République de Biélorussie

Biélorussie
(Belarus)

1) Considérations générales

Capitale: Minsk 
Population:  9,4 millions (2020)
Langues officielles: biélorusse (de jure) et russe (de jure)
Groupe majoritaire: biélorusse (85,2 %)

Groupes minoritaires: russe (8,2 %), polonais (3,0 %), ukrainien (1,6 %), romani (0,1 %), arménien, tatar, yiddish, azéri, lituanien, letton, etc.
Système politique: république parlementaire présidentielle autoritaire
Articles constitutionnels (langue): art. 17 et 50 de la Constitution de 1996
; Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (2012).
Lois linguistiques: Loi n° 46 sur les langues (19
90, abrogée); Loi sur les minorités nationales (1992, abrogée);  Loi n° 187 sur les langues (1998, en vigueur); Loi sur les minorités nationales (2004, en vigueur).
Lois à portée linguistique: Code civil (1998); Code du travail (1999); Code de procédure commerciale (1998-2019); Code de procédure civile (1999); Code de procédure pénale (1999); Loi sur l'éducation (2002); Code électoral (2000); Loi sur la liberté de religion et les organisations religieuses (2002); Loi sur la protection des droits des consommateurs (2002);
Loi sur la fonction publique (2003); Loi sur la citoyenneté (2003); Code sur le pouvoir judiciaire et le statut des juges (2006); Loi sur les médias (2008); Loi sur les noms géographiques (2010); Code de l'éducation (2011); Code sur la culture (2016); Loi sur les marchés publics des marchandises (2019); Code de procédure et d'exécution sur les infractions administratives (2020).

1 Situation générale

La Biélorussie (ou Belarus) est un pays de l'est de l'Europe. Ce pays est bordé au nord-ouest par la Lituanie et la Lettonie, à l'est par la Russie, au sud par l'Ukraine et à l'ouest par la Pologne.  C'est une ancienne république soviétique. La superficie de ce pays est d'environ 207 600 km², soit à peine moins que le Royaume-Uni (244 820 km²), sept fois plus que la Belgique (32 545 km²) ou trois fois moins que la France (547 030 km²) ou l'Ukraine (603 700 km²).

- La désignation du pays

L'appellation de Biélorussie (ou Белоруссия > Bieloroussija en russe: «Russie blanche») sert à désigner le pays depuis la Seconde Guerre mondiale, mais le terme de Belarus, qui a la même signification en biélorusse, a été choisi au moment de l'indépendance en 1991 et a été accepté et reconnu par les instances internationales. Pour la période postérieure à l'indépendance, il est donc d'usage d'utiliser le mot Belarus (au masculin) pour désigner le pays, Biélorusses pour les citoyens et biélorusse pour la langue nationale. Mais les deux termes, Biélorussie (féminin) et Belarus (masculin), signifient la même chose: «Russie blanche».

En français, le nom du pays a connu plusieurs variantes après «Russie blanche» et «Ruthénie blanche» au début du XXe siècle, ce fut «Biélorussie» (francisation du russe Белоруссия ou "Béloroussia") pendant le régime soviétique et «Belarus» dans les documents officiels après l'indépendance. Aujourd'hui, la dénomination officielle de l'ONU en français est «République de Bélarus», une adaptation en français de la transcription approximative de Беларусь ("Biélarous"). Depuis le 19 septembre 1991, les autorités biélorusses emploient, dans leurs textes officiels et dans toutes les langues, la forme Belarus, et demandent aux autres pays d'en faire autant, quelle que soit la langue, sans tenir compte des particularités grammaticales et orthographiques de chacune d'entre elles, ni des autorités compétentes pour la normalisation de chaque langue.

En Biélorussie, on trouve en russe le terme Беларусь ("Bélarous") dans les documents officiels, mais Белоруссия ("Béloroussia") dans la plupart des documents imprimés en Russie. Ce terme de Biélorussie ("Biéloroussia") est en réalité une création soviétique, qui permet d'éliminer ou de réduire le particularisme du pays et de le rapprocher de la Russie, surtout que ce mot de Biélorussie peut se traduire par «Russie blanche». Autrement dit, si «Bélarus» est l'appellation officielle donnée au pays, la Russie maintient Biélorussie.

En français, selon l'ambassade de France, les organismes linguistiques reconnus en France (la Commission d'enrichissement de la langue française, la Commission nationale de toponymie, le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l'Éducation nationale, l'Académie française, l'Institut national de l'information géographique et forestière) et au Québec (la Commission de toponymie du Québec) recommandent l'usage du terme français Biélorussie. Cependant, l'Office québécois de la langue française (OQLF) propose «Bélarus» avec l'accent aigu.

En France, c'est nettement le terme Biélorussie qui domine. On pourrait justifier ce choix en précisant que le français peut franciser les mots étrangers : c'est ainsi qu'on emploie les termes «Royaume-Uni» (et non United Kingdom), «États-Unis» (et non United States), «Allemagne» (et non Deutschland), «Turquie» (et non Türkiye), «Espagne» (et non España), Brésil» (et non Brasil), «Bulgarie» (et non Bǎlgarija),  «Inde» (et non bhaarat), etc. Autrement dit, on francise les mots étrangers. L'Arrêté du 4 novembre 1993 relatif à la terminologie des noms d'États et de capitales propose «Biélorussie», mais inscrit «Bélarus» comme variante. Bref, le mot Belarus ne paraît pas très français, car il devrait s'écrire comme «Bélarusse» pour adopter une forme adaptée et francisée. Dans le cadre de cet article, le terme Biélorussie sera employé de préférence, bien que Bélarus aurait pu aussi être utilisé.

