La langue catalane
et son histoire

Avis: cette page a été révisée par Lionel Jean, linguiste-grammairien.

Plan de l'article
 

1 La langue catalane
 
1 L’aire linguistique du catalan
  2 Les locuteurs du catalan
  3 Le catalan standard
  4 Les variétés dialectales
  5 Le français et le catalan

2 Les peuples originaires de la péninsule

3 La romanisation de l'Hispania

4 Les invasions germaniques et le morcellement du latin
  1 Les Wisigoths
  2 Les langues romanes
  3 L'influence linguistique du gothique

5 La période arabe

6 La naissance du catalan
  1 La monarchie carolingienne
  2 L'indépendance de la Catalogne

7 L'union de l'Aragon et de la Catalogne
   1 La répartition des langues
   2 L'expansion catalane

8 Le déclin du catalan ou la «Decadència»
   1 L'union de l'Aragon et de la Castille
   2 Le traité des Pyrénées de 1659
   3 La guerre de Succession d'Espagne (1714)

9 La renaissance du catalan

   1 Les premières manifestations
   2 Le rétablissement de la Generalitat
   3 La guerre civile espagnole

10 La période franquiste
   1 La fin de l'autonomie catalane
   2 La répression linguistique

11 Le catalan dans l'Espagne démocratique
    1 La Constitution espagnole
    2 Le catalan dans les Communautés autonomes

12 Le catalan hors de l'Espagne
    1 La principauté d'Andorre
    2 La Catalogne française
    3 La Sardaigne

13 Conclusion

1 La langue catalane

Le catalan est une langue distincte à l'exemple de l'espagnol (castillan) ou du français. Ce n'est pas un dialecte ni une sous-langue, c'est même une langue romane qui a connu ses heures de gloire dès le Xe siècle, alors que le castillan et le français n'en étaient qu'à leurs premiers balbutiements.  

1.1 L'aire linguistique du catalan

L'aire linguistique du catalan comprend une partie sud de la France (région de Perpignan), la principauté d'Andorre, la Catalogne (Barcelona), le Pays valencien (Communauté valencienne), les îles Baléares (Palma), sans oublier la ville d'Alghero (40 800 habitants) en Sardaigne, où réside une petite communauté de quelque 28 500 catalanophones.

Cette aire linguistique qui est aussi désignée par l'expression «Pays catalans» (en catalan: "Països Catalans"; en espagnol: "Países Catalanes") s'étend sur près de 60 000 km² (environ deux fois la Belgique) et est répartie dans quatre États différents: la France, Andorre, l'Espagne et l'Italie (voir la carte plus précise).

En France, l'aire catalane comprend une partie du département des Pyrénées-Orientales (dans le Languedoc-Roussillon), appelée aussi la «Catalogne du Nord», alors qu'en Italie le catalan est parlé par une petite communauté dans la ville d'Alghero située en Sardaigne.

En Espagne, le catalan est parlé en Catalogne (appelée la «Catalogne du Sud» ou «el Principat»), au Pays valencien (País Valencià ou officiellement «Comunitat Valenciana»), aux îles Baléares (Illes Balears), dans une étroite bande d'environ 14 km à l'est de l'Aragon (appelée «frange de l'Est» ou Franja de Ponent, en aragonais: Francha de Lebán), ainsi que dans une partie de la région de Carxe dans le territoire autonome de la Murcie. La principauté d'Andorre (Principat d'Andorra) est le seul État indépendant dont la langue officielle est le catalan.

Jusqu'au Moyen Âge, le catalan et l'occitan (en France) ne constituaient qu'une seule et même langue, mais des destins politiques différents et deux rattachements à des blocs dominants opposés les ont fait évoluer chacun de leur côté. Après de longs débats, les intellectuels catalans ont fini par proclamer solennellement en 1934 que le catalan était distinct de l'occitan, mais les linguistes continuent à polémiquer : certains classent le catalan parmi les langues ibéro-romanes septentrionales au même titre que le portugais et l'espagnol, d'autres parmi les langues gallo-romanes méridionales, avec l'occitan, tandis qu'une minorité propose la création d'un groupe distinct «tervingo-roman» comprenant uniquement les langues occitanes et catalanes (le terme «tervingo» faisant référence aux Wisigoths).

Dans le cadre de cette présentation, le catalan et ses variantes sont considérés comme des langues ibéro-septentrionales mais, quoi qu'il en soit, il est clair que les échanges catalan-occitan ont été très intenses durant tout le Moyen Âge où d'ailleurs ce groupe a été une langue internationale (de par la présence catalane sur toutes les rives nord et dans les îles de la Méditerranée, jusqu'en Orient) et aussi parce que ce fut la langue courtoise des troubadours et des poètes.

1.2 Les locuteurs du catalan

Le catalan, toutes variétés confondues, est parlé par plus de six millions de locuteurs.

Région

Population totale

Pourcentage

Locuteurs

Catalogne

6,8 millions

60 %

4 080 000

Pays valencien

3,7 millions

40 %

1 480 000

Baléares

800 000

73 %

584 000

Aragon (Franja de Ponent)

1,2 million

3,3 %

40 000

Murcie (Carxe)

1,3 million

0,04 %

500

Andorre

65 970

34,4 %

22 628

Languedoc-Roussillon (France)

2,3 millions

6 %

140 000

Alguer (Sardaigne)

1,6 million

1,8 %

30 000

Total

17 765 970

 

6,3 millions

Cependant, le nombre de locuteurs demeure très approximatif, car beaucoup de personnes affirment comprendre la langue sans la parler de façon habituelle. En Catalogne du Nord (Languedoc-Roussillon) dont la population était de 410 000 habitants (en 2005), des données fournies par une enquête révèlent que 34 % des personnes interrogées (environ 140 000 personnes) ont déclaré savoir parler le catalan, ce qui correspondrait à quelque 140 000 catalanophones. Mais 17 % des personnes interrogées ont affirmé le parler «bien» et 16 % ont dit éprouver des difficultés à le parler en raison de leur manque de maîtrise. Selon d'autres sources (Carles de Rosselló Peralta), le nombre des catalanophones en Europe serait de dix millions de locuteurs, alors que le marché potentiel du catalan pourrait atteindre 14 millions.

1.3 Le catalan standard

L'une des caractéristiques les plus importantes du catalan standard réside dans l’emploi de la consonne palatale initiale notée [ll] dans le système graphique: la lluna (la lune), la llengua (la langue), la lliço (la leçon), la llet (le lait), un llibre (un livre), Lleida (Lérida), etc.

On peut noter comme second trait caractéristique la désanalisation des voyelles finales. Là où le français, par exemple, termine ses mots avec une voyelle nasale [voyelle + n], le catalan ne garde que la voyelle accentuée sans nasalisation. Ainsi, le latin vinum a donné en français le vin, mais el vi en catalan; le latin bonum  a donné bon en français mais bo en catalan. De même pour les mots catalan & català, Perpignan & Perpinyà, la main & la mà, le jardin & el jardi, etc. Soulignons aussi la présence de nombreuses diphtongues, écrites comme -ou, -au et -eu.

- L'orthographe

C’est le grammairien catalan Pompeu Fabra (1868-1948) qui, en 1918, a mené une réforme de l’orthographe catalane. Il a publié en 1932 son dictionnaire général du catalan. Il n'a pas en grande partie réussi cependant à doter la langue d’un système graphique parfaitement phonétique. Cela tient à la nature du catalan dont le nombre de phonèmes dépasse le nombre de signes de l'alphabet. 

Depuis 1975, des travaux de normalisation du catalan ont été entrepris sous l'impulsion, d'une part, de la Direcció General de Política Lingüística, un organisme qui dépend directement du Departament de Cultura de la Generalitat de Calaunya et, d'autre part, de la Secció Filològica de l'Institut d'Estudis Catalans (IEC), une institution indépendante mais reconnue officiellement comme référence en ce qui a trait à la normalisation du catalan. D'ailleurs, la Secció Filològica est aujourd'hui responsable de la mise à jour de l'orthographe catalane. 

En plus du [l] palatal représenté par le graphème [ll] (la lluna, la llengua, etc.), il existe d'autres exemples caractéristiques de l'orthographe catalane, notamment le [n] palatal représenté en français par le graphème [gn] et que les Catalans écrivent [ny], comme dans les mots disseny (dessin), juny (juin), alemany (allemand) ou Carlemany (Charlemagne). Citons également le graphème [ig] servant à noter les consonnes fricatives [tch] et [dj], comme dans le nom de famille Puig prononcé [poutch], qui est un peu en Catalogne l'équivalent du «Dupont français». Le catalan, à l’exemple du français, utilise le graphème [ç] (lliço, Renaixença), lequel a la même sonorité qu’en français [ss].

Une autre caractéristique concerne le timbre des voyelles. Ainsi, en position faible, c’est-à-dire non accentuée, les voyelles [a] et [e] prennent une valeur neutre assez proche du «e muet français»: par exemple, le mot catala se prononce à peu près comme [kete/la], la dernière syllabe étant tonique (donc plus accentuée). Au pluriel ainsi qu’en fin de mot, le [a] non tonique s'écrit [e] sans que la prononciation en soit affectée: l'aventura devient les aventures; la llengua devient les llengües.

Il en est également ainsi pour la voyelle [o]. En position tonique, ce graphème est toujours prononcé [o] (comme pot en français) ou [ò] (comme port en français). Cependant, en position non tonique (ou atone), le graphème [o] se prononce [ou] (comme bout en français), sans que cela n'apparaisse dans l'orthographe: obert (ouvert) est prononcé [oubertt]; tornavis (tournevis), [tournebiss]; els numeros (les nombres), [els noumerouss].

- Le vocabulaire

En raison de son aire linguistique située entre les langues d’oïl (nord de la France) et l’Espagne, le vocabulaire catalan est constitué de termes généralement plus proches du français et de l’occitan (soit le gallo-roman) que de l'espagnol et du portugais (soit l'ibéro-roman), et ce, qu'il s'agisse de noms ou d'adjectifs. En ce sens, le catalan est un intermédiaire entre l'ibéro-roman et le gallo-roman (voir le tableau).

Il en est de même avec certains mots-outils (conjonctions, prépositions, adverbes): cat. malgrat, fr. malgré, esp. a pesar de; cat. encara, fr. encore; esp. aun/todavia; cat. doncs, fr. donc; esp. pues/luego; cat. vers, fr. vers, esp. hacia. Évidemment, on pourrait trouver des cas où le catalan est plus près de l’espagnol que du français. Par exemple, merci se dit mercé en occitan, mais gracias en esp. et gràcies en catalan; bonjour se dit bonjorn en occitan, mais buenos días en esp. et bon dia en catalan. Quoi qu'il en soit, on voit bien que le catalan présente des caractéristiques propres tant aux langues gallo-romanes qu'aux langues ibéro-romanes.

Catalan

Occitan / Français Espagnol / Portugais

cadira

cadieira / chaise silla / cadeira
taula

taula / table

mesa / mesa
finestra

fenèstra / fenêtre

ventana / janela
ocell

aucel / oiseau

pájaro / ave
formatge

formatge / fromage

queso / queijo
poma

poma / pomme

manzana / maçã
petit

pichon / petit

pequeño / pequeno
forquilla

forqueta / fourchette

tenedor  / garfo

Pour ce qui est de l'occitan présenté ici, il s'agit de l'occitan central, c'est-à-dire du languedocien. En provençal, on dirait plutôt cadièra (chaise), aucèu (oiseau), fromatge/brossa/pichot (fromage), les autres mots étant identiques. En gascon, il faudrait dire hinestra (fenêtre), aucèth (oiseau), hormatge (fromage), petit (petit) et horquèta (fourchette), les autres mots étant les mêmes.

Et pour terminer:

En français:   Parlez-vous français?
En occitan:    Parlatz francés?
En catalan:    Parles francès?
En espagnol: ¿Habla usted francés?
En portugais: Você fala francês?

1.4 Les variétés dialectales

Selon qu’on se trouve à Barcelone, à Valence, à Perpignan (France), à Majorque (Baléares) ou à Lleida (Lérida), l'usage du catalan offre des variétés dialectales qui se révèlent peu importantes au plan phonétique et lexical. Ces variétés n'affectent guère la langue écrite qui, elle, conserve son unité fondamentale. Ainsi, on peut conclure qu'il existe aujourd'hui une seule langue écrite correspondant aux normes de l'Institut d'Estudis Catalans pour l'ensemble des «pays catalans». 

