Macédoine du Nord
République de Macédoine du Nord Macédoine du Nord

Република Северна Македонија (macédonien)

Republika Severna Makedonija (alphabet latin)
Republika e Maqedonisë Veriore (albanais)

Capitale: Skopje 
Population: 2,0 millions  (2018)
Langue officielle: macédonien  
Groupe majoritaire: macédonien (61,4 %) 
Groupes minoritaires: albanais (25,1 %),  turc (3,7 %), romani (2,6 %), serbe (1,7 %), bosniaque (0,8 %), aroumain (0,3 %), arabe (0,3 %), croate, bulgare, grec, roumain, mégléno-roumain, monténégrin, hongrois, valaque , gagaouze,  etc.
Système politique:  république parlementaire
Articles constitutionnels (langue): art. 7, 48, 54 et 78 de la Constitution de 1991 et les modifications constitutionnelles de 2001
Lois linguistiques: Loi sur l'emploi de la langue macédonienne (1998);  Loi sur l'emploi des langues parlées par au moins 20 % des citoyens en république de Macédoine et au niveau des collectivités territoriales (2008); Loi sur l'emploi des langues (2019).
Lois scolaires:
Loi sur les manuels scolaires pour l'enseignement primaire et secondaire (2016); Loi sur l'enseignement primaire (2017); Loi sur l'enseignement secondaire (2017); Loi sur les enseignants des écoles primaires et secondaires (2017); Loi sur l'enseignement supérieur (2018).
Lois à portée linguistique:
Loi sur les tribunaux (1995); Code pénal (1996); Loi sur la procédure pénale (1997); Loi sur la procédure civile (1998); Loi sur la publication des lois et règlements et autres actes dans le Journal officiel de la république de Macédoine (1999); Accord-cadre d'Ohrid (2001); Loi sur l'autonomie locale (2002);
Loi sur les fonctionnaires d'État (2005); Loi sur les activités de radiodiffusion (2005); Règlement de l'Assemblée de la république de Macédoine (2008); Loi sur l'Assemblée de la République de Macédoine (2008); Loi sur l'asile et la protection temporaires (2009); Loi sur les fonctionnaires publics (2010); Décret relatif à la promulgation de la Loi sur la prévention et la protection contre la discrimination (2010); Loi sur la désignation des noms de rues, des places, des ponts et autres installations d'infrastructures (2013).

Plan de l'article

1 Situation géographique
1.1 La question de l'appellation du pays
1.2 Le compromis gréco-macédonien

2 Données historiques
2.1 La Macédoine antique
2.2 La province romaine
2.3 La Macédoine ottomane
2.4 La Macédoine yougoslave
2.5 La république moderne
2.6 La Loi sur l'emploi des langues de 2019

3 Données démolinguistiques
3.1 Les Slavo-Macédoniens
3.2 Les minorités nationales

4 La Constitution de 1991
4.1 Les peuples constitutifs de la Macédoine
4.2 L'officialisation du macédonien (1991)

5 L'accord de paix d'Ohrid de 2001
5.1 La société multiethnique
5.2 La mise en œuvre

 

6 Les modifications constitutionnelles de 2001
6.1 L'officialisation de la langue du peuple macédonien majoritaire
6.2 La norme des 20 %

7 Les droits reliés à la législature
7.1 Les langues au Parlement
7.2 Les langues dans les municipalités

8 L'emploi des langues en matière judiciaire
8.1 Le macédonien et l'interprétariat
8.2 La langue obligatoire de la cour

9 Les langues dans l’administration publique
9.1 La sous-représentation des communautés ethniques
9.2 La désignation des lieux et l'affichage

10 Le droit à l’instruction dans une langue minoritaire
10.1 Le système scolaire
10.2 Les droits linguistiques
10.3 Les pratiques réelles au primaire et au secondaire
10.4 L'enseignement des langues étrangères
10.5 L'enseignement supérieur

11 Les médias et les langues minoritaires
11.1 Les médias électroniques
11.2 Les médias écrits

1 Situation géographique

La Macédoine (en macédonien: Македонија en alphabet cyrillique et Makedonija en alphabet latin), un mot provenant du grec ancien Μακεδονία, est un petit pays d'une superficie de 25 333 km² (Belgique: 32 545  km²) situé en Europe de l’Est dans la péninsule des Balkans. La Macédoine est limitée au nord par le Kosovo et la Serbie, à l'ouest et au sud-ouest par l'Albanie, à l'est par la Bulgarie, au sud par la Grèce (voir la carte). La Macédoine est donc totalement enclavée par ces quatre pays qui, pour des raisons différentes, lui sont hostiles. 

La république de Macédoine a proclamé son indépendance en 1991, lors de la désintégration de l'ancienne République fédérale socialiste de Yougoslavie.  En raison notamment d'un litige avec la Grèce portant sur son nom («Macédoine») et sur son drapeau, sa reconnaissance internationale a été retardée jusqu'en 1993. 

À la suite d’un compromis avec la Grèce, le nom officiel de la Macédoine est devenu le suivant: la FYROM, c’est-à-dire "Former Yougoslavia Republic of Macedonia". Autrement dit en français : ARYM, «Ancienne République yougoslave de Macédoine» ou encore ex-République yougoslave de Macédoine. De nouvelles négociations ont eu lieu et, après ratifications par la Grèce et la Macédoine (accord approuvé le 11 janvier 2019 par le Parlement macédonien et le 25 janvier par le Parlement grec), le pays s'appelle officiellement Macédoine du Nord

1.1 La question de l'appellation du pays

En dépit des négociations qui perdurent depuis 1991, la question de l'appellation officielle du pays n'était pas encore réglée au début de janvier 2019, car la Grèce refusait toute forme incluant le radical «Macédo-», alors que la république de Macédoine s'opposait à toute forme ne comprenant pas le mot «Macédoine». Comment expliquer l'attitude de la Grèce sur cette question? D'une part, la Grèce a fait valoir que le mot «Macédoine» appartenait exclusivement à «l’héritage grec» issue de l'ancien «Royaume de Grèce»; d'autre part, elle craignait que, si le nom «république de Macédoine» était utilisé, celle-ci pourrait soulever des prétentions territoriales vis-à-vis de la province historique grecque de Macédoine (voir la carte), aujourd'hui divisée administrativement en Macédoine occidentale, en Macédoine centrale et en Macédoine orientale (voir la carte). Dans les années 1990, tous les partis politiques grecs ont promis qu’il n’y aurait jamais de reconnaissance de la Macédoine sous ce nom. Il est plausible de croire aussi, comme un ancien premier ministre grec l'avait affirmé, Konstantin Micotakis (11 avril 1990 – 13 octobre 1993), la raison principale pour ne pas reconnaître la république de Macédoine avec son nom constitutionnel était que cette démarche pouvait rapidement forcer la Grèce à reconnaître sa minorité macédonienne. Or, la Grèce ne veut pas reconnaître quelle que minorité que ce soit sur son territoire (sauf religieuse), ce qui n'empêche pas la Grèce de défendre les droits des minorités grecques en Albanie et en Turquie.

Pourtant, une modification à la Constitution («Modification I») interdit à l'État macédonien d’envahir d’autres territoires: «La république de Macédoine n’a pas de prétentions territoriales à l’égard des pays voisins.» De fait, la république de Macédoine n’a pas l’intention de limiter ou de mettre en question l’héritage culturel de la Grèce. Elle ne nie pas non plus le droit pour la Grèce d’employer l'appellation «Macédoine» pour sa province du Nord. De plus, la majorité des Macédoniens (69,9 % en 2008) sont opposés au changement du nom de leur pays pour rejoindre l'OTAN, une condition réclamée par la Grèce qui continue de faire jouer son droit de véto. Bref, les Macédoniens n’envisagent guère de changer de nom pour satisfaire le «caprice grec».

Depuis 1991, le nom de «Macédoine» fait l'objet de discussions entre Athènes et Skopje, sous les auspices des Nations unies. Quant à la Grèce, elle s'en est tenue à la «république de Skopje» (du nom de la capitale) et a toujours désigné ses habitants avec le vocable «Skopjiens» (Skupiani). La Macédoine a été admise à l'ONU sous le nom provisoire de FYROM. Quoi qu'il en soit, la plupart des pays (120 sur 194) ont reconnu officiellement l'appellation «Macédoine» et le nom constitutionnel «république de Macédoine», dont les États-Unis, la Chine, le Russie, l'Inde, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Canada, la Turquie, etc. La Grèce s'est longtemps opposée à l'attribution du nom de «Macédoine» à son voisin et rappelait que la plus grande partie de la région historique de Macédoine se trouve en Grèce  (voir la carte). En l'absence de tout accord sur cette question, Athènes a bloqué l'adhésion de Skopje à l'Union européenne et à l'OTAN.

1.2 Le compromis gréco-macédonien

En principe, il appartient à l'appréciation de chaque État de choisir son nom et de le changer, sans que son identité n'en soit affectée pour autant. En pratique, le choix du nom d'un État et de ses symboles ne fait généralement jamais l'objet d'objections et de réclamations de la part d'un autre État. C'est pourquoi l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a toujours recommandé d'adopter et d'employer le nom constitutionnel de «Macédoine», et ce, d'autant plus que le terme «yougoslave» (dans «Ancienne République yougoslave de Macédoine») ne se rapporte plus à quelque entité politique et juridique que ce soit, et qu’il est inapproprié de le conserver artificiellement en continuant à l’imposer à une ancienne république yougoslave (non souveraine). De nombreux diplomates ont toujours trouvé les exigences de la Grèce tout à fait ridicules et anachroniques sur la question de la Macédoine; ce conflit de symboles afini par lasser tout le monde.

En juin 2018, Athènes et Skopje sont finalement arrivés à un accord sur le nom de la Macédoine, après une querelle de près de 30 ans, rendant possible un déblocage de l’adhésion de la petite ex-république yougoslave à l’Union européenne et à l’OTAN. En Grèce, le nom du voisin ne serait reconnu officiellement que sous sa formulation en macédonien de «Severna Makedonja», c'est-à-dire «Macédoine du Nord». Le Parlement de Skopje a accepté que le pays s’appelle dorénavant «République de Macédoine du Nord», mais cela dépendait encore d’un vote au Parlement grec. Or, beaucoup de députés refusaient que leur voisin puisse continuer à utiliser l'appellation de «Macédoine», même avec l'ajout «du Nord». À la suite de la ratification du nouveau nom par le Parlement macédonien, le 11 janvier 2019, de nombreux habitants grecs, en particulier ceux de la province du nord de la Grèce portant le même nom que le pays frontalier, estimaient que l’appellation «Macédoine» n’appartenait qu’au patrimoine historique grec. De plus, des manifestations monstres ont rassemblé près de 100 000 personnes à Athènes pour protester avec violence contre la nouvelle appellation. Selon un sondage publié le 20 janvier 2019 dans l'hebdomadaire Proto Thema, près de 70% des Grecs interrogés se sont prononcés contre l'accord. Pour la plupart des Grecs, le nom de Macédoine appartient au patrimoine historique grec et doit être réservé à la province du nord de la Grèce qui tire sa fierté des conquêtes d'Alexandre le Grand. Dans cette perspective, la Macédoine est un mot grec inventé par les Grecs, pas par les Slaves! Ce serait une attaque à l'identité historique grecque!

Finalement, le 25 janvier 2019, le Parlement grec a approuvé le nouveau nom de la Macédoine — Macédoine du Nord — avec une majorité de 153 députés sur 300, ce qui, en principe, met un terme à près de trente ans de dispute entre les deux États voisins. C'est un vote crucial qui ouvre la voie à l'adhésion à l'Union européenne et à l'OTAN de la petite république balkanique désormais appelée Macédoine du Nord. Dans le cadre de cet article, le terme Macédoine peut être employé indifféremment à la place de Macédoine du Nord.

2 Données historiques

La Macédoine possède une longue histoire fort complexe, car elle peut se mêler à l'histoire de la Grèce antique, puis à la Rome antique, à l'Empire ottoman, à la Yougoslavie et à la république actuelle. Il ne faut pas oublier que la Macédoine est à la fois un carrefour dans les Balkans et un point de rencontre des principaux axes tracés par les grandes puissances en direction du Bosphore, de la Méditerranée et du Proche-Orient. C'est pourquoi la Macédoine constitue une région de transit pour les peuples migrants qui ont émaillé son histoire et celle des conquérants. Le territoire ainsi désigné a maintes fois changé de forme et fut inclus dans divers États successifs. Par conséquent, les Macédoniens ont été grecs, romains, ottomans, bulgares, serbes et yougoslaves, avant d'être des citoyens de la république de Macédoine. Il y avait de quoi être dépourvus de conscience nationale et d'autonomie! Pourtant, les Macédoniens ont pu résister et conserver leur identité. 

Dans les faits, l'histoire de la Macédoine, ce petit État du sud des Balkans, n'a commencé strictement qu'au moment de son indépendance de la Yougoslavie en 1991.

2.1 La Macédoine antique

Le «Royaume de Macédoine» (en grec ancien: Μακεδονία ou Makédonia) est un État grec de l'Antiquité situé au nord de la Grèce actuelle. Cet ancien royaume grec ne couvrait pas le territoire de la Grèce actuelle, car il était localisé tout au nord et comprenait aussi une portion sud-ouest de l'actuelle république de Macédoine. La capitale de la Macédoine antique était Thessalonique.

À partir du VIIe siècle avant notre ère, ce royaume devint l'État dominant du monde grec. Sous le règne de Philippe II (de 359 à 336 avant notre ère), le Royaume étendit sa domination sur la Grèce continentale après avoir évincé Athènes. Le fils de Philippe II, Alexandre le Grand (de 356 à 323), fut à l'origine de la conquête de l'immense Empire perse et de l'expansion de l'hellénisme en Asie. À son apogée, le Royaume de Macédoine s’étendait du bassin méditerranéen à la vallée de l’Indus, en passant par Thèbes en Égypte, par Babylone en Mésopotamie et par Samarcande en Sogdiane, une région recouvrant en partie l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et l'Afghanistan. Étant donné que l'immense empire d'Alexandre était habité par de nombreux peuples d'origines très diverses, le nom de «Macédoine» a fini par désigner en français et dans beaucoup d'autres langues un assemblage disparate. La république actuelle n'occupe que le tiers du royaume antique.

Comme on le constate, la Macédoine antique était grecque avant tout, ce qui signifie que les Macédoniens sont apparentés aux Grecs et mêlés à des peuples thraco-illyriens. Selon les historiens, les anciens Macédoniens parlaient l’ancien macédonien, une langue hellénique différente du grec classique.

2.2 La province romaine

En 168 avant notre ère, la Macédoine fut conquise par les Romains. Quelques années plus tard, en 146, la Macédoine devint une province de l'Empire romain. Au IIIe siècle de notre ère, la province fut divisée entre une province de Macedonia Prima, (Macédoine première) au sud et Macedonia secunda (Macédoine seconde) au nord, Thessalonique et Stobi étant leurs capitales respectives.

En 318 de notre ère, les deux provinces de Macédoine furent incluses dans le même «diocèse de Macédoine», lequel couvrait en réalité un territoire beaucoup plus petit que la province originelle de Macédoine. Pour les Romains, les termes «Grecs» et «Macédoniens» étaient parfois synonymes, car ces différences ethniques n'existaient pas entre ces deux entités. De nos jours, il est attesté que les Macédoniens parlaient un «dialecte grec», c'est-à-dire une variété de grec parlé au nord-ouest de l’Épire.

En 51, le christianisme commença à s'implanter en Macédoine; c'est vers cette époque que l'apôtre Paul prêcha dans les villes égéennes de Béroia, de Thessalonique et de Philippes. Mais la nouvelle religion s'implanta véritablement à partir des IIIe et IVe siècles; quelque 130 basiliques auraient été construites dans ce qui est aujourd'hui la république de Macédoine. Au point de vue culturel, la Macédoine demeura sous l'influence grecque.

Après la division de l’Empire romain en 395, la Macédoine fit partie de l’Empire romain d'Orient, ce qui en fit un territoire «byzantin». Comme il fallait s'y attendre, la partition de l'Empire romain allait contribuer à la naissance de deux mondes dont les langues et les cultures différentes développeraient à Byzance une tradition religieuse originale. En matière de langue, l'Occident privilégiait le latin, tandis que l'Orient favorisait le grec.

Dès le Ve siècle, l'Empire byzantin constituait un État multi-ethnique intégré culturellement au monde grec. Non seulement la Grèce était le plus proche voisin européen, mais la péninsule anatolienne abritait un grand nombre de locuteurs hellénophones, tandis que la culture et la langue grecques représentaient alors le monde moderne. L'élite byzantine parlait le grec, ainsi que les Grecs et certains Romains. Des villes telles Constantinople, Alexandrie, Antioche, Éphèse, Nicée, Thessalonique, Trébizonde, etc., étaient des pôles majeurs de l'hellénisme et de la forme orthodoxe du christianisme. Avec la christianisation vient l'écriture; les Macédoniens utilisèrent l'alphabet grec pour écrire leur langue, mais comme certains sons du macédonien ne pouvaient pas être transcrits par l'alphabet grec, la nécessité de créer un alphabet slave s'imposa.

À partir de l'année 500, des Slaves venus du Nord commencèrent à traverser le Danube pour s'installer dans la péninsule balkanique. Ils atteignirent la Macédoine au VIIe siècle et s'y organisèrent en en «sklavinies» (petits duchés). Après plus de deux siècles, les Bulgares avaient dominé un grand nombre de seigneuries slaves et non slaves, et avaient assimilé de nombreux Grecs et Valaques pour ne former qu'un seul peuple unifié de langue slave. En 864, ce peuple adopta officiellement le christianisme orthodoxe. En même temps, Siméon Ier de Bulgarie entreprit une guerre qui agrandit considérablement son royaume, en l'augmentant de la Macédoine et de l'Albanie. En 976, Samuel Ier de Bulgarie reprit le contrôle de toute la Macédoine (à l'exception de Salonique) et envahit l'Albanie, la Thessalie et la région de Niš en Serbie en s'étendant jusqu'en Croatie.

Le schisme de 1054 désigne la rupture survenue le 16 juillet 1054 entre l’Église de Rome (Occident) et l’Église de Constantinople (Orient). Mais les conflits persistaient depuis au moins deux siècles lorsque la séparation survint entre l'évêque de Rome (pape) et le patriarche de Constantinople. Il y avait aussi des frictions aux plans culturel et linguistique : l'Église de Constantinople utilisait le grec, alors que c'était le latin à Rome. L'Église d'Orient resta toujours très influencée par la philosophie et la littérature grecques, ce qui allait faciliter la conversion massive des peuples slaves au christianisme byzantin (orthodoxe). Évidemment, la Macédoine devint orthodoxe et resta une province byzantine pendant presque deux siècles.

À la fin du XIIe siècle, les Serbes et les Bulgares gagnèrent leur indépendance et échappèrent à l'Empire byzantin qui fut progressivement envahi par les Ottomans. Pendant ce temps, la Macédoine fut annexée par la Bulgarie en 1203, puis reprise en 1282 par la Serbie à l'exception de Salonique. Sous le règne de Dušan (roi de 1331 à 1355), la Serbie devint le royaume le plus puissant des Balkans; elle s'étendait du Danube à la Thessalie. En 1346, Dušan se fit couronner «tsar des Serbes et des Grecs» à Skopje, la capitale de son royaume. Celui-ci disparut après la mort du tsar en 1355, tandis que la Macédoine redevint byzantine.

