République populaire de Chine
Région autonome zhuang
du Guangxi

 

Capitale:  Nanning
Population: 44,9 millions (2003)
Langues officielles: chinois (putonghua) et zhuang
Groupe majoritaire:  chinois (62 %)
Groupes minoritaires: zhuang (33 %), yao (2,9 %), dong (0,6 %), mulao, maonan, chinois hui, jing, yi, sui, gelao
Système politique: région autonome de la Chine
Articles constitutionnels (langue): art. 4, 19 et 134 de la Constitution de 1982

Lois linguistiques: Loi sur l'autonomie des régions ethniques (1984
); Loi sur la langue et l’écriture communes nationales de la République populaire de Chine (2001).

1 Situation géographique

Localisation de la province du Guangxi

La Région autonome zhouang du Guangxi (en zhuang: Gvangjsih) est située au sud de la Chine. D'une superficie de 236 000 km² (équivalant au Laos ou à Roumanie, mais à peine moindre que le Royaume-Uni), le Guangxi est limité à l'ouest par la province du Yunnan, au nord par le Guizhou, au au nord-est par le Hunan, au sud-est par le Guangdong et au sud-ouest par le Vietnam (voir la carte des provinces). Le Guangxi est situé à plus de 3000 km au sud de Pékin.

La région autonome est divisée en sept villes-préfectures : Nanning, Liuzhou, Guilin, Wuzhou, Beihai, Qinzhou et Fanchenggang. Nanning est la capitale régionale, une ville de 805 700 habitants (2006). Les autres villes importantes sont Liuzhou (772 500), Guilin (670 000), Beihai (305 000), Wuzhou (268 375), Yulin (148 842) et Hechi ou Jinchengjiang (105 280). Les principales villes touristiques du Guangxi, Guilin, Nanning et Beihai, sont reliées entre elles par des lignes aériennes.

Rappelons que la Chine compte cinq régions autonomes «égales en statut à la province»: la Mongolie intérieure, le Guangxi, le Tibet, le Ningxia et le Xinjiang (ou Ouïgour). En principe, le statut de régions autonomes s'applique aux provinces comptant historiquement d'importantes minorités nationales, telles que les Hui (le Ningxia), les Mongols (la Mongolie intérieure), les Zhuang (le Guangxi), les Tibétains (le Tibet) et les Ouïgours (l'Ouïgour ou le Xinjiang). En plus de ces cinq régions autonomes, la Chine compte aussi 30 préfectures autonomes et 124 cantons autonomes et, dans certains cas, des districts autonomes.

Rappelons les cinq régions autonomes «égales en statut à la province»:

Nom
de la région autonome

Date de fondation
(région autonome)

Capitale
régionale

Superficie
(km2)

Population en 2005

Ethnie majoritaire locale

Mongolie intérieure
(Mongols)

1er mai 1947

Hohhot

1 197 547

23,0 millions

17,1 %

Guangxi
(Zhuangs)

15 mars 1958

Nanning

237 693

44,9 millions

33 %

Tibet
(Tibétains)
1er septembre 1965

Lhassa

1 228 400

2,7 millions

92,8 %

Ningxia
(Hui)
25 octobre 1958

Yinchuan

62 818

6 millions

20 %

Xinjiang
(Ouïgours)
1er octobre 1955

Urumqi

1 655 826

19,6 millions

45 %

En principe, les régions autonomes s'occupent de leurs affaires intérieures, le pouvoir central chinois se réservant généralement la défense, les affaires étrangères et une foule d'autres prérogatives. Les matières suivantes sont réglementées par la province ou la région autonome: l'éducation, la santé publique, les industries et communications provinciales, l'administration et la mise en vente des propriétés de la province, l'administration des municipalités sous juridiction provinciale, les coopératives provinciales, l'agriculture et les forêts, la conservation des eaux, la pêche et l'élevage, etc.  Dans les faits, les régions autonomes n'ont qu'une faible marge de manoeuvre, car les autorités chinoises demeurent omniprésentes.