On distingue deux grands groupes dialectaux: le catalan oriental et le catalan occidental.

Dans le groupe du catalan occidental, on compte trois grandes variétés:

- le catalan occidental du Nord ;
- le catalan méridional (valencien septentrional) ;
- le valencien

Quant au groupe du catalan oriental, il comprend quatre variétés:

- le catalan du Nord (roussillonnais en France) ;
- le catalan central (régions de Gérone et de Barcelone) ;
- les dialectes baléarais et l'alghérois (le parler d'Alghero).

Chacun de ces sous-groupes est fragmenté encore en quelques sous-variantes dialectales:

Groupe occidental

(1) catalan occidental du Nord

- dialecte de Ribagorza (prov. de Huesca)
- dialecte de Pallars ou pallarais (prov. de Lérida)
- léridan (prov. de Lérida)

(2) catalan méridional (valencien septentrional)

- dialecte de Tortosa ou tortosine (prov. de Tarragona)
- dialecte de Matarraña  (prov. de Teruel) 
- valencien de Maestrazgo (prov. de Castellón)

(3) valencien

- valencien de la Plana (prov. de Castellón)
- valencien central ou apitxat
- valencien méridional
- valencien alicantin
- majorquin de Tarbena et de la vallée de la Gallinera

 

Groupe oriental

(1) catalan septentrional

- dialecte de Capcir ou capcirois
- dialecte de Rosellón ou rosellonais

(2) catalan central

- dialecte de la Costa Brava ou salat
- dialecte de Barcelone ou barcelonais
- dialecte de Tarragone ou tarragonais
- xipelle

(3) catalan baléarais

- majorquin ou dialecte de Majorque
- minorquin ou dialecte de Minorque
- ibizois ou dialecte d'Ibiza

(4) alghérois

- alghérois (ville d'Alghero dans l'île de Sardaigne)

Répétons que toutes ces variétés linguistiques sont relativement compréhensibles entre elles, surtout en Espagne et dans les îles Baléares. Cependant, le catalan parlé à Alguero en Sardaigne est moins accessible aux autres catalanophones. Cette variété parlée à Alghero, appelée alguérois ou alguerès en catalan, est un catalan archaïsant, par suite de son isolement géographique du reste de l'aire linguistique catalane; elle est aussi fortement italianisée avec des influences sardes.

1.5 Le français et le catalan

Il existe plus de similitudes entre le français et le catalan qu'entre toutes les autres langues romanes, y compris l'espagnol. Afin de donner une certaine idée de ces similitudes, nous allons comparer deux textes écrits: l'un en catalan, l'autre en français.

Llei 13/2008, del 5 de novembre, de la presidència de la Generalitat i del Govern (catalan)
Loi 13/ 2008 du 5 novembre sur le président de la Generalitat et du gouvernement
(traduction française)
Ley 13/2008, de 5 de noviembre, de la presidencia de la Generalidad y del Gobierno
(espagnol)
Article 1 (catalan)
Article 1
(traduction française)
Artículo 1
(espagnol)
Objecte (catalan)
Objet
(traduction française)
Objeto (espagnol)
Aquesta llei té per objecte regular l’elecció, l’estatut personal i les atribucions del president o presidenta de la Generalitat...
La présente loi vise à réglementer l'élection, le statut personnel et les attributions du président ou de la présidente de la Generalitat...
La presente ley tiene por objeto regular la elección, el estatuto personal y las atribuciones del presidente o presidenta de la Generalidad...
i la composició, l’organització, el funcionament i les atribucions del Govern, de conformitat amb els articles 67.5 i 68.3 de l’Estatut.
ainsi que la composition, l'organisation, le fonctionnement et les pouvoirs du gouvernement, conformément aux articles 67.5 et 68.3 du Statut.
y la composición, la organización, el funcionamiento y las atribuciones del Gobierno, de conformidad con los artículos 67.5 y 68.3 del Estatuto.

Les ressemblances sont frappantes dans le vocabulaire, la grammaire et la syntaxe. On constate bien que le catalan est plus proche du français que l'espagnol. Évidemment, cela demeure des langues différentes, car l'aspect phonétique réserve des surprises de taille. C'est que l'Histoire démontre que le catalan et le français ont souvent été en contact.

Voici une transcription «phonétique du même texte en catalan. Il faut prononcer toutes les consonnes écrites (par exemple, dans astatout, le -t final doit être entendu). Les voyelles ont été cependant transcrites «à la française». Les syllabes toniques, à l'avant-dernière position, sont surlignées; s'il n'y a pas de surligné, c'est parce que la dernière syllabe est tonique. On observera que la graphie catalane ne correspond pas à la graphie française.

Llei 13/2008, del 5 de novembre, de la presidència de la Generalitat i del Govern (catalan)
Yéi trédza barra dos mil bouit, dal cync da nubembra, da la prasidència da la janaralitat i dal goubern.
Article 1 (catalan) = articla
Objecte (catalan) = oubjécta
Aquesta llei té per objecte regular l’elecció, l’estatut personal i les atribucions del president o presidenta de la Generalitat...
a
kèsta yéi té par oubjècta ragulá l'alacció, l'astatout parsounal i las atriboucions dal prazidén ó prasidénta da la janaralitat
i la composició, l’organització, el funcionament i les atribucions del Govern, de conformitat amb els articles 67.5 i 68.3 de l’Estatut.
i la coumpousició, l'ourganització, al founciounamén i las atriboucions dal goubern, da coumfourmitat am als articlas sechanta-set poun cync i sechanta bouit poun très da l'Astatout.

En somme, c'est dans sa prononciation que le catalan se démarque considérablement du français pour se rapprocher davantage de l'espagnol.  

2 Les peuples originaires de la péninsule

Dès l’époque néolithique, soit vers le VIe millénaire, un peuple aux origines encore mystérieuses, les Ibères, s'est installé en Europe occidentale. Certains historiens croient que les Ibères seraient originaires de la région de l'Èbre, alors appelée Iberus, tandis que d'autres affirment qu'ils seraient arrivés d'Afrique du Nord entre 4000 et 3500 avant notre ère. On sait cependant avec certitude que, vers l'an 3000, les Ibères avaient gagné la péninsule Ibérique pour s'y établir le long de la Méditerranée (voir la carte de gauche). Ils formaient plusieurs peuples distincts, dont les Lacetani, les Ausetani, les Sordones, les Indigetes, les Cessetani, les Hercavones, etc., dans les régions où résident aujourd'hui les catalanophones. La langue de ces peuples anciens, l'ibère (avec de nombreuses variétés dialectales), a été attestée dans des inscriptions qui n’ont pas encore été entièrement déchiffrées. Cette langue autochtone (elle n'est pas d'origine indo-européenne) devait progressivement s'éteindre vers le Ier ou le IIe siècle de notre ère, pour être remplacée graduellement par le latin et, plus tard, par les langues romanes.

Au IIe millénaire, les côtes méditerranéennes furent occupées par les Phéniciens et les Grecs. Ce sont les Grecs qui ont nommé la péninsule Iberia (en français: Ibérie), sans doute en souvenir des premiers occupants, les Ibères.

Vers l’an 1000, des vagues d’immigrants venus de la Germanie et de la Gaule, les Celtes, arrivèrent par le nord et s’établirent dans la vallée de l’Èbre, à l’ouest de la région occupée par les Aquitains et plus ou moins dans la Catalogne actuelle. Les Celtes et les Ibères ont probablement coexisté durant un certain temps, puis ils se sont mélangés en formant le fond celtibère de la population de la péninsule. Les Celtibères parlaient une langue celtique de type archaïque, relativement différente du gaulois parlé au nord de la péninsule. Ils ont laissé des traces dans de nombreux noms de lieux comme Berdún, Salardú, Navardún ou Conimbriga (au Portugal). Au cours du Ve siècle, les Carthaginois venus de l’Afrique du Nord étendirent leur domination sur la partie sud de la péninsule, mais ils furent suivis rapidement par les Romains.

3 La romanisation de l'Hispania

Ce sont les Romains qui ont donné le nom de Hispania («Hispanie») à la péninsule qui comprend aujourd'hui l'Espagne et le Portugal. Cependant, les envahisseurs romains allaient mettre près de deux siècles à imposer la «pax romana» en Hispania. Ce furent les armées des frères Scipion qui commencèrent la conquête romaine en 218 avant notre ère, soit au cours de la seconde guerre punique contre les Carthaginois; mais les Romains ne les écrasèrent qu’en 208. Après s'être emparés d'Emporion (Empuries) dans le nord-est de la péninsule, les Romains organisèrent la conquête de la péninsule Ibérique à partir de Terragone (Tarragona), ce qui mettait fin à la présence carthaginoise et à la civilisation ibère.

La romanisation fut assez rapide dans le Sud (en 169 avant notre ère), c'est-à-dire en Hispania ulterior ou «Hispanie ultérieure»(Andalousie actuelle et sud du Portugal), alors que les habitants abandonnèrent rapidement leur langue ancestrale pour parler le latin populaire. Dans le Nord, en Hispania citerior ou «Hispanie citérieure», ce qui signifie «en deça» de l’Èbre ou du Rio Ebro (Galice, Pays basque et Catalogne), c'est-à-dire l’Espagne lointaine, la résistance fut farouche, car les Romains ne réussirent à «pacifier» complètement cette région qu’en l'année 19 avant notre ère.

Finalement, toute la péninsule Ibérique se latinisa, à l’exception du Pays basque au nord, où les habitants continuèrent à parler leur langue, malgré les pressions exercées par les Romains. L’Hispania fut réorganisée et divisée en trois provinces: la Bétique (ou Baetica) au sud, la Lusitanie (Lusitania) à l’ouest et la Tarraconaise (Tarraconensis) dans le reste de la péninsule. 

Étant donné que l’Hispania était située à l’extrémité de l’Empire romain, donc plus isolée, le latin parlé dans ces trois provinces demeura généralement plus archaïsant et moins ouvert aux innovations linguistiques venues de Rome. D’ailleurs, beaucoup de formes latines anciennes furent conservées plus tard en castillan et en portugais. Par exemple, le vieux mot latin mensa («table») a donné mesa en castillan et en portugais, mais il a été abandonné en Catalogne, en Gaule et en Italie pour un nouveau mot, tabula, devenu taula en catalan, table en français et tavola en italien. On pourrait multiplier les exemples de ce genre, lesquels témoigneraient, comparativement au reste du monde romanisé, de l’évolution différente du latin dans l’ancienne Hispania

De plus, l’évolution du latin accusa une différence supplémentaire entre les parlers du Nord (au nord de l’Èbre) et ceux du Sud. Certaines populations du Nord se latinisèrent parfois très tardivement, jusqu’à la fin du IIIe siècle. En fin de compte, les populations firent plus que se latiniser, car elles se christianisèrent également.

4 Les invasions germaniques et le morcellement du latin

Les différences linguistiques du latin populaire particulières à l’Hispania (Hispanie) allaient s’accentuer avec les invasions germaniques qui commencèrent en 409 avec les Vandales, et se poursuivirent avec les Alains et les Suèves. En 412, les Wisigoths, devenus alliés des Romains, refoulèrent les Vandales en Bétique (Bætica), les Alains en Lusitanie (Lusitania) et les Suèves dans l’actuelle Galice (alors faisant partie de la Tarraconensis).

4.1 Les Wisigoths

Les Wisigoths entrèrent en Hispania en 414 et fondèrent un royaume en 415 avec Barcelone comme capitale. De fait, les Wisigoths furent le premier peuple germanique à s'installer sur les terres de ce qui allait devenir la Catalogne. 

Au milieu du Ve siècle, les Wisigoths occupaient non seulement le sud-ouest de la France, mais pratiquement toute la péninsule Ibérique, soit de Gibraltar jusqu’au sud de la Loire, avec Toulouse comme capitale. Mais l’unification du territoire wisigoth ne fut assurée que lorsque Tolède devint la capitale du royaume en 507, pour environ deux cents ans. Ce sont les Wisigoths qui auraient donné son nom actuel à la Catalogne: Gotholonia ou Gotolonia («terre des Goths).

