la population, ils occupent plus de 40 % des postes militaires. Depuis la prise du pouvoir de Hafez al-Assad et de Bachard al-Assad, beaucoup d'alaouites ont quitté leurs montagnes pour s'installer à Damas et dans les autres principales villes du pays (dont Hama et Homs) pour intégrer l’armée, la police et les autres institutions de l’État. Aujourd'hui, 80 % des alaouites vivent dans les villes et travaillent dans le secteur public.

Mais les présidents Hafez al-Assad et Bachard al-Assad ont pratiqué un favoritisme calculé à l'égard des alaouites. Hafez el-Assad appliquait la devise suivante: «Si tu veux que ton chien garde le troupeau, ne le nourrit pas trop.» Ce proverbe de berger consiste en politique à favoriser les alaouites dans différents domaines afin d'asseoir le système politique dans lequel cette communauté possède un rôle clé, mais sans nécessairement assurer sa promotion économique, qui est (était ?) le lot des communautés chrétiennes et de certains sunnites privilégiés. Autrement dit, les alaouites sont mieux nantis, mais pas suffisamment riches pour se passer de leur protecteur.

- En déclin démographique

Rurales avant l’indépendance à plus de 97 %, les populations alaouites dominaient, dès 1990, les villes du littoral : 55 % à Lattakié, 70 % à Tartous, 65 % à Banias, des villes qui, sous le Mandat français, étaient encore des bastions sunnites (environ à 78 %). Cependant, parce que les alaouites résident aujourd'hui davantage dans les villes et se sont instruits plus que les autres communautés, leur poids relatif a commencé à diminuer depuis les années 1980, alors que celui des sunnites augmente sans cesse. Ce phénomène s’explique par un accès plus élevé des femmes alaouites à l’instruction et à leur intégration dans la vie professionnelle. Lorsque les alaouites étaient des paysans analphabètes, le taux de fécondité des femmes demeurait très élevé, mais la généralisation de l’enseignement et l'accès aux postes administratifs ont réduit considérablement cette fécondité. Autrement dit, le favoritisme social du clan al-Assad aura contribué aussi au déclin démographique des alaouites.

Devant la montée des opposants sunnites qui tentent par tous les moyens de reprendre le pouvoir des mains des alaouites, ceux-ci pourraient perdre la plupart de leurs acquis. 

2.3 Les Kurdes de Syrie

La population kurde de Syrie représente environ 8 % de la population totale; elle provient en partie de l'exode des Kurdes de la Turquie entre 1924 et 1938 à la suite de la répression kémaliste. Cette population est regroupée au nord-est du pays, dans les gouvernorats d'Alep et d'Al Haseke, ainsi que dans la banlieue de Damas.
 

Pour les langues minoritaires non arabes, le kurde septentrional ou kurmandji (8 %), parlé dans le Nord et le Nord-Est est la langue la plus importante (groupe indo-iranien). Le kurde n'est apparenté ni à l'arabe (langue sémitique) ni au turc (langue altaïque). Avec les Arabes, les Perses et les Arméniens, les Kurdes constituent l'un des peuples les plus anciens de la région. Le pays qu'ils habitent est appelé le Kurdistan syrien ou simplement le Kurdistan (voir la carte détaillée). Les Kurdes constituent d'ailleurs la seule grande minorité nationale ou ethnique à assise territoriale en Syrie.

Il existe trois petites régions kurdes au nord de la Syrie, séparées les unes des autres, mais toutes limitrophes du Kurdistan turc et irakien dont elles constituent en quelque sorte un prolongement.

Tout le Kurdistan est une région de hautes terres du sud-ouest de l'Asie. Cette région de 530 000 km² s'étend sur le nord-ouest de l'Iran, le nord-est de l'Irak et l'est de la Turquie, au sud du mont Ararat (voir la carte détaillée du Kurdistan). En Syrie, le Kurdistan n'occupe que 15 000 km².

Certains linguistes organisent autrement la classification de la langue kurde et de ses dialectes.  Ainsi, Najat Abdulla-Ali distingue trois grandes branches :

- kurmanji : comprenant le kurmanji du Nord et le kurmanji du Sud dont ferait partie le sorani;
- gourani-zazaki : comprenant le groupe gourani et le groupe zaza;
- lorî : comprenant «petit lorî» et «grand lorî».

On peut consulter le tableau de Najat Abdulla-Ali, qui illustre cette thèse en cliquant ici, s.v.p.

- La langue kurde

Les Kurdes parlent le kurde, une langue indo-européenne appartenant au groupe indo-iranien, mais c'est une langue non unifiée. Il convient de distinguer le kurde sorani (ou central), le kurde kurmanji (ou septentrional) et le kurde méridional. De plus, chacun des ces groupes comptent un grand nombre de variétés dialectales. La plupart des Kurdes de Syrie parlent le kurmanji et l'arabe, bien que d'autres, en particulier à Damas, ne connaissent que l'arabe.
 

Kürdistan (latin)
كردستان (arabe)
Курдистан (cyrillique)
De plus, les Kurdes de Turquie écrivent leur langue en alphabet latin ; ceux d'Irak, d'Iran et de Syrie, en alphabet arabe (appelé aussi arabo-persan), ce dernier étant un alphabet un peu modifié de l'arabe; ceux d'Arménie et de Géorgie et d'Arménie, en alphabet cyrillique,  Les Kurdes sont davantage unifiés par la religion, étant presque tous des musulmans sunnites. 

Les Kurdes immigrés depuis quelques années en Syrie conservent habituellement leur langue, leur culture et leur langue. Pour les Kurdes, l'appartenance à la tribu est plus forte que l'identité ethnique, la fidélité nationale ou syrienne. Ils sont traditionnellement méfiants de n'importe quel gouvernement, en particulier celui de Damas. Les Kurdes ne jouissent d'aucun droit linguistique ou culturel d'ordre collectif en Syrie. De plus, plus de 60 000 Kurdes syriens sont actuellement privés arbitrairement de la nationalité syrienne, interdits d'emplois publics et considérés comme des étrangers dans leur propre pays. Cependant, leur mode de vie relativement paisible en Syrie et l'assimilation graduelle ont atténué la méfiance des autorités syriennes.

- Le territoire

Bien que beaucoup de Kurdes habitent la Syrie depuis des générations, un grand nombre est venu de la Turquie entre 1924 et 1938, quand Mustapha Kemal Atatürk a tenté d'imposer sa politique assimilatrice aux Kurdes turcs. Environ 35 % à 40 % des Kurdes syriens vivent dans les contreforts des montagnes au nord de la province d'Alep. Un  nombre égal vit dans le Jazirah; environ 10 % au nord-est du Jarabulus (province d'Alep) et 10 % à 15 % à Hayy al Akrad, l'un des faubourgs de Damas. 

Depuis 2012, le territoire du Kurdistan syrien est contrôlé par des milices kurdes. À partir de 2013, les Kurdes syriens ont dû se défendre contre les groupes issus d'al-Qaïda (l'État islamique). En novembre 2013, des représentants kurdes, arabes, assyriens et d'autres minorités plus petites ont déclaré un gouvernement autonome provisoire dans la région.

- La diaspora

Si la plupart des Kurdes vivent dans le Grand Kurdistan historique, qui comprend une partie de la Turquie, de l'Irak, de l'Iran et de la Syrie, beaucoup de Kurdes vivent dans les pays voisins tels l'Arménie, la Géorgie, la Russie, l'Azerbaïdjan, le Liban, l'État d'Israël, la Jordanie, mais aussi le Kazakhstan, le Turkménistan, le Kirghizistan, l'Afghanistan, le Pakistan, etc.

Nous ignorons avec précision le nombre des Kurdes formant la diaspora. Les estimations les plus courantes font état de la présence d’environ 1.2 million de Kurdes en Europe occidentale. Ils forment d’importantes communautés en Allemagne (650 000), en France (130 000), aux Pays-Bas (85 000), en Grande-Bretagne (35 000), et en Suède (50 000). Celle-ci, en raison d’une politique d’immigration généreuse initiée par Olof Palme et d’incitations matérielles pour l’édition et la création, a su attirer une part importante de l’intelligentsia kurde tandis que l’Allemagne abrite surtout une immigration ouvrière. En comparaison, ils sont aux États-Unis (30 000) et au Canada (plus de 10 000).  La diaspora kurde d'Occident est environ à 85 % formée de Kurdes de Turquie, mais les Kurdes d'Irak arrivent au deuxième rang. 

2.4 Les autres minorités linguistiques

Au point de vue numérique, la langue kurde est suivie de l'arménien de l'Ouest (2,8 %) au nord-est (famille indo-européenne), du circassien de l'Ouest (ou adyguéen), une langue caucasienne parlée par 0,1 % de la population, de l'azerbaïdjanais (0,2 %), une langue altaïque parlée dans les gouvernorats de Homs et Hama, et du tsigane domari (0,07 %), une langue indo-iranienne parlée à Kurbat.

- Les Assyriens

En Syrie, les Assyriens, les Chaldéens et les Syriaques — ou encore les Assyro-Chaldéens-Syriaques — parlent le néo-araméen (oriental), une langue issue de l'araméen et appartenant à la famille sémitique, comme l'arabe et l'hébreux. L'araméen impérial fut utilisé comme langue administrative il y a trois mille ans. Les Israéliens l'ont employé comme langue officielle dès 500 avant notre ère jusqu'en 70 de notre ère; c'était la langue des contemporaines de Jésus Christ. L'araméen moderne est parlé comme langue maternelle par plusieurs petites communautés chrétiennes éparses et isolées dans l'ancienne Mésopotamie, dont la Syrie et l'Irak.

Il existe quelques variétés dialectales du néo-araméen: le syriaque, l'assyrien, le chaldéen, le soureth et le turoyo. Ce sont aussi des termes qu'on utilise pour désigner, selon les régions, les Assyriens. En Syrie, on trouve des Assyriens (227 000), des Chaldéens (7500) et des Syriaques (32 000). Le néo-araméen oriental peut traditionnellement être appelé «sureth», chaldéen ou syriaque. On parle aussi d'assyrien néo-araméen, de syriaque néo-araméen et de chaldéen néo-araméen.

Les Assyro-Chaldéens-Syriaques forment de petites communautés linguistiques et religieuses éparpillées en Syrie. Elle y habitent depuis le début de l'ère chrétienne et avant l'invasion arabo-musulmane. Beaucoup d'Assyriens ont quitté l'Irak durant la guerre civile pour se réfugier en Syrie. Depuis l'occupation américaine en Irak et la guerre civile qui règne dans ce pays, des dizaines de milliers d'Assyriens de ce pays se sont réfugiés en Syrie, d'où certains sont ensuite partis pour l'Europe ou les États-Unis. Ces minorités vivent aujourd'hui une situation catastrophique rn raison de la guerre déclaré par l'État islamique. 

- Les Turkmènes

Plus de 150 000 Syriens sont des Turkmènes, appelés aussi «Turcomans». À l'instar des anciens Ottomans, ils parlent une langue de la famille altaïque. Leurs ancêtres vivaient en Syrie au temps de l'Empire ottoman avant sa dissolution et la création de la Syrie actuelle. Les Turkmènes habitent principalement autour et dans les agglomérations de Hama, de Homs et de Lattakié. Beaucoup de Turkmènes ne parlent plus leur langue altaïque, car ils se sont assimilés à l'arabe. On estime que de 15 % à 20 % des Syriens seraient d'origine turkmène; ce sont aujourd'hui des Turkmènes arabisés linguistiquement et culturellement. Soutenus par la Turquie, les Turkmènes de Syrie ont rejoint aujourd'hui l'Armée syrienne libre. mais ils doivent combattre aussi contre les Kurdes et les Arméniens.

- Les Arméniens

La plupart des quelques 80 000 Arméniens sont arrivés en Syrie par vagues successives en tant que réfugiés fuyant la Turquie entre 1925 et 1945. Environ 75 % des Arméniens vivent dans le gouvernorat d'Alep au nord-ouest, le long de la frontière du Nord avec la Turquie. Les autres sont dispersés dans Hayy al Arman (près de Damas) et dans quelques autres villes du pays. Les Arméniens appartiennent généralement à l'Église orthodoxe arménienne, mais environ 20 000 relèvent de l'Église catholique arménienne. Ils constituent l'un des grands groupes importants non assimilés en Syrie. Ils ont conservé de leurs coutumes, maintiennent leurs propres écoles et lisent des journaux dans leur langue. Ils parlent l'arménien, un isolat indo-européen qu'ils sont les seuls à parler. Beaucoup de leaders arméniens s'opposent catégoriquement à l'assimilation et veillent au maintien de l'identité arménienne.

- Les Circassiens

Approximativement 48 000 Circassiens ou Adyguéens sont les descendants des nomades musulmans ayant émigré de Russie en Syrie au XIXe siècle. Près de la moitié d'entre eux est concentré dans le gouvernorat de Quneitera, notamment dans la capitale Al Qunatirah. Après la guerre de 1973 qui a détruit une grande partie de la ville, beaucoup de Circassiens se sont déplacés à Damas. Ils ont assez bien résisté à l'assimilation, car ils ont conservé leur langue caucasienne (le circassien), mais s'ils parlent également l'arabe. Les Arabes de Syrie se méfient des Circassiens (Adiguéens), car ceux-ci ont servi dans les forces armées lors du Mandat français. Ils sont de confession musulmane de rite sunnite.

- Les Ossètes

Les Ossètes sont venus de Russie il y a environ un demi-siècle. Ils parlent une langue caucasienne, soit environ 69 000 sur 100 000. Ils vivent généralement dans le nord de la Syrie.  En raison de la guerre civile en Syrie, la plupart des Ossètes désirent quitter le pays pour retourner en Russie (Ossétie). 