2 Données démolinguistiques

Groupes ethniques, recensement 2000
Nationalité Population Pourcentage
Han  27,8 millions 62 %
Zhouang 14,8 millions 33 %
Yao     1,3 million 2,9 %
Dong

280 000

0,6 %
Maonan

170 000

0,3 %
Mulao     150 000 0,3 %
Hui

20 000

0,0 %
Jing

16 000

0,0 %
Yi

10 000

0,0 %
Sui

12 000

0,0 %
Gelao

2000

0,0 %
La Région autonome zhouang du Guangxi comptait une population de 45 millions d'habitants en 2004. Les Han constituent l'ethnie majoritaire avec 62 % de la population de cette région autonome. Ils vivent surtout dans le Nord-Est et le Sud-Est ainsi que dans les villes telles que Nanning (880 400 hab.), Guigang (77 000 hab.), Liuzhou (773 000 hab.), Guilin (600 000 hab.), Yangshuo (300 000 hab.), Beihai (307 000 Hab.). De façon générale, les Han sont installés dans les plaines et les villes situées près des frontières des provinces du Guangdong et du Hunan. Ils parlent, selon le cas, le mandarin ou l'un de ses dialectes, ou une autre langue chinoise comme le hakka, le xiang, le cantonais, etc. À Nanning, quelque 200 000 locuteurs parlent le pinghua, une variante du cantonais.

Les minorités du Guangxi représentent donc près de 40 % de la population. Les Zhuang forment la communauté minoritaire la plus importante dans le Guangxi avec 33 % de la population; c'est en vertu de ce principe que le Guangxi a d'ailleurs obtenu le statut de «région autonome», ce qui l'autorise à gérer lui-même certaines affaires internes. Les Zhuang constituent aussi la plus importante minorité non chinoise de toute la Chine. Dans la Région autonome du Guangxi, il existe une bonne douzaine d'autres petits groupes minoritaires tels que les Yao (1,3 million), les Dong (280 000), les Mulao (150 000), les Maonan (170 000), les Hui (20 000), les Jing (16 000), les Yi (10 000), les Sui (12 000), les Gelao (2000), etc. À l'exception des Hui (concentrés à Nanning, Guilin et Liuzhou) et des Jing (concentrés à Fangchenggang), les minorités du Guangxi vivent dans l'Ouest et le Nord-Ouest, refoulées par les Han dans les régions montagneuses.

Il n'existe que fort peu de villes dans l'Ouest et les infrastructures sont en nombre limité. Ce sont des régions très pauvres, en grande partie fermées aux étrangers et au tourisme. Les Yao et les Miao sont réfugiés dans les hautes vallées où ils ont développé une riziculture de montagne.

Les Zhuang parlent le zhuang du Nord ou zhuang septentrional (env. 10 millions) ou le zuhang du Sud ou zuhang méridional (env. quatre millions), une langue de la famille thaï-kadai, et possèdent leur propre écriture en alphabet latin, mais peuvent utiliser aussi l'écriture chinoise. La normalisation du zhuang est basée sur le dialecte du canton de Wuming, placé sous la juridiction administrative de Nanning, la capitale régionale. Le zhuang du Nord est fragmenté en plusieurs variétés dialectales: le yongbei (Yungpei), le liujiang (Liuchiang), le youjiang (Yuchiang), le guibian (Kueipien), le qiubei (Chiupei), le hongshuihe (Hongshuihe), le guibei (Guibei) et le lianshan (Lianshan). Pour le zhuang du Sud, on distingue le yongnan (Yungnan), le zuojiang (Tsochiang), le de-jing (Teching), le yan-guang (Yenkuang) et le wen-ma (Wenma). Le vocabulaire est identique à près de 80 % dans les deux grandes variétés linguistiques. La langue zhuang a été influencée par les différentes langues chinoises, notamment le hakka, le cantonais et le mandarin.

Environ 50 % des Zhuang ne parlent que leur langue ancestrale, ce qui peut donner une idée de l'analphabétisme ou du faible taux de scolarité des Zhuang. La langue zhuang est une langue dite tonale (comme le chinois ou le vietnamien) possédant six tons dans les syllabes ouvertes. Il existe aussi des communautés zhuang dans les provinces voisines de Yunnan, Guangdong, Guizhou et Hunan. Les régions peuplées de plus de 100 000 Zhuang sont les provinces du Yunnan et du Guangdong. Dans les provinces du Guizhou, de Hainan, du Hunan et du Hebei, la population des Zhuang est supérieure à 10 000. Cela étant dit, le Guangxi abrite 87,8 % des 16,1 millions de Zhuang de la Chine.

Parmi les autres minorités du Guangxi, mentionnons les Yao, les Dong, les Mulao, les Maonan, les Hui, les Miao, les Jing, les Yi, les Sui (ou Shui) et les Gelao. Le maonan et le yi fojnt partie des langues tibéto-birmanes; le dong, le mulao, le sui et le gelao appartiennent aux langues kam-thaï de la famille thaï-kadai; le yao et le miao font partie des langues hmong de la famille hmong-mien. Seuls le hui et le jing sont des langues chinoises. Toutes ces minorités sont dispersées dans l'ouest et le nord du Guangxi. Si l'on fait exception du yao parlé par plus d'un million de locuteurs, ces langues ne sont utilisées que par peu de locuteurs. Généralement bilingues, les locuteurs des langues minoritaires parlent également le zhuang lorsqu'ils vivent dans les mêmes districts que les Zhuang, sinon ils parlent aussi le chinois mandarin ou hakka.

