République de Singapour
Singapour

Republic of Singapore (anglais)
Republik Singapura (malais)
Cingkappūrā Kudiyaracu (tamoul)
Xīnjīapō Gònghégúo (chinois)
新加坡共和国

Capitale: Singapour
Population: 5,7 millions (2018) 
Langues officielles: malais, chinois, tamoul et anglais (État officiellement quadrilingue)
Groupe majoritaire: aucun (langue)
Groupes minoritaires: min nan (39,5 %), malais (11,5 %), cantonais (8,9 ), mandarin (4,6 %), hakka (4,5 %), anglais (3,7 %), tamoul (3,4 %), filipino (1,6 %), thaï (0,9 %), javanais, japonais, pu-xian, madura, malayalam, penjabi, créole portugais de Malacca, cinghalais, min bei, baba malais, kannada, bouguinais, palembang, hindi, sindhi, coréen, arabe, min dong, gujarati, bengali, allemand, batak toba, orang seletar, télougou, arménien, etc.
Langue coloniale: anglais
Système politique: république parlementaire autoritaire
Articles constitutionnels (langue):
art. 44, 53, 123, 127, 150, 152, 153 et 153A de la Constitution du 9 août 1965 modifiée en 1995 avec les dispositions linguistiques.
Lois avec des dispositions linguistiques: 
Loi sur les sociétés (1961) ; Loi sur l'indépendance de la république de Singapour (1965) ; Loi sur l'administration du droit musulman (1968) ; Code de procédure criminelle (1985) ; Loi sur le contrôle des prix (1985) ; Loi sur les prêteurs sur gages (1994) ; Loi sur les valeurs mobilières et les contrats (2003) ; Loi sur les fiducies commerciales (2004) ; Loi sur les brevets d'invention (2004) ; Loi sur le contrôle des pourriels (2007) ; Loi sur les banques (2008) ; Loi sur les prêteurs (2008).

Avis: cette page a été révisée par Lionel Jean, linguiste-grammairien.

1 Situation géographique

Singapour (officiellement: république de Singapour) est un petit État du Sud-Est asiatique de 704,5 km² situé à l’extrémité sud de la péninsule de Malacca en Malaisie. Cette île minuscule de 40 km sur 60 km est l'un des plus petits pays au monde, soit près de 45 fois plus petit que la Belgique déjà petite en superficie (32 545 km²). À titre de comparaison, l'île de Montréal (au Québec, Canada) s'étend sur 500 km², ce qui est légèrement moins grand que Singapour qui constitue une cité-État.

C’est un archipel formé d’une île principale (île de Singapour appelée aussi Pulau Ujong) et de près d'une soixantaine d'îlots (voir la carte détaillée). L'île de Singapour est séparée de la Malaisie au nord par le détroit de Johor; sa largeur est d'environ un kilomètre sur une cinquantaine de kilomètres de longueur. Depuis 1924, le détroit est traversé par une digue, la chaussée Johor-Singapour reliant Singapour et la Malaisie, et située à mi-parcours du détroit.

Au sud, l'île est séparée de l'archipel de Riau (Indonésie) par le détroit de Singapour, une importante voie navigable qui relie l'océan Indien, à l'ouest, à la mer de Chine méridionale, à l'est.

Bien que la petite taille de Singapour ne favorise pas la création de subdivisions territoriales sous la forme de provinces, d’États et d’autres divisions administratives, la cité-État a néanmoins été subdivisée en cinq «régions», pour des raisons d'ordre administratif et urbanistique:

- la région du Sud-Ouest ("South West");
- la région du Nord-Ouest ("North West");
- la région du Centre ("Singapore Central");
- la région du Nord-Est ("North East");
- la région du Sud-Est ("South East").

Chacune de ces régions, appelées en abrégé CDC ("Community Development Councils" = Conseils de développement communautaire) est ensuite divisée en circonscriptions électorales et en conseils municipaux.  La municipalité de Singapour elle-même se trouve à l'extrémité sud-est de l'île, avec son aéroport; c'est aussi l'une des villes portuaires et l'un des centres commerciaux les plus importants de toute l'Asie du Sud-Est.

Singapour est un ancien archipel britannique (1819), qui fit partie de l’un des 14 États de la fédération de Malaisie en 1963, mais la cité-État quitta la fédération en 1965 pour devenir une république indépendante.

2 Données démolinguistiques

Région Superficie km² Population
Recensement 2010
% Population 2017
Estimation
%
Région centrale 132,7 km² 929 082 18,3 % 930 900 16,5 %
Région du Sud-Est 93,1 km² 692 280 13,6 % 690 510 12,3 %
Région du Nord-Est 103,9 km² 747 216 14,7 % 889 300 15,8 %
Région du Nord-Ouest 134,5 km² 504 920 9,9 % 543 360 9,6 %
Région du Sud-Ouest 201,3 km² 893 739 17,6 % 911 760 16,2 %
Population non résidente - 1 305 000 25,7 % 1 646 457 29,3 %
Total 704,5 km² 5 076 700 100 % 5 612 253 100 %
Ce petit pays dont la population est très concentrée comptait 5,7 millions d’habitants en 2018 (contre 5,6 millions en 2017). Chacune des régions compte pour 9,6% à 16,5% de la population. Ce qui surprend, c'est la proportion des non-résidents, soit 29,3 %, par rapport aux résidents (70,7 %). 

En termes simples, les résidents sont des personnes nées dans l'archipel ou qui y séjournent à long terme; ils cherchent à construire leur vie à Singapour. Les non-résidents sont des ressortissants étrangers qui vivent temporairement à Singapour, ordinairement pour y travailler ou y étudier. 

Les non-résidents sont des titulaires de permis de travail, des détenteurs d'un emploi et d'un titre de séjour, d'étudiants, de travailleurs étrangers et de personnes à charge.

2.1 Les ethnies

Officiellement, la composition ethnique de Singapour est de 76,8 % de Chinois, de 13,9 % de Malais et de 7,9 % d'Indiens; il reste 1,4% de ceux qu'on pourrait appeler les «autres», une catégorie forcément diversifiée.

De tous les groupes ethniques, les Chinois constituent l'ethnie la plus importante, même si l'on distingue divers sous-groupes de Chinois : les Min nan ou Taiwanais, les Mandarins, les Hakka, les Cantonais, les Pu-Xian, les Min bei, les Baba, les Hui, etc. Les deux autres groupes ethniques importants sont les Malais et les Indiens (Tamouls, Malayalis, Panjabis, Cinghalais, Kanarais, Sinds, etc.).

On retrouve aussi beaucoup d'Occidentaux (Australiens, Britanniques, Américains, Néo-Zélandais, Allemands, etc.). Il y a enfin d'autres étrangers tels que les Japonais, les Philippins, les Thaïs, les Siamois et plusieurs autres petites communautés.

Les Chinois ne sont pas des Singapouriens d'origine; ils ont fui le sud de la Chine pour immigrer à Singapour avant ou immédiatement après la Seconde Guerre mondiale. Historiquement parlant, les Malais sont les «vrais» Singapouriens, car ils font partie d'une grande aire linguistique réunissant Singapour, la Malaisie et l'Indonésie; ils ont été minorisés sur leur territoire, mais ils ont bénéficié de l'apport des Indonésiens très proches parents des Malais. Les Indiens sont en principe le troisième groupe ethnique majeur, mais ils ne forment pas des communautés homogènes puisqu'on y trouve des Tamouls, des Bengalis, des Panjabis, des Hindis, des Sinds, des Gujarates, des Ourdous, etc.

Pour simplifier, on peut admettre que tous les autres sont des étrangers, occidentaux ou non, dont une grande partie de ceux qui parlent anglais. Il importe de souligner que les Chinois, les Malais, les Indiens et les autres ne partagent ni les mêmes valeurs, ni les mêmes coutumes, ni les mêmes langues, ni les mêmes religions.

Ethnie Population Pourcentage Langue maternelle Affiliation linguistique Religion
Chinois mandariphone 1,432,000 24,8 % chinois mandarin

langue sino-tibétaine

bouddhisme
Chinois min nan (taïwanais) 1,202,000 20,8 % chinois min nan langue sino-tibétaine bouddhisme
Chinois teochew 603,000 10, 4 % chinois min nan langue sino-tibétaine bouddhisme
Chinois cantonais 439,000 7,6 % chinois cantonais langue sino-tibétaine bouddhisme
Malais 391,000 6,7 % malais langue austronésienne islam
Chinois hakka 250,000 4,3 % chinois hakka langue sino-tibétaine aucune
Chinois hananais 191,000 3,3 % chinois min nan langue sino-tibétaine aucune
Philippins 155,000 2,6 % filipino langue austronésienne chrétienne
Indonésiens 118,000 2,0 % indonésien langue austronésienne islam
Tamouls 118,000 2,0 % tamoul langue dravidienne hindouisme
Javanais 91,000 1,5 % javanais langue austronésienne islam
Bengalis 76,000 1,3 % bengali  langue indo-iranienne islam
Anglo-Indiens 76,000 1,3 % anglais langue germanique hindouisme
Chinois han-min de l'Est 56,000 0,9 % chinois min dong langue sino-tibétaine aucune
Britanniques 55,000 0,9 % anglais langue germanique chrétienne
Eurasiens (Métis) 54,000 0,9 % anglais langue germanique chrétienne
Thaïlandais du Centre 46,000 0,7 % thaï famille thaï-kadai bouddhisme
Japonais 39,000 0,6 % japonais famille japonaise bouddhisme
Madourais 28,000 0,4 % madourais langue austronésienne islam
Chinois de Puxian 27,000 0,4 % chinois puxian langue sino-tibétaine aucune
Malayalis 27,000 0,4 % malayalam langue dravidienne hindouisme
Panjabis 25,000 0,4 % panjabi langue indo-iranienne religion ethnique
Kristang de Malacca 24,000 0,4 % créole portugais de Malacca créole (portugais) chrétienne
Kanarais 22,000 0,3 % kannada langue dravidienne hindouisme
Chinois métis 19,000 0,3 % malais langue austronésienne religion ethnique
Chinois han-min 18,000 0,3 % chinois min bei langue sino-tibétaine aucune
Cinghalais 16,000 0,2 % cinghalais langue indo-iranienne bouddhisme
Malais des îles Riau 16,000 0,2 % malais langue austronésienne islam
Anglo-Malaisiens 16,000 0,2 % anglais langue germanique islam
Chinois hui (musulmans) 16,000 0,2 % chinois mandarin langue sino-tibétaine islam
Indiens (Hindis) 13,000 0,2 % hindi langue indo-iranienne hindouisme
Bouguinais 11,000 0,1 % bouguinais langue austronésienne islam
Créoles bazars 11,000 0,1 % malais des bazars langue austronésienne islam
Égyptiens 11,000 0,1 % arabe égyptien langue afro-asiatique islam
Coréens 11,000 0,1 % coréen famille coréenne aucune
Palembangais 11,000 0,1 % palembang langue austronésienne Islam
Américains 8,100 0,1 % anglais langue germanique chrétienne
Sinds 4,300 0,0 % sindhi langue indo-iranienne hindouisme
Goujarates 4,200 0,0 % gujarati langue indo-iranienne hindouisme
Ourdous 3,200 0,0 % ourdou langue indo-iranienne islam
Anglo-Néo-Zélandais 2,800 0,0 % anglais langue germanique chrétienne
Anglo-Australiens 2,700 0,0 % anglais langue germanique chrétienne
Allemands 1,600 0,0 % allemand langue germanique chrétienne
Orang seletar 1,200 0,0 % orang seletar langue austronésienne religion ethnique
Bataks 1,100 0,0 % batak toba langue austronésienne chrétienne
Turcs 900 0,0 % turc famille altaïque islam
Télougous 800 0,0 % télougou langue dravidienne hindouisme
Arméniens 500 0,0 % arménien isolat indo-européen chrétienne
Autres 35 000 0,6 % - - -
Total 2018 5 757 000 100,0 %      
Avant 1960, les divers groupes ethniques étaient concentrés dans des parties distinctes de Singapour, formant ainsi des enclaves. On distinguait des enclaves chinoises, malaises, indiennes et «eurasiennes». Les groupes ethniques se trouvaient ainsi séparés sur le territoire de Singapour. Cependant, depuis 1960, le gouvernement singapourien a utilisé les «logements publics» comme instruments politiques pour intégrer socialement sa population multiethnique. La fourniture de logements sociaux quasi universels combinés à un système de quotas résidentiels ethniques a joué un rôle déterminant dans la réalisation de ce plan.

Le système de quotas a été introduit en 1989 pour freiner la tendance des groupes ethniques à se regrouper entre eux, comme c'est le cas en général partout dans le monde. L'objectif du «quota ethnique» dans les logements sociaux était de favoriser l’intégration sociale en mélangeant les types d’appartements et les niveaux de revenus, en fournissant des espaces partagés et des services publics de qualité, et en veillant à ce qu’aucun quartier ne soit désavantagé et laissé pour compte.

Comme le logement public à Singapour était plus abordable et assez attrayant, les propriétaires d'une résidence publique se sont montrés plus conciliants pour accepter des voisins d'une autre ethnie. Il reste encore certaines enclaves chinoises, malaises et indiennes, mais moins qu'auparavant.

2.2 La multiplicité des langues

À Singapour, la dynamique linguistique s'avère complexe, puisque plusieurs ethnies peuvent parler la même langue et qu'une ethnie peut parler plusieurs langues. Aucune langue n'est majoritaire dans le pays, la langue la plus parlée rassemble les locuteurs du min nan (ou chinois taïwanais): 20,8 % + 10,4 % + 3,3 % = 34,5 % de la population totale. Or, cette langue chinoise ne jouit d'aucun statut officiel à Singapour. Le chinois mandarin est la langue qui suit avec 24,8 % de la population, et c'est l'une des quatre langues officielles, ce qui contribue à déclasser les autres langues chinoises (min nan, hakka, cantonais, min bei, etc.).

Le malais (officiel) et le cantonais sont parlés respectivement par 7,6 % de la population. Parmi les autres langues numériquement importantes, citons le filipino (2,6%), l'indonésien (2%), le tamoul (officiel, 2%), le javanais (1,5%), le bengali (1,3%) et l'anglais (officiel, 3,7%). Mais seuls le mandarin, le malais, le tamoul et l'anglais sont des langues officielles.

Toutes les autres langues sont parlées par un faible nombre de locuteurs : japonais, thaï, puxian, madura, malayalam, panjabi, créole portugais de Malacca, cinghalais, min bei, baba malais, kannada, bouguinais,  palembang, hindi, sindhi, coréen, arabe, japonais, vietnamien, etc. Ainsi, Singapour compte des langues austronésiennes comme le malais (groupe malayo-polynésien occidental), sino-tibétaines comme les langues chinoises, indo-iraniennes comme l'hindi et le panjabi, dravidiennes comme le tamoul, le télougou et le malayalam, sans oublier les langues germaniques comme l'anglais et l'allemand, une langue thaï-kadai (thaï), une langue japonaise (japonais), une langue coréenne (coréen), une langue afro-asiatique (arabe), etc.

2.3 Les quatre langues officielles

Comment font tous ces gens pour se comprendre? Ils ont recours à l'une ou l'autre des quatre langues officielles du pays: le chinois mandarin (idéogrammes chinois) est la langue véhiculaire pour tous les sinophones, le malais (alphabet latin) pour tous les Malais, les Indonésiens et les Philippins, le tamoul (alphabet tamoul) pour environ 60 % des Indo-Pakistanais, l'anglais (alphabet latin) pour tous les autres communautés linguistiques. L'ennui, c'est que deux langues officielles (anglais et mandarin) sont parlées majoritairement comme des langues secondes, beaucoup moins souvent comme langue maternelle: malais (6,7 %), anglais (3,7 %), mandarin (24,8 %), tamoul (2 %). La langue nationale est le malais et l'hymne national, «Majula Singapura», est chanté dans cette langue.