- Les Juifs

Les Juifs habitent la Syrie depuis des siècles. Leur nombre était estimé à plus de 40 000 avant 1990. Depuis, ils ont presque tous quitté la Syrie pour Israël; ils ne sont plus qu'une centaine d'individus et sont aujourd'hui concentrés dans la province d'Alep et dans la ville de Damas (quartier juif de Hayy al Yahud). La plupart des Juifs de Damas sont des colporteurs, des commerçants, des changeurs ou des artisans; quelques-uns sont d'importants professionnels, en particulier des médecins. Comme les Juifs syriens parlent l'arabe, ils sont tenus comme une minorité religieuse et non linguistique. La situation socio-économique des Juifs était assez bonne jusqu'à ce que la guerre israélo-arabe éclate en 1967. Depuis lors, leur liberté économique reste limitée et ils sont sous la surveillance continuelle de la police. Les Syriens arabes se méfient généralement des Juifs, car ils les considèrent comme des traîtres réels ou potentiels.

- Les communautés immigrantes

La Syrie compte un grand nombre de ressortissants venant d'autres pays, notamment des Turcs (3800), des Français (14 000, dont des coopérants et des enseignants), des Grecs (6800), des Britanniques (2500), des Bulgares (2400), des Russes (4100), des Tchétchènes (6100), etc.

2.5 Les religions

La Syrie fait partie des pays à majorité musulmane comportant des minorités religieuses importantes, en particulier chrétiennes. Selon un rapport du Sénat français (1975), l'islam serait la religion de 88 % des Syriens, dont 75 % de sunnites, 10 % d'alaouites, 3,5 % de chiites et d'ismaéliens. Le pays compte aussi des druzes (2 %) professant une religion musulmane hétérodoxe. Les minorités chrétiennes compteraient au total environ 10 % de la population, dont 3,5 % de syriaques orthodoxes, 1,3 % de catholiques, 1,2 d'orthodoxes grec et 1 % d'orthodoxes arméniens.

Ces pourcentages ne constituent qu'un ordre de grandeur, mais ils témoignent d'une société syrienne majoritairement musulmane composée de trois piliers principaux : le sunnisme, très présent dans les classes commerçantes, les alaouites, surtout représentés au sein du pouvoir et des forces de sécurité, les chrétiens généralement bien intégrés.

Le pays est victime de cette division communautaire qui est visible dans les principales villes du pays. Ainsi, à Damas, la capitale, à côté des centaines de mosquées, dont la célèbre mosquée des Omeyyades, on trouve de nombreuses églises chrétiennes. Il existe aussi des chrétiens à Alep, à Homs et dans d’autres villes où des combats sanglants se poursuivent.

Le conflit en Syrie apparaît comme une guerre politico-religieuse entre les sunnites, majoritaires au sein de l’Armée syrienne libre (ASL) et soutenus par les monarchies pétrolières fondamentalistes du Golfe, et les alaouites, majoritaires au sein des forces armées syriennes légalistes, qui sont soutenues notamment par l’Iran chiite et le Hezbollah libanais.

- L'islam
 

Les Syriens de rite sunnite sont présents dans presque tout le pays, à l'exception des gouvernorats de Lattakié et de Tartous. Ils sont partout ailleurs majoritaires, y compris dans toutes les grandes villes. La communauté alaouite, branche dissidente de l'islam à laquelle appartient la famille du président Bachard al-Assad, représente environ 10 % de la population; elle tient néanmoins une place disproportionnée dans le gouvernement et surtout dans l'armée; cette communauté réside dans les gouvernorats de Lattakié et de Tartous.

À l'instar des chiites, les druzes et les ismaéliens constituent des sous-groupes particuliers du monde musulman. Les chiites et les ismaéliens ne représentent qu'une petite minorité religieuse en Syrie. Ils sont localisés autour des villes de Hama et de Homs. Outre l'Iran majoritairement chiite, seuls cinq pays arabes ont une partie importante de leur population qui se rattache au rite chiite : l'Irak, le Bahreïn, le Liban, Oman, le Yémen et la Syrie.

Les druzes professent une religion issue de la branche ismaélienne elle-même provenant du rite chiite.  Ils rejettent la Charia et les les obligations rituelles qui en découlent, ainsi que la liturgie et les lieux de culte. En Syrie, les druzes occupent surtout la zone montagneuse du Hawran dans le gouvernorat de Suwayda.

Les yézidis constituent l'une des plus anciennes minorités religieuses de la Syrie et de l'Irak. D'origine kurde — ils parlent le kurde kurmanji —, les yézidis sont adeptes d'une religion pré-islamique en partie issue du zoroastrisme (culte du soleil), avec des éléments du manichéisme (réincarnation), du christianisme (baptême), du judaïsme (circoncision) et de l'islam (jeûne et polygamie). En Syrie, la communauté yézidie compte environ 150 000 personnes, essentiellement installées sur la frontière irakienne, au nord-est. Les yézidis sont considérés comme des «adorateurs du diable» tant par les chrétiens que par les musulmans.

- Les religions chrétiennes

La Syrie compte quelque deux millions de chrétiens, majoritairement arabes, qui appartiennent à onze Églises. La plupart des chrétiens vivent à Alep, la première ville chrétienne, sinon à Damas, à Homs, à Hama et dans d’autres villes où les combats entre sunnites et chiites ou alaouites se poursuivent.

Ces Syriens non musulmans sont catholiques, grecs-orthodoxes ou arméniens-orthodoxes, mais on compte aussi un petit nombre de maronites et de juifs. La Syrie compte le plus grand nombre de chrétiens parmi les pays arabes. Depuis quelques années, des dizaines de milliers de chrétiens ont fui le pays pour se réfugier soit au Liban soit en France.

Les minorités religieuses et ethniques ont généralement appuyé le régime de al-Assad, car, dans l'éventualité d'une reprise du pouvoir par la majorité sunnite, ils craignent qu'un régime islamique soit imposé dans tout le pays. Ces minorités, actives et prospères, ont toujours vécu sous l'aile protectrice du régime alaouite. Toutefois, dans l'éventualité où les sunnites prendraient le pouvoir en Syrie, un exode serait à prévoir, car les rebelles sunnites ne cachent pas leur hostilité envers les chrétiens.

À l'intérieur du pays, les deux branches de l’islam, les sunnites et les chiites, se font la guerre, laquelle attire des hommes de différents pays venus se battre les uns contre les autres. Les chiites obtiennent le soutien de l’Iran et du Hezbollah libanais, tandis que l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie et différents groupes djihadistes affiliés à al-Qaida apportent leur aide à la rébellion sunnite syrienne. Rappelons que le régime syrien de Bachard al-Assad est de religion alaouite, une branche du chiisme. Bref, la Syrie présente une mosaïque religieuse gouvernée par une minorité alaouite. Les monarchies du Golfe et l’Égypte s’engagent de plus en plus en faveur de la rébellion syrienne. Parmi eux figurent des groupes djihadistes comme le Front al-Nosra, qui ont fait allégeance à Al-Qaïda et promis la mort aux «apostats» chiites.

 3 Données historiques

Dès le paléolithique et le néolithique, des groupes humains peuplèrent cette région. Dans la vallée de l’Euphrate, formant avec celle du Tigre la Mésopotamie, apparurent l’agriculture, puis les premières villes, les premiers royaumes, ainsi que l’écriture cunéiforme et l’alphabet. Par sa géographie, la région de l'actuelle Syrie est au carrefour de plusieurs mondes : méditerranéen, égyptien, mésopotamien, anatolien, sans oublier l’influence de la Perse à l’est et de l’Arabie Saoudite au sud. On comprend pourquoi le territoire syrien fut un lieu de passages, d’invasions, de conquêtes et qu'il a été successivement sous la domination de l'Égypte pharaonique, des Hittites, des Assyriens, de la Perse de Cyrus, d’Alexandre le Grand, des Romains ainsi que des Byzantins et des Arabes.

3.1 La Syrie de l'Antiquité

La Syrie actuelle a fait partie de l’ancienne Mésopotamie, l’un des berceaux de la civilisation de l’Antiquité. Aujourd'hui, la plus grande partie de la Mésopotamie se trouve en Irak. Elle comprenait deux zones:  la Haute Mésopotamie et la Basse Mésopotamie. La Haute-Mésopotamie, appelée Djézireh (en arabe : «île»), était la zone située au nord de Babylone (env. 100 km au sud de l'actuelle Bagdad), en partie désertique et caillouteuse, une région partagée aujourd'hui entre la Turquie, l'Irak et la Syrie, appelée aussi l'Assyrie. La Basse-Mésopotamie, ou Babylonie, était une vaste plaine marécageuse, drainée par les deux fleuves formant un delta aboutissant au Chatt al-Arab et occupant un golfe Persique. La Basse-Mésopotamie était tout entière comprise en Irak (voir la carte).

À partir du XVIe siècle avant notre ère, l'Égypte des pharaons (la XVIIIe dynastie) prit le contrôle de la Syrie méridionale, tandis qu’au nord s’établirent les Hittites. Au carrefour commercial entre la Méditerranée et l’Asie, la région prospéra grâce à l’activité des marchands phéniciens qui fondèrent de nombreux ports (Tyr, Byblos, Sidon au Liban, Ougarit en Syrie).
 

L’équilibre fut rompu par l’arrivée des «Peuples de la mer» qui déferlèrent au XIIIe siècle avant notre ère et dévastèrent le littoral. Alors que les Araméens établissaient de petites principautés de la vallée de l’Oronte à celle de l’Euphrate, le royaume d’Israël étendit sa domination sur la région aux Xe et IXe siècles, en créant des liens de vassalité avec les Araméens. Le royaume de Damas fut fondé vers 1000 avant notre ère. Nabuchodonosor II, illustre représentant de la Xe dynastie de Babylone qui s’établit sur les restes de la puissance assyrienne, étendit son pouvoir jusqu’à Jérusalem. Maître de l’Orient, il fit de sa langue, l’araméen, l’idiome de tous les peuples sous sa domination.

En 539, Cyrus le Grand, accueilli en libérateur par les peuples sous le joug babylonien, dévasta l’empire chaldéen. La Syrie passa sous domination perse et fut administrée par les satrapes des Grands Rois pendant les deux siècles qui suivirent. Alexandre le Grand l’annexa ensuite à son empire en 333-332 avant notre ère. Sous influence hellénistique, la Syrie échut après la mort du conquérant à Séleucos Ier Nikator, l’un de ses généraux. Une partie de la Syrie s'hellénisa au cours des siècles suivants, car le grec s'est imposé dans la région.

Le royaume de Syrie fut ensuite envahi par les Romains de Pompée venus en Orient vaincre les Parthes; le royaume devint une province romaine en 64 avant notre ère. Mais la Syrie demeura quand même hellénisée sous la domination romaine, à tel point qu’elle devint l’une des principales provinces de l’Empire. Toutefois, après la fragmentation de l’Empire romain en 395 de notre ère, la Syrie fut intégrée à l’Empire byzantin. Elle connut une période de prospérité économique et de stabilité politique, troublée par les querelles religieuses qui déchirèrent l’Église d’Antioche.

À partir de 611, les Perses tentèrent de mettre à profit les troubles religieux pour rétablir leur domination sur la région. Les Byzantins les chassèrent définitivement en 623, pour faire face à une nouvelle menace, celle de l’islam.

3.2 La Syrie arabe

Les Arabes conquirent la Mésopotamie au VIIe siècle et fondèrent des cités fortifiées. La victoire d’al-Qadisiya, en 638, fit entrer définitivement la région, rebaptisée Iraq-al-Arabi, dans le monde arabo-musulman. La Syrie fut donc la première conquête musulmane après La Mecque de l'Arabie.

Dès le IVe siècle avant notre ère, des tribus arabes venues du sud de l’Arabie s'étaient établies en Syrie. Affaiblis par les luttes qui les opposaient, Byzantins et Perses ne purent résister à l'expansion arabo-musulmane. La victoire du Yarmouk (636) sur les troupes d'Héraclius Ier permit aux Arabes de s'assurer le contrôle de la Syrie, qui s'islamisa et s'arabisa. La dynastie omeyyade (661-750), fondée par Moawiyya, exerça son rayonnement depuis Damas, la capitale. La marine du calife s'empara des îles de la Méditerranée orientale (Chypre, Crète, Rhodes), tandis que les troupes terrestres virent camper sous les murs de Constantinople. L'administration fut réorganisée, les sciences se développèrent, les mosquées et les palais se multiplièrent. Pourtant, les Omeyyades tombèrent sous les coups des Abbassides, qui firent de Bagdad la capitale de leur nouvel empire (750-1258), dont la Syrie devint une simple province. Le pays connut ensuite une période troublée lorsque l'empire commença à se démembrer.

Aux Xe et XIe siècles, le désordre qui régnait dans le pays, divisé entre des dynasties arabes et turques rivales, favorisa l’établissement des croisés occidentaux qui, après la prise d’Antioche (1098) et de Jérusalem (1099), occupèrent le littoral et le nord de l’actuelle Syrie. Les croisés édifièrent une série de châteaux-forts tournés vers la mer. En 1173, Saladin, fondateur du sultanat ayyubide, mena la lutte des musulmans contre les croisés et unifia l’intérieur de la Syrie. Affaibli par la guerre opposant croisés et musulmans, le pays subit au XIIIe siècle l’invasion destructrice des Mongols. Les mamelouks, dynastie d’esclaves qui s’était imposée en Égypte, stoppèrent leur avance, expulsèrent les croisés en 1291 et dominèrent la Syrie jusqu’en 1516.