La plupart des membres des minorités non chinoises sont polythéistes et vénèrent, entre autres, les rochers géants, les vieux arbres, les hautes montagnes, le sol, les dragons, les serpents, les oiseaux et leurs ancêtres. Cependant, le taoïsme a aussi exercé une grande influence sur certains d'entre eux.

3 Données historiques

Il y a environ 5000 ans, des populations thaïes, dont faisaient partie les Zhuang, partirent de la Chine centrale vers le sud pour s'installer dans ce qui est aujourd'hui le Guangxi, alors que d'autres Thaïs poursuivirent leur voyage vers le sud et formèrent les peuples qui deviendront les Lao, les Thaïs et les Shan. Pour ce qui est des Zhuang, ils ne conservèrent aucune trace de leur histoire jusqu'à la dynastie chinoise Zhou (475-221 avant notre ère).  En 214 avant notre ère, sous la dynastie Qin, les Han conquirent l'est du Guangxi. L'empereur Qin Shi Huang voulut unifier le pays et y établit trois préfectures. Il amorça un programme de transfert de la population chinoise afin de renforcer son autorité dans cette partie du pays. Ils construisirent des canaux d'irrigation pour relier les fleuves Xiang et Lijiang, et former le canal Lingqu. Lorsque les Han prirent le pouvoir, ils installèrent des postes militaires à Guilin, Wuzhou et Yulin, ce qui réduisit l'autonomie administrative locale. Mais en 42 de notre ère, un certain général Ma Yuan du Tonkin organisa une révolte et réussit à restaurer l'autorité zhuang et à améliorer la qualité de vie des Zhuang. Des temples en l'honneur de cet illustre général existent encore aujourd'hui.

3.1 Le premier éclatement zhuang

Après la chute de la dynastie Han (v. 200), de nombreux Yao en provenance du Hunan vinrent s'installer dans le Guangxi, notamment dans la région de Guiping. Étant donné que les Yao étaient réfractaires à toute intégration, ils s'opposèrent rapidement aux Chinois han, ce qui valut aux Zhuang des représailles de la part des Han. Sous la dynastie Tang (618 à 907), le Guangxi, le Hainan et le Guangdong firent partie de la province de Ling-nan Tao. Les Zhuang décidèrent de se ranger du côté du royaume thaï de Nanchao dans le Yunnan, ce qui eut pour résultat de diviser le peuple zhuang entre une partie pro-zhuang à l'ouest de Nanning et une partie pro-han à l'est de Nanning. Cette division provoquera une fragmentation entre les parlers zhuang: le zhuang du Nord ou septentrional et le zhuang du Sud ou méridional. C'est à cette époque que les Chinois commencèrent à écrire sur les relations qu'ils avaient avec les «barbares du Sud», car pour les Chinois les Zhuang étaient considérés comme des «primitifs», pas autant que les autres peuples de la région, mais ils l'étaient quand même. Les Chinois s'employèrent à étendre leur mode de vie aux peuples du Sud. Pour ce faire, ils y établirent des écoles confucéennes, implantèrent leurs méthodes d'agriculture intensive et parfois détruisirent les temples locaux.

Évidemment, l'expansion chinoise ne se réduit pas à une émigration pacifique: elle s'accompagna aussi de conflits militaires. Au Xe siècle, la dynastie Song (960-1279) annexa le Guangxi, ce qui aggrava les conflits entre les Yao, les Zhuang et les Han.  En 1052, les Zhuang, sous la direction de Nong Zhigao, se soulevèrent et fondèrent un royaume indépendant dans le Sud-Ouest. La révolte fut rapidement écrasée par les Chinois qui devinrent encore plus violents, en même temps que les Zhuang se révoltaient davantage. Les Chinois demeurèrent incapables d'étendre leur contrôle sur tous les Zhuang. Lorsque la dynastie Song fut remplacée par la dynastie Yuan (1271-1368), celle-ci décida de faire du Guangxi une «province chinoise» en lieu et place d'un territoire occupé. Les résultats ne se firent pas attendre, car toute la région sombra dans le chaos, alors que les Zhuang, les Yao et ensuite les Miao (arrivés du Guizhou et du Hunan) se soulevaient continuellement contre le pouvoir chinois. En même temps, de nombreux paysans chinois s'installèrent dans le Sud et colonisèrent les régions du fleuve Xiang, ce qui incita les Zhuang à émigrer vers l'Ouest en laissant derrière eux les groupes de Zhuang qui s'assimilaient aux Han.