En somme, ces quatre langues comptent pour 36,4 % des langues maternelles du pays (dont 24,8 % pour le mandarin), mais permettent la communication avec la quasi-totalité des groupes ethniques, l'anglais ayant une longueur d'avance sur les autres langues. D'ailleurs, entre deux recensements, force est de constater la tendance des citoyens à utiliser de plus en plus l'anglais à la maison, surtout chez les Chinois. Bien que le malais soit considéré symboliquement comme la «langue nationale» de Singapour (et utilisé pour l'hymne national), les autorités au pouvoir ont toujours préféré promouvoir l'usage de l'anglais.

2.4 Le malais

Il convient de décrire plus amplement la situation du malais, l'une des quatre langues officielles de Singapour. C'est aussi la langue officielle de trois États voisins: le Brunei, l'Indonésie et la Malaisie. Singapour fait également partie de cet ensemble linguistique malais. Cependant, le malais parlé en Malaisie, à Singapour, à Brunei et en Indonésie est légèrement différent, surtout dans le lexique. On distingue le Bahasa Malaysia et le Bahasa Indonesia; le mot bahasa provient du sanskrit et signifie «langue».

Écriture malaise

Semua manusia dilahirkan bebas dan samarata dari segi kemuliaan dan hak-hak. Mereka mempunyai pemikiran dan perasaan hati dan hendaklah bertindak di antara satu sama lain dengan semangat persaudaraan.

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

Ce sont des raisons historiques qui expliquent ces différences entre les deux variétés de malais: l'Indonésie a été colonisée par les Hollandais; la Malaisie, par les Britanniques. Alors que le malais indonésien a été influencé par la néerlandais, le malais de Malaisie l'a été par l'anglais.

Le malais a traditionnellement été écrit avec l'alphabet arabe, mais l'écriture a été latinisée dans les années 1970. Il a fallu en même temps élaborer une norme commune aux deux grandes variétés de malais. La norme linguistique officielle, définie par le Dewan Bahasa dan Pustaka (ou Conseil de la langue et de l'écriture), a été acceptée par l'Indonésie, la Malaisie et le Brunei; il s'agit de la variété dite Bahasa Riau, c'est-à-dire la langue de l'archipel de Riau (face à Singapour), celui-ci étant considéré comme «le berceau du malais». Malgré les différences, l'intercompréhension demeure aisée entre les variétés de malais (à l'exemple de l'anglo-américain et l'anglo-britannique).

Dans le tableau qui suit, on peut comparer quelques mots en Bahasa Nalaysia (malais malaisien) et en Bahasa Indonesia (malais indonésien) de façon à évaluer quelque peu l'influence soit de l'anglais (Bahasa Malaysia) et du néerlandais (Bahasa Indonesia), dans la mesure où des mots ont été empruntés à l'une ou l'autre de ces langues (E):

Français Bahasa malaysia (malais) Anglais Bahasa indonesia (indonésien) Néerlandais
Mars Mac (E) March Maret (E) Maart
Août Ogos (E) August Agustus (E) Augustus
Défi cabaran Challenge tantangan Uitdaging
Parler bercakap To speak berbicara Spreken
Boutique kedai Shop toko Winkel
ticket - billet tiket (E) Ticket karcis (E) Kaartje
Pharmacie farmasi (E) Pharmacy apotik (E) Apotheek
Lundi Isnin Monday Senin Maandag
Restaurant restoran (E) Restaurant rumah makan (salle à manger) Restaurant
Parce que kerana Because karena Omdat
Hôpital hospital (E) Hospital rumah sakit (E) Ziekenhuis (dérivé)
Zoo zoo (E) Zoo kebun binatang (E) Dierentuin (dérivé)
Télévision televisyen (E) Television televisi (E) Televisie
Université universiti (E) University universitas (E) Universiteit
Bureau de poste pejabat pos (E) Post office kantor pos (E) Postkantoor
Voiture kereta Car mobil (E) Auto

On peut constater que certains mots malais ont été empruntés à l'anglais et au néerlandais: Mac/Maret, Ogos/Agustus, tiket/karcis, farmasi/apotik, televisyen/televisi, universiti/universitas. Au cours de l'histoire du malais, les mots d'origine européenne (néerlandais, anglais, portugais et espagnol) et arabe ne représentent qu'environ 5 % du total des mots; ceux d'origine sanskrite, près de 2 %. Tous les autres mots proviennent de diverses souches locales (malaises).

Parmi les autres variétés malaises encore parlées à Singapour, on peut citer le javanais, le minangkabau, le boyanais, le bougis, etc. Bien que ces variétés continuent d’être énumérées dans les recensements, les différences ethniques et culturelles ont été supprimées pour une catégorie singulière appelée «Malais». Mentionnons aussi le malais des bazars, un pidgin «malaisifié» qui a déjà été une langue véhiculaire du XVIe siècle jusque sous la domination britannique. Ajoutons enfin le baba malais, une variété de créole malais influencé par le chinois min nan. 

2.5 Le chinois mandarin

Le mandarin est généralement employé comme la langue véhiculaire entre toutes les communautés chinoises de Singapour. Connu sous le simple nom de «chinois» ("Chinese"), il s'agit de la langue maternelle désignée ou de la «langue ethnique» des Singapouriens d'origine chinoise, évidemment au détriment des autres variétés chinoises. Depuis 1979, le gouvernement a fait la promotion du mandarin par ses campagnes "Speak Mandarin" («Parlez mandarin»; en chinois: Shuō pǔtōnghuà). Le premier ministre de l'époque (Lee Kuan Yew) avait déclaré que le mandarin avait été choisi pour unifier la communauté chinoise par une seule langue. Avec la montée du nombre des locuteurs du mandarin à Singapour, les politiciens croyaient que ce nombre pourrait même dépasser celui des usagers de l'anglais.

À partir des années 1990, avec le développement des affaires et des échanges commerciaux avec la Chine continentale, le gouvernement singapourien a fait la promotion du mandarin en tant que langue à forte valeur économique. Aujourd'hui, le mandarin est généralement considéré comme un moyen de maintenir un lien étroit avec la culture chinoise. D'autres variétés chinoises sont également présentes à Singapour. Parmi celles-ci, le min nan était, jusque dans les années 1980, une langue de travail non officielle; c'est aussi la langue la plus parlée à Taiwan. Cette langue chinoise non officielle est néanmoins employée comme langue véhiculaire par les Singapouriens chinois et aussi par les Malais et les Indiens pour communiquer avec la communauté chinoise. À partir de 2012, les cinq principaux groupes linguistiques chinois à Singapour sont les locuteurs du min nan, du cantonais, du hakka, du min dong et du pu-xian.

Langue la plus parlée à la maison chez les résidents chinois âgés de 5 ans et plus
Langue maternelle 1990 2000 2010 1990
(%)
 
2000
(%)
 
2010
(%)
 
2015
(%)
Total 1,884,000 2,236,100 2,527,562 100,0   100,0   100,0   100,0
Anglais 363,400 533,900 824,616 19,3% 23,9% 32,6% 37,4%
Mandarin 566,200   1,008,500 1,206,556 30,1% 45,1% 47,7% 46,1%
Autres variétés chinoises 948,100   685,8000 485,765   50,3% 30,7% 19,2% 16,1%
 Autres 6,400   7,900   10,625   0,3% 0,4% 0,4 % 0,4%
Selon le recensement officiel de la population de 2010, le mandarin et les autres variétés de chinois sont les langues les plus couramment parlées à la maison. Elles sont employées par 46,1% pour le mandarin et 16,1% pour les autres langues chinoises, pour un total de 62,2% de la population sinophone. Le tableau ci-contre montre l'évolution de la répartition du mandarin et des autres variétés chinoises, ainsi que de l'anglais, en tant que langues maternelles de la population chinoise résidente de Singapour en 1990, en 2000 et en 2010.

 On peut observer que le pourcentage de la population qui parle anglais et mandarin a augmenté, tandis que le pourcentage de ceux qui parlent d'autres variétés chinoises s'est réduit, se limitant probablement aux personnes plus âgées.  L'anglais commence à remplacer le mandarin chez la nouvelle génération de Chinois de Singapour, en raison des effets à long terme de l'usage dominant de l'anglais dans la plupart des établissements officiels, les établissements d'enseignement, notamment dans les universités.

2.6 Le tamoul

Ce sont avant tout des circonstances historiques qui expliquent la place de la langue tamoule à Singapour. 

Il est légitime de se demander pourquoi le tamoul est devenu une langue officielle à Singapour, alors qu'il n'est parlé que par 2% de la population. L'archipel de Singapour et les Tamouls ont une longue histoire commune. La dynastie tamoule des Chola a régné non seulement au sud de l'Inde et au Sri Lanka, mais également sur un territoire de taille variable plus étendue jusqu'à la fin du XIIIe siècle. Les territoires soumis comprenaient la côte orientale de l'Inde actuelle, ainsi que toute la côte occidentale de la Birmanie, de la Thaïlande et de certaines îles de l'Indonésie et de la Malaisie actuelles, y compris le petit archipel de Singapour.

L’empire Chola du Tamil Nadu figure d'ailleurs parmi les premiers établissements humains de l’archipel. En 1025, le roi tamoul Rajendra Chola a mené son armée à la conquête de l'empire hindou de Sri Vijaya (Indonésie et Malaisie). Le nom de Singapour vient soit du sanskrit, soit du tamoul. Dans les deux langues, Singa signifie «lion» et pore ou pura signifie «ville», la ville du lion.

Au XVIIIe siècle, Singapour et l'Inde sont tombés sous la domination britannique. La Grande-Bretagne utilisa Singapour comme premier port commercial asiatique pour soutenir sa domination en Inde. Ainsi, les Britanniques amenèrent beaucoup de commerçants et de travailleurs de l'Inde, en particulier au sud à majorité tamoule, ce qui a favorisé une identité culturelle autre que chinoise et malaise. Ce sont les aléas de l'histoire qui ont tissé des liens entre Singapour et les Tamouls. En résumé, les Tamouls et Singapour partagent un lien vieux de 1000 ans et forment la troisième plus grande ethnie de Singapour, ce qui ajoute de la couleur à une ville déjà florissante. Pour les Tamouls du Tamil Nadu, Singapour demeure encore une destination recherchée. C'est pour les Tamouls la ville ultime bien plus prisée que Londres, Tokyo ou New York.

Outre le tamoul, la liste des autres langues de l'Inde parlées par les minorités à Singapour comprend le kannada, le malayalam, le télougou, le panjabi, le sindhi, l'hindi, le gujarati et le bengali. Ces langues n'appartiennent pas cependant à la même famille linguistique: le tamoul, le kannada, le télougou et le malayalam sont des langues dravidiennes, alors que le panjabi, l'hindi, le gujarati et le bengali sont des langues indo-iraniennes

2.7 L'anglais et le singlish

L'anglais est une langue incontournable à Singapour, car il est considéré comme la langue la plus importante; l'anglais est officiellement la langue principale de l'enseignement dans toutes les matières, sauf dans les cours de langue maternelle prévus dans le système d'éducation. C'est également la langue commune de l'administration, présentée comme la langue des transactions commerciales et la langue véhiculaire entre les ethnies de la cité-État. Soulignons que l'anglais généralement parlé comme langue véhiculaire à Singapour n'est pas l'«anglais colonial» (britannique), mais l’«anglais de Singapour», un anglais local basé sur l'anglais britannique avec certaines influences américaines. C'est l'anglais «standard» des Singapouriens qu'ils apprennent à l'école. Pour eux, l'anglais est une langue seconde.

Il se trouve que beaucoup d'étrangers arrivés à Singapour ne maîtrisent pas l'anglais, ce qui pose de nouveaux défis aux autorités. Ces étrangers représentent plus de 36 % de la population et ils dominent 50 % du secteur des services de Singapour. Il est fréquent de rencontrer du personnel de service qui ne s'exprime pas couramment en anglais, en particulier ceux qui emploient l'anglais de façon sporadique. En réponse à cette situation, les étrangers travaillant dans les secteurs de services doivent, depuis 2010, réussir un test d'anglais avant d'obtenir leur permis de travail. Pour ces étrangers, l'anglais demeure aussi une langue seconde.

- Les «vrais» anglophones

En 2018, on comptait 214 000 «vrais» anglophones à Singapour, ce qui représente 3,7 % de la population: 76 000 Anglo-Indiens, 55 000 Britanniques, 54 000 Eurasiens, 16 000 Anglo-Malaisiens, 8000 Américains, 3000 Anglo-Néo-Zélandais et 2500 Anglo-Australiens. Ce sont là les étrangers dont la langue maternelle est l'anglais. Au contraire, des anglophones occidentaux, les anglophones asiatiques finissent par adopter l'anglais de Singapour.

- Le singlish

Il existe aussi un autre «anglais singapourien» appelé singlish (contraction de Singapore et d'English). C'est un anglais différent de l'anglais standard, appelé "Singaporean English".

Singlish: Dat joker there cannot trust.
Anglais: You cannot trust the person over there.
Trad.: «Vous ne pouvez pas faire confiance à la personne là-bas.»
Singlish: Tomorrow don't need bring camera.
Anglais: You don't need to bring a camera tomorrow.
Trad.: Vous n’avez pas besoin d’apporter un appareil-photo demain.
Singlish: He play football also very good one leh.
Anglais: He's very good at playing football too.
Trad.:  Il joue très bien au football.
Singlish: Walau, I want to eat chicken rice.
Anglais: I am craving some chicken rice.
Trad.: J'ai envie de riz au poulet.
Singlish: I like badminton, dat's why I every weekend go play.
Anglais: I like badminton, dat's why I every weekend go play.
Trad.:
J'aime le badminton, c'est pourquoi j'en joue chaque week-end. Singlish: Dat one his wife lah.
Anglais: That lady is his wife.
Trad.: Cette dame est ma femme.
Le singlish est issu du mélange des populations: il a subi notamment l'influence des tons du hakka et du min, formé une grammaire et une syntaxe simplifiée, et emprunté des mots au chinois (mandarin), au malais, au tamoul et à d'autres langues parlées dans l'archipel.

Les exemples présentés à gauche peuvent donner une idée des difficultés de compréhension de la part des locuteurs de l'anglais standard, mais il faut considérer aussi qu'il existe des différences d'ordre phonétique qui ne sont pas prises en compte ici. Le singlish peut s'avérer difficile à comprendre pour les étrangers, du moins au début.

C'est l'importance de la minorité chinoise qui explique cette influence linguistique dans l'anglais singapourien. De plus, l'anglais parlé par les Chinois peut différer de l'anglais parlé par les Malais et de celui parlé par les Indiens tamouls.

Il semble que le développement du singlish ait été favorisé par deux facteurs: le fait que le gouvernement a voulu se distancier de la Grande-Bretagne en construisant une nation indépendante et le fait qu'il a désiré promouvoir le commerce avec la Chine. On estime qu'au plus 15 % des anglophones de Singapour utilisent l'anglais standard dans leurs communications quotidiennes, sinon ils passent au singlish.
 

De façon naturelle, les locuteurs anglophones vont automatiquement s'exprimer en singlish dans les communications informelles. À l'école, chaque élève apprend l'anglais standard qu'il n'utilise que dans les situations formelles, sinon il passe au singlish. Bref, les Singapouriens changent de langue selon les situations sociales et les attitudes qu'ils veulent se donner. Généralement, les plus instruits atteignent un niveau d'anglais «supérieur» et ont tendance à parler l'anglais standard de Singapour. Quant aux moins instruits et ceux dont la langue maternelle n’est pas l’anglais, ils parlent le singlish et gardent l'alternance entre un langage familier et un langage formel en fonction de la situation.