À la fin du Ve siècle, l'Empire romain d'Occident se trouvait morcelé en une dizaine de royaumes germaniques (voir la carte historique) : pendant que les Ostrogoths étaient installés en Italie, en Sardaigne et dans les Balkans, les Wisigoths occupaient l'Espagne et le sud de la France, les Francs avaient pris le nord de la France et de la Germanie, pendant que les Suèves occupaient la Galice, alors que les Basques étaient retranchés dans leurs montagnes.

4.2 Les langues romanes

Les Wisigoths, comme plusieurs peuples germaniques, n'ont pas imposé leur langue, car ils n'étaient pas assez nombreux, tandis que les mariages mixtes les assimilaient graduellement aux populations autochtones. Finalement, les Wisigoths adoptèrent la langue des vaincus, une langue qui n’était plus le latin d’origine, mais un latin populaire dit «vulgaire» (du latin vulgus: «peuple») considérablement transformé pour devenir du roman, sauf au Pays basque où le basque, une langue pré-indo-européenne, s'est maintenu dans les montagnes.

Étant donné que les écoles et l'administration romaines avaient disparu, le latin populaire avait perdu de son uniformité et avait évolué de manière différente dans les divers territoires des Wisigoths, comme d'ailleurs dans les autres royaumes germaniques. En même temps, nous savons que certaines langues germaniques, tels le gothique (la langue des Wisigoths) et le francique (la langue des Francs), furent parlées encore jusque dans la seconde moitié du VIe siècle et qu'elles ont pu survivre dans certaines régions jusqu'au milieu du VIIe siècle. Durant environ deux siècles, les populations germaniques de la péninsule Ibérique s'assimilèrent progressivement et changèrent de langue maternelle pour utiliser les variétés romanes en usage à cette époque. 

À la fin du VIIe siècle, le gothique (ou wisigoth) était une langue morte, à l'instar du latin. Celui-ci demeura la langue de la culture et de l'écriture, tandis que le roman était devenu la langue parlée par la grande majorité des habitants de la péninsule. Évidemment, ce n'est qu'ultérieurement qu'on prendra conscience que la langue écrite et la langue parlée étaient devenues deux réalités différenciées. Cependant, cette langue romane parlée n'était pas uniforme : elle était segmentée en une multitude de variétés linguistiques locales, aisément compréhensibles de village en village, mais plus hermétiques entre le Nord et le Sud de la péninsule.  

4.3 L'influence linguistique du gothique

Le gothique (ou wisigoth) et le franc ont cependant laissé des traces dans les langues ibéro-romanes, notamment dans le castillan et le catalan. Nous savons que les emprunts au gothique sont d'environ un millier en castillan; ce nombre est probablement similaire en catalan auquel il faut ajouter des mots du francique, car le catalan a subi l'influence du francique, contrairement aux autres langues ibériques. Étant donné que le catalan n'existait pas encore au début du VIIe siècle, beaucoup de ces mots ont été transmis aux variétés romanes qui deviendront du catalan. Enfin, certains de ces germanismes furent sans doute introduits par l'intermédiaire d’une langue romane voisine, comme l'occitan ou le français. Le règne des Wisigoths dura un peu plus d’un siècle, jusqu'à l'arrivée des Arabes en Hispania. Le catalan, quant à lui, allait être influencé par le francique des Francs après les invasions arabes. 

Au Xe siècle, Borel II, comte de Barcelone, règne sur le comté de la Catalogne sous la suzeraineté du roi de France, Hugues Capet.

5 La période arabe

Profitant de l'effritement du pouvoir wisigoth aux prises avec des révoltes internes, les Arabes (appelés «Maures») débarquèrent à Gibraltar en 711 ; ils conquirent presque toute la péninsule Ibérique en moins de sept années. Au nord, la Catalogne leur fut acquise en 712, le royaume de Valence en 714, la ville de Barcelone en 717, mais les îles Baléares n'allaient être conquises qu'en 903. La supériorité militaire des musulmans était incontestable. Beaucoup de chrétiens d’Espagne se réfugièrent dans les royaumes indépendants au nord (les Asturies, le Léon, les Pyrénées), alors que la religion et la civilisation musulmanes s’implantaient rapidement dans le reste de la péninsule. Seules deux régions échappèrent à la domination musulmane: la région des Pyrénées pour un temps, mais surtout le nord-ouest de l’Espagne, soit les Asturies et le Léon.

La région occupée par les Arabes fut appelé Al-Andalus. Selon l'historien allemand Heinz Halm, le mot proviendrait de deux mots wisigoths arabisés: landa signifiant «terre» et hlauts signifiant «sort» ou «tirage».

Traditionnellement, les Wisigoths procédaient à la répartition des terres conquises par tirage au sort. Ce terme aurait été repris par les Arabes au VIIIe siècle et déformé phonétiquement en al-Andalus. Il ne faut pas croire que l'influence arabe sur les territoires ibériques fut homogène, car il convient de tenir compte de la durée de l'occupation et de l'intensité de l'arabisation. Par exemple, les emprunts à l'arabe furent moins nombreux dans la Vieille Catalogne (plus au nord) que dans la Nouvelle Catalogne plus au sud, ainsi qu'au Pays valencien et aux Baléares, ces derniers territoires se trouvant plus longtemps sous la domination arabe, alors que le catalan commençait à s'y implanter.

Les Arabes poursuivirent leur expansion au-delà des Pyrénées, en territoire franc dans l'Empire carolingien, mais ils furent vaincus en 732, au cours de la célèbre bataille de Poitiers (ou bataille de Tours pour les Anglais: "Battle of Tours"), par Charles Martel (686-741), grand-père de Charlemagne (742-814). Les historiens ne sont pas d'accord sur le lieu de la bataille, car les avis divergent quant à la localisation entre les villes de Poitiers et de Tours, au nord de l'Aquitaine.

Quoi qu'il en soit, ils se sont avancés jusque-là en tant qu'alliés du duc de Poitiers en lutte contre le pouvoir royal, et cette bataille n'est qu'un épisode mineur et éphémère en comparaison de l'expansion arabe dans le Languedoc et dans la vallée du Rhône où, outre les chroniques, des toponymes comme la rivière Azergues  (affluent en rive droite de la Saône) au nord de Lyon témoignent de leur présence durable (Azergues vient de l'arabe "oued alzarg": «vallée bleue» ou «rivière glauque»).

À partir du XIe siècle, l’arabe devint la langue de culture de la plus grande partie de la péninsule Ibérique et influença considérablement le castillan et les autres langues comme le catalan et l'aragonais. Le lexique de ces langues s’imprégna d’arabismes d’une manière impressionnante, mais particulièrement le castillan, l'andalou et le portugais, etc. En castillan, le nombre des arabismes s’élèverait à environ 4000 mots, sans compter les 1500 toponymes qu’on trouve encore en Espagne. Quant au catalan, à l'exemple du français, de l'occitan et de l'italien, il a beaucoup moins subi l'influence de l'arabe que le castillan parce que la coexistence de l'arabe avec le catalan fut très brève : une partie de la population chrétienne quitta les territoires contrôlés par les Arabes, alors qu'une autre s'islamisa en adoptant l'arabe.

Au cours de l'occupation arabe, la langue qui allait devenir le catalan a emprunté quelques centaines de mots arabes: talaia («tour de guet»), duana («douane»), albarà («bordereau de livraison»), arròs («riz»), sucre («sucre»), carxofa («artichaut»), alfàbega («basilic»), massapà («pâte d'amande»), xarop («sirop»), safata («plateau»), matalàs («matelas), guitarra («guitare»), etc. La toponymie fut aussi très influencée par l'arabe avec les préfixes Beni-, Bini-, et Al-: Benimel·là, Binissalem, Alcúdia, etc. Sans oublier les anthroponymes (noms de personnes) du type Mesquida, Rufat, Borja, etc.

Au XIIIe siècle, les Arabes se replièrent définitivement au sud des Pyrénées. En Occident, ils allaient perdre progressivement des territoires jusqu'en janvier 1492, lorsqu'ils furent vaincus à Grenade par les Rois Catholiques. En Orient en revanche, où l'Empire romain d'Orient (dit «byzantin») résista longtemps à la pression musulmane, les Turcs, initialement vassaux des Arabes (sous le nom de «Mamelouks») s'émancipèrent, finirent par s'emparer de l'Anatolie au XIIe siècle, puis débarquèrent en Europe au XIVe siècle et finirent par assiéger Vienne en Autriche au XVIe siècle. Ce mouvement «civilisationnel« de bascule de la puissance islamique d'ouest en est profita à la chrétienté occidentale triomphante et dynamique (avec expansion en outre-mer), mais marginalisa la chrétienté orientale, dont toute la partie située au sud du Danube passa sous domination musulmane pour plus de quatre siècles.

6 La naissance du catalan

Pendant l’occupation arabo-musulmane, le processus de fragmentation du roman s’accéléra considérablement en raison du morcellement des territoires occupés par les nouveaux conquérants en une vingtaine de petits royaumes indépendants. Les nombreuses variétés romanes se transformèrent en diverses langues qu’on peut regrouper en trois grandes catégories:

- les langues d'oïl au nord de la France;
- les langues d'oc, dont fit partie le catalan, au sud de la France et au nord de l’Espagne;
- les langues castillanes au sud.

Ainsi, le catalan serait né entre la fin du VIIe siècle et le début du VIIIe siècle, au terme de l'évolution finale du latin populaire. À cette époque, le catalan et l'occitan ne formaient qu'une seule langue. C'est seulement à partir du IXe siècle que le catalan se développa de façon distincte. Cependant, cette langue n'était employée qu'à l'oral, le latin continuant d'être la seule langue écrite. Le catalan ne commencera à être employé par écrit qu'au bout de quelques siècles.

6.1 La monarchie carolingienne
 

Après avoir arrêté l'expansion arabe à Poitiers (732), les Francs pénétrèrent par vagues successives au nord de la péninsule Ibérique. Pépin le Bref (715-768), le fils de Charles Martel, réussit à chasser définitivement les Arabes de la Septimanie, une province au sud du royaume franc; en 759, il libéra Narbonne des Arabes. Il fut le premier roi franc à établir une frontière fixe au niveau de la barrière naturelle des Pyrénées. Son fils, Charlemagne (742-814), poursuivit l’avancée carolingienne et fit la conquête de Gérone en 785. En 801, il délogea les Arabes de Barcelone, puis il conquit toute la Vieille Catalogne, des Pyrénées jusqu'au fleuve Llobregat qui se jette dans la Méditerranée. Les territoire conquis sur les musulmans devinrent la Marche d'Espagne (du francique marka, «marcher», servant à désigner une province frontalière), nom donné au territoire franc dans la péninsule Ibérique, juste au sud des Pyrénées.

Les monarques carolingiens organisèrent les nouveaux territoires en comtés et construisirent des châteaux-forts près de la frontière. Les comtes étaient désignés par la royauté carolingienne.

Au nord des Pyrénées, les comtés francs faisaient partie de la province de Septimanie (en latin Septimania), nom de la VIIe légion romaine qui y avait été originellement établie, mais aussi en raison des sept villes principales de l'époque : Narbonne (Narbona), Elne (Helna), Lodève (Lodeva), Carcassonne (Carcassona), Agde (Agde), Béziers (Baeterrae) et Maguelonne (Magalona). Cette région allait être occupée par les Arabes à partir de 719, mais elle fut reprise par les Francs de Charles Martel en 732. Au Xe siècle, elle devint le duché de Narbonne, puis fut rattachée aux comtes souverains de Toulouse pour faire partie du domaine royal de France en 1229.

Les comtés de la Marche d'Espagne, au nombre de dix à la fin du IXe siècle, correspondent encore aux dénominations catalanes actuelles : Ribagorça, Pallars, Urgell, Cerdanya (Cerdagne), Rosselló (Roussillon), Empúries, Besalú, Osona, Girona (Gérone) et Barcelona (Barcelone); s'y ajoutèrent Arago, Pallars, Barga, etc. La ville de Barcelone devient le centre des possessions franques en Espagne.