2.3 La Macédoine ottomane

En 1371, les Ottomans s'emparèrent des Balkans, dont la Macédoine. Les Ottomans divisent la région en trois vilayets : celui de Thessalonique, celui de Monastir (Bitola) et celui d'Uskub (Skopje). Les nouveaux conquérants n'obligèrent pas les Macédoniens et les autres Slaves à se convertir à l'islam. La plupart des Slaves, contrairement aux Albanais, demeurèrent chrétiens. Toutefois, les chrétiens qui adhérèrent à l'islam purent accéder à des fonctions supérieures et profiter de nombreux droits refusés aux chrétiens. Malgré tout, les Macédoniens, comme les autres Slaves, possédèrent une certaine autonomie qui leur permit de conserver une cohésion sociale dans la mesure où la liberté religieuse dont ils profitaient pouvaient garantir le contrôle des églises. Néanmoins, le niveau d'instruction des chrétiens de Macédoine demeura très bas, car la province ottomane ne possédait aucune vie intellectuelle chrétienne.

La Macédoine connut un certain essor au moment de l'âge d'or de l'Empire ottoman, c'est-à-dire au XVIe siècle, mais cette prospérité demeura confinée aux villes qui furent transformées en centres de commerce turcs, où se concentrait la population musulmane, les chrétiens repoussés dans les campagnes. Évidemment, dans l'espoir de participer à l'enrichissement des populations urbaines, certains notables macédoniens finirent par se convertir à l'islam afin d'obtenir eux aussi les droits réservés aux musulmans. Aujourd'hui, les descendants des Slaves islamisés sont appelés «Pomaques» (ou «Pomaks»). 

La domination ottomane étant ce qu'elle était, les Slavo-Macédoniens restés chrétiens durent accepter des conditions de vie très dures. Les premières révoltes contre le régime se manifestèrent dès le XVIe siècle, mais elle furent rapidement réprimées. En raison de la montée du nationalisme des populations assujetties, l'Empire ottoman subit au cours du XIXe siècle des échecs qui contribuèrent à la désintégration progressive de l'Empire.

En 1821, ce furent d'abord les Grecs suivis des diverses populations balkaniques de l'Empire, qui commencèrent à se révolter et à revendiquer leur indépendance. Une fois celle-ci acquise, les Grecs, les Bulgares et les Serbes recommencèrent à se battre avec les Turcs, et se disputèrent la Macédoine que tout le monde revendiquait. Les tensions entre les musulmans et les chrétiens ne firent qu'envenimer le conflit.

Pendant ce temps, dans le but de fuir l'insécurité croissante dans les campagnes, beaucoup de Slavo-Macédoniens quittèrent leurs villages pour s'installer dans les villes où ils travaillèrent comme domestiques, artisans ou marchands. La Macédoine amorça ainsi une rechristianisation et une reslavisation dans les centres urbains, ce qui entraîna l'avènement d'une nouvelle classe moyenne.

- La fin de l'Empire ottoman

Un groupe d’intellectuels et de libéraux, connu sous le nom de «Jeunes-Turcs» (en turc: Jöntürkler), refusa de voir l'Empire ottoman glisser dans le despotisme. En 1908 éclata la révolution des Jeunes-Turcs, laquelle entraîna la destitution du sultan Abdülhamid II, le 27 avril 1909. Mehmet V (1909-1918) fut désigné comme son successeur, mais à partir de ce moment le sultan ottoman régnait sans gouverner. Ce sont donc les Jeunes-Turcs qui gouvernèrent pour un temps le pays. Après quelques tentatives de réformes libérales, les Jeunes-Turcs sombrèrent dans le panturquisme et l'ultranationalisme. Ils rêvèrent d'un État sans Grecs, sans Arméniens, sans Arabes, sans Kurdes, sans chrétiens ni juifs, qu'ils soient serbes ou macédoniens, mais uniquement des citoyens ottomans avec les mêmes droits et les mêmes devoirs, le tout dans «une Turquie une et indivisible». Les Jeunes-Turcs ne parvinrent pas à enrayer les mouvements autonomistes qui se développaient partout parmi les non-turcophones.

Puis les puissances occidentales s'impliquèrent de plus en plus dans les affaires de l'Empire ottoman. De leur côté, afin de faire valoir leurs prétentions territoriales sur la Macédoine, les Grecs, les Bulgares, les Monténégrins et les Serbes tentèrent d'assimiler les Slavo-Macédoniens en faisant naître chez ces derniers un sentiment d'appartenance à leur propre nation. Pour les Bulgares, la langue macédonienne était perçue comme un dialecte du bulgare; pour les Grecs, les Macédoniens étaient considérés comme des Grecs; les Serbes avaient la même attitude. Bulgares, Grecs et Serbes revendiquaient tous les Slavo-Macédoniens qui fréquentaient leurs églises respectives. Dans les villes et villages, il y eut parfois trois églises orthodoxes: une bulgare, une grecque et une serbe.

Selon les sources statistiques de l'époque, il y avait en 1911 environ 2,2 millions d'habitants en Macédoine, dont 1,1 million de Slavo-Macédoniens, 500 000 Turcs, 250 000 Grecs, 120 000 Albanais, 90 000 Valaques (Aroumains), 75 000 Juifs et 50 000 Roms.

- Le dépeçage de la Macédoine

La Bulgarie, la Grèce, le Monténégro et la Serbie déclarèrent la guerre à l'Empire ottoman, le 18 octobre 1912. Les Ottomans furent rapidement débordés par les offensives concertées des Serbes, des Monténégrins, des Grecs et des Bulgares; ils demandèrent la cessation des hostilités. Dès lors, la quasi-totalité des territoires européens de l'Empire ottoman fut occupée par ses quatre adversaires. Selon les termes des accords conclus entre les Serbes, les Monténégrins, les Bulgares et les Grecs, les territoires ottomans devaient être partagés entre les vainqueurs.

L'année suivante, le traité de Bucarest divisa la Macédoine en trois parties. La Grèce acquit la moitié sud appelée «Macédoine de l'Égée»; la Serbie se vit accorder le quart nord-ouest appelé la «Macédoine du Vardar»; la Bulgarie obtint la région orientale, la «Macédoine du Pirin» (voir la carte). En fait, une quatrième portion était dévolue à l'Albanie (voir la carte).

Or, les États vainqueurs adoptèrent tous par la suite des politiques d'assimilation de grande ampleur dans la Macédoine dépecée. Particulièrement deux États, la Grèce et la Bulgarie, ont tout fait pour minoriser les Slavo-Macédoniens sur leur nouveau territoire macédonien en y envoyant de force soit des Grecs soit des Bulgares, selon le cas.  

Puis les coalisés repartirent en guerre contre leurs anciens alliés d'hier. La Bulgarie s'allia avec l'Empire allemand, l'Empire ottoman et l'Empire austro-hongrois, et déclara la guerre à la Serbie pour reprendre les territoires macédoniens acquis par cette dernière.

Mais la Bulgarie dut affronter les forces coalisées de la Grande-Bretagne, la de France et de l'URSS venus aider la Serbie. En mai 1916, la Grande-Bretagne et la France concluaient, de leur côté, des accords secrets, les accords Sykes-Picot, par lesquels elles se partageaient une partie de l'Empire ottoman, notamment la «Grande Syrie» et la Mésopotamie (Kurdistan, Irak et Koweït). La Première Guerre mondiale s'est terminée officiellement le 11 novembre 1918 avec comme résultat que quatre empires allaient disparaître : l'Empire allemand, l'Empire austro-hongrois, l'Empire ottoman et l'Empire russe des tsars.

Bien entendu, la Macédoine, placée au cœur des conflits, souffrit des très nombreuses destructions, des dizaines de villages entièrement détruits, et des dizaines de milliers de Slavo-Macédoniens tués au cours de la guerre. De plus, les Macédoniens étaient devenus un peuple «contesté». Des thèses circulaient en affirmant que les Macédoniens n'étaient ni des Grecs, ni des Bulgares, ni des Serbes, mais pas davantage des Macédoniens, et qu'ils étaient dépourvus de conscience nationale et d'identité particulière. Ils étaient perçus comme une masse flottante qui pouvait facilement devenir l'un ou l'autre peuple, donc facilement malléable et assimilable.

2.4 La Macédoine yougoslave

Après la fin de la guerre (1918), la Serbie retrouva le contrôle de la Macédoine du Vardar, à laquelle fut ajoutée la Macédoine du Pirin, auparavant bulgare. De plus, un nouveau pays fut créé en y ajoutant plusieurs régions de l'Autriche-Hongrie (Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine): ce fut le Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes, sous l'autorité de de la monarchie serbe des Karađorđević. Le nouveau royaume se trouva constitué par la fusion de populations slovènes, croates et serbes de l'ancien empire d'Autriche-Hongrie, avec les royaumes de Serbie et du Monténégro, ce dernier ayant intégré le royaume serbe.

La Constitution de 1921 proclamait une monarchie constitutionnelle, parlementaire et héréditaire. L'article 3 énonçait que «la langue officielle du royaume est le serbe-croate-slovène». Évidemment, cette langue n'existait pas, mais elle avait le mérite symbolique d'être conforme au nouvel État. Une disposition de l'article 16 déclarait que «les minorités d'autres races et langues auront leur enseignement primaire dans leur langue maternelle, aux conditions que la loi prescrira». Cependant, la tâche d'unir le pays politiquement et économiquement apparut ardue en raison de la grande diversité de religions, de langues, de nationalités. Comme on le constate, les Slavo-Macédoniens ne furent pas reconnus dans leur nouveau pays.

- La Yougoslavie monarchiste (1929-1941)

En 1929, le roi Alexandre Ier mit fin à la Constitution de 1921 et renomma le pays «royaume de Yougoslavie», ce qui signifie «pays des Slaves du Sud», en excluant encore une fois les Macédoniens. Dès ce moment, le roi gouverna en monarque absolu en instaurant un régime policier dont la tâche était de pourchasser tous les opposants, non seulement les communistes, mai aussi les autonomistes croates et macédoniens. D'ailleurs, c'est un nationaliste macédonien, membre de l'Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne, qui assassina Alexandre Ier à Marseille en 1934.

Sous le royaume de Yougoslavie, la Macédoine connut un certain développement industriel, surtout en raison de l'ouverture des mines et des usines métallurgiques, mais le niveau d'instruction des Macédoniens demeura très bas et, en dépit de l'ouverture de nombreuses écoles, le système d'éducation était encore très mauvais. La plupart des manuels scolaires d'avant la Seconde Guerre mondiale était publiés en serbe. À cette époque, la Macédoine du Vardar restait la région la moins développée de toute l'Europe. Les habitants de la Macédoine étaient un peuple partiellement serbisé. De 1918 à 1941, le régime yougoslave monarchiste pratiqua une politique de serbisation coercitive en niant toute particularité régionale. 

Le Royaume de Yougoslavie entra en guerre en avril 1941, mais il fut vite occupé par les Allemands et aussitôt démantelé. Les Bulgares, alliés des Allemands, en profitèrent pour envahir la Macédoine. L'occupation militaire bulgare (1941-1944) fit montre d'une politique de bulgarisation autoritaire et brutale. Les Bulgares construisirent plusieurs centaines d'écoles où l'enseignement du bulgare devint obligatoire. Les postes administratifs furent tous occupés par des agents bulgares qui ne communiquaient avec les habitants qu'en bulgare. Dès 1942, toute la région était sous le contrôle de Sofia. Après la serbisation forcée, c'était la bulgarisation violente. Mais la mainmise autoritaire de la Bulgarie sur la Macédoine suscita des sentiments autonomistes chez les Slavo-Macédoniens qui se radicalisèrent.

De leur côté, les Allemands occupèrent la Serbie qu'ils ont réduite à ses frontières de 1912; ils annexèrent la Slovénie du Nord et créèrent une Croatie indépendante alliée, incluant la Bosnie-Herzégovine. Quant aux Italiens, après l'invasion et le démembrement de la Yougoslavie, ils annexèrent en 1941 une partie des pays actuels tels le Monténégro, la Slovénie du Sud, le Kosovo et même la Macédoine intégrée dans une Grande Albanie italienne (voir la carte particulière de 1941). Dans le cas de la Macédoine, il s'agissait des municipalités limitrophes considérées comme albanophones, y compris les quartiers albanais de Skopje, la capitale.

- La Yougoslavie titiste (1945-1991)

Pendant ce temps, Josip Broz dit Tito, un Croate, organisait un mouvement de résistance. Désignées sous le nom de partisans, ses troupes devinrent les protagonistes d'une vigoureuse campagne de guérilla. Progressivement, les partisans commencèrent à libérer le territoire yougoslave. Le 29 novembre 1943, Tito proclamait unilatéralement la Fédération démocratique de Yougoslavie, un État d'allégeance communiste. En mai 1945, les Partisans communistes étaient devenus les seuls maîtres de la Yougoslavie réunifiée. En raison de l'importance de ses victoires durant la guerre, Tito fonda une république socialiste qui, contrairement au royaume centralisé d'Alexandre Ier, reconnaissait le pluralisme.

Durant l'été de 1945, six républiques furent instituées au sien de l'État fédéral : la Serbie, la Croatie, la Slovénie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Macédoine (voir la carte 2 de l’ex-Yougoslavie).  Au sein de la république de Serbie, furent incluses deux provinces autonomes, la Voïvodine et le Kosovo, ce qui portait à huit le nombre d'entités fédérales dans la Yougoslavie de Tito. Celui-ci reconnut une nouvelle nationalité : les «Musulmans» de Bosnie, qui prirent plus tard le nom de Bosniaques. En 1946, lorsque la République fédérale socialiste de Yougoslavie fut proclamée, la Macédoine yougoslave devint officiellement l'une des six républiques de ce pays. Pour une fois, les Slavo-Macédonines étaient reconnus au même titre que les Serbes et les Croates. De plus, ils bénéficiaient d'une grande autonomie, ce qui leur avait été dénié depuis fort longtemps. 

Dès le début, la Macédoine yougoslave pratiqua une politique linguistique très répressive à l’endroit de ses minorités. Que ce soit les minorités albanaise, turque, grecque, serbe bulgare, etc., il était interdit, par exemple, de porter des noms étrangers, d’ouvrir des écoles en une autre langue que le macédonien, d’utiliser un autre alphabet que le cyrillique, etc.. La minorité grecque semble avoir été particulièrement touchée, comme en font foi ces interdictions:

- Interdiction d'utiliser la langue grecque
- Interdiction d'enseigner la langue grecque

- Interdiction de toute revendication pour la reconnaissance des droits minoritaires aux Grecs et aux Valaques d’origine grecque
- Obligation de changer de nom: par exemple, M. Mariolas est devenu M. Mariolof et Dimitriou est devenu Dimitrof, etc.

Par ailleurs, toutes les pièces d'identité se sont vu ajouter la lettre K en majuscule, afin de reconnaître les Grecs, tout comme l'étoile de David qui servait aux SS à reconnaître les Juifs. Cette pratique n’a, semble-t-il, pris fin qu’en 1955.

Les tensions entre les nationalités de la Macédoine yougoslave se manifestèrent à la fin des années 1960, notamment avec la minorité albanaise qui réclamait plus d’autonomie. La mort de Tito en 1981 et l'effondrement du système communiste en Europe entraînèrent une crise politique au niveau fédéral. À l’instar des autres républiques yougoslaves, la Macédoine commença à manifester son mécontentement vis-à-vis du gouvernement fédéral dominé par les Serbes, et la minorité albanaise fit de même à l’encontre du gouvernement macédonien. À partir de 1981, le gouvernement tenta de mettre fin au nationalisme albanais, mais tandis qu’il permettait, d’une part, plus de droits dans les domaines de la langue et de l'enseignement, il interdisait, d’autre part, les noms albanais et essayait de réduire le taux élevé de natalité des Albanais. Face à ces mesures, les Albanais répondirent par des manifestations populaires à la fin des années 1980. Les communistes, alors au pouvoir, modifièrent la Constitution de la République et déclarèrent la Macédoine comme étant l'État des Macédoniens, omettant de mentionner les minorités de la république yougoslave. 

- La langue macédonienne

La norme officielle de la langue macédonienne vit le jour en 1945. La variété macédonienne de la capitale, Skopje, fut considérée comme trop proche du serbe et négligée au profit de celle de la région de Bitola, une ville du Sud-Ouest, et de Vélès, une ville au sud de Skopje. Puis l'alphabet cyrillique macédonien fut adopté le 3 mai de la même année, et l'orthographe le 7 juin. Il en fut ainsi avec l'instauration d'une église macédonienne indépendante du patriarcat de Serbie. L'archevêché d'Ohrid, disparu au XVIIIe siècle, fut rétabli en 1958 et son autocéphalie fut proclamée en 1967, bien que l'Église serbe aie refusé de reconnaître cette indépendance. De plus, l'Académie macédonienne des sciences et des arts fut créée en 1967.

Au cours de la République socialiste fédérative de Yougoslavie, les Albanais étaient la plus grande nationalité sans statut de nation; ils étaient concentrés en Macédoine et au Kosovo (Serbie). Bien que Tito ait mis en place une série de mesures visant à protéger l’identité albanaise, notamment dans les domaines de l’éducation et de la culture, les griefs nationaux ont persisté. À la fin des années 1980, les manifestations albanaises en Macédoine se sont intensifiées face à la dégradation de la situation au Kosovo voisin. En réponse, les autorités macédoniennes ont réprimé les établissements d'enseignement albanais et d'autres véhicules présumés de nationalisme albanais, y compris les noms personnels. Des fonctionnaires et des enseignants albanais ont été licenciés et plusieurs écoles de langue albanaise ont été fermées. Les murs traditionnellement construits autour des maisons albanaises ont été rasés en raison du fait qu’ils étaient devenus des fortifications. Les albanophones ont opposé ces mesures à un boycott scolaire dans plusieurs régions et à des manifestations de plus en plus violentes. 

Une fois que les républiques de Croatie et de la Slovénie eurent déclaré officiellement leur indépendance de la Yougoslavie (en juin 1991) et eurent été pleinement reconnues par la communauté internationale, la Macédoine yougoslave tint, le 8 septembre 1991, un référendum sur cette question. La très grande majorité de la population, soit 95 %, vota pour l'indépendance qui fut proclamée le 20 novembre sans aucun incident, bien que les Serbes et les Albanais aient organisé des manifestations contre l'indépendance. Bref, cette indépendance, contrairement aux autres républiques de l’ex-Yougoslavie, s'est faite sans effusion de sang; il n’y a pas eu de déplacement de population, comme ce fut le cas en Bosnie-Herzégovine.

2.5 La république moderne

La Constitution macédonienne de 1991 fut adoptée selon le modèle d'un État-nation en identifiant la population slavo-macédonienne comme le principal élément constitutif. En même temps, la Constitution a néanmoins reconnu la pluralité ethnique et culturelle existante à l'intérieur des frontières du nouvel État. Le pays comptait une importante minorité albanaise, ainsi que de plus petites communautés turques, roms, serbes, aroumaines, valaques, bosniaque, etc.