En réalité, la multiplicité des invasions étrangères s'est traduite dans le domaine religieux. Ainsi, si 90 % de la population est devenue musulmane, 10 % de celle-ci est restée chrétienne, avec le maintien de minorités chiite, druze, ismaélienne et surtout alaouite.

3.3 La Syrie ottomane

Après avoir pris Constantinople, les Ottomans vainquirent les mamelouks en 1516, annexèrent la Syrie à leur nouvel empire et divisèrent celle-ci en trois, puis en quatre pachaliks ou gouvernorats (Damas, Tripoli, Alep et Saïda). La Syrie ottomane fut gérée au nom du sultan par des gouverneurs nommés pour un an. Cependant, la domination turque se fit principalement sentir dans les villes, les émirs locaux exerçant partout ailleurs leur propre pouvoir (v
oir la carte de l'Empire ottoman).

Durant quatre siècles, la Syrie devint un carrefour commercial important et développa des relations avec le monde occidental. Puis l’affaiblissement graduel de la puissance ottomane attisa les ambitions territoriales, tantôt du premier consul Bonaparte en 1799, tantôt par les troupes du vice-roi d’Égypte Méhémet Ali en 1831. En 1860, Napoléon II intervint en Syrie afin de favoriser les chrétiens.

Sous l'Empire ottoman, les écoles primaires et secondaires enseignaient les sciences naturelles, les mathématiques, l'histoire et la géographie, la religion islamique, l'alphabet et la langue arabe, et, selon la région, le turc ou le persan. Dans leur formation générale, les élèves apprenaient l'arabe et le turc. Au XIXe siècle, le français et l'anglais, parfois l'allemand, furent introduits comme langues étrangères.

C'est à cette époque que Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne commencèrent à s’intéresser à la Mésopotamie; les trois pays entrèrent en compétition pour étendre leur zone d’influence sur cette région sous domination ottomane. Les Britanniques étaient déjà présents en Égypte, en Palestine et au Koweït, mais aussi au Soudan, à Chypre, au sultanat d'Oman et au Yémen. De leur côté, les Français faisaient des affaires en Syrie et au Liban.

3.4 Les puissances coloniales

Jusqu’à la Première Guerre mondiale, le Kurdistan faisait encore partie soit de l’Empire ottoman (à l’ouest) soit de l’Empire perse (à l’est). Les pays tels l'Irak, le Koweït, la Jordanie, la Syrie, le Liban, Israël ou la Palestine n'existaient pas. C'étaient alors des vilayets ou des sandjaks appartenant à l'Empire ottoman (voir la carte de 1900).

Ce sont finalement les Britanniques qui vont réussir en quelques années à occuper la plus grande partie de la région avec la Mésopotamie et la Palestine. En Mésopotamie, les Britanniques s'étaient déjà installés au Koweït et ne tardèrent pas à monter vers le nord en raison des richesses pétrolières du Kurdistan. Ils promirent aux populations arabes qu'elles obtiendraient l'indépendance si elles se soulevaient contre les Ottomans.  
 

Le 16 mai 1916, la Grande-Bretagne et la France conclurent des accords secrets, les accords Sykes-Picot, par lesquels elles se partageaient une partie de l'Empire ottoman, notamment la «Grande Syrie» et la Mésopotamie (Kurdistan, Irak et Koweït). Cet accord, alors que le premier conflit mondial n’était pas encore terminé, résultait d'un long échange préalable de lettres entre Paul Cambon, ambassadeur de France à Londres, et sir Edward Grey, secrétaire d'État au Foreign Office. Par la suite, le lieutenant-colonel, sir Mark Sykes, pour la Grande-Bretagne, et le consul à Beyrouth, François Georges-Picot, pour la France, poursuivirent les pourparlers à Londres et arrivèrent à une entente. On raconte que Mark Sykes, contemplant une carte de la région, décrivit ainsi au premier ministre britannique, alors Herbert Henry Asquith (de 1908 à 1916), sa conception de la frontière séparant les zones française et britannique : «Je tirerais une ligne, partant de la lettre "E" dans Acre [la ville de Saint-Jean-d'Acre, aujourd'hui en Israël] et le deuxième "K" dans Kirkouk [aujourd'hui dans le nord de l'Irak].» Bref, il s'agissait d'un trait totalement arbitraire qui ne prenait en considération ni la géographie, ni la répartition ethnique, religieuse ou culturelle, ni tout simplement le gros bon sens.

 

Cet accord dit Sykes-Picot équivalait à un véritable dépeçage des territoires compris entre la mer Noire, la Méditerranée, la mer Rouge et le golfe Persique. La Mésopotamie ottomane fut découpée en plusieurs zones, dont trois dans le futur Irak:

1) Une zone rouge anglaise d'administration directe (Koweït et Mésopotamie;
2) Une zone rouge d'influence anglaise (est de Bagdad, Jordanie et Palestine);
3) Une zone bleue d'influence française, à la fois arabe et kurde (Syrie et vilayet de Mossoul);
4) Une zone bleue d'administration française (Syrie du Nord, Liban et Cicilie);

Voir aussi la carte de toute la région entre la Méditerranée et la Perse. Voir aussi la carte de toute la région entre la Méditerranée et la Perse. Les États qui ont été créés après l'effondrement de l'Empire ottoman correspondent encore aux zones fixées par MM. Sykes et Georges-Picot. Le bord de la Méditerranée est devenu le Liban et la Syrie coïncide avec la zone d'influence française, tandis que les zones britanniques sont devenues la Jordanie et l'Irak.

3.5 Le Mandat français (1920-1941)

Les Britanniques et les Arabes participèrent à la prise de Damas en 1918. L’année suivante, les forces britanniques se retirèrent de la zone d’influence revenant à la France, cédant le contrôle aux troupes françaises. En 1920, la Société des Nations (SDN) confia à la France un mandat sur la Syrie et le Liban, lesquels devaient rapidement aboutir, du moins en théorie, à l’indépendance des deux territoires. Toutefois, les nationalistes syriens, organisés depuis la fin du XIXe siècle, espéraient la création d’une Syrie indépendante, incluant la Palestine et le Liban. En mars 1920, le Congrès national syrien (élu en 1919) refusa le Mandat français et proclama unilatéralement l’indépendance du pays. Celui-ci devint une monarchie constitutionnelle dirigée par le fils de Hussein, le prince Fayçal.

- Les accords Sykes-Picot

Néanmoins, en avril 1920, la conférence de San Remo confirma les accords Sykes-Picot, qui légitimaient l'intervention militaire française: les troupes du général Gouraud entrèrent à Damas en juillet. Fayçal, contraint à l’exil, trouva alors refuge en Irak, où il sera couronné en 1921. Ce fut alors l'effondrement du «grand projet arabe» de rassembler autour de Damas les terres arabes autrefois placées sous contrôle ottoman. Alors qu'elle avait été hostile envers les Turcs, la population syrienne développa rapidement un sentiment antifrançais.

Le Mandat français sur la Syrie fut organisé en un «Grand Liban» composé de quatre provinces: l'État de Damas, l'État d'Alep, l'État des Alaouites (1920) et l'État du Djebel druze (1921), auxquels s'ajouta, en mars 1923, le sandjak d'Alexandrette (au nord) détaché d'Alep et peuplé d'une minorité turque. Se méfiant du nationalisme arabe, les Français favorisèrent le particularisme alaouite en en faisant un peuple à part entière et distinct des Arabes. 

La même année, le général Henri-Joseph-Eugène Gouraud (1867-1946), haut-commissaire de la République française, créa la Fédération syrienne, qui regroupait Damas, Alep et l'État alaouite, sans le Djebel druze, ni le sandjak d'Alexandrette. En 1924, l'État alaouite en fut également séparé. De 1925 à 1927, le Djebel druze entra en état d'insurrection, dirigée par le sultan Pacha-El-Atrache. Le général Maurice-Paul-Emmanuel Sarrail (1856-1929) y fut chargé de rétablir l'ordre français.

En 1926, le «Grand Liban» devint la République libanaise. Ce morcellement de la Syrie était du en partie aux théories de Robert de Caix de Saint-Aymour (1869-1970), éminent membre du Parti colonial français, qui préconisait plusieurs entités autonomes (et un État indépendant, le Grand-Liban). C'était l'idéologie de diviser pour régner afin de contrer l’opposition des nationalistes arabes et de constituer des minorités locales en «clientèle politique». C’est dans cette perspective que fut créé le «Territoire des Alaouites» qui comprenait des villes du littoral et s'étendait de la frontière libanaise au sud jusqu’aux limites du sandjak d’Alexandrette au nord.

Les Français encouragèrent pendant l'entre-deux-guerres le particularisme alaouite en en faisant un peuple à part entière qui n'avait rien à voir avec les Arabes associés aux sunnites. Pour les Français, les alaouites n'étaient ni des Arabes ni des musulmans. Il est vrai que, durant l'Empire ottoman, cette communauté, pourtant musulmane, était considérée comme «infidèle» (à l'exemple des chrétiens), car ses membres ne jeûnaient pas, ne fréquentaient pas la mosquée, n'effectuaient presque jamais le pèlerinage de la Mecque, buvaient de l'alcool et célébraient non seulement les fêtes sunnites et chiites, mais même certaines fêtes chrétiennes (Noël, l'Épiphanie, la Sainte-Barbe, etc.). Avec les communautés chrétiennes, les alaouites étaient les autochtones préférés des Français.

- Le problème des frontières

La frontière syro-libanaise fut tracée par les Français, protecteurs traditionnels des chrétiens dans la région, afin de satisfaire les ambitions des maronites à la création d'un «plus grand Liban». La Syrie ne reconnut jamais ce tracé. Sachant proche l'indépendance du Mandat français du Levant, la Turquie fit savoir, dès 1936, qu'elle se refusait à ce que la population minoritaire turque du Sandjak d'Alexandrette puisse passer sous l'autorité syrienne indépendante. Paris, soucieux de ne pas contrarier un État dont la position revêtait une grande importance stratégique quant à la défense des intérêts français au Levant, accéda à la demande d'Ankara, et le Sandjak d'Alexandrette (ou république du Hatay) passa sous souveraineté turque le 23 juin 1939, sous le nom de «province du Hatay», au grand dam des nationalistes syriens.

Malgré son hostilité à l’égard de la France, la Syrie se rangea aux côtés des Alliés en 1939. En juin 1940, après la capitulation française, la Syrie passa sous le contrôle du gouvernement de Vichy. En 1941, les forces de la France libre et les Britanniques chassèrent le général Dentz, haut-commissaire du Levant. Le général Catroux, au nom de la France libre, reconnut officiellement l’indépendance de la Syrie, mais les troupes franco-britanniques demeurèrent sur le sol syrien. Les Français ne se retirèrent totalement du Liban et de la Syrie qu’en 1946, après avoir violemment réprimé de nouvelles émeutes nationalistes et bombardé Damas. Cette même année, la Syrie devint membre des Nations unies.

- La question kurde

Soulignons que, lors du Mandat français, les Kurdes ne firent l'objet d'aucune mesure répressive. Même s'ils ne jouissaient d'aucun statut officiel, ils pouvaient librement pratiquer leur religion et utiliser leur langue, voire diffuser leurs propres journaux. De brillants intellectuels kurdes et français devinrent les principaux artisans de la renaissance de la littérature kurde; ils mirent au point un alphabet latin qu'ils popularisèrent dans la revue Hawar.

C'est dans le Kurdistan syrien que beaucoup d'intellectuels Kurdes persécutés en Turquie vinrent trouver refuge, bien qu'ils ne disposaient d'aucun droit politique. Les Kurdes ont bel et bien demandé leur autonomie à l'intérieur des frontières du pays. Une pétition fut adressée à l'Assemblée constituante de Syrie le 23 juin 1928 et y a inclus les trois demandes suivantes:

1) L'usage de la langue kurde dans les zones kurdes, concurremment avec d'autres langues officielles (arabe et français);
2) L'éducation en langue kurde dans ces régions;
3) Le remplacement des employés du gouvernement de ces régions par des Kurdes.

Les autorités du Mandat français ne favorisèrent pas l'autonomie kurde dans cette partie de la Syrie en raison de l'intolérance manifestée par la Turquie et l'Irak à l'égard «d'un territoire autonome kurde» près de leurs frontières. En fait, l'usage du kurde était libre, sans être officiel, dans la région. Toutefois, l'absence de documents pédagogiques en kurde aurait rendu l'instruction particulièrement difficile dans cette langue, bien que ce soit des considérations d'ordre politique qui soient intervenues.  

Quant à la minorité religieuse alaouite, elle fut favorisée par les Français. Longtemps persécutés dans le passé, les alaouites (issus des chiites) purent s'instruire et se faire embaucher dans l'armée coloniale française, ce qui assura leur promotion sociale, dont les élites dirigeront ensuite le Parti Baas à partir de 1963. Les Français avaient créé le «Territoire des alaouites», qui allait devenir l'«État des Alaouites», puis en 1930 le «territoire de Lattaquié» ou «gouvernement de Lattaquié» (Lattakié). Afin de faire contrepoids au nationalisme arabe des sunnites, les Français encouragèrent pendant l'entre-deux-guerres le particularisme alaouite, qui prétendait faire de cette communauté un peuple à part entière, mais cette politique colonialiste échoua.