3.2 La poursuite des conflits ethniques

Sous la dynastie Ming (1368-1644), la Guangxi connut une autre sombre période. Afin de calmer la région, les Chinois équipèrent une armée pour que les Zhuang puissent se défendre contre les Yao. Une fois ces derniers éliminés, l'armée se retourna contre les chefs zhuang pour les éliminer à leur tour. Les guerres entre les Zhuang et les Chinois firent des milliers de victimes, dont 20 000 pour la seule bataille de Rattan en 1465. C'est à cette époque que les principales villes du Guangxi connurent la prospérité. Tout le Sud et les principales villes du Guangxi se sinisèrent.

Le Guangxi vécut dans la tourmente durant une grande partie du règne de la dynastie Qing (1644-1912). La région se calma pour un temps à partir de 1726, c'est-à-dire lorsque les Chinois imposèrent l'administration directe dans la province qui fut gouvernée par un vice-roi. Le gouvernement impérial encouragea la colonisation chinoise de l'exploitation des côtes et des frontières vers le Vietnam. Une siècle plus tard, les révoltes recommencèrent avec les Yao en 1831, puis en 1850 lors de la rébellion Taiping (1851-1864), en 1858 avec la seconde guerre de l'opium et en 1885 avec la guerre franco-chinoise. Les Zhuang et les Han du Guangxi formèrent l’Armée de la Bannière noire et refoulèrent les Français à trois reprises, dont lors de la célèbre victoire de Zhennanguan, à la frontière de la Chine et du Vietnam. Ces événements successifs causèrent une grave dépression économique qui dura tout au long du XIXe siècle. L'ouest de la province du Guangxi, avec ses minorités vivant dans leurs régions montagneuses, demeura isolé des grands bouleversements et évènements qui ébranlèrent la Chine au XIXe siècle.

Après la chute des Qing en 1912, les Zhuang mandatèrent des représentants auprès de Pékin pour réclamer l'autonomie du Guangxi, mais les pourparlers n'aboutirent jamais. L'effondrement du gouvernement provincial du Guangxi en 1921 entraîna une foule de problèmes pour les Zhuang. Des bandes de vagabonds et de soldats démobilisés commencèrent à ravager les petites fermes zhuang. Les Zhuang se révoltèrent en 1927 et imposèrent une semi-autonomie durant deux ans, soit jusqu'à ce que le général Tchang Kaï-chek réussisse à écraser la révolte en 1929. Néanmoins, la province ne connut pas la paix, car le Guangxi demeura complètement désorganisé, abandonné à trois seigneurs de la guerre, appelés «clique du Guangxi», jusqu'en 1950. La province devint une cible privilégié lors de la Seconde Guerre mondiale, alors que les Japonais envahirent la côte dès 1939. Les envahisseurs organisèrent une offensive contre la partie ouest du Guangxi, mais la guérilla zhuang et une contre-attaque chinoise les repoussèrent. À cette époque, le Guangxi était infesté de bandits et de rebelles, et parcouru de conflits ethniques. Les autorités civiles installées à Guilin (alors la capitale), souvent peu en contact avec le gouvernement central, étaient généralement laissées à leur propre initiative, soit tolérantes ou rigides, selon les intérêts locaux du moment. Parmi toutes les nationalités de Chine, les Zhuang furent à peu près le seul peuple qui reçut avec bienveillance l'Armée populaire de libération lors de sa marche dans la province en 1949. Pour certains observateurs, ce simple fait était révélateur de la faible résistance des Zhuang par rapport à la civilisation han. Autrement dit, les Zhuang étaient déjà acquis à l'idéologie chinoise.

3.3 Le statut de région autonome

Le 15 mars 1958, la province du Guangxi devint officiellement la Région autonome zhuang du Guangxi, avec Nanning comme capitale à la place de Guilin. Mais les Zhuang n'avaient guère exigé un tel statut. Il n'existait plus aucun mouvement national en ce sens dans le Guangxi. En réalité, ce sont les autorités chinoises qui sentirent le besoin d'accorder ce statut, non pas pour protéger les Zhuang déjà minoritaires (36,9 %), mais pour se doter d'un modèle reflétant leur politique et leur idéologie, celles de la République populaire de Chine. C'était aussi une façon pour le Parti communiste chinois de répliquer à la montée massive du nationalisme des nationalités (le chauvinisme local) en offrant un modèle de région autonome dont le choix portait sur une nationalité déjà fortement assimilée. Même la nouvelle capitale, Nanning, n'était pas contrôlée par les Zhuang; car elle était presque entièrement sinisée, contrairement à Guilin. Afin de se conformer à l'idéologie de la construction socialiste du Parti communiste chinois, une représentation proportionnelle stricte fut respectée dans l'élection du premier Conseil populaire de la nouvelle région autonome. Les Zhuang reçurent alors trois des dix postes de la vice-présidence, les Yao, les Dong et les Miao en reçurent chacun un, et les Han, quatre. Cependant, seuls les représentants des nationalités étaient bilingues, les Han demeurant unilingues chinois. Les assemblées devaient donc se dérouler en chinois.