Quant à la racine -rus-, elle ne fait pas référence à la Russie, mais à la Ruthénie, le berceau historique au XIIe siècle d’une partie de la Russie actuelle, du Bélarus et de l’Ukraine. On utilise parfois en français les mots Biélorussiens ou Bélarussiens (peuple) et biélorussien ou bélarussien (langue) plutôt que Biélorusses (peuple) et biélorusse (langue). Dans certains cas, on emploie Biélorussien pour désigner les habitants du pays (Biélorusses, Russes, Polonais, etc.), mais Biélorusse pour le peuple de langue biélorusse. 

- Les divisions administratives (2019)

Voblast Superficie (km²) Population (2019) Capitale
Voblast de Brest 32 786 44 1 348 100

Brest

Voblast de Homiel (Gomel) 40 369 51 1 388 500

Gomel

Voblast de Hrodna (Grodno) 25 126 98 1 026 800

Hrodna

Voblast de Mahiliow (Moguilev) 29 067 62 1 024 800

Moguilev

Voblast de Minsk 39 853 80
(sans Minsk)
1 471 200
(sans Minsk)

Minsk

Ville de Minsk     348 84 2 018 300

Minsk

Voblast de Vitebsk 40 051 34 1 135 700

Vitebsk

Au plan administratif, la Biélorussie est divisée en six voblasts ("oblast" en russe; féminin en français: une voblast) ou «régions»: voblast de Minsk, voblast de Vitebsk, voblast de Mahiliow (Moguilev), voblast de Homiel (Gomel), voblast de Hrodna (Grodno) et voblast de Brest.

Les voblasts correspondent en général à d'anciens tracés qui remontraient à l'époque où la Biélorussie faisait partie du grand-duché de Lituanie. La ville de Minsk en est la capitale et la plus grande cité du pays. Voir la carte de la Biélorussie.

- Un régime autoritaire

La Biélorussie est un régime présidentiel autoritaire. Depuis juillet 1994, le pays est dirigé par Alexandre Loukachenko; en biélorusse, son nom est Аляксандр Лукашэнка > Aliaksandr Lukašenka; en russe: Александр Лукашенко > Aleksandr Lukashenko). Dans la plupart des langues (y compris en anglais), on écrit Lukashenko ou Loukachenko en français, ce qui signifie qu'on se base sur l'écriture russe puisque d'après l'écriture biélorusse ce serait Lukashenka

Les incartades populistes du président dans les médias du pays contre l’Occident et sa capacité à mobiliser les forces de répression contre les opposants à son régime sont connues depuis longtemps. Le Conseil des droits de l’homme décrit régulièrement le harcèlement, l’intimidation, la pression et l’expulsion dont sont victimes les opposants au régime. Des policiers et des agents de sécurité armés sont déployés selon un modèle quasi systématique d’un usage excessif de la force contre des manifestants en grande partie pacifiques. En réalité, le président Loukachenko pratique un populisme autoritaire qui repose sur la vénération du peuple qu'il cherche non seulement à représenter, mais aussi à incarner en se définissant lui-même comme un «président populaire» ("narodni prezident"). Cette idéologie suppose que celui-ci a été choisi par le peuple pour diriger le pays parce qu'il est issu du peuple de par ses origines sociales et qu’il est dévoué au peuple. Il est le «père du peuple» ("batska narodou"), comme il aime se nommer.

En l’absence de règles institutionnelles s’appliquant de manière équitable à l’ensemble des élites politiques, le régime autoritaire en vigueur en Biélorussie repose sur les décisions d'un président qui réglemente la vie politique au moyen d'une gestion personnalisée du personnel politique et au moyen d'un usage systématique de décrets comme source première de légalité, bien devant les lois adoptées par le Parlement. L’arbitraire du régime biélorusse se manifeste par l’usage de la violence dans la résolution des conflits politiques. Fait à noter, la Biélorussie demeure le seul pays d’Europe et de l’ex-Union soviétique à procéder encore à des exécutions.

2 Données démolinguistiques

Lors du recensement de 1989, quelque 77 % des citoyens s'étaient déclarés des Biélorusses. Ils parlaient, en principe, le biélorusse, une langue qui fait partie des langues slaves de l'Est (ou slaves orientales) au même titre que le russe, l'ukrainien et le ruthène. En effet, la Biélorussie, l'Ukraine et la Russie ont déjà eu une langue commune qui s'est fragmentée vers le XIIe siècle: l'ancien slave oriental. Ces trois pays démontrent donc une proximité linguistique et culturelle plus grande que pour toutes les autres langues slaves (polonais, slovaque, serbre, etc.).

Par ailleurs, une enquête officielle de 1994 affirme que seulement 12 % de la population du pays maîtriserait parfaitement le biélorusse. Mais une enquête du sociologue Lieviach (cité par jeantheau, 2001), menée en 1992 (sur un échantillonnage de 1300 personnes) et publiée en 1994, révélait que 36,4 % des citoyens interrogés déclarent le russe comme langue maternelle et 60,5 %, le biélorusse. Bref, il ne paraît pas aisé de savoir précisément la proportion des locuteurs du biélorusse.

2.1 Les groupes ethniques

Dans le tableau ci-dessous (Projet Josué, 2020), il y aurait 85,2 % de citoyens de ce pays qui seraient des Biélorusses et parleraient en principe le biélorusse, ce qui en fait la population forcément majoritaire; on dit «nation titulaire» selon l'expression consacrée sous le régime soviétique. On ne compte que 8,2% de Russes, 3% d'Ukrainiens, 1,6 % de Roms/Tsiganes, puis des minorités tatare, arménienne, juive, azerbaïdjanaise, lituanienne, moldave, ouzbèke, etc. En réalité, les pourcentages devraient correspondre aux groupes ethniques. Ainsi, les 85,2 % de Biélorusses peuvent aussi bine parler le biélorusse que le russe, comme nous le verrons plus loin, ce qui pourrait faire augmenter le nombre des russophones. 