La souveraineté de la nouvelle république indépendante de 1991 ne fut pas reconnue tout de suite par la communauté internationale. D’abord, la Grèce refusa en effet de reconnaître la république de Macédoine tant que son nom n'aurait pas été modifié, du fait que la «Macédoine» était le nom d'une province grecque et que des articles de la Constitution macédonienne impliquaient des prétentions territoriales sur la Grèce du Nord. Quant à la Bulgarie, elle refusait de reconnaître le macédonien comme langue officielle de ce nouveau pays, estimant qu’il s’agissait là d’un dialecte de sa propre langue officielle, le bulgare. La Grèce accusait aussi la Macédoine d’avoir usurpé un symbole grec, le soleil de Vergina, pour son drapeau et d’avoir adopté un nom appartenant au patrimoine culturel et historique grec. À la suite de pressions internationales, le Parlement modifia la Constitution et déclara que la République ne revendiquait aucun territoire en Grèce ou dans tout autre pays, mais la Grèce a continué d'avoir peur que la Macédoine indépendante ne revendique la Macédoine grecque.

Les tensions politiques internes et les rivalités entre les nationalités s'intensifièrent dans la nouvelle Macédoine. Des émeutes éclatèrent dans la capitale à l’automne de 1992 et mettaient aux prises les forces de l’ordre et les Albanais. L'afflux de quelque 50 000 réfugiés venant de Bosnie-Herzégovine ne fit qu’ajouter à la crise. Finalement, après bien des tractations au plan international, le 8 avril 1993, la république de Macédoine fut reconnue par la communauté internationale lorsqu'elle devint membre de l'Organisation des Nations unies. À la suite d’un compromis avec la Grèce, le nom officiel de la Macédoine est devenu le suivant: ARYM («Ancienne République yougoslave de Macédoine»), mais on dit aussi «ex-République yougoslave de Macédoine». En anglais, ce fut l'acronyme FYROM, c’est-à-dire Former Yougoslavia Republic of Macedonia. De son côté, la Grèce avait proposé de désigner le nouveau pays «Dardania» (du nom d’un peuple de l'Antiquité) ou «république du Vardar» (du nom du plus grand fleuve macédonien).

Quoi qu'il en soit, les dirigeants macédoniens refusèrent toute dénomination où n'apparaissait pas le radical «Macédo-» et les Grecs, toute dénomination où il figurait. La Grèce a toujours craint que, si le nom «République de Macédoine» était employé, la Macédoine allait nourrir des prétentions territoriales pour la province grecque de Macédoine. Le 9 novembre 1995, la Macédoine est devenue membre du Conseil de l'Europe.

- Les conflits albano-macédoniens

Mais la Macédoine allait demeurer au bord de la guerre civile. La minorité albanophone s'est mise à revendiquer plus de partage du pouvoir avec les Slavo-Macédoniens. Ces derniers ont semblé appliquer la devise américaine suivante aux Albanais: «Un bon Indien est un Indien mort.»  Et la spirale de l'affrontement ethnique s'est engagée, sans trop d'espoir que la situation puisse s'améliorer à court terme. Puis les Albano-Macédoniens ont boycotté les recensements effectués dans le pays et contesté leurs résultats. Lors du recensement qui s'est déroulé les 21 juin et le 10 juillet 1994, les résultats affirmèrent que 67 % de la population du pays était constituée de Slavo-Macédoniens et que 23 % étaient des Albano-Macédoniens, mais ces derniers revendiquèrent que leur nombre était supérieur de 10 % à 20 % et qu'en conséquence ils constituaient au moins un tiers de la population du pays. Rappelons que le recensement national de 2002 a révélé que la population de la république de Macédoine se répartissait ainsi: Macédoniens  (64,2%), Albanais (25,2%), Turcs (3,7%), Tsiganes ou Roms (2,7%), Serbes (1,8%), Aroumains (0,5%), autres (1,9%). Par la suite, les revendications albanaises ne s’apaisèrent pas davantage, de telle sorte que les divers gouvernements successifs durent accorder toujours plus d’attention aux Albanais.

Le gouvernement de Skopje, alors dirigé par Boris Trajkovski (1999-2004), avait fait une place importante à des ministres albanophones et réussi à gérer la crise entraînée par les bombardements de l’OTAN contre la Serbie en raison du Kosovo. Plusieurs centaines de milliers de réfugiés albanais du Kosovo cherchèrent un refuge en Macédoine, ce qui causa un traumatisme dans le pays parce que des nationalistes macédoniens craignaient une «invasion albanaise». La présence d’albanophones au gouvernement a probablement permis d’éviter que la situation se transforme en crise politique. Néanmoins, la «question albanaise» continua de planer comme une menace continuelle sur la Macédoine. C'est même dans ce contexte que le pays connut au débit de 2001 une violence crise interne avec l'apparition d'une organisation de guérilleros albanais appelée UCK-M ("Ushtrimje Chlirimtare Kombetar", c'est-à-dire «Armée de libération nationale»), laquelle, cachée dans les montagnes entre le Kosovo et la Macédoine, harcelait les forces gouvernementales. Le gouvernement riposta avec l'aide de l'armée.

Les revendications de l’Armée de libération nationale (UCK-M) portaient sur le statut de la minorité albanaise de la Macédoine. Les guérilleros estimaient que les Albanais en Macédoine étaient victime de discrimination par l'État macédonien. Ils exigeaient d'abord un nouveau recensement national de la population, puis la reconnaissance des Albanais non pas comme une «minorité nationale», mais comme une «nation constitutive de l’État macédonien». C'est en ce sens que les Albanais demandaient une modification du Préambule de la Constitution, qui ne reconnaissait que le «peuple macédonien». En réalité, les guérilleros visaient à long terme la constitution d’un État fédéral formé de deux entités, de deux nations égales, chacune disposant de sa langue. Évidemment, cette éventualité a toujours été rejetée par les Slavo-Macédoniens. Après six mois d’affrontement entre la guérilla albanaise et les forces gouvernementales, les dirigeants macédoniens et albanais du pays ont conclu, le 1er août 2001 un accord, appelé accord-cadre d’Ohrid (voir le texte), afin de ramener la paix dans le pays. Cet accord fut entériné le 13 août à la fois par la guérilla albanaise et les représentants du gouvernement macédonien. L’accord cédait à la plupart des revendications de l’Armée de libération nationale (UCK-M) et ouvrait la voie à une nouvelle politique des minorités en Macédoine, ainsi qu’à un grand nombre de modifications constitutionnelles. Le président Boris Trajkovski, qui avait signé l'accord-cadre d'Ohrid, périt le 26 février 2004 dans un accident d'avion.

En juillet 2004, le gouvernement macédonien du président Branko Crvenkovski (2004-2009) a adopté une loi sur le découpage territorial (Loi sur les frontières municipales), prévoyant alors de ramener le nombre total des municipalités de 123 à 80, puis 76 en 2008. À Skopje, le rattachement des communes à majorité albanaise de Saraj et de Kondovo devrait faire de l’albanais la seconde langue officielle. Dans toutes les villes où ils constituent plus de 20 % de la population, les Albanais se sont vu accorder à leur langue le statut de langue co-officielle avec le macédonien.

- Un bilan mitigé

En 2010, le bilan de la mise en œuvre de l'accord de 2001 apparaissait encore mitigé. Certes, presque dix ans plus tard, la minorité albanaise est mieux représentée dans les institutions macédoniennes, mais les tensions entre les Macédoniens et les Albanais persistent. D'ailleurs, le projet «Skopje 2014» témoigne encore de ces difficultés puisque la question de l’enseignement bilingue demeure toujours épineuse, sans compter que la construction d’édifices néoclassiques à la gloire de l’histoire macédonienne est perçue comme une véritable provocation par les albanophones. Par ailleurs, les plus petites minorités nationales, par exemple les Turcs, les Roms, les Torbeshi, les Serbes, etc., qui se sentent souvent «broyés» dans l’affrontements entre les deux principaux groupes nationalistes, sont maintenant tentés par l’assimilation ou l’exil.

Enfin, alors que les Macédoniens adhèrent fortement à leur État, la seule patrie qu'ils ont réussi à obtenir au cours de l'histoire, les Albanais demeurent attachés non seulement à la région macédonienne où ils vivent, mais aussi aux deux États albanophones, l'Albanie et le Kosovo. Bref, la tâche du gouvernement macédonien est loin d'être terminée.

2.6 La Loi sur l'emploi des langues de 2019

Les Albanais représentent environ 25 % de la population du pays, mais ils sont relégués depuis l'indépendance au statut de «minorité nationale», alors qu'ils exigent d'être «un peuple constitutif» comme les Slavo-Macédoniens de la petite république. Ils aspirent à plus de libertés individuelles et plus de droits collectifs avec la langue albanaise. Les lois sont peut-être les mêmes pour tous, mais leur application semble différente pour les albanophones et les Slavo-Macédoniens.

Le 14 mars 2018, le Parlement macédonien a adopté la Loi sur l'emploi des langues (ЗАКОН за употреба на јазиците ou "Zakon za upotreba na jazicite") par 69 voix sur 120, sans opposition ni abstention, car le parti de l’opposition officielle (de droite) a refusé de participer au vote et de siéger au Parlement depuis le 27 novembre précédent. L’opposition a également affirmé que son adoption par le Parlement était «frauduleuse»; elle a accusé le gouvernement majoritaire de présenter à tort cette législation comme une réforme réclamée par l’Union européenne. Pourtant, la loi a été adoptée à la double majorité, ce qui signifie qu'elle a également obtenu le soutien nécessaire de la plupart des députés appartenant à des groupes ethniques minoritaires, ainsi que des députés en général. L'ancienne loi définissait l'albanais comme langue officielle, mais celle-ci n'était reconnue que dans les régions où les Albanais constituaient plus de 20 % de la population locale. Le projet de loi de 2018 est considérée comme la dernière disposition juridique à mettre en œuvre et découlant de l’accord de paix de 2001, lequel a mis fin à un conflit armé entre les insurgés albanais et les forces macédoniennes. Malgré l’Accord-cadre d’Ohrid, les relations interethniques sont restées tendues entre Slavo-Macédoniens et albanophones.

Par la suite, le président de la République, Gjorge Ivanov, a opposé son véto à la Loi sur l'emploi des langues. Il a soumis au Parlement macédonien une lettre indiquant clairement quels articles et sections de la loi étaient contraires à la Constitution. Dans l’explication juridique présentée par le président, 19 articles de la Loi sur l’emploi des langues seraient considérés comme inconstitutionnels, notamment les articles 1 à 14, et les articles 16, 17, 22, 23 et 24. Sur la base de l’argument juridique présenté, le président Ivanov estimait que la loi profitait à la seule langue albanaise au détriment des autres langues des autres parties des peuples constitutifs de la Macédoine : les Bosniaques, les Juifs, les Roms, les Serbes, les Turcs, les  Ukrainiens, les Valaques, etc. Le projet de loi mettrait en danger l’unité, la souveraineté et l’intégrité territoriale de la république de Macédoine, selon le président Ivanov. Bref, la question albanaise continuait d'empoisonner la vie politique et sociale de la Macédoine.

Quelques mois plus tard, le 11 janvier 2019, le Parlement macédonien a adopté le même texte de loi, ce qui signifie que le président de l'État n’a plus le droit d’exercer son droit de veto, car il est tenu de signer le décret de promulgation dans les sept jours, conformément à l'article 75 de la Constitution, qui énonce que «le président de l’État est tenu de signer le décret portant promulgation des lois adoptées par l’Assemblée de la république de Macédoine, si elles sont adoptées pour la deuxième fois à la majorité requise de la législature, à savoir le Parlement». Le seul autre moyen d'annuler le projet de loi, ou certaines de ses dispositions, serait de faire appel de la décision devant la Cour constitutionnelle. De fait, la Loi sur l'emploi des langues a été publiée le 15 janvier 2019 dans le Journal officiel après que le président du Parlement l’eut envoyée sans la signature du président Gjorge Ivanov. Avec la publication de la loi au Journal officiel, elle entre officiellement en vigueur, faisant de l'albanais une langue partageant les mêmes droits le macédonien.

L’albanais n’était jusqu’à présent une langue officielle que dans les régions où la minorité représentait au moins 20 % de la population. Or, la nouvelle loi de 2019 encourage l'emploi de l'albanais au niveau national, notamment dans les domaines de l'administration, de la justice, de la santé, de la police et d'autres organismes officiels. L'albanais peut également être utilisé au Parlement par les représentants élus des albanophones. Comme le souligne le gouvernement, la mise en œuvre des dispositions juridiques constitue une obligation pour toutes les institutions du pays. La langue macédonienne avec l'alphabet cyrillique reste la seule langue officielle pour les relations internationales. On peut lire le résumé de la loi en cliquant ici, s.v.p.

Pour les défenseurs de cette loi, le bilinguisme macédo-albanais permet de mieux intégrer la minorité albanaise qui représente 25 % de la population. Pour ses détracteurs, au contraire, cette reconnaissance est inconstitutionnelle et remet en cause l’unité nationale en ouvrant la voie à la fédéralisation du pays. Quant au gouvernement, il croit que le président du pays fait partie de l'exécutif et qu'il ne doit pas s'immiscer dans le pouvoir législatif. En refusant de signer la loi alors qu'il est tenu de le faire, le président aurait violé la Constitution. La Loi sur l’emploi des langues aura des implications financières et coûtera au budget quelque 106 millions de denars, soit 1,7 million d'euros ou 1,9 million de dollars US.

Les opposants la considèrent non seulement inconstitutionnelle, mais préjudiciable à l’édification d’une société égalitaire. Ils trouvent que la Loi sur l'emploi des langues est trop détaillée et trop radicale, voire trop permissive, en ce qui concerne les demandes des albanophones, et ce, au risque de nuire à la langue macédonienne parlée par seulement 1,3 million de locuteurs contre 10,4 millions pour l'albanais (Albanie, Macédoine, Grèce, Turquie, Kosovo, Italie, Serbie, Monténégro). De plus, les opposants considèrent même qu'il s'agit d'un coup d'État parce que la loi a été adoptée sans la signature du président macédonien, mais seulement par le président de l'Assemblée.

Juridiquement parlant, la Macédoine n'est pas devenue un pays formellement bilingue, car il est resté un État officiellement unilingue qui a adopté une politique de multilinguisme stratégique, toutes les langues parlées par 20 % de la population du pays sont désormais des langues officielles au plan local. Or, au plan national, seuls le macédonien et l'albanais correspondent à ces critères. Afin de calmer apparemment les appréhensions des Slavo-Macédoniens, la loi ne mentionne aucune langue, sauf le macédonien (une soixantaine de fois). Le mot «albanais» n'apparaît que deux fois, dont une fois entre parenthèses à l'article 1er et une fois à l'article 18 en mentionnant les «philologues diplômés en albanais». C'est une façon ambiguë de ne pas déclarer le pays bilingue tout en accordant les mêmes droits à la majorité macédonienne et à la minorité albanaise. 

Bref, la Loi sur l'emploi des langues va probablement continuer de secouer la scène politique macédonienne. Le 22 janvier 2019, le gouvernement macédonien a envoyé l'intégralité de la Loi sur l’emploi des langues (25 articles) ainsi que le texte alternatif de l'article 8, qui ne fait pas partie intégrante de la loi, à la Commission de Venise afin de connaître son point de vue quant à la conformité de la loi aux normes européennes et à un État de droit. Certes, les avis de la Commission de Venise sur la législation en vigueur dans le pays représenteront un soutien important aux réformes du système juridique en Macédoine du Nord.

3 Données démolinguistiques

La Macédoine abrite de nombreuses ethnies pour un pays de deux millions d'habitants. Officiellement, il existe près d'une trentaine de minorités en Macédoine, la majorité du pays étant formée des Slavo-Macédoniens, c'est-à-dire les Slaves d'origine macédonienne.

3.1 Les Slavo-Macédoniens

Les Slavo-Macédoniens constituent 62,9 % des habitants de la Macédoine. D’origine slave, ils parlent le macédonien, une langue restée très proche du bulgare et utilisant les caractères cyrilliques. D'ailleurs, Le macédonien et le bulgare sont mutuellement compréhensibles.

Alphabet macédonien (cyrillique)

Cependant, le terme macédonien pour désigner la langue des Slavo-Macédoniens est contesté tant par la Grèce que par la Bulgarie, mais pour des raisons différentes. Pour la Grèce, elle ne reconnaît ni le mot Macédoine ni le mot Macédonien / macédonien pour désigner le pays, son peuple ou sa langue. Pour la Bulgarie, le macédonien est simplement un dialecte de sa propre langue officielle, le bulgare. 

Par ailleurs, certains auteurs macédoniens s'appuient sur des documents qui prouveraient un lien de filiation entre le macédonien actuel (langue slave) et la langue macédonienne de l'Antiquité, laquelle aurait une origine thrace hellénisée. On sait que les Thraces ont existé dans les Balkans du Ve millénaire avant notre ère jusqu'au IIIe siècle avant notre ère. Cependant, il n'y a aucune preuve sur l'affiliation du macédonien avec ce peuple. Par contre, nous savons que les langues slaves tirent leur origine du proto-slave au IXe siècle avant notre ère. L'alphabet macédonien compte 31 lettres; l'alphabet bulgare, 30.

Le macédonien est parlé par environ 1,3 million de locuteurs en Macédoine. Il est également parlé dans les pays voisins des Balkans, c'est-à-dire l'Albanie, la Bulgarie, la Grèce, la Hongrie et la Slovénie, mais aussi en Australie, au Royaume-Uni et aux États-Unis. La population totale de tous les pays est estimée à 1,4 million de locuteurs. 

La plupart des Slavo-Macédoniens appartiennent à l'Église orthodoxe grecque ou à l'Église orthodoxe macédonienne. Les Albanais sont de religion musulmane. Il y a aussi des catholiques romains, des juifs et des orthodoxes grecs, russes et serbes.

3.2 Les minorités nationales

Au premier rang, les Albanais de religion musulmane représentent 25,1 % de la population et constituent une très forte minorité dans un pays dont la majorité, rappelons-le, ne forme que 62,9 % de la population. Les Albanais vivent majoritairement à l’ouest du pays, près des frontières de l’Albanie, mais aussi près des frontières de l’ancienne province serbe du Kosovo (au nord), là aussi, à forte population albanaise. Bref, les 521 000 albanophones de la Macédoine forment avec les Albanais (3 millions) d’Albanie et ceux de la Serbie (1,6 million) une forte diaspora de plus de cinq millions d’Albanais (voir la carte à gauche). On peut comprendre que les Macédoniens (au nombre de 2,0 million) redoutent le nationalisme albanais, notamment la sécession éventuelle de la partie ouest du pays, en vue de former une république à population albanaise avec l’Albanie et l’ancien Kosovo de la Serbie. Précisons que l’albanais (groupe albanais) et le macédonien (groupe slave) font partie de la famille indo-européenne, mais appartiennent à des groupes linguistiques différents. 

Cependant, la Macédoine n’a pas su régler ses différends avec ses minorités, particulièrement la minorité albanaise. D’une part, les albanophones réclament une plus grande autonomie et ne veulent pas être considérés comme une simple minorité, d’autre part, les Slaves se méfient des albanophones dont le territoire est mitoyen avec l’Albanie et l’ancien Kosovo de la Serbie. 

Les tensions sont vives dans cette nouvelle Macédoine démocratique, surtout que les demandes conflictuelles des Albanais sont liées au recensement. Le dernier recensement datait de 1981, alors que les Albanais représentaient officiellement 20 % de la population.