À Singapour, un débat quasi perpétuel oppose la population en général et le gouvernement en ce qui concerne le statut du singlish. Alors que le gouvernement craint que la prédominance du singlish n'affecte la réputation de Singapour en tant que plaque tournante mondiale au point de vue financier et commercial, la plupart des Singapouriens considèrent le singlish comme un marqueur identitaire et un symbole de solidarité. Dans l'intention d'éradiquer l'usage du singlish, le gouvernement lance périodiquement le mouvement "Speak Good English", encourageant plutôt les citoyens à utiliser l'anglais standard singapourien dans tous les contextes. Malgré le succès relatif de ces campagnes de promotion, la plupart des Singapouriens préfèrent toujours utiliser le singlish pour communiquer avec leurs compatriotes.

2.8 Le bilinguisme des Singapouriens

Analphabètes
Alphabétisés
   128 661
2 977 088
 4,1 %
95,8 %
Une langue seulement
Chinois seulement
Anglais seulement
Malais seulement
Tamoul seulement
Langue non officielle seulement
878 214
485 511
329 194
47 278
10 939
5 292
28,2 %
15,6 %
10,5 %
1,5 %
0,3 %
0,1 %
Deux langues seulement
Anglais & chinois seulement
Anglais & malais seulement
Anglais & tamoul seulement
Anglais & langue non officielle seulement
Autres «deux langues» seulement
1 896 268
1 305 705
390 124
104 570
82 972
12 898
61,0 %
42,0 %
12,5 %
3,3 %
2,6 %
0,4 %
Trois langue ou plus
Anglais, chinois & malais seulement
Anglais, chinois & tamoul seulement
Anglais, malais & tamoul seulement
Autres «trois langues» ou plus
202 606
96 660
377
16 423
89 147
6,5 %
3,1 %
0,01 %
0,5 %
2,8 %
Total 3 105 748 100 %
Source: Census of Population 2010    
Le tableau ci-contre indique les taux de bilinguisme ou de trilinguisme chez les locuteurs de Singapour âgés de cinq ans ou plus.

Seulement 28,2 % des Singapouriens sont unilingues et ils surtout des locuteurs du chinois mandarin et de l'anglais. Les locuteurs des autres langues, que ce soit le malais, le tamoul ou toute autre langue non officielle, sont tous bilingues, à de rarissimes exceptions.

Chez les individus bilingues (61,0% de la population), l'anglais constitue toujours l'une des deux langues à l'exception de 0,4 % de la population. Ce sont les Chinois et les Malais qui sont les plus bilingues.

Les trilingues ne sont pas monnaie courante; ils ne forment que 6,5 % de la population. Ce sont généralement les locuteurs de l'anglais, du chinois et du malais. 

Ces résultats ne sont pas surprenants puisque les groupes linguistiques les plus importants sont les Chinois et les Malais. Qu'ils soient en tête du palmarès des langues est normal. On peut aussi constater que l'anglais est présent partout chez les locuteurs bilingues. On peut ainsi conclure que l'anglais est connu à des degrés divers par 77 % de la population et le chinois par 60,7 %. 

Langue parlée à la maison Recensement 2010  Estimation 2015
Anglais 32,3 % 36,9 %
Mandarin 35,6 %  34,9 %
Autres langues chinoises 14,3 % 12,2 %
Malais 12,2 % 10,7 %
Tamoul  3,3 %  3,3 %
 Autres langues  2,3 % 2,0 %
Il faut considérer les langues parlées à la maison par les individus âgés de cinq ans et plus. Au recensement de 2010, le mandarin demeurait encore la langue parlée le plus souvent à la maison, soit à 35,6%. Il était suivi de près par l'anglais (32,3%). Si l'on ajoute les autres langues chinoises au mandarin, on obtient la proportion de Chinois parlant leur langue à la maison: 49,9%. Viennent ensuite le malais (12,2%) et le tamoul (3,3%), suivis par les autres langues (2,3%).

Cependant, les estimations de 2015 montrent que la proportion de ceux qui emploient l'anglais a augmenté de 32,3% à 36,9% dépassant ainsi le mandarin qui recule de 35,66% à 34,9%. Toutes les autres langues, sauf le tamoul, voient leur proportion baisser au profit de l'anglais. On peut penser que l'anglais est en progression constante.

Consultons maintenant le tableau qui suit.

Chinois = 2,527,562 (76,6%) Malais = 459,210 (13,9%) Indiens = 300,587 (9,1%) Autres = 111,694 (0,3%)
Anglais Mandarin Dialectes chinois Autres
langues
Anglais Malais Autres
langue
Anglais Malais Tamoul Autres langues indiennes Autres
langue
Anglais Malais Autres
langue
   824 616
(32,6%)
 1 206 556
(47,7%)
     485 765
(19,2%)
10 625
(0,4%)
  78 090
(17,0%)
 379 567
(82,6%)
1 553
(0,06%)
   125 076
(41,6%)
 23 839
(7,9%)
  110 274
(36,6%)
39 755
(13,2%)
1 643
(0,5%)
   69 661
(62,3%)
   4 777
(4,2%)
37 256
(33,3%)

Ce tableau est un extrait du recensement de 2010, n° 52. Il s'intitule en anglais: "Resident Population Aged 5 Years and Over by Type of Dwelling, Ethnic Group and Language Most Frequently Spoken at Home", ce qui signifie «Population résidante âgée de cinq ans et plus selon le type de logement, le groupe ethnique et la langue parlée le plus souvent à la maison». L

La majorité des Singapouriens sont bilingues, la politique de l'enseignement bilingue du gouvernement favorisant un système d'apprentissage de deux langues. L'apprentissage d'une langue seconde est obligatoire dans les écoles primaires depuis 1960 et dans les écoles secondaires depuis 1966. L'anglais est la principale langue d'enseignement. La plupart des enfants apprennent l'une des trois autres langues officielles — le mandarin, le malais ou le tamoul —  ou parfois une autre langue approuvée, en tant que langue seconde, selon leur groupe ethnique officiel.

Depuis le 1er janvier 2011, si une personne se réclame de plus d'une ethnie et que celle-ci est enregistrée dans un double nom uni par un trait d'union (Chinese-Malay, Chinese-Indian, Malay-Tamil, etc.), la langue choisie sera celle qui précède le trait d'union dans sa forme enregistrée. Les Singapouriens sont autorisés à changer de groupe ethnique deux fois: une fois avant l’âge de 21 ans et une fois après cet âge. Ils doivent signer une déclaration statutaire indiquant leur(s) raison(s) du changement et les engageant à ne pas changer de groupe à nouveau.

2.9 Les religions

L'exercice de la religion à Singapour se caractérise par une diversité de croyances et de pratiques religieuses en raison de la diversité ethnique des peuples originaires de différentes régions. La plupart des grandes confessions religieuses sont présentes à Singapour. Une analyse réalisée en 2014 par le Pew Research Center (É.-U.) a démontré que Singapour était le pays le plus diversifié au monde au plan religieux.

Religion, Recensement 2010 Pourcentage
Bouddhisme 33,3 %
Taoïsme 10,9 %
Christianisme 18,3 %
Islam 14,7 %
Hindouisme 5,1 %
Autre religion 0,7 %
Aucune religion 17,0 %
Les religions jouent un rôle déterminant dans la société singapourienne. Le bouddhisme (33,3%) et le christianisme (18,3%) sont les religions les plus pratiquées avec l'islam (14,7%) et le taoïsme (10,9%), l'hindouisme étant moins fréquent parmi la population.

On remarque l'existence de liens entre la religion pratiquée et les ethnies. Ce sont les Chinois qui sont bouddhistes et taoïstes (57%), bien que plusieurs soient chrétiens (20%). Dans une proportion de 99%, les Malais sont musulmans avec un petit nombre d'Indiens. En général, les Indiens pratiquent surtout l'hindouisme dans une proportion de 59%. 

Ces résultats sont tirés du recensement de 2010 auprès d'une population âgée de 15 ans ou plus.

Le gouvernement de Singapour se montre tolérant à l'égard des différentes religions et encourage l'harmonie religieuse en interdisant toutefois les Témoins de Jéhovah et l'Église de l'Unification. Certaines religions, en particulier celles pratiquées par des groupes ethniques chinois, ont fusionné leurs lieux de culte avec ceux d'autres religions telles que l'hindouisme et l'islam. Un exemple frappant est celui du temple de Loyang Tua Pek Kong (situé sur la ligne côtière orientale) dans lequel trois religions (taoïsme, hindouisme et bouddhisme) peuvent cohabiter sous le même toit. 

3 Données historiques

Singapour fut d'abord connue (cf. l'Arrêté du 4 novembre 1993: féminin en français) d'abord sous le nom de Tumasik, puis au XIVe siècle sous celui de Singa-pura signifiant «la ville du lion». C'est pourquoi le lion ou plus précisément le merlion ou «lion de mer» est devenu symbole de Singapour, comme en témoigne une représentation pouvant être admirée sur le front de mer, près du quartier financier de la ville. Le merlion est en fait une statue à tête de lion et à corps de poisson; il est formé des mots mermaid («sirène» en anglais) et lion. Selon une campagne publicitaire de l'Office du tourisme de Singapour, la tête de lion et le corps de poisson de cette créature rappellent l'histoire du légendaire Sang Nila Utama, un prince de Palembang qui aurait fondé le royaume de Singapura en 1299. Celui-ci faisait route vers Malacca lorsqu'il aperçut un lion pendant qu'il chassait sur une île. Il est probable qu'à cette époque l'île devint le port maritime de Tumasik, précurseur de Singapour.

L'histoire écrite de Singapour pourrait remonter au IIIe siècle, alors que l'empire maritime des Chola du Tamil Nadu exerçait le commerce dans cette partie de l'Asie. Les documents historiques suggèrent qu'un accord commercial important existait à Singapour au XIVᵉ siècle. À cette époque, Singapour était sous le règne de Parameswara — prince de la cité-État de Palembang dans le sud de Sumatra en Indonésie — jusqu'à ce que celui-ci soit expulsé par le Majapahit, alors un pays situé dans la partie orientale de l'île de Java en Indonésie, fondé en 1292, qui connut son apogée aux XIVᵉ et XVᵉ siècles sous le règne du roi Hayam Wuruk. Singapour passa ensuite sous la domination du sultanat de Malacca, puis du sultanat de l'État de Johor situé à la pointe de la péninsule malaise.

Pendant un peu plus d'un siècle, soit de la fin du XIIIe jusqu'au début du XVe siècle, l'île fut le siège d'un royaume malais, dont la fortune a cependant décliné au cours des siècles qui suivirent. Singapour abritait un village de pêcheurs malais, qui était habité par un groupe appelé Orang Laut (en malais: «gens de la mer»), aussi nommé Loncong ou Sekak, une population indonésienne vivant sur des bateaux et menant un mode de vie nomade. L'emplacement stratégique de Singapour à l'intersection des itinéraires maritimes a transformé la région en un point de convergence pour les navires en provenance de la Chine, de l'Arabie et du Portugal. 

3.1 La colonisation britannique

En 1818, l'importance du commerce et de la politique en Asie incita les Britanniques à mandater le général Thomas Stamford Raffles (1781-1826) pour l'installation d'un comptoir commercial à Singapour. L'année suivante, sir Thomas Stamford Raffles négocia un traité par lequel le sultan de Johor autorisait les Britanniques à établir un port de commerce sur l'île, ce qui entraîna l'établissement de la colonie britannique de Singapour pour le compte de la British East India Company (Compagnie britannique des Indes orientales). Compte tenu de l'importance croissante de l'Inde au sein de l'Empire britannique et du commerce qui prospérait avec la Chine, il parut nécessaire aux Britanniques d'établir un port afin de protéger leur flotte et de freiner les politiques expansionnistes des Hollandais en Asie du Sud-Est. Singapour fournissait alors un emplacement idéal.

L'île se développa rapidement, passant de 1000 à 10 000 habitants entre 1819 et 1823. En 1826, Singapour fut incorporée à la colonie des Établissements des détroits ("The Straits Settlements"). Sa situation avantageuse de débouché entre l'océan Indien et la mer de Chine méridionale, ainsi que son statut de port franc firent sa fortune, surtout après l'ouverture du canal de Suez, en 1869. 

Cependant, la croissance économique de Singapour n'échappa pas à des problèmes d'ordre public. En bon administrateur colonial, sir Stamford Raffles trouva comme solution la mise en œuvre du “Raffles Town Plan” (plan Raffles de la ville). Son objectif dans l'établissement de Singapour était d'élever moralement et matériellement les autochtones, ce qui voulait dire les «civiliser» à l'anglaise. Singapour fut alors subdivisée en quatre zones définies selon des critères ethniques et économiques. Une ville européenne fut prévue pour les commerçants européens, c'est-à-dire les «Eurasiens» et les riches commerçants asiatiques. Les travailleurs chinois furent casés dans le Chinatown qui existe encore aujourd'hui. Les Indiens furent installés dans le nord de Chinatown, tandis que les musulmans, les Malais et les Arabes se virent attribuer un quartier connu sous le nom de Kampong Glam. Ce plan urbain reposait sur la séparation raciale des communautés ethniques tout en réservant les meilleures terres aux Européens. À cette époque, le “Raffles Town Plan” fut considéré comme remarquablement scientifique.

Raffles édicta de nouvelles règles en étendant la domination britannique sur toute l’île. Il prescrivit l'anglais comme langue administrative, mais il n'imposa pas cette langue aux autochtones. Au contraire, il fonda des écoles et des églises dans les langues autochtones, et permit la liberté de religion, ce qui s'avérait particulièrement important, puisque la plupart des États malais étaient de confession musulmane.

En 1823, Stamford Raffles édicta une série de règlements administratifs pour Singapour, dont certains interdisaient notamment les jeux d'argent et imposaient de lourdes taxes sur ce qu'il considérait comme des problèmes sociaux tels que l'ivrognerie et le tabagisme. Raffles quitta Singapour pour l’Angleterre en octobre 1823. Son legs le plus déterminant demeura la séparation de la ville en quartiers ethniques. C'est lui aussi qui introduisit l’éducation scolaire formelle dans la colonie en instaurant une école destinée aux enfants de l’élite royale malaise afin qu’ils soient mieux éduqués que les masses populaires. Les cours étaient donnés en malais et visaient essentiellement une petite clientèle privilégiée.

Au fur et à mesure que Singapour prenait de l'importance, le rôle de la finance devenait essentiel, ce qui favorisa la création de nombreuses banques. En 1867, Singapour devint la capitale des Établissements des détroits ("The Straits Settlements"), une sorte de petits protectorats britanniques qui comprenaient également Penang, Malacca et Labuan. La période d’industrialisation entraîna un afflux de non-Malais qui eurent tôt fait de transformer la composition démographique de l'île, les Malais devenant minoritaires dans leur propre pays.

Les Britanniques encouragèrent en effet beaucoup de Chinois originaires du Guangdong et du Fujian à venir s'établir à Singapour : quelque 227 000 Chinois y débarquèrent en 1907, puis en 1911 plus de 270 000 autres, de telle sorte qu'ils devinrent majoritaires aux dépens des Malais d'origine et des Tamouls. Évidemment, ils y établirent des écoles chinoises, principalement en langue chinoise min nan.

En 1921, la Grande-Bretagne fit de l'île sa principale base navale en Asie du Sud-Est, mais les Japonais s'en emparèrent au cours de la Seconde Guerre mondiale, ce qui entraîna la perte de quelque 10 000 civils. La reddition britannique, subie en décembre 1941, fut considérée comme une défaite terrible par le premier ministre Winston Churchill pour lequel ce fut même la «la plus grande capitulation de l'histoire militaire de la Grande-Bretagne».