En ce qui a trait à la question linguistique, les Zhuang pouvaient difficilement administrer leur propre région autonome dans leur langue ancestrale, puisqu'ils ne disposaient même pas encore d'écriture. De plus, ils étaient aussi analphabètes en chinois qu'en zhuang. Ceux qui devaient écrire le faisaient nécessairement avec les caractères chinois. Quelques mois après le 15 mars 1958, le Conseil d'État de la République populaire, de sa propre initiative, adoptait un alphabet romanisé pour les Zhuang. Aussitôt, quelque 350 000 Zhuang, sur une population de 7,3 millions, durent immédiatement utiliser le nouvel alphabet donné si généreusement par le peuple chinois.

La région profita ensuite d’une politique de développement économique et social à l'égard des minorités, mais les cantons zhuang demeurèrent en marge de cette prospérité économique. Ce sont les Han du Nord-Est et de l'Est qui en profitèrent. Au cours des années soixante-dix, le statut de région autonome n'avait pas encore apporté l'auto-administration promise et ne correspondait plus qu'à une façade qui n'avait rien à voir avec les pratiques sinisantes. L'effet sur les Zhuang a été plutôt d'accélérer leur assimilation au lieu de renforcer leur autonomie et leur identité. Le 21 juillet 1973, la radio officielle de Nanning pouvait fièrement annoncer: «Plusieurs cadres des minorités du pays ont été formés pour jouer un rôle important dans la révolution et la construction socialiste. Les peuples zhuang, yao, dong et les autres minorités comptent maintenant 87,4 % des cadres aux niveaux du canton, de la commune et de la brigade.» Sauf qu'on ne mentionnait pas de quel type de cadre il s'agissait. Parmi les postes élevés, il ne restait plus qu'un seul Zhuang, complètement sinisé. 

Fait à noter, les minorités ont droit à deux enfants (au lieu d'un seul) avec un délai de quatre ans obligatoire avant la naissance du deuxième enfant. Cependant, en mai 2007, près de 50 000 paysans du Guangxi ont lancé des pierres à la police anti-émeute durant deux jours. Les autorités locales avaient imposé aux familles n'ayant pas respecté la politique de limitation des naissances des amendes équivalentes à dix fois leur revenu annuel. Les fonctionnaires chargés de faire respecter la loi auraient été tués par la foule.

Aujourd'hui, beaucoup de Zhuang plus âgés considèrent que leur peuple s'assimile inexorablement à la langue et à la culture han. Tout ce qui demeure vivant dans la culture zhuang correspond uniquement à la musique et aux vêtements traditionnels portés lors des fêtes nationales.  Bref, les autorités chinoises encouragent les Zhuang à sauvegarder surtout leur folklore hérité de la culture thaïe. Il n'en demeure pas moins que, pour les autorités chinoises, la Région autonome du Guangxi est devenue une province chinoise comme les autres.

3 La politique linguistique

La Région autonome du Guangxi ne dispose pas d'une politique linguistique propre, puisque c'est le gouvernement central qui prend toutes les décisions à ce sujet. Rappelons l'article 4 de la Constitution chinoise qui reconnaît le droit aux minorités de conserver et d'enrichir leur langue:

Article 4

Nationalités, minorités, régions, langues

1) Toutes les nationalités de la République populaire de Chine sont égales en droits. L'État protège les droits et les intérêts légitimes de toutes les minorités nationales, maintient et développe les rapports entre les nationalités selon le principe de l'égalité, de la solidarité et de l'entraide. Toute discrimination ou toute oppression à l'égard d'une nationalité, quelle qu'elle soit, est interdite; tout acte visant à saper l'unité nationale et établir un séparatisme ethnique est proscrit.

2) L'État aide les régions des minorités nationales à accélérer leur développement économique et culturel en tenant compte de leurs particularités et de leurs besoins.

3) Les régions où se rassemblent les minorités ethniques appliquent l'autonomie régionale; elles établissent des organismes administratifs autonomes et exercent leur droit à l'autonomie. Aucune des régions d'autonomie ethnique ne peut être séparée de la République populaire de Chine.