3.6 La Syrie indépendante

Les dirigeants syriens proclamèrent l'indépendance, le 17 avril 1946, alors que les dernières troupes françaises quittaient le pays. Ce furent les sunnites qui prirent le pouvoir, au grand dam des alaouites. La période de l’après-guerre fut marquée par une grande instabilité politique en raison de la création de l'État d'Israël. La Syrie, membre de la Ligue arabe, participa à la guerre de 1948 qui opposait les Arabes au nouvel État juifs. La défaite arabe marqua la première crise du jeune État. Puis les coups d'État qui se succédèrent furent dominés par l'armée syrienne. L'ascension des partis de gauche, en particulier le Parti Bass (Parti socialiste de la résurrection arabe) amorça la longue alliance avec l'URSS, aujourd'hui la Russie.

- La «ceinture arabe»

À partir de 1961, le gouvernement syrien commença à accuser les Kurdes d'avoir des visées anti-arabes. En 1962, le gouvernement appliqua la politique dite de la «ceinture arabe» qui prévoyait expulser toute la population kurde de la région de Jazira le long de la frontière turque et de la remplacer par des Arabes; il semble que la découverte du pétrole à Karatchok ne soit pas étrangère à cette politique. Une fois recensés, les Kurdes syriens se sont vu retirer leur droit à la citoyenneté syrienne. En effet, sous prétexte de débusquer les Kurdes turcs qui auraient illégalement franchi la frontière turco-syrienne, le gouvernement déclara que les quelques 120 000 Kurdes de la région du Kurdistan — tous des ressortissants syriens — n'étaient pas des Syriens, mais des «étrangers se trouvant illégalement en Syrie». 

En réalité, le Kurdes ont, depuis 1962, un statut d'«étrangers kurdes» ou de «citoyens étrangers» (en arabe: ajanib, ce statut étant officialisé par une carte d'identité rouge distribuée par le ministère de l'Intérieur). Comme ce statut se transmet de père en fils ou de mère en fille, le nombre de personnes concernées ne cesse d'augmenter avec les années. En 1996, quelque 67 465 kurdes possédaient ce statut, selon les chiffres officiels, contre 200 000 selon des sources kurdes.

Dans un document secret intitulé «Étude de la province de Jazira sur les aspects nationaux, sociaux et politiques» (1963), Hilal, le chef de la police politique de la région de Hasaka, proposait une politique d'arabisation en douze points:

- dispersion des Kurdes de Syrie;
- interdiction d'établissements d'enseignement en kurde;
- mise au chômage des Kurdes;
- extradition des Kurdes turcs vers la Syrie pour être emprisonnés;
- application du principe de «diviser pour régner» entre les Kurdes;
- instauration d'une «ceinture arabe» autour de la région;
- colonisation du territoire par des «Arabes purs et nationalistes»;
- proclamation d'une «ceinture militaire» pour surveiller le départ des Kurdes et l'arrivée des Arabes;
- établissement de «fermes collectives» (mazari' jama'iyya) pour les Arabe;
- suppression des droits civils pour tout ressortissant ignorant la langue arabe;
- abolition de l'autorité religieuse des mollahs kurdes et leur remplacement par des religieux «purs arabes»;
- interdiction des «assemblée kurdes», sauf pour des rassemblements religieux.

Par la suite, toutes les minorités non arabes firent l'objet de discrimination en raison de leur origine ethnique, ce qui inclut les groupes qui vivent sur le territoire depuis de nombreuses générations. Le gouvernement n'a jamais adopté de mesures législatives ou administratives d'envergure pour éliminer cette discrimination, qui s'est poursuivie. Pire, tous les villages et toutes les villes kurdes furent rebaptisés de noms arabes, tandis que la Constitution de 1973 ne reconnut jamais ni la nationalité, ni la langue, ni la culture kurdes, alors que les partis politiques kurdes furent interdits. Les terres des Kurdes furent distribuées à des Arabes provenant d'autres régions que le Kurdistan, ce qui entraîna une politique de minorisation démographique dans les territoires kurdes. Cette politique provoqua la déportation de plusieurs dizaines de milliers de Kurdes, en majorité de confession yézidi. Privés de leur nationalité et de papier officiels, les Kurdes syriens n'ont jamais pu, du moins légalement, ni se marier, ni aller à l'hôpital ou dans les écoles publiques. 

Pour les autorités syriennes, les Kurdes furent considérés comme des apatrides qui ne devaient bénéficier d’aucun droit culturel ou politique. Les régions kurdes restèrent dans une situation de sous-développement par rapport au reste du pays.

3.7 L'idéologie panarabiste du Baas

Le Parti Bass prit le pouvoir en 1963 à la suite d'un coup d'État militaire. Un Conseil de commandement de la révolution fut chargé de diriger le pays; l’industrie, le pétrole et le commerce furent nationalisés. Les alaouites purent ainsi accéder aux positions-clés dans l’armée. Cependant, le Parti Baas resta divisé par la rivalité entre ses dirigeants et les jeunes officiers plus radicaux, appartenant pour la plupart à la minorité alaouite. Ces derniers prirent le pouvoir le 23 février 1966 et emprisonnèrent les dirigeants historiques du Parti Baas. Les nouveaux dirigeants baasistes, s’inspirant de l'idéologie pan-arabiste (ultra-nationaliste), aggravèrent la situation des Kurdes syriens, comme de toutes les minorités non arabes et non islamistes.

Pour toute minorité, le droit d’avoir ses propres écoles est fondamental: aussi la communauté chrétienne de Syrie avait-elle durement ressenti l'«étatisation», en septembre 1967, des établissements d’enseignement privés, et notamment de plus d’une centaine d’écoles catholiques, qui furent fermées ou expropriées.

Puis le gouvernement envoya 3000 soldats accompagnés de chars d'assaut au secours de l’Irak dans sa guerre contre les Kurdes irakiens afin de supprimer tout velléité d'autonomie. Les autorités syriennes tentèrent par la suite de démontrer «scientifiquement que les Kurdes qui n’ont ni histoire, ni civilisation, ni langue et qu'ils ne constituent pas une nation». Le nouveau régime adopta une politique prévoyant la déportation et la dispersion des Kurdes afin de les liquider et d'arabiser leur région en y installant des tribus arabes nomades. Toutefois, cette politique ne sera que partiellement mise en place. En effet, après la déportation et la nationalisation des terres de plus de 100 000 Kurdes en 1967, la guerre qui venait d’être déclenchée contre Israël arrêta la mise en œuvre de cette politique. 

- La guerre israélo-arabe

Lors du déclenchement de la guerre de Six-Jours en juin 1967, les forces israéliennes s’emparèrent des positions syriennes dans le Golan et progressèrent rapidement à l’intérieur du pays, parvenant à 65 km de Damas.

En novembre 1970, le général Hafez al-Assad, alors ministre de la Défense, un alaouite appuyé par l'armée, chassa du pouvoir les extrémistes du Parti Baas, puis accéda à la présidence de la République en mars 1971. Al-Assad instaura un pouvoir autocratique reposant sur l'armée et les services de sécurité. Le président al-Assad poursuivit la politique de recrutement qui favorisait les alaouites tout en ménageant les minorités chrétiennes afin de conserver leur appui..

Les mouvements d'opposition furent victimes d'une sévère répression policière. Il n'en demeure pas moins que le pouvoir alaouite, par essence minoritaire, n'a réussi à se maintenir qu'au prix d'un contrôle social rigoureux qui le contraignit à «jouer serré» en maintenant une pression extérieure, comme c'était jusqu'à présent le cas au Liban ou en lâchant la bride au Hezbollah pour étoffer, selon les besoins du moment, sa capacité de négociation avec Israël, Damas trouvant dans cet état de tension permanent la justification au maintien d'un sévère régime intérieur.

La libéralisation progressive de l’économie fut engagée, tandis que le nouveau régime, consacré par la Constitution de 1973, tenta de rompre l’isolement diplomatique du pays. Mais la Syrie poursuivit sa guerre contre Israël. La troisième guerre israélo-arabe de 1973, qui se solda par une nouvelle victoire d’Israël, entraîna un coût élevé pour la Syrie, laquelle perdit l’essentiel de ses infrastructures industrielles. En 1975, l’armée syrienne intervint au Liban, déchiré par la guerre civile. Israël annexa unilatéralement le plateau du Golan (occupé depuis 1967) appartenant à la Syrie. En 1976, le président Hafez al-Assad renonça officiellement à la nouvelle mise en œuvre de la «ceinture arabe» et décida «de laisser des choses comme elles sont».

Les forces syriennes et israéliennes s’affrontèrent en 1982, lors de l’invasion israélienne du Liban. À l'intérieur, l’armée syrienne intervint en 1982 pour réprimer une révolte islamiste menée par le mouvement des Frères musulmans. Mais la préoccupation essentielle d’Hafez al-Assad demeura le Liban. En 1985, la Syrie obtint le retrait israélien de la plus grande partie du Liban; en février 1987, elle dépêcha 7000 hommes en renfort dans le secteur musulman de Beyrouth pour rétablir l’ordre, et opéra la réunification de la capitale libanaise. Les accords de Taef, en 1989, consacrèrent la tutelle exercée de fait par la Syrie au Liban. En mai 1991, le gouvernement syrien et le gouvernement libanais signèrent un «traité d’amitié et de coopération» précisant que leurs deux pays appartenaient à une «même nation». La présence militaire syrienne se poursuivit au Liban.

Pendant tout ce temps, le régime d’Hafez al-Assad, qui avait privé de la nationalité syrienne des Kurdes de Djézireh, obligea les Kurdes «non syriens» au service militaire afin de les utiliser dans l’occupation militaire du Liban ou la guerre contre Israël.  En novembre 1986, le gouvernement édicta un décret interdisant l'usage de la langue kurde sur les lieux de travail. En décembre 1989, il promulgua un autre décret interdisant les chansons kurdes lors des mariages et des fêtes. En octobre 1992, plusieurs centaines de Kurdes furent arrêtés parce qu'ils revendiquaient l'égalité des droits civiques et culturels. De plus, le gouvernement en vint à dissoudre les associations kurdes et interdit aux fonctionnaires de l’état civil d'enregistrer les enfants portant un prénom kurde. En même temps, la presse turque accusait la Syrie de soutenir «les séparatistes kurdes» de Turquie.

- La guerre du Golfe

Puis les États-Unis continuèrent d’accuser le régime syrien de soutenir les actions de différents groupes terroristes. Le président al-Assad rompit définitivement l’isolement diplomatique de son pays lorsque ses troupes se joignirent à la coalition anti-irakienne durant la guerre du Golfe en 1991. Cette participation valut à la Syrie un regain d’intérêt de la part des investisseurs occidentaux, encouragés par de nouvelles mesures d’ouverture économique. En 1992, le président Hafez al-Assad fit un nouveau geste en autorisant les juifs de Syrie à voyager: 4000 d’entre eux émigrèrent aux États-Unis. Dans le même temps, des détenus politiques furent libérés.

En avril 1996, la Syrie intervint dans le contrôle du cessez-le-feu au sud du Liban et prit en juin 1997 l’initiative d’un rapprochement tactique avec l’Irak, avec qui Damas n’entretenait plus de relations officielles depuis 1980. La question de la succession d’Hafez al-Assad activa les luttes de clans au sein du pouvoir. En octobre 1998, soumise à des pressions et des menaces militaires par la Turquie, la Syrie signait avec ce pays un accord par lequel elle s'engageait à ne plus fournir d'appui financier, militaire ou logistique aux Kurdes. Au Liban, pays dans lequel elle exerce une influence déterminante, la Syrie intervint dans la désignation du chef de l'État. En février 1999, Hafez al-Assad fut réélu président de la République syrienne pour une durée de sept ans, mais il mourut en juin de l'année suivante.

- La république héréditaire

Un processus institutionnel, politique et électoral fut mis en place afin que son fils cadet, Bachar Al-Assad, largement plébiscité par le Parti Baas et commandant d'une division blindée de l'armée syrienne depuis 1994, puisse lui succéder. Il fut nommé général et commandant en chef des armées, proclamé chef du Parti Baas et choisi par le Parlement comme candidat unique à la présidence. Ce choix fut confirmé, pour un mandat de sept ans, par le référendum du 10 juillet. Bachar Al-Assad inaugurait une ère inédite au Proche-Orient: la république héréditaire. Bachar el-Assad a fait ses études à l'école franco-arabe al-Hurriyet de Damas; il y a appris l'anglais et le français, langues qu'il parle couramment.

Au début, le président Bachar al-Assad voulut entreprendre des réformes, mais il lui fut impossible de réformer le pays du fait qu'il ne disposait pas d'équipe de réformateurs. L'entourage d'al-Assad ne fut nullement convaincu de la nécessité de quelque réforme que ce soit. C'est pourquoi Bachar al-Assad revint à la ligne politique autoritaire de son père, avec une direction collégiale d'un État toujours dominé par la minorité alaouite. Disposant d'une quinzaine de services de sécurité, le régime autoritaire de Bachard al-Assad a vite repris les affaires en main. Le danger de conflits entre les diverses communautés de la Syrie fut le principal épouvantail brandi par le régime pour tenter de calmer les ardeurs des opposants.

Le clan al-Assad demeure au pouvoir depuis plus de quarante-cinq ans. Le pays est sous l'état d'urgence depuis 1963. Cet «état d'urgence» suspend les lois, permet aux services de sécurité d'intervenir chez les citoyens sans mandat et réduit sensiblement les libertés individuelles; il autorise la surveillance des communications et le contrôle préalable des médias. Ceux qui en profitent ne désirent nullement que tout cela cesse.