Le gouvernement estime qu’en 1991 les albanophones représentaient 23 % de la population, mais ces derniers affirment qu’ils avaient atteint alors 40 % de la population en raison de leur taux de natalité plus élevé et de l’immigration albanaise en provenance du Kosovo. De façon réaliste, la plupart des observateurs leur accordaient un poids démographique oscillant entre 30 % et 35 %. Une seule certitude: leur nombre augmentait en flèche. Ainsi, dans la banlieue nord de Skopje, le fragile équilibre ethnique s’est renversé en faveur des Albanais, et les minarets ont poussé un peu partout au milieu des toits de tuile orangées.

Cependant, les deux communautés ont continué de vivre complètement séparées, les communications inter-ethniques étant presque inexistantes, les mariages mixtes, rarissimes. Selon les estimations de 2018, la population de la république de Macédoine se répartissait ainsi: Macédoniens  (62,9 %), Albanais (25,1 %), Turcs (3,8 %), Roms (2,6 %), Serbes (1,7 %), Bosniaques (0,8 %), Aroumains et Valaques (0,7 %), etc.

Ethnie Population Pourcentage Langue maternelle Affiliation linguistique Religion principale
Macédonien 1 304 000 62,9 % macédonien

langue slave

chrétienne orthodoxe
Albanais 521 000 25,1 % albanais guègue isolat indo-européen islam
Turc 80 000 3,8 % turc famille altaïque (turcique) islam
Nomade des Balkans 55 000 2,6 % romani langue indo-iranienne islam
Serbe 37 000 1,7 % serbe langue slave chrétienne orthodoxe
Bosniaque 17 000 0,8 % bosniaque langue slave islam
Valaque 9 900 0,4 % valaque (aroumain) langue romane chrétienne orthodoxe
Aroumain 8 300 0,3 % aroumain langue romane chrétienne orthodoxe
Arabe 6 300 0,3 % arabe leventin famille afro-asiatique islam
Goranci 5 900 0,2 % macédonien goranci langue slave islam
Yoruk (Truc des Balkans) 4 000 0,1 % gagaouze famille altaïque (turcique) islam
Égyptien des Balkans 3 700 0,1 % albanais tosque isolat indo-européen islam
Croate 2 700 0.1 % croate langue slave chrétienne catholique
Méglénite 2 100 0,1 % mégléno-roumain langue romane chrétienne orthodoxe
Monténégrin 2 100 0,1 % serbe langue slave chrétienne orthodoxe
Pomaque 2,100 0,1 % bulgare langue slave islam
Bulgare 1 400 0,0 % bulgare langue slave chrétienne orthodoxe
Roumain 1 000 0,0 % roumain

langue romane

chrétienne orthodoxe
Britannique 900 0,0 % anglais langue germanique chrétienne protestante
Grec 600 0,0 % grec langue grecque chrétienne orthodoxe
Juif serbophone 100 0,4 % serbe langue slave religion ethnique
Autres 10 000   - - -
Total 2018 2 075 100 100 % - - -

Parmi les autres minorités, il faut mentionner les nomades des Balkans (Tsiganes ou Roms, 2,6 %) et les Turcs (3,8 %), mais aussi plusieurs petites communautés parlant le serbe, le croate, le grec, le bulgare, le gagaouze, le valaque ou  l'aroumain, etc. La Macédoine est pour les Aroumains (ou Valaques) le pays de référence; on en compterait entre 8500 et 10 000 (sur un total de 250 000 dans toute l'Europe). La Macédoine les considère comme des «Roumains» (Rumanci), mais les Aroumains ne sont pas d'accord, et ils se nomment Valaques (Vlahina).

Il existe une petite minorité d'à peine quelques centaines de locuteurs, les Shopi qui parlent une langue slave particulière proche du bulgare. Les Shopi, généralement appelés "Shopluk", s'identifient comme des Bulgares, des Macédoniens, des Serbes et des Aroumains. Ils habitent une petite région aux frontières de la Bulgarie, de la Serbie et de la Macédoine. En réalité, la majorité des Shopi habitant la Bulgarie s'identifient comme bulgares, tandis que ceux de la Serbie s'identifient comme serbes et ceux de la Macédoine, comme macédoniens. Selon les historiens, les Shopi étaient à l'origine un peuple mixte serbo-bulgare de Bulgarie occidentale d'origine serbe.

L'appartenance ethnique est fortement liée à l'appartenance religieuse en Macédoine. Le christianisme est la religion majoritaire, puisque 64,7 % de la population appartient à l'Église orthodoxe macédonienne. Une petite minorité de 0,37 % de la population, appartient à d'autres Églises chrétiennes. L'islam compte pour 33,3 % de la population, ce qui fait de la Macédoine le quatrième pays d'Europe par la proportion de la population musulmane après le Kosovo (90 %), l'Albanie (70 %) et la Bosnie-Herzégovine (45 %). Il existe aussi une petite minorité religieuse, les Goranci, qui sont des Macédoniens islamisés et parlant le macédonien. Au total, les minorités de la Macédoine représentent moins de 40 % de la population du pays.

Ajoutons que, lors de la guerre du Kosovo (moins de deux mois), les Slavo-Macédoniens ont vu leur petit pays de 2,0 millions d’habitants submergé par plus de 350 000 Albanais. Combien resteront en Macédoine? La question hante les Slavo-Macédoniens qui craignent encore davantage pour leur fragile «équilibre ethnique». Quoi qu’il en soit, la guerre du Kosovo a envenimé les relations entre les deux principales communautés, les Slavo-Macédoniens et les Albano-Macédoniens. La majorité slavo-macédonienne a terriblement peur des albanophones, alors que ces derniers ne leur font aucunement confiance! Au yeux des albanophones, le président de la Macédoine serait considéré comme un criminel encore plus dangereux que l'ex-président Slobodan Milosevic de la Yougoslavie. Pourtant, c'est grâce au président Boris Trajkovski (1999-2004) que les Albano-Macédoniens ont pu obtenir l'accord d'Ohrid de 2001, ainsi que des nombreuses modifications constitutionnelles qui ont suivi (2001).

4 La Constitution de 1991 

La Constitution de 1991 (voir le texte) a rapidement soulevé des polémiques en Macédoine de la part des minorités, notamment la minorité albanaise, même si les dispositions garantissaient des droits fondamentaux à tous les citoyens de la République, qui vivaient dans le pays depuis au moins quinze ans. Du fait de leur importance numérique, les Albanais ont rejeté complètement les termes de la Constitution macédonienne adoptée le 21 novembre 1991, parce qu'elle définissait la Macédoine comme l’État national du seul peuple macédonien, les Albanais étant ainsi relégués au statut de «minorité nationale» qui, selon eux, était infériorisant.

4.1 Les peuples constitutifs de la Macédoine

Le préambule de la Constitution se référait à l'héritage historique, culturel, spirituel et étatique du peuple macédonien, à sa lutte séculaire pour la création de son État et à ses traditions. Le texte précisait qu’il existe un peuple-nation macédonien constitutif représentant la majorité du pays. À côté du peuple macédonien, le législateur identifiait des minorités, au nombre de 27, dont les droits se trouvent reconnus et protégés par la Constitution. Quatre minorités (Albanais, Turcs, Valaques, Tsiganes) étaient expressément mentionnées dans le préambule de la Constitution de 1991:

Préambule (1991)

[...] La république de Macédoine, au référendum du 8 septembre 1991 ainsi que du fait historique que la Macédoine est constituée comme l'État national du peuple macédonien, qui assure une égalité complète des droits civils et une cohabitation durable du peuple macédonien avec les Albanais, les Turcs, les Valaques, les Rom et les autres nationalités qui habitent la république de Macédoine [...]

Le problème, c’est que cette déclaration constitutionnelle n'a jamais obtenu l’appui des Albanais ni des autres minorités. Forts de leur nombre, les Albanais ont violemment protesté contre le statut infériorisant de minorité qui leur était conféré, car ils ambitionnaient de se voir octroyer un statut constitutionnel égal à celui des Slavo-Macédoniens, étant donné qu’ils s'estimaient être un des peuples constitutifs de la Macédoine pluriethnique. Ils réclamaient non seulement un recensement honnête pour déterminer l’ampleur exacte de la communauté albanaise de souche, mais aussi une médiation internationale pour faire disparaître les inégalités entre la majorité slave et la minorité albanophone. Les minorités turques et tsiganes, pour leur part, ont présenté des revendications relativement similaires. Quant aux petites minorités non mentionnées, les Serbe, les Croates, les Grecs, les Bosniaques, les Bulgares, etc., elles ont souligné que la Constitution les discriminait en leur déniant le statut formel de «nationalités». En somme, la Constitution de 1991, telle qu'a a été adoptée, ne faisait l’unanimité que dans le camp des Slavo-Macédoniens parce que ce sont eux seuls qui l’ont élaborée.

Pourtant, comme le précise l’article 9 de la Constitution, l’égalité de tous les citoyens est reconnue devant la loi, quels que soient leur sexe, leur race, la couleur de leur peau, leur origine nationale ou sociale, leurs convictions politiques ou religieuses, leur situation patrimoniale ou sociale: 

Article 9 (1991)

1) Les citoyens de la république de Macédoine sont égaux dans leurs libertés et de leurs droits, indépendamment de leur sexe, race, couleur de la peau, origine nationale ou sociale, leurs convictions politiques ou religieuses, leur situation sociale ou la fortune. 

2) Tous les citoyens sont égaux devant la Constitution et les lois.

De plus, étant donné l’importance de la religion, surtout pour les Slavo-Macédoniens, les Albanais, les Turcs et les Grecs, l’article 19 de la Constitution reconnaît la liberté de la confession religieuse: 

Article 19 (1991)

1) La liberté de confession religieuse est assurée. 

2) Le droit d'exprimer sa foi librement et publiquement, et individuellement ou collectivement, est assuré. 

3) L'Église orthodoxe macédonienne, les autres communautés et groupes religieux sont séparés de l'État et sont égaux devant la loi.

4) L'Église orthodoxe macédonienne, les autres communautés confessionnelles et groupes religieux sont libres de créer des écoles religieuses et des établissements sociaux et de bienfaisance dans le cadre et la procédure prévus par la loi.

En matière de droits accordés aux minorités nationales, l’article 48 de la Constitution contient un certain nombre de dispositions particulières, mais elles ne concernent que les domaines de la culture et de l’éducation:

Article 48 (1991)

1)
Les membres des minorités nationales ont le droit d'exprimer, de cultiver et de développer librement leur identité et leurs particularités nationales.

2) La République garantit la protection de l'identité ethnique, culturelle, linguistique et religieuse des minorités nationales.

3)
Les membres des minorités ont le droit de créer des associations culturelles, artistiques, scolaires, scientifiques et autres ayant pour objet l'expression, l'encouragement et le développement de leur identité.

4)
Les membres des minorités ont le droit à un enseignement primaire et secondaire dans leur langue, selon les modalités définies par la loi.

5)
Dans les écoles où l'enseignement est dispensé principalement dans la langue de la minorité nationale, le macédonien doit être également étudié.

Afin de veiller aux questions touchant aux relations inter-ethniques dans la république de Macédoine, le gouvernement a créé, par l’article 78 de la Constitution, le Conseil des relations inter-ethniques.

Article 78

1) L'Assemblée forme un Conseil des nationalités.

2) Le Conseil est constitué comme suit : le président de l'Assemblée, deux représentants pour chacune des communautés suivantes : macédonienne, albanaise, turque, valaque, rom, et deux représentants pour l'ensemble des autres nationalités en Macédoine.

3) Le président de l'Assemblée est président du Conseil.

4) L'Assemblée élit les membres du Conseil. Le Conseil traite des questions relatives aux rapports entre nationalités dans la République et émet des avis et des propositions pour leur solution.

5) L'Assemblée est tenue d'examiner les avis et propositions du Conseil et d'adopter une décision relative à ceux-ci.

Ce conseil est dirigé par le président du Parlement; il est composé de deux membres choisis au sein des groupes linguistiques représentant les Macédoniens, les Albanais, les Turcs, les Valaques (Roumains provenant de la Valachie) et les Tsiganes, ainsi que de deux membres pour chacune des autres nationalités présentes en république de Macédoine et représentées au Parlement (à la condition qu’elles fassent élire des députés). 

Le Conseil des relations interethniques doit examiner les questions touchant aux relations interethniques dans la république de Macédoine, procéder à des évaluations et formuler des propositions pour résoudre ces questions. Le Parlement est obligé de tenir compte des évaluations et des propositions du Conseil et de prendre des décisions à cet égard. 

Cependant, la création du Conseil des relations interethniques a été fortement critiquée par les représentants des minorités non expressément nommées: les Serbes, les Bosniaques, les Grecs, etc. De plus, d’après plusieurs dirigeants des diverses nationalités, le Conseil des relations interethniques représentant les nationalités principales du pays n'a pas encore joué un rôle actif depuis sa création. 

De plus, les droits des minorités nationales reconnus par la Constitution de 1991 ne sont pas reconnus aux «nationalités» elles-mêmes, mais aux « membres » de ces nationalités. Il s'agit donc de droits personnels accordés aux minorités, qui n'offrent d'autre possibilité que l'intégration à la nation macédonienne. Les Slavo-Macédoniens ont toujours refusé de considérer les Albanais comme un «peuple fondateur» ou un «peuple constitutif» de la République de Macédoine. Il ne suffisait pas de proclamer l’État national comme celui de tous les citoyens, il fallait aussi que ceux-ci croient qu'ils étaient partie prenante de cet État. C'est pourquoi les Albanais ont toujours contesté la Constitution de 1991 parce qu'ils ne l'ont jamais écrite. Ils n'ont jamais cru que les dispositions constitutionnelles leur assureraient une égalité complète avec les Slavo-Macédoniens. Ils estimaient être sous-représentés dans les différents appareils de l'État macédonien (administration, enseignement, justice, police, armée, etc.), de subir des inégalités et d’être victimes de différentes formes de discriminations.

Effectivement, en juin 2000, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance du Conseil de l’Europe (ECRI) publiait un rapport sur l’ex-République yougoslave de Macédoine. Ce rapport venait confirmer l’existence de nombreuses discriminations dénoncées par les Albanais. Pourtant, la Macédoine avait ratifié la plupart des instruments juridiques internationaux dans le domaine de la lutte contre le racisme et l’intolérance et avait aussi accepté l’article 14 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale des Nations unies. Il paraissait donc évident que la situation des Albanais et des autres minorités nationales en Macédoine pouvait être améliorée.

4.2 L'officialisation du macédonien (1991)

L’article 7 de la Constitution de 1991 proclamait le macédonien comme seule langue officielle:

Article 7 (1991)

1) La langue officielle de la république de Macédoine est le macédonien et son alphabet, le cyrillique.

2) Dans les collectivités territoriales où les membres des nationalités sont en majorité, leur langue et leur alphabet sont, à côté du macédonien et du cyrillique, également d'usage officiel selon les modalités déterminées par la loi.

3) Dans les collectivités territoriales où les membres des nationalités sont en nombre considérable, leur langue et leur alphabet sont d'usage officiel à côté du macédonien et du cyrillique, dans les conditions et les modalités déterminées par la loi.

Cependant, d’autres langues sont admises au sein des collectivités locales (territoriales), comme en témoigne les paragraphes 2 et 3 de cet article 7.  Il n'en demeure pas moins que cette officialisation de la langue macédonienne a soulevé beaucoup de controverses dans ce pays où la majorité macédonienne ne compte que pour seulement 66 % de la population:  C’est justement ce caractère officiel à l’échelle du pays accordé uniquement au macédonien qui a soulevé la colère des albanophones; ceux-ci estimaient que la Macédoine devrait être officiellement bilingue. Les albanophones, parce qu’ils constituent 23 % (officiellement) de la population, ne voulaient pas être considérées comme une simple minorité et demandaient de se voir octroyer un statut égal à celui des Slavo-Macédoniens.

D’ailleurs, certaines pratiques étaient considérées injustes et humiliantes. Ainsi, en 1995, l’Assemblée nationale a présenté un projet de loi visant à interdire l’emploi de la langue albanaise sur les cartes d'identité et les passeports. Tous les députés albanais de l'Assemblée nationale défilèrent dans les rues de Skopje pour protester contre ce projet de loi jugé discriminatoire. Le gouvernement a soutenu qu’il n’existai qu’une seule langue officielle. Or, d’après les dispositions constitutionnelles, tous les citoyens de la Macédoine sont égaux devant la loi.

L'article 2 de la Loi sur l'emploi de la langue macédonienne (1998) précise que «l'emploi du macédonien comme langue officielle est un droit et un devoir de la part des citoyens de la République»:

Article 2

L'emploi du macédonien comme langue officielle est un droit et un devoir de la part des citoyens de la République.

Quant à l'article 4 de la Loi sur l'emploi de la langue macédonienne, il permet l'usage des langues minoritaires:

Article 4

La présente loi ne limite pas le droit des personnes appartenant à la minorité d'employer officiellement la langue et l'alphabet des minorités dans les collectivités d'autonomie locale, conformément à la Constitution et à la législation de la République de Macédoine.

L'article 5 de la Loi sur l'emploi de la langue macédonienne de 1998 précise les emplois où la langue macédonienne est obligatoire:

Article 5

1)
La langue macédonienne, en plus de son emploi dans les organismes gouvernementaux de l'État, dans les instances d'autonomie locale et dans la ville de Skopje, est aussi utilisée dans :

- les sociétés commerciales, entreprises, établissements et autres personnes morales enregistrés dans la République;
- les dénominations, annonces et panneaux d'affichage des personnes morales;
- les dénominations et instructions pour les produits, médicaments, étiquettes, facturations, etc.;
- les factures, reçus et autres informations sur l'emballage des produits, médicaments, etc.;
- la désignation des places publiques;
- les annonces dans les équipements publics et les moyens de transports en commun;
- le sous-titrage ou le doublage des films et des émissions en langues étrangères qui sont diffusés en public; 
- le sous-titrage et le doublage dans les variétés de la langue macédonienne quand ils ne sont pas en conformité avec le paragraphe 2 de l'article 1 de la présente loi et qu'ils ne sont pas diffusés en direct;
- les traités internationaux et autres accords internationaux conclus par la République; et
- d'autres cas semblables.

2) Les exceptions au paragraphe ! du présent article sont réglementées conformément à la loi.

Il convient également d'ajouter l'article 7 de la même loi qui concerne les textes officiels:

Article 7

1)
Les textes officiels des pouvoirs législatifs, exécutifs et juridiques, l'autonomie locale, les manuels scolaires, les expositions, la presse, les traductions et autres textes publiés en vertu du paragraphe 1 de l'article 5 de la présente loi sont obligatoirement édités en macédonien.

L'article 3 des Règlement de l'Assemblée de la république de Macédoine (2008) énonce aussi que le macédonien et son alphabet cyrillique sont la langue officielle et l'alphabet employé dans les travaux de l'Assemblée:

Article 3

1)
La langue officielle de travail de l’Assemblée est la langue macédonienne et son alphabet cyrillique.

2) Les députés qui utilisent une langue différente du macédonien, parlée par au moins 20 % des citoyens de la république de Macédoine, peuvent utiliser cette même langue pendant les travaux de l’Assemblée et des groupes de travail.

3) Les citoyens des autres pays qui sont invités à participer aux travaux de l’Assemblée ou à s'adresser devant l'Assemblée, ont le droit de parler dans leur langue.

4) Un discours fait dans une langue différente du macédonien est obligatoirement traduit en macédonien.  