4) Toutes les nationalités ont le droit d'utiliser et de développer leur propre langue et leur propre écriture, de conserver ou de réformer leurs us et coutumes.

L'une des parties du premier paragraphe est importante, car elle peut servir à limiter ou à supprimer des droits accordés: «Tout acte visant à saper l'unité nationale et établir un séparatisme ethnique est proscrit.»

L'article 119 de la même Constitution précise que les organismes d'autonomie des régions ethniques autonomes administrent librement l'éducation, les sciences, la culture, etc., et protègent et collectent le patrimoine culturel ethnique, développent et font rayonner la culture des nationalités:

Article 119

Éducation autonome

Les organismes d'autonomie des régions ethniques autonomes administrent librement l'éducation, les sciences, la culture, la santé et les sports de la région, protègent et collectent le patrimoine culturel ethnique, développent et font rayonner la culture des nationalités.

Enfin, l'article 134 de la Constitution prévoit que «les citoyens des différentes les nationalités du pays ont le droit d'utiliser leur propre langue parlée et écrite au cours des procès»:

Article 134

Langue des procès

1) Les citoyens des différentes les nationalités du pays ont le droit d'utiliser leur propre langue parlée et écrite au cours des procès. Pour les parties ne possédant pas la langue et l'écriture en usage dans la localité, le tribunal populaire et le parquet populaire doivent assurer la traduction.

2) Dans les régions à forte concentration d'une ou de plusieurs nationalités, il est obligatoire d'employer, au cours des audiences, la langue parlée en usage dans la région; les actes d'accusation, verdicts, avis au public et autres documents utilisent, selon les besoins réels, la ou les écritures en usage dans la région.

Cela étant dit, on peut comprendre que le zhuang ou toute autre langue puisse être utilisé dans l'administration locale, ainsi que dans les tribunaux et les écoles. Il faut vérifier dans les faits si cette politique est mise en pratique.

4.1  L'Administration locale et la législation

Toute l'administration gouvernementale est chinoise, à l'exception de plusieurs postes subalternes dans les villes où cohabitent les Han et les Zhuang. La quasi-totalité des cadres, des fonctionnaires, des gens d'affaires, des juges, des enseignants, etc., est d'origine chinoise. Comme le zhuang est théoriquement une langue officielle dans la région autonome, certains documents officiels paraissent en zhuang. Il n'est pas toujours aisé d'utiliser, par exemple, le zhuang ou le yao dans les bureaux administratifs, car il s'est installé depuis longtemps une pratique qui favorisait le chinois officiel. Partout, c'est le chinois qui sert de langue de travail. Dans toutes les administrations gouvernementales (bureaux, banques, postes, stations d’autobus, etc.), la plupart des documents ne sont rédigés aujourd'hui qu'en chinois, rarement dans une langue minoritaire. Il en est ainsi des noms de localité (toponymes) qui, de façon progressive, perdent leur dénomination zhuang ou yao pour une dénomination chinoise.

4.2 La justice

Rappelons que, d'après l'article 134 de la Constitution chinoise, les citoyens des différentes les nationalités du pays ont le droit d'utiliser leur propre langue parlée et écrite au cours des procès. Officiellement, la procédure judiciaire peut se dérouler en zhuang ou dans une autre langue minoritaire. Théoriquement,. dans le domaine judiciaire, les Zhuang bénéficient, comme les habitants des autres régions, de tous les droits prévus par la loi, mais la connaissance du chinois demeure incontournable. Il est extrêmement rare qu'un juge comprenne le zhuang ou le yao, pour ne mentionner que ces deux seules langues, le recours à un interprète étant systématique. Légalement, les juges ne sont pas tenus de savoir le tibétain. C'est le principe du droit de parler sa langue maternelle, qui n'implique pas nécessairement celui d'être compris. 

4.3 L'éducation

L'État chinois a élaboré des principes généraux en matière de protection linguistique, tout en mettant en vigueur un enseignement de la langue nationale à tous les citoyens du pays. En fait, l'utilisation du zhuang en éducation fait face à de sérieux problèmes dans la mesure où l'éducation a été perçue comme le moyen privilégié pour inculquer la fidélité à l'État chinois. Pourtant, conformément à l'article 36 de la Loi sur l'autonomie des régions ethniques (1984), les organismes autonomes peuvent décider de la langue enseignée dans les écoles de leur région ou district:

Article 36

Conformément à la politique de l'éducation de l'État, les institutions autonomes peuvent déterminer, d'après la loi, les plans de l'éducation dans la région, l'installation de différentes écoles, la scolarité, les formes, les méthodes, les programmes d'enseignement, la langue employée dans l'enseignement et les règlements de sélection des élèves ou des étudiants.