Le régime politique syrien est un système toujours fermé et très autoritaire, qui repose sur des alliances, de telle sorte que beaucoup de gens ont intérêt à ce que le système se maintienne comme il est. Toute la politique intérieure de la Syrie est le résultat des rapports de force à l'intérieur d'un régime entièrement contrôlé par des conservateurs. Le clan al-Assad bénéficie du soutien de l'Iran et d'une faible opposition interne. Au fil du temps, la Syrie est devenue une militarocratie affiliée à la communauté alaouite au moyen d'un parti unique (le Parti Bass) ayant liquidé au besoin les partis politiques rivaux à l'intérieur même de la communauté alaouite.

Depuis le mois de mars 2011, le régime est ouvertement contesté par une partie de la population, comme ce fut le cas en Tunisie, en Égypte, en Libye. Mais le président syrien Bachar al-Assad impute la responsabilité des protestations à des «conspirateurs étrangers», tout en restant muet sur la levée de l'état d'urgence. Les opposants au régime demandent non seulement la levée de cet état d'urgence (en vigueur depuis plus d'un demi-siècle), mais de nouvelles lois sur les médias et le pluralisme politique, et ils réclament la libération des milliers de détenus politiques, la liberté d'expression et de réunion ainsi que la fin de l'arbitraire de la toute-puissante sécurité d'État.

Or, le président syrien n'a jamais annoncé une quelconque réforme de libéralisation pour calmer la contestation. Toutefois, afin d'apaiser la grogne, Bachard al-Assad a accordé la citoyenneté à 300 000 habitants d'origine kurde (la région orientale d'al Hassaka : gouvernorat de Hassaké), lesquels en avaient été privés à la suite du recensement controversé de 1962. Le gouvernement avait alors allégué que des groupes de Kurdes, venus illégalement des pays voisins, en particulier de Turquie, s'étaient installés dans le gouvernorat de Hassaké en 1945 et avaient réussi à s'inscrire frauduleusement sur les registres civils syriens. Cette question avait toujours empoisonné longtemps les relations entre le gouvernement central et la communauté kurde. Il faut comprendre que les Kurdes, apatrides ou sans citoyenneté, vivaient un véritable casse-tête: ils ne pouvaient travailler dans des entreprises publiques ni devenir fonctionnaires; ils ne pouvaient émigrer dans un autre pays, puisqu'ils ne possédaient pas de passeport.

- Kurdes, alaouites et druzes

Puis les Kurdes demandent maintenant à la Syrie de reconnaître leur spécificité culturelle et leur rôle  dans la vie politique. Bien qu'il existe en principe quelque 12 partis politiques, ils sont tous interdits. Dans un pays qui se présente comme le cœur de l'arabisme, ces partis se défendent de toute visée sécessionniste, mais ils veulent pouvoir s'exprimer en kumanji, l'une des deux langues kurdes importantes.

Durant des décennies, le régime a vécu grâce à l'appui indéfectible des alaouites, pendant qu'il terrorisait les communautés sunnites dans l'ensemble du pays. Aux deux extrémités se trouvent les Kurdes et les druzes. Or, la forte concentration géographique aux frontières de la Turquie et de l’Irak pour les Kurdes et de la Jordanie pour les druzes, jointe à leur croissance démographique, a eu pour effet de favoriser les tendances sécessionnistes des Kurdes et des druzes. On a parlé de balkanisation de la Syrie. En réalité, tous les groupes ethniques importants, c'est-à-dire les sunnites, les druzes et les Kurdes, sont en train de lâcher le régime d'al-Assad.

Comme toute dictature qui se respecte, le régime de Bachar al-Assad réprime les manifestations et les opposants. Mais le conflit s’est modifié de façon très significative en conflit sectaire, c'est à-dire confessionnel, avec la prédominance bien établie d’une armée d’opposition qui s’oppose à une élite alaouite. La majorité de la population, de confession sunnite, n’apprécie pas toujours vraiment d’être dirigée par cette minorité. En fait, le pouvoir du président al-Assad s’appuie sur les clivages sociaux: il joue les groupes les uns contre les autres, les musulmans sunnites qui ont peur des Kurdes, les druzes qui ont peur des sunnites, etc.

3.8 Les guerres de religion

Amnistie internationale estime que la Syrie compte aujourd'hui entre 3000 et 4000 prisonniers politiques. C'est un pays où les disparitions se compteraient par milliers et où les familles des détenus ignorent où ils se trouvent. La Syrie serait aussi l'un des pays les plus corrompus au monde, et la torture y serait redoutable. Le pays est aux prises avec une dictature qui s'impose par la terreur depuis près d'un demi-siècle, alors que toute vie publique est étroitement contrôlée, où le quotidien se vit sous la surveillance d'agents de renseignement recrutés parmi les serveurs de café, les institutrices, voire les éboueurs. Le régime de Bachar al-Assad n'a pas hésité à déployer tout son arsenal pour terroriser ses opposants: la torture, les exécutions sommaires, les passages à tabac, les humiliations, etc. Ces attaques systématiques contre des civils ont fait plus de 2000 morts, et pourraient se qualifier au titre de crimes contre l'humanité, selon une agence de l'ONU.

Étant donné que le pouvoir de Bachar al-Assad repose sur une minorité chiite alaouite, qui accapare tous les privilèges dans le pays, la majorité sunnite ne rêve que de vengeance. Elle n'apprécie guère d'être dirigée par une petite minorité. Mais le président al-Assad bénéficie du soutien de toutes les minorités religieuses non musulmanes, notamment les chrétiens, les Kurdes et les Turkmènes, qui craignent que l'arrivée au pouvoir de la majorité sunnite fasse basculer le pays dans une longue période de vengeance. Si les leaders sunnites pouvaient assurer les minorités syriennes qu'elles ne seraient pas victimes de représailles dans une ère post-Assad, ils pourraient empêcher que les révoltes ne sombrent dans la guerre civile.

La Syrie vit aujourd'hui une guerre de religions. Au début, c’était une révolte à l'exemple de la Tunisie ou de l'Égypte. Par la suite, c’est devenu une guerre civile dans plusieurs régions de la Syrie. Bachar al-Assad n'a jamais cessé de provoquer la colère des sunnites. La cohabitation entre ces deux tendances de l'islam n'a pas toujours été facile et elle l'est encore aujourd'hui. Les mésententes entre les deux communautés aboutissent souvent à la violence. Avec l’arrivée de combattants du Hezbollah venus défendre les chiites dans la région de Homs, ainsi que l’arrivée de la brigade al-Abbas d’Irak, qui sont des combattants chiites venus se battre contre des djihadistes sunnites, on assiste à une véritable guerre de religions. Depuis 2009, le salafisme a fait une apparition remarquée en Syrie; c'est la branche fondamentaliste du sunnisme et provient d’Arabie Saoudite, mais trouve des soutiens importants au Qatar. Sortir de cette guerre de religions ne sera pas facile.

- Les factions en présences

Le groupe terroriste de l'EILL ("État islamique en Irak et au Levant"), lourdement armé, a proclamé le 29 juin 2014 l'instauration d'un califat qui engloberait au minimum la partie sunnite de l’Irak, la Syrie et une partie du Liban. Parti de la Syrie, l'EILL se réclame d’un sunnisme salafiste hostile aux chiites et d’un combat djihadiste international tout en ayant comme objectif de supprimer les frontières actuelles des pays concernés.
 

En février 2015, le territoire syrien était contrôlé par quatre factions. Les forces gouvernementales ou loyalistes (pro-Assad, en vert) assuraient leur présence dans les gouvernorats de Lattakié, de Tartous, de Hama (en partie) de Homs, de Rif Dimashq, de Suwayda et de Damas. Les rebelles anti-Assad, l'Armée syrienne libre, d'idéologie nationaliste arabe et des fondamentalistes religieux, sont présents au nord (Idlib et Alep) et au sud (Quneitra et Dara), alors que les djihadistes de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) contrôlent de vastes zones d'Alep, de Raqqa, de Homs, de Dei ez-Zor et d l'Al-Haseke. Enfin, les Kurdes maîtrisaient de vastes zones au nord.

Le conflit en Syrie apparaît comme une guerre politico-religieuse entre, d'une part, les sunnites, majoritaires au sein de l’Armée syrienne libre et soutenus par les monarchies pétrolières Golfe, la Turquie et les États-Unis, d'autre part, les alaouites, majoritaires au sein des forces armées syriennes loyalistes soutenues l’Iran chiite et le Hezbollah libanais.

Dans l'affrontement entre chiites et sunnites, les minorités chrétiennes se sentent prises en étau. Elles craignent qu'avec la chute improbable du régime de Bachar al-Assad des persécutions s'abattent sur elles.

De leur côté, grâce à l’appui des frappes américaines, les Kurdes du nord de la Syrie rêvent d’une autonomie locale.  Beaucoup de Kurdes vont trouver refuge dans le Kurdistan irakien où il sont accueillis comme des frères. En réalité, les Kurdes syriens désirent une reconnaissance constitutionnelle de leur peuple et de leur langue, sinon ce sera le chaos. Bien armés, ils empêcheront le retour des soldats arabes dans les zones qu'ils contrôlent et ne laisseront pas davantage entrer l'Armée de libération syrienne (ASL), car ils craignent l'influence des djihadistes. Pour le moment, la stratégie consiste à laisser les sunnites affronter les chiites et les alaouites tout en protégeant leurs minorités chrétiennes.

- Les alaouites

Pendant ce temps, le régime d'al-Assad est encerclé : les partisans du président savent que, s'ils perdent le pouvoir, ils seront massacrés. Après un demi-siècle de terreur, il faut s'attendre à des vengeances longtemps réprimées, surtout de la part des sunnites et des Kurdes. Bachar al-Assad veut mourir aux commandes, quitte à finir comme Saddam Hussein en Irak et Kadhafi en Lybie. Les combats vont se poursuivre et entraîner un afflux de réfugiés au Liban et en Irak. En janvier 2015, la guerre avait causé la mort de plus de 195 000 personnes et contraint dix millions de Syriens à quitter leurs foyers. En 2016, on comptait plus de 400 000 morts, dont 17 400 enfants.

Mais la guerre n'est pas près de finir en Syrie pour plusieurs raisons. D'abord, la capacité de nuisance du président Bachar al-Assad demeure encore immense. De plus, le régime syrien et les djihadistes de l'EIIL se nourrissent l'un l'autre. D'une part, Bachar al-Assad a besoin des djihadistes; d'autre part, ceux-ci ont besoin d'al-Assad. En effet, plus les djihadistes sont violents et sanguinaires, plus al-Assad peut se positionner comme un rempart contre la menace terroriste. À l'inverse, les photos d'enfants gazés ou décapités par les bombes d'al-Assad constituent un formidable outil de recrutement pour les djihadistes. La différence, c'est que pendant que les djihadistes aiment diffuser leurs «exploits» le régime syrien préfèrent cacher les siens. Entre les factions qui se font la guerre, les civils paient les pots cassés et sombrent dans la misère, car ce sont eux qui voient tomber les bombes et écopent des «dommages collatéraux».

- La mainmise des pays étrangers

Le conflit a non seulement été récupéré par des groupes terroristes, mais également par des pays étrangers. Tout le monde est là, en plus de l'État islamique :

- pour les forces anti-Assad: les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, le Qatar, l'Arabie Saoudite, la Turquie, Israël, le Canada, l'Australie, etc., sans oublier l'Armée syrienne libre;

- pour les forces pro-Assad: l'Irak, l'Iran, le Hezbollah libanais, la Russie, la Chine, etc.

- pour les forces kurdes: les Kurdes irakiens, les Kurdes syriens, les Kurdes turcs, etc.

Depuis septembre 2015, la Russie s'est impliquée en Syrie en bombardant les groupes terroristes qui se battent pour renverser Bachar al-Assad. Pour le moment, ce sont les Iraniens, leurs alliés libanais ainsi que la Russie, qui gardent le régime en vie. Le territoire contrôlé par le gouvernement syrien diminue comme une peau de chagrin. C'est une stratégie étrange qui ne fera que ruiner davantage la Syrie, accroître le flot de réfugiés et enflammer l’opposition djihadiste, car les faits l'ont démontré: les frappes aériennes ne sont guère concluantes jusqu’à maintenant. 

Les Syriens, qui ont voulu se débarrasser d’un régime dictatorial, brutal et violent, se retrouvent, quelques années plus tard, au cœur de l’un des pires désastres humanitaires depuis la Deuxième Guerre mondiale, et ce, sans aucun espoir de stabilisation à moyen terme.

Depuis 2011, la Syrie est devenue un véritable charnier, un cimetière à tombeaux ouverts. En 2017, on comptait au moins 400 000 morts, selon l'Observatoire syrien des droits humains (OSDH) établie en Grande-Bretagne; rien ne bouge pour modifier la situation. Six millions d’exilés ont pris la fuite et ont quitté leur pays. Bachar al-Assad est certes la cause principale de ces centaines de milliers de morts et de blessés, de ces millions de réfugiés et de ces innombrables destructions pour se maintenir au pouvoir, mais il n'est pas le seul responsable de la situation, car les Américains, les Russes, les Iraniens, les Turcs, etc., sont venus accroître la crise.