Les Japonais contrôlèrent Singapour durant quelques années. Dans le quartier Sook Ching, pendant l'occupation, on estime qu'entre 20 000 et 100 000 Chinois furent tués parce que les Japonais les considéraient comme des «éléments anti-japonais». Les historiens locaux ont appelé cette période «les années les plus sombres de l'histoire de Singapour». Quoi qu'il en soit, les Japonais durent rendre les armes à la fin de la guerre par suite de la défaite du Japon aux mains des Alliés. Les Britanniques reprirent le contrôle de l'île le 6 septembre 1945. L'année suivante, celle-ci fut érigée en colonie de la Couronne distincte de la Malaisie jusqu'à ce que le nationalisme et les changements géopolitiques la conduisirent vers son indépendance.

3.2 La république indépendante

En 1959, les Britanniques dotèrent Singapour d'une constitution propre, grâce à laquelle était renforcée la représentation locale. Singapour bénéficiait dès lors d'une autonomie interne totale, mais l'administration coloniale contrôlait encore les relations extérieures ainsi que conjointement avec les autorités singapouriennes plusieurs questions politiques internes importantes telles que la sécurité intérieure. Aux élections du 1er juin 1959, Lee Kuan Yew fut élu premier ministre de la cité-État de Singapour au sein du Commonwealth. 

- Le malais des bazars

À cette époque, la langue véhiculaire des différents groupes ethniques, principalement des immigrants, n'était pas l'anglais, mais le «bazar malais» ou «malais des bazars» appelé en anglais "bazaar malay". Le bazar malais est un pidgin malais avec des influences chinoises, néerlandaises et portugaises et grandement utilisé dans les marchés de Singapour. D'un apprentissage relativement aisé et donc pratique pour exercer le commerce, le «malais des bazars» était employé depuis le XVIe siècle dans les centres d'échanges (Malaisie et Indonésie) avant l'arrivée des Britanniques. Durant les décennies précédant l’indépendance, cette «langue» était toujours considérée comme la lingua franca de la région, mais seulement au plan oral. Bien que le «malais des bazars» ne soit plus une langue véhiculaire à Singapour, parce qu'il a été supplanté par l'anglais, il reste la langue maternelle d'origine austronésienne des Singapouriens plus âgés (environ 10 000 locuteurs).

- La Fédération de la Grande Malaisie

En 1961, le premier ministre de la Malaisie, Tunku Abdul Rahman, proposa la formation d'une fédération incluant la Malaisie, Singapour, le Sabah et le Sarawak. Lee Kuan Yew lança une campagne favorable à la constitution de cette fédération en vue de mettre fin à l'ère coloniale britannique. Il utilisa les résultats d'un référendum tenu le 1er septembre 1962, dans lequel 70% des votes soutenaient sa proposition d'approbation du projet. Le 16 septembre 1963, Singapour devint une entité de la Fédération de la Grande Malaisie qui réunissait la Malaisie, Singapour et les anciens protectorats britanniques de Sarawak et Sabah, situés dans la partie septentrionale de l'île de Bornéo.

Or, l'intégration de Singapour, ville peuplée majoritairement de Chinois (env. à 80%) de confession bouddhiste, taoïste ou confucianiste, pouvait mettre en péril la Fédération malaise dont la population était, elle, majoritairement musulmane. Des extrémistes malais provoquèrent des émeutes à Singapour, espérant ainsi l'intervention de l'armée fédérale (majoritairement malaise) dans la grande ville chinoise. Dès 1964, des troubles entre Malais et Chinois secouaient Singapour. 

La nouvelle fédération se révéla fort difficile à gérer. Pendant que Singapour, presque entièrement chinoise, voulait poursuivre une politique d'une stricte neutralité au plan ethnique, la Malaisie dirigée par Abdul Rahman entendait adopter une politique très ferme de discrimination positive en faveur de la majorité malaise et musulmane. De leur côté, les Malais de la Fédération craignaient que leur majorité numérique devienne plus restreinte de sorte que leur pouvoir puisse être plus limité.

Le Singapourien Lee Kuan Yew avait, pour sa part, une conception de la nationalité malaise différente de celle du gouvernement de Kuala Lumpur (Malaisie), dont la politique était de privilégier l'ethnie malaise et de fusionner toutes les autres aux Malais. Pour Lee, toutes les nationalités de la fédération (malaise, chinoise, indienne, eurasienne, etc.) devaient devenir des citoyens égaux.

Les décennies de 1950 et de 1960 en Malaisie et à Singapour ont été caractérisées par des luttes politiques entre Chinois et Malais, par de violentes émeutes raciales et des combats de rue, ainsi que par une pseudo-insurrection communiste à connotation raciale et religieuse. Singapour était aux prises avec une lutte féroce entre les communistes et le Parti d'action populaire anticommuniste de Lee Kuan Yew. Les premiers ministres Lee Kuan Yew (Singapour) et Tengku Abdul Rahman (Malaisie) acceptèrent tous deux d'éviter de se quereller sur des questions sensibles pendant deux ans dans le but de rétablir le calme.

Après l'échec de 23 mois d'union politique, Lee Kuan Yew se résigna à proclamer l'indépendance de la cité-État de Singapour en 1965, qui devenait dès lors une république. Cette indépendance forcée de la cité-État allait marquer à jamais les relations entre la Malaisie et Singapour.

- Le régime anglophile de Lee Kuan Yew

Dès l'accession à l'indépendance, Lee Kuan Yew entreprit de diriger son pays d'une main de fer, avec le souci constant de maintenir l'harmonie ethnique et d'éviter la répétition des conflits interethniques, comme ceux de 1964.

À l'acquisition de l’indépendance en 1965, la Chambre de commerce de Singapour (à majorité chinoise) exhorta Lee Kuan Yew à choisir le chinois comme langue nationale et officielle, ce qui paraissait normal étant donné la majorité chinoise dans l'archipel. Le premier ministre refusa net en raison, quelques années plus tôt, d’une série de révoltes ethniques à l’origine des tensions politiques entre Chinois et Malais. L’anglais était considéré comme plus «neutre» pour apaiser les tensions ethniques et linguistiques, en plus de maximiser les avantages économiques, ce qui décida Lee à le conserver comme langue principale de communication. Le gouvernement poursuivait ainsi la même politique linguistique que celle qui prévalait en 1959 avec le statut d'autonomie. L’anglais, étant considéré comme la langue mondiale du commerce, de la technologie et de la science, son usage officiel devait accélérer le développement et l’intégration de Singapour dans l’économie mondiale.

Cette langue était de plus perçue par Lee Kuan Yew comme un puissant outil d’unification des différents groupes ethniques du pays, dont la population était constituée d’une majorité de Chinois et de minorités malaises et tamoules.

Voici la pensée du  premier ministre à ce sujet au cours d'une allocution prononcée à la John F. Kennedy School of Government, une école d'affaires publiques de l'université Harvard (Boston) :

Singapore's Chinese are mainly descendants of people who came from different parts of China speaking different dialects. Malays from different parts of Malaysia and Indonesia. South Asians are from different parts of the subcontinent. The rest came mainly from other parts of Asia. We needed a common language. English is not any group's mother tongue, so no one gained any advantage... We have not forced or pressure cooked a national identity. We aimed for integration, not assimilation.

Out of respect for its three main ethnic communities, Singapore has adopted Mandarin Chinese, Malay and Tamil, along with English, as its official languages. Malay is the national language.

[Les Chinois de Singapour sont principalement des descendants de personnes originaires de différentes parties de la Chine et parlant différents dialectes. Les Malais viennent de différentes régions de la Malaisie et de l'Indonésie. Les Asiatiques du Sud viennent de différentes parties du sous-continent indien. Les autres viennent principalement d'autres régions d'Asie. Nous avions besoin d'une langue commune. L'anglais n'est la langue maternelle d'aucun groupe, donc personne n'a gagné aucun avantage... Nous n'avons pas forcé ou fait pression pour forger une identité nationale. Nous visions l'intégration, pas l'assimilation.

Par respect pour ses trois principales communautés ethniques, Singapour a adopté le chinois mandarin, le malais et le tamoul, ainsi que l’anglais, comme langues officielles.]

Le message était clair: il paraissait plus facile d'unifier le pays par une langue qui n'était maternelle pour personne plutôt que par une langue autochtone en rivalité avec les autres. Toutefois, quant à avoir adopté quatre langues officielles, pourquoi ne pas avoir choisi que le mandarin, le malais et le tamoul, question de faire l'économie d'une langue que personne ne parlait ? L'objectif ultime, c'était de niveler les langues concurrentes par une étrangère pour ne favoriser aucune d'elles. Le motif lié au «respect» des communautés ethniques relève plus de l'échappatoire que d'une raison réelle. En fait, l'anglais servait d'instrument d'uniformisation et d'acculturation des langues locales. 

Après l'accession à l'indépendance de 1965, l'usage de l'anglais devint encore plus populaire. C'est ainsi que Singapour adopta également l’anglais comme langue d’enseignement principale dans les écoles pour ses citoyens. Les autorités reconnaissaient de cette façon l’anglais comme langue officielle du pays au même titre que le malais, le mandarin et le tamoul. Autoritaire, ne tolérant aucune opposition, Lee Kuan Yew imposa ensuite aisément l'anglais comme unique langue d’enseignement dans les écoles. Son objectif était apparemment de réduire les inégalités sociales entre les différents groupes linguistiques du pays; il s'agissait en réalité de réduire l'ascendant des langues locales.

Entre le début des années 1960 et la fin des années 1970, le nombre d'élèves inscrits dans des écoles anglaises passa de 50 % à 90 %, les parents ayant choisi d'envoyer leurs enfants dans ces écoles. La fréquentation des écoles en mandarin, en malais et en tamoul diminua considérablement au point où des écoles dites «ethniques» commencèrent à fermer. L'Université Nanyang, de langue chinoise, opta pour l'anglais en tant que langue d'enseignement en dépit des résistances soulevées, notamment par la communauté chinoise. Lee Kuan Yew s'était fait une conception bien personnelle de la politique linguistique. Voici ce qu'il déclarait en 1979 sur la question des langues premières (L1) et des langues secondes (L2) :

The greatest value in the teaching and learning of Chinese is in the transmission of the norms of social or moral behaviour... It would be a tragedy if we were to miss this and concentrate on second language proficiency nearly equal to the first language. Malay children should know their proverbs and their folklore… For the Indians, the Ramayana and the Mahabaratha provide marvellous and inexhaustible sources of stories…That they also carry a moral message is the genius of the culture. No child should leave school after 9 years without having the “soft-ware” of his culture programmed into his subconscious (Goh, 1979, p. v). [La plus grande valeur dans l'enseignement et l'apprentissage du chinois réside dans la transmission des règles de comportement social ou moral... Ce serait une tragédie si nous manquions cela et que nous nous concentrions sur la maîtrise de la langue seconde à peu près de façon égale à la première langue. Les enfants malais doivent connaître leurs proverbes et leur folklore… Pour les Indiens, le Ramayana et le Mahabaratha fournissent des sources d'histoires merveilleuses et inépuisables. Du fait que celles-ci portent également un message moral, c'est le génie de la culture. Aucun enfant ne devrait quitter l'école après neuf ans sans avoir programmé le «logiciel» de sa culture dans son subconscient (Goh, 1979, p. V).]

Le Ramayana et le Mahabaratha sont deux anciennes épopées mythologiques hindoues de langue sanskrite. Lee Kuan Yew croyait qu'il fallait conserver la culture de chaque peuple. En même temps, le politicien pensait qu'il fallait aussi apprendre l'anglais en raison des similitudes entre cette langue et le tamoul et le malais: 

Pupils with an English, Malay or Indian speaking home environment should be taught mainly in EL [English Language]. It would not be difficult for the Malays and Indians to learn the English Language because of the similarities between Malay/Tamil and English. Romanised Malay uses the same alphabet as English. Malay and Tamil are both phonetic languages unlike Chinese. Pupils with a Chinese home environment should be taught mainly CL [Chinese Language] with some oral English (Goh, 1979, p. 6-2). [Les élèves ayant évolué dans un environnement familial anglais, malais ou indien doivent recevoir leur enseignement principalement en langue anglaise. Il ne serait pas difficile pour les Malais et les Indiens d’apprendre l'anglais à cause des similitudes entre le malais, le tamoul et l’anglais. Le malais romanisé utilise le même alphabet que l'anglais. Le malais et le tamoul sont deux langues phonétiques contrairement au chinois. Les élèves vivant dans un environnement familial chinois devraient apprendre principalement le chinois avec de l'anglais oral (Goh, 1979, p. 6-2).]

Pour Lee Kuan Yew, qui était très peu linguiste, il suffisait d'adapter l'alphabet latin à l'anglais, au malais et au tamoul pour que cette «similitude» facilite l'apprentissage d'une langue. Or, les problèmes sont plus complexes, car le premier ministre semblait ignorer que l'anglais est une langue germanique, le malais une langue austronésienne, le tamoul une langue dravidienne qui, en plus, s'écrit avec un alphabet particulier dont l'origine remonte à environ 2500 ans. Quant aux «langues phonétiques», Lee Kuan Yew ignorait que toutes les langues se veulent phonétiques, sauf les langues mortes. En réalité, l'imposition de l'anglais se voulait un instrument efficace pour transcender et niveler les différences ethniques. C'est pourquoi s'imposait la nécessité d'apprendre l'anglais:

Language is a key to the acquisition of knowledge. If a student is unable to understand a language, then he is unable to receive information or knowledge in that language. It is therefore crucial that a breakthrough must be made in the English language as early in life as possible (Straits Times, May 29, 1982). [La langue est une clé pour l'acquisition des connaissances. Si un élève est incapable de comprendre une langue, il est incapable de recevoir des informations ou des connaissances dans cette langue. Il est donc crucial de réaliser un apprentissage de l'anglais le plus tôt possible dans la vie (Straits Times, 29 mai 1982).]

Cependant, officiellement, il valait mieux pour Lee Kuan Yew de présenter l'anglais comme une langue incontournable pour les nécessités du travail et du bien-être économique :

How would Singapore make a living? With barely 700 sq m of land, agriculture was out of the question. Trade and industry were our only hope. But to attract investors here to their growing plants, we could understand. That language had to be English- since World War II ended, the English language had spread. It was the language of international diplomacy, the language of science and technology, and the language of international finance and commerce. Singaporeans would have increased opportunities if they had a strong mastery of English.

For political and economic reasons, English had to be our working language. This would give all races in Singapore a common language to communicate and work in.

[Comment pourrait-on gagner sa vie à Singapour ? Avec à peine 700 mètres carrés de terres, l’agriculture était hors de question. Le commerce et l’industrie étaient notre seul espoir. Mais pour attirer les investisseurs ici dans leurs usines croissantes, nous pouvions comprendre une langue. Ce devait être l'anglais: depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’anglais s’est répandu. C'est la langue de la diplomatie internationale, la langue des sciences et de la technologie, la langue de la finance et du commerce international. Les Singapouriens auraient davantage de possibilités en maîtrisant l'anglais.

Pour des raisons politiques et économiques, l'anglais doit être notre langue de travail. Ce choix donnerait à tous les peuples de Singapour une langue commune pour communiquer et travailler.]

Dans son livre My Lifelong Challenge (2011) Lee Kuan Yew nous décrit les nombreux problèmes et les défis auxquels il dut faire face, notamment auprès de la communauté chinoise qui désirait que le chinois devienne la langue dominante à Singapour, sans oublier les groupes communautaires malais et tamouls qui mettaient en doute les hypothèses du premier ministre sur la question linguistique. Nous apprenons aussi que les enseignants ont été obligés de passer de l’enseignement du chinois à l’enseignement de l’anglais presque du jour au lendemain, et que des étudiants sont passés subitement d’un enseignement du chinois à des cours en anglais. Avec le temps, la politique pro-anglaise a fini par réussir au-delà des espérances du pouvoir singapourien.