De plus, l'article 8 de la Loi sur l'emploi de la langue macédonienne permet au gouvernement de la République, sur proposition du ministère de la Culture, du ministère de l'Éducation nationale et des Sports, ainsi que du ministère de la Science, de créer un Conseil de la langue macédonienne en tant qu'organisme expert. Le Conseil accomplit notamment les tâches suivantes : il donne des avis, suggestions, directives et recommandations pour l'emploi, la protection, l'avancement et l'enrichissement de la langue macédonienne, incluant la terminologie dans tous les secteurs scientifiques; il œuvre afin de découvrir des formules et des solutions pour la protection, l'avancement et l'enrichissement de la langue macédonienne; il suggère des programmes pour la protection, l'avancement et l'enrichissement de la langue macédonienne dans tous les secteurs de la communication officielle, qu'il présente officiellement au gouvernement de la république de Macédoine; il œuvre dans le domaine de l'éducation linguistique appropriée et de la culture; il publie des travaux sur la langue macédonienne.

5 L'accord de paix d'Ohrid de 2001

Il s’agit de l’accord-cadre du 1er août 2001 et entériné le 13 août à Ohrid par la guérilla albanaise et les représentants du gouvernement macédonien. Bien que cet accord n’ait pas été officiellement rendu public à l'époque, les journaux en ont fait aussitôt largement état. Cet accord, dont la version authentique officielle est rédigée exclusivement en anglais ("Framework Agreement"), portait notamment sur le statut de la langue albanaise, la réforme de la police, les modifications à apporter à la Constitution de 1991 et sur l’amnistie de l’UCK (Armée de libération du Kosovo).

5.1 La société multiethnique

Selon les termes de l'accord-cadre, la Constitution de 1991 devait être modifiée — ce qui a été fait : voir le texte) — afin de supprimer la référence selon laquelle les Slavo-Macédoniens étaient le seul peuple fondateur du pays. La société macédonienne doit être considérée désormais comme composée de citoyens issus de différents groupes ethniques ou différentes nationalités ("communities" en anglais).

L’accord instituait un système de «double majorité» au Parlement. Pour être adopté, un texte législatif doit réunir au moins la moitié des voix d’une ou de plusieurs formations représentant les nationalités. La langue albanaise doit faire son entrée au Parlement : l'usage de l'albanais doit être autorisé à la fois pour les documents importants (dont les lois), les séances plénières et les commissions, de même que devant les tribunaux. Toutes les lois seront donc rédigées en deux langues, en macédonien et en albanais. En revanche, seul le macédonien pourra être utilisé par le gouvernement macédonien (sauf dans les zones albanophones désignées).

L’albanais devient une sorte de seconde langue officielle dans les régions où les albanophones, ou toute autre nationalité, constituent plus de 20 % de la population locale. Les Albanais pourront dorénavant s’adresser au gouvernement central en albanais. Dorénavant, l’État garantit la représentation proportionnelle des minorités à la Cour constitutionnelle (tribunal suprême), ainsi que dans la fonction publique et la police. Il y aura une décentralisation accrue, particulièrement en faveur des collectivités locales à majorité albanaise, qui pourront même désigner les chefs de police à partir de listes approuvées par le gouvernement macédonien.

L’État s’engage à financer, en plus de l’enseignement primaire et secondaire, l’enseignement supérieur (universitaire) en albanais dans les zones où les albanophones constituent au moins 20 % de la population. Voici les articles (en anglais) de l'accord d'Ohrid concernant l'emploi des langues :

Ohrid Agreement (2001)

Article 6.

Education and Use of Languages

6.1. With respect to primary and secondary education, instruction will be provided in the students' native languages, while at the same time uniform standards for academic programs will be applied throughout Macedonia.

6.2. State funding will be provided for university level education in languages spoken by at least 20 percent of the population of Macedonia, on the basis of specific agreements.

6.3. The principle of positive discrimination will be applied in the enrolment in State universities of candidates belonging to communities not in the majority in the population of Macedonia until the enrolment reflects equitably the composition of the population of Macedonia.

6.4. The official language throughout Macedonia and in the international relations of Macedonia is the Macedonian language.

6.5. Any other language spoken by at least 20 percent of the population is also an official language, as set forth herein. In the organs of the Republic of Macedonia, any official language other than Macedonian may be used in accordance with the law, as further elaborated in Annex B. Any person living in a unit of local self-government in which at least 20 percent of the population speaks an official language other than Macedonian may use any official language to communicate with the regional office of the central government with responsibility for that municipality; such an office will reply in that language in addition to Macedonian. Any person may use any official language to communicate with a main office of the central government, which will reply in that language in addition to Macedonian.

6.6. With respect to local self-government, in municipalities where a community comprises at least 20 percent of the population of the municipality, the language of that community will be used as an official language in addition to Macedonian. With respect to languages spoken by less than 20 percent of the population of the municipality, the local authorities will decide democratically on their use in public bodies.

6.7. In criminal and civil judicial proceedings at any level, an accused person or any party will have the right to translation at State expense of all proceedings as well as documents in accordance with relevant Council of Europe documents.

6.8. Any official personal documents of citizens speaking an official language other than Macedonian will also be issued in that language, in addition to the Macedonian language, in accordance with the law.

Accord d'Ohrid (2001)

Article 6

Éducation et emploi des langues [traduction]

6.1. En ce qui concerne l'enseignement primaire et secondaire, l'instruction doit être dispensée dans les langues maternelles des élèves, alors que des normes uniformes pour les programmes scolaires sont appliquées partout en Macédoine.

6.2. Un financement de l'État est allouée à l'éducation de niveau universitaire dans les langues parlées par au moins 20 % de la population de la Macédoine, sur la base d'accords spécifiques.

6.3. Le principe de discrimination positive est  appliqué dans l'admission dans les universités nationales pour les candidats appartenant aux nationalités et non à la population majoritaire de Macédoine jusqu'à ce que les inscriptions reflètent équitablement la composition de la population de la Macédoine.

6.4. La langue officielle dans toute la Macédoine et dans les relations internationales de la Macédoine doit être le macédonien.

6.5. Toute autre langue parlée par au moins 20 % de la population doit être également une langue officielle, tel qu'il est prévu par la présente. Dans les organismes de la république de la Macédoine, toute autre langue officielle que le macédonien peut être employée conformément à la loi, tel qu'il est plus loin élaboré à l'Annexe B. Quiconque réside dans une collectivité d'autonomie locale dans laquelle au moins 20 % de la population parle une autre langue officielle que le macédonien peut employer cette langue officielle pour communiquer avec le bureau régional du gouvernement central sous la responsabilité de cette municipalité; ce bureau doit répondre dans cette langue en plus du macédonien. Quiconque peut employer une langue officielle pour communiquer avec un bureau principal du gouvernement central recevra une réponse dans cette langue en plus du Macédonien.

6.6. En ce qui concerne l'autonomie locale dans des municipalités où une nationalité compte pour au moins 20 % de la population de ladite municipalité, la langue de cette nationalité sera employée comme langue officielle en plus du macédonien. En ce qui concerne des langues parlées par moins de 20 % de la population de la municipalité, les autorités locales prendront démocratiquement la décision quant à leur emploi dans les organismes publics.

6.7. Dans les poursuites judiciaires en matière criminelle et civile, à tous les niveaux, un accusé ou une partie a le droit à la traduction aux frais de l'État dans toute la procédure, ainsi que pour les documents, conformément aux documents appropriés du Conseil de l'Europe. 

6.8. Tout document officiel personnel destiné aux citoyens parlant une autre langue officielle que le macédonien doit aussi être publié dans cette langue, en plus du macédonien, conformément à la loi.

5.2 La mise en œuvre

L’accord prévoyait aussi un recensement en fin d’année — il aura lieu en 2002 — pour établir avec certitude la composition ethnique de la population du pays, et ce, avant la tenue d’élections générales anticipées. Enfin, il était prévu que l’État devait accorder un statut égal aux religions orthodoxe, musulmane, juive et catholique. À la suite du recensement, la délimitation des communes apparaissait comme un enjeu politique majeur, car celle-ci allait conditionner les rapports de force entre les communautés linguistiques. D'une part, les Slavo-Macédoniens désiraient empêcher la formation de zones albanophones compactes, lesquelles pourraient être tentées de faire sécession. D'autre part, Albano-Macédoniens souhaitaient éviter un découpage «en gruyère» afin d'éviter que des petites communes albanophones soient encerclées à l'intérieur d'ensembles slaves.

Une décennie plus tard, le bilan de la mise en œuvre de l'accord-cadre demeure ambigu. Si la minorité albanaise est beaucoup mieux représentée dans les institutions nationales qu'auparavant, les conflits entre les Slavo-Macédoniens et les Albano-Macédoniens persistent et réapparaissent régulièrement. Il faut de peu pour mettre le feu aux poudres.

6 Les modifications constitutionnelles de 2001 

Le 15 novembre 2001, le Parlement macédonien a adopté les nombreuses modifications constitutionnelles prévues dans l’accord de paix d’Ohrid, lequel élargit les droits de la minorité albanaise vivant dans le pays. Les députés ont voté une quinzaine de modifications à la Constitution de 1991 (voir les modifications de 2001).

6.1 L'officialisation de la langue du peuple macédonien majoritaire

Le préambule de la Constitution de 1991 a été modifié; il mentionne maintenant que les albanophones et autres groupes minoritaires vivant en Macédoine sont des «peuples» tout en les distinguant du «peuple macédonien» majoritaire.

Préambule

Les citoyens de la république de Macédoine, le peuple macédonien, ainsi que des citoyens vivant à l'intérieur de ses frontières, qui font partie du peuple albanais, du peuple turc, du peuple valaque, du peuple serbe, du peuple rom, du peuple bosniaque et d'autres [...]

L'important article 7 de la Constitution sur l'officialisation de la langue macédonienne a été revu et augmenté pour tenir compte des revendications des albanophones (MODIFICATIONS V). 

Article 7

1)
Le macédonien, écrit en utilisant son alphabet cyrillique, est la langue officielle dans toute la république de Macédoine ainsi que dans les relations internationales de la république de Macédoine.

2) Toute autre langue parlée par au moins 20 % de la population est aussi une langue officielle, écrite en utilisant son alphabet, tel qu'il est spécifié ci-dessous.

3) Tout document personnel officiel de citoyens parlant une langue officielle différente du macédonien doit être également publié dans cette langue, en plus de la langue macédonienne, conformément à la loi.

4) Quiconque vivant dans une collectivité territoriale dans laquelle au moins 20 % de la population parle une langue officielle différente du macédonien peut employer cette autre langue officielle pour communiquer avec le bureau régional du gouvernement central sous la responsabilité de cette municipalité; ce bureau doit répondre dans cette langue en plus du macédonien. Toute personne peut employer une autre langue officielle pour communiquer avec un bureau principal du gouvernement central, qui répondra dans cette langue en plus du macédonien.

5) Dans les organismes de la république de Macédoine, toute autre langue officielle que le macédonien peut être employée, conformément à la loi.

6) Dans les collectivités territoriales là où au moins 20 % de la population parle une langue particulière, cette langue et son alphabet sont employés comme langue officielle en plus du macédonien et son alphabet cyrillique. En ce qui concerne des langues parlées par moins de 20 % de la population d'une collectivité territoriale, les autorités locales choisissent finalement leur emploi dans les organismes publics.

6.2 La norme des 20 %

Le macédonien continue d'être la langue officielle dans toute la République, mais l’albanais ou toute autre langue a la possibilité d'obtenir un statut co-officiel dans les zones où la population minoritaire constitue au moins 20 % de la population totale. Dans ce cas, toute autre langue devient officielle avec le macédonien. Ainsi, tout individu vivant dans une collectivité territoriale dans laquelle au moins 20 % de la population parle une langue officielle différente du macédonien peut employer cette autre langue officielle pour communiquer avec le bureau régional du gouvernement central sous la responsabilité de cette municipalité; ce bureau doit répondre dans cette langue en plus du macédonien. Cependant, à part la minorité albanaise, peu de communautés minoritaires peuvent se prévaloir de cette disposition puisqu'il faut qu'une minorité atteigne au moins 20 % de la population dans une collectivité territoriale donnée. Enfin, il n'est pas dû au hasard si l'article 7 ne mentionne aucune minorité, même pas l'albanaise. 

L'article 48 n'a pas été substantiellement modifié dans la version de 2001. Cependant, les articles 69, 77, 78, 86, 104, 108, 109, 110, 114 et 115 ont été transformés de façon à ce que les représentants d'une nationalité obtiennent une représentation accrue au Parlement, dans les séances plénières et les diverses commissions ou divers conseils. Les modifications garantissent aussi des mécanismes de blocage lors des votes au Parlement sur les lois à caractère culturel, linguistique ou éducatif. Par exemple, l'article 69 prévoit que pour les lois concernant directement la culture, l'emploi de la langue, l'éducation, la documentation personnelle et l'usage des symboles, l'Assemblée parlementaire doit prendre des décisions par un vote à la majorité des députés présents, au sein desquels il doit y avoir une majorité des voix des députés présents appartenant à des nationalités, mais non à la majorité de la population de la Macédoine.

L'article 131 porte sur la décision de procéder à la modification de la Constitution. Toute décision de modifier le Préambule, les articles sur l'autonomie locale, l'article 131, toute disposition touchant aux droits des membres des communautés, y compris les articles particuliers 7, 8, 9, 19, 48, 56, 69, 77, 78, 86, 104 et 109, ainsi qu'une décision d'ajouter toute nouvelle disposition concernant l'objet desdits articles et desdites dispositions, doit nécessiter un vote à majorité des deux tiers du nombre total des députés, parmi lesquels il doit y avoir une majorité des votes du nombre total des députés appartenant aux communautés mais non à la majorité de la population de la Macédoine.

Rappelons aussi que la Macédoine a signé et ratifié, en tant que membre du Conseil de l’Europe, les protocoles nos 7 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (10 avril 1997), ainsi que la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (10 avril 1997); le gouvernement a par ailleurs signé, le 25 juillet 1996, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (1992).

7 Les droits linguistiques reliés à la législature 

La politique linguistique du gouvernement macédonien a souvent fait l’objet de vives critiques. Il semble, d’une part, que les prescriptions constitutionnelles ne soient pas toujours appliquées, d’autre part, que les droits linguistiques ne recueillent jamais l’appui des minorités de la république de Macédoine. Voyons néanmoins ce qu’il en est à ce sujet.

7.1 Les langues au Parlement

Parce que seul le macédonien jouissait jusqu'à maintenant du statut de langue officielle pour l’ensemble du pays, les langues des minorités ne pouvaient en principe être utilisées au Parlement et les lois n'étaient rédigées et promulguées qu’en macédonien. Conformément à l'article 3 du Règlement de l'Assemblée de la république de Macédoine (2008), la langue officielle est la normalement utilisée au Parlement, sauf si un député représentant au moins 20 % des citoyens décide d'utiliser une autre langue :

Article 3

1)
La langue officielle de travail de l’Assemblée est la langue macédonienne et son alphabet cyrillique.

2) Les députés qui utilisent une langue différente du macédonien, parlée par au moins 20 % des citoyens de la république de Macédoine, peuvent utiliser cette même langue pendant les travaux de l’Assemblée et des groupes de travail.

3) Les citoyens des autres pays qui sont invités à participer aux travaux de l’Assemblée ou à s'adresser devant l'Assemblée, ont le droit de parler dans leur langue.

4) Un discours fait dans une langue différente du macédonien est obligatoirement traduit en macédonien.

Mais le règlement ne dit pas qu'il y aurait un système de traduction simultanée au cas où un député s'exprimerait dans une langue minoritaire, ce qui inclut l'albanais. En l'absence de traduction, le parlementaire risque de ne pas être compris, ce qui dénie quelque peu ce droit de pouvoir  s'exprimer dans une autre langue que le macédonien. Quoi qu'il en soit, il ne peut s'agir que de l'albanais, seule langue pouvant être parlée par au moins 20 % de la population. Cela dit, les membres des minorités nationales ont le droit d’être représentés au Parlement: on compte, selon les résultats des élections, généralement une vingtaine de députés albanais, deux députés tsiganes (roms), un député turc et un député serbe (la situation pouvant évidemment changer d’une élection à l’autre). En principe, les lois macédoniennes doivent dorénavant être rédigées en deux langues, soit en macédonien et en albanais.

La Loi sur l'Assemblée de la république de la Macédoine de 2008 reprend les mêmes dispositions:

Article 32

1)
L'Assemblée est responsable des programmes d'émission à la Chaîne de télévision de l'Assemblée.

4) La Chaîne parlementaire tient compte sur la représentation politique égale et la représentation linguistique convenable dans les programmes.

Article 42

5)
Les députés qui parlent une langue différente de la langue macédonienne et qui est utilisée par au moins 20 % des citoyens de la république de Macédoine, reçoivent les documents préparés par l'institut parlementaire en leur langue et leur alphabet. À la demande du député, les documents peuvent être traduits en d'autres langues étrangères.

6) L'institut parlementaire coopère avec les organes de l'administration de l'État et d'autres institutions en fonction du fournissement ponctuel des documents et des informations qui n'ont pas un caractère confidentiel.

rlementaire dans leur langue et leur alphabet. À la demande d'un député, les documents sont traduits dans d'autres langues étrangères.

Seul l'albanais est la langue minoritaire qui satisfait au critère d'utilisation par plus de 20 % de la population. Les albanophones disposent normalement de cinq ministres au sein du gouvernement. Depuis décembre 1999, la Macédoine est dirigée par une coalition de deux partis slavo-macédoniens (l’Alternative démocratique et l’Organisation révolutionnaire interne de Macédoine) et du Parti de la prospérité démocratique des Albanais en Macédoine. Le nouveau gouvernement a aussitôt tenté de s’illustrer par une politique dite d’assouplissement ethnique. Depuis l’accord du 1er août 2001, l’usage de l’albanais est maintenant autorisé, à la fois pour les documents importants, les séances plénières et dans les commissions. Les lois macédoniennes seront dorénavant rédigées en deux langues, en macédonien et en albanais.

D'ailleurs l'article 3 de la Loi sur l'emploi des langues parlées par au moins 20 % des citoyens en république de Macédoine et au niveau des collectivités territoriales de 2008 reprend les mêmes dispositions que les précédentes au sujet du quota des 20 %:

Article 3
 
1)
La langue de travail officielle de l’Assemblée est le macédonien et son alphabet cyrillique.

2) Les députés qui parlent une langue autre que le macédonien, et qui est parlée d'au moins 20 % des citoyens de la république de Macédoine, peuvent utiliser cette langue à la séance plénière de l’Assemblée et aux séances des corps de travail. Les députés qui parlent une autre langue que le macédonien, et qui est parlée par au moins 20 % des citoyens de la république de Macédoine, peuvent utiliser cette langue lorsqu’ils exercent la présidence des séances des comités de travail. Les députés qui parlent une langue autre que le macédonien, et qui est parlée par au moins 20 % des citoyens de la république de Macédoine, ont le droit d’obtenir les documents de travail dans cette langue et cet alphabet.

Le gouvernement macédonien avait auparavant, à plusieurs reprises, refusé d’accéder aux demandes de certains dirigeants albanais qui réclamaient l’usage de l’albanais dans les communications officielles entre les députés albanais du Parlement et les ministres albanais du gouvernement. Dorénavant, l’usage de la langue albanaise sera permis, mais seule le macédonien restera la langue officielle au niveau du gouvernement central.