- Une catastrophe humanitaire

La Syrie est victime d'une catastrophe humanitaire qui consacre la faillite de tous les outils dont la communauté internationale s’est dotée dans l’espoir que l’horreur de la Deuxième Guerre mondiale ne se répète pas. Pourtant, il y a, d'une part, les troupes du régime de Bachar al-Assad, appuyées par les diverses milices contrôlées à distance par l’Iran et les forces russes, qui font la guerre à Alep avec un mépris total du droit international. D'autre part, quand ce ne sont pas ceux-là qui exécutent les civils et commettent «des crimes contre l’humanité» et «des crimes de guerre», ce sont les rebelles qui sévissent avec une barbarie ignoble en empêchant les civils de partir et en s'en servant comme boucliers humains. En même temps, la Turquie fait partie d'une coalition menée par les États-Unis, laquelle mène des attaques aériennes contre le groupe État islamique. Toutefois, pour la Turquie, le combat contre l'ÉI passe au second plan, car c'est pour empêcher les Kurdes (alliés des Américains) de s'unir et de créer un territoire commun qu'elle s'est impliquée dans le conflit. Tout ce beau monde a adopté la stratégie du «bombardement sauvage et aveugle», en faisant fi des «victimes collatérales», essentiellement des civils syriens. 

Pour résumer la situation, on a d'un côté, le régime sanguinaire de Bachar al-Assad, prêt à tout pour conserver le pouvoir. De l'autre, les rebelles tout aussi barbares. S'ajoutent les fous de l'État islamique, qui rêvent de faire sauter la planète. Au centre de ce volcan, au cœur de cette sauvagerie, ce sont les civils syriens impuissants. 

Tout ce désastre humanitaire est d'abord la faillite de l’ONU et de son Conseil de sécurité avec ses cinq membres permanents, soit les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Chine et la Russie. Depuis 2011, la Russie, grande alliée de Bachar al-Assad et partie prenante au conflit, utilise systématiquement le véto réservé aux cinq grandes puissances pour torpiller toute résolution du Conseil de sécurité visant à protéger les civils, et ce, avec l’aval de la Chine. Or, le droit de véto a été donné à ces cinq pays non pas dans le but de protéger la sécurité mondiale, mais pour défendre leurs propres intérêts nationaux, avec le résultat que la communauté internationale est incapable de formuler la moindre initiative pour mettre fin au conflit. C'est le reflet même de son immobilisme! Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, on a donné le mandat à cet organisme de protéger les humains, ce qui s'est avéré nettement utopique. C'est une paralysie profonde du système international devant une situation qui devrait interpeller tous les protagonistes du conflit; et ils sont nombreux! En plus de la Syrie, de l'Iran et de la Russie, on a affaire à une coalition de 68 pays (39 d'Europe, 3 d'Amérique, 6 d'Afrique, 9 du Proche-Orient et 8 de l'Asie-Pacifique). Les efforts diplomatiques pour mettre fin au carnage n'ont jamais porté leurs fruits. Trop de gouvernements ont intérêt à entretenir la guerre en Syrie pour que la paix y soit bientôt possible. La bonne vieille maxime de «diviser pour régner» s'applique parfaitement aux conflits de cette région.

La Syrie est aujourd'hui dévastée : le nombre de pertes humaines approche le demi-million; le nombre de blessés et de mutilés est de quatre à cinq fois plus grand. Vingt-sept pour cent des habitations ont été détruites ou endommagées et la moitié de la population syrienne a été déplacée. Depuis 2011, plus de 480 000 sans-emploi s’ajoutent annuellement et au moins 78 % des jeunes sont au chômage. Ayant perdu 226 milliards, le PNB syrien est aujourd’hui le quart de ce qu’il était en 2010. On estime qu’il faudrait investir 300 milliards de dollars pour la reconstruction de la Syrie. Autrement dit, la Syrie n'est pas au bout de ses peines. La guerre en Syrie va durer encore longtemps, car les nettoyages ethniques n’ouvrent pas beaucoup de portes à la réconciliation!

3.9 La révolution du Rojava

Le Rojava (ce qui signifie «l'ouest» en kurde), c'est-à-dire le Kurdistan occidental (en kurde : Rojavayê Kurdistanê) ou encore le Kurdistan syrien (en arabe : Kurdistan Al-Suriyah), est une région devenue autonome. Elle est située dans le nord et le nord-est de la Syrie, le long de la frontière turque.

Les Kurdes de Syrie ont su profiter du soulèvement de mars 2011 et du chaos qui s'en est suivi pour se rebeller contre le régime de Bachar al-Assad. Par la suite, ils ont conclu une entente avec celui-ci, qui s'est transformée en un pacte de non-agression, en retour duquel le président syrien retirait ses troupes du Rojava. Les Kurdes n'ont eu qu'à remplir le vide pour réaliser les changements auxquels ils se préparaient depuis plus d’une décennie. Le 19 juillet 2012 des milices kurdes syriennes, les Unités de protection du peuple (en kurde : YPG ou Yekîneyên Parastina Gel), ont pris le contrôle des grandes villes du nord de la Syrie, Afrin, Konabé et Qamichli. Depuis ce jour, les Kurdes syriens construisent leur autonomie et leur projet politique, séculier, démocratique et féministe, en dépit de la guerre civile.

- Les cantons

Le 17 mars 2016, les Kurdes de la Syrie ont proclamé unilatéralement une entité «fédérale démocratique» dans les zones qu'ils contrôlaient et qui comprenaient alors les trois cantons kurdes disjoints Afrine, Kobané et Djézireh  — bordés par une frontière turque hermétiquement close. Cette entité «autonome» couvrant une partie des provinces d'Alep, de Raqqa et de Al Haseke est également appelée «Rojava-Syrie du Nord».

C'est ainsi que le pouvoir de Bachar el-Assad a laissé la place à une auto-administration grandement dominée par la branche syrienne du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et ses alliés kurdes, arabes et chrétiens. Ce territoire autonome (probablement provisoire) est devenu une confédération transcendant les clivages linguistiques, ethniques et confessionnels.

Le 8 août 2017, un nouveau canton a été officiellement déclaré, le canton de Shehba. Celui-ci se trouve dans la zone comprise entre Afrin et Kobané, à l’ouest de l’Euphrate. Cette zone comprend également Manbij, Jarablus, Azaz et Al-Rai, d’où la Turquie mène des attaques avec l’Armée syrienne libre, contre les Forces démocratiques syriennes (FDS), sous prétexte de lutte anti-Daech. C’est l’opération turque appelée «Bouclier de l’Euphrate».

Le président Bachar Al-Assad avait sûrement prévu cette autonomie kurde en Syrie. Son gouvernement s'est trouvé à autoriser le PYD (Parti d'union démocratique : Partiya Yekîtiya Demokrat) à quitter son exil dans le Kurdistan irakien et à s’installer en Syrie. Il s'agissait sans doute d'un moyen destiné à canaliser la mobilisation politique au Kurdistan syrien afin d'éviter que ce dernier ne se rallie à l’opposition syrienne.
 

En 2016, la population administrée par le Rojava comptait deux millions d'habitants. Près de 60 % de celle-ci est kurde, mais la proportion des Kurdes varie selon les cantons : elle est majoritaire (55%) dans les cantons de Djézireh et de Kobané, mais elle est minoritaire dans le canton d'Afrin. Même dans les cantons où les Kurdes sont majoritaires, une importante minorité chrétienne assyrienne – dont la langue maternelle reste l’araméen – y est installée, ainsi que de nombreux Arabes sunnites, des Arméniens, des Turkmènes, des Tchétchènes, des Yézidis ainsi que des Juifs. Donc, on y trouve comme langues le kurde kurmandji, le kurde yézidi, l'arabe syrien, l'arménien, le turkmène, le tchétchène, etc.

C'est justement sur la base de cette polyphonie linguistique qu’ont été proclamés les 96 points de la Charte du contrat social de l’auto-administration démocratique du Rojava, qui agit en tant que Constitution du Rojava autonome.

- Le Kurdistan syrien

La révolution du Rojava a libéré le peuple de la domination du régime d’El-Assad et de Daesh. Elle a apporté des progrès significatifs pour ce qui est de la libération des femmes, de la diversité linguistique, ethnique et confessionnelle, et de la démocratie directe.

Les Kurdes ont adopté des lois pour interdire le mariage forcé, le mariage des filles mineures, l’excision et la polygamie. Ils ont éliminé la Charia pour régler les disputes matrimoniales et les tribunaux islamiques ont été démantelés. Au Parlement local, un quota minimal de 40 % de femmes a été imposé.

Hommes et femmes sont égaux aux yeux de la loi, et la Charte garantit la réalisation effective de l'égalité des femmes et oblige les institutions publiques à travailler à l'élimination de la discrimination entre les sexes. Les institutions du Rojava se distinguent par leur laïcité, car la religion ne joue aucun rôle politique. C’est surtout par son féminisme que le Kurdistan syrien diffère dans la région : les femmes sont présentes à tous les niveaux et dans tous les domaines de l’administration, y compris dans l'armée. Chaque conseil démocratique doit respecter un quota de 40% de chaque sexe, et chaque institution doit être coprésidée par un homme et une femme.

Depuis 2017, le Kurdistan syrien est administré en vertu d'un «confédéralisme démocratique». Toute personne a le droit d'exprimer son identité ethnique, culturelle, linguistique, ainsi que les droits dus à l’égalité des sexes. Les langues officielles sont le kurde, l’arabe et le syriaque, mais les langues principales sont le kurde kurmanji et l'arabe syrien. Toutes les communautés linguistiques ont le droit d'enseigner et de recevoir leur instruction dans leur langue maternelle. La plupart des livres kurdes enseignés au Rojava ont été édités et publiés par l'Institut de la langue kurde à Istanbul, en Turquie. Le Rojava peut rappeler qu'une révolution est possible là où des révolutionnaires sont organisés, déterminés et prêts à risquer leur vie.

- Une utopie provisoire

Mais cette utopie, surtout dans cette région du Proche-Orient, correspond à l'antithèse du «rêve califal» de Daesh. C'est en effet une région où l'on trouve des milices salafistes, des théocraties corrompues, des États nations autoritaires, des structures tribales, des sociétés massivement conservatrices au sein desquelles la violence contre les femmes, les meurtres pour l’honneur, les mariages forcés, les caractéristiques habituelles du patriarcat, sont extrêmement courants. Or, la révolution du Rojava fait la part belle aux composantes féminines et minoritaires des cantons, tout pour attirer de nombreux ennemis dans la région. L'ennemi juré de l’autonomie du Kurdistan syrien est la Turquie, dont la population kurde pourrait s’inspirer du pays voisin pour sa contestation politique. De plus, l’État syrien, s’il finissait par gagner la guerre, pourrait vouloir reconquérir ses provinces du Nord et les assujettir à nouveau. Il est certain alors que le kurde serait à nouveau interdit.

Cette révolution ne peut se faire si rapidement sans accrocs. Ainsi, les dirigeants kurdes pensent qu'une partie de la population locale pourra être «rekurdisée», notamment les Kurdes arabophones qui peuvent choisir de renouer avec leurs racines kurdes. Les Kurdes ont, pour l'instant, le soutien de la communauté internationale, notamment de la Russie, des États-Unis et de la France. Ce soutien a été nécessaire pour la lutte des forces kurdes contre l'État islamique. Cependant, comme le dit si bien le proverbe suivant: «Les Kurdes n'ont d’amis que les montagnes.» S'il fait avant tout référence au relatif isolement politique des Kurdes de Syrie, ce proverbe concerne tous les Kurdes de l'Irak, de l'Iran et de la Turquie à qui les Occidentaux avaient déjà promis un pays. Bref, les Kurdes se méfient de leurs alliés, que ce soit les Américains, les Britanniques ou les Français. Finalement, le moins que l'on puisse dire, c'est que le projet du Rojava renvoie une image progressiste qui contraste étrangement avec l’image d'obscurantisme renvoyée par l'État islamique. Bien sûr, Damas dénonce cette autonomie.

- L'invasion turque dans le Rojava (2019)

En octobre 2019, le président Donald Trump a décidé de retirer les forces américaines de Syrie, soit environ 1000 soldats bien entraînés et bien équipés. Les pays occidentaux engagés dans la lutte contre l’État islamique avaient insisté pour que cette évacuation ne se réalise pas, car elle mettrait en danger la population kurde de Syrie, ce qui donnerait ainsi le feu vert à l’invasion turque dans la région. Pour la Turquie, toute entité autonome kurde est à éliminer à tout prix, y compris dans Kurdistan syrien; pour Ankara, tout Kurde est un terroriste!  L’intention déclarée de la Turquie est de placer une «zone de sécurité» frontalière de façon à réduire le territoire du Rojava et la continuité territoriale kurde. Cela correspond à 32 km de profondeur en territoire syrien sur 400 km de longueur le long de la frontière turque. L’armée turque, notamment composée de milices turkmènes syriennes, a fait entrer une cinquantaine de chars et quelques centaines de soldats (près de 400, appuyé par des groupes djihadistes anti-Assad) sur le sol syrien, sans oublier l'aviation, et elle ne prévoit pas se retirer. Amnistie internationale a dénoncé les forces turques et leurs supplétifs syriens qui auraient commis, lors de leur offensive contre les forces kurdes, des «crimes de guerre», dont des «exécutions sommaires» et des attaques meurtrières contre des civils.

Évidemment, les capacités militaires des Kurdes de Syrie sont limitées devant la force de feu de l’artillerie turque. L'objectif de la «zone tampon» de la Turquie en Syrie consiste non seulement à empêcher l’unification du Rojava kurde, mais de forcer les Kurdes à sortir de la région. Lâchés par leurs alliés américain et européens, les Kurdes, qui avaient profité de la guerre civile en Syrie pour étendre leur zone de contrôle, se retrouvent désormais pris en étau entre l’armée turque et l’armée syrienne. Des centaines de milliers de Kurdes se sont retirés de la zone des combats. Évidemment, tous les États ont dénoncé à l’unisson l'invasion turque, y compris les États-Unis, la Russie, Israël, l’Iran et la Syrie, bien qu’ils l’aient tous négociée et validée.