En somme, Singapour semble avoir atteint les principaux objectifs fixés par les autorités en matière de politique linguistique et scolaire. Selon la vision idéologique de Lee Kuan Yew, il fallait à la fois adopter l'anglais pour le commerce et la langue maternelle pour préserver l'identité ethnique. Cependant, la progression de l'anglais aux dépens des autres langues a entraîné la perte d’une partie de la riche diversité linguistique de Singapour. Le pays a aussi dû passer d'une politique de multilinguisme à une politique de bilinguisme qui a entraîné des conséquences imprévues.

Dans une entrevue accordée à des journalistes français en 1989, Lee Kuan Yew déclarait que, s'il avait eu la possibilité de revenir à 1965 ou à 1970, il aurait conservé l'école primaire chinoise et encouragé davantage les parents à envoyer leurs enfants à l'école de langue chinoise, quitte à augmenter les heures d'enseignement de l'anglais langue seconde. De plus, il aurait accordé une année supplémentaire (au niveau primaire ou secondaire) pour aider les élèves «moyens» à passer du chinois ou de la langue maternelle à l'anglais. Dans les années 1960 et 1970, Lee Kuan Yew utilisait fréquemment le mandarin et le min nan dans ses discours politiques ou les assemblées, car il était vital pour lui d'obtenir des votes de la communauté majoritaire parlant le min nan.

Lee Kuan Yew parlait l’anglais comme langue maternelle; il commença à apprendre le chinois en 1955 à l'âge 32 ans. Auparavant, il était ce qu'on appellerait un «analphabète chinois». Il apprit aussi le japonais en travaillant comme traducteur pendant l'occupation japonaise de Singapour. Durant son règne, il était courant pour les politiciens de prononcer leur discours en anglais, en malais, en mandarin, en min nan et en d'autres variétés chinoises. Aujourd'hui, on se contente de l'anglais.

- Les campagnes d'épuration linguistique

Rappelons que les Singapouriens ont adopté une forme particulière de l'anglais, le singlish. Or, l'emploi du singlish fait maintenant peur au gouvernement qui croit que cet anglais peu prestigieux ferait du tort à l'économie de l'île. C'est pourquoi le gouvernement mène régulièrement des campagnes d'information dont il a le secret comportant des messages du genre "Speak Good English" («Parlez le bon anglais») ou plus subtilement "Speak Well. Be Understood" («Parlez [l'anglais] correctement, faites-vous comprendre»), de façon à diminuer l'importance grandissante du singlish. En août 1999, à l'occasion de la fête nationale, le premier ministre Goh Chok Tong (de 1990 à 2004) avait pris plusieurs minutes de son discours pour soutenir que, si les Singapouriens voulaient être compris par le monde extérieur, ils devaient remplacer le singlish par l'anglais standard. En août 1999, Lee Kuan Yew prononçait un discours devant le Club communautaire de Tanjong Pagar (le "Tanjong Pagar Community Club") dans lequel il donnait son avis sur le singlish:

On this subject of education, let me state clearly the disadvantages of Singlish. There are as many varieties of English as there are communities that speak English. In spite of differences in accent and pronunciation, people in Britain, America, Canada, Australia and New Zealand understand each other easily because they are speaking the same language, using the same words with the same grammar and sentence structures. Singaporeans add Chinese and Malay words into Singlish, and give different meanings to English words like "blur" to mean "blank". Worse, Singlish uses Chinese sentence structure. In fact we are creating a different new language. Each family can create its own coded language; nothing wrong with that except that no one outside the family can understand you. We are learning English so that we can understand the world and the world can understand us.

It is therefore important to speak and write standard English. The more the media makes Singlish socially acceptable, by popularising it in TV shows, the more we make people believe that they can get by with Singlish. This will be a disadvantage to the less educated half of the population. The better educated can learn two or three varieties of English and can speak English English to native Englishmen or Americans, standard English to foreigners who speak standard English, and Singlish to less-educated Singaporeans. Unfortunately if the less educated half of our people end up learning to speak only Singlish, they will suffer economically and socially. They want to speak better English, not Singlish. Those Singaporeans who can speak good English should help to create a good environment for speaking English, rather than advocate, as some do, the use of Singlish.
[En ce qui concerne l’éducation, permettez-moi d’énoncer clairement les inconvénients du singlish. Il y a autant de variétés d'anglais qu'il y a de communautés qui parlent l'anglais. En dépit des différences d’accent et de prononciation, les Britanniques, les Américains, les Canadiens, les Australiens et les Néo-Zélandais se comprennent facilement parce qu’ils parlent la même langue et qu'ils utilisent les mêmes mots avec la même grammaire et les mêmes structures de phrases. Les Singapouriens ajoutent des mots chinois et malais au singlish, et ils donnent un sens différent aux mots anglais tels que "blur" («tache») pour signifier "blank" («vide»). Pire encore, le singlish utilise une structure de phrase chinoise. En fait, nous créons une nouvelle langue différente. Chaque famille peut créer son propre langage codé; rien de mal à cela, sauf que personne en dehors de la famille ne peut vous comprendre. Nous apprenons l'anglais afin de comprendre le monde et que le monde puisse nous comprendre.

Il est donc important de parler et d’écrire l’anglais standard. Plus les médias rendent le singlish socialement acceptable en le vulgarisant dans les émissions de télévision, plus nous incitons les gens à croire qu’ils peuvent se débrouiller avec le singlish. Ce sera un désavantage pour la moitié de la population moins instruite. Les individus les plus instruits peuvent apprendre deux ou trois variétés d'anglais et parler l'anglais anglais aux Anglais ou aux Américains dont c'est la langue maternelle, l'anglais standard aux étrangers parlant l'anglais standard et le singlish aux Singapouriens moins instruits. Malheureusement, si la moitié moins instruite de notre peuple finit par apprendre à ne parler que le singlish, elle en souffrira économiquement et socialement. Les Singapouriens veulent parler mieux l'anglais, pas le singlish. Ceux qui parlent bien l'anglais devraient contribuer à créer un bon environnement pour l'usage de l'anglais, plutôt que de préconiser, comme certains le font, celui du singlish.]

Dans les années 2000, le gouvernement relança le mouvement "Speak Good English", sans grand succès, il faut le souligner. Le problème, c'est que le besoin des Singapouriens d'exprimer leur identité linguistique locale est trop bien enraciné pour qu'on parvienne à faire disparaître cette variété d'anglais populaire. Il faut noter aussi que la plupart des Singapouriens qui apprennent l'anglais parlent inévitablement le singlish. On a engagé aussi ce genre de promotion avec le chinois mandarin de façon peu subtile:

- Speak more Mandarin, Speak less Dialects
-
Learn Mandarin, Speak Mandarin
- It's Reasonable For Chinese To Speak Mandarin
-
Mandarin’s in. Dialect’s out
- Start with Mandarin, Not Dialect
-
Speak Mandarin? No Problem!
- Parlez moins les dialectes, parlez davantage le mandarin!
-
Apprenez le mandarin, parlez mandarin!
- C'est raisonnable pour un Chinois de parler mandarin.
-
Le mandarin est correct, pas le dialecte!
- Partez avec le mandarin, pas le dialecte!
-
Parlez mandarin? Pas de problème!

Le qualificatif «dialecte» vise à décrire le min nan, le hakka, le cantonais et toute autre langue chinoise à l'exception du mandarin. Ces langues chinoises non reconnues sont pourtant au plan linguistique des langues au même titre que le mandarin, mais elles ne bénéficient pas du statut d'officialité ni d'aucun autre statut reconnu. Elles sont classées comme des «dialectes» par le gouvernement avec comme conséquence qu'elles connaissent un fort déclin depuis l’indépendance, mais surtout à partir de 1979, en raison entre autres des campagnes "Speak Mandarin".

Dans le cadre de ces campagnes de promotion ou de ségrégation, selon le point de vue où l'on se place, toutes les émissions à la radio et à la télévision qui diffusaient en «dialectes chinois» ont été interdites. Les discours du premier ministre qui s'exprimait parfois en min nan ont été interrompus pour éviter de donner des signaux contradictoires à la population. Vers la fin des années 1980, le mandarin avait réussi dans une certaine mesure à remplacer ces variétés linguistiques dans les lieux publics, notamment dans les transports en commun, les hôtels et les restaurants. Bref, tous les efforts du gouvernement ont été consacrés à souligner l'importance de l'anglais standard et du mandarin par rapport aux autres langues ou variétés linguistiques.

Le modèle singapourien semble donner de la crédibilité aux visées pragmatiques et sociolinguistiques des planificateurs linguistiques. Les partisans dits «pragmatiques» se sont portés à la défense des campagnes "Speak Mandarin", qui ont permis de promouvoir une langue normalisée parlée auparavant par à peu près personne. Les sinophones de Singapour ont envoyé de plus en plus leurs enfants dans des écoles de langue anglaise. Malgré tout, l'anglicisation n'a pas réussi à tuer le mandarin, le gouvernement ayant exigé de maintenir le mandarin comme matière scolaire et ayant encouragé son usage en dehors de l'école. Cependant, les autres langues chinoises régressent constamment, de même que le malais et le tamoul.

Le premier ministre Lee Kuan Yew démissionna en 1990 et désigna Goh Chok Tong pour lui succéder, tout en conservant un poste de "senior minister" («ministre émérite») dans le gouvernement, grâce à quoi il resta un «conseiller» très écouté.  En 2004, le fils de Lee Kuan Yew, Lee Hsien Loong, un ancien général de l'armée de Singapour, devint premier ministre du pays (en 2004).

En dépit de la réussite économique incontestable de la cité-État, les Singapouriens ressentent le besoin d'une certaine libéralisation du régime, afin de faire place à l'initiative et à la créativité devant les défis du XXIe siècle. Aujourd'hui, Singapour constitue un vrai paradoxe en Asie: le pays est devenu l'un des plus prospères de la région, mais en même temps il multiplie les entorses aux droits de l’homme.

- Un intérêt renouvelé pour les langues locales?

Depuis 2000, beaucoup de sinophones préconisent l'apprentissage des diverses variétés linguistiques chinoises. En 2002, plusieurs associations ont décidé d'enseigner les autres langues chinoises sur une base volontaire. Il s'agissait d'une façon pour les Chinois de renouer avec leur héritage et leur culture en apprenant les variétés linguistiques négligées. En 2007, des groupes d'élèves d'école primaire ont appris le min nan et le cantonais afin de mieux communiquer avec les personnes âgées. Le programme était organisé dans l'espoir de combler le fossé générationnel créé par la répression des «dialectes» à Singapour. De même, des écoles ont instauré un module appelé "Pop Song Culture" pour permettre d'apprendre la culture pop dans différents groupes dialectaux à travers les chansons des années 1970 et 1980 interprétées dans différentes variétés linguistiques.

Bien que le gouvernement de Singapour semble avoir imposé sa «politique anti-dialecte» ces dernières années, les variétés linguistiques chinoises sont encore en vie et semblent retrouver un intérêt renouvelé, en particulier dans les médias télévisés traditionnels. Le gouvernement singapourien a même autorisé la diffusion de mini-émissions diffusées en «dialecte chinois» (min nan et cantonais); ces émissions sont destinées aux locuteurs du min nan et du cantonais qui ne comprennent pas le mandarin ni l'anglais. L'objectif des mini-émissions locales en «dialecte chinois» est la transmission des messages importants dans les services sociaux, les services médicaux et les soins aux personnes âgées. Cependant, il n'existe qu'un nombre limité de ce genre d'émissions «en dialecte chinois» en raison de la politique linguistique restrictive du gouvernement.

- Les tensions avec les Malais musulmans

Depuis le début des années 1980, les tensions se sont par ailleurs grandement apaisées à Singapour. Cependant, après les attentats de septembre 2001 à New York et l'invasion américaine de l'Irak en 2003, les tensions sont revenues, notamment au sujet des Malais. Ceux-ci ont toujours rendu le gouvernement nerveux. Les anciennes émeutes raciales sont demeurées fraîches dans l'esprit des gens plus âgés, d'autant plus que les Malais sont généralement exclus des postes sensibles dans l'armée en raison de leurs préoccupations relatives à leur loyauté dans toute guerre contre une nation musulmane. Les pays voisins inquiètent les autorités de Singapour, en particulier la Malaisie avec son parti politique islamiste en pleine résurgence, et l’Indonésie, avec son potentiel de problèmes. Singapour se tient toujours sur le qui-vive et maintient une armée disproportionnée.

En 2001, le gouvernement a interdit le port du foulard islamique (appelé tudung à Singapour) dans les écoles publiques. Cette interdiction a été critiquée par les États musulmans voisins et par l'opposition locale pour l'insensibilité présumée à l'islam de la part des autorités singapouriennes. Les parents des jeunes filles ajoutèrent que l'interdiction du tudong limitait le droit des musulmans de pratiquer leur religion. Le gouvernement considéra la question différemment. Il estima que les écoles publiques devraient être utilisées pour promouvoir l'harmonie entre les ethnies du pays. Le port du tudung entraverait la politique d’uniformité scolaire, qui vise à mettre l’accent sur les similitudes et non sur les différences.

Ce problème n’est pas forcément explosif, mais l’épisode du tudung a servi à accentuer le sentiment parmi les Malais qu’ils sont sous-représentés au gouvernement, dans l’armée et dans d’autres institutions importantes comme dans le monde universitaire.

De fait, les Malais de Singapour constituent une classe marginale, avec des niveaux d'éducation plus faibles et des emplois moins bien rémunérés que la moyenne; ils habitent principalement dans des logements sociaux. Si les politiques incitatives de Singapour ont mené à l'harmonie entre les ethnies, elles n'ont pas entraîné une réelle intégration, les échelons supérieurs de la société étant disproportionnellement chinois. Selon plusieurs observateurs, il y a eu, de la part de l'État, un programme systématique de sinification et de favoritisme culturel, qui s'est manifesté plus clairement dans la promotion du mandarin (langue) et du confucianisme (religion). Mais à Singapour, les règlements sont les règlements! Lorsque le code vestimentaire de l'école a été contesté, il n'y a eu aucune tentative de compromis, malgré tous les efforts officiels d'harmonie. L'interdiction de porter le foulard islamique dans les écoles publiques est ainsi restée une question controversée impliquant la minorité malaise et musulmane de Singapour.

4 Un État officiellement quadrilingue

Avec le Rwanda et la Suisse, la république de Singapour est l'un des rares États souverains à avoir adopté quatre langues officielles: il s’agit du malais (11,5%), de l'anglais (7,3%), du mandarin (4,6%) et du tamoul (3,4%).  L'un des rares autres États à être aussi multilingues demeure sans nul doute la province serbe de la Voïvodine avec cinq langues: serbe, hongrois, slovaque, roumain, croate et ruthène.

Le statut de ces quatre langues officielles de Singapour est défini de façon formelle dans la Constitution de 1965, qui a été modifiée de nombreuses fois (1985, 1993, 1994, 1995, 1996, 1999, 2001, 2002, 2004, 2007 et 2008).  C'est l'article 153A qui proclame le statut officiel des quatre langues, tout en précisant que le malais constitue «la langue nationale» :

Article 153A

Langues officielles et langue nationale

1) Le malais, le mandarin, le tamoul et l'anglais sont les quatre langues officielles de Singapour.