Marche d'Espagne Septimanie

1. Royaume de Pampelune
2. Comté d'Aragon
3. Comté de Sobrarbe
4. Comté de Ribagorça
5. Val d'Aran
6. Comté de Pallars
7. Comté d'Urgell
8. Comté de Cerdagne
9. Comté de Besalu
10. Comté de Peralada
11. Comté de Ripoll
12. Comté de Barga
13. Comté d'Empuries
14. Comté d'Osona
15. Comté de Gérone
16. Comté de Barcelone

17. Comté de Roussillon
(Rosselló)
18. Comté de Conflent
(Conflent)
19. Comté du Razès (Rasès)
20. Comté de Carcassonne (Carcassona)
21. Comté de Narbonne (Narbona)
22. Comté d'Agde et de Béziers
(Agde-Besiers)
23. Comté de Lodève (Lodeva)
24. Comté de Melgueil
(Melguelh)
25. Comté de Nîmes (Nimes)

 

Charlemagne gouvernait son empire par l'intermédiaire des comtés, sous l'autorité d'un «compagnon du roi» appelé comes/comitis (ce qui a donné en français «comte» et «comté») à qui il déléguait l'administration locale. Ce dernier était à la fois un administrateur, un juge, un chef militaire et un percepteur d'impôts. Très souvent choisis parmi les membres de la proche famille de Charlemagne, les comtes furent à l'origine d'une aristocratie dont les liens survivront, malgré les frontières, au morcellement de l'empire carolingien. Parmi eux, le comté qui joua le plus grand rôle fut celui de Barcelone.  Le titre de comte était alors révocable, puis avec le temps celui-ci devint héréditaire, ce qui allait donner lieu à des dynasties comtales catalanes.

La plupart des comtes carolingiens parlaient le francique, la langue des Francs, mais la langue écrite demeurait le latin d'Église. Quant à la langue de la population locale, c'était une variété de roman qui différait d'une région à l'autre. Les comtés des territoires correspondant à la Catalogne actuelle étaient les suivants: Barcelone, Urgel, Cerdagne, Empúries, Pallars, Osona (Ausone), Roussillon et Gérone. Ces comtés provenaient en réalité d'anciennes divisions administratives des Wisigoths.

À cette époque, tous ces comtés faisaient partie intégrante de l'Empire carolingien, particulièrement ce qui deviendra après la mort de Charlemagne (en 814) la «Francie occidentale» ("Francia Occidentalis"), alors que les autres régions de la péninsule Ibérique faisaient partie de l'émirat de Cordoue, à l'exception des Asturies et du Pays basque (indépendants). C'est pourquoi les comtés catalans (voir la carte de gauche) conserveront un héritage culturel et linguistique particuliers par comparaison au reste de l'Espagne. La langue catalane sera davantage influencée, comme le français et l'occitan, par le francique. Bref, le catalan est la langue la plus germanisée de l'Espagne actuelle, ce qui la différencie forcément des autres langues de la péninsule, à l'exception du basque

6.2 L'indépendance de la Catalogne

Au IXe siècle, le comte Guifred le Velu, en catalan Guifré el Pilós (840-897), comte d'Urgell et de Cerdagne, parvint à réunir sous son autorité les comtés d'Osona, de Gérone et de Barcelone. Il est considéré comme le fondateur de la Catalogne du fait qu'il construisit l'État catalan autour du comté de Barcelone, rejetant ainsi la suzeraineté des rois francs. Il fut aussi à l'origine d'une dynastie comtale et royale, qui allait se transmettre de père en fils jusqu'en 1410, soit cinq siècles. C'est lui qui élabora les armoiries des comtes de Barcelone. Vers la fin du Xe siècle, profitant du déclin de l'Empire carolingien, les comtes de Barcelone établirent la suprématie de leur ville sur toute la région, ce qui entraîna la séparation définitive de la Catalogne et de la France carolingienne.
En 967, Raimond Borell II, comte de Barcelone, se rendit dans le Rouergue français pour épouser Luitgarde de Toulouse (vers 945-977), la fille de Raymond III de Toulouse, comte de Toulouse. C'est avec le comte Borrell II (mort en 992) que la Catalogne allait devenir un État indépendant, alors que le dernier suzerain d'origine franque était Hugues Capet (mort en 996), fondateur de la dynastie capétienne, laquelle donnera 37 rois à la France, mais aussi des souverains à Naples, à la Sicile, à l’Espagne, au Portugal, à la Hongrie, à la Pologne, à la Roumanie et au Luxembourg.

Après le sac de Barcelone en 985 par les Maures commandés par Al-Mansur, le comte Borell II dut traiter avec lui, puis entreprit de reconstruire les fortifications de Barcelone. Vassal de la monarchie franque (française), Borell II attendit en vain l'aide d'Hugues Capet. Dépité, il rompit avec la couronne de France en 995, date que les Catalans considèrent comme la naissance de la Catalogne en tant qu'entité politique distincte de la France et de l'Espagne. Néanmoins, les actes des comtes de Barcelone ont continué à être datés du règne des rois de France; leurs successeurs ont aussi continué à séjourner, à s'allier et à être largement tributaires du roi de France.

Le processus d'unification se renforça sous le règne du comte de Barcelone Raimond Bérenger Ier (1035-1076). À cette époque, les comtés de Besalú, de Cerdagne, d'Empuries et d'Urgell reconnaissaient la suprématie du comte de Barcelone. De plus, les évêchés catalans appartenaient à une même province ecclésiastique, celle de Narbonne, ce qui représentait un facteur de cohésion et d'unification linguistique.
 

Au siècle suivant, sous le règne du comte Raimond Bérenger III (1096-1131), les mots català et Catalunya s'appliquaient déjà à l'ensemble des habitants de la région. La dénomination comtat de Barcelona (comté de Barcelone) en vint à désigner l'ensemble des territoires catalans, expression qui allait précéder Principat de Catalunya, la principauté de Catalogne et, plus tard, la Generalitat de Catalunya.

À la même époque, soit aux XIe et XIIe siècles, les comtes de Barcelone, devenus les souverains de la Catalogne, entreprirent une ambitieuse politique d'expansion territoriale sur une vaste aire dans le sud de la France actuelle. Ainsi, le comte Raimond Bérenger Ier (1035-1076) acheta en 1067 les comtés de Carcassonne et de Razès, et fit l'acquisition de plusieurs droits sur Narbonne, Toulouse et Béziers. Un siècle plus tard, en 1112, Raimond Bérenger III (1082-1131) acquit par son mariage avec Douce de Provence les droits des comtés de Gévaudan, de Millau, du Carladez et de la Provence. Il prit la ville de Majorque aux Baléares en 1114.

Peu à peu, les premiers textes rédigés en catalan firent leur apparition : il s'agit des Greuges de Guitard Isarn, senyor de Caboet (1080-1095), ce qui correspondrait en français aux «Doléances de Guitard Isarn, seigneur de Caboet». Il y a aussi le Jurament de pau i treva del comte Pere Ramon de Pallars Jussà al bisbe d'Urgell, ce qui signifie «Serment de paix et trêve du comte Pere Ramon de Pallars Jussà à l'évêque d'Urgell», daté probablement de 1098. Puis l'emploi d'éléments catalans dans des documents à caractère féodal, avant tout des serments et des doléances, s'étendit progressivement.

Le XIIe siècle vit arriver les premiers textes à caractère juridique rédigés en catalan, ainsi que les premières traductions. Le catalan était la langue de l'administration catalane et celle de la plus grande partie de la population. Dès cette époque, il s'affirmait face au latin, au castillan, à l'aragonais et à l'occitan. Avec le développement des villes, il devint la langue de la littérature religieuse et juridique, ainsi que celle des affaires commerciales méditerranéennes.

7 L'union de l'Aragon et de la Catalogne

Un autre événement historique allait marquer l'histoire de la Catalogne: l'union en 1137 du royaume d'Aragon et de la Catalogne. En vertu du traité d'Union, le comte de Barcelone, Raimond Bérenger IV (en catalan Ramon Berenguer IV, 1113-1162), devait épouser Pétronille d'Aragon (1136-1164), l'héritière du royaume d'Aragon; le comte de Barcelone héritait de la couronne d'Aragon, même si Pétronille décédait avant le mariage qui eut lieu en 1150.  Raimond-Bérenger IV gouverna l'Aragon, sans en être roi, car il préféra porter le titre de «comte de Barcelone» et de «prince du royaume d'Aragon». Mais il fut le dernier monarque catalan à utiliser en premier lieu le titre de «comte de Barcelone». Alphonse II d'Aragon (1157-1196), le fils de Raimond-Béranger IV,  devint le premier souverain de la Couronne d'Aragon, portant simultanément les titres de comte de Barcelone, comte du Roussillon et roi d'Aragon.

Contrairement aux usages de l'époque, la Couronne d'Aragon développa un mode d'administration très décentralisé, une sorte de confédération arago-catalane, dans le but de faire face aux grandes différences politiques, économiques et linguistiques des deux parties de la Couronne, c'est-à-dire l'Aragon et la Catalogne. D'un côté, l'Aragon conservait ses particularismes au sein de la Couronne d'Aragon, grâce à ses Cortès («Parlement») et aux pouvoirs étendus de sa noblesse, ce qui comprenait sa langue, l'aragonais, mais aussi le castillan utilisé par une grande partie de la population.

Quant à la Catalogne, elle conservait ses usages et coutumes, sa monnaie et sa langue officielle, le catalan. Il s'agissait bien de l'union dynastique de deux entités autonomes, qui maintenaient chacune ses lois particulières et ses institutions, mais demeuraient unies sous le règne d'un seul souverain. Beaucoup d'historiens ont considéré cette organisation politique comme l'un des «chefs-d'œuvre du Moyen Âge hispanique». En 1164, les territoires qui composaient alors la couronne aragonaise étaient les suivants:

- le royaume d'Aragon : Jaca, Roda de Isábena, Huesca, Barbastro, Tarazona, Saragosse et Calatayud ;
- les comtés catalans : le comté de Barcelone, mais aussi les comtés qui lui ont été réunis  tels les comtés de Berga, de Besalú, de Gérone, de Manresa et d'Osona ;
- les comtés vassaux de la Couronne aragonaise : les comtés de Pallars Sobirá, de Pallars Jussá, d'Urgell, d'Ampurias, de Roussillon, de Bigorre et de Comminges, ainsi que les les vicomtés de Béarn, de Carcassonne et du Razès ;
- le marquisat de Provence, héritage de la mère de Raimond Bérenger IV, Douce de Provence, et administré par Alphonse II entre 1166 et 1196 (Arles, Nice, Aix-en-Provence, Marseille), mais aussi les comtés du Carladès, du Gévaudan et de Millau ;
- les conquêtes de Raimond Bérenger IV : Daroca, Monreal del Campo, Montalbán, Caspe, Fraga, Lérida et Tortosa.

Tous ces territoires furent en grande partie catalanisés de part et d'autre des Pyrénées. Cependant, les régions plus éloignées ne le furent pas, que ce soit dans le Béarn, dans le Languedoc ou en Provence.

7.1 La répartition des langues

À partir de 1212, la Reconquête espagnole (appelée Reconquista) prit de l’expansion et les terres progressivement abandonnées par les musulmans furent colonisées par les habitants venus du Nord. Les langues d’oc (ou langues occitanes) ont donné naissance au gascon, au languedocien, au béarnais, etc., ainsi qu'au catalan qui leur était très apparenté. Vers le XIe siècle, on peut dire que, grosso modo, le centre de la péninsule Ibérique était castillanisé, l’est et le nord était catalanisé, sauf au Pays basque où la langue basque avait résisté contre vents et marées. Quant au nord-ouest, il s’était «galicianisé» et donnera plus tard naissance au portugais.

En outre, certains idiomes issus du latin se sont développés dans les zones intermédiaires, tels que le léonais, une sorte de «dialecte de transition» entre le galicien et le castillan, et l’aragonais, qui se situerait entre le castillan et le catalan. Jusqu’au milieu du Xe siècle, le castillan n’était pas une langue plus importante que les autres, c’était encore ce que certains appelleraient aujourd'hui «un obscur dialecte» parlé dans le centre et le nord de la péninsule.

À la fin de la Reconquête espagnole, le paysage politique se présentait ainsi:

- au nord: la principauté d'Andorre, avec la langue catalane;
- au centre-nord: le royaume de Navarre, avec la langue basque;
- au nord-est: le royaume d’Aragon (Catalogne, Valence, Baléares), de langue catalane;
- à l’ouest: le royaume du Portual, avec la langue portugaise;
- le reste du pays: le royaume de Castille (Léon, Asturies, Cordoue, Estrémadure, Galice, Cadix, Séville), avec la langue castillane.