Les États Unis, la France et l’Union européenne, qui jusque là, soutenaient par les bombardements les forces kurdes utilisées comme chair à canon sur le terrain face à Daesh, ont dû sacrifier ces derniers pour préserver leur alliance avec la Turquie au sein de l’OTAN et éviter que celle-ci fasse un pas de plus vers la Russie et l’Ian. Les populations du Rojava, kurdes mais aussi chrétiennes, craignent d’être massacrées et chassées de leurs terres, puis remplacées par des populations arabes. Il s'en suivra une autre crise humanitaire qui risque de s’aggraver de jour en jour. Tout ce que peuvent espérer les Kurdes, c’est de pouvoir parler leur langue dans la rue.

Le président Donald Trump a réussi à mettre fin à la révolution du Rojava. L'armée russe a aussitôt investi les bases américaines, ce qui démontre le rôle que Moscou occupe désormais dans la région en remplacement de Washington. Tout en dénonçant l’intervention turque, la Syrie a «libéré» un quart de son territoire. La Turquie, qui dit avoir réglé la question du terrorisme kurde en Turquie, envisage dorénavant de régler celle des Kurdes syriens. La tentation sera grande pour elle de ne pas s’arrêter là!

- La stratégie de l'étranglement

Après plusieurs années d’un conflit meurtrier — plus de 400 000 morts, 6,1 millions de personnes déplacés dans le pays, 5,3 millions de réfugiés à l'étranger, des villes détruites, un pays en lambeaux —, Bachar al-Assad n’a peut-être pas encore gagné complètement la guerre, mais il a remporté un pari important, celui de se maintenir au pouvoir par tous les moyens possibles. Le système qui lui a permis d’asseoir son pouvoir sur le pays consiste à miser sur les divergences entre les différents groupes qui forment la toile de la société syrienne, selon le vieux principe qui consiste à diviser pour régner. Il a fallu que le président syrien s'appuie sur les clivages sociaux et jouer les groupes les uns contre les autres, les musulmans sunnites qui ont peur des Kurdes, les Druzes qui ont peur des sunnites, etc.

Tout en se présentant comme le pourfendeur des extrémistes, il a laissé le groupe État islamique prendre de l’expansion en Syrie, ce qui a permis d’entraîner les États-Unis et d’autres puissances occidentales à combattre à ses côtés contre les djihadistes radicaux. Au plan militaire, il a employé la stratégie de l’étranglement systématique en assiégeant une ville après l’autre et en attaquant les zones rebelles au moyen de vastes tueries, ce qui lui a permis de vaincre les principales résistances après des sièges impitoyables, laissant des villes entières en ruines et ayant pris soin de détruire les écoles et les hôpitaux pour laisser mourir de faim les civils. Bachar al-Assad se positionne pour jeter les bases d’un futur État alaouite.

4 La politique linguistique

En pleine guerre civile syrienne, une nouvelle constitution a été adoptée à la suite du référendum constitutionnel syrien de 2012. La Constitution syrienne du 126 février 2012 est fondée sur un régime présidentiel fort au sein duquel le président de la République est élu sur proposition de l’Assemblée pour un mandat de sept ans. Au chapitre de la langue, seul l'article 4 compte une disposition d'ordre linguistique: «La langue officielle de l’État est l’arabe.» En vertu de cette simple disposition, la langue arabe classique sert de véhicule pour toutes les communications de l'État syrien.

De plus, bien que la Syrie soit un pays multilingue et multiconfessionnel, les textes de la Constitution énonce que le pays arabe, qu'il fait partie de la «nation arabe», que la religion du président de la République est l'arabe et que la jurisprudence islamique est la source essentielle de la législation:

Préambule

[...]

La République arabe syrienne est fière de son appartenance arabe et dont le peuple fait partie intégrante de la nation arabe. Cette appartenance elle la concrétise par son projet national et patriotique, et par son action soutenant la coopération interarabe dans le but de promouvoir la complémentarité et de réaliser l’unité de la nation arabe.

[...]

Article 1er

1) La République arabe syrienne est un pays démocratique souverain et indivisible, il est inadmissible de concéder ne serait-ce une partie de ses territoires, et elle est partie intégrante de la Patrie arabe.

2) Le peuple de Syrie fait partie de la nation arabe.

Article 3

1)
La religion du président de la République est
l'islam.

2) La
jurisprudence islamique est la source essentielle de la législation.

3) L’État respecte toutes les religions et garantit le libre exercice de tous les rites à condition que cela ne perturbe pas l’ordre public.

4) L’état civil des communautés religieuses est protégé et respecté.

Autrement dit, les, Kurdes, les Turkmènes, les Arméniens, les Circassiens, les Ossètes, les Juifs, etc., sont tous des Arabes et des musulmans.

4.1 Le Parlement et les tribunaux

Les langues employées par les parlementaires sont l’arabe levantin du Nord et parfois l’arabe classique dans les débats oraux, mais les lois ne sont rédigées qu’en arabe classique. Mentionnons que c'est à l'époque du Mandat français que provient une grande partie des lois et codes syriens, lesquels furent directement rédigés en langue française par des juristes français. On s'y réfère encore à l'occasion.

Les tribunaux mixtes (religieux et civils), qui comprenaient des magistrats français, furent les premiers à appliquer les lois syriennes; leurs décisions furent alors publiées en français et elles ont servi de base à la jurisprudence syrienne qui continue encore à les prendre en considération. Les lois adoptées à cette époque sont restées inchangées. Elles sont non seulement d'inspiration française, mais elles sont rédigées en français. Pour ce qui est de la jurisprudence, il est fréquent de lire des décisions, alors que l’arabe classique est devenu la langue officielle, qui contiennent des passages de référence en français, voire tirés d'ouvrage français.

Aujourd’hui, l’arabe syrien est généralement la langue couramment utilisée dans les tribunaux de première instance, comme dans les tribunaux religieux. Ces derniers, qui ont juridiction sur le statut personnel des Syriens, peuvent utiliser une autre langue, par exemple l'anglais, voire l’arménien ou le kurde. Chacune des juridictions communautaires disposent de ses propres règles, de ses textes juridiques, de sa terminologie particulière, de sa jurisprudence, etc.

4.2 L'administration publique et les affaires

Dans l’Administration publique, la langue utilisée à l'oral est généralement l’arabe syrien dit arabe levantin, mais cet emploi n’interdit pas l’arabe classique, voire l'anglais dans certains cas. Tous les documents administratifs sont en arabe classique, jamais dans une langue minoritaire. Les fonctionnaires ont même reçu l'ordre de ne pas enregistrer à l'état civil des prénoms à consonance kurde.

Depuis 2008, la Syrie a renforcé le statut de l’arabe dans la vie publique. Le programme du gouvernement syrien pour la protection de la langue arabe est devenu une préoccupation presque quotidienne. Les visiteurs de la capitale Damas et des grandes villes de Syrie peuvent observer l’arabisation sur les enseignes des magasins. De fait, le gouvernement exige à leurs propriétaires d’écrire le nom avec des mots non seulement en arabe, mais avec un «sens» arabe. La décision des autorités autorise l’écriture de ces noms en lettres latines sous celles de l’arabe, à la condition qu’elle n’occupe pas une taille de plus de la moitié de l’espace du nom en arabe. Bien que la décision ait affecté des marques locales bien connues sur le marché, les commerçants, selon les responsables syriens, ont réagi positivement. Sont exclus de cette décision les magasins représentant des succursales d’agences internationales.

Plus de 30 % des Kurdes de Syrie n'ont pas la citoyenneté syrienne, mais le statut d'«étrangers kurdes» ou de «citoyens étrangers». Ce statut ne procure aucun droit, mais il implique de nombreuses interdictions comme celle de bénéficier d'un passeport, de voter, d'acquérir des biens immobiliers, d'ouvrir un commerce, de faire reconnaître son mariage devant les autorités civiles, de travailler dans l'administration publique, d'exercer une profession telle que médecin, magistrat ou ingénieur, de se faire soigner dans un hôpital public ou de recevoir de l'aide alimentaire.

4.3 L'éducation et les médias

La description qui suit correspond à la situation avant la guerre civile de 2011. La Syrie avait alors un système d'éducation avec un effectif de presque 100 % à l’école primaire et de 70% à l’école secondaire. Selon un recensement en 2004, le taux d’alphabétisation syrien était de 79,6%, et 86 % d’entre eux étaient des hommes contre 73,6 % pour les femmes. L'une des tâches assignées aux écoles est d'éduquer les élèves de sorte qu'ils apprécient leur héritage et leur civilisation nationale, leur langue et leur culture arabe. L’instruction primaire est gratuite et obligatoire, mais l'arabe classique reste la seule langue d'enseignement permise dans le système public.

Il existe des écoles privées, mais elles sont généralement réservées à une certaine élite qui veut voir instruire ses enfants en anglais ou en français. Néanmoins, l'article 22 du Décret législatif n° 55 de 2004 sur l’organisation de l’enseignement public et privé oblige aussi un enseignement en arabe et respecter les programmes officiels:

Article 22

Les établissements d’enseignement privés qui enseignent des programmes non formels doivent enseigner l’arabe à leurs élèves, les sciences sociales, l’histoire, la géographie et l’éducation civique adoptés dans les programmes officiels en arabe pour les étudiants syriens sous la supervision du Ministère.

Par ailleurs, certaines écoles privées sont possibles en arménien et en circassien, mais elles demeures marginales et essentiellement coraniques. En Syrie, il est interdit d'utiliser le kurde comme langue d'enseignement dans les écoles publiques. Pour ce qui est des langues étrangères, il est obligatoire d'apprendre au moins une langue; c'était auparavant l'anglais OU le français, mais la plupart n'apprenaient que l'anglais. Depuis 2003, les autorités syriennes ont fait du français la seconde langue étrangère obligatoire dans l’enseignement public. Cela se fait maintenant à partir de la septième année de l’enseignement de base, ce qui équivaut à la 5e année en France.

Depuis la guerre civile de 2011, la plupart des écoles ont été détruites (une sur trois) ou bien elles servent d'abri à des milliers de Syriens qui fuient les bombardements. De toute façon, les bâtiments sont souvent devenus inutilisables; les bancs et les pupitres servent dorénavant de combustible pour survivre au froid de l'hiver. Depuis le début de la guerre, on a recensé plus de 4000 attaques contre les écoles qui sont devenues les cibles des attaques en Syrie, dans la mesure où les groupes armés ont vu dans les écoles, les enfants et les enseignants, des stratégies militaires. En effet, les écoles sont considérées comme une incarnation de l’autorité de l'État, ce qui signifie par conséquent qu'elles deviennent des cibles militaires. À maintes reprises, l’UNICEF a rappelé que cibler des écoles ou des hôpitaux constitue un crime de guerre.

À UNICEF, on distribue des livres qui permettent aux enfants de poursuivre leur éducation à la maison quand ils ne sont pas capables de se rendre à l’école à cause de l’instabilité. On trouve maintenant des écoles cachées sous terre, car les parents ne veulent pas que leurs enfants deviennent analphabètes et ignares, et que toute une génération soit perdue. On estime qu’en Syrie et dans les pays limitrophes, 8,1 millions d’enfants et de jeunes syriens n’ont pas accès à l’éducation. Plus de 50 000 enseignants ne peuvent plus exercer et ils sont en fuite dans leur propre pays ou à l’étranger. En 2017, six millions d’enfants syriens étaient en besoin d’aide humanitaire et plus de deux millions d’entre eux n’y auraient pas accès parce qu’ils vivent dans des zones difficiles d’accès ou dans des zones assiégées. De plus, certains enfants sont enrôlés dans l'armée (sans l'accord des parents) et deviennent des enfants-soldats (souvent âgés de moins de 15 ans), alors que d’autres sont obligés de travailler afin de nourrir leur famille. Les enfants travaillent généralement dans l’agriculture, dans la construction, dans les restaurants ou deviennent vendeurs dans la rue, lavent des voitures, collectent les poubelles ou encore mendient.

La Syrie possède (possédait) des universités à Damas, à Alep, à Homs et à Lattaquié (Lattakié). Damas est le siège de l’Académie arabe (1919), dédiée à l’étude de la langue et de la civilisation arabes. Il existe aussi d’autres instituts et universités, toutes en arabe, spécialisés pour les affaires sociales, l’agriculture, l’industrie, la technologie et la musique. L'article 20 de la Loi n° 6 sur l’organisation des universités syriennes (2006) prescrit l'emploi de l'arabe comme «langue d’enseignement dans les universités, à l’exception de l’enseignement dans les départements de langues étrangères et de l’enseignement des cours de langues étrangères»:

Article 20

A- La langue arabe est la langue d’enseignement dans les universités, à l’exception de l’enseignement dans les départements de langues étrangères et de l’enseignement des cours de langues étrangères.

B- Il est permis d’enseigner un cours par année universitaire au niveau du baccalauréat et un ou deux cours en études de qualification et de spécialisation et en études de troisième cycle en langue étrangère.

C- Il est permis, par une décision du ministre après approbation du Conseil de l’enseignement supérieur, et sur la base d’un accord de coopération scientifique avec une université non syrienne, d’établir des diplômes scientifiques au niveau des études de qualification et de spécialisation ou des études de troisième cycle dans l’une des facultés de l’université, et d’enseigner dans ces diplômes pour tous les cours ou certains d’entre eux dans une langue étrangère.