Groupe ethnique Population Pourcentage Langue Filiation linguistique Religion
Biélorusse 8 058 000 85,2% biélorusse langue slave orthodoxe
Russe 779 000 8,2% russe langue slave orthodoxe
Polonais 291 000 3,0% polonais langue slave catholique
Ukrainien 154 000 1,6% ukrainien langue slave orthodoxe
Rom/Tsigane 12 000 0,1% romani langue indo-iranienne orthodoxe
Arménien 8 300 0,0% arménien isolat indo-européen orthodoxe
Tatar 7 100 0,0% tatar langue turcique (altaïque) islam
Juif de l'Est yiddishophone 7 000 0,0% yiddish langue germanique religion ethnique
Azerbaïdjanais du Nord 5 400 0,0% azéri langue turcique (altaïque) islam
Lituanien 4 900 0,0% lituanien langue balte orthodoxe
Moldave 4 900 0,0% roumain langue romane Chrétienne
Ouzbek du Sud 3 500 0,0% ouzbek langue turcique (altaïque) islam
Allemand 3300 0,0% allemand langue germanique évangélique/catholique
Tchouvache 3300 0,0% tchouvache langue turcique (altaïque) orthodoxe
Géorgien 2900 0,0% géorgien langue caucasienne sans religion
Mordve 2600 0,0% mordve (erza) famille ouralienne orthodoxe
Kazakh 2 300 0,0% kazakh langue turcique (altaïque) islam
Bachkir 1 200 0,0% bachkir langue turcique (altaïque) islam
Oudmourte 1 200 0,0% oudmourte famille ouralienne orthodoxe
Carélien 1 000 0,0% carélien famille ouralienne orthodoxe
Coréen 1 000 0,0% coréen famille coréenne sans religion
Letton 1 000 0,0% letton langue balte orthodoxe
Bulgare 900 0,0% bulgare langue slave orthodoxe
Estonien 800 0,0% estonien famille ouralienne sans religion
Ossète 800 0,0% ossète langue indo-iranienne orthodoxe
Autres 92 000 0,9% - - -
Total 2020 9 449 400 100%   - -

2.2  La langue biélorusse

Brièvement, on peut affirmer que, au cours des siècles, le biélorusse aurait subi l'influence du polonais, du russe et des langues baltes, alors que le russe aurait été davantage influencé par les langues ouraliennes (surtout le finnois de Finlande) et l'ukrainien par les langues turques. Mais il subsiste également entre les trois langues des différences d'ordre phonétique, grammatical et syntaxique. C'est pourquoi un unilingue russophone éprouvera beaucoup de difficultés à comprendre le biélorusse, surtout dans les communications informelles et la littérature, mais la compréhension sera plus aisée si le texte est relativement technique. Normalement, un russophone ne comprend rien au biélorusse et à l'ukrainien, comme c'est normalement le cas pour un francophone avec l'italien ou l'espagnol. Il faut dire que, en raison des circonstances de l'histoire, les Russes n'ont eu aucun intérêt à apprendre ces langues.  

- Les comparaisons linguistiques

À l'exemple, du russe, de l'ukrainien, du serbe, du bulgare et du macédonien, le biélorusse s'écrit généralement avec l'alphabet cyrillique (kirylicaj), mais des raisons historiques ont fait en sorte qu'il est possible de l'écrire avec l'alphabet latin (latsinka). 

En guise de comparaison, voici un tableau montrant des mots en biélorusse, russe et ukrainien:

Ukrainien

Russe

Biélorusse

Français

khlib

khleb

kheb

pain

mist

most

most

pont

vkhid

vkhod

ouvakhod

entrée

stil

stol

stol

table

bilshovyk

bolchevyk

balchevyk

bolchevik

vulytsya

oulitsa

voulitsa

rue

divchyna

devouchka

daoutchina

jeune fille

Les exemples suivants sont tirés de la Déclaration universelle des droits de l'homme; en alphabet cyrillique (haut) et en alphabet latin (bas):

Biélorusse Russe Ukrainien Français
Артыкул 1 (cyrillique)

Усе людзi нараджаюцца свабоднымi i роўнымi ў сваёй годнасцi i правах. Яны надзелены розумам i сумленнем i павiнны ставiцца адзiн да аднаго ў духу брацтва.
Статья 1 (cyrillique)

Все люди рождаются свободными и равными в своем достоинстве и правах. Они наделены разумом и совестью и должны поступать в отношении друг друга в духе братства.
Стаття 1 (cyrillique)

Всі люди народжуються вільними і рівними у своїй гідності та правах. Вони наділені розумом і совістю і повинні діяти у відношенні один до одного в дусі братерства.
Article 1er (latin)

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.
Artykul 1 (latin)

Usie liudzi naradžajucca svabodnymi i roŭnymi ŭ svajoj hodnasci i pravach. Jany nadzielieny rozumam i sumlienniem i pavinny stavicca adzin da adnaho ŭ duchu bractva.

Stat'ya 1 (latin)

Vse lyudi rozhdayutsya svobodnymi i ravnymi v svoyem dostoinstve i pravakh. Oni nadeleny razumom i sovest'yu i dolzhny postupat' v otnoshenii drug druga v dukhe bratstva.

Stattya 1 (latin)

Vsi lyudy narodzhuyutʹsya vilʹnymy i rivnymy u svoyiy hidnosti ta pravakh. Vony nadileni rozumom i sovistyu i povynni diyaty u vidnoshenni odyn do odnoho v dusi braterstva.

Article 1er (latin)

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

Il existe autant des différences que des ressemblances, de la même façon que si l'on compare des exemples avec l'espagnol, l'italien ou le portugais. Dans leur langue nationale, les biélorussophones emploient beaucoup de termes russes, notamment des termes russes inutilisés par les Russes eux-mêmes ou tellement transformés que ces derniers ne les reconnaissent pas. En général, les différences entre le biélorusse et le russe en Biélorussie sont significatives. De fait, les russophones ne comprennent pas beaucoup la langue biélorusse, surtout si des mots biélorusses «authentiques» sont employés. Par contre, les biélorussophones peuvent comprendre le russe, car presque tous sont bilingues.