En 1512, le royaume de Navarre disparaîtra, annexé par Ferdinand d’Aragon au royaume de Castille, et la Basse-Navarre au nord sera intégrée à la France lorsque Henri IV (1572-1610) deviendra à la fois roi de France et de Navarre (celle du Nord).

7.2 L'expansion catalane

Dès le XIIe siècle, Raimond-Bérenger III de Barcelone (en catalan: Ramón Berenguer III) dit le Grand (né en 1082 et décédé en 1131), avait reçu en héritage les comtés de Barcelone, de Gérone et d'Osona (Ausone en français) en 1082, puis le comté de Besalù en 1111, le comté de Provence en 1112, la Cerdagne française en 1117. Raimond-Béranger III étendit sa domination jusque dans le midi de la France où il devint Raimond Bérenger Ier de Provence. Il avait conquis aux dépens des musulmans la ville de Tarragone au sud entre 1119 et 1129. Son règne permit à l'unification catalane d'accomplir des progrès importants. Ses successeurs prirent en 1148 les villes de Tordosa et de Lleida.

Puis les Catalans menèrent une politique d'expansion particulière à travers la Méditerranée tout au long du XIIIe siècle et dans le premier tiers du XIVe siècle. Après avoir conquis sur les musulmans les territoires de la Vieille Catalogne, du Royaume de Majorque et du Royaume de Valence, la Confédération catalano-aragonaise prit la Sicile, la Sardaigne, les duchés d’Athènes et de Néopatrie en Grèce. La Sardaigne avait été cédée par le pape Boniface VIII à Jacques II d’Aragon, puis elle fut incorporée au royaume en 1323 et repeuplée de catalanophones dès 1372.

Les Catalans conservèrent leurs comtés septentrionaux au nord des Pyrénées jusqu’en 1659, alors que le Roussillon allait être annexé par la France, tandis que la principauté d’Andorre allait rester la copropriété des comtes d’Urgel en Catalogne et des comtes de Foix en France.

- Le sud des Pyrénées

En 1232, le roi Jacques Ier d'Aragon (1208-1276), dit le Conquérant (en catalan Jaume I el Conqueridor), entreprit la conquête du territoire qui allait devenir le Royaume de Valence, mais le conflit dura jusqu'au traité d'Almizra de 1244, signé entre la Couronne d'Aragon et la Couronne de Castille pour fixer les frontières des royaumes de Valence et de Murcie. Les nouveaux arrivants venus de la Catalogne n'occupèrent que la zone côtière, tandis que l'intérieur fut repeuplé partiellement par les habitants du Royaume d'Aragon, lesquels parlaient soit l'aragonais, soit le castillan. Néanmoins, le repeuplement par des chrétiens demeura relativement lent, car à la fin du règne de Jacques Ier d'Aragon le Royaume de Valence était toujours habité massivement par des Arabes. Cette réalité a laissé des marques encore manifestes dans la langue des locuteurs du Pays valencien : on y parle le catalan (ou valencien) sur les côtes et le castillan dans l'arrière-pays.

En 1229, une expédition, comprenant 15 000 hommes aragonais et catalans, avait débarqué à l'île Majorque (Baléares), s'était emparée de la ville de Palma et avait passé les habitants musulmans au fil de l'épée. Les survivants s'étaient enfuis vers l'Afrique ou avaient été réduits en esclavage. Les Catalans repeuplèrent les îles Baléares de catalanophones en quelques années. Durant tout le Moyen Âge, le catalan resta la langue véhiculaire des habitants du Royaume d’Aragon, du nord des Pyrénées en passant par la Catalogne (devenue la Generalitat de Catalunya), le Pays valencien, les îles Baléares et la Sardaigne. Cette époque fut pour les Catalans une période de grand épanouissement économique, littéraire et artistique, ce qui eut pour effet d'assurer l'expansion de la langue hors de ses frontières d'origine. 

- Le traité de Corbeil (1258)

Une vieille querelle, dont les causes remontaient à près de 500 ans, opposait la France à l'Aragon : la première revendiquait la Marche d'Espagne, tandis que l'autre avait des prétentions sur le midi de la France. En 1258, par le traité de Corbeil, rédigé en latin et signé au prieuré de Saint-Jean-en-l'Isle entre les représentants de Jacques Ier d'Aragon et de Louis IX (dit saint Louis), la France renonçait à ses prétentions sur la Catalogne, tandis que le roi d'Aragon renonçait à certaines de ses prétentions dans le Languedoc (sauf Montpellier). Le roi d'Aragon, Jacques Ier, abandonnait son rêve d’expansion vers le nord en cédant tous ses droits sur le Languedoc, y compris Carcassonne. En fait, il renonçait à ses prétentions sur la Provence et le Languedoc, à l'exception de Montpellier, c'est-à-dire les domaines de Marguerite de Provence, l'épouse du roi de France. En contrepartie, le roi de France renonçait à ses prétentions sur toute la Catalogne, la Cerdagne et le Conflent, malgré des privilèges hérités de ses prédécesseurs carolingiens.
 

Renonciations (comtés) de Louis IX

Renonciations (comtés)  de Jacques Ier

12. Roussillon
13. Conflent
14. Cerdagne
15. Urgel
16. Barga
17. Ripoll
18. Besalu
19. Peralada
20. Empuries
21. Gérone
22. Osona
23. Barcelone
1. Toulouse
2. Comminges
3. Foix
4. Carcassonne
5. Razès
6. Narbonne
7. Béziers
8. Lodève
9. Nîmes
10. Provence
11. Montpellier

L'objectif du traité était d'échanger des territoires de façon à ce qu'aucune enclave ne subsiste de part et d'autre de la frontière franco-aragonaise, ce qui n'a pas été vraiment accompli. En effet, la question du comté de Montpellier était restée en suspens, de même qu'une incertitude concernant le Roussillon qui, de toute façon, revenait à la France en 1659. Le traité de Corbeil marquait la limite territoriale entre les langues d'oc et le catalan, mais des Français se sont retrouvés en Catalogne, et des Catalans en France. De plus, la limite entre les deux royaumes demeura encore floue, peu claire et apte à de nombreux malentendus entre les sujets du roi de France et ceux du roi d'Aragon, avec le résultat que les limites frontalières ne furent à peu près jamais respectées.

La Couronne d'Aragon atteignit son apogée avec la conquête du Royaume de Valence et la prise de possession de la Sardaigne, de la Sicile et, même temporairement, de la Corse et du Royaume de Naples. Les Catalans vont en outre fonder un duché éphémère en Grèce. Cette expansion territoriale explique l'emploi du catalan au Pays valencien, aux Baléares et dans un quartier de la ville d'Alghero en Sardaigne. À cette époque, les Catalans s’affirmèrent comme la première puissance de la Méditerranée occidentale.

8 Le déclin du catalan ou la «Decadència»

Le déclin de la Catalogne s'amorça après la peste noire de 1348. Cette pandémie fut à l'origine transmise par des bateaux génois en 1347, puis elle parvint dans les ports méditerranéens, avant de se généraliser dans toute l'Europe occidentale : au total, 25 millions de victimes en Europe seulement, et autant en Asie. En Espagne, la peste décima jusqu'aux deux tiers de la population, en particulier en Aragon et en Catalogne, au cours de neuf vagues épidémiques qui se produisirent entre 1348 et 1401. Dans le Royaume d'Aragon, environ 40 % des habitants furent victimes de la peste. De fait, les épidémies, les pestes, les révoltes paysannes, le banditisme et les incursions turques finirent par fragiliser gravement la Catalogne. Forcément, les ravages dus à la peste noire entraînèrent des conséquences sur le nombre des locuteurs du catalan en réduisant considérablement les effectifs.

8.1 L'union de l'Aragon et de la Castille

Sous le règne de Jean II d'Aragon (1398-1479), la crise s'envenima davantage pendant une longue guerre civile déclenchée entre le roi et son fils Charles de Viane qui avait reçu l'appui des élites catalanes. Afin de conserver son trône, Jean II d'Aragon fut contraint de demander l’aide des Français. En échange, il perdait le Roussillon et la Cerdagne. Réunis dans les Cortès («Parlement»), les Catalans obtinrent la libération du prince et le rétablissement de ses droits d'héritier. Pour conserver le pouvoir, Jean II d'Aragon dut aussi consentir au mariage de son fils avec Isabelle de Castille, mais Charles fut empoisonné en 1461 avant le mariage, avec le résultat qu'Isabelle finit par épouser en 1469 Ferdinand qui devint Ferdinand II d'Aragon.

Le mariage en 1469 de Ferdinand d'Aragon et d'Isabelle de Castille eut pour effet de réunir les deux royaumes d'Aragon et de la Castille, ce qui devait marquer aussi à court terme la fin de la dynastie catalane. Les deux monarques régnèrent ensemble, même si les deux couronnes demeuraient séparées.

En 1487, les armées de Ferdinand d'Aragon et d’Isabelle de Castille envahirent le Royaume de Grenade. Malaga, la plus fortifiée des cités grenadines, tomba en août 1487; à la fin de 1489, les villes de Guadix, d'Almuñecar, d'Almeria et de Baza tombèrent également. Au début de 1490, il ne restait que la ville de Grenade encore aux mains des musulmans. Le 2 janvier 1492, après plusieurs mois de siège, les forces unifiées du roi d'Aragon et de la reine de Castille allaient prendre Grenade, le dernier bastion musulman en Espagne. Tous ces événements contribuèrent à assurer le prestige du Royaume de Castille. Grâce à Ferdinand d'Aragon, le Royaume de Castille devint une puissance mondiale de premier ordre. Ce fut aussi l'âge d'or de la littérature espagnole (castillane).

Quant aux Catalans, ils supportèrent mal la nouvelle autorité castillane. S'engagea alors le début de la rude concurrence du catalan avec le castillan, car l'Espagne unifiée imposa la castillanisation du royaume, bien que le catalan continuât de bénéficier de son statut de langue officielle dans les anciens comtés de la Catalogne. Néanmoins, le long déclin de la langue catalane était amorcé. Les Catalans ont appelé cette période la «Decadència», la «décadence», une période dans laquelle la langue catalane entra dans un processus de régression qui durera jusqu'au XIXe siècle. Pendant trois siècles, les Catalans vont se rebeller à de nombreuses reprises pour défendre leurs droits face au pouvoir castillan de plus en plus expansionniste; ils chercheront vainement à échapper à l'emprise militaire de l'Empire espagnol.

8.2 Le traité des Pyrénées de 1659

Au cours du XVIIe siècle, l'Espagne vécut sous le règne des souverains issus de la Maison d'Autriche, notamment Charles Quint (1500-1558) et ses successeurs. Charles Quint monta sur le trône d'Espagne en 1516 sous le nom de Charles Ier d'Espagne. Dans cet immense empire, la Catalogne constituait un État autonome, conservant ses institutions traditionnelles et sa langue. Toutefois, dorénavant, en raison de la prépondérance incontestable de la Castille, la Catalogne devait demeurer à l'écart des affaires politiques et financières de l'Espagne, notamment dans les échanges avec le Nouveau Monde, c'est-à-dire l'Amérique, car tout passait essentiellement par Séville et Madrid. Bref, la découverte de l'Amérique en 1492 entraîna le déplacement des échanges commerciaux de la Méditerranée vers l’Atlantique, ce qui accentuait la régression de la Catalogne et de sa langue.

Les difficultés économiques s'aggravèrent en Catalogne. Qui  plus est, la Couronne d'Espagne de Philippe IV (Felipe IV) cherchait à financer par de lourds impôts ses guerres hispaniques, dont la guerre de Trente Ans (de 1618 à 1648) contre la France, un conflit qui déchira l'Europe durant trois décennies. La guerre contre la France accrut encore les tensions entre la Generalitat de Catalogne et le gouvernement espagnol. Philippe IV voulut unifier les États d'Espagne, mais rencontra une vive opposition en Catalogne. En 1640, la Generalitat se souleva contre Philippe IV. Elle proclama la République catalane, puis en janvier 1641 désigna le roi de France, alors Louis XIII, comme le comte de Barcelone et le souverain de la Catalogne. Aussitôt, les Français entrèrent en Catalogne et en 1642 occupèrent les villes de Barcelone, de Collioure, de Perpignan et de Salses, de sorte que la plus grande partie du Roussillon fut maintenue sous contrôle français, tandis que les troupes espagnoles de Philippe IV étaient chassées du territoire.