 Depuis le commencement de la guerre civile de 2011, de nombreux étudiants sont empêchés de se rendre à l’université en raison des combats incessants entre rebelles et milices du gouvernement; une autre raison est toute aussi importante: les bâtiments des universités sont bien souvent détruits. Dans le but de face à cette situation, beaucoup d'étudiants ont trouvé un moyen «de fortune» et illégal: le faux-diplôme. C'est là que des faussaires font fortune avec une commerce florissant dans la Turquie voisine où l'on fabrique des diplômes officiels plus vrais que nature (p.ex., un papier officiel des universités syriennes, des tampons authentiques de l’Université d’Alep et du ministère des Affaires étrangères, etc.), qui sont facturés jusqu’à 1500 dollars ou plus de 1300 euros.

Pour ce qui est des médias, c'est la langue arabe qui sert de véhicule de transmission. Dans les médias écrits, seule la langue arabe classique est en principe permise, mais il existe toutefois des versions anglaise et française du journal Al-Thawra de Damas. Dans les médias électroniques, l'arabe dialectal syrien est également utilisé. La Télévision arabe syrienne est le nom de la principale chaîne de télévision publique syrienne; elle émet en arabe syrien. Les autres chaînes, Nour Al Sham, Orient News, Sama TV, Halab today TV, Talaqie TV, Syria Drama, Syria News Channel, Addounia TV, diffusent en arabe classique et parfois en anglais.

4.4 L'absence de droits linguistiques

Quant aux droits des minorités linguistiques, il vaut mieux les oublier. Ce n'est pas pour rien qu'un comité des Nations unies a recommandé au gouvernement syrien d'accéder aux propositions suivantes:

1) de prendre des mesures concrètes pour lutter contre la discrimination dont les groupes minoritaires sont l'objet, en particulier les Kurdes, comme l'enregistrement des naissances, la fréquentation scolaire et la possibilité pour ces groupes d'utiliser leur langue et d'autres modes d'expression culturelle;
2) de mettre en œuvre un plan national d'éducation pour tous;
3) de faire en sorte que les groupes minoritaires, comme les Kurdes, puissent jouir de leur droit à utiliser leur propre langue et à vivre conformément à leur culture, sans en être empêchés par des dispositions législatives ou administratives;
4) de garantir à tous les enfants relevant de la compétence de la Syrie le droit d’être inscrit sur un registre et d’acquérir une nationalité, sans discrimination d’aucune sorte et sans égard à la race, à la religion ou à l’origine ethnique de l’enfant, des parents ou des tuteurs légaux.

- Les Kurdes

Jusqu'à récemment, les Kurdes de Syrie n'étaient pas autorisés à employer publiquement la langue kurde, ni à utiliser et enregistrer des noms et prénoms kurdes pour leurs enfants, pas plus que de donner des noms kurdes à des entreprises ou des noms kurdes à des écoles. Toute publication de livres et d'autres documents en kurde était strictement interdite. Évidemment, depuis le début de la guerre civile en Syrie, ces interdictions n'ont plus cours.

Au contraire, les Kurdes sont parvenus à instaurer une sorte d’autonomie à la faveur du conflit déclenché en mars 2011. Ils formulent leurs propres règlements qui s’appliquent à toutes les populations, y compris les communautés chrétienne et sunnites, dans les trois «cantons» constituant leur région et non reconnus par le régime de Damas. Ainsi, les autorités locales ont émis un décret garantissant aux femmes les mêmes droits que les hommes; le même décret supprime un ensemble de droits allant de l’interdiction de se marier avant 18 ans, ou contre son consentement, aux conditions de travail et aux rémunérations qui doivent être égales à celles des hommes, en passant par le congé maternité garanti jusqu’au troisième enfant.  Les Kurdes de Syrie reçoivent des armes de la part du gouvernement irakien, mais celles-ci sont livrées par l'armée américaine.

- Les djihadistes de l'EI

Par contre, dans les zones occupées par les djihadistes de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL), la situation est différente. Non seulement les drapeaux noirs de l'EI sont omniprésents, mais les femmes doivent être couvertes de la tête aux pieds par des burqas noires et ne peuvent sortir de chez elles que si elles sont accompagnées de leur père, de leur frère ou de leur mari. Des troupes de choc féminines patrouillent les villages et soumettent les femmes aux préceptes de la Charia sous peine de 30 coups de fouet. Plus de 5000 femmes kurdes et yézidies ont été kidnappées par les djihadistes et vendues comme butin de guerre. Ces derniers justifient leurs exactions parce que ces populations aux «coutumes singulières» seraient des «adorateurs du diable».

L'éducation est dorénavant basée sur une stricte interprétation de la loi islamique, et des camps d'entraînement pour les jeunes garçons ont été mis en place. La prière est obligatoire et aucun croyant ne peut s'y soustraire sans être condamné à la flagellation. On coupe la main aux voleurs, on lapide les femmes adultères, on tue les homosexuels, on égorge et décapite les blasphémateurs. Il est interdit de fumer, d'ouvrir un café, mais il est obligatoire de fréquenter la mosquée sous peine de prison. Quant aux chrétiens, ce sont des infidèles qui doivent se convertir à l'islam. En cas de refus, ils doivent être massacrés après avoir assisté au viol collectif de leurs femmes et de leurs filles; leurs églises sont brulées et les prêtres et les évêques doivent être égorgés.

Comme il fallait s'y attendre, l'EI n'est pas un État, car il restreint les libertés à tous ceux qui ne sont pas dans ses rangs. Les djihadistes n'hésitent pas à fouiller les maisons et les ordinateurs afin de chercher des preuves de ce qu'ils considèrent comme des «pratiques immorales». Non seulement ils règnent par la terreur, mais ils ont pris possession des champs pétroliers et gaziers, des centrales électriques et des barrages, qu'ils maintiennent en activité, en versant un salaire supplémentaire aux employés, qui continuent par ailleurs de recevoir de l'argent du gouvernement syrien. Pour les djihadistes de l'État islamique, tout appartient à Dieu, donc sous leur contrôle pour leurs propres intérêts.

- L'Armée syrienne libre

Dans les zones sous le contrôle de l'Armée syrienne de libération, financée par l’Arabie Saoudite, les soldats, presque tous sunnites, pratiquent le nettoyage ethnique dans les gouvernorats où ils trouvent des chrétiens. Parmi les exactions pratiquées par les soldats, il faut citer les viols, les meurtres de femmes enceintes et les décapitations pour les hommes. Près de 100 000 chrétiens ont été chassés de leurs maisons, surtout dans le gouvernorat de Homs. Beaucoup de chrétiens qui considéraient auparavant le régime de Bachar al-Assad comme une véritable kleptocratie («voleurs de grand chemin»), le voient aujourd'hui comme le meilleur défenseur du pluralisme ethnique et religieux. Les milices de l'Armée syrienne libre sont composés de militants islamistes, dont beaucoup ont combattu les forces américaines en Irak. Ces milices accusent les chrétiens d'être des partisans du régime de Bachar al-Assad. Les miliciens de l'Armée syrienne libre disent pourtant vouloir protéger toutes les minorités, mais c'est sans doute pour leur voyage vers l'au-delà. Plus de 200 000 chrétiens ont fui la ville d'Alep pour Damas ou le Liban, sinon dans des pays occidentaux où les ils ont tendance à s'intégrer plus facilement que les musulmans. D'après l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), le nombre de réfugiés syriens a dépassé le chiffre de quatre millions. Ce nombre devrait s'élever à 4,27 millions d'ici la fin de 2015. Il s'agit de la plus importante population de réfugiés d'un seul conflit en une génération. La Turquie et le Liban, pays frontaliers au nord et à l'ouest de la Syrie, se partagent plus de la moitié des réfugiés, dont 1,8 million pour la Turquie et 1,2 million pour le Liban (qui compte quatre millions d'habitants). Les autres réfugiés se répartissent en Jordanie, en Irak, en Égypte et en Afrique du Nord. C'est un désastre humanitaire difficile à assumer pour les pays frontaliers. À ce nombre il faut ajouter 7,6 millions de déplacés à l'intérieur même de la Syrie. Si on cumule ces chiffres, c'est plus de la moitié de la population syrienne (23 millions d'habitants) qui a du fuir à cause du conflit.

La politique linguistique de la Syrie a toujours été une politique d’unilinguisme arabe, sinon d’assimilation à l’égard de la plupart de ses minorités. Le régime a toujours toléré les minorités religieuses soumises et a déclaré une guerre sans merci aux autres, notamment aux Kurdes. Dans leur cas, à l’exemple de l’Irak, de la Turquie et l’Iran, la Syrie n'a jamais hésité à pratiquer une politique de minorisation et de liquidation de ses Kurdes.

Dans l’immédiat, on ne voit pas comment les pouvoirs syriens (al-Assad, Armée syrienne libre et djihadistes de l'EIIL) accorderaient une quelconque reconnaissance à une minorité religieuse ou linguistique. Au contraire, le génocide serait probablement plus approprié pour eux. Sans un assouplissement et une reconnaissance juridique de la part des différentes autorités syriennes, il est impossible que la situation puisse trouver une solution satisfaisante. Le Parti Baas a amené au pouvoir les alaouites arabes contre les minorités, surtout kurdes. En fait, la politique linguistique de la Syrie à l'égard de ses minorités a toujours été inacceptable, car elle nie systématiquement les droits les plus fondamentaux, y compris le droit à la vie. La Syrie est aujourd'hui dans un état de décomposition avancée. Avec toutes ces confessions religieuses, ces ethnies et ces guerres fratricides, la Syrie présente une situation d'une très grande complexité qui n'augure rien de bon. Seul le Kurdistan syrien manifeste une certaine empathie à l'égard des minorités religieuses.

Pour le moment, la situation continue de se détériorer en Syrie. Il n'y a pas le moindre signe indiquant que cette guerre civile pourrait se terminer, au contraire. Pour toutes les minorités, que ce soient les alaouites, les druzes, les chrétiens, les ismaéliens et les chiites, le régime de Bachar al-Assad, tortionnaire de son propre peuple, semble la moins pire des solutions, alors que toute autre alternative apte à maintenir l’ordre et à garantir l’unité du pays en cas de renversement du régime fait craindre un chaos catastrophique en Syrie. Les minorités craignent l’instauration d’une dictature de la majorité sunnite. Autrement dit, les alaouites ne sont pas les seuls à craindre la chute du régime de Bachar al-Assad, car les chrétiens, les chiites, les druzes, voire une partie des sunnites, s'attendent à ce que leur pays sombre dans une «libanisation» ou une «afghanisation» avec la création d'un califat salafiste qui engloberait l'Irak, la Syrie et une partie du Liban. Seuls les Kurdes réussissent à s'opposer aux nouveaux envahisseurs.

Étant donné qu'on a affaire à une coalition de de 68 pays en Syrie et que les intérêts stratégiques d'autant d'acteurs sont très divergents, il apparaît impossible à ce stade-ci d'atteindre un consensus autour d'une table de négociations. Les États sont trop impliqués dans leurs propres priorités pour tous marcher dans la même direction. Depuis 2011 que dure le conflit syrien, celui-ci ne peut plus être réglé par des négociations et des concessions de la part des puissances qui n’ont pas l’intention d’en mener. Il semble bien que les combats ne s'arrêteront que lorsqu'une des parties prenantes au conflit aura été éliminée sur le champ de bataille. Comme tout désaccord fondamental en politique, celui-ci ne sera tranché que par la force (pas nécessairement militaire)! Ensuite les négociations diplomatiques pourront commencer! Même si l’on arrivait à se débarrasser de l’État islamique et des principaux acteurs qui paralysent la Syrie (Assad, Poutine, Ali Khamenei, etc.), on se retrouvera dans une situation peu enviable engendrée par des années de guerre civile, et devant les haines et les aspirations auxquelles vont se retrouver les alaouites, les sunnites, les Kurdes et les chrétiens. Bref, des jours encore plus sombres attendent la Syrie, et pour longtemps.

Dernière mise à jour: 23 déc. 2023

Bibliographie

ABDULLA-ALI, Najat. «Empire, frontière et tribu. Le Kurdistan et le conflit de frontière turco-persan 1843-1932», Université de Paris X Nanterre, thèse de doctorat en histoire, 2006, 668 p.

CHALIAND, Gérard. Le malheur kurde, Paris, Seuil, 1992, 212 p.

ENCYCLOPÉDIE MICROSOFT ENCARTA, 2004, art. «Syrie», pour la partie historique.

GOGUEL, Frédéric. «Les chrétiens sous la férule des ayatollahs» dans Résister et Construire, Lausanne, nos 37-38, janvier 1997, p. 58-62.

LECLERC, Jacques. Langue et société, Laval, Mondia Éditeur, coll. «Synthèse», 1992, 708 p. 

MORE, Christiane. Les Kurdes aujourd'hui, Paris, L'Harmattan, 1985, 310 p.

NEZAN, Kendal. «Le malheur kurde» dans Le Monde diplomatique, Paris, octobre 1996, p. 1, 18 et 19.

PIRBAL, Khasro. «Le Kurdistan et la nation kurde: généralités» dans Kurdistan - Profil régional, Finlande 2001, [http://perso.wanadoo.fr/kurdes/hizir.htm].

PIRUZ, Jan. «La mémoire meurtrie de Mahabad» dans Le Monde diplomatique, Paris, janvier 1997, p. 6.

SEURAT, Michel. Syrie, l'État de barbarie, Paris, Presses universitaires de France (PUF), coll. «Proche-Orient», 2012, 304 p.

YACOUB, Joseph. «Asie du Sud et du Sud-Est» dans Les minorités dans le monde, Paris, Desclée de Brouwer, 1998, p. 593-637.

 


Kurdistan

 

L'Asie

Accueil: aménagement linguistique dans le monde