Quelques minorités sont représentées par des partis politiques dûment reconnus. Le Parti de la prospérité démocratique des Albanais en Macédoine représente les intérêts des Albanais au Parlement. La minorité turque est constituée en deux partis politiques distincts: le Parti démocratique des Turcs de Macédoine et le Parti pour l’action démocratique de la voie islamique. Les Serbes, pour leur part, ont fondé le Parti démocrate serbe de Macédoine et le Parti des Yougoslaves de Macédoine. Enfin, les Tsiganes ont leur Parti pour l’émancipation complète des Rom

7.2 Les langues dans les municipalités

La Macédoine est un État qui a délégué une partie de ses pouvoirs aux municipalités (sing. opštini; plur. opština). Depuis la Loi sur l'autonomie locale de 2002, le territoire est divisé 84 unités d'autonomie locale, ce qui correspond à autant de municipalités. Les autorités municipales sont composées d'un maire élu au suffrage direct pour quatre ans et d'un conseil municipal formé de membres élus au suffrage universel direct également pour quatre ans. Le nombre de conseillers municipaux dépend du nombre de citoyens au sein d'une municipalité. La capitale, Skopje, constitue une unité spéciale d'autonomie locale; d'après la Loi sur la Ville de Skopje, elle est divisée en dix municipalités.

Les compétences des municipalités sont énoncées à l'article 22 de la Loi sur l'autonomie locale de 2002, dont notamment l'aménagement du territoire, la protection de l'environnement, le développement économique social, les services municipaux (traitement et approvisionnement de l'eau, voirie et égouts), la culture, les loisirs et les sports, la protection sociale, les soins de santé et la protection de l'enfance, l'enseignement primaire et secondaire, ainsi que le choix des langues officielles dans une municipalité.

En effet, la Loi sur l'autonomie locale prévoit qu'une municipalité peut adopter, en plus du macédonien, une autre langue officielle. L'article 89 stipule que «le macédonien avec son alphabet cyrillique est la langue officielle des municipalités». Mais l'article 90 autorise l'emploi d'une autre langue, en plus du macédonien, lorsque cette langue est employée par au moins 20 % des résidents d'une municipalité:

Article 90

Langues officielles dans une municipalité

1) La langue officielle d'une municipalité est, en plus du macédonien et de son alphabet cyrillique, celle parlée par au moins 20 % des citoyens, ainsi que son alphabet.

2) Le Conseil municipal doit se prononcer sur l'emploi des langues et des alphabets utilisés par moins de 20 % des citoyens d'une municipalité.

La seule minorité représentée par suffisamment de citoyens dans une municipalité, c'est-à-dire plus de 20 %, est la minorité albanaise. De plus, le Conseil municipal doit se prononcer sur l'emploi des langues et des alphabets utilisés par moins de 20 % des citoyens d'une municipalité à des fins officielles.

Les 84 municipalités se présentent ainsi en ce qui concerne le statut des langues :

Nombre de municipalités Langues officielles
52 macédonien
28 macédonien + albanais
4 macédonien + turc
1 macédonien + serbe
1 macédonien + tsigane

Au total, la Macédoine compte 34 municipalités bilingues. Parmi les 28 municipalités officiellement bilingues avec le macédonien et l'albanais, 16 sont majoritairement albanaises: Čair, Aračinovo, Bogovinje, Brvenica, Vrapčište, Gostivar, Debar, Želino, Zajas, Lipkovo, Oslomej, Saraj, Struga, Studeničani, Tearce et Tetovo. Quatre municipalités utilisent le turc et le macédonien: Centar Župa, Plasnica, Strumica et Gostivar. Une seule municipalité a le serbe comme langue co-officielle avec l'albanais et le macédonien: Čučer-Sandevo. La municipalité de Šuto Orizari a comme langues officielles le macédonien et le romani (tsigane). Krushevo est une municipalité trilingue (macédonien, albanais et valaque).

8 L'emploi des langues en matière judiciaire

La Constitution ne fait aucune mention des langues particulières permises dans le domaine de la justice. Néanmoins, tous les membres d’une minorité disposant d’une collectivité locale ont le droit de comparaître dans une cours de première instance en utilisant leur langue.

8.1 Le macédonien et l'interprétariat

Il ne semble pas y avoir de difficulté pour les Albanais, les Tsiganes et les Turcs pour obtenir localement un procès dans leur langue, mais les plus petites minorités doivent recourir généralement aux services d’un interprète. Les cours d’appel ne fonctionnent qu’en macédonien, sauf pour les albanophones. De toute façon, l’accord du 1er août 2001 prévoit l’utilisation légale de la langue albanaise dans les tribunaux de première instance (art. 6.7) :

Article 6.7

Dans les poursuites judiciaires en matière criminelle et civile, à tous les niveaux, un accusé ou une partie a le droit à la traduction aux frais de l'État dans toute la procédure, ainsi que pour les documents, conformément aux documents appropriés du Conseil de l'Europe. 

L'article 6 de la Loi sur la procédure civile (1998) prévoit l'usage des langues minoritaires en recourant aux services d'un interprète, aux frais de l'État, mais la procédure doit se dérouler en macédonien: 

Article 6

1)
La cour traite les causes en langue macédonienne et avec son alphabet cyrillique.

2) Quiconque appartenant à la minorité et est citoyen de la république de Macédoine, est partie prenante à une cause ou y participe et ne comprend pas ou ne parle pas le macédonien, ni n'utilise son alphabet cyrillique, a le droit aux services d'un interprète. Les frais concernant les interprètes incombent à la république de Macédoine.

3) La cour est tenue de conseiller toute partie ou à un participant à une cause en vertu du paragraphe 2 du présent article au sujet des droits prévus en conformité avec le présent paragraphe. Le président du tribunal ou le juge en personne est tenu d'enregistrer toutes les informations de la cour et la déclaration des partie ou de tout autre participant à la cause.

La Loi sur la procédure pénale (1997) semble plus précise dans l'emploi des langues minoritaires au tribunal. Tout accusé a le droit d'être informé immédiatement et en détail, dans une langue qu'il comprend, du crime pour lequel il est accusé et des éléments de preuve contre lui (art. 4). Cependant, la langue officielle dans la procédure pénale est le macédonien avec son alphabet cyrillique (art. 6). Lorsque les parties parlent une autre langue que celle de la cour, elles ont le droit de demander les services d'un interprète aux frais de la République (art. 7).
 

Article 4

2)
Tout accusé a les droits minimums suivants :

- d'être informé immédiatement et en détail, dans une langue qu'il comprend, du crime pour lequel il est accusé et des éléments de preuve contre lui.

Article 6

La langue officielle dans la procédure pénale est le macédonien avec son alphabet cyrillique.

Article 7

1)
Les parties et autres participants à la procédure au cours des audiences et autres activités de procédure devant la cour ont le droit d'employer leur propre langue. Si la procédure n'est pas effectuée dans la langue des parties ou des participants respectifs, une traduction orale des délibérations au cours des audiences doit être prévue dans leur propre langue ainsi que la traduction des exposés oraux concernant les rectifications sont employées au cours des audiences comme preuve.

2) Les parties et autres participants à la procédure doivent être instruits de leur droit de suivre la procédure orale dans leur propre langue au moyen d'un interprète. Ils peuvent révoquer leur droit à l'interprétation s'ils déclarent comprendre la langue dans laquelle se déroule la procédure. Le procès-verbal doit rapporter que de telles instructions leur ont été transmises, ainsi que leur déclaration.

3) L'interprétation est faite par un interprète.

La Loi sur l'emploi des langues parlées par au moins 20 % des citoyens en république de Macédoine et au niveau des collectivités territoriales de 2008 prévoit de nombreuses dispositions (art. 5 à 17) concernant l'emploi des langues dans les tribunaux. L'article 5 de cette loi proclame clairement que le macédonien est «la langue officielle utilisée dans la procédure pénale» :

Article 5

1) La langue officielle utilisée dans la procédure pénale est le macédonien et son alphabet cyrillique.

2) Une autre langue officielle parlée par au moins 20 % des citoyens et son alphabet sont utilisés dans la procédure pénale en accord avec la présente loi.

D'après l'article 6 de la même Loi sur l'emploi des langues parlées par au moins 20 % des citoyens, tout prévenu, accusé, accusateur, témoin ou toute autre personne participant dans la procédure, et qui parle une autre langue que le macédonien, a le droit d'utiliser sa langue et son alphabet lors des activités avant, pendant et après l'enquête et l'audience, ainsi que dans une procédure d'appel. Le tribunal assure une traduction des dépositions, des pièces d’identité et des autres documents présentés, ainsi que pout tous les documents pertinents pour la procédure et pour la défense des accusés. Les autres parties, témoins et participants à la procédure ont le droit d'utiliser les services d’interprétation «pour le bien public», s’ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue dans laquelle la procédure est menée.

Article 10
 
Les parties et les autres participants à la procédure qui parlent une autre langue officielle de la république de Macédoine, ont le droit à utiliser leur langue lors des auditions et dans les autres activités verbales devant le tribunal. Les parties et les autres participants mentionnés au paragraphe 1 du présent article, bénéficient d'une traduction des auditions et des pièces et documents utilisés en tant que preuves lors des auditions. La traduction est faite par un traducteur assermenté.

8.2 La langue obligatoire de la cour

Il faut comprendre que le tribunal n'est pas tenu de connaître une autre langue que la langue officielle et que, dans tous les cas où un justiciable emploie une autre langue, c'est un service de traduction qui assure la communication.

Dans le domaine de la justice, les minorités, surtout la minorité albanaise, se plaignent d’être sous-représentées au sein des différents services judiciaires. On compte très peu de juges membres des minorités nationales, ce qui complique les délibérations et les échanges lors des procès parce qu’on doit faire appel à des interprètes, le juge ne comprenant pas la langue de l’accusé. Les albanophones affirment subir des inégalités et être victimes de différentes formes de discrimination en cette matière: non seulement le nombre des juges albanais est insuffisant, mais le droit à la langue consiste le plus souvent à ne pas être compris dans les cours de justice. 

9 Les langues dans l’administration publique

La langue de l’administration est normalement le macédonien, mais les minorités organisées en collectivité locale ont le droit d’obtenir des services dans leur langue. Il s'agit des services locaux de la part de la municipalité. La Loi sur l'emploi des langues parlées par au moins 20 % des citoyens en république de Macédoine et au niveau des collectivités territoriales précise de façon détaillée les possibilités d'utiliser une autre langue que le macédonien. En principe, toute l'administration de l'État doit se faire en macédonien. L'article 18 précise que les es citoyens parlant une langue autre que le macédonien et parlée par au moins 20% des citoyens de la république de Macédoine, ont le droit d'utiliser cette langue lors de la procédure administrative menée au sein des autorités de l'État, les autres institutions de l'État, les autorités municipales, la ville de Skopje et les municipalités de la ville de Skopje, ainsi que les personnes légales autorisées à exercer des fonctions publiques en conformité avec la loi:

Article 18

1) Les citoyens parlant une langue autre que le macédonien et parlée par au moins 20% des citoyens de la république de Macédoine, ont le droit d'utiliser cette langue lors de la procédure administrative menée au sein des autorités de l'État, les autres institutions de l'État, les autorités municipales, la ville de Skopje et les municipalités de la ville de Skopje, ainsi que les personnes légales autorisées à exercer des fonctions publiques en conformité avec la loi.

2) Le droit mentionné au paragraphe 1 du présent article peut être exercé par tout citoyen habitant dans une collectivité territoriale où au moins 20 % des citoyens parlent une langue autre que le macédonien, dans sa communication avec les filières locales des ministères.
 
3) Les filières situées dans ces collectivités locales répondent en langue macédonienne et son alphabet cyrillique, et dans la langue officielle utilisée par le citoyen. Dans leur communication avec les ministères, les citoyens peuvent utiliser l'une des langues officielles et son alphabet, tandis que les ministères répondent en macédonien et son alphabet cyrillique, ainsi que dans la langue et l'alphabet utilisés par les citoyens.

4) Les parties à la procédure qui parlent une langue autre que le macédonien, considéré comme officiel, peuvent déposer leurs requêtes dans cette langue et cet alphabet. Les organismes devant lesquels la procédure est menée traduisent ces requêtes en macédonien et son alphabet cyrillique, et agissent dans ce sens.

En fait, la langue macédonienne est obligatoire dans toute procédure administrative (art. 18), auprès du médiateur (art. 20), dans le processus électoral (art. 21 à 28), les pièces d'identité (art. 29 et 30), le registre d'état civil (art. 31), les attributions policières (art. 32), les noms de rue (art. 40), etc. Dans tous les cas, il est possible d'employer une autre langue, en plus du macédonien, dans une collectivité territoriale là où au moins 20 % des citoyens parlent cette autre langue; il est possible aussi de recevoir des documents officiels dans un format bilingue, soit en macédonien et dans l'autre langue. L'article 40 de la Loi sur l'emploi des langues parlées par au moins 20 % des citoyens en république de Macédoine et au niveau des collectivités territoriales autorise l'emploi d'une autre langue en plus du macédonien pour la dénomination des rues, places, ponts ou autres types d’infrastructure dans les municipalités où au moins 20 % des citoyens utilisent une autre langue:

Article 40

1) Les noms de rues, places, ponts ou autres types d’infrastructure, sont écrits en macédonien et avec son alphabet cyrillique.

2) Dans les municipalités où au moins 20 % des citoyens utilisent une langue officielle autre que le macédonien, les noms de rues, places, ponts et autres types d'infrastructure, sont écrits en langue macédonienne et son alphabet cyrillique, ainsi que dans la langue et l'alphabet utilisés par au moins 20 % des citoyens de cette municipalité.

9.1 La sous-représentation des communautés ethniques

L’un des problèmes réside dans le fait que les minorités restent sous-représentées dans la fonction publique et que les Slavo-Macédoniens ignorent presque toujours l’albanais ou le turc, pour ne nommer que ces deux langues. Ce n’est pas pour rien que les minorités soulèvent certaines allégations de discrimination non seulement dans les offres de services en langue minoritaire (p. ex., en albanais), mais aussi dans l’accès aux postes de la fonction publique au sein des organismes et ministères de l’État. Selon des rapports non officiels, la minorité albanaise, qui forme officiellement 23 % de la population, n’était représentée qu’à 2 % en 1990 et elle ne serait passée qu’à 7 % aujourd’hui; le gouvernement prétend qu’il s’agit plutôt de 14 %, mais il n’en demeure pas moins que la communauté slavo-macédonienne – la plupart de ceux-ci sont unilingues – est nettement sur-représentée dans la fonction publique et la police. 

La sous-représentation des albanophones dans la police constitue aussi un problème majeur. Même dans des régions peuplées principalement d’Albanais, seulement 4 % du personnel de police est d’origine albanaise. Le ministère de l’Intérieur soutient pourtant avoir fait des efforts pour recruter des candidats de police albanais, mais les dirigeants albanais affirment que le gouvernement pratique une discrimination honteuse à leur égard. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la police abuse de ses pouvoirs en matière d’arrestation et de détention. Les albanophones accusent les forces policières d’employer fréquemment une force excessive à l’égard de toutes les minorités. Ils affirment même que les membres des minorités sont souvent arrêtés sans mandat et violentés jusqu'à ce qu’ils avouent "leur crime". Les forces de police sont aussi accusées d’enfreindre la loi qui les oblige à ne pas dépasser le délai de 24 heures pour informer dans sa langue un citoyen des raisons de son arrestation. D’ailleurs, la communauté internationale, dont le Département d'État américain sur les droits de l'homme, a souvent adressé des reproches au sujet du comportement illégal de la police et des violations de droits de l'homme. Selon des députés albanais, les États-Unis porteraient une certaine responsabilité pour le comportement abusif des policiers macédoniens. Les États-Unis auraient, en effet, formé au moins 329 officiers de police, incluant un groupe de forces spécialement entraînées dans les cas les plus sévères de brutalité policière. Certains diplomates affirment aussi que la prétendue démocratique Macédoine continue de terroriser les minorités par des visites de police dans les maisons et de les menacer de chantage, de congédiement à leur travail ainsi que d'autres mesures de dissuasion.

Le seul effort valable dans l’attribution des employés de l’État semble avoir été réalisé dans l’armée où les albanophones comptent pour 25 % des soldats, mais la représentation des officiers n’est que de 8 %; elle serait de 14 % pour les nouveaux cadets admis à l’Académie militaire.

9.2 La désignation des lieux et l'affichage

La désignation des lieux publics tels les noms de rue, de parc, de pont, etc., n'est pas simple en Macédoine. Il y a des risques à désigner les les lieux publics, les écoles, les édifices au moyen des noms de célébrités historiques, notamment dans l'ouest du pays où réside une majorité d'albanophones. Une loi a été adoptée à cet effet dès 2004, la Loi sur la désignation des noms de rues, des places, des ponts et autres installations d'infrastructures. L'article 4 énonce que la désignation du nom d'une rue, d'une place, d'un pont et de toute autre installations d’infrastructure doit se faire par une décision prise par le Conseil municipal avec une double majorité des voix, car il doit y avoir une majorité des voix des membres actuels du Conseil appartenant aux communautés qui ne constituent pas la population majoritaire dans la municipalité:

Article 4

1)
La désignation du nom d'une rue, d'une place, d'un pont et de toute autre installations d’infrastructure sur le territoire de la municipalité doit se faire par une décision prise par le Conseil municipal et, pour le territoire de la Ville de Skopje, par une décision adoptée par le Conseil de la Ville de Skopje.

2) La décision visée au paragraphe 1 du présent article est adoptée à la majorité des voix des membres actuels du Conseil municipal, c'est-à-dire du Conseil de la Ville de Skopje, où il doit y avoir une majorité des voix des membres actuels du Conseil appartenant aux communautés qui ne constituent pas la population majoritaire dans la municipalité, c'est-à-dire dans la ville de Skopje.

L'article 7 de la même loi précise que l'appellation d'une rue, d'une place, d'un pont et de toute autre installation d'infrastructure doit être rédigé en macédonien et en alphabet cyrillique, mais que, dans une municipalité où au moins 20% des citoyens utilisent une autre langue officielle différente de la langue macédonienne, celle-ci doit être utilisée en plus de la langue macédonienne: 

Article 7

1)
L'appellation d'une rue, d'une place, d'un pont et de toute autre installation d'infrastructure doit être rédigé en macédonien et en alphabet cyrillique.

2) Dans une municipalité où au moins 20% des citoyens utilisent une autre langue officielle différente de la langue macédonienne, le nom de la rue, de la place, du pont et de toute autre installation d'infrastructure doit être, en plus de la langue macédonienne avec son alphabet cyrillique, également rédigée dans la langue et l'alphabet utilisés par au moins 20% des citoyens de cette municipalité

Au lendemain de l'indépendance, de nombreuses rues de Skopje et d'autres villes ont dû changer de noms parce que ceux-ci correspondaient au nom d'un personnage ou d'un événement de l'ancien régime communiste. Contrairement à certains pays, tels que la Grande-Bretagne, qui n'ont pas changé le système politique depuis des siècles, l'histoire des Balkans est agitée et chaque changement de régime politique amène ses héros et en supprime d'autres. Outre les affrontements idéologiques entre les deux principales communautés linguistiques, l'annonce de nouveaux noms dans les rues incluant des héros albanais a provoqué une controverse supplémentaire. L'un des principes à respecter, c'est que les noms proposés doivent être choisis de façon à ne pas irriter l'autre communauté. Dans certaines municipalités bilingues, les conseillers municipaux préfèrent donner des numéros aux rues plutôt que de choisir avec beaucoup de difficultés des noms de célébrités albanaises ou macédoniennes, ou les deux.