La principauté de la Catalogne fut placée sous souveraineté française durant une dizaine d'années, ce qui allait influencer la langue catalane par des emprunts lexicaux au français: acròbata, assemblea, camuflatge, canapè, carrabina, crema, gendarme, hotel, moda, motivació, retard, xampinyó (champignon), etc.

Pour la France, cette intervention en Catalogne présentait une occasion d'ouvrir un front sur le territoire espagnol afin d'affaiblir les forces de Philippe IV et de disposer éventuellement d'une monnaie d'échange. Mais la situation ne pouvait perdurer. Profitant de la déception des indépendantistes catalans devant les excès de l'armée française, Philippe IV envoya en 1652 une armée dirigée par le général Juan José d'Autriche, afin de «pacifier» la Catalogne. Le général mit fin rapidement à la rébellion et imposa la domination espagnole sur toute la région.

Au traité des Pyrénées de 1659, conclu entre Louis XIV et Philippe IV d'Espagne, les Catalans perdirent la Catalogne du Nord au profit du Royaume de France. Cette région correspond aujourd’hui au département des Pyrénées-Orientales, dont la préfecture est Perpignan. Les catalanophones de France résistèrent aux nouvelles autorités et continuèrent à utiliser leur langue.

Du côté espagnol, l'Espagne obtenait la fin du soutien français au Royaume du Portugal, indépendant depuis la révolte de 1640, ainsi que la renonciation des prétentions françaises au comté de Barcelone. Au cours des négociations, les Catalans furent toujours tenus à l'écart. Ils ne prirent connaissance du traité des Pyrénées que trois mois plus tard, soit en février 1660. La France obtint le Roussillon, le Vallespir, le Conflent, le Capcir et la vallée du Carol, en plus de tous les villages qui jouxtaient le Conflent et le Capcir, soit 33 villages. Considérée comme une ville, Llivia en fut exclue et c'est la raison pour laquelle cette ville est toujours espagnole de nos jours, enclavée dans la France. L'application du traité des Pyrénées s'étendit sur plusieurs années quoique, en définitive, de façon partielle.

Ce n'est qu'en 1682 que commença la francisation en Catalogne du Nord. En 1700, Louis XIV interdit le catalan dans l’Administration et dans tous les actes officiels. Le décret stipule «qu'à l'avenir toutes les Procédures & les Actes publics qui se feront dans lesdits Païs, seront couchés en Langue Françoise» et non plus «dans ladite Langue Catalane» (voir le décret d'interdiction de 1700). Dès lors, le catalan de France était appelé à régresser. D'une province relativement marginale, Louis XIV réussit en quelques années à intégrer le Roussillon pour en faire une province incontournable de sa politique extérieure.

8.3 La guerre de Succession d'Espagne (1714)

En 1700, Charles II d'Espagne, le dernier roi des Habsbourg, décédait sans héritier, mais avait désigné Philippe d'Anjou, le petit-fils de Louis XIV, comme son successeur au trône. Dès lors, même si le risque de réunion des couronnes française et espagnole semblait réduit, les monarchies européennes craignirent de voir l'Espagne devenir une sorte de protectorat français. C'est pourquoi toutes les autres puissances européennes se soulevèrent contre la France et l'Espagne, ce qui déclencha la longue guerre de Succession d’Espagne (1702-1717).

Les Catalans, pour leur part, appuyaient la candidature de l'archiduc Charles d'Autriche contre Philippe d’Anjou de France, favorisant ainsi le camp de la Maison des Habsbourg contre celle des Bourbons. La ville de Barcelone fut assiégée par les troupes franco-espagnoles et ne se rendit qu'après une résistance de cinq jours, soit le 11 septembre 1714. Cette défaite fut à l'origine de la fête nationale de la Catalogne (Diada Nacional de Catalunya). Ensuite, la Catalogne se soumit pour un siècle.

Vainqueur de la guerre de Succession, Philippe V (1683-1746) accéda au trône d'Espagne que Louis XIV avait revendiqué pour lui au moyen d'alliances matrimoniales. Mais cette reconnaissance du petit-fils du roi de France par tous les pays d'Europe s'est faite au prix de pertes territoriales importantes pour la France et l'Espagne. Pendant que Louis XIV perdait l'Acadie, Terre-Neuve et la Baie-d'Hudson, l'Espagne perdait Gibraltar, Minorque aux Baléares et des territoires en Italie.

L'Espagne demeura sous influence française et Philippe V pratiqua une politique de centralisation administrative à la française. Ainsi, la Catalogne, le Pays valencien et les Baléares se virent imposer en 1716 les décrets («decretos») de la Nueva Planta (la «nouvelle base»).

Ces décrets de Philippe V prescrivaient un modèle juridique, politique et administratif commun à toutes les provinces d'Espagne, y compris dans les régions catalanophones (Catalogne, Pays valencien et Baléares). Philippe V décréta l'abolition du Parlement catalan (Generalitat), de son gouvernement et des conseils municipaux.

Le droit catalan fut supprimé, de même que l'Université de la Catalogne. Le castillan devint la seule langue officielle de l’Administration publique, alors que le catalan restait la langue de la majorité des habitants de cette région.

Dans le Decreto de Nueva Planta Cataluña 1716, il était clairement énoncé que les affaires au cours des audiences royales devaient se dérouler en langue castillane: «Las causas en la Real Audiencia se sustanciarán en lengua castellana [...]».

Par la suite, la castillanisation gagna du terrain partout en Espagne, notamment en Catalogne, au Pays valencien, en Aragon et aux îles Baléares. En Sardaigne toutefois, le catalan demeura la langue dominante malgré la castillanisation de l’aristocratie locale jusqu’en 1720, alors que l’île fut incorporée au Royaume d’Italie, ce qui entraîna la quasi-disparition du catalan. En somme, la petite principauté d’Andorre resta le seul territoire où le catalan se maintint en tant que langue officielle.

9 La renaissance du catalan

Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, la Catalogne s'intégra progressivement à la nation espagnole, tout en s'affirmant au plan de l'économie. La Catalogne vécut en effet une grande transformation économique et sociale dans les domaines de l'agriculture, de la pêche, de l'industrie manufacturière, de l'amélioration des moyens de communication, etc. La bourgeoisie catalane se développa et pénétra le marché national espagnol. Ce fut le début de l'industrialisation de la Catalogne et de l'apparition du prolétariat. La croissance de Barcelone fut considérable: elle devint la seconde ville d'Espagne après Madrid. Les Catalans devinrent bilingues (catalan et castillan) dans les villes, mais ils sont restés unilingues catalans dans les campagnes.

9.1 Les premières manifestations

En 1812, la Catalogne fut annexée à l'empire français par Napoléon, ce qui favorisa son aspiration à l'autonomie, laquelle s'exprima dans un mouvement catalaniste. Au cours du XIXe siècle, le catalan connut une certaine renaissance, appelée la Renaixença. Celle-ci fut assez forte en Catalogne et aux îles Baléares, mais relativement faible au Pays valencien et en Aragon, et inexistante en France et en Italie (Sardaigne). La langue catalane redevint une langue de culture et une langue scientifique, mais ne regagna pas son statut de langue officielle. Le combat pour la nation et la langue catalanes prit de l'ampleur. En 1873 fut proclamée la Première République espagnole, mais le régime fut marqué par une forte instabilité et la démission successive de plusieurs présidents, tandis que l'armée exerçait un pouvoir grandissant. Finalement, un coup d'État organisé par les monarchistes mit fin à la République dès janvier 1874. Une monarchie constitutionnelle fut instaurée en janvier 1875 avec le roi Alphonse XII (de 1875 à 1885).

Au début du XXe siècle, la Lliga Regionalista (Ligue régionaliste) entreprit de promouvoir l'autodétermination de la Catalogne. La région fut constamment agitée par ce mouvement catalaniste, et ce, d'autant plus que les masses populaires urbaines revendiquaient l'amélioration de leurs conditions de vie particulièrement misérables à cette époque. Les campagnes de promotion du catalan permirent la création en 1907 de l’Institut d’Estudis Catalans, qui élabora la codification de la langue, publia des grammaires et des dictionnaires. En 1909, la reprise de la guerre contre le Maroc et le système de recrutement provoquèrent une grève générale à Barcelone, laquelle se transforma en une insurrection populaire, vite réprimée avec violence.  

9.2 Le rétablissement de la Generalitat 

En 1931, la proclamation de la Seconde République espagnole (1931-1939) faisait de l'Espagne «un État intégral, compatible avec l'autonomie des Municipalités et des Régions ("Un Estado integral, compatible con la autonomía de los Municipios y de las Regiones"), conformément à l'article 1er de la Constitution espagnole. Le nouveau régime politique permit de rétablir la Generalitat de Catalunya avec des compétences considérables et de récupérer le statut de langue officielle du catalan (perdu au XVIIIe siècle). Pendant ce temps, le roi Alphonse XIII abandonnait Madrid et partait en exil sans avoir abdiqué.

La Generalitat entreprit de restaurer l’usage du catalan dans l’enseignement, les médias, l’édition, etc. En vertu de l'article 1er du Statut d'autonomie de 1932, la Catalogne était constituée en région autonome au sein de l'État espagnol, son territoire couvrant les provinces de Barcelone, de Tarragone, de Lérida et de Gérone. L'article 2 du Statut d'autonomie (1932) reconnaissait que «la langue catalane est, comme le castillan, une langue officielle en Catalogne»:

Article 2
 
1) La langue catalane est, comme le castillan, une langue officielle en Catalogne. Pour les communications officielles de la Catalogne avec le reste de l'Espagne, ainsi que les communications avec les autorités de l'État avec la Catalogne, la langue officielle sera le castillan .

2) Toute disposition ou décision officielle émise en Catalogne doit être publiée dans les deux langues. La notification doit également être faite de la même manière, à la demande d'une partie intéressée .

3) Dans le territoire catalan, les citoyens, quelle que soit leur langue maternelle, ont le droit de choisir la langue officielle qu'ils préfèrent dans leurs relations avec les tribunaux, les autorités et les fonctionnaires de toutes sortes, tant pour la Generalitat que pour la République.

Toutefois, il convient de bien comprendre la portée de la Constitution espagnole de 1931 et du Statut d'autonomie de 1932. La Constitution espagnole de 1931 donnait le droit aux régions d'employer les «langues de provinces et des régions» (art. 4):

Artículo 4

1) El castellano es el idioma oficial de la República.

2) Todo español tiene obligación de saberlo y derecho de usarlo, sin perjuicio de los derechos que las leyes del Estado reconozcan a las lenguas de las provincias o regiones.

3) Salvo lo que se disponga en leyes especiales, a nadie se le podrá exigir el conocimiento ni el uso de ninguna lengua regional.

Article 4

1) Le castillan est la langue officielle de la République.

2) Tout Espagnol a le devoir de la connaître et le droit d'en faire usage, sans préjudice des droits que les lois de l'État reconnaîtront aux langues des provinces ou des régions.

3) Sauf une disposition contraire prévue dans des lois particulières, nul ne pourra exiger ni la connaissance ni l'usage d'aucune langue
régionale.

L'article 50 de la Constitution de 1931 allait plus loin en autorisant l'enseignement des «langues respectives» ("lenguas respectivas") dans les régions autonomes: 

Artículo 50

1) Las regiones autónomas podrán organizar la enseñanza en sus lenguas respectivas, de acuerdo con las facultades que se concedan en sus Estatutos.

2) Es obligatorio el estudio de la lengua castellana, y ésta se usara también como instrumento de enseñanza en todos los centros de instrucción primaria y secundaria de las regiones autónomas. El Estado podrá mantener o crear en ellas instituciones docentes de todos los grados en el idioma oficial de la República.

3) El Estado ejercerá la suprema inspección en todo el territorio nacional pata asegurar el cumplimiento de las disposiciones contenidas en este Artículo y en los dos anteriores.

4) El Estado atenderá a la expansión cultural de España estableciendo delegaciones y centros de estudio y enseñanza en el extranjero y preferentemente en los países hispanoamericanos.

Article 50

1) Les régions autonomes peuvent organiser l'enseignement dans leurs langues respectives, conformément aux pouvoirs conférés dans leurs Statuts.