- La répartition linguistique

La carte ci-dessous illustre la répartition des biélorussophones en Biélorussie. On peut constater que ces locuteurs sont en grande concentration à plus de 90% dans le centre-nord, à l'ouest et au sud du pays. Ils sont moins concentrés à Minsk où les russophones sont omniprésents, ainsi que dans le Sud-Ouest où ils sont quelque peu concurrencés par la minorité polonaise.

La langue biélorusse est aux prises avec deux obstacles: d'une part, c'est une langue qui a beaucoup d'affinités avec le russe; d'autre part, elle n'est parlée que par 9,4 millions de locuteurs, alors que son puissant voisin compte 120 millions de russophones; l'ukrainien est parlé par 33 millions de locuteurs. Par le fait même, la proximité et la concurrence avec une langue «forte» comme le russe font du biélorusse une langue irrémédiablement «faible». Si l'on ajoute à cela l'absence presque totale de soutien de la part de l'État biélorusse pour la langue nationale, on en arrive à une langue en état de sujétion perpétuelle, et ce, d'autant plus que l'assujettissement est généralement volontaire. L'anomalie linguistique de la Biélorussie, c'est que la deuxième langue des Biélorusses est… le biélorusse!

Selon le recensement de 1999, seulement 38 % des citoyens biélorusses employaient quotidiennement le biélorusse. Une enquête par questionnaire en date de 1998 révélait qu'à Minsk très peu de familles, soit 1 %, utilisaient le biélorusse comme langue de communication intrafamiliale, alors que 29 % déclaraient recourir à un mélange de biélorusse et de russe.

Pourtant, 81,2 % des Biélorusses considèrent le biélorusse leur langue maternelle, ce qui signifierait que les locuteurs du biélorusse peuvent être considérés comme une minorité fonctionnelle dans la république de Biélorussie. Le paradoxe de l'identité linguistique de la Biélorussie est que la plupart des Biélorusses parlent russe quotidiennement. En somme, les Biélorussiens seraient des russophones plutôt que des biélorussophones.

Pour simplifier, on peut affirmer que, si plus de 80% des Biélorussiens déclarent que le biélorusse est leur langue maternelle lors des recensements de la population, près des deux tiers des citoyens bélarussiens parlent le russe à la maison. Forcément, ce sont, outre les russophones, les biélorussophones et les petites minorités nationales qui font cet usage du russe dans leur vie quotidienne. Le Comité national de la statistique a présenté une carte des langues parlées à la maison au moment du recensement de 2009: on peut consulter cette carte en cliquant ici s.v.p. Une enquête qui date de deux décennies (Béloroussov et Grigorian, cités par par jeantheau, 2001) pour l'Académie des sciences de Russie, révélait qu'à Minsk 95,4 % des individus déclaraient pouvoir parler le russe et les deux tiers des habitants se considéraient comme bilingues quand il s'agit de parler, mais ils se percevaient comme bilingues dans une proportion de quatre cinquième pour l'écoute (radiotélévision).

- La concurrence du russe

Si les milieux nationalistes sont des défenseurs du biélorusse, il n'en est pas ainsi pour la plupart des locuteurs de cette langue qui, au contraire, prônent l'usage de la langue russe. À l'été 2020, la revue Rapports de l'Académie nationale des sciences du Bélarus (en russe: Доклады Национальной академии наук Беларуси ou "Doklady Natsional'noy akademii nauk Belarusi") a publié un article intitulé «Le bilinguisme biélorusse-russe — une valeur spirituelle et culturelle historiquement établie du peuple» (en russe: "Белорусско-русское двуязычие — исторически сложившаяся духовно-культурная ценность народа"). Le texte est signé par deux auteurs biélorusses prestigieux: Vladimir Gusakov, le président de l'Académie nationale des sciences de Biélorussie et Alexander Kovalenya, membre de l'Académie nationale des sciences.  Voici un extrait de ce rapport rédigé en russe et qui ressemble quelque peu à de la «russolâtrie» :

Именно русскому народу начертано быть первопроходцем и провидцем мирового развития. Надо быть лишенным элементарной культуры и безумцем, чтобы отрицать русский язык. Если это язык дороги к Храму. Только сильному народу мог быть дан такой язык. Ведь каждому дается по его заслугам. Русский язык, как и душа русского народа, отличается не только открытостью и совершенством, но и способен мобилизовать на любые подвиги ради справедливости, кто бы ни нападал. C'est le peuple russe qui est inscrit pour être un pionnier et un visionnaire du développement mondial. Il faut être dépourvu de culture élémentaire et fou pour nier la langue russe, car c'est la langue de la route vers le salut [l'Église]. Seul un peuple fort pouvait concevoir un telle langue. Après tout, chacun reçoit selon ses mérites. La langue russe, comme l'âme du peuple russe, se distingue non seulement par son ouverture et sa perfection, mais elle est également capable de se mobiliser pour tous les exploits au nom de la justice, peu importe qui attaque.

Comme il est proposé dans cet article «sérieux», la langue russe correspond à l'âme biélorusse et elle est la deuxième langue maternelle du peuple biélorusse. Ce genre de discours est fréquent en Biélorussie et la plupart des biélorussophones adhèrent à cette croyance.

Répartition des réponses 2005
Il devrait y avoir deux langues officielles - le biélorusse et le russe 56,0 %
Le biélorusse devrait être la seule langue officielle 20,0 %
Le russe devrait être la seule langue officielle 11,2 %
Cela me m'inquiète pas 10,1 %
En 2005, un sondage demandait aux Biélorussiens quel statut linguistique il verrait comme souhaitable pour leur pays. Or, une majorité écrasante de répondants accordait la préférence au bilinguisme, c'est-à-dire au statut égal des langues russe et biélorusse. Les adeptes d'une seule langue (20 + 11,2) sont moindres (31,2%) que ceux qui se prononcent pour l'égalité de statut des deux langues. Il y avait 10,1% qu'on pourrait appeler «sans opinion» ou «indifférents», mais une sous-question révèle qu'ils se rallieraient à l'opinion de la majorité.