2) L
a langue nationale est le malais et elle est en alphabet romain :

Pourvu que :

(a) nul ne peut être empêché d'employer ou d'apprendre une autre langue; et

(b) rien dans le présent article ne doit porter atteinte au droit du gouvernement de préserver et de soutenir l'usage et l'étude de la langue de toute autre communauté de Singapour.

Autrement dit, le malais a le double statut de langue officielle et de langue nationale en raison de la proximité de la cité-État avec le monde malais. En effet, Singapour est enclavée complètement par la Malaisie et l'Indonésie, deux pays dont la langue officielle est le malais, soit le «malais malaisien» (Bahasa Malaysia) et le «malais indonésien» (Bahasa Indonesia). Cela étant souligné, l'existence de quatre langues officielles ne signifie pas nécessairement que ces quatre langues soient à égalité dans les faits.

5 La politique linguistique

La politique linguistique de Singapour en est une de multilinguisme stratégique. C'est même cette volonté du multilinguisme qui a causé la rupture de la cité-État d'avec la fédération de Malaisie en 1965. Depuis lors, Singapour est une république autonome. S'il n'existe pas de loi linguistique dans cet État, plusieurs lois contiennent néanmoins certaines dispositions linguistiques. Et c'est dans la Constitution singapourienne qu'on trouve les plus importantes dispositions relatives à l'usage des langues.

À ce sujet, il faut reconnaître l'influence considérable de Lee Kuan Yew dans l'histoire récente de Singapour. Celui-ci a été premier ministre de 1959 à 1990, soit durant trente-cinq ans. C'est lui qui a défini et imposé la politique linguistique encore en cours. Cette politique proclamait quatre langues officielles, soit le mandarin, le malais, le tamoul et l'anglais, mais le statut de l'anglais était supérieur à celui des trois autres. L'Intention réelle était d'éliminer la concurrence entre le chinois, le malais et le tamoul en imposant une quatrième langue, l'anglais, une langue que personne ne parlait à cette époque (1959). Selon ce plan, l'anglais devait être imposé partout dans l'administration et l'éducation, même dans les médias, de telle sorte qu'il devenait plus aisé d'unifier la nation et d'éliminer les rivalités entre les principales ethnies autochtones.

Après sa démission en 1990, Lee Kuan Yew est devenu un conseiller pour le gouvernement avec le titre de "Senior Minister" jusqu'en 2004. De 2004 à 2011, il fut "Mentor Minister", conservant ainsi la mainmise sur la politique linguistique de Singapour.  

5.1 Les langues de la législation

Au Parlement, les langues admises dans les débats sont les quatre langues officielles: l'anglais, le malais, le mandarin et le tamoul. C'est d'ailleurs ce que reconnaît la Constitution:

Article 44

Aptitudes pour devenir membre du Parlement

2) Quiconque est apte à être élu ou désigné comme membre du Parlement si:

e) il est capable, avec un degré de maîtrise suffisante pour lui permettre de prendre part activement aux travaux du Parlement, de parler et, à moins d'être aveugle ou handicapé physiquement, de lire et écrire au moins l'une des langues suivantes, soit l'anglais, le malais, le mandarin et le tamoul;

Article 53

Utilisation des langues au Parlement

Jusqu'à ce que la Législature n'en décide autrement, tous les débats et toutes les discussions au Parlement doivent être menés en malais, en anglais, en mandarin ou en tamoul.

Dans les faits, la langue la plus utilisée par les parlementaires demeure l’anglais, suivie de près par le mandarin, puis plus rarement, c'est-à-dire occasionnellement, par le malais et le tamoul. Si l’on accepte en principe les quatre langues dans les débats oraux, seul l’anglais reste la langue de la rédaction et de la promulgation des lois. Le système de traduction simultanée adopté au Parlement ne sert qu’à passer du chinois, du malais ou du tamoul vers l’anglais. Comme il n'y a pas de traduction de l'anglais vers les autres langues, il en résulte que tous doivent connaître l'anglais. L'unilinguisme anglais est donc de mise, et le bilinguisme ne vaut que pour transiter dans cette langue.

Ce privilège de l’anglais ne découle pas des prescriptions constitutionnelles puisqu’on lit à l’article 53 les dispositions suivantes: «Jusqu'à ce que la Législature en dispose autrement, tous les débats et toutes les discussions du Parlement doivent être menés en malais, en anglais, en mandarin ou en tamoul.» L’État a probablement jugé plus économique et plus efficace de rédiger les lois seulement en anglais, langue comprise par tout le monde, plutôt que d’utiliser simultanément les quatre langues écrites.

5.2 Les tribunaux

Tout citoyen a le droit de demander un procès dans l'une des quatre langues officielles (à son choix): anglais, mandarin, malais ou tamoul. Tous les documents dans l’une ou l’autre de ces langues sont permis, mais la cour peut obliger que lui soit remise une traduction en anglais. Quant au juge, il rend sa sentence dans la langue dans laquelle est engagé le procès. Dans un procès bilingue impliquant une autre langue que l’anglais (p. ex., mandarin-malais), on fera intervenir un juge pouvant s’exprimer dans ces deux langues. Tous les juges sont tenus de connaître l’anglais parce que c’est la langue dans laquelle sont rédigées les lois. Dans les cours d’appel, l’anglais est généralement la seule langue utilisée. L'article 109 du Code de procédure criminelle (version de 1985) énonce que tout témoignage rapporté dans une langue qui n'est pas comprise par l'accusé doit lui être traduit immédiatement dans une langue qu'il comprend:

Article 109

Interprétation du témoignage à l'accusé

1) Chaque fois qu'un témoignage est rapporté dans une langue non comprise par l'accusé et qu'il est présent physiquement, il doit lui être traduit immédiatement dans une langue qu'il comprend.

2) Lorsque des documents sont apportés comme témoignage formel, il relève de la discrétion de la Cour de les traduire si cela semble nécessaire.

Article 218

Explication de la sentence à l'accusé et présentation d'un fac-similé

La sentence doit être expliquée à l'accusé et, à sa demande, il reçoit un fac-similé de la sentence ou, s'il le désire, une traduction dans sa propre langue, si possible, sans délai.

Répétons-le, le juge est tenu de savoir l'anglais, et pas nécessairement les trois autres langues officielles, mais en général les juges connaissent aussi le malais, la langue nationale, et/ou le chinois, plus rarement le tamoul, il faut l'admettre.

Évidemment, les langues non officielles, incluant les langues chinoises autres le mandarin, ne sont pas admises dans les tribunaux. Voici deux articles tirés de la Loi sur l'administration du droit musulman (1968), qui précisent bien que les tribunaux islamiques siègent en malais et en anglais avec l'alphabet jawi ou rumi:

Article 38

Langue et compte rendu

1) Les langues de la Cour sont la langue nationale et l'anglais.

2) Tous les documents et la procédure écrites peuvent être rédigés ou dactylographiés
dans la langue nationale (alphabet jawi ou rumi).

3) La Cour tient et conserve des rapports complets et appropriés de toute la procédure ainsi que les comptes rendus complets et appropriés de toutes les transactions financières du tribunal.

Article 21

Procès-verbal

1) Le secrétaire tient le procès-verbal de toutes les réunions du Majlis dans la langue nationale et en anglais.

2) À chaque réunion, le procès-verbal de l'assemblée précédente est lu et approuvé, sous réserve d'une modification qui peut être exigée.

3) Le procès-verbal est inscrit dans le registre des délibérations du Majlis et comprend un rapport complet de chaque résolution du Majlis.

4) Une copie du procès-verbal est envoyé au président de Singapour.

Article 22

Ordre des causes et vote

1) Le président détermine l'ordre des causes de toute assemblée.

4) La procédure du Majlis doit être rapportée dans la langue nationale ou en anglais.

Rappelons que le jawi est du malais transcrit en alphabet arabe, alors que le rumi est du malais en alphabet latin. D'après les textes qui précèdent, l'anglais et le malais sont les langues des tribunaux inférieurs; pour les tribunaux supérieurs, c'est l'anglais qui est employé, mais les traductions en chinois et en tamoul constituent une procédure normale. 

5.3 L’Administration publique

L’Administration publique utilise, en principe, les quatre langues officielles dans ses relations avec les citoyens, mais la tendance est de privilégier l’anglais et le mandarin, surtout l'anglais. Toutefois, tout citoyen peut exiger qu’on lui réponde – à l’oral et à l’écrit – dans la langue de son choix. La plupart des ministères et des agences de l’État se contentent de diffuser les documents officiels uniquement en anglais. Sur demande, les documents sont fournis dans la langue demandée. Bref, tous les organismes gouvernementaux offrent des services en quatre langues, mais les pratiques réelles dénient parfois ces offres de services, notamment pour le malais et le tamoul. Comme on peut le présumer, l’État n’accepte aucune communication dans les langues non officielles (min nan, hakka, cantonais, hindi, filipino, indonésien, etc.).

Néanmoins, lorsqu’on lit l’article 152 de la Constitution, on y relève cette disposition qui oblige le gouvernement de veiller aux intérêts des minorités (ethniques et religieuses) de Singapour: «Le gouvernement sera constamment responsable de voir aux intérêts des minorités raciales et religieuses de Singapour.» Dans le même article, la Constitution mentionne même une minorité en particulier, les Malais qui constituent la population autochtone du territoire:

Article 152

Minorités et situation particulière des Malais

1)
Il relève de la responsabilité du gouvernement  de se soucier constamment des intérêts des
minorités raciales et religieuses à Singapour.

2) Le gouvernement doit exercer ses fonctions de manière à reconnaître la situation particulière des Malais, qui forment la population indigène de Singapour; en conséquence, il a la responsabilité de protéger, de sauvegarder, de soutenir, d'encourager et de promouvoir leurs intérêts politiques, éducatifs, religieux, économiques, sociaux et culturels ainsi que la langue malaise.

Dans les faits, les circulaires officielles (toujours obligatoires en anglais) ne comprennent pas souvent le tamoul, bien que les versions soient incluses en malais et en mandarin. Les guichets automatiques ne permettent pas souvent l'usage du tamoul pour mener à bien une transaction. Le tamoul n'est que rarement affiché sur les panneaux impliquant les édifices publics.

L'arrière-plan multiethnique de la société singapourienne se retrouve dans son paysage linguistique, c'est-à-dire ses affiches. L'unilinguisme des affiches n'est pas la règle, sauf pour les édifices publics identifiant un ministère ou un organisme gouvernemental, alors que seul l'anglais apparaît. Il peut en être ainsi pour les hôtels, les restaurants ou les industries. Bien que le malais soit la langue nationale de Singapour, les bâtiments publics sont normalement identifiés par des panneaux en anglais et non en malais.

En comparant les occurrences relatives de l'anglais et du malais dans la fabrication des affiches, c'est la langue de travail, l'anglais, qui est beaucoup plus répandue dans le paysage linguistique que la langue nationale, le malais qui est limité aux cérémonies officielles. Quand il s'agit d'unilinguisme, c'est en anglais qu'il se manifeste.

Le bilinguisme est parfois présent, toujours l'anglais avec une autre langue, souvent avec le chinois, rarement avec le tamoul.  Lorsque le quadrilinguisme est de mise, l'anglais est en principe toujours visuellement dominant. Normalement, on lit d'abord la version anglaise qui est suivie, dans l'ordre de haut en bas, du chinois, du malais et du tamoul.

Sur les huit hôpitaux supervisés par le ministère de la Santé de Singapour, seul l’Hôpital général de Singapour (le Ng Teng Fong General Hospital) dispose de panneaux dans les quatre langues officielles. Dans les différentes sections de cet hôpital, les affiches comprennent des inscriptions dans les quatre langues officielles: les blocs opératoires, les salles d'attente, le département des accidents, les urgences, les cliniques externes spécialisées, le centre national du cœur et le centre national du cancer, etc. Évidemment, les inscriptions en anglais figurent toujours dans une taille plus grande; suivent le malais, le chinois et le tamoul dans des tailles plus petites mais égales. Dans d'autres hôpitaux toutefois, ainsi que dans les cliniques médicales, les dentistes, les bureaux d'optométrie, etc., les affiches paraissent généralement en anglais seulement.

Les messages dans les zones rurales visent normalement un public plus restreint et plus ciblé. C'est pourquoi les affiches sont généralement rédigées dans la langue des lecteurs concernés. Par exemple, des panneaux tels «No Alcohol» peuvent apparaître aussi dans une autre langue: anglais-chinois, anglais-malais ou anglais-tamoul.

À Singapour, la plupart des ambassades étrangères peuvent utiliser leur langue nationale sur les panneaux indicateurs, à la condition que celle-ci puisse être présentée dans l'une des écritures des langues officielles de Singapour: l'alphabet latin pour l'anglais et le malais, les caractères chinois pour le mandarin et l'alphabet tamoul pour le tamoul. Par exemple, l'ambassade de France peut utiliser le français, car cette langue s'écrit en alphabet latin. Mais l'ambassade de la Thaïlande doit utiliser l'anglais, parce que l'alphabet thaï n'est pas reconnu parmi les trois écritures permises. Des exceptions sont autorisées dans les lieux touristiques, comme les caractères syllabiques du japonais.

5.4 L’éducation

Rappelons que la politique d'enseignement bilingue a été officiellement introduite en 1966. À ses débuts, l'anglais pouvait être enseigné soit comme langue maternelle (L1) soit comme langue seconde (L2). Cependant, les écoles qui enseignaient l'anglais comme langue seconde ont connu une baisse rapide des inscriptions et beaucoup ont dû fermer leurs portes ou ont carrément opté pour l'enseignement de l'anglais langue première (L1). Finalement, la langue maternelle (mandarin, malais ou tamoul) n'a été enseignée que comme matière scolaire et non plus comme langue d'enseignement.

L’État a adopté une politique d’égalité dans l’accès à la langue d’enseignement. Tous les parents envoient leurs enfants dans les écoles maternelles et primaires de leur choix. De la maternelle à la fin du secondaire, il est possible de recevoir son instruction en anglais, en mandarin, en malais ou en tamoul. Toutes les écoles, qu'elles soient publiques ou privées, doivent respecter les programmes d'enseignement du gouvernement.

- L'enseignement bilingue

Signalons que la distinction entre les écoles chinoises, malaises ou tamoules est relativement faible. L'anglais demeure la principale langue d'enseignement dans toutes les écoles pour la plupart des matières, tandis que la langue première (L1) est utilisée dans les cours de langue maternelle et les cours d'éducation morale. Ce système d'enseignement bilingue est différent des modèles pédagogiques bilingues typiques dans lesquels le contenu scolaire doit être enseigné en deux langues. Ce n'est pas le cas à Singapour. En effet, la politique du bilinguisme y a institué comme règle de base que l'apprentissage de la langue maternelle dans les écoles primaires et secondaires est avant tout un «legs culturel» pour préserver les identités et les valeurs culturelles asiatiques, mais n'est pas nécessaire à la transmission des connaissances. Dans ce but, l'anglais suffit amplement.

Plus précisément, les enfants apprennent d’abord l’anglais à l'école, puis une autre langue au choix (mandarin, malais, tamoul ou une autre langue reconnue). Selon le ministère de l'Éducation, la maîtrise de l'anglais est vitale pour les élèves singapouriens, cette langue étant reconnue comme la langue de l'administration, de l'éducation, du commerce, des sciences, de la technologie et de la communication internationale. Les compétences en anglais sont évaluées au moyen d'examens écrits, d'examens oraux et de compréhension à l'audition. Les examens écrits comprennent l'écriture, la compréhension et la rédaction de textes, tandis que pour les examens oraux les élèves sont invités à lire à haute voix des passages et à décrire des images ou des illustrations. Les programmes de l'école primaire visent à développer la capacité de parler et d'écouter, ainsi que d'amener les élèves à devenir des lecteurs indépendants capables d'exprimer leurs idées par écrit.