2) L'étude de la langue castillane est obligatoire; elle est utilisée en outre comme véhicule d'enseignement dans tous les établissements d'enseignement primaire et secondaire des régions autonomes. L'État peut maintenir ou créer dans ces régions des établissements d'enseignement, à tous les niveaux, dans la langue officielle de la République.

3) L'État exercera sa haute supervision dans tout le territoire national pour assurer l'accomplissement des dispositions contenues dans le présent article ainsi que dans les deux articles précédents.

4) L'État veillera à l'expansion culturelle de l'Espagne, en établissant des délégations et des centres études et d'enseignement à l'étranger et préférablement dans les pays hispano-américains.

Ces deux textes imposaient plusieurs restrictions aux acquis dans les domaines de la politique, de l’administration et de la justice. L'une des langues officielles, le castillan, était «plus officielle» que l'autre et une prépondérance était établie.

9.3 La guerre civile espagnole

L'avènement de la Seconde République avait réveillé beaucoup d'espoir non seulement chez les autonomistes, mais aussi chez les ouvriers et les paysans. Puis les réformes se sont fait attendre. De vastes pans de la population se trouvèrent déçus, car les malaises sociaux, économiques, culturels et politiques, qui accablaient l'Espagne depuis plusieurs générations, se perpétuaient. Le coup d'État de 1936 provoqua l'effondrement de la Seconde République, avec des conséquences extrêmes. L'Espagne devint le lieu d'affrontement des grandes puissances et le terrain de manœuvre des grandes armées européennes. Ce fut la guerre civile espagnole (1936-1939), tristement célèbre avec ses 400 000 morts, qui opposa, d'une part, le camp des républicains composé de loyalistes à l'égard du gouvernement légalement établi de la Seconde République, d'autre part, les nationalistes de droite dirigés par le général Francisco Franco. Celui-ci fut élu, le 1er octobre 1936, «chef du gouvernement de l'État espagnol» par une junte militaire.

10 La période franquiste

Le général Franco conquit le Pays basque en octobre 1937, puis l'Aragon et la Catalogne, alors que tombait Barcelone le 26 janvier 1939, puis finalement Madrid le 28 mars. Le reste de l'Espagne fut conquis un mois plus tard, tandis que les derniers combats avaient lieu à Alicante (Pays valencien). Dès le 1er avril 1939, Franco pouvait annoncer que «la guerre est finie». La livraison d'armes de la part des Allemands et des Italiens avait donné un net avantage aux nationalistes de Franco.

10.1 La fin de l'autonomie catalane

Mais la guerre civile et la victoire du général Franco mirent fin à l’autonomie accordée aux Catalans. Lorsqu’en mars 1938 les troupes franquistes pénétrèrent sur le territoire catalan, l'une des priorités de Franco fut d'abroger le Statut d'autonomie de la Catalogne par la loi du 5 avril 1938 (Ley de derogació de l´Estatut de Catalunya pel general Franco).

La Catalogne allait alors connaître l'une des périodes les plus tragiques de son histoire. En effet, Francisco Franco étouffa toute velléité d’opposition et interdit brutalement l’usage public du catalan dans toute l’Espagne, cette interdiction devant se maintenir jusqu’en 1975, l’année de sa mort.

Contrairement aux régimes précédents qui avaient tenté d'en finir plus ou moins pacifiquement avec la pluralité linguistique en Espagne, Franco eut recours à des moyens différents et plus efficaces pour faire appliquer sa politique, notamment les techniques de communications et la coercition dans les écoles. Pendant cette période, l'autonomie catalane disparut de façon brutale.

10.2 La répression linguistique

Un décret adopté le 28 juillet 1940, le Décret portant création de l'usage exclusif de l'espagnol dans les services publics (Decreto estableciendo el uso exclusivo del español en los servicios públicos), illustre parfaitement la répression linguistique exercée par le régime de Franco. Voici les deux premiers articles du décret (traduction):

Article 1er (traduction)

À partir du 1er août prochain, tous les fonctionnaires intermédiaires des sociétés provinciales et municipales dans cette province, quelle que soit leur catégorie, qui s'exprimeront à l'intérieur comme à l'extérieur des bâtiments officiels dans autre langue que celle officielle de l'État seront «ipso facto» destitués, sans qu'aucun appel ne soit recevable.

Article 2

S'il y a des manquements commis par des fonctionnaires rémunérés, titulaires d'un poste ou responsables d'unités administratives ou d'organismes qui sont en instance d'être réintégrés, ces manquements permettront de clore le dossier dans l'état où il se trouve, et entraîneront la destitution immédiate du contrevenant, sans aucun recours.

En 1945, une ordonnance ministérielle instaurait l'emploi obligatoire du castillan dans les écoles: Nueva ley de educación primaria que sólo permite enseñar en castellano («Nouvelle loi sur l'éducation primaire autorisant un enseignement en castillan seulement»). Même dans les prisons, il fut interdit de parler une autre langue que l'espagnol (castillan). Évidemment, le catalan fut prohibé dans les raisons sociales, les marques de commerce et les cinémas. Il fut proscrit durant quarante longues années dans tous les domaines de la vie publique. Aucun livre en catalan ne fut imprimé, sinon dans la clandestinité; la langue catalane ne fut plus enseignée et les Catalans furent souvent discriminés pour des motifs linguistiques dans leur propre pays. Il fallait, pour le régime franquiste, réduire à néant l'identité catalane en s'attaquant à la langue et aux diverses expressions de la culture. De nombreux nationalistes catalans — dont Jordi Pujol, futur président de la Catalogne — furent emprisonnés pendant des années. Durant de longues décennies, le catalan ne put être employé qu’à l'intérieur du foyer familial. Les années qui suivirent se caractérisèrent par une stratégie globale de résistance culturelle.

Les Catalans s'attiraient de sévères réprimandes de la part des franquistes lorsqu'ils parlaient catalan: Perro separatista («Chien séparatiste»), Quién es el perro que ha ladrado?  («Qui est le chien qui a aboyé?»), Si eres español, habla la lengua del imperio («Si tu es espagnol, parle la langue de l'Empire») ou encore habla en cristiano («Parle chrétien»), ce qui pourrait être l'équivalent ibérique du Speak white des anglophones du Canada à l'intention des francophones! Un très grand nombre d’écrivains catalans se résignèrent à l'exil.

En 1968, le chanteur catalan Lluis Llach devint une des figures de proue dans le combat pour la culture catalane sous le franquisme. Il compara le régime à un poteau pourri dans la chanson "L'Estaca" (en français: «le pieu»), dont le refrain est «II tombera, tombera, tombera» ("Segur que tomba, tomba, tomba"). Cette chanson devint l'hymne de la résistance à Madrid. Franco mourut le 20 novembre 1975. La voie de la démocratisation était désormais ouverte pour le prince Juan Carlos de Bourbon, qui devenait roi d'Espagne. En peu de temps, il écarta les franquistes conservateurs de la scène politique et entreprit de transformer le pays en une démocratie moderne.

11 Le catalan dans l'Espagne démocratique

La nouvelle Constitution de 1978 permit non seulement la rétablissement de la Generalitat de Catalunya, mais aussi la création de 17 communautés autonomes, dont certaines ont pu conserver le catalan comme langue co-officielle: la Catalogne, le Pays valencien et les îles Baléares, alors que la Galice et le Pays basque ont maintenu comme langue co-officielle le galicien ou le basque.
 

1) Andalousie (Andalucía)
2) Aragon (Aragón)
3) Canaries (Canarias)
4) Cantabrie (Cantabria)
5) Vieille-Castille (Castilla y La Macha)
6) Castille-et-Léon (Castilla y León)
1) castillan
2) castillan et aragonais
3) castillan
4) castillan

5) castillan
6) castillan
et asturien
7) Catalogne (Cataluña / Catalunya) 7) castillan et catalan + aranais pour le val d'Aran
8) Communauté de Madrid (Comunidad de Madrid)
9) Communauté forale de Navarre (Comunidad Foral de Navarra)
8) castillan
9) castillan
et basque
10) Communauté valencienne (Comunidad Valenciana)
11) Estrémadure (Estremadura)
12) Galice (Galicia)
10) castillan et catalan (valencien)
11) castillan
12)  castillan et galicien
13) Îles Baléares (Islas Baleares)
14) La Rioja: castillan
13)  castillan et catalan
14) castillan
15) Pays basque (Pais Vasco / Euskadi)
16) Principauté des Asturies (Principado de Asturias)
17) Région de Murcie (Region de Murcia)
15) castillan et basque
16) castillan et asturien
17) castillan

Chacune des communautés autonomes s'est vu accorder un statut d'autonomie particulier, une sorte de constitution interne élaborée par une assemblée d'élus locaux (députés et sénateurs) mais aussi adoptée par les Cortès Generales (Parlement et Sénat espagnols). Les communautés autonomes assument maintenant des compétences exclusives dans de nombreux domaines: les institutions gouvernementales locales (parlement, gouvernement, administration, écoles), l'aménagement du territoire et la protection de l'environnement, les chemins de fer et les routes (celles qui ne traversent qu'un seul territoire d'une communauté autonome), l'agriculture et l'exploitation forestière, la chasse et la pêche, le développement économique, la culture, l'enseignement et l'emploi des langues, la santé et l'assistance sociale, le tourisme et le loisir, la police. Les Communautés autonomes disposent ainsi de larges pouvoirs qui leur permettent de se gouverner localement, mais les municipalités ne sont pas assujetties aux gouvernements communautaires; elles demeurent complètement autonomes dans leurs champs de compétence.

11.1 La Constitution espagnole

En matière de langue, l'article 3 de la Constitution nationale de 1978 reconnaît l'existence des autres langues espagnoles également officielles, sans en nommer une seule : 

Article 3

1) Le castillan est la langue espagnole officielle de l'État. Tous les Espagnols ont le devoir de le connaître et le droit de l'utiliser.

2) Les autres langues espagnoles sont également officielles dans les différentes Communautés autonomes en accord avec leurs Statuts. 

3) La richesse des particularités linguistiques distinctives de l'Espagne est un patrimoine culturel qui doit faire l'objet d'une protection et d'un respect particuliers.

En Espagne, connaître la langue officielle de l'État est une obligation constitutionnelle. En effet, aucun Espagnol, même lorsqu'il est autorisé à utiliser une autre langue dans une communauté autonome, ne peut ignorer le castillan. Cette obligation de connaître une langue (le castillan) ne s'applique pas au catalan, au basque, au galicien ou à toute autre langue locale en Espagne. L'emploi des langues minoritaires en Espagne ne constitue pas une obligation, mais simplement un droit. Les langues ne sont donc pas officielles ou co-officielles au même degré: la langue officielle dans toute l'Espagne demeure le castillan, ce qui lui assure une préséance certaine. 

De toutes les Communautés autonomes, ce sont surtout la Catalogne, le Pays valencien, les îles Baléares, la Galice et le Pays basque qui se distinguent au plan linguistique, car leur langue locale est co-officielle avec le castillan. Il faudrait tout de même faire mention des «langues particulières» non officielles: le basque en Navarre, l'aragonais en Aragon, l'asturien dans les Asturies, l'aranais au val d'Aran (sous la juridiction de la Catalogne).

11.2 Le catalan dans les Communautés autonomes

Trois Communautés autonomes ont le catalan comme langue co-officielle avec le castillan: la Catalogne, le Pays valencien et les îles Baléares. En Aragon, les catalanophones occupent une petite partie du territoire.

- La Catalogne

Les principales dispositions juridiques qui accordent un statut officiel au catalan émanent des textes appelés «statuts d'autonomie», notamment le Statut d'autonomie de 1979 (aujourd'hui abrogé) et le Statut d'autonomie de 2006 (modifié par le Tribunal constitutionnel). Comme on pouvait s'y attendre, la Communauté autonome de la Catalogne agit en tant que véritable chef de file lorsqu'il est question de promouvoir l'usage du catalan. Cette affirmation a été renforcée en 2006 par l'approbation de la réforme du Statut d'autonomie de la Catalogne de 1979. Le nouveau Statut d'autonomie maintient les mêmes éléments essentiels, notamment l'affirmation que le catalan est la «langue propre» de la Catalogne (art. 6.1), la langue normale de l'enseignement (art. 6.1) et la langue officielle à côté du castillan (art. 6.2).