La langue biélorusse est ainsi davantage employée dans la vie quotidienne dans les zones rurales: autant les populations rurales sont biélorussophones, autant celles des villes sont russophones ou russophonisées. Dans les villes et la capitale, le biélorusse est pratiquement employé par les seuls intellectuels et la faction «patriotique» de la société. Pour simplifier, on peut affirmer que le biélorusse est la langue des paysans et un instrument politique pour les intellectuels des villes. De façon générale, le bilinguisme russo-biélorusse est massif dans ce pays, surtout pour les biélorussophones et les petites minorités nationales (Polonais, Ukrainiens, Roms/Tsiganes, Arméniens, etc.).

- La langue parlées à la maison

Le recensement de 2019 présente ainsi la connaissance des langues biélorusse et russe par région ainsi que dans la ville de Minsk. La carte ci-dessous illustre la proportion des locuteurs du biélorusse selon la région de résidence. La carte indique deux pourcentages: en rouge, la proportion des locuteurs biélussophones comme langue maternelle (54,1%), en bleu, celle des locuteurs du biélorusse parlant cette langue à la maison (26,0%). Il faut donc considérer que l'ethnie biélorusse représente 85,2% des Biélorussiens, mais seulement 54,1% des biélorussophones, ce qui indique un bon taux d'assimilation de 31,1%. De plus, une proportion de 26,0% des Biélorussiens parlent le biélorusse à la maison contre 71,3% pour le russe. Cette proportion peut même augmenter à 85% dans la région de Vitebsk. Les régions les moins biélorussophones sont celle de Vitebsk, de Gomel (47%) et de Moguilev (46%), ainsi que la ville de Minsk (48,6%).

Localisation Population Population totale des locuteurs des langues officielles
Langue maternelle Langue normalement
parlée à la maison
biélorusse russe biélorusse russe
Total du pays 9 413,400 5 094,900 (54,1%) 3 983,800 (42,3%) 2 447,800 (26,0%) 6 718,600 (71,3%)
Région de Brest 1 348,100 1 037,700 (76,9%) 270,500 (20,0%) 218,700 (16,2%) 1 103,000 (81,8%)
Région de Vitebsk 1 135,700  514,000 (45,2%)  585,600 (51,5%) 142,800 (12,5%)  965,600 (85,0%)
Région de Gomel 1 388,500  652,700 (47,0%)  693,700 (49,9%) 201,100 (14,4%) 1 156,300 (83,2%)
Région de Grodno 1 026,800  559,900 (54,5%)  427,800 (41,6%) 389,100 (37,8%)  616,700 (60,0%)
Ville de Minsk 2 018,300  982,100 (48,6%)  980,100 (48,5%) 689,100 (34,7%) 1 292,600 (64,0%)
Région de Minsk 1 471,200  876,100 (59,5%)  548,300 (37,2%) 549,600 (37,3%) 884,600 (60,1%)
Région de Moguilev 1 024,800  472,400 (46,0%)  477,700 (46,6%) 257,200 (25,0%) 698,900 (68,1%)

- Le biélorusse parmi les minorités

Parmi les principales minorités nationales, la langue biélorusse est plus répandue parmi les Polonais (40,9%) qui ont recours à cette langue dans la vie quotidienne, bien que 50,9% d'entre eux emploient le russe. Par comparaison, les biélorussophones utilisent leur langue dans une proportion de 26,1%, mais 69,8% pour le russe. Les groupes ethniques qui emploient le moins le biélorusse sont les Juifs (2,0%) et les Russes (2,1%), qui préfèrent nettement la langue russe dans la proportion de 95,9% pour les Juifs et de 96,5% pour les Russes.

À l'extérieur de la Biélorussie, on compte des minorités biélorusses dans plusieurs pays: en Azerbaïdjan (4700 env.), au Kazakhstan (180 000), au Kirghizistan (7600), en Lettonie (105 000), en Lituanie (63 000), en Russie (1,2 million), au Turkménistan (5200), en Ukraine (440 000), en Ouzbékistan (30 000), en Pologne (200 000), en Moldavie (20 000), etc.

 2.2 La langue russe

Le russe est parlé par 8,2% comme langue maternelle par les citoyens de la Biélorussie. La carte ci-contre témoigne de la répartition des russophones dans ce pays: il existe des concentrations substantielles dans le Nord, mais elles ne dépassent jamais les 16%; en général, les russophones constituent de petites minorités de moins de 10% dans la plupart des municipalités. Normalement, les russophones seraient perçus comme une minorité nationale, voire l'une des minorités importantes du pays.

- La prépondérance du russe

Or, ce n'est pas le cas! Le russe est devenu la langue la plus utilisée dans ce pays, et ce, depuis qu'il est une langue co-officielle avec le biélorusse à l'issue du référendum de 1995. Celui-ci semble avoir entraîné un usage accru du russe dans tout le pays et, par voie de conséquence, une diminution du biélorusse. En 1999, seulement 58,6% de la population déclarait parler russe à la maison, alors qu'en 2009, ce nombre était passé à 69,8%. Selon une étude de 2018 du Centre de recherche IPM (en anglais: Research Centre IPM), seulement 2,2% des Biélorusses parleraient le biélorusse à la maison, tandis que 73,7% utiliseraient le russe; 12,3% parleraient les deux et 11,6% utiliseraient un mélange des deux langues (la trasianka).

Bref, la langue la plus parlée en Biélorussie est manifestement le russe, l'une des deux langues officielles, bien que la proportion des russophones de langue maternelle ne soit que de 8,2%. La langue russe prédomine également dans la vie quotidienne des citoyens biélorusses. La langue russe est massivement parlée dans la capitale, dans tous les centres régionaux et les grandes villes du pays.