Il en est ainsi de l'article 12 de la Loi sur l'éducation de 1995, sauf qu'il est clairement énoncé que le chinois demeure obligatoire:

Article 12

1) La langue chinoise, tant à l'oral qu'à l'écrit, est la base de la langue d'enseignement oral et écrit dans les écoles et les autres établissements d'enseignement. Les écoles et d'autres établissements d'enseignement destinés essentiellement aux enfants des minorités nationales peuvent employer pour leur instruction la langue maternelle ou celle de la nationalité généralement en usage dans cette région.

2) Les écoles et les autres établissements d'enseignement doivent dans leurs activités pédagogiques répandre le chinois national commun parlé ainsi que les règles des caractères écrits.

Par ailleurs, la Chine a signé, le 2 mars 1992, la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989. L'article 30 énonce:

Article 30

Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes d'origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d'avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d'employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe.

La Chine est ainsi obligée de s'assurer que les Zhuang, les Mongols, les Tibétains, les Ouïgours et les autres minorités nationales bénéficient de la protection concernant les «minorités ethniques, religieuses ou linguistiques».

Le système d'éducation dans le Guangxi est fondé sur l'apprentissage de la langue maternelle durant les premières années du primaire, mais l'enseignement du chinois (putonghua) demeure obligatoire pour les minorités. De leur côté, les Chinois n'ont pas à apprendre ces langues. Dans le Guangxi, les Chinois ont droit à une instruction en chinois et apprennent l'anglais comme langue seconde. Quant aux membres des nationalités, ils peuvent recevoir leur instruction dans leur langue, mais ce droit n'est réel que dans les zones rurales et les villages où ils sont en concentration suffisante. Dans les villes, ce sont surtout des écoles bilingues, généralement en zhuang (ou en yao) et en chinois, mais dans les grandes villes seules les écoles chinoises sont disponibles. Au secondaire, il n'existe guère d'écoles où l'on enseigne en une langue minoritaire. L'un des problèmes provient du fait que, malgré la législation en vigueur, l’école obligatoire durant le primaire n'est pas gratuite. En raison de la pauvreté des familles zhuang, yao, miao, etc., la plupart des filles ne peuvent fréquenter l'école, alors que la priorité est accordée aux garçons. De plus, beaucoup de garçons délaissent l'école avant d'arriver au secondaire.

Le gouvernement régional a accordé une certaine priorité à l'instruction dans les langues minoritaires pour les écoles destinées à l'agriculture, la sylviculture, la pêche et la culture des rizières. Des manuels ont été traduits en zhuang et en yao, mais ils ne sont disponibles que pour le réseau du primaire. Le problème le plus important, c'est le taux de décrochage des élèves dans les régions rurales. En Chine, lorsqu’on parle de quelqu'un qui utilise une langue minoritaire et qui n’a pas été à l’école, on dit de cette personne meiyou wenhua, c'est-à-dire que cette personne «n’est pas civilisée».

Il existe une vingtaine d'établissements d'enseignement supérieur dans le Guangxi. D'après les sources gouvernementales, la moitié des étudiants seraient des membres des minorités, mais ce pourcentage concerne surtout l'Institut ethnique du Guangxi. Les écoles chinoises reçoivent un financement gouvernemental plus élevé que celui prévu aux écoles des minorités ethniques.

La formation des maîtres dans le Guangxi connaît aussi ses problèmes dans la mesure où les frais de scolarité et de subsistance sont tellement élevés que beaucoup de Zhuang ne peuvent faire carrière dans l'enseignement. En moyenne, ces frais atteignent plus de 15 000 yuan (2100 $ US ou 1416 €) pour la durée de la formation (cinq années). De plus, à peu près personne ne désire enseigner dans les villages de montagne. Dans la plupart des cas, ce sont des citoyens du village qui enseignent aux enfants, mais comme ils n'ont pas reçu une formation adéquate ils ne bénéficient pas d'un poste officiel, ni du salaire correspondant, et ne disposent que d'un statut fort précaire.

L'arrivée de nouveaux immigrants chinois de plus en plus qualifiés et maîtrisant mieux le chinois a pour effet de marginaliser la main-d’œuvre locale. La langue zhuang, bien que valorisée de façon épisodique, est généralement un moyen commode de discrimination aux mains des dirigeants politiques au nom de l'idéologie sinisante. Malgré les dispositions linguistiques dans la législation chinoise nationale, la langue zhuang s'achemine vers l'extinction parce qu'elle ne constitue plus un moyen collectif de communication dans le Guangxi. Le gouvernement central a créé une demande incontournable pour la langue chinoise en brandissant la menace du chômage pour ceux qui s'en tiennent à une seule langue minoritaire. De toute façon, peu de Zhuang insistent pour conserver leur langue. Les communautés minoritaires ne pèsent jamais lourd dans les prises de décision économiques, et ce, même au niveau local.