Bien que l’anglais soit la principale langue d’enseignement dans les écoles de Singapour, la langue maternelle est une matière obligatoire dans les écoles primaires. Cependant, l'anglais, généralement une langue seconde dans les faits (L2) pour la majorité des enfants, est enseigné comme langue première (L1), alors que la langue maternelle (L1) est enseignée comme langue seconde. Les élèves qui réussissent à maîtriser leur langue maternelle à un niveau performant à la fin de leurs études primaires peuvent être dispensés des cours de langue maternelle au secondaire. Bref, peu importe leur allégeance linguistique, toutes les écoles enseignent d'abord l'anglais, puis une autre langue «secondaire», la langue maternelle qui est devenue une langue seconde (L2). Donc, au moins deux langues sont enseignée obligatoirement au primaire, mais la priorité est à l'anglais.

Le gouvernement singapourien admet que, malgré l’augmentation substantielle du nombre d’anglophones, l’anglais est devenu la langue dominante dans la plupart des foyers, surtout parmi les Chinois. Par voie de conséquence, les Singapouriens éprouvent des difficultés à bien parler leur langue maternelle malgré leur appartenance ethnique. Beaucoup estiment que leur objectif initial, soit de maîtriser l'anglais et leur langue maternelle, est un échec. De ce fait, de nombreux Singapouriens d’aujourd’hui ne connaissent bien ni l’anglais ni leur langue maternelle. Par ailleurs, le recours à l'anglais pour enseigner la langue maternelle des élèves est considéré comme un tabou par les éducateurs à Singapour; il ne faut surtout pas en parler.

- L'enseignement secondaire

Au secondaire, les élèves doivent parler et écrire dans un anglais grammaticalement correct, adapté aux objectifs, au public et à la situation. Les élèves sont présumés parler couramment l'anglais. Par conséquent, à ce niveau, l'anglais en tant que matière scolaire est remplacé par le "General Paper", exercice où les élèves doivent formuler des analyses et des arguments sur des questions d'actualité, ce qui exige évidemment des connaissances approfondies sur ces questions. 

Au niveau secondaire, les élèves intéressés peuvent étudier une troisième langue, comme le mandarin (pour les non-Chinois), le malais (pour les non-Malais), l'indonésien (pour les non-Malais), l'arabe, le japonais, le français ou l'allemand, mais les trois dernières langues étrangères sont limitées aux 10% des élèves ayant obtenu des résultats supérieurs. Dans les faits, à la fin du secondaire, la plupart des élèves savent au moins trois langues parce que l’anglais est devenu la seule langue d’enseignement pendant la dernière année scolaire. Si, à la fin de leurs études secondaires, plus de 87 % des élèves savent l’anglais, on estime que plus de 65 % de ceux-ci connaissent à la fois l’anglais et le chinois. En somme, Singapour favorise au moins un enseignement bilingue, sinon trilingue. On constate aussi que plus les élèves avancent dans leur programme scolaire, plus les parents ont tendance à les inscrire à l’école anglaise, délaissant ainsi les langues maternelles. Les langues les plus étudiées sont, outre l'anglais, le mandarin et le malais.

- La communauté chinoise

Depuis longtemps, il existe au sein de la population chinoise une distinction entre les familles dont les enfants fréquentent des écoles secondaires chinoises et celles dont les enfants fréquentent des écoles anglaises. La première catégorie de ces familles, parce qu'elle est majoritaires, veut rendre obligatoires les écoles chinoises à toute la communauté chinoise. Mais les autorités singapouriennes ne sont pas prêtes à entériner cette pratique, sans doute parce qu'elles ont conscience que les communautés tamoule et malaise réclameraient des mesures similaires. De façon générale, de nombreux élèves se retrouvent confrontés à deux langues étrangères: l'anglais et le mandarin, parce qu'ils parlent le min nan, le hakka, le cantonais, etc.

L’enseignement du mandarin dans les écoles connaît certaines difficultés en raison du fait que davantage de Singapouriens chinois parlent et utilisent l’anglais à la maison. Le déclin de la maîtrise du mandarin chez les jeunes générations chinoises au profit de l'anglais préoccupe les générations plus anciennes de Singapouriens chinois, car elles considèrent que ce fléchissement entraîne une érosion de la culture et du patrimoine chinois. Leur préoccupation a conduit le gouvernement à créer le Centre singapourien pour la langue chinoise (SCCL: "Singapore Centre for Chinese Language") en novembre 2009. L'objectif déclaré du SCCL est d'améliorer l'efficacité de l'enseignement du mandarin en tant que deuxième langue dans un environnement bilingue et de répondre aux besoins d’apprentissage des étudiants des foyers où l'on ne parle pas le mandarin.

Malgré les efforts du gouvernement pour promouvoir le mandarin par l'opération des campagnes "Speak Mandarin", la promotion de la culture chinoise et du mandarin continue d’être un épineux défi, le mandarin devant faire face à la forte concurrence de l’anglais. Cette situation ne se limite pas toutefois au mandarin, elle touche aussi le malais et le tamoul, où l'observation des statistiques montre que l'anglais prend progressivement le pas sur les langues maternelles des Singapouriens.

- La communauté indienne (tamoule)

La communauté indienne parle plusieurs langues. Étant donné que les Tamouls constituent le groupe indien le plus important (60% des Singapouriens indiens), le tamoul est la langue officielle représentant la communauté indienne et la langue maternelle de 36,7% des Singapouriens indiens. Contrairement à la politique linguistique appliquée pour le mandarin et le malais, celle relative aux élèves indiens leur laisse le choix d'une plus grande variété de langues indiennes.

Par exemple, les élèves parlant une langue dravidienne étudient le tamoul comme langue maternelle. Toutefois, certaines écoles comptant peu d'élèves tamouls peuvent ne pas offrir de cours de langue tamoule. En conséquence, les élèves de ces écoles suivent des cours de langue tamoule au Centre de langue tamoule d'Umar Pulavar. Le "Umar Pulavar Tamil Language Centre" est un établissement d'enseignement de la langue tamoule situé à Kallang dans le centre-sud de l'île; il porte le nom d'après Umaru Pulavar (1642-1765), un poète musulman tamoul.

De leur côté, les élèves indiens qui parlent une langue indo-iranienne ont le droit de choisir entre l'hindi, le bengali, le panjabi, le gujarati et l'ourdou. Dans les faits, seules quelques rares écoles offrent des cours dans des langues indiennes non dravidiennes. L'enseignement systématique au secondaire en langue tamoule a pris fin en 1982 lorsque le seul lycée tamoul, le lycée Umar Pulavar Tamil, a fermé ses portes, le tamoul demeurant néanmoins comme langue maternelle d'enseignement. Au total, 82 écoles offrent des «cours de formation continue» en tamoul. Cet éventail permet à plus de 90 % des élèves de niveau secondaire de suivre une formation continue pendant les heures de cours. Les élèves qui choisissent d'étudier dans d'autres écoles secondaires peuvent suivre des cours de l'après-midi au Centre de la langue tamoule (UPTLC) d'Umar Pulavar. 

- La communauté malaise

Étant donné la population plus restreinte des Malais, l’accès aux écoles primaires dans leur langue n'est pas garanti partout, et il en est ainsi au secondaire et dans les universités où cet enseignement demeure plus théorique que réel. Actuellement, le statut et le développement de la langue malaise à Singapour sont supervisés par le Conseil malais des langues ("Majlis Bahasa Melayu Singapura") créé en avril 1981. C'est un moyen de s'assurer que la langue conserve sa pertinence dans la société pour les générations futures.

Il faut tenir compte du fait que, au sein de la communauté malaise de Singapour, le malais constitue un élément fondamental de l’identité culturelle. Dans cette communauté, il existe une crainte constante que les jeunes Malais singapouriens perdent leur identité culturelle avec le déclin de l’usage de la langue malaise. En une cinquantaine d’années, le statut du malais a considérablement changé en passant de celui de «langue nationale» symbolique (dans les cérémonies officielles) à celui de simple «langue maternelle» parlée seulement par les Malais dans un système d'éducation qui a adopté l’anglais comme langue principale d’enseignement.

- Les exemptions

Dans certaines situations, les élèves singapouriens sont autorisés à choisir un «programme simplifié» en langue maternelle, voire obtenir une exemption complète des cours de langue maternelle. Cette acceptation est possible lorsqu'un élève éprouve des difficultés d'apprentissage, comme la dyslexie qui peut le rendre inapte à l'écriture. Une autre situation se présente pour les élèves nés à l'étranger qui n'ont aucun contact avec les langues maternelles (L1) enseignées à Singapour. Un élève peut alors choisir d'étudier une langue non officielle telle que le français, l'allemand ou le japonais «comme langue maternelle» (L1). Toutes ces situations sont évaluées au cas par cas.

Depuis la colonisation britannique, la langue d’enseignement formel a toujours favorisé l’anglais, malgré l'introduction des autres langues. Depuis 1978, les examens doivent être rédigés en anglais. En réalité, toutes les écoles primaires et secondaires sont officiellement des «écoles anglaises», mais les élèves peuvent étudier l'une des trois langues maternelles dites «secondes», le mandarin, le malais ou le tamoul. La plupart choisissent d'en étudier deux.

Après cinq décennies de politique linguistique consacrée à la promotion de l'anglais, le résultat a abouti à des évolutions généralement régressives aux dépens des trois autres langues officielles, le chinois, le malais et le tamoul. Pour les Singapouriens, le début de la période de glissement linguistique vers l’anglais date de l’introduction des écoles en langue anglaise dans les années 1960 et, par la suite, de la fermeture d'écoles en malais, en chinois et en tamoul, notamment depuis l’adoption de la politique de bilinguisme. Dans la mesure où la politique linguistique demeure ce qu'elle est, alors que les «langues ethniques» ne sont reconnues que comme des disciplines scolaires, celles-ci risquent de devenir simplement des «langues scolaires», inutiles dans la vie hors de l'école.

Signalons en outre que les autorités incitent les élèves et les étudiants à utiliser une langue normalisée et déconnectée de la vie quotidienne et familiale, même en ce qui concerne la prononciation et l'usage oral de la langue maternelle. Ainsi, la prononciation britannique de l'anglais est formellement encouragée, de même que l'utilisation du mandarin aux dépens des autres langues chinoises, ou l'usage du registre littéraire officiel du tamoul ainsi que la prononciation normalisée du malais basée sur le malais du Nord. Dans la vie de tous les jours, les Singapouriens parlent une forme plus populaire et moins standardisée, peu importe la langue de départ.  

- L'enseignement supérieur

Tous les établissements supérieurs utilisent l'anglais comme langue d'enseignement, avec dans certains cas le chinois mandarin. Depuis l’année scolaire 1983-1984, le chinois est devenu la seconde langue obligatoire pour obtenir un diplôme universitaire. Les locuteurs du malais et du tamoul ont, il est vrai, conservé leurs droits constitutionnels, mais ces droits demeurent plus symboliques que réels. 

5.5 La vie économique

Grand centre économique de cette partie du Sud-Est asiatique, Singapour utilise l’anglais comme principale langue des affaires. C’est la langue dominante dans la vie économique du pays. Beaucoup d’entreprises exigent même la connaissance de l’anglais comme condition incontournable d’emploi; parfois, on ajoute le chinois mandarin. D'ailleurs, plusieurs lois singapouriennes prévoient des dispositions à l'égard de l'anglais dans les entreprises. Ainsi, la Loi sur les sociétés (1961) énonce que les sociétés commerciales doivent produire leurs documents en anglais et, sinon une traduction certifiée est nécessaire:

Article 397

Traduction des documents et autres

1) Lorsqu'en vertu de la présente loi, une société est dans l'obligation de déposer auprès du greffier un document, un certificat, un contrat ou une copie conforme certifiée ou similaire, qui ne sont pas rédigés en anglais, cette société doit déposer en même temps auprès du greffier une traduction certifiée de ces documents en anglais.

La Loi sur les valeurs mobilières et les contrats (2003) prévoit des mesures identiques pour l'anglais:
 

Article 318A

Traduction des instruments

1) Lorsqu'une personne présente, fournit ou dépose auprès des autorités un livre, une demande, un compte rendu, un rapport, un prospectus, une déclaration ou toute autre information ou un document en vertu de la présente loi (autre que la subdivision 3) du chapitre 3 de la partie IX), qui n'est pas en anglais, la personne doit, en même temps ou à tout autre moment qui peut être permis par les autorités, présenter, fournir ou déposer, selon le cas, une traduction précise du document en anglais.

Il en est ainsi pour la Loi sur les fiducies commerciales de 2004 :

Article 99

Traduction des documents

1) Lorsqu'une personne présente, fournit ou dépose auprès des autorités un document, une demande, un rapport, un compte rendu, une déclaration, un renseignement ou toute autre information en vertu de la présente loi, qui ne sont pas en anglais, la personne doit en même temps ou à tout autre moment permis par les autorités soumettre, fournir ou déposer auprès des autorités, selon le cas, une traduction précise de ces documents en anglais.

Manifestement, cette promotion du «tout-anglais» se fait au détriment des langues maternelles, que ce soit le mandarin, le malais ou le tamoul, sans oublier les langues chinoises autres que le mandarin (min nan, hakka, cantonais, etc.).

En vertu de la Loi sur le contrôle des pourriels (spam) de 2007,  tout expéditeur peut être poursuivi en justice pour le montant de 25 $ par courriel, jusqu'à un total d'un million de dollars de Singapour pour avoir envoyé des courriels non sollicités. La loi s'applique si l'expéditeur réside à Singapour, si l'appareil est à Singapour, si la société commerciale est à Singapour et que le destinataire réside aussi à Singapour. L'expéditeur, en ce cas, doit prévoir une adresse de «désabonnement» facile et aisé. Le désabonnement doit être traité dans les dix jours. L'article 2 de la loi oblige à ce que la déclaration soit présentée en anglais et, lorsque celle-ci est présentée en deux langues ou plus, l'anglais doit être l'une d'elles:

Article 2

Désabonnement aisé

4) La déclaration visée à l'alinéa 1 (b) doit être présentée:

(a) de façon claire et visible; et

(b)
en anglais et, lorsque la déclaration est présentée en deux langues ou plus, l'anglais doit être l'une d'elles.

La Loi sur les prêteurs (2008) prévoit que, outre l'anglais, l'emprunteur doit connaître les termes du contrat dans une langue qu'il comprend avant qu'il ne signe la note du contrat de prêt:

 

Article 20

Note du contrat de prêteur transmis à l'emprunteur

1) Aucun contrat sur un prêt accordé par un concessionnaire, ni aucune garantie ou sécurité donnée par l'emprunteur pour le prêt n'est exécutoire; et aucune somme payée par le titulaire de licence ou au nom de celui-ci en vertu du contrat sur le prêt n'est récupérable dans un tribunal, sauf:

(b) Si l'emprunteur ou son agent ne comprend pas l'anglais, le concessionnaire ou son agent explique les termes de la note du contrat sur le prêt à l'emprunteur ou à son agent dans une langue que l'emprunteur ou son agent, selon le cas, comprend avant qu'il ne signe la note du contrat de prêt;

La Loi sur les prêteurs sur gages (1994) est intéressante à plus d'un titre. L'article 14 précise qu'un prêteur sur gages doit toujours exposer ou placer sur la porte extérieure de son entreprise une enseigne ou une inscription en anglais, en malais, en chinois et en tamoul, portant les mots «Échoppe de prêteur sur gages» (“Pawnbroker’s Shop”), et présenter à la vue du public les taux de bénéfice légalement acceptés et indiquant les mêmes informations en anglais, en malais, en chinois et en tamoul :

Article 14

1) Chaque prêteur sur gages doit : [...]