Évidemment, dans le cas des municipalités unilingues macédoniennes, il est plus facile de puiser dans le répertoire des noms relevés au cours de l'histoire, mais la situation est différente dans la plupart des municipalités bilingues ou trilingues.. 

Du côté de l'affichage public et commercial, la langue macédonienne est nettement prépondérante. Le bilinguisme albanais-macédonien est relativement fréquent dans les panneaux indicateurs des villes et villages albanophones. Généralement, les inscriptions en macédonien sont au-dessus de celles en albanais: Пивара Скопје Царински терминал полиција/polici, центар/Center/Qendër, etc.

Mais l'inverse peut se produire, surtout pour désigner des réalités ou des lieux albanais: Gostivar/Гостивар, Kërcovë/Кичево, Muzeu i Tetovës/Тетоckи Музеј, Xhamia Gam-Gam/Гам-Гам Џамија, etc.

Si l'on fait exception des panneaux indicateurs, l'unilinguisme macédonien est la règle, sauf pour certaines inscriptions en anglais: Sprint, Restroom, Police (polici en albanais), etc. Cela n'interdit pas les inscriptions désignant les restaurants d'origine étrangère (italienne, française, allemande, russe, etc.).  

Afin de respecter la loi macédonienne, les noms de rues et de places publiques sont en macédonien (cyrillique) et dans toute autre langue officielle locale parlée par au moins 20% des citoyens de la République. 

10 Le droit à l’instruction dans une langue minoritaire

Le système d'éducation actuel de la Macédoine a été élaboré au cours des années où la Macédoine faisait partie de la Yougoslavie. C'est aujourd'hui un système hybride commun à la plupart des pays d'Europe occidentale, mais les manuels scolaires et autres aspects de l'enseignement reflétant les années d'influence soviétique ont été progressivement supprimés. L'éducation est obligatoire jusqu'à la huitième année.

10.1 Le système scolaire

L’enseignement primaire dure huit années et mène au certificat d’enseignement primaire. L’enseignement secondaire est assuré par les collèges, les écoles techniques et autres écoles professionnelles et les écoles secondaires d’art. Au cours du second semestre de la quatrième année, les élèves doivent rédiger un projet (Maturska Tema), le défendre et subir un examen écrit dans leur langue maternelle et leur littérature, ainsi qu'un examen oral dans une matière du programme. La Loi sur l'enseignement secondaire stipule que l’enseignement secondaire est gratuit, sauf que la plupart des élèves du secondaire doivent payer une redevance annuelle à l’administration de leur école ou à leurs enseignants.

Les écoles techniques et autres écoles professionnelles sont conçues pour les professions et métiers techniques. L’examen final d’enseignement professionnel (cours de quatre et trois ans) consiste en l’élaboration d’un examen thématique ou pratique et d’un examen écrit dans la langue maternelle. Les certificats des écoles techniques donnent accès aux examens d'entrée dans les facultés et collèges concernés. Les écoles d'arts, de musique et de ballet offrent un cours de quatre ans. Les étudiants entrent dans ces écoles en subissant un examen d'entrée. À la fin de leurs études, ils doivent se présenter à un examen final pour éventuellement s'inscrire dans une université.

La Constitution macédonienne garantit le droit à une éducation primaire et secondaire gratuite pour tous les citoyens du pays. Les minorités sont reconnues par l'État comme des groupes dotés de droits et de privilèges particuliers. La protection des droits des minorités est inscrite à l'article 48 de la Constitution, qui mentionne spécifiquement les garanties spéciales des droits des minorités.

10.2 Les droits linguistiques

Dans les écoles où l'enseignement est donné dans la langue d’une nationalité, conformément à l’article 48 de la Constitution (version de 2001), le macédonien doit également être étudié dès le primaire (par. 4 et 5) : 

Article 48

1)
Les membres des communautés ont le droit d'exprimer librement, de promouvoir et de développer leur identité et les attributs communautaires, et d'employer leurs symboles de leur communauté.

2) La République garantit la protection de l'identité ethnique, culturelle, linguistique et religieuse de toutes les nationalités.

3) Les membres des communautés ont le droit de créer des institutions pour la culture, les arts, la science et l'éducation, ainsi que des associations savantes et autres ayant pour objet l'expression, l'encouragement et le développement de leur identité.

4) Les membres des communautés ont le droit à une instruction primaire et secondaire dans leur langue, selon les modalités définies par la loi.

5) Dans les écoles où l'enseignement est donné dans une autre langue, le macédonien doit être également étudié.

Dans l'accord-cadre d'Ohrid du 1er août 2001, l'article 6 précisait davantage les mesures accordées aux minorités nationales:

Article 6

Éducation et emploi des langues

6.1. En ce qui concerne l'enseignement primaire et secondaire, l'instruction doit être dispensée dans les langues maternelles des élèves, alors que des normes uniformes pour les programmes scolaires sont appliquées partout en Macédoine.

6.2. Un financement de l'État est allouée à l'éducation de niveau universitaire dans les langues parlées par au moins 20 % de la population de la Macédoine, sur la base d'accords spécifiques.

6.3. Le principe de discrimination positive est  appliqué dans l'admission dans les universités nationales pour les candidats appartenant aux nationalités et non à la population majoritaire de Macédoine jusqu'à ce que les inscriptions reflètent équitablement la composition de la population de la Macédoine.

L'article 48 de la Loi sur l'emploi des langues parlées par au moins 20 % des citoyens en république de Macédoine et au niveau des collectivités territoriales (2008) prévoit un enseignement en macédonien dans tous les établissements d'enseignement, sauf pour les membres des minorités :

Article 48

1) L'activité d'enseignement et d'éducation à l'école primaire est dispensé en macédonien et son alphabet cyrillique.

2) Pour les membres de communautés suivant un enseignement dans une langue autre que le macédonien et son alphabet cyrillique, l'enseignement est dispensé dans la langue et l'alphabet de la communauté correspondante, et selon la procédure prévue par la présente loi.

3) Les élèves mentionnés dans le paragraphe 2 du présent article étudient obligatoirement la langue macédonienne.

4) Les enseignants, les éducateurs et les instituteurs dans les écoles primaires où l’enseignement est réalisé dans une langue autre que la langue macédonienne, à l’exception des enseignants de la langue macédonienne, doivent connaître la langue et l’alphabet dans lesquelles l’enseignement est réalisé.

5) Les écoles primaires sont tenues à organiser une vérification des connaissances de la langue pour les enseignants mentionnés dans les paragraphes 1 et 2 du présent article.

Dans toutes les écoles minoritaires où la langue d'enseignement n'est pas le macédonien, la langue macédonienne est étudiée en tant que sujet d’enseignement séparé, tandis que l'enseignement d'au moins deux autres matières est aussi donné en macédonien:

Article 53

4) Lorsque l’enseignement est réalisé dans les langues des communautés minoritaires en république de Macédoine, conformément aux paragraphes 2, 3 et 4 du présent article, la langue macédonienne est étudiée en tant que sujet d’enseignement séparé, tandis que l'enseignement d'au moins deux autres matières est aussi donné en macédonien.

L'article 9 de la Loi sur l'enseignement primaire (2017) énoncent que les activités pédagogiques à l’école primaire doivent se dérouler en macédonien avec l'alphabet cyrillique. mais les membres des minorités ont le droit de recevoir leur instruction dans leur langue:

Article 9

(1) Les activités pédagogiques à l’école primaire doivent se dérouler en macédonien avec l'alphabet cyrillique.

(2) Pour les élèves des membres des communautés qui reçoivent leur instruction dans une autre langue que le macédonien avec son alphabet cyrillique, les activités pédagogiques doivent se dérouler dans la langue et l’alphabet de la communauté concernée, selon la manière prescrite par la présente loi.


(3) Les élèves visés au paragraphe 2 du présent article doivent également étudier obligatoirement le macédonien et son alphabet cyrillique.

Ce droit à l'enseignement dans sa langue maternelle ne supprime pas l'obligation d'étudier également le macédonien et son alphabet.

Selon l'article 4 de la Loi sur l'enseignement secondaire (2017), ces prescriptions sur les langues s'étendent aussi au secondaire:

Article 4

(1) Les activités pédagogiques au secondaire doivent se dérouler en macédonien avec son alphabet cyrillique.

(2) Pour les membres des communautés qui reçoivent leur instruction dans une autre langue que le macédonien avec son alphabet cyrillique, les activités pédagogiques dans les écoles publiques doivent se dérouler dans la langue et l'alphabet de la communauté concernée selon la manière et dans les conditions déterminées par la présente loi.

 
(3) Les élèves visés au paragraphe 2 du présent article doivent également étudier la langue macédonienne.

(4) Dans les écoles publiques, l'enseignement peut aussi être offert dans l'une des langues internationales.

(5) Dans les écoles privées, l’enseignement peut également être offert dans une langue étrangère.

L'article 3 de la Loi sur les manuels scolaires pour l'enseignement primaire et secondaire (2016) est tout à fait cohérent avec ce qui précède:
 

Article 3

(1) Les manuels scolaires doivent être publiés en macédonien et en alphabet cyrillique.

(2) Pour les élèves des communautés qui reçoivent leur instruction dans une langue et un alphabet différents du macédonien et de son alphabet cyrillique, les manuels sont publiés dans la langue et l'alphabet dans lesquelles l'enseignement est donné.

Enfin, on y apprend que les enseignants sont élus sur la base d'une annonce publique (Loi sur les enseignants des écoles primaires et secondaires (2017):

Article 9

(1)
L'enseignant est élu par voie d'annonce publique.


(3) L'annonce publique visée au paragraphe 1 du présent article est publiée dans au moins deux quotidiens, dont au moins dans l'un des journaux publiés en macédonien et dans des journaux publiés dans la langue par au moins 20% des citoyens.
qui parlent une autre langue officielle que le macédonien.

10.3 Les pratiques réelles au primaire et au secondaire

Voyons maintenant ce qu'il en est des droits consentis dans la réalité.

- Les Albanais

Dans l'enseignement primaire, 25 % des élèves albanais reçoivent à l'heure actuelle une éducation dans leur langue maternelle, ce qui est insuffisant puisque 100 % des enfants albanais ont le droit constitutionnel de recevoir une instruction dans leur langue maternelle. D’après les leaders albanais, le nombre de leurs écoles est nettement insuffisant ainsi que leur pourcentage d’accès aux les écoles secondaires et à l'université. En effet, seulement un tiers des enfants albanais se rend au secondaire, d’une part, à cause du manque de classes disponibles, d’autre part, parce que dans les régions rurales beaucoup d’Albanais ne voient aucun besoin d'éduquer leurs enfants, surtout les filles, au-delà de la huitième année. De plus, les albanophones estiment que le nombre des professeurs albanais est nettement insuffisant.

Le gouvernement affirme respecter les prescriptions constitutionnelles limitées au primaire et au secondaire, bien que l‘éducation supérieure ne soit pas disponible dans la langue albanaise à l'exception de la formation des professeurs. Mais, là encore, les Slavo-Macédoniens ont violemment protesté lorsque que le gouvernement a autorisé la formation des enseignants en albanais à la Faculté de pédagogie de l’Université de Skopje.

Qu’à cela ne tienne, les albanophones ont donc décidé de se doter eux-mêmes d’une université, une sorte de réplique de l'université clandestine de Pristina (Kosovo), pour pallier la suppression des filières en langue albanaise de l’Université publique de Skopje. Ils ont rassemblé une partie des sommes nécessaires pour créer, en 1995, une université albanaise à Tetovo, ce qui a eu pour effet de soulever une véritable émeute chez les Slavo-Macédoniens (avec morts et blessés). À la veille de l'ouverture officielle de cette université, en février 1997, des manifestations anti-albanaises ont eu lieu à Skopje. Au moyen de slogans, les Slavo-Macédoniens ont accusé les Albanais de s’être servis de l’argent sale du marché de la drogue, lequel aurait contribué au financement de cette université – les albanophones de la Macédoine sont soupçonnés de contrôler une partie du marché de la drogue en Autriche, en Allemagne, en Hongrie, en République tchèque, en Pologne et en Belgique. Selon les albanophones, les Slavo-Macédoniens ne veulent tout simplement pas d’université albanaise dans leur pays. En fait, l’université n’a pas eu de statut officiel jusqu'à ce que le président Boris Trajkovski signe le décret légalisant l'Université, quelques semaines avant sa mort survenue 26 février 2004, au terme de débats politiques acerbes. Avec ses quatre facultés accréditées (sciences humaines, sciences naturelles, droit, économie), l’Université de Tetovo constitue désormais le troisième établissement d’enseignement supérieur public de Macédoine, après ceux de Skopje et de Bitola, et devrait bénéficier à ce titre de subsides publics.

- Les Turcs

Les Turcs, qui comptent pour près de 4 % de la population, se plaignent aussi de l’attitude du gouvernement en matière d’éducation. Un litige a été soulevé par des parents qui veulent éduquer leurs enfants en turc malgré le fait que ces derniers ne parlent pas le turc à la maison. Le ministère de l’Éducation interdit à ces enfants l’enseignement en turc en s’appuyant sur la Constitution qui ne prévoit pas un enseignement dans une langue étrangère pour les minorités. Les parents ont proposé d’embaucher eux-mêmes des professeurs, mais le gouvernement a refusé en prétextant que cette sorte d'instruction privée ne pourrait pas légalement être autorisée. Pour les Turcs, cela signifie que le gouvernement ne reconnaît pas sa minorité turque et ne leur donne pas l'autorisation d'enseigner dans les écoles turques, ce qui expliquerait le peu d’enfants de cette minorité à l'école.

- Les Roms (Tsiganes)

Les Roms, pour leur part, qui comptent pour 2,3 % de la population, disposent d’écoles primaires où l’on enseigne la langue romani. Toutefois, le gouvernement avait promis en 1994 d’accorder une subvention afin de faire rédiger une grammaire rome pour leurs enfants; les Roms ont attendu trois ou quatre ans de plus. 

- Les Serbes

Quant aux Serbes, ils ont la possibilité de donner une instruction en serbe dans les écoles primaires, là où ils sont en majorité, mais ils se plaignent également de discrimination. Ils affirment avoir de la difficulté à enseigner librement leur religion dans leurs écoles et vivre en conformité avec les préceptes de l’Église orthodoxe serbe.

- Les Valaques

Il en est de même avec les Valaques (ou Aroumains) qui ont la possibilité d'étudier leur langue dans quelques écoles primaires de l'État: depuis 1995-1996, plus de 350 élèves ont droit à une heure hebdomadaire d'enseignement en aroumain (valaque).

Quant aux autres minorités, croate, grecque, bulgare, etc., elles disposent en principe du droit à l’enseignement dans leur langue maternelle au primaire et au secondaire, mais aucun rapport ne fait mention de leur insatisfaction à leur sujet. On peut supposer que, si les minorités mentionnées précédemment se montrent insatisfaites à ce sujet, il en est probablement de même pour les plus petites minorités. 

10.4 L'enseignement des langues étrangères

L’apprentissage des langues étrangères en Macédoine commence en première année du primaire, c’est-à-dire à 6 ans, alors que l’anglais est présenté aux élèves comme première langue étrangère. En 4e année, les élèves apprennent les langues locales, les albanophones étant tenus d'apprendre le macédonien; en revanche, les locuteurs macédoniens ne sont pas obligés d'apprendre l'albanais. À partir de la 6e année, deux autres langues étrangères sont introduites obligatoirement aux élèves. Les étudiants ont le choix entre l'allemand et le français. Les étudiants étudient toutes ces langues jusqu'à la fin de leurs études secondaires. Au cours des 20 dernières années, l'apprentissage de l'allemand a suscité un intérêt accru, même si, selon les statistiques officielles du Bureau pour le développement de l'éducation de la république de Macédoine, le français reste la deuxième langue la plus populaire après l'anglais. D'une part, les données statistiques montrent que la république de Macédoine se conforme effectivement aux recommandations du Conseil européen concernant le renforcement d'une Europe multilingue et multiculturelle, dans laquelle chaque citoyen européen sera capable de parler au moins deux langues étrangères en plus de sa langue maternelle. Par ailleurs, la politique linguistique de la république de Macédoine peut paraître préoccupante dans la mesure où les étudiants macédoniens n'apprennent pas l'autre langue quasi officielle du pays, l'albanais.

10.5 L'enseignement supérieur

L’enseignement supérieur est donné par des collèges et des académies pédagogiques proposant des cours d’une durée de deux ans, ainsi que par deux universités proposant des cours d’une durée de quatre à six ans dans diverses disciplines. La durée des études conduisant à des diplômes de niveau supérieur dépend du type de faculté. Les mécanismes de financement de l'enseignement supérieur sont en cours de révision. Conformément à la Loi sur l'enseignement supérieur de 2018, la langue d'enseignement dans les établissements d'enseignement publics peut être celle d'une minorité représentant par au moins 20% de la population de la république de Macédoine. Dans ce cas, le macédonien sera enseigné en tant que matière distincte et l'enseignement sera dispensé en macédonien pour au moins deux autres matières:

Article 144

Langue d'enseignement

(1) L'enseignement dans les établissements d'enseignement supérieur doit être donné en langue macédonienne.

(2) Les membres des communautés ayant le droit d'exprimer, d'entretenir et de développer leur identité et d'autres particularités ont le droit d'enseigner aux établissements d'enseignement supérieur publics, selon des programmes et des contenus d'études appropriés dans la langue de la communauté autre que le macédonien, conformément avec la présente loi et le statut de l'établissement d'enseignement supérieur. Des fonds publics seront alloués à l'enseignement supérieur et dans une autre langue parlée par au moins 20% de la population de la république de Macédoine.

(4) À titre exceptionnel au paragraphe 1 du présent article, l’enseignement offert dans les établissements d’enseignement supérieur peut être donné dans l’une des langues internationales.

(6) Lorsque l'instruction est donnée dans les langues des membres des communautés qui ne sont pas majoritaires dans la république de Macédoine ou dans les langues internationales, conformément aux paragraphes 2, 3 et 4 du présent article, le macédonien est enseigné comme une matière distincte et cet enseignement doit être donné en macédonien pour au moins deux cours du programme d’études.

Dans le domaine de l’enseignement supérieur, les universités de Skopje et de Bitola ont des quotas spéciaux pour les étudiants des groupes minoritaires. Ainsi, la faculté de philologie "Blazhe Koneski" à l'université "Sv. Kiril i Metodij" de Skopje prévoit un groupe pour les locuteurs de la langue serbe, un département de langue et de littérature albanaises et un département de langue et de littérature turques. Ces programmes d'université offrent tous une formation d'enseignant, ainsi que des études de maîtrise et de doctorat. La faculté pédagogique de Skopje offre également une formation d'enseignant pour l'enseignement primaire et secondaire en albanais et en turc.

11 Les médias et les langues minoritaires

La presse écrite n'est pas réglementée en république de Macédoine, mais la presse électronique l'est. Si les chaînes de radio et de télévision locales sont nombreuses, les journaux locaux ont tendance à régresser, car tous subissent la concurrence des médias nationaux, indirectement soutenus par l’État.

11.1 Les médias électroniques

L'article 34 de la Loi sur l'emploi des langues parlées par au moins 20 % des citoyens en république de Macédoine et au niveau des collectivités territoriales (2008) prévoit que les diffuseurs sont tenus de diffuser au moins 30 % de programmes produits en langue macédonienne ou dans les langues des communautés minoritaires:

Article 34

1) Les diffuseurs sont obligés de diffuser au moins 30 % de programmes produits en langue macédonienne ou dans les langues des communautés minoritaires en république de Macédoine, le temps accordé aux journal, événements sportifs, jeux, publicité, télétexte et téléachat non compris.