4.4 Les médias

Comme dans toute la Chine, la presse n'est pas libre au Guangxi. Les autorités chinoises contrôlent totalement les médias tant écrits qu'électroniques. Toutes les stations de radio et de télévision du Guangxi émettent en chinois mandarin, parfois en cantonais (ou en pinghua de Nanning) ou en hakka. Seules les stations de radio de l'Ouest diffusent quelques heures par semaine en zhuang, en yao, en miao, en li, etc. Selon le gouvernement de Pékin, les langues des nationalités sont largement employées dans les médias et les publications. En réalité, pratiquement tous les journaux, livres et périodiques distribués dans le Guangxi sont en chinois, très exceptionnellement dans ces langues.

Comme dans toutes les provinces chinoises et les autres régions autonomes, les stations de télévision et de radios demeurent d'importants outils de propagande pour les autorités chinoises. Ainsi, les discours des principaux dirigeants chinois sont régulièrement retransmis, généralement en chinois, afin de contrer les «activités contre-révolutionnaires» au nom de la «nécessaire dictature du prolétariat». Les journalistes de la radio et de la télévision sont dans l'obligation d'appliquer la «politique de sinisation».

 

La Région autonome zhuang du Guangxi n'a jamais été contrôlée par les Zhuang, mais par les autorités centrales de Pékin. Les représentants zhuang doivent composer avec une politique chinoise qui les ignore totalement. La politique linguistique prioritaire ne concerne que les sinophones, les Han. Il s'agit de promouvoir le putonghua et de tenter de réduire les différenciations dialectales et idéalement les autres langues chinoises telles que le hakka, le xiang ou le cantonais. La politique à l'égard des nationalités est réduite à sa plus simple expression: quelques affiches administratifs bilingues, quelques heures par semaine d'émissions radiophoniques dans la langue des nationalités, quelques rarissimes journaux locaux, etc.  La politique linguistique appliquée dans le Guangxi correspond à une politique d'assimilation puisqu'elle ne cherche pas à protéger les langues minoritaires, mais à temporiser en attendant que les Zhuang et les Yao s'assimilent au chinois. Quoi qu'il en soit, toute politique orientée dans la pratique vers la sauvegarde d'une langue minoritaire sera perçue comme anti-patriotique par les Chinois. 

Malgré les déclarations officielles, le chinois mandarin (putonghua) reste la principale langue de communication dans la Région autonome du Guangxi. À la rigueur, le cantonais et le hakka vont prédominer localement sur le mandarin. Le zhuang et les autres langues ne servent qu'aux communications informelles dans les villages des montagnes. Les autorités chinoises accordent toujours la préférence du travail aux Chinois, sous prétexte que les membres des nationalités ne sont pas suffisamment qualifiés. Dans ces conditions, les langues minoritaires comme le zhuang ou le yao se détériorent graduellement.

Comme ailleurs en Chine, il semble que les lois de protection ne soient là que pour masquer les pratiques de sinisation et de «nettoyage ethnique». Ces instruments juridiques, qui ne servent pas à protéger la langue minoritaire, sont là pour amadouer la communauté internationale et protéger théoriquement les petites minorités nationales (Miao, Dong, Mulao, Maonan, Jing, Yi, Sui et Gelao) ne constituant pas un menace pour la Nation chinoise.  Il convient toujours de se rappeler qu'en Chine les politiques linguistiques pratiquées à l'égard des nationalités ont des objectifs théoriques de protection, tout en dissimulant une stratégie de contrôle destinée à les intégrer de force dans la Grande Nation chinoise. Dans le Guangxi, la politique d'assimilation est en voie de réussir à court terme. Certains estiment que, quelles que soient les mesures qu'on pourrait adopter pour y remédier, il est trop tard, sauf si la politique de la République populaire de Chine suscitait, contre toute attente, un fort mouvement identitaire chez les Zhuang.

 

Dernière mise à jour: 25 déc. 2015
  Chine  

(1)
Région autonome zhuang
du Guangxi
 

(2) Région autonome
de Mongolie intérieure

(3) Région autonome
ouïgoure du Xinjiang
(4) Région autonome hui
du Ningxia
(5) Région autonome
du Tibet
(6) La politique linguistique à l'égard des minorités nationales


(7)
Loi sur l'autonomie des régions ethniques (1984)

(8) Bibliographie

L'Asie
Accueil: aménagement linguistique dans le monde