Enseignes

(b) Toujours exposer ou placer sur la porte extérieure de son magasin une enseigne avec une taille et un emplacement que le greffier prévoit en imprimant sur cette enseigne, en anglais, en malais, en chinois et en tamoul, les mots «Échoppe de prêteur sur gages»; et

Copie de taux à présenter

(c) Exposer dans un endroit adéquat du magasin, afin d'être à proximité et visible pour tous les clients, une copie lisible des taux de bénéfice qu'il peut légalement gagner en vertu de la présente loi et également avec les mêmes informations en anglais, en malais, en chinois et en tamoul, comme il est prévu par les règlements pour être imprimés sur des reconnaissances de dépôt.

Tout prêteur sur gages qui ne réussit pas à se conformer aux dispositions de l'article 14 est coupable d'une infraction. Enfin, la Loi sur les banques (2008) énonce que les banques qui désirent fusionner doivent publier un avis d'approbation, au moins une fois, dans un quotidien local en malais, en anglais, en chinois et en tamoul:
 

Article 14A

Approbation par le Ministre pour la fusion de certaines banques

6) Lorsqu'un certificat d'approbation est émis en vertu du paragraphe 1 sur la fusion des banques, celles-ci doivent publier un avis d'approbation de la fusion au moins une fois dans un quotidien local en malais, en anglais, en chinois et en tamoul dans la semaine de la date de l'attestation de l'approbation.

Notons que près d’un million de personnes peuvent, à un degré ou à un autre, s’exprimer en anglais. C’est par cette langue que Singapour peut se permettre de s’ouvrir aux marchés internationaux, mais c’est aussi par la connaissance des langues chinoise et malaise, voire tamoule, que les gens d’affaires de Singapour peuvent prendre leur place dans les marchés économiques de la région. L’anglais accapare, il est vrai, la première place, mais le mandarin, le malais et le tamoul conservent, tour à tour, une position non négligeable au plan des échanges commerciaux avec les pays voisins. Ainsi, aucune langue n’est exclue: la plupart des produits manufacturés portent des étiquettes en quatre langues, les modes d’emploi apparaissent en quatre langues, les raisons sociales peuvent être en anglais, mais elles peuvent également être bilingues, trilingues ou quadrilingues. Il existe des médias (presse écrite et électronique) en anglais, en mandarin, en malais et en tamoul. Bien entendu, l’anglais reste la première langue véhiculaire pour l'ensemble des groupes ethniques.

5.6 Les médias

Le groupe mondial de défense de la liberté de la presse, Reporters sans frontières, classe Singapour à la 149e place sur 179 pays en ce qui concerne l'indice de liberté de presse. L'organisme Freedom House, basée aux États-Unis, le classe à la 153e place avec l’Afghanistan, l’Irak et le Qatar. Selon un rapport publié en 2012 par Freedom House, les membres du parti au pouvoir recourent promptement à des lois civiles et pénales sévères pour faire taire les opposants politiques et les médias critiques.

- Les journaux

On compte une vingtaine de journaux à Singapour. Plusieurs sont en anglais: Business Times, Tabla!, The New Paper, The Straits Times, TGIF Papers et Good Paper. D'autres sont publiés en chinois (zbCOMMA, Lianhe Wanbao, Lianhe Zaobao, Shin Min Daily News et Thumbs Up), en malais (Berita Minggu, le dimanche seulement), en tamoul (Tamil Murasu). Deux autres sont bilingues anglais-chinois: Asia Today et My Paper.

Le contrôle sur les journaux s'exerce à la fois ouvertement et par des moyens plus discrets. L'autocensure est omniprésente et touche les pratiques de travail dans toutes les salles de rédaction. Les normes des «procédures opérationnelles» doivent être respectées à tout moment, ce qui signifie que même les modifications mineures apportées à la relation d'un événement doivent être approuvées et rédigées par un rédacteur en chef tout-puissant. Les journalistes ne peuvent critiquer le gouvernement qu'avec modération ou humour sous peine de voir leurs articles réécrits ou refusés, voire incriminés. Ces contraintes conduisent naturellement à de nombreux changements du personnel dans les salles de rédaction.

L'un des principes éditoriaux les plus fondamentaux est que les journalistes doivent être étroitement surveillés pour s'assurer qu'ils écrivent uniquement ce que le journal et le gouvernement veulent voir apparaître. Les sujets controversés doivent d'abord être «clarifiés» avec les ministères. De fait, les liens étroits entre les rédacteurs en chef et le gouvernement singapourien sont manifestes et jugés «normaux». Cette perception est partagée par l'ambassade des États-Unis, dont un porte-parole a affirmé que le gouvernement exerce une pression importante sur les rédacteurs en chef et qu'il utilise la presse «pour façonner l'opinion publique», au point où les articles des journaux les plus influents (comme le Straits Times) «se lisent souvent comme des annonces de service public». Selon Andrew MacGregor Marshall, un ancien rédacteur en chef de Reuters basé à Singapour, les médias locaux ne seraient pas crédibles:

The Singaporean state media can never be credible because they are not free. They are mouthpieces of the state, their loyalty is not to their readers but to the state, so they will always be hollow and uninspiring. (Asia Sentinel, July 17, 2013). [Les médias de l'État singapourien ne peuvent jamais être crédibles parce qu'ils ne sont pas libres. Ils sont les porte-parole de l'État, leur loyauté n'est pas envers leurs lecteurs, mais envers l'État, donc ils seront toujours insignifiants et sans intérêt.] Asia Sentinel, 17 juillet 2013.

Les règles journalistiques sont généralement négligées et déformées par suite des faibles capacités linguistiques en anglais de nombreux journalistes. Des journalistes admettent que les citations utilisées dans les articles sont parfois inventées de toutes pièces parce qu'ils n'en comprennent pas le contenu.

Quant aux médias étrangers, ils sont bien représentés à Singapour. Ainsi, les Japonais, les Américains et les Allemands forment le plus grand groupe de correspondants étrangers, et l'île continue d'attirer des agences de presse étrangères pour y établir des bases: Reuters, CNBC Asia et le groupe Dow Jones y ont leurs sièges régionaux. Des publications telles que WSJA, INYT, Newsweek, The Economist et Time impriment et distribuent leurs éditions asiatiques par Singapour.

- La radio

Après l’indépendance, Radio Singapura et Television Singapura ont fusionné pour former Radio and Television Singapura (RTS). La fusion a donné lieu à de nombreux développements, parmi lesquels un déménagement au nouveau Centre de télévision de 3,6 millions de dollars à Caldecott Hill en 1966 et à l'installation d'une station terrienne par satellite en 1971 afin de faciliter la diffusion de programmes nationaux et internationaux.

Jusqu'en 1994, SBC Radio ("Singapore Broadcasting Corporation Radio") diffusait sur quatre canaux linguistiques différents, la proportion de temps de transmission allant d’environ 30% pour le chinois (mandarin et plusieurs dialectes chinois) à environ 20% pour le tamoul. Une telle répartition des heures n'était pas du tout basée sur la population relative ni sur la taille de l'auditoire dans chaque chaîne, puisque les programmes en tamoul attiraient moins de 5% de l'auditoire total de la radio. Le principe reposait davantage sur la politique du multilinguisme et le fait que des heures de transmission suffisantes étaient nécessaires pour servir le public, aussi petit soit-il, d'un groupe linguistique ou dialectal donné.

Mais en octobre 1994, SBC a été privatisée pour devenir la Television Corporation of Singapore (TCS), Radio Corporation of Singapore (RCS) et Singapore Television Twelve (STV12). Après avoir été achetées en février 2001, ces sociétés sont devenues Mediacorp. Or, Media Corporation of Singapore est un conglomérat singapourien spécialisé dans les médias. Cette entreprise est surtout active dans la télédiffusion et la radiodiffusion, ainsi que dans les médias dits interactifs. En 2012, elle exploitait sept stations de télévision et 14 stations de radio, ce qui en faisait le plus important groupe de diffusion publique de Singapour. Aujourd'hui, Mediacorp possède six stations en anglais, trois en mandarin, deux en malais, une en tamoul et une multilingue, XFM 96.3 (hindi, arabe, allemand, français, coréen et japonais). De plus, SPH Radio exploite One FM 91.3, Kiss 92 FM et UFM 100.3, tandis que SAFRA Radio exploite 883 JiaFM et Power 98FM.

Selon les stations, les émissions sont diffusées largement en anglais, puis en mandarin, en malais et en tamoul, mais également en indonésien et en filipino (tagalog). Une enquête de novembre 2017 menée par Nielsen a révélé une croissance significative de l’écoute anglaise, Mediacorp, dont les stations de radio Class 95-987, Gold 905 et 938 NOW ont augmenté leur écoute hebdomadaire de 76 000 auditeurs. 

- La télévision

Les chaînes gratuites de Singapour sont gérées par MediaCorp et chaque chaîne diffuse dans l'une des quatre langues officielles de Singapour. Par exemple, Channel U et Channel 8 sont des canaux en mandarin, Channel 5, Okto et Channel News Asia sont des canaux de langue anglaise, Suria est une chaîne de langue malaise et Vasantham est une chaîne à dominante tamoule. Cependant, ces canaux peuvent également offrir des programmes dans d'autres langues. Par exemple, en dehors des programmes en mandarin, Channel U diffuse également des programmes de télévision en coréen selon un horaire précis.

L'emploi des autres langues chinoises que le mandarin dans les médias est réglementé par le ministère de l'Information, des Communications et des Arts (MICA). La raison invoquée pour justifier la résistance aux variétés chinoises est que leur présence entraverait l’apprentissage de l’anglais et du mandarin. Toutefois, pour répondre aux besoins des Singapouriens plus âgés qui ne parlent que des variétés chinoises, les services de médias électroniques sont exemptés des restrictions du MICA. Deux chaînes gratuites, Okto et Channel 8, sont autorisées à diffuser des émissions et des films dans ces langues. 

La situation est différente pour les langues indiennes. Même si, parmi celles-ci, seul le tamoul bénéficie du statut de langue officielle, aucune tentative n'a été entreprise pour décourager l'emploi ou la diffusion d'autres langues indiennes telles que le bengali, le gujarati, l'hindi, le malayalam, le panjabi, le télougou et l'ourdou. La chaîne de télévision indienne locale Vasantham alloue des plages horaires à des émissions spécifiques pour répondre à la diversité des locuteurs des langues indiennes à Singapour.

Mediacorp Suria est la chaîne de télévision en langue malaise. Elle diffuse des émissions télévisées populaires en malais, qu’elles soient produites localement à l'interne ou acquises auprès de pays voisins tels que la Malaisie ou l’Indonésie. Il est possible aussi de capter les ondes de TV1, la chaîne de télévision publique de Malaisie, gratuite et exploitée par Radio Televisyen Malaysia. TV1 est la première et la plus ancienne chaîne de télévision en Malaisie; elle est diffusée «24 heures sur 24» (jour et nuit). Plusieurs autres chaînes sont disponibles en malais en Malaisie.

En moins d'une génération, la république de Singapour est passée du statut de pays sous-développé et corrompu au statut de géant économique, et ce, malgré sa faible population (5,7 millions pour plus de 50 langues) limitée dans un espace restreint et le manque de ressources naturelles. En un demi-siècle, l'anglais est devenu la langue la plus importante de Singapour, réduisant les trois autres langues officielles à un rôle quasi familial et scolaire. De nombreux Singapouriens ont critiqué la politique autoritaire de Lee Kuan Yew (1923-2015) qui s'est toujours montré intolérant à l'égard de toute contestation relative à sa politique linguistique. Celui-ci s'est grandement servi de l'Internal Security Act («Loi sur la sécurité intérieure») pour faire arrêter et détenir sans procès des opposants politiques ou des activistes. 

L’État de Singapour s'est engagé dans une politique linguistique fondée sur une égalité constitutionnelle entre les quatre langues officielles (anglais, mandarin, malais et tamoul). En fait, les langues ne sont pas vraiment égales. L’anglais est devenu la superlangue, quasiment la langue identitaire de Singapour. Les faits démontrent que la politique réelle du gouvernement consiste à éliminer non seulement les langues non officielles, mais également à réduire le rôle des trois autres langues officielles, ce qui a été prouvé à plusieurs reprises dans le présent article. 

Le système sous-jacent de la politique linguistique est celui-ci. Le mandarin sert surtout à cimenter la communauté chinoise en éliminant les langues chinoises autres que le mandarin (min nan, hakka, cantonais, etc.). Le malais est la langue de la première ethnie originaire de l’archipel, une disposition qui permet d'éradiquer les langues concurrentes telles que le javanais, l'indonésien, le madourais, etc.). Quant au tamoul, c’est la langue-phare des citoyens originaires de l’Inde, mais elle sert à évincer l'hindi, le bengali, le malayalam, le panjabi, le kannada, le gujarati, etc.

Il ne faudrait pas croire que l’État pratique une politique de non-intervention en ce qui a trait aux langues non officielles. Il fait tout pour décourager leur emploi et les pourchasser. On les interdit même à la radio depuis de nombreuses années. La propagande gouvernementale fait en sorte que les langues chinoises autres que la mandarin sont considérées comme des dialectes et proscrites dans tout usage officiel. De plus, le gouvernement organise des campagnes pour amener la grande communauté chinoise de Singapour à utiliser l’alphabet pinyin, ce qui aboutirait à la romanisation de l’écriture chinoise. C’est pourquoi cette écriture est enseignée à l'école primaire concurremment avec les idéogrammes chinois. L’un des messages les plus connus en pinyin est le suivant: Juing huà, y, bié yóu yù («N’hésitez pas, parlez mandarin»). Il est néanmoins clair que l’État de Singapour veut en définitive promouvoir l’usage de l’anglais comme superlangue, ce qui servirait à maintenir plus aisément l’unité nationale.

L’évolution linguistique la plus marquante pour la population de Singapour dans son ensemble se caractérise par la promotion de l’anglais. Les possibilités de parler malais, mandarin ou tamoul sont d’autant plus réduites que le besoin d’utiliser ces langues en dehors de l’école diminue inévitablement. Celles-ci n’étant plus ou étant peu utilisées à la maison et recevant donc moins d’apports de locuteurs de langue maternelle, leur maîtrise risque de s’appauvrir.

Il ne faut pas oublier que l'idéologie de départ était, pour des raisons à la fois politiques et économiques, de recourir à l'anglais afin de donner à tous les citoyens de Singapour une langue commune dans le but de communiquer et de travailler. À certains égards, cette politique a parfaitement réussi, la petite république de Singapour étant considérée aujourd'hui en Asie comme un modèle d’harmonie interethnique, de tolérance des différences religieuses et de progrès économique. Il ne fait aucun doute que l'anglais a contribué au succès de cette évolution. Toutefois, il y a eu un prix à payer.

En effet, le cas de Singapour montre que la réussite économique peut se faire au prix de l'éviction des plus petites langues. À long terme, on peut se demander si toutes les langues autres que l'anglais ne risquent pas de disparaître. Le passage à la domination du tout-anglais nuira-t-il à la transmission des valeurs traditionnelles pour les générations suivantes? La république de Singapour deviendra-t-elle un pays davantage anglophone unilingue, une nation dont les langues maternelles ancestrales seront réduites à devenir uniquement des matières scolaires? La seule langue qui sort nettement gagnante de cette politique linguistique, c'est l'anglais qui, au départ, n'était la langue d'aucun individu autochtone, mais celle des colonisateurs britanniques et aujourd'hui celle du capitalisme américain. Singapour est devenue en deux générations le pays le plus anglophone d'Asie et n'a pu malheureusement préserver sa diversité linguistique qui constituait justement l'une de ses richesses.

Dernière mise à jour: 23 déc. 2023

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