2) Les diffuseurs sont obligés d’assurer la diffusion d’au moins 30 % de musique vocale/instrumentale en langue macédonienne ou dans la langue des communautés ethniques minoritaires en république de Macédoine.

L'article 35 distingue bien la diffusion d'émissions en macédonien et d'autres dans les langues des communautés minoritaires:

Article 35

1) Les diffuseurs diffusent leur programme en macédonien, mais au cas où le programme est destiné à une communauté minoritaire, le programme est diffusé dans la langue de cette communauté.

2) Si les programmes rediffusés à travers les réseaux de communication publics sont sous-titrés en une langue autre que la langue de production, ils doivent être sous-titrés en macédonien, à l’exception du téléachat et de la publicité.

Quant à l'article 36, il traite des langues étrangères en obligeant les diffuseurs à traduire en macédonien ou ans la langue de la communauté minoritaire concernée:

Article 36

1) Les programmes ou parties de programmes en langue étrangère diffusés sur les chaînes des diffuseurs doivent être traduites en langue macédonienne ou dans la langue de la communauté minoritaire concernée.

2) Les dispositions du paragraphe 1 du présent article ne sont pas applicables aux transmissions des événements musicaux et scéniques, programmes éducatifs pour l'enseignement des langues étrangères, ainsi qu'aux parties de programmes consacrées aux étrangers.

3) Les parties de programmes non traduites sont annoncées en langue macédonienne ou dans la langue de la communauté minoritaire concernée.

D'après l'article 38 de la même loi, la radiotélévision nationale (la MRT: Makedonska Radio Televizija) est tenue de diffuser une chaîne de programmes en macédonien et une autre dans la langue utilisée par au moins 20 % des citoyens des communautés minoritaires et dont la langue maternelle est différente du macédonien:

Article 38

1) Sur le territoire de la République de Macédoine, la Télévision-Radio macédonienne (ci-après: TRM) diffuse une chaîne de programmes en langue macédonienne et une chaîne de programmes dans la langue utilisée par au moins 20% des citoyens, autre que le macédonien et autre que les langues des autres communautés minoritaires.

3) La TRM diffuse au moins une chaîne de radio et de télévision par satellite consacrée à la diaspora, c'est-à-dire aux citoyens de la république de Macédoine qui habitent à l'étranger, dans les pays voisins et sur les autres continents, en langue macédonienne et dans la langue utilisée par au moins 20 % des citoyens, autre que le macédonien et autre que les langues des autres communautés minoritaires.

L'article 45 de la Loi sur les activités de radiodiffusion (2005) oblige les radiodiffuseurs de prévoir des programmes en macédoine et dans la langue des minorités:

Article 45

1) Les programme de radiodiffusion doivent être diffusés par les organismes de radiodiffusion en macédonien.

2)
La société de radiodiffusion publique, qui diffuse une émission sur le territoire de la république de Macédoine, diffuse des émissions dans les langues des nationalités, en plus de la radiodiffusion et d'émissions en macédonien.

3) Dans les régions où vit une majorité nationale, c'est-à-dire un nombre important de membres d'une nationalité, les sociétés de radiodiffusion publiques qui exercent des activités au niveau local doivent diffuser des programmes dans la langue de cette nationalité en plus de la langue macédonienne.

4) Outre la diffusion de programmes en macédonien, les sociétés de radiodiffusion peuvent diffuser des programmes dans les langues des nationalités.

Pour ce qui est de la radiotélévision nationale – un monopole d’État – seules certaines minorités (Albanais, Turcs, Valaques, Roms, Aroumains et Serbes) disposent d’une programmation de radiotélévision. Cependant, le temps réservé aux langues de ces nationalités est estimé par celles-ci comme insuffisant: par exemple, trois heures par jour en albanais à la télé, et six heures par jour à la radio. De plus, les albanophones disposent de stations de télévision et de radio privées dans des villes comme Tetovo. La télévision nationale diffuse quotidiennement en turc une programmation d’une heure et demie et la radio nationale diffuse trois heures et demie, ainsi qu’en romani (tsigane) 20 minutes par semaine; en outre, elle diffuse une émission en serbe de 30 minutes, deux fois par semaine. Quant aux Valaques, ils ont à l'heure actuelle des émissions de 30 minutes, deux fois par semaine à la télévision nationale et de 30 minutes tous les jours à la radio nationale. Les stations de radio locales dans les municipalités de Stip, Krusevo, Struga et Ohrid offrent également des émissions hebdomadaires en langue aroumaine.

Tout programme étranger doit être traduit, soit en macédonien, soit dans les langues des pays les communautés minoritaires. Une des chaînes de télévision détenue par la télévision publique, la chaîne télévisée macédonienne n° 2, doit diffuser des programmes dans la langue de la communauté qui comprend au moins 20% de la population et dans les langues utilisées par d'autres communautés non majoritaires. L'article 46 de la Loi sur les activités de radiodiffusion (2005) autorise la non-traduction de programmes étrangers pour les émissions de musique, de théâtre ou d’événements religieux, ainsi que les programmes éducatifs pour l’étude des langues étrangères et les programmes destinés aux étrangers:

Article 46

1) Les programmes étrangers ou les parties de programmes étrangers doivent être traduits en macédonien ainsi que dans la langue des nationalités diffusée.

2)
Les dispositions du paragraphe 1 du présent article ne s’appliquent pas aux émissions de musique, de théâtre ou d’événements religieux, ni aux programmes éducatifs pour l’étude des langues étrangères, ni aux programmes destinés aux étrangers.

3) Les programmes non traduits sont également annoncés en macédonien, c'est-à-dire dans les langues des nationalités pour les programmes diffusés à leur intention.

Il existe, par ailleurs, des douzaines de petites stations de radio et de télévision privées locales à travers le pays. Il existe une soixantaine de radios privées et une vingtaine de chaînes diffusant dans l’une des langues minoritaires. La loi sur la radiodiffusion a été adoptée afin de créer un Conseil de diffusion pour émettre des permis et amener un certain ordre à l'encombrement des ondes de fréquence actuelles. De plus, les récepteurs individuels de satellite ne sont pas contrôlés et ils sont nombreux dans tout le pays. La câblodistribution est aussi en croissance. Cependant, la plupart des propriétaires de chaînes de télévision nationales ont également de solides relations avec des partis politiques, des organismes politiques établis ou des entreprises commerciales.

11.2 Les médias écrits

En Macédoine, la liberté d'expression dans les médias écrits semble gravement compromise. L'Union européenne et le département d'État des États-Unis, le rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d'opinion et d'expression, ainsi que des organisations non gouvernementales telles que Freedom House et Reporters sans frontières, ont tous attiré l’attention sur le déclin de la liberté de la presse dans ce pays.  Précisons qu’en Macédoine beaucoup de journaux appartiennent au gouvernement, lequel peut ainsi orienter la politique éditoriale et filtrer certaines informations. Néanmoins, selon un rapport du département d'État américain sur les droits de l'homme en Macédoine, les journalistes peuvent critiquer le gouvernement et celui-ci ne semble pas exercer de représailles ni pratiquer de censure.
 

L'un des problèmes réside dans l’intrusion du gouvernement dans le marché des médias au moyen de vastes campagnes publicitaires, sans compter la polarisation des médias selon des critères d'appartenance politique et commerciale. L’Association des journalistes de la Macédoine (Здружението на новинарите на Македонија ou Združenieto na novinarite na Makedonija) a été très activement impliquée dans l'analyse de la situation de la liberté des médias et sa représentation dans l'opinion publique internationale et nationale. Bien que le pays compte près de 200 journaux, la situation n'est pas meilleure pour autant. Les journaux sont tous en concurrence sur un marché restreint ne couvrant environ que deux millions de citoyens; ils ne peuvent pas survivre financièrement à moins d'aligner leurs intérêts sur ceux du parti au pouvoir et sur les grandes entreprises politiquement connectées. C'est pourquoi les médias progouvernementaux ont recours à la technique éprouvée qui consiste à propager la peur, la paranoïa et les théories du complot parmi les citoyens. Or, le gouvernement arrive en tête parmi les 50 plus grands annonceurs du pays et il demeure le plus grand bailleur de fonds des journaux. Ce sont aussi les journaux en langue macédonienne qui en profitent le plus.

Sous le régime de la Macédoine yougoslave, les médias locaux étaient conçus comme un service public, entièrement financé par l’État, mais la situation semble avoir évolué autrement aujourd'hui. Comme on le sait, l'État macédonien achète de l’espace publicitaire dans les journaux nationaux pour ses campagnes de promotion et de sensibilisation, ce qui favorise les médias nationaux publiés en macédonien, alors que les journaux locaux, surtout ceux des minorités, sont délaissés. Il en résulte que ces médias locaux ne doivent compter que sur eux-mêmes pour assurer leur rentabilité tout en fournissant des informations de qualité. La plupart des villes importantes situées dans de l'Ouest disposent de journaux locaux. Certains journaux et magazines, surtout albanais et turcs, doivent être subventionnés par le gouvernement: par exemple, le Birlik (turc) et le Flaka e Vëllazërimit (albanais) paraissent trois fois par semaine. De plus, les minorités nationales ont aussi accès aux médias étrangers, mais les distributeurs de magazines et journaux doivent obtenir l'autorisation du ministère de l’Intérieur pour les vendre aux citoyens macédoniens. Heureusement, toutes les requêtes semblent être approuvées sans trop de problèmes.

Jusqu’aux modifications constitutionnelles du 15 novembre 2001, les droits accordés aux minorités nationales de la Macédoine ont toujours été jugés insatisfaisants par tous les groupes concernés. Les droits reconnus auparavant ont été appliqués avec une certaine parcimonie en Macédoine, de sorte que toutes les minorités considéraient leur situation comme déplorable. Pourtant, des droits similaires appliqués dans un pays comme la Hongrie trouveraient une application très différente et s’avéreraient très positifs. «Il y a quelque chose de pourri dans la république de Macédoine», pour paraphraser Shakespeare. D’abord, les préjugés et les tensions sont complexes dans ce pays. Les deux principaux groupes, les Slavo-Macédoniens et les albanophones, nourrissent des antagonismes profonds qui ne peuvent que dégénérer si aucune solution n’était trouvée. Et là, on ne parle pas des Turcs, des Bulgares, des Serbes et des Grecs toujours à couteaux tirés les uns avec les autres.

Du côté des Slavo-Macédoniens, les albanophones sont perçus comme des citoyens favorisés et des «séparatistes virtuels» qui menacent à tout propos de former une éventuelle république albanaise avec l’Albanie et le Kosovo. Jamais les adeptes de la Grande Albanie n'ont accepté que l'Ouest macédonien, de Skopje au lac d'Ohrid, n'ait pas été rattaché à la mère patrie. Les Slavo-Macédoniens sont donc de plus en plus exaspérés des nationalistes albanais. Ils craignent, à tort ou à raison, l'achat par la minorité albanaise de terres agricoles qui lui permettront de se rendre maître d'un vaste territoire à la frontière de l'Albanie. Cela choque d’autant plus les Slavo-Macédoniens que les acheteurs albanais apparaissent comme étant les seuls à pouvoir trouver des fonds importants — soupçonnés d’ailleurs de provenir de l’argent sale de la drogue — dans un environnement économique au surplus dévasté. Pour toutes ces raisons, les albanophones sont considérés comme des «faux-frères» et non de véritables citoyens macédoniens.

De leur côté, les albanophones estiment être dans leur «patrie», alors qu’ils sont perçus comme des citoyens de seconde classe et comme des «subalternes» par la majorité slavo-macédonienne qui impose sa loi à tous. Ils affirment souffrir constamment de discrimination à tous les points de vue et soutiennent que le gouvernement macédonien fait bien peu de choses pour améliorer leur sort. Pour eux, la Macédoine est une fausse démocratie.

Il est vrai que le gouvernement a fort à faire pour juguler les préjugés des Slavo-Macédoniens à l’endroit des albanophones. Même les tièdes tentatives gouvernementales pour améliorer le sort de la minorité albanaise se heurtent immédiatement à l’opposition des Slavo-Macédoniens. Autrement dit, on dirait que toutes les décisions et toutes les tentatives destinées à assurer plus de justice sociale se retournent constamment contre le gouvernement en place, quel qu'il soit, les minorités proclamant toujours plus leurs insatisfactions, ce qui contribue ainsi à exaspérer la majorité. Jusqu’à récemment, les droits constitutionnels n’avaient jamais été élaborés avec l’accord des minorités. En fait, les Slavo-Macédoniens et les albanophones n’avaient jamais collaboré ensemble pour quoi que ce soit: ils se sont toujours méfiés les uns des autres, ce qui a entraîné une dégradation réelle de leurs rapports. Il s’agit là d’un autre cas de deux solitudes imperméables l’une à l’autre.

Les politiques linguistiques du gouvernement macédonien se sont avérées jusqu’à présent un échec, hormis le fait que les dirigeants ont quand même réussi à éviter toute dérive à la bosniaque. Mais cela, c’était avant la guerre du Kosovo. Depuis, même la politique d’assouplissement ethnique du gouvernement macédonien a été plusieurs fois compromise et la quasi-paranoïa de la majorité slavo-macédonienne s’est encore accentuée.

Le principal leader albanais de Macédoine, Arben Xhaferi, admettait avec raison: «Nous avons réussi à modifier la Constitution. Maintenant, nous devons changer nos mentalités afin d’éviter des conflits ethniques.» Évidemment, ce changement de mentalité vaut pour toutes les nationalités en Macédoine. Il n’en demeure pas moins que les dirigeants ont réussi, lors de l’accord d'Ohrid de 2001 à accorder leurs violons sur l’épineuse question du statut des langues dans le pays. En effet, comme cet accord, suivi des modifications constitutionnelles de 2001, donne dorénavant de nouveaux droits linguistiques aux albanophones de Macédoine, il s’agit sûrement d’un pas dans la bonne direction de la part des deux grandes communautés.

Rappelons que, dans l'histoire de la Macédoine, il y a toujours eu méfiance et absence de dialogue entre les Slavo-Macédoniens et les Albano-Macédoniens. Jusqu’à présent, la stratégie du gouvernement de Skopje et la relative modération des représentants albanais ont permis d'éviter tout nouveau dérapage ethnique. Il restait encore une nouvelle législation à adopter pour répondre aux aspirations des albanophones et des autres minorités. En janvier 2019, le Parlement macédonien a adopté la Loi sur l'emploi des langues. Cette loi, approuvée par les parlementaires albanophones, instaure un bilinguisme systématique dans toutes les institutions de l'État pour toute langue parlée par 20 % des citoyens de la république de Macédoine, avec son alphabet. Certes, la loi ne déclare pas le statut de l'albanais comme langue co-officielle sur l'ensemble du territoire de la Macédoine, mais elle constitue néanmoins un grand pas en avant dans le but d'harmoniser les relations entre Slavo-Macédonines et albanophones. Elle accorde les mêmes droits tant à la majorité slavo-macédonienne qu'à la minorité albanophone. La loi permettra aux citoyens albanophones de s'adresser aux institutions de l'État dans leur langue maternelle. De plus, ette loi garantit aussi l'usage des autres langues minoritaires employées officiellement dans certaines unités d'autonomie locale, que ce soit le turc, le romani, le serbe, le valaque ou le bosniaque. Cependant, la langue macédonienne avec son alphabet cyrillique, demeure la première langue officielle dans les municipalités bilingues ou trilingue. Compte tenu de tous ces éléments, c’est là la base la plus solide pour le projet de lutte contre la violence et l’intolérance ethniques. 

Cependant, il faut considérer la politique linguistique de la Macédoine du Nord comme un modèle particulier qui accorde tous les droits linguistiques sur l'ensemble du territoire aux locuteurs représentant au moins 20 % de la population de la république, c'est-à-dire l'albanais; au plan local, cette exigence des 20 % est possible dans les municipalités pour d'autres langues. De plus, la langue albanaise n'est pas formellement nommée dans la législation récente, puisqu'elle est désignée de façon subtile par la formule «langue parlée par au moins 20% des citoyens de la république de Macédoine». Juridiquement parlant, la langue albanaise n'existe pas tout en ayant les mêmes droits constitutifs que la langue macédonienne. Certes, l’idéologie politique macédonienne a joué un rôle important dans l'emploi de cette terminologie. C'est le procédé qu'on trouvé les Macédoniens majoritaires pour ne pas déclarer leur pays officiellement bilingue tout en accordant dans les faits les droits associés au bilinguisme institutionnel. Les Slavo-Macédoniens considèrent qu'ils en ont fait suffisamment, alors que les albanophones trouvent que c'est insuffisant. Pour la communauté majoritaire, la politique linguistique est axée sur l’homogénéité linguistique au sein de l’État-nation, tandis que pour les communautés minoritaires, dont les albanophones constituent le volet le plus important, c'est la promotion de la diversité qui doit primer. Dans tous les cas, c'est l'identité des groupes concernés qui est en jeu. La solution réside dans le respect des identités sans que la majorité se sente menacée par la minorité comme c'est le cas pour les Slavo-Macédoniens, un problème qui ne se pose pas pour les majorités nationales plus fortes comme aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, au Japon, au Mexique, au Brésil, Brésil, etc.

Il faut que les deux grandes communautés linguistique prennent conscience que leur langue respective est vulnérable, tant la langue majoritaire que la langue minoritaire. D'une part, l'albanais ne représente que 25 % des locuteurs du pays, mais les locuteurs du macédonien ne comptent que pour 1,3 million dans les Balkans contre 10 millions pour les albanophones. Les deux communautés sentent le besoin de se protéger. Mais si les deux grandes communautés linguistiques de la Macédoine du Nord n'ont comme seul souci le maintien de leur propre langue, la rivalité linguistique va se poursuivre en préservant le statu quo qui consiste à se méfier de l'autre communauté. Bref, albanophones et macédophones sont à la fois majoritaires et minoritaires dans un contexte différent. Il leur faut apprendre à vivre en harmonie sans se dominer et sans se laisser dominer. 

La Macédoine est parvenue à trouver un certain équilibre qu’elle ne pourra maintenir sans une certaine de tolérance de la part des deux grandes communautés linguistiques. Il n'en demeure pas moins que la gestion des minorités en Macédoine peut constituer un modèle dans la mesure où les États voisins ne donnent guère l'exemple en ce qui a trait à leurs propres minorités. En effet, non seulement la Bulgarie. la Grèce et la Serbie, dans une moindre mesure l’Albanie, n'ont pas à faire face à de fortes minorités, mais ces pays vont parfois jusqu'à nier celles qu'ils abritent, notamment en Bulgarie et en Grèce. Vue sous cet angle, la Macédoine n'a pas de leçons à recevoir de ces pays. À elle seule, la Macédoine réunit toutes les formes de minorités : religieuses, linguistiques, ethniques, frontalières ou non. En somme, il est maintenant possible que la Macédoine du Nord entreprenne des négociations avec l’Union européenne. Une adhésion à l'UE favoriserait la préservation du modèle macédonien et d'éviter les conflits extérieurs qui viennent compliquer la situation. Enfin, la Macédoine respecte toutes les lois et les conventions internationales concernant la protection des langues minoritaires.

Dernière révision: 19 févr. 2024

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