L'usage officiel de deux langues donne parfois lieu, selon certains linguistes du pays, à des situations où ce qui est prononcé ou écrit ne correspondrait pas toujours aux normes grammaticales et phonétiques tant de celles de la langue russe que de la langue biélorusse. Autrement dit, les Biélorussiens s'exprimeraient dans une forme régionalisée des langues officielles.

- La russification des biélorussophones

La russification de la population biélorusse se produit principalement dans les médias de langue russe. Trois des neuf chaînes de télévision incluses dans le bouquet de la télé standard sont russes et les autres utilisent le russe comme langue principale. La Biélorussie achète la majorité de ses émissions de télévision de Russie et les diffuse même sur les chaînes biélorusses dans cette langue, sans traduction. De plus, la propagande russe aurait une grande influence à travers les chaînes de télévision russes qui dominent la télévision biélorusse. Le suivi de l'Association biélorusse des journalistes démontre que la promotion de la notion du «monde russe» passe par des émissions de télévision russes à caractère politique et apolitique, et diffusées sur les neuf chaînes de télévision officielles de la Biélorussie.

Bien que les experts continuent de parler de la Biélorussie dite «douce» dans les secteurs de la culture et du divertissement, l'emploi de la langue biélorusse dans les établissements d'enseignement publics continue de diminuer. Outre la russification du système d'éducation des médias, l'intérêt croissant des jeunes pour la langue biélorusse est en concurrence avec une fuite des cerveaux. Par exemple, l'année 2018 fut une année record dans la mesure où quelque 11 000 Biélorussiens ont émigré vers d'autres pays pour y travailler. Dans ces conditions, l'anglais devient encore plus populaire que le biélorusse pour les jeunes professionnels, tout comme le polonais chez les travailleurs qui s'installent en Pologne. Dans tous les cas, c'est la langue biélorusse qui est perdante.

- La connaissance du biélorusse par les russophones

Qu'en est-il du bilinguisme des russophones eux-mêmes? D’une part, beaucoup de russophones comprennent en général partiellement le biélorusse, mais ils ne font guère d’effort pour l’acquérir comme moyen actif de communication puisque, de toute façon, les biélorussophones parlent le russe. D’autre part, les locuteurs biélorusses qui maîtrisent bien le russe n’ont pas assez de motivation pour employer régulièrement leur langue nationale en raison de la présence envahissante du russe dans la société biélorussienne. En conséquence, ces biélorussophones perdent graduellement leurs compétences linguistiques. Dans les faits, le biélorusse fait office de langue minoritaire, tandis que le russe sert de majorité fonctionnelle.

2.3 La trasianka : une langue mixte

En Biélorussie, la cohabitation linguistique a créé une langue mixte appelée la trasianka (en biélorusse: трасянка, mot féminin) assez fluctuant selon les régions, qui correspond en un «mélange» entre la langue biélorusse et normalement le russe, mais rarement avec une autre langue (polonais, ukrainien ou lituanien). Cette langue mixte est un phénomène qui peut être entendu dans l'ensemble du pays par les biélorussophones, et ce, dans toutes les régions.

- L'origine

La trasianka est le résultat identitaire de la langue locale influencée par la langue socialement dominante, le russe, au moment de l'Empire, puis de l'URSS. Ce terme serait apparu dans les années 1920 et désignait à l'origine «le foin avec de la paille utilisé comme fourrage pour le bétail»; il aurait donc servi pour nommer, d'après les Russes, une «langue non civilisée», un «charabia». C'était pourtant à l'origine un système linguistique utile pour combler un moyen de communication entre la population rurale biélorussophone et l'administration ou la bureaucratie russophone.

En fait, les répressions staliniennes des années 1920-1930 auraient joué un grand rôle dans l'expansion de la trasianka, alors que, sous l'influence de l'atmosphère de terreur qui prévalait, une transition massive vers le russe de la partie biélorussophone des habitants des villes et des villages a eu lieu. La migration des Biélorusses vers les villes a également élargi ce phénomène.

- L'emploi de la trasianka

Aujourd'hui, la trasianka est principalement parlé dans les zones rurales parce que, une fois installés dans les villes, les nouveaux citadins biélorusses se russifient ; dans les petites villes, la trasianka peut prévaloir, y compris chez les fonctionnaires. La proximité des deux langues, le russe et le biélorusse, ainsi que les politiques linguistiques ont joué un rôle important dans la création de cette langue mixte. La trasianka est aussi souvent employée par certains chanteurs et des écrivains plus nationalistes, et elle est de plus en plus employée dans la publicité commerciale.

Des études récentes suggèrent que l'usage et la perception de la trasianka tendent à changer progressivement. Dans une étude de 2010, plus de 80% des répondants ont reconnu avoir employé «un mélange de langues» à l'occasion. Qui plus est, la trasianka continue d’être parfois parlée dans la troisième génération d’immigrants urbains, ce qui ne peut s’expliquer simplement par une méconnaissance du russe ou du biélorusse. Des études montrent également qu'environ deux tiers des Bélarusses considèrent la trasianka comme une «langue maternelle» ou l'utilisent régulièrement à côté d'une autre «langue maternelle». Cette pratique linguistique dans la société biélorusse peut créer les conditions pour le développement d'une nouvelle version biélorusse du russe. Voici quelques exemples de trasianka trouvés dans la population biélorusse (en alphabets cyrillique et latin): 