Le Statut d'autonomie de 2006 incorpore trois nouvelles dispositions d'une grande portée. La première vise à corriger l'asymétrie qui existe quant à l'obligation de la connaissance des langues co-officielles, le castillan et le catalan. À ce sujet, l'article 6.2 énonce que «toutes les personnes ont le droit d'utiliser les deux langues officielles, et les citoyens de Catalogne ont le droit et le devoir de les connaître et de les utiliser l'une ou l'autre».

Un autre élément ajouté découle de la condition de «langue propre» : le catalan doit être «la langue utilisée habituellement et de préférence par les administrations publiques et les médias publics de Catalogne» (art. 6.1), ainsi que dans l'enseignement. En dernier lieu, un paragraphe (art. 6.2) sur les droits et obligations linguistiques a été inséré. Il en ressort que le personnel des administrations publiques de Catalogne, c'est-à-dire l'administration de la justice et le ministère des Finances et des Registres publics, est tenu d'accueillir le citoyen et de lui répondre dans la langue officielle de son choix, sans que cela ne puisse causer une quelconque discrimination, par exemple sans entraîner un retard indu dans le traitement des requêtes ou des documents.

Le processus de rédaction du Statut d'autonomie de 2006 fut long et très compliqué. Le premier texte proposé par le Parlement, approuvé par 90 % des votes exprimés, fut profondément modifié par le gouvernement espagnol, à l'époque dirigé par le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Une fois le nouveau texte approuvé par le Parlement espagnol (les Cortès Generalès) et par référendum en Catalogne, le Parti populaire (PP) — le principal parti d'opposition — décida de le soumettre au Tribunal constitutionnel. Après quatre années de délibérations, pendant lesquelles des tractations entre les partis politiques dans la nomination des juges furent omniprésentes, le Tribunal détermina que 14 articles étaient inconstitutionnels, en plus de réduire la portée de 27 autres articles.

En ce qui a trait à la langue catalane, le Tribunal a refusé l'emploi du terme «de préférence» (art. 6.1) au catalan en matière de langue dans les administrations publiques. Finalement, l'arrêt du 28 juin 2010 a rétabli l'asymétrie favorable au castillan lorsqu'il est question du devoir des citoyens de connaître une langue particulière. Au-delà des limitations d'ordre linguistique, l'arrêt du Tribunal constitutionnel confirme que cette instance a préséance sur la volonté démocratique exprimée par les Catalans, voire par le Parlement espagnol.

- Le Pays valencien

Au Pays valencien, la réforme du Statut d'autonomie ne causa pas de tremblement de terre ni de polémique. Cette attitude n'est sûrement pas étrangère au fait que le Parti populaire (PP) détient une majorité absolue dans cette communauté depuis plusieurs années. Le Parti populaire soutient, depuis longtemps, et ce, avec l'appui des mouvements d'extrême droite et du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), que la variante dialectale parlée au Pays valencien n'est pas le catalan. C'est ainsi que le valencien, dénomination historique du catalan dans le Pays valencien, est reconnu comme langue co-officielle dans le Statut d'autonomie de 2006: «La langue particulière (propre) de la Communauté valencienne est le valencien.» Cette mesure de «sécession linguistique» a été décidée non pas par la population, mais par des partis politiques de droite, alors que du point de vue scientifique cette conception ne tient pas la route. 

Au Pays valencien, tout individu a le droit de connaître et d'utiliser le valencien, mais ce n'est pas une obligation. Dans le domaine scolaire, l'accent est mis sur l'enseignement du valencien, mais, nuance importante, pas nécessairement en valencien. De plus, la Loi sur l'usage et l'enseignement du valencien (1983) fait état de la possibilité que certaines régions du territoire valencien soient exemptes de l'utilisation et de l'enseignement du valencien. Malgré tout, le Statut d'autonomie de 2006 affirme que la langue co-officielle, le valencien, a besoin d'une protection spéciale. Il est admis que tout citoyen peut utiliser l'une ou l'autre des langues co-officielles auprès des organismes du gouvernement local et se faire répondre dans la même langue.

- Les îles Baléares

D'après le Statut d'autonomie de 2007, le rôle du catalan dans les îles Baléares n'est pas différent de celui des territoires déjà mentionnés. Le catalan est la «langue propre» ou particulière et, avec le castillan, il est la langue officielle (art. 4). Les autres articles du Statut d'autonomie des Baléares se rapprochent davantage du statut accordé au Pays valencien qu'à celui consenti à la Catalogne. Les citoyens des Baléares ont le droit, mais non le devoir ou l'obligation, de connaître et d'utiliser le catalan. Ici aussi, nul ne peut subir de discrimination pour des motifs linguistiques (art. 4.2).

Afin de garantir les droits linguistiques, les institutions des Baléares doivent créer les conditions qui favorisent la connaissance des deux langues officielles au sein de la population. Ainsi, le citoyen qui s'adresse à l'administration de la Communauté autonome en catalan ou en castillan a le droit d'obtenir une réponse dans la langue de son choix (art. 14.3).

- La Frange d'Aragon

Le catalan constitue la troisième langue en usage en Aragon après le castillan et l'aragonais; il serait parlé par environ 40 000 locuteurs dans ce qu'on appelle la Franja Oriental de Aragón (en espagnol), c'est-à-dire la «Frange orientale d'Aragon», une bande frontalière avec la Catalogne d'une largeur de 15 à 30 km et d'une superficie de 5077 km². Familièrement, cette région est appelée la Franja, la Frange. Ce qui favorise le catalan d'Aragon, c'est sa proximité avec le catalan de la Catalogne.

En 2004, le Secrétariat à la politique linguistique de la Generalitat de Catalunya effectué une enquête sur les locuteurs du catalan dans la Frange d'Aragon: quelque 70,5 % des habitants de la Frange avaient le catalan, ou l'une de ses variétés, comme langue maternelle, ce qui représentait quelque 27 800 locuteurs. Dans la Frange, le castillan arrivait en seconde position avec 26,4 % des locuteurs (10 400). De plus, 62 % des Aragonais de la région utiliseraient seulement le catalan, Il s'agit donc d'une langue vivante bien que son prestige soit quasi nul.

12 Le catalan hors de l'Espagne

Résultat de l'Histoire, le catalan est parlé hors de l'Espagne: dans la principauté d'Andorre, dans le département français des Pyrénées-Orientales et dans la ville d'Alghero en Sardaigne (Italie).

12.1 La principauté d'Andorre

La principauté d’Andorre est le seul État souverain au monde à avoir adopté le catalan comme unique langue officielle. On peut consulter à ce ce sujet le Règlement sur l'usage de la langue officielle en public (2005). Notons qu'Andorre est le seul pays d’Europe où ses propres ressortissants d'origine sont minoritaires. En effet, les hispanophones forment au moins 38% des locuteurs, contre 36 % pour les catalanophones, 11,5 % pour les lusophones (portugais) et plus de 6 % pour les francophones. Il reste encore 6 % ou 7 % pour d'autres langues. Par crainte d’être minorisés au plan linguistique, les Andorrans catalanophones ont cherché à se protéger par un grand nombre de lois et de règlements. C’est pourquoi les citoyens de ce pays ont toujours appuyé leur gouvernement dans sa volonté de catalaniser le territoire. C'est ce qui explique que l'État andorran a prévu de nombreuses dispositions juridiques pour favoriser le catalan.

12.2 La Catalogne française

En France, le catalan est une langue parlée par quelque 110 000 locuteurs sur une population de 440 000 habitants dans le département des Pyrénées-Orientales (no 66). Cette région correspond à ce qu'on appelle la Catalogne du Nord (Catalunya del Nord), tout autour de la ville de Perpignan. La variante géographique du catalan parlée en France est traditionnellement connue sous le nom de catalan septentrional ou plus souvent roussillonnais. Bien que le catalan soit considéré comme l'une des langues régionales de France, celui-ci ne bénéficie d'aucun statut juridique particulier. La politique linguistique pratiquée en Catalogne du Nord a toujours favorisé le français au détriment du catalan; cette francisation dirigée par les autorités françaises s'est étendue dans toute la région. Aujourd'hui, l'usage du catalan n'est autorisé que partiellement à l'école et dans les médias.

12.3 La Sardaigne

Le catalan est aussi parlé en Sardaigne (Italie). Il y existe une petite communauté catalanophone de 28 500 locuteurs, concentrée dans la ville d'Alghero (40 000 habitants), celle-ci étant située dans une péninsule au nord-ouest de l’île. Comme en France, il n’est pas question de service public quelconque en catalan, ni d’école reconnue par l’État italien, bien que, dans une seule école, une trentaine d’élèves étudient des rudiments de catalan sur une base volontaire. La seule loi pouvant concerner la protection du catalan est la Loi du 15 décembre 1999, n° 482 (Règles en matière de protection des minorités linguistiques historiques), mais cette protection s'est révélée bien mince.

13 Conclusion

L'histoire de la langue catalane est intimement liée à des événements politiques et militaires, comme c'est le cas de nombreuses autres langues (anglais, français, espagnol, portugais, russe, allemand, etc.). Entre le XIe et le XIVe siècle, le catalan vécut une longue période d'expansion due à la fois aux armées catalanes et au commerce florissant des bourgeois de la Catalogne. L'union de l'Aragon et de la Castille en 1459 allait entraîner le début du déclin du catalan au profit du castillan (espagnol). Dès lors, il devenait presque impossible pour les Catalans de s'opposer militairement aux armées des souverains castillans. Plus tard, la guerre de Trente Ans (1618-1648) et le traité des Pyrénées (1659) fragilisèrent encore davantage la Catalogne. Ensuite, la guerre de Succession et l'avènement du Bourbon Philippe V (1683-1746), petit-fils de Louis XIV, au trône d'Espagne scellèrent le sort de la langue catalane dans tout le pays devenu très centralisé au profit des autorités de Madrid et de la langue castillane. Par la suite, la castillanisation gagna du terrain dans toute l'Espagne accentuant ainsi le déclin du catalan dont le statut se réduisait à celui d'une simple langue régionale. Seule la petite principauté d’Andorre put résister au castillan et au français, protégée par ses montagnes des Pyrénées.

Le milieu du XIXe siècle vit apparaître en Catalogne et un peu partout en Espagne des mouvements autonomistes. En 1931, la proclamation de la Seconde République espagnole (1931-1939) permit aux Catalans de restaurer la Generalitat de Catalunya avec des compétences considérables et de récupérer le statut du catalan comme langue officielle perdu depuis des décennies. Mais la Seconde République ne survécut pas aux innombrables problèmes sociaux, économiques, culturels et politiques, qui accablaient l'Espagne depuis plusieurs générations. Le coup d'État de 1936 provoqua l'effondrement de la République et le déclenchement de la guerre civile. La Catalogne connut alors l'une des périodes les plus tragiques de son histoire. Le général Franco étouffa toute velléité d’opposition et interdit brutalement l’usage public du catalan dans toute l’Espagne, cette interdiction s'étant maintenue jusqu’à sa mort en 1975.

Le nouveau régime démocratique issu de la Constitution de 1978 permit non seulement la restauration du catalan en Catalogne, au Pays valencien et aux îles Baléares, mais de redonner aussi la restitution de son statut au basque au Pays basque et en Navarre, ainsi qu'au galicien en Galice. Aujourd'hui, certaines d'entre les 17 communautés autonomes ont pu conserver le catalan comme langue co-officielle, soit la Catalogne, le Pays valencien et les îles Baléares, alors que la Galice et le Pays basque ont maintenu comme langue co-officielle le galicien ou le basque. Parmi toutes les langues régionales d’Espagne – le basque, le galicien, le catalan des îles Baléares et celui du Pays valencien –, seul le catalan de la Catalogne semble, en dépit d’une forte immigration castillanophone, en mesure de tenir tête au castillan, en raison du dynamisme économique de la bourgeoisie catalane, de son habileté politique et de ses ambitions européennes. Il est probable que ce succès de la langue catalane ait une effet d'entraînement pour les autres langues, y compris l'aragonais et l'asturien. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Les dinosaures espagnols savent veiller au grain et veulent conserver les prérogatives du castillan, notamment parmi les dirigeants du gouvernement central.   

Dernière révision en date du 18 févr. 2024

Page précédente

On peut consulter des articles spécifiques sur les politiques linguistiques et la langue catalane dans les documents suivants :


Andorre
 
Catalogne

Pays valencien
 
Îles Baléares

Aragon
 
Bibliographie

Espagne  -  Europe

Accueil: aménagement linguistique dans le monde