  Langue Russe Biélorusse Trasianka
1 Cyrillique
Latin
Français
сжечь
szhechʹ
brûler
спалiць
spalitsʹ
en train de dormir
спалить
spalytʹ
brûler
2 Cyrillique
Latin
Français
картошка
kartoshka
patate
бульба
bulʹba
ampoule
бульба
bulʹba
ampoule
3 Cyrillique
Latin
Français
отец
otiec
père
бацька
baćka
père
батька
bat́ka
père
4 Cyrillique
Latin
Français
говорить
hovorit́
parler
размаўляць
razmaŭliać
diffusion
гаварыць
havaryć
parler
5 Cyrillique
Latin
Français
интересный
interesnyy
intéressant
цікавы
cikavy
intéressant
интерэсны
interesny
intéressant
6 Cyrillique
Latin
Français
умный
umnyj
astucieux
разумны
razumny
raisonnable
вумны
vumny
femme
7 Cyrillique
Latin
Français
хороший
chorošij
bon
добры
dobry
gentil
харошы
charošy
bon
8 Cyrillique
Latin
Français
спортсмен
sportsmien
sportif (athlète)
спартоўца
spartoŭca
spartiate
спарцмен
sparcmien
sportif (athlète)
9 Cyrillique
Latin
Français
женщина
žjenŝina
femme
жанчына
žančyna
femme
жэншчына
ženščyna
femme
10 Cyrillique
Latin
Français
Европа
Jevropa
Europe
Еўропа
Jeŭropa
Europe
Яўропа
Jaŭropa
Europe

Dans les faits, en raison de la période de russification et d'emploi passif de la langue biélorusse, de nombreux mots biélorusses ont été oubliés et remplacés par ceux de la trasianka qui est de plus en plus employée dans les médias, la publicité extérieure, sur les enseignes et dans les magasins. On estime que le tiers des Biélorusses peut s'exprimer en tranisnka.

2.4 Les minorités linguistiques

La Biélorussie compte plusieurs communautés linguistiques minoritaires, dont l'importante minorité russophone. Rappelons que, bien qu'elle ne représente que 8,2% de la population, son influence reste considérable du fait que cette langue a conservé dans ce pays un rôle de langue inter-ethnique qui, depuis le référendum de 1995, est également une co-officielle avec le biélorusse. C'est même une langue dont le prestige dépasse de beaucoup celui du biélorusse.

Les représentants des minorités nationales vivent dispersés dans toute la république, principalement dans les agglomérations urbaines. Polonais, Lituaniens, Tatars et Juifs vivent dans des endroits compacts dans les régions de l'ouest et du nord-ouest de la république, y compris dans les zones rurales.

La plupart des représentants des minorités nationales se sont installés sur le territoire de la Biélorussie au XX
e siècle, principalement après 1944. En même temps, les Polonais, les Juifs, les Lituaniens, les Russes, les Roms/Tsiganes vivent sur les terres de la Biélorussie depuis quelques siècles et sont, avec les Biélorusses, des groupes ethniques «autochtones». La majorité des représentants des minorités nationales ont déménagé sur le territoire de la Biélorussie à l'époque soviétique à la suite de la migration d'après-guerre de spécialistes hautement qualifiés des professions «urbaines», qui leur a permis d'occuper presque immédiatement des postes de haut rang dans la société biélorusse. Le niveau d’instruction des membres des minorités nationales qui se sont installés dans le pays à l’époque soviétique est également plus élevé que celui des minorités nationales «autochtones» qui vivent depuis des siècles sur la terre bélarusse et de la nation dite «titulaire».

Caractérisant la situation liée à la situation des minorités nationales en Biélorussie, il est nécessaire de noter sa stabilité et son caractère unique, qui s'expriment apparemment en l'absence d'affrontements et de conflits sur une base ethnique, raciale et confessionnelle. Dans cette situation, la Biélorussie serait l'une des rares républiques de l'ex-URSS, dans laquelle aucun conflit interethnique ou interconfessionnel n'a été enregistré, du moins selon les sources officielles. Cette prétendue harmonie interethnique dans la société biélorusse s'expliquerait par la mentalité bienveillante des citoyens du pays, les traditions historiques d'interaction interethnique pacifique, les liens de longue date et forts entre les groupes ethniques vivant sur le territoire de la Biélorussie. Il reste à vérifier la véracité de ces affirmations gouvernementales,

- La minorité polonaise

La minorité polonaise compte 291 000 locuteurs, ce qui représente 3% de la population. C'est peut-être une petite minorité, mais les membres de cette communauté sont surtout concentrés dans les municipalités du Sud-Ouest dans la voblast de Hrodna (Grodno, en polonais). Cette région est habitée par des biélorussophones (62,3%), mais aussi par des Polonais (24,8%), des Russes (10,1%), des Ukrainiens (1,8%), des Lituaniens (0,4%) et des Tatars (0,2%). Dans les municipalités de Grodno, de Lida, de Voronovo, de Voskovyssk, de Zelva, d'Ivje et de Schuchin (ou Chtchoutchine), les Polonais représentent plus d'un quart de la population (de 25% à 40%), voire 77% à Voronovo, la ville la plus polonaise de la Biélorussie. Plus au nord,  dans la voblast de Vitebsk, on trouve, en plus des biélorussophones (64%) une minorité polonaise (18,6%) et une minorité russe (14,2%, ainsi que de petites communautés ukrainienne, lituanienne, lettone et tatare. Ces régions ont déjà fait partie de l'Union de la Pologne et de la Lituanie au XVIe siècle.

Selon les statistiques de 2009, la langue polonaise n'est parlée comme langue principale que par 4,7% des Polonais, car ils l'utilisent peu comme moyen de communication familial. En revanche, la majorité des Polonais (57,6%) indiquent le biélorusse comme langue qu'ils parlent habituellement à la maison, contre 37,7% qui s'expriment en russe à la maison. Ces statistiques mettent également en évidence le niveau d'assimilation non seulement à la langue biélorusse, mais aussi à la langue russe en raison de la russification pratiquée pendant la période soviétique.

Le talon d'Achille de la communauté polonaise, c'est l'accès à l'éducation en polonais rendu de plus en plus difficile pour les enfants. Au cours des dernières années, les autorités ont créé des obstacles à la promotion de la langue polonaise. L'Union des Polonais de Biélorussie signale des violations répétées des droits de la minorité polonaise.

- La minorité ukrainienne

La minorité ukrainienne est la quatrième communauté en importance en Biélorussie avec 154 000 (1,6% de la population totale). Selon les estimations de la communauté ukrainienne, leur nombre réel pourrait dépasser le demi-million.

Vingt-cinq pour cent des Ukrainiens (40 000) résident dans la voblast de Brest, notamment dans les municipalités de Brest, de Kamenets, de Kobryn, de Pruzhany, etc., où ils peuvent représenter de 3 à 6% de la population locale. Une autre communauté de 30 900 personnes habite dans la voblast de Homiel (ou Gomel). Ces deux voblasts sont situées près de la frontière ukraino-biélorusse. Par ailleurs, plus de 27 300 Ukrainiens vivent à Minsk dans la capitale, tandis qu'une plus petite communauté ukrainophone réside dans la voblast de Vitebsk (14 500) au nord-est du pays.

En consultant la carte ci-contre, on constate que beaucoup d'Ukrainiens vivent aussi dans des municipalités du centre du pays. En général, ils ne représentent que 1% ou 2% de la population locale, dont 1,72% à Minsk.    

Au recensement de 2009, la majorité des Ukrainiens de la Biélorussie (61%) ont désigné le russe comme leur langue maternelle. Plus de 88% d'entre eux affirment parler russe à la maison, contre seulement 4% pour l'ukrainien et 6% pour le biélorusse. Bref, les Ukrainiens sont principalement russophiles et russophones. Comme les Polonais, ils subissent les effets de leur assimilation au russe, ainsi que des liens de dépendance à l'égard des Russes.

- Les autres minorités

Il existe au moins une trentaine de petites communautés en Biélorussie: Roms/Tsiganes, Arméniens, Tatars, Juifs, Azerbaïdjanais, Lituaniens, Lettons, Moldaves, Ouzbeks, Allemands, Tchouvaches, Géorgiens, Mordves, Kazakh, etc.  Selon les données officielles, en 2012, quelque 18 000 citoyens des autres États sont arrivés en Biélorussie en tant que migrants (en 2000: 25 943), dont 13 455 provenaient des pays de la Communauté des États indépendants. La plupart de ces migrants venaient de Russie (8560), d'Ukraine (2258), du Kazakhstan (963) et du Turkménistan (800). Après 2014, en raison d'événements bien connus, un afflux actif de migrants en provenance d'Ukraine a commencé. Selon diverses estimations, jusqu'à plusieurs centaines de milliers de citoyens ukrainiens sont partis travailler en Biélorussie. En même temps, les statistiques officielles ont enregistré l'arrivée de seulement 6311 citoyens ukrainiens en 2014.

- Les pays voisins

Sous une forme ou une autre, les habitants de la Biélorussie font aussi usage des langues de leurs voisins, telles que la Pologne, l'Ukraine et la Lituanie. Si l'on fait exception du russe, la langue étrangère la plus répandue en Biélorussie est le polonais, principalement dans les régions de Grodno et de Brest, ainsi que dans l'ouest de Minsk, c'est-à-dire dans les territoires qui faisaient partie de la Pologne jusqu'en 1939 (la Biélorussie occidentale). Bien que le polonais ne soit pas une langue officielle, il est employé dans certains médias et dans quelques écoles. Après l'indépendance de la Biélorussie (1991), le rôle de la langue polonaise a considérablement augmenté; de nombreux habitants de l'ouest de la Biélorussie la parlent à un degré ou à un autre. L'organisme de coordination pour le développement de la langue polonaise en Biélorussie est l'Union des Polonais de Biélorussie.

2.5 Les religions

La Biélorussie a connu une histoire complexe où se sont entremêlées la Lituanie, la Pologne et la Russie. On ne peut dissocier l'histoire de ces quatre pays qui ont toujours été majoritairement chrétiens depuis la christianisation de la région à partir du IXe siècle. Les chrétiens orthodoxes forment une majorité relative avec 48,3 %. Ils sont suivis des catholiques romains (7,1 %). L'islam et le judaïsme constituent les autres religions minoritaires (3,5 %) avec l'hindouisme et le bouddhisme. 

La Constitution biélorusse ne déclare aucune religion officielle, bien que la religion principale du pays soit le christianisme orthodoxe oriental. En général, les Biélorussiens sont orthodoxes, alors que les minorités lituanienne et polonaise sont catholiques. Les musulmans se retrouvent parmi les Tatars, les Azerbaïdjanais, les Ouzbeks, les Kazakhs, etc. On compte plus de 3500 organisations religieuses issues de 25 confessions et tendances enregistrées, conformément à la législation en Biélorussie, y compris 174 organisations d'importance confessionnelle générale (associations religieuses, monastères, missions, confréries, sœurs, établissements d'enseignement théologique) et 3389 communautés (orthodoxes, catholiques, chrétiens de foi évangélique, chrétiens évangéliques, baptistes, adventistes du septième jour, luthériens, juifs, musulmans et autres communautés religieuses). Il existe 24 communautés religieuses musulmanes en Biélorussie, qui possèdent neuf édifices religieux, dont la mosquée-cathédrale de Minsk.

Il faut aussi se rappeler que la Biélorussie a vécu sous un régime communiste durant près de 75 ans, alors que l'athéisme d'État était omniprésent. Encore aujourd'hui, quelque 40% des Biélorusses sont des non-pratiquants ou des incroyants.

Dernière mise à jour: 16 février, 2024  

Biélorussie


(1) Considérations générales
 

(2) Données historiques

 

(3) Politique des langues officielles

 

(4) Politique des minorités nationales

 

(5) Bibliographie

 

Loi sur les langues (1998)
Loi sur les minorités nationales (2004)

 

L'